Il y avait des rituels auxquels il s’accrochait et qu’il entretenait avec passion et tendresse. Gabrielle, sa soeur cadette, les avait quitté alors qu’il avait quinze ans. Les années étaient passées et il avait avec peur constaté qu’il avait oublié le son de sa voix, son rire et même son parfum. Les années s’écoulaient, d’autres souvenirs remplaçaient les anciens. On lui disait que c’était la nature des choses pour ceux et celles qui restaient. Mais, il se refusait d’oublier sa soeur. Alors, il avait établi un tas de tradition pour se souvenir d’elle, pour perpétuer sa mémoire. Une de ces traditions : retour vers le futur. Une saga dont elle avait été fan. Elle connaissait chacune des répliques, rêvait de posséder un overboard pour pouvoir aller en cours. Elle rêvait de pouvoir avoir un pote comme docteur Emmett Brown et voudrait appeler son chien Copernic. Il avait toujours trouvé cette saga ennuyante mais avec elle, il ne pouvait pas s’empêcher de rire aux éclats … elle connaissait vraiment les répliques par coeur et aurait pu très bien doubler tous les personnages sans le moindre problème. Il avait préparé le plateau télé comme chaque année. Les dvd étaient prêts à chauffer tout comme la bouteille de soda posée sur la table basse. Il avait une cigarette coincée entre les lèvres quand il jeta un dernier coup d’oeil à son téléphone. Emery n’avait pas encore annulé et il avait des doutes. Il se demandait si elle n’allait pas finir par lui dire qu’elle avait eu un empêchement … mais alors qu’il tirait une dernière latte sur sa cigarette pour l’écraser finalement dans son cendrier, il l’entendit derrière la porte. Elle était donc bel et bien venue. Elle allait l’accompagner dans ce voyage dans le temps. D’un pas pressé, il se dirigea vers la porte d’entrée qu’il ouvrit pour la découvrir sur le seuil de sa porte.

Une image irréelle. Elle avait changé. Elle était néanmoins toujours aussi jolie, radieuse et … souriante. « Hey. » ils se regardèrent, se scrutèrent pendant de longues secondes, cherchant dans les traits abimés par la vie de l’autre cet ancien cousin que l’on avait connu. « T’as mis ton barbier derrière les barreaux ou quoi ? » dit-elle et il posa aussitôt la main sur sa barbe avec un sourire amusé. Il avait changé. Il avait quitté le look du premier de la classe le jour où son père avait disparu de la surface de cette planète. Il avait eu le sentiment d’être enfin libre, de pouvoir être enfin lui-même. « Paraît que c’est tendance » ment-il alors qu’elle venait subitement se glisser dans ses bras pour lui offrir une étreinte qui lui avait manqué pendant toutes ces années. Surpris pour les premières secondes, il vint finalement refermer ses bras autour d’elle, un tendre sourire aux lèvres. « Tu m’as manqué.» « Pareil pour moi la sauterelle. », dit-il dans un soupir avant de reculer de quelques pas, tendant le bras vers l’intérieur de son appartement pour l’y faire rentrer.

« J’vois que t’as pensé au pop corn … parfait ! », son regard se posa sur les deux sachets dont il espérait être un sucré. « Je t’offre un truc à boire ? Tu veux boire quoi ? » Il parlait une fois de plus beaucoup … comme à chaque fois quand il était un peu mal à l’aise. Il tourna la tête vers elle une nouvelle fois. « Tu peux pas savoir combien ton message m’a fait plaisir — comment tu vas depuis tout ce temps ?»

« Ca fait carrément ours des cavernes, tu dois les faire trembler tes criminels. » Un rire gras et enfantin vint s’échapper de ses lèvres alors qu’il la poussait doucement tout en roulant des yeux et soufflant amusé : « T’es con. » Quand elle avait décidé de mettre les voiles et prendre ses distances avec lui, il lui avait promis que sa porte serait toujours ouverte. Quand elle l’aura décidé, il sera là. Il l’aura attendu. Il lui avait promis et aujourd’hui, il prouvait une fois de plus qu’il était un homme de paroles. Il n’avait qu’un mot. A l’époque, il ne se doutait pas qu’il s’agirait d’années mais y n’empêche qu’il se comportait comme si de rien était. Il l’avait promis. Point. Une étreinte plus tard, il espérait avoir effacé les derniers doutes qui auraient pu subsister dans l’esprit de sa cousine.

