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L’avenir appartient à celui qui se lève tôt, une ritournelle que Fatima n’avait cessé de lui répéter durant toutes ses années d’école, comme si elle doutait que sa fille soit assez courageuse pour affronter la dure réalité de la vie. Autant dire qu’elle la sous-estimait, sa mère ; elle gardait en tête les sacrifices de son père, à compter ses heures de sommeil sur les doigts d’une seule main tandis qu’il était la seule véritable source de revenus de sa famille. D’Amjad et de son côté travailleur acharné, sa cadette avait tout hérité, si bien que ce n’était sûrement pas la campagne menée depuis près de trois ans par Edgerton, cherchant à lui faire entendre que flâner jusqu’à pas d’heure au lit était une alternative tout aussi réjouissante, qui la ferait déroger à ses bonnes habitudes. Sur le pied de guerre depuis l’aube, elle quitta la maison bien avant l’heure habituelle, délaissant sa routine bien huilée pour la bousculer rien qu’un petit peu avant de se rendre au travail. Le patron de l’Hibiscus la tannerait de savoir qu’elle s’apprêtait à passer les portes de son concurrent direct en matière de pratique de sports de combat, seulement ce qu’il ne savait pas ne pouvait pas lui faire du mal. Yasmine n’avait de compte à rendre à personne d’autre qu’à elle-même et parce qu’Edge lui avait soufflé l’idée au détour d’une conversation banale, elle avait décidé d’agir le plus rapidement possible pour se rancarder sur l’association mise sur pieds par Joy et Jackson. Elle avait contacté la première assez vite pour asseoir son statut de bénévole ; pour le second, c’était une affaire différente, les milieux qu’ils fréquentaient n’étant pas vraiment les mêmes. Edgerton, encore une fois, avait été d’un grand secours, et c’est en ça que son patron verrait rouge si jamais il apprenait qu’elle se levait aux aurores pour se rendre au Dojo des Riley. Son thé fumant dans la thermo qu’elle laissa dans sa voiture, son sac filant par-dessus sa tête quand elle le mit en bandoulière, elle en but une courte gorgée avant de sortir de sa Jeep défaillante, replaçant sa longue natte lâche entre ses omoplates et se dirigeant avec une douce détermination droit vers les portes de l’endroit qu’elle convoitait.

L’ambiance y était feutrée, mais dense, la poussière des tapis virevoltant dans les rayons du soleil dardant péniblement des fenêtres obstruées par la condensation. Avant de travailler à l’Hibiscus, elle avait vaguement côtoyé ce genre d’endroits. A cause d’Edge d’abord, et puis Sloan avait pris la suite pour lui faire réaliser que définitivement, elle n’était pas faite pour évoluer là-dedans. C’était son côté grande sauveuse de l’humanité sans doute, elle préférait soigner que porter les coups, quand bien même on lui vendait les bienfaits d’un tel rituel, elle ne réussissait pas à se dire qu’elle était faite pour l’appliquer. Ce n’était pas un drame en soi, elle faisait en sorte de se prendre en charge autrement, et depuis quelques mois, malgré ses élans de mélancolies inopportuns, elle pouvait prétendre bien aller. Alors le temps qu’elle ne passait plus à alimenter ses névroses, elle pouvait enfin les passer à autre chose "Je peux vous aider ?" Elle se retourna dans un tourbillon de bonhommie, un sourire tout en fossettes la rendant tout de suite accessible quand elle demanda à ce qu’on lui indique l’endroit où se trouvait Jackson Mills. Lorsqu’on lui proposa d’aller le chercher pour elle, elle accepta non sans s’excuser du temps qu’elle faisait perdre au Bon Samaritain sur lequel elle était tombée, et patienta calmement, marchant de long en large pour jeter un œil curieux ou deux aux infrastructures, ses mains soignées jointes dans son dos dans une imitation parfaite de son père, ses clefs de Jeep teintant subtilement entre ses doigts, se laissant bercer par la mélodie des coups portés contre les sacs de sable.
"Est-ce que tu sais quelque chose que j’ignore ?" répondit-elle à l’entame de Jackson, feignant d’abord la suspicion, avant de rire de bon gré au titre qu’il lui accordait avec un enthousiasme communicatif et qui la fit se tenir plus droite. Elle s’approcha pour lui répondre "Edgerton m’a parlé de Run For Judy." dit-elle à son tour, ne passant pas par quatre chemins, de nouveau soucieuse de ne pas faire perdre son temps au jeune homme qu’elle connaissait à peine finalement, qui lui avait toujours paru suffisamment sympathique pour ne pas craindre que son initiative ne soit éconduite "Je suis passée par Joy pour l’administratif, mais elle m’a conseillée de venir vers toi pour valider pour de bon mon inscription et rejoindre l’escouade des coureurs. C’est génial ce que vous faites." tint-elle à lui dire dans un mouvement de tête traduisant son assentiment sincère. Elle laissa son visage légèrement incliné sur le côté, captant le regard de Jackson avant d’ajouter, un nouveau sourire animant ses traits, et faisant s’accentuer le doré de son teint, quand elle pointa d’un doigt entouré de l’anneau de ses clefs de voiture, la marque de sueur qui s’étalait sur son t-shirt "Mais je peux repasser une autre fois pour en discuter, t’as l’air occupé." Et ce n’était qu’un constat qu’elle tenait à marquer pour lui offrir la possibilité de lui proposer un autre créneau plus tard, et même ailleurs, s’il était, en effet, trop occupé pour le moment.

