| No more victims, we said. [Jules #2] |
| | (#)Ven 1 Juil 2022 - 0:26 | |
| La soirée a le goût de la normalité. Le genre de normalité qu’adore une société parfaitement calibrée. Des discussions banales puis plus significatives, des sourires transformés en rires entre deux anecdotes, des ustensiles qui dansent au milieu d’une assiette à moitié entamée : « J’suis désolé, Jules. C’était délicieux mais j’ai l’appétit d’un oiseau. » S’excuse pour la millième fois Joseph en relevant les yeux du plat de pâtes. Il en a mangé la grande majorité mais son estomac commence à lui envoyer des signaux. Il n’a pas l’habitude d’avaler des repas complets. Sa journée est habituellement striée de collations qu’il grignote du bout des dents sans jamais prendre le temps de savourer. Mais, ce soir, il a véritablement bien mangé et il ne se retient pas de féliciter son hôte à sa façon : « J’vais pt’être v’nir squatter plus souvent si tu m’appâtes avec d’la vraie bouffe comme celle-là. » Disons que les sandwichs qu’il achète à l’épicerie sont moins savoureux. Il ne se souvient pas la dernière fois que quelqu’un lui a préparé un dîner. En fait, si, il se souvient parfaitement, mais il préfère ne pas penser à Deborah. Il se rappelle les bons souvenirs mais les mauvais empoisonnent tout le reste pour ne laisser qu’un creux sombre au milieu du cœur de Joseph.
Puis, une bouteille de vin est ouverte pour accompagner le dessert. Le garçon ne se sert qu’une petite pointe de tarte après avoir soigneusement coupé celle de Jules. Sa main frôle la sienne quand il glisse l’assiette sous son nez et un regard rapide est partagé entre les deux. Inutile de commenter le contact : « Bon, pour la tarte, tu pourras pas m’mentir et m’dire que tu l’as préparée. J’ai vu l’carton dans la poubelle. » Il plaisante en portant une première bouchée à ses lèvres, bouchée qu’il avale avec un peu de vin blanc. Quand il regarde à nouveau la jeune femme, il se mord la lèvre inférieure.
Il ne pourra jamais cesser de penser à lui en la voyant, elle. L’appartement n’est pas le même. Les murs ne sont pas peints de la même couleur. Le plancher craque à des endroits différents. Il n’entend pas le couinement de la roue des rats ni le ruissellement de la petite fontaine artificielle dans le terrarium d’Odie. La main de Jules n’est pas déformée par le passé. Sa peau est lisse, probablement douce et chaude.
Distrait, Joseph ouvre sa propre main sous la table pour observer la cicatrice qui sépare sa paume en deux. Il sera toujours ancré en lui, ce salaud. Il lui chantonne des mélodies la nuit, murmure à travers ses cauchemars. Joseph avale le fond de sa coupe pour se servir un autre verre d’alcool sans oublier d’en proposer à la jeune femme qui n’a pas encore terminé sa première consommation. « Désolé. C’est qu’il est très bon, lui aussi. » S’excuser encore. Il sait si bien le faire. Il pourrait aussi s’excuser de repenser à Lily dans les bras d’Alfie mais l’image se colle dans le fond de sa tête et il ne peut s’en débarrasser. Il ne sait rien de leur relation mais il n’arrive qu’à imaginer le pire, parce que c’est le pire qui l’attend à tous les coins de rue.
Il pourrait aussi s’excuser de regarder les lèvres de Jules en laissant cette idée, cette petite idée malsaine, se frayer un chemin jusqu’à sa cervelle bien endommagée. Il pourrait faire mal à Alfie à son tour, pas vrai ? C’est ainsi que les deux garçons fonctionnent. Le premier frappe, le second riposte. Mais le premier n’a pas terminé d’attaquer, alors il frappe une deuxième fois. Jules. Le prénom qui lui a sauvé la vie lorsqu’il l’a prononcé. La seule faiblesse d’Alfie, s’il en a réellement une.
Mais tu n’es pas comme ça, Joseph.