« Yup. Évite de les mélanger, je doute que t’apprécies le mélange sucré-salé » Il tourna la tête vers elle, une grimace affreuse sur le visage. Non, le mélange sucré-salé, c’était très peu pour lui et encore moins quand il s’agissait de pop-corn. Derrière le comptoir de la cuisine, il s’occupa à transvider les pop-corn dans deux saladiers et du bout des doigts, il saisit un pop corn pour vérifier que celui-ci était bien réservé pour lui… premier bouchée. Première suée froide. Dieu soit loué, c’était sucré. « Euhm. J’ai vu que t’avais sorti du soda, ça ira très bien. » « Une soirée avec que des choses saines et bonnes pour la santé. Parfait ! » répondit-il avec l’enthousiasme d’un gamin, prêt à s’affranchir des règles instaurées par des parents un peu stricts. Muni de ces saladiers, il fit le tour du comptoir pour atterrir dans le coin salon et les déposer sur la table basse. Un coup d’oeil à sa cousine au passage ; elle n’avait pas encore trouvé ses marques. « Je suis contente alors. Ça faisait plusieurs jours que j’y pensais mais je savais pas si tu serais vraiment partant. Je vais bien, sinon. Mieux que la dernière fois qu’on s’est vu.» Il s’arrêta dans ses mouvements pour se poser une seconde face à elle. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire rassuré et surtout ravi. Il était heureux de la voir ainsi, et surtout prononcer ces phrases. « Rien a changé pour moi, Em. Je te l’avais dit à l’époque : je serais là quand tu décideras que c’est le moment de revenir. Je poserais pas de question et profiterais simplement que tu es là. » Sa lourde main vint se poser sur son épaule et il ajouta : « Je suis vraiment heureux que tu sois là, que tu ailles mieux. Vraiment. »

Il détacha finalement sa main de son épaule pour se laisser tomber dans son canapé après avoir reculé de quelques pas.

« Et toi ? Je m’attendais presque à recevoir un message de SOS durant le brunch avec ta mère. J’imagine que c’était pas si terrible que ça, finalement ?» « On n’a pas le droit d’avoir nos portables quand on est chez elle - même du haut de mes 28 ans, l’autorité maternelle gagne.» dit-il d’une voix rieuse. « Possible que j’ai un peu exagéré le tableau ; t’as raison. En ce moment, elle tanne pour devenir grand-mère --- alors j'aurais bie eu besoin d'un SOS.»

« Je doute que t’aurais été très content si j’avais ramené des bâtonnets de carotte et de l’eau pétillante. » il tourna la tête vers elle, la bouche entrouverte et déformée dans une étrange grimace. Il était sous le choc et secoua la tête avant de répondre d’une voix amusée : « En effet, oui. Y’a un codex à respecter ici. »

« J’essaye d’être reconnaissante là, laisse-moi faire. Je sais que ça te paraît juste normal, mais t’aurais pu me tourner le dos et tu l’as pas fait. T’es bien l’un des seuls. » Il s’était tu pour la laisser parler et l’écouter. Un sourire gêné prit place sur ses lèvres alors qu’il acquiesça silencieusement. Bien, il allait la fermer et accepter sa reconnaissance et il allait dissimuler son envie de péter la gueule à ceux et celles qui avaient osé tourner le dos et blesser sa cousine. « Entendu, je te laisse faire. » répondit-il néanmoins tout en lui décochant un clin d’oeil tout droit sorti d’une autre époque. Il avait appris à fermer sa gueule, un des trucs que Billie lui avait appris au cours de leur année de service ensemble. Parfois, faut juste savoir accepter et continuer son chemin : rien à voir avec blesser les bras, juste accepter sa paix. « Je suis contente d’être là aussi. » Et c’était ainsi qu’il finit par se caler dans un coin de son fauteuil et était en train de piocher dans le pop corn quand il reposa son attention sur la blonde.

« Je comprends, j’aurais pas osé désobéir non plus. Mais t’es beaucoup trop jeune pour ça ! » Il hocha énergétiquement la tête. « Qu’est-ce qui lui prend ? Elle veut te voir casé ? Ou alors tu lui as présenté ta copine et elle la voit comme la mère de tes futurs enfants ? Fais gaffe, la connaissant, je suis sûre qu’elle trouvera bien la fille d’une voisine à te présenter. Ça, ce serait du traquenard digne de ce nom» C’était peu dire quand il se souvenait de sa visite surprise alors que sa coéquipière avait passé la nuit chez elle. La bouche pleine, il se justifia : « J’ai surtout vraiment pas envie d’avoir des mioches, Em mais ça, elle l’a toujours pas enregistré mais tu la connais, elle ne l’enregistrera jamais. Comme mon père, quand elle veut un truc même qui ne la regarde pas ou ne la concerne pas, elle fera tout pour y arriver. » L’histoire de sa vie. Aujourd’hui, il utilisait un ton détaché pour le mentionner mais sa cousine avait déjà vécu des situations où l’adolescent fondait en larmes, se sentant emprisonné par les choix de vie de ses parents pour sa propre existence. Ils n’en avaient jamais parlé. Elle s’était surtout contentée de l’enlacer tout en lui soufflant quelques mots doux jusqu’à ce qu’il s’arme d’un masque et retourner jouer les sales gosses. « Je veux les ragots. » Un éclat de rire alors que sa main se perdit de nouveau dans le bol de pop corn.

« Qu’est-ce-qui te fait dire qu’il y a des ragots à raconter ? » Il lui adressa un sourire complice.

« T’as hérité ce côté tête de pioche de ta mère, je te rappelle. Mais ouais, je comprends. De toute façon, c’est pas comme si elle pouvait te forcer à avoir des gamins. Je doute pas que tu serais un bon père, c’est juste… » Il lui jette un regard offusqué quand elle lui mentionne son héritage. Le caractère borné de sa mère ? Non merci, mais elle a raison. Il le sait. Elle le sait. Elle sait qu’il le sait. « Exactement ça. » qu’il lance en pointant du doigt Emery quand elle secoue la tête dans un frisson d’horreur. Oui, c’est également sa version officieuse de la parentalité. A vrai dire, il a juste peur d’être un mauvais père, car la figure paternelle avait été absente de sa vie pendant bien trop longtemps. Il a peur de commettre les mêmes erreurs. Chaque relation sociale et amicale était pour lui une aventure à laquelle il n’était jamais certain de vouloir se frotter : peur de se blesser.

« J’ai mes sources. » Elle le fixe et il laisse échapper un soupir peu impressionné tout en plongeant la main dans son pop-corn, la surveillant du coin de l’œil pour s’avérer qu’elle est bien en train de bluffer. Normalement, personne ne sait rien de sa vie privée. Il la préserve comme le saint graal. Pas besoin des templiers avec sa vie privée, Oliver s’en charge seul à merveille. « … ça, ou alors je sais juste reconnaître cette tête que tu fais quand une discussion t’amuse beaucoup. » « Tss. Je vais devoir te décevoir ; pas de ragot dans ma vie trépidante. Je peux te le garantir. C’est le calme plat et c’est parfait comme ça. » qu’il dit avec le même sourire et en mentant un tout petit peu sur le fait que sa vie professionnelle ne soit pas la plus joviale, que sa vie privée est semée d’embûches et que comme le reste du monde, il essaie simplement de survivre. « Je suis content que tu sois là, Ems. Pas seulement aujourd’hui pour Gaby… mais que tu sois là tout court. » dit-il en laissant tomber sa tête contre le dossier du canapé, tournant la tête vers sa cousine pour lui adresser le plus tendre et le plus sincère des sourires. Evidemment, il est ravi et soulagé de la voir ici ce soir mais simplement de la voir le rend heureux. Il tend même le bras pour venir poser sa main sur son bras pour appuyer ses paroles. Elle avait longtemps eu une place toute particulière à ses yeux : une petite sœur de substitution et sa disparition avait été un nouveau calvaire pour lui.

« Je te propose un truc : on lance le film, sans le son, juste pour l’image… pour la tradition. Et tu m’en dis un peu plus sur toi et où tu en es. T’en dis quoi : on a un deal ? » demande-t-il en se redressant, replongeant la main dans son pop-corn pour en avaler quelques-uns. Il frotte sa main contre son jean avant de saisir la télécommande pour exécuter ses paroles. Ce serait un bon moyen de combiner les deux : la petite tradition avec Gabrielle et des retrouvailles plus ou moins normales avec celle qui avait disparu sans laisser un mot derrière elle et qui revenait comme une fleur dans sa vie.

« Depuis quand t’es devenu si ennuyant ? », et en guise de réponse, il lui balança un morceau de pop-corn sucré – bien évidemment – se moquant royalement du fait que ça puisse dégénérer ou non. Il s’agissait d’une réaction de défense, question de vie ou de mort presque. Il avait même pris la peine d’afficher une moue vexée, offusquée suite à ce sous-entendu selon lequel il était devenu ennuyant. Où allait le monde ? Bon ok, il était à mourir d’ennui, le Oli. « Je suis contente de te retrouver. » Son sourire s’étira davantage quand sa main se posa sur la sienne pour la presser et prononcer des mots qui atterrirent directement en plein cœur. « Gaby serait vraiment venue me chercher par la peau des fesses. » Ses lèvres s’étirèrent et un éclat de rire s’en échappa car c’était absolument tout Gaby. Elle aurait remonté ses manches et serait sans doute aller la chercher par la peau du cul, lui donnant des claques du plat de la main pour la ramener à la réalité. Tout compte fait, la petite sœur avait toujours été la plus courageuse de la fratrie Dawson. « Oh ça, tu peux en être sûre. » dit-il tout en hochant la tête car tout comme elle, il n’avait aucune difficulté à imaginer la scène. Il fermait les yeux et pourrait la voir.

« Pitié oui ! » Il tourna la tête vers elle. « Je me souviens qu’on regardait Toy Story en boucle quand on était petites. On pourrait pas changer l’année prochaine ? » Oliver ne put s’empêcher de rire en haussant les épaules. Possible. Il ne savait pas vraiment pourquoi il s’accrochait à cette tradition. Il ne savait pas pourquoi faire le deuil de sa sœur était toujours chose impossible. On lui disait qu’il était temps de lâcher prise, de tourner la page et pourtant, il s’accrochait toujours à cet ancien Oliver, à cette Gaby de cette époque. A vrai dire, il faisait du sur-place et tout le monde en était témoin, sans dire le moindre mot. « Toy Story, tu dis … » et le voilà qu’il était déjà en train de se projeter à l’année prochaine … mais en plus de mentionner un nouveau film, une autre variation de cette tradition, cela signifiait surtout qu’elle allait être là, qu’elle serait là. L’année prochaine, Emery serait encore dans sa vie.
Installé confortablement, saladier de pop-corn sur les cuisses, il se tourna légèrement vers sa cousine qui allait se lancer dans un petit résumé de son existence actuelle. « J’habite à Logan City maintenant. C’est un chouette appartement, j’ai trois colocs et un cochon d’inde. Son truc préféré c’est de s’infiltrer dans les chambres. Quand quelqu’un crie dans l’appartement, je sais pourquoi. » Trois colocs ? Il eut un air impressionné avant d’hocher la tête, convaincu. Un petit cochon d’inde, il avait toujours du mal avec les animaux de compagnie étant gamin mais possible qu’elle puisse le convaincre à poser la main sur un cochon d’inde, une boule de poils. « Tant que c’est pas un cri causé par le fait d’avoir marché dessus … j’ai connu une fille au lycée qui avait marché sur sa gerbille, t’imagines même pas le traumatisme. » Oli et les bonnes anecdotes. Il sourit, désolé avant d’avaler une poignée de pop-corn, pour se taire. « J’ai ralenti avec le mannequinat, du coup je bosse temporairement… dans un sexshop. C’est plus marrant que ça en a l’air. » « Aha. Intéressant … » dit-il sur le ton de la plaisanterie avec ce regard de pervers qu’il maitrisait à la perfection. « Et ça te plait ? Tu dois avoir un paquet d’anecdotes à raconter» qu’il lui demanda alors avec le plus grand sérieux. Pour lui, l’essentiel était qu’elle soit heureuse – rien de plus.

« J’ai fait de l’accrobranche l’autre jour et j’ai percuté un pigeon sur la tyrolienne. On voit encore la trace, regarde. » Il se pencha vers elle pour inspecter son arcade, le regard plissé. Il pouffa de rire. « Voilà l’histoire de ma vie. A toi. » «A combien s’élèvent les chances de se prendre un pigeon en pleine tyrolienne ? Tu dois avoir vécu un truc presque impossible – une chance ! Un honneur de l’univers. », dit-il en levant les mains en l’air, sur un ton taquin.

«Y’a rien de nouveau chez moi, tu sais. J’bosse pas mal. Je suis à la crim’, toujours au même point. J’ai rudement besoin de vacances, un peu ma dose de voir combien le monde est pourri jusqu’à la moelle. Mais à chaque fois que je dis ça, je pars nulle part – ce qui est con. Va falloir que je me bouge un peu. » Il prit un air pensif avant de lui demander, curieux : « Et t’as des nouvelles des autres toi ?» Question brutale quand on y pense mais question qui correspondait à Oli. Derrière les autres, il était sans aucun doute question de Stacey, Hunter et toute la clique. Les autres qui avait fait partie de sa vie à un moment donné, de leur vie même.

« Tu verras, ils sont plutôt pas mal. Et t’es carrément un Buzz l’éclair. » Elle le toise de la tête aux pieds. Elle l’inspecte et son sourire ne présage rien de bon. Il n’a qu’un souvenir lointain de ce dessin animé. Il ne se souvient pas des détails mais se dit qu’il doit y avoir quelque chose de positif … Buzz l’éclair. Il plisse les yeux, pas convaincu du fait qu’elle lui dit cela sur le ton d’un compliment. Buzz l’éclair, c’est l’astronaute. Il a de la classe, le cosmonaute alors il fait semblant de bomber le torse, un air faussement fier et viril … alors qu’elle ajoute. «La carrure en moins, mais … » Oliver affiche un air choqué, la bouche ouverte, les yeux écarquillés. Elle se prépare une barricade de sécurité pour une éventuelle attaque, alors il abandonne et plonge sa main dans son saladier de pop corn pour s’en fourrer une grosse poignée dans la bouche après lui en avoir jeté un en plein front. Vengeance !

«Mais pauvre bête, c’est horrible ! Non, personne ne marche sur Hobbs. Le premier qui a le malheur de le faire … » «La vie est cruelle, Em. » dit-il sur un ton qu'un maître jedi aurait pu employer ou yoda. Sauf que son sourire idiot vient rendre la remarque ridiculement banale, c’est le but. «Ça te brisera sûrement le cœur mais sache que la personne qui marcherait dessus n’en sortira pas non plus indemne. La nana du lycée a vraiment eu du mal à s’en remettre… » ajoute-t-il la bouche pleine. Changement de sujet, changement d’ambiance et vu la manière dont elle le regarde, il ne peut que s’attendre à une anecdote rigolote. Il le sait. « Je dirais pas que ça me plaît, mais c’est… enfin, j’ai fait bien pire. Et tu crois pas si bien dire. Y a deux semaines, un couple est venu. Ils voulaient acheter des jouets pour pimenter un peu leur vie sexuelle. Madame a choisi un sextoy plus gros que l’engin de monsieur. Son ego ne s’en est pas remis, ils se sont disputés une demi-heure dans la boutique et ont rompu ensuite. Elle l’a quand même acheté au final. » Un rire débile s’échappe de ses lèvres quand elle parle de « pimenter sa vie sexuelle » et son rire augmente quand elle mentionne la rupture au beau milieu de la boutique. Les gens sont fous, il l’a toujours su … même dans un sex shop, ils parviennent à s’embrouiller. «Oh putain ! Comment est-ce que tu fais pour rester impassible dans ce genre de situation ? … parce que tu es restée impassible, non ? Au moins, le principal c’est qu’elle puisse trouver son plaisir la petite dame. » qu’il dit en hochant la tête tout en se demandant si c’est normal de se sentir en concurrence avec un objet. Les hommes ont parfois de drôles de besoin de compétition.

« J’aurais préféré gagner au loto quand même. J’ai repéré la villa de mes rêves à Brisbane, mais c’est environ… 2 millions de dollars au-dessus de mes moyens. T’irais où si tu pouvais partir ? Tu resterais flic quand même ? Et qu’est-ce qui t’empêche de juste le faire ? »  «J’pense que j’irais en Asie, ouais. Le Vietnam me branche pas mal … je sais, c’est bizarre, je crois que je regarde trop de documentaires le soir … » Un rire amusé s’échappe de ses lèvres. « J’suis pas flic par vocation, Em. Pour moi, c’est juste un boulot … je serais tout aussi heureux en vendant des limonades sur une plage publique. Le boulot paye juste les factures. » Et il dit la vérité, Oliver. Il n’est pas touché par cette envie de sauver le monde, de rendre le monde meilleur … plus maintenant. Aujourd’hui, c’est un boulot comme les autres. Il paye ses factures.

«Pas vraiment. Enfin, j’ai plus de contacts avec qui que ce soit. Ça s’est pas forcément bien fini. » Il arque un sourcil, curieux. «Je vois encore la mère de Hunter de temps à autres. Selon elle, tout va bien pour lui, il a une chouette situation maintenant. Mais c’est sa mère, tu vois ? Je pense pas qu’elle sache tout. Et toi, t’es toujours en contact ?» Hochement négatif de la tête. «Nan. Il n’y a que Stacey …  » dit-il en dissimulant la douleur causée par le vide qu’a laissé Hunter derrière lui. Il soupire.

« Le secret, c’est de leur tourner le dos. J’ai fait mine de réarranger une vitrine. Et je me suis mordu les lèvres, très fort. Sérieusement, avoir un complexe d’infériorité à cause d’un bout de plastique ? » Son index vient tapoter sa tempe comme pour mimer un « maline la petite Emery » quant à sa stratégie pour ne pas affronter la scène de ménage en pleine boutique. « On a conclu à un micro-pénis. » Il éclate de rire tout en acquiesçant d’un signe de tête. La théorie ne paraissait pas complètement folle et il était presque convaincu que le manque de confiance en soi d’un bonhomme pouvait aboutir à ce genre de réactions. « Possible, une âme de détective la cousine. » dit-il d’une voix amusée. « Le plastique c’est fantastique à ce qu’il paraît et ça ne me surprend pas que certains d’entre nous se sentent confrontés à une rude concurrence … un bout de plastique est beaucoup moins con qu’un homme. » Ça, c’est son côté féministe moderne qui parle. Il ne connait que trop bien l’arrogance de la gente masculine et sait également combien elle peut être dangereuse.

« Mais t’irais en vacances ? Ou… commencer une activité ?» « En touriste, me la couler douce avec la thune du paternel ou alors simplement ouvrir un bar miteux sur le bord de mer … » réplique-t-il en riant, car il sait qu’il ne bougera jamais de Brisbane ; il a bien trop la flemme de faire des cartons pour un potentiel déménagement ou de se lancer dans la paperasserie qui va avec. « Alors n’y reste pas si t’es pas heureux. Des boulots, y en a des tas à Brisbane.» Il penche la tête tout en la regardant. Elle a raison, tellement raison mais il a la flemme, je vous l’ai dit. « C’est que t’as des conseils de jeune femme mure et mature dis donc … » Un coup de coude amical. « J’suis juste une drama queen qui me plaint, dans le fond, je l’aime ma vie banale. » Le sourire qu’il affiche disparaît doucement au fur et à mesure de la conversation … car elle mentionne Hunt. Son Hunt. Cet ancien meilleur ami pour qui il aurait tout donné, sa vie.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que vous ne soyez plus en contact ? Enfin, je sais que y a eu des périodes pas faciles, mais… C’est pas le genre d’amitié sur laquelle tu tires juste un trait» Il plonge la main dans le saladier de pop corn pour s’enfiler une poignée … histoire de pas parler, de prendre son temps mais il sait que dans le fond, il va devoir prendre la parole et lui parler, lui dire, mentionner Hunter. « J’aurais voulu qu’il voie les choses de la sorte, Emery. Pour Hunt, le monde est noir et blanc. Je suis le flic, il est le consommateur … on n’appartient plus au même monde. J’ai essayé, j’ai tenté la main une bonne cinquantaine de fois … en vain. » Soupir. « Apparemment, il veut couler et j’essaie d’apprendre à ne plus en être triste … l’essentiel est qu’il n’entraîne plus personne dans sa chute. » et il plonge son regard dans celui de sa cousine qui avait été à une époque dans son tourbillon.