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La réaction de Yasmine à l’attitude Jackson ne se fit pas attendre. Elle laissa un rire lui échapper, sa tête se redressant pour mieux hausser les sourcils dans la foulée, son visage palliant à la luminosité défaillante du Dojo en s’éclairant, l’affirmation accentuant le timbre de sa voix face au jeune homme "Je comprends mieux pourquoi vous vous entendez aussi bien, Edge et toi." L’évidence était-elle qu’elle avait l’impression de voir double, l’infirmière — pas tant par le physique, mais par l’assurance qu’il dégageait et qui remplissait la pièce en large et en travers, faite de la même détermination que son partenaire qu’elle savait aussi orgueilleux qu’il semblait l’être. Elle aurait été capable de dire à Jackson que son comparse avait essayé maintes fois de la faire grimper sur un ring, et que compte tenu de l’influence qu’il avait sur elle, il ne pourrait lui ravir l’honneur de réussir à la convaincre. Mais elle se contenta sur l’instant de secouer la tête en ajoutant "Je croyais que c’était une association qui mettait en avant les bienfaits de la course. J’ai l’impression d’avoir été prise au piège, Mills." Mills, sonnant comme une instance bienveillante dont elle userait pour échapper à l’air qu’elle voyait s’installer sur son visage. Doucement, Yasmine marqua un léger pas en arrière, le laissant sautiller sur place et placer ses poings devant sa poitrine sans l’en empêcher. De son côté, elle leva seulement ses mains en signe de reddition pour lui indiquer qu’elle passait son tour.

Une certaine conviction devait lui manquer cependant, Jackson s’emparant déjà de matériel pour le lui fourrer dans les mains et faire naître chez elle un bref sentiment d’anxiété qu’elle refoula en penchant vers la plaisanterie de nouveau "J’ai le droit à un traitement de faveur, ou t’accueilles tous les nouveaux adhérents de la même façon ?" L’un où l’autre, s’il disait vrai en lui vendant son initiative comme un test à devoir passer impérativement pour valider sa participation, elle n’aurait en fait droit à aucun traitement de faveur.  Et ce n’était pas son statut de promise de son vieux pote qui jouerait à son avantage. Lentement, la certitude de toujours devoir prouver tout et son contraire se présenta à elle, comme la constante ultime de son existence, depuis sa venue au monde jusqu’à aujourd’hui ; à toujours tomber sur des gens qui pensaient qu’elle ne réussirait jamais vraiment à prouver uniquement par sa bonne foi qu’elle était compétente, qu’elle valait plus que le peu de crédit qu’on lui accordait souvent à cause de sa gentillesse, de sa religion et de ses valeurs.
Le casque et les gants toujours dans ses bras, elle nota le clin d’oeil et l’air de défiance de Jackson et chercha vaguement à y échapper en lançant un regard par-dessus son épaule pour constater qu’ils étaient observés. Ça la fit de nouveau pencher vers le refus et tendre au jeune homme ce qu’il lui avait fourré dans les bras en lui disant avec toute la douceur et la bienveillance qu’elle avait en stock "Je suis pas échauffée, c’est pas une bonne idée." Si se défiler ne faisait pas partie de ses défauts, elle devait admettre que pour le coup, elle ne se sentait pas d’attaque à répondre aux caprice du boxeur ; pour différentes raisons, la première étant qu’elle n’avait pas été taillée dans cette pierre-ci, qu’elle avait toujours eu un problème pour dépasser le stade de l’énervement, toutes les formes de bataille et de conflit la rendant beaucoup trop fébrile pour qu’elle y trouve du plaisir.

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Il était presque agaçant, Mills, à lui répondre du tac-au-tac. Pas assez cependant pour qu’elle n’essaye pas d’y voir une farce plutôt qu’un défi, même si quand il repoussa sa tentative de lui rendre son matériel, elle pensa que s’il était aussi têtu qu’Edge, elle avait vraiment du souci à se faire. Il ne tarda pas à faire la lumière sur ce trait de caractère qu’il partageait avec le jeune homme, se mouvant pour rejoindre son perchoir avec une souplesse d’athlète et la laissant aux prises de sa volonté à rester de son côté des cordes, à plat sur le sol en béton du Dojo. Elle pencha la tête sur le côté, accueillant sa première rafale avec un calme légèrement galvaudé, les mains lourdes de ce qu’il n’avait pas voulu lui reprendre et qui pesait entre ses paumes comme le ferait une grenade qu’on voulait qu’elle dégoupille. Doucement, elle leva les yeux vers lui "T’es pas si impressionnant que ça." Il l’était comme l’étaient tous les hommes comme lui. Aussi c’était peut-être un peu le cas, qu’elle avait peur de lui. Pourtant, elle avait été élevée avec des hommes, Yasmine. Elle avait eu le temps de se faire à ce qu’ils dégageaient et elle s’en était accommodée longtemps, devenant le genre de petite-fille aux genoux écorchés sous leur jupe, à se salir sans craindre la gronderie de maman pour s’attirer au moins un peu autant de crédit qu’au côté masculin de son arbre généalogique ; jusqu’à ce qu’elle tombe sur le mauvais bougre, le genre de type dont Fatima la mettait en garde quand elle tenait à la faire rester dans les clous.
Le traumatisme restait à vif, elle avait mis du temps à considérer cet évènement de sa vie comme une opportunité pour devenir plus forte. En revanche, ça l’avait fait changer et réfléchir à deux fois quand on l’accostait dans la rue, ou qu’on lui proposait un corps à corps sur un ring ; trop prudente, c’était de cette manière qu’elle se caractérisait, une bien jolie façon de définir son anxiété.

Elle secoua la tête en laissant un sourire filer, étirant sa bouche quand ses sourcils se haussèrent au moment où le boxeur remis en doute son implication. Ça la touchait, et c’était le but, elle n’était pas idiote au point de l’ignorer. Elle tourna la tête de l’autre côté pour mieux le regarder de nouveau, aussi furtivement que lui permettait son culot quand elle ajouta, le menton levé dans sa direction "Je sais ce que t’es en train de faire. Je te pensais pas du genre à pas la jouer à la loyale." Elle était trop prévisible, c’était ça son plus gros souci. Ils ne se connaissaient même pas, mais en deux minutes d’échange à peine, il avait réussi à mettre le doigt sur quelque chose ; en une œillade à distance, il avait su qu’en la prenant par les sentiments, elle céderait. Elle se fustigea en silence, l’écoutant en remettre une couche en mentionnant Judy.
Que pouvait-elle répondre à ça, que pouvait-elle trouver comme excuse pour contrecarrer la détermination d’une toute jeune-fille ? Raconter à Jackson des anecdotes sur son incapacité à rester sereine face au conflit, lui avouer qu’il pouvait lui demander de mettre les mains dans le sang, et autres fluides corporels, sans aucun souci, mais que les glisser dans des gants de boxe, ça lui demandait une force qu’elle n’avait pas en elle ? "Qu’est-ce que t’essaies de me dire, que je te fais penser à une jeune fille de 14 ans ? Je dois le prendre comment ?" Tourner la chose en dérision restait sa seule issue sur le moment ; un moment qui s’étira pour laisser place à un silence qu’il rompit juste pour lui donner l’impression qu’elle en faisait des tonnes pour pas grand chose.

Elle s’en sentit coupable, évidement. Cette propension à aller à l’encontre de ce qu’elle ressentait pour faire plaisir aux autres, c’était un point que sa thérapeute tentait d’évoquer avec subtilité en étant consciente que c’était dans la nature profonde de sa patiente de satisfaire les autres en s’oubliant. Et là, confrontée au regard de Jackson, ça ne coupa pas "Très bien." fit-elle dans un soupir lâche, qu’elle accompagna d’un mouvement pour faire passer son sac par-dessus sa tête puis le faire tomber à ses pieds, se dépatouillant avec les gants et le casque qu’elle tenait toujours entre les mains, et finissant par lui dire sans mauvaise humeur, bien que ses sourcils étaient froncés "Aide-moi à enfiler tout ça, au moins."

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Quand il la rejoignit sous sa demande d’un peu d’aide pour l’équiper, Yasmine resta aussi stoïque que la stature du boxeur le lui recommandait. Elle avait l’habitude de sonder les contingences d’une silhouette comme la sienne, ce n’était pas ça qui l’intéressa sur le moment, mais plutôt de savoir à quoi ça le menait vraiment de pencher vers le frustre plutôt que de la prendre plus en douceur, histoire de la mener là où il le voulait sans lui donner la sensation qu’il se moquait d’elle. Plus encore, elle se demanda si c’était vraiment nécessaire de lui faire ressentir autant de crainte à ce moment-là, elle qui s’était pointée en toute confiance, pas peu fière d’avoir son expérience sous le bras, en plus de ce cœur qu’elle avait sur la main, et qu’elle sentit retrouver sa place initiale à l’instant où il gonfla dans sa poitrine à un rythme assez affolant pour que ça l’inquiète.
Peut-être qu’on la ménageait trop en vérité, peut-être que le fait qu’elle fut la seule fille de ses parents, le trésor attendu qu’on continuait à chérir même plus de trente ans après sa naissance, ça ne lui rendait pas service, et que c’était ce qui nourrissait ses travers les plus marqués. Elle avait été trop couvée, trop longtemps… c'était encore le cas aujourd’hui, même du côté de sa bande d’amis qui la voyaient comme l’héroïne des contes qui avaient bercés son enfance : elle était l’enfant-chérie, Yasmine.


Pas ici, pas maintenant. Jackson entendait bien renverser la vapeur sans qu’elle ne tente vraiment de l’en dissuader, trop peu coutumière du fait pour oser le contredire et l’agacer — elle sentait quelque part qu’elle jouait déjà avec ses nerfs, même s’il paraissait aussi calme qu’elle pouvait l’être quand elle était dans sa zone de confort. Elle se laissa conduire sur le ring avec la boule au ventre, des poids morts au bout des bras, sa tête bringuebalant légèrement sous le poids du casque qu’elle portait sur la tête et qui lui cisaillait le menton. Elle essaya de tirer dessus au moment où Jackson se banda les yeux, laissant échapper une grimace d’inconfort qu’elle espérait assez alarmante pour que le regard qu’elle jeta par-dessus son épaule en direction des hommes présents sur place les incite à venir lui apporter leur aide — elle pouvait toujours espérer, Mills lui faisant sa première recommandation qui lui fit tourner vivement la tête vers lui pour constater qu’il ne plaisantait pas à propos du bandeau sur les yeux.
Elle recula d’un pas quand son poing se tendit dans sa direction. Au moins, elle avait des réflexes. Pour autant, ça lui fit lui préciser "J’ai jamais fait ça avant." Elle mentait. Elle avait déjà tenté sans que ça ne soit plus qu’un jeu entre elle et son assaillant ; les choses finissaient généralement par des chatouilles et des embrassades, elle doutait que l’échéance pointant le bout de son nez, et les directives de Jackson résonnant dans son esprit dans un écho amplifié par la pression du casque sur ses oreilles, le premier round se termine de cette façon "Ça sert à quoi en fait, à part me donner l’impression que t’essaies de me tourner en ridicule en me mettant face à mon inaptitude pour ce genre de trucs ?" osa-t-elle lui demander finalement, sans frapper, le regardant d’un œil méfiant sautiller, s’agiter, sans que son regard obstrué ne soit un frein à sa souplesse et à sa combativité. Prise d’un élan, elle tenta un crochet pour se donner bonne contenance, aussi raide qu’elle était mal à l’aise désormais, la boule qu’elle avait dans le ventre lui remontant assez haut dans la gorge pour qu’elle sache qu’elle se mettrait à pleurer à un moment donné.

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"Je sais ce que t’es en train de faire." C’était déjà la seconde fois qu’elle le prétendait. Mais cette fois-ci, sa voix prit des accents différents qui auraient tout aussi bien pu avoir avec de la colère que ça n’aurait pas touché une seule seconde le jeune homme, trop occupé à s’agiter et attendre d’elle qu’elle se défende, qu’elle se serve de cette colère qu’elle ressentit soudain envers lui, pour arriver à son but et réussir à faire ce qu’il voulait d’elle. Elle releva le menton sans vraiment s’en apercevoir, ajoutant dans la foulée, les sourcils froncés, le cadre du casque qu’elle portait sur la tête lui donnant des airs plus revêche "J’ai déjà un thérapeute tu sais, c’était pas le but de ma venue ici, de me lancer dans une introspection à l’arrache." Elle ne lui répondit pas donc, au sujet de son inaptitude. C’était privé, ça la regardait. Elle pouvait paraître fragile et réservée, elle avait d’ailleurs fait les frais de son si bon caractère à ses débuts aux urgences, et son physique n’arrangeait pas les choses, il l’avait fait passer pour plus niaise qu’elle ne l’était indubitablement, mais Yasmine avait assez de force pour savoir quand dire stop lorsqu’elle estimait qu’on empiétait sur un terrain trop vaste, là où elle semait tous ses secrets.
C’était dans cette force qu’elle puisait la plupart du temps, celle qu’elle avait acquise au sein des urgences, celle qu’elle avait perdu un temps durant son séjour au Niger, celle qu’elle essayait de retrouver depuis son agression, celle derrière laquelle elle se barricadait depuis sa fausse-couche. Elle n’était pas moins digne de la cause de Mills sous le prétexte qu’elle ne pouvait pas frapper à la demande, il faisait fausse route s’il croyait que la bousculer l’aiderait à envisager de sortir de sa zone de confort ; ça la conforterait juste dans son opinion qu’à choisir, elle préférait agir en toute intelligence, plutôt que de foncer dans le tas pour gagner cette satisfaction des brutes épaisses quand ils infligeaient leur mal être à autrui.

Il eut un geste brusque, beaucoup trop qui la fit, de nouveau, agir par réflexe et lui asséner son poing gauche tout contre sa bouche. Elle sentit la tension qu’elle y avait mis se diffuser dans tout son bras du même côté, comme une décharge électrique trop violente qui la rendit tributaire d’une secousse qu’elle ne réussit pas à retenir, aussi bien physique que psychique. Elle se stoppa, nette "Non, non, non…" C’est ce qu’elle s’entendit dire quand elle prit conscience de ce qu’elle venait de faire. Même si le coup était moindre, que Jackson n’aurait sans doute aucune séquelle et qu’il serait rassuré par l’instinct de survie qu’elle venait de démontrer, c’était soudain trop pour elle.
Elle tira sur le velcro des gants qu’elle portait pour les enlever seule et les laisser tomber à ses pieds, puis elle fit la même chose avec le casque qu’elle portait sur la tête qu’elle lança un peu trop fort pour qu’il atterrisse, lui, aux pieds de Mills à qui elle lança un regard, une main tendue entre eux pour qu’il garde ses distances, transie par quoi, la peur qu’il recommence, qu’il ne sache pas s’arrêter ? Elle ne savait pas quel genre d’image elle donnait à ce moment-là, ses yeux oscillant entre l’effroi et la détermination, mais la ligne de ses sourcils se rejoignit encore une fois pour donner à son visage une expression qu’elle n’avait pas souvent, et qui lui fit légèrement hausser le ton quand elle lui dit, ses yeux trouvant les siens à distance "J’ai rien à te prouver, et surtout pas le cran que j’ai ou pas." Elle papillonna des yeux pour faire le point, non seulement sur le visage de Jackson, mais surtout sur la gestion de ses émotions qu’elle réussi à garder en marge de la scène qui se jouait sur le moment quand elle continua, sans baisser sa main toujours abattue entre eux pour dissuader Jackson de s’approcher "Je suis infirmière-urgentiste." Elle l'était. Elle n’était plus qu’infirmière aujourd’hui, mais le fait qu’elle ne prit même pas la peine de se corriger, c’était un signe que cette histoire-ci n’était pas terminée "J’ai fait de l’humanitaire dans un pays en guerre, j’ai pas à te démontrer ma détermination pour ce genre de causes. T’es sur ton terrain, c’est facile pour toi de mettre quiconque au défi en sachant que t’auras toujours la main, mais tu vaux quoi au milieu d’une dizaine de blessés graves… tu veux qu’on tente l’expérience, t’as peut-être des choses à prouver, toi ?" Là encore, elle s’entendit parler, et elle ne regretta pas sa rebuffade. Elle devenait mesquine simplement parce qu’elle ne comprenait pas, et que ça la mettait en colère que l’espace d'un instant, elle n’avait pas hésité une seule seconde à refaire front commun avec ses anciens schémas ; faire plaisir à quelqu’un, vouloir lui donner ce qu’il attendait d’elle… pas aujourd’hui, elle ne travaillait pas si fort sur elle-même pour se laisser impressionner par quelqu’un comme Jackson — qu’elle continua de fixer un instant, avant de croiser les bras sur sa poitrine comme pour démontrer qu’elle se renfermait à toutes suggestions de ce genre, faisant valoir ses propres exigences dont elle lui fit part d’une voix sûre "Vous avez besoin de bénévoles, je me propose. C’est à prendre ou à laisser." Elle arqua un sourcil pour terminer "Je me battrais pas avec toi ni avec personne d’autre."

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"Bien." Je prends, lui avait-il soudainement répondu. Yasmine laissa un léger signe de tête marquer la voix qu’elle retrouva pour soudain se rendre compte que l’effort l’avait rendue haletante ; ou était-ce l’audace qu’elle avait eu de se défendre face aux velléités de Jackson de la faire sortir de sa zone de confort, elle ne saurait vraiment le dire. Néanmoins, en passant sa main sur son front pour aplatir les petits cheveux échappés de sa tresse lâche, serpentant entre ses omoplates, elle sentit des gouttelettes de sueur mouiller sa paume.
Son cœur battait vite dans sa poitrine, et c’était aussi douloureux que c’était agréable dans le fond, de le sentir se battre de cette façon autrement que sous la somme de ce qu’elle ressentait pour autrui — se battre, elle nota l’ironie de ce choix de vocabulaire, lâchant un léger rire qui lui fit baisser la main qui était maintenant descendue jusqu’au bout de sa tresse qu’elle relâcha d’une chiquenaude, acceptant la bouteille d’eau que Jackson lui tendit comme gage de quoi, de bonne volonté, d’excuse ? Il ne semblait pas très différent d’Edgerton, elle pensait comprendre son fonctionnement sans même avoir besoin de creuser profond sous la carapace faite de muscles et d’arrogance qu’il s’était forgée, sans doute pour de bonnes raisons. Les excuses, pour Jackson, ça ne devait pas valoir grand-chose, il ne devait pas faire partie de ce genre-là, à faire et à regretter ensuite — c’était tout à son honneur, d’assumer ses actes et ses méfaits. Ça se valait, elle ne le jugerait pas pour ça, elle qui était si différente… et puis se connaissant, elle l’excusait déjà sans avoir besoin qu’il se répande en regret.

De loin, elle affronta son regard en prenant elle aussi une gorgée d’eau, et tandis qu’elle s’apprêtait à lui demander de ne pas la regarder de cette façon-là, comme s’il essayait de percer à jour un truc en plus, ce qu’il ajouta la fit prendre le coche et secouer la tête de droite à gauche alors qu’elle avalait à peine sa gorgée d’eau, son souffle encore perturbé par son effort, par son audace.
"Tu te trompes." le contraria-t-elle, pas par plaisir. Elle était bénévole auprès des enfants depuis longtemps, elle savait comment ils fonctionnaient. Elle ne pouvait pas être d’accord avec Mills, et elle lui fit entendre à sa manière, ne baissant pas les yeux quand elle ajouta doucement "Ils sont déjà en train de se battre pour la plupart, ils cherchent qu’une seule chose, et c’est qu’on leur facilite le combat en le faisant à leur côté, pas en se servant de leur lutte pour s’acquitter d’une dette, n’importe laquelle." Elle aussi se laissa doucement choir contre les cordages du ring, plus gracieusement que Jackson, sa bouteille fermement tenue dans sa main qu’elle finit par plaquer contre son front en continuant sur sa lancée, reprenant peu à peu son souffle "Ils sont exigeants sur l’honnêteté, pas sur le reste. Si tu leur fais à l’envers, si tu les abandonnes, c’est là qu’ils seront le plus intransigeants. En attendant, quand tu te pointes avec de bonnes intentions, ils le sentent, c’est tout." Elle ne doutait pas que les intentions de Jackson étaient pures, pour autant il ne devait pas se servir de tout ça pour asseoir une guérison personnelle, c’était le message qu’elle tenait à lui faire passer — quand il irait mieux, qu’est-ce que deviendrait les petits qui, eux, continueraient à vivre avec leurs douleurs ? Elle pencha la tête sur le côté pour faire prendre à son observation un angle différent, puis elle baissa sa main qui tenait sa bouteille, sentant son front pulser sous la morsure du frais qu’elle y avait apposé volontairement. Finalement, elle lui lança avec reconnaissance, rompant enfin le contact visuel "Merci. Pas pour l’humiliation, je m’en serais bien passée." Elle en sourit sans hésiter, encore que ça lui faisait mal d’admettre que, peut-être, ce qu'il avait mis en place pour la faire sortir de ses gonds serait difficile à encaisser quand elle quitterait le dojo et qu’elle se retrouverait seule, à songer à sa réaction qui la mettait sur la piste d’une crainte endormie ; près de sept ans après, elle ne s’était pas encore remise de son agression "Mais merci de m’accepter, c’est important pour moi." Au moins, elle avait l’impression de mériter sa place, ce qui n’était pas négligeable quand on doutait autant de soi-même qu’elle.

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"Encore un peu, et tu me donnerais l’impression d’être masochiste, Mills." lui fit-elle en l’entendait l’inviter à lui rendre la pareille sur le terrain de l’humiliation. Preuve qu’ils se connaissaient si peu malgré leur entourage. Parce que s’il savait, il n’émettrait pas ce genre de propositions en pensant qu’elle la saisirait de gaieté de cœur. Elle avait le pardon facile, Yasmine. Elle avait encore plus la bienveillance facile, alors elle ne put que lui offrir un sourire qui se fana doucement quand leur petite entrevue fut coupée par l’intervention de l’homme que Jackson avait désigné sous le nom de… est-ce qu’il le lui avait présenté ? Elle n’en était plus sûre, alors elle sortit des cordages pour s’approcher et se voir enfin faire les présentations en bonne et due forme "Je suis donc pas la première à subir le sadisme de votre protégé. Moi qui croyais êtres spéciale." A la limite de battre des cils pour taquiner Mills, elle descendit du ring à la place, se voyant offrir le bras de ce dernier qu’elle saisit sans hésitation, comblant cette distance qu’elle avait mis entre eux depuis la fin de leur combat, et manœuvrant pour ne pas se vautrer et lui donner une raison supplémentaire de la considérer comme une petite chose fragile. Ce qui en définitive, n’avait pas été le cas ; en fait, au contraire de bien du monde autour d’elle, il avait considéré qu’elle n’était pas uniquement capable de gentillesse, et quelque part, c’était aussi rafraichissant que c’était perturbant… est-ce que ça la dissuaderait de s’adresser au jeune homme désormais, est-ce qu’elle s’évertuerait à l’éviter ? Yasmine ne se posa pas vraiment la question sur le moment, rassemblant sa bonne composition en même temps que ses affaires qu’elle avait délaissées en se voyant proposer un combat par le jeune homme.

Elle passa la bandoulière de son sac par-dessus sa tête, jetant un œil à Jackson qui n’en finissait plus de s’agiter, sautant à la corde comme punition pour l’avait chahuté — les mots de Ricco, pas les siens "Ce sera fait. Considère déjà que je suis une option pour aider si jamais il y a des mises en place à faire et des coups de mains à donner." lui répondit-elle sans hésiter, levant le voile sur l’idée que non, elle ne ferait pas en sorte de l’éviter à l’avenir, même si elle allait méditer encore un long moment sur ce qu’il venait de partager tous les deux, et qui relevait d’une aventure dont elle ne parlerait pas simplement parce qu’elle estimait que c’était trop intime finalement.
Est-ce qu’elle devait le remercier, encore une fois ? Elle marqua une hésitation, s’approchant pour faire ce qu’elle faisait souvent à ceux qu’elle estimait dignes de son affection, le genre d’accolade dont les bonnes natures gratifiaient ceux qui les entouraient ; elle se retint pourtant, se disant en définitive qu’elle n’y était pas obligée, et que garder cette distance-ci avec Mills lui assurerait de pouvoir contrôler l’image qu’il avait d’elle désormais "Au revoir, Ricco." fit-elle seulement en se tournant vers l’homme qu’elle sentit l’observer, avant de très doucement vriller vers Jackson, et lui dire avec un faux sérieux qui fit se dessiner des fossettes dans le creux de ses joues quand elle ne tint pas la distance, et qu’elle finit par lui sourire "Ne martyrise personne d’autre aujourd’hui, hmm ?" Et quand elle passa à côté de lui, elle lui tapota l’épaule juste un peu, prenant son chemin vers la sortie en se rendant compte qu’elle souriait un peu trop fort pour quelqu’un qui venait de passer un mauvais quart d’heure. Mais Yasmine ne se targuait pas d’être moins masochiste que Jackson. L’histoire lui avait appris qu’en vérité, elle l’était probablement tout autant.

rp terminé.