« J’vais faire un tour à la salle de bains. » Joseph annonce en se levant vivement, faisant crier les pattes de la chaise sur le plancher. Il n’est même pas bourré. Il n’est pas drogué non plus. Plus depuis huit mois. Il est seulement terriblement stupide et la lucidité fait plus mal que toutes les armes qui lui ont frôlé la peau au cours de sa vie. Une fois isolé, il jette un regard dans le miroir, s’accroche à son reflet pour ne pas le perdre quelque par là où il ne pourrait plus jamais le retrouver. Il se sent lourd et pose tout son poids sur le comptoir. Son œil grisé, mort, il le scrute avec haine et, quand il détourne le regard en direction de la porte de la salle de bains ouverte, il y trouve Jules, certainement inquiète. Silencieux, il la fixe puis il se déteste lorsqu’il décolle les mains du comptoir, il se déteste lorsqu’il réduit à néant la distance qui le sépare de la jeune femme et il se déteste encore plus quand il prend sa tête au creux de ses mains pour poser ses lèvres sur les siennes.
Ce n’est pas de l’amour. Ce n’est pas de la passion, encore moins de l’envie. C’est seulement un homme qui ne choisit pas la bonne bataille.
@Juliet Rhodes KFJSDHKFJS pardon autre Jules je t'ai tag par erreur |
| | | | (#)Dim 3 Juil 2022 - 15:53 | |
| « J’suis désolé, Jules. C’était délicieux mais j’ai l’appétit d’un oiseau. » Tes yeux se relèvent pour trouver ceux de Joseph devant toi. C'était un peu idiot de se mettre autant la pression pour cette soirée. Comme si tu avais peur d'être une mauvaise hôte, de ne pas avoir assez de nourriture, de ne pas être à la hauteur. C'était idiot. Après tout, ce n'est pas la première fois que vous passez ce genre de soirée. Il savait déjà sans doute à quoi s'attendre. Ou il en avait une vague idée plutôt, puisqu'il manque une personne à table ce soir. Alfie a toujours été celui qui animait la discussion entre vous trois. C'est d'ailleurs curieux qu'aucun de vous deux n'a prononcé son prénom ce soir. C'est sûrement voulu. Autant de son côté que du sien. Vous essayez de passer une bonne soirée. L'ombre d'Alfie n'est pas la bienvenue sous ces conditions. « J’vais pt’être v’nir squatter plus souvent si tu m’appâtes avec d’la vraie bouffe comme celle-là. » C'est un sourire qui se dessine rapidement sur tes lèvres sous le compliment de Joseph. « Tu reviens quand tu veux. » que tu lui dis. Tu es déjà plus rassurée de le savoir ici plutôt que dans la rue. Alors, oui, il peut venir quand il veut. Ce n'est pas comme s'il allait déranger quoique ce soit. Tu es seule, terriblement seule. « J'espère quand même que tu as un deuxième estomac pour le dessert. » Tout le monde a un deuxième estomac pour le dessert. Le temps de défaire la table du dîner, tu reviens quelques minutes plus tard avec une table ainsi qu'une nouvelle bouteille de vin pour l'accompagner. C'est Joseph qui s'occupe de couper les pointes. Tu le remercies silencieusement lorsqu'il glisse l'assiette devant toi. « Bon, pour la tarte, tu pourras pas m’mentir et m’dire que tu l’as préparée. J’ai vu l’carton dans la poubelle. » Comme si tu étais du genre à mentir pour l'attribuer le mérite. Bon, tu n'aurais sûrement juste rien dit s'il n'avait pas posé la question. Omettre, c'est pas mentir. « Un vrai petit détective. » Bon, tu n'avais pas non plus vraiment chercher à cacher les preuves. Ça ne prenait pas une enquête approfondie pour trouver l'information. « J'ai besoin de plus que deux heures de préavis pour faire la meilleure tarte que t'auras jamais mangée de ta vie. » Un peu trop ? Oui sans doute. Tu te débrouilles quand même assez bien en cuisine, mais tu es bien loin d'être la meilleure. Tu ne gagnerais aucun concours culinaire. Ne demandez surtout pas l'avis de Scott qui te remet sur le nez depuis deux ans déjà son intoxication à la salmonelle. Pfff, il avait l'air très bien ce poulet. C'est son estomac luxueux qui ne fait pas un bon travail de digestion. Joseph remplit sa coupe qui est déjà vide et la tienne qui n'en est qu'à la moitié. « Désolé. C’est qu’il est très bon, lui aussi. » - « Tu comptes t'excuser toute la soirée ? » Tu le dis avec un sourire en coin pour éviter un malaise. À le voir s'excuser de la sorte, c'est comme s'il avait peur de déranger pour un oui ou pour un non. Sans trop savoir pourquoi, c'est comme si l'ambiance avait changé tout d'un coup. Les traits du visage de Joseph s'étaient soudainement fermés, comme plongée dans des pensées qui le… blessait ? Difficile à dire. Après tout, tu le connais que très peu. Mais avant que tu n'aies pu dire quoi que ce soit, il s'est levé d'un coup. « J’vais faire un tour à la salle de bains. » Ah ? Ton regard le suivit jusqu'à ce que tu perdes sa silhouette de vue derrière un mur. Tu es resté planté là dans bouger avec une drôle d'impression. Tu devrais aller le voir ? Non, non, sûrement pas. Pourtant… c'est plus fort que toi. Tu te redresses à ton tour pour faire le chemin jusqu'à la salle de bain. La porte est entrouverte. Tes sourcils se froncent doucement pour laisser place à de l'inquiétude. Le regard de Joseph ne tarde pas à croiser le tien au travers du miroir. « Tu vas bien ? » Une question à laquelle tu as déjà l'impression de connaître la réponse. Mais Joseph n'y répond pas. Ses mains relâchent le comptoir alors qu'il franchit les derniers centimètres qui vous séparent. Ses mains viennent se poser de chaque côté de ta tête alors que ses lèvres viennent se poser sur les tiennes.
Oh.
À quel moment est-ce que tu n'as pas compris les messages qu'il t'a envoyé ? Ou il a mal interprété les tiens ? Ton regard retrouve le sien au moment où le baiser prend fin. Non, tu ne l'as pas repoussé, mais tu ne l'as pas prolongé pour autant. Ta main se glisse en douceur sur l'un de ses avant-bras pour le tirer vers le bas, défaisant ainsi sa prise d'un côté seulement. « C'est pas vraiment ce que tu veux. » Et tu lui offres déjà sur un plateau d'argent la chance de faire marche arrière. Pourquoi est-ce qu'il voudrait ça ? Lui qui a porté tant de préjugés sur toi ? Des préjugés qui n'ont jamais eu l'air très positif du point de vue de l'instable qu'il est. Trop sage, trop coincé, et sûrement bien d'autres qu'il a gardé pour lui. C'est quoi l'explication derrière tout ça alors ? Tu la cherche dans son regard, mais tu ne trouves rien. |
| | | | (#)Dim 17 Juil 2022 - 5:37 | |
| « Tu reviens quand tu veux. » C’est là où est le problème. Il reviendrait tous les jours s’il ne craignait pas de s’imposer. Pas une fois dans sa vie Joseph a eu l’impression de mériter les choses positives. Il a été conditionné à accueillir le pire et à contourner le meilleur. Il a bien vu que Jules a mis beaucoup de temps et d’amour à la concoction du plat de pâtes et, pourtant, elle ne lui doit absolument rien. Au contraire, elle le détesterait si elle apprenait qui il est réellement. Ou, du moins, celui qu’il a été lorsque sa patience a été mise à épreuve. Il n’a jamais été violent, Joseph, mais cette fois-là il ne sait pas quel genre de flamme a allumé le câble de sa dynamite. « J'espère quand même que tu as un deuxième estomac pour le dessert. » Heureusement, elle ne lui laisse pas le temps de répondre qu’elle enchaîne avec l’idée du dessert. Il accompagne sa réponse (question rhétorique) d’un sourire ravi : « Qui n’a pas de deuxième estomac pour le dessert ? » Il sait d’ailleurs qu’une tarte les attend puisqu’il a vu le carton dans la poubelle avant de venir s’installer à table. « Un vrai petit détective. » Il hausse les épaules pour jouer la carte de la fausse modestie. « J'ai besoin de plus que deux heures de préavis pour faire la meilleure tarte que t'auras jamais mangée de ta vie. » Lui reproche-t-elle d’être arrivé à l’improviste chez elle ce soir ? Ce serait tout à fait normal. Joseph a conscience que ses habitudes de nomade peuvent parfois prendre certaines personnes au dépourvu. Il n’a pas un horaire bien fixe. Il sculpte sa journée au gré de ses envies entre deux nuits au Cherrybomb. Jules peut se compter chanceuse qu’il soit arrivé à l’heure du dîner plutôt qu’à minuit, d’ailleurs. « J’essayerai d’te prévenir la prochaine fois. Mais j’avoue que j’suis venu sur un coup d’tête. J’ai pensé à toi en terminant le bouquin qu’tu m’avais conseillé. Il est super, d’ailleurs, merci. » Wow. Leur discussion est presque normale. Le temps s’est arrêté autour de deux personnes différentes qui se sont rencontrées au coin du chapitre cinq.
Pour accompagner la tarte, le vin est nécessaire. Joseph n’en abuse pas, il ne se permettrait pas, mais le simple goût de l’alcool lui fait perdre le contrôle de ses pensées et c’est naturellement à sa sœur qu’il pense, sa chère sœur, celle qu’il protège dans l’ombre et qui se trouve aujourd’hui à côtoyer un homme qui n’est pas ce qu’il laisse croire. « Tu comptes t'excuser toute la soirée ? » Et il continuera de le faire jusqu’à ce que le monde entier lui pardonne tous ses méfaits. Mais il sait bien que ça n’arrivera jamais. Il sait qu’il est condamné à demander pardon à la moindre occasion. C’est sa façon de se faire tout petit et, avec un peu de chance, de disparaître. « J’avais pas remarqué qu’le faisais. » Il prétend, cachant son mensonge derrière la coupe. Mais c’est trop tard ; il pourra blâmer le vin autant qu’il le voit, il n’arrivera jamais à se convaincre lui-même que sa tête tourne à cause de l’alcool. Non. C’est l’image d’Alfie et son sourire sanguinaire qui lui fait perdre la boule. Aussitôt, le garçon se lève et disparaît à la salle de bains.
« Tu vas bien ? » Quand a-t-il pu répondre positivement à cette question pour la dernière fois ? Peut-être lorsque ses pensées se sont éteintes à cause de la drogue qui lui montait à la cervelle et la brûlait de l’intérieur. À ce moment-là, il allait bien, parce que plus rien ne comptait. Mais, quand il croise le regard de Jules dans le reflet, il ne peut empêcher une mauvaise idée de lui traverser les lèvres. Et, quand il embrasse la jeune femme, il le fait en imaginant la fureur dans le visage d’Alfie s’il les voyait faire, tous les deux.
Ce ne sera jamais une bonne raison d’embrasser une personne. Elle ne mérite pas ça. Elle n’a jamais demandé de se retrouver au milieu de cette bataille de coqs. Reprends-toi, Joseph. « C'est pas vraiment ce que tu veux. » Sa voix est aussi douce que le miel. Le contact de sa main sur son avant-bras lui fait l’effet d’une engelure. Son regard planté dans le sien, il cesse de respirer. Des larmes tant détestées luisent à la commissure de sa paupière. Puis il se brise en mille petits morceaux de cristal. « Non. T'as raison. Désolé. Désolé. Désolé. » Disparaître, il veut disparaître. Se faire tout petit. Minuscule insecte imperceptible. Il peine à reprendre son souffle pour admettre : « Tu m’fais tellement penser à lui, Jules. À… À ce… cet enf… ce… co… » Ce n’est pas qu’il ne connait pas assez d’insultes. C’est qu’il n’ose pas les employer devant celle qui a aimé le destinataire de ces dernières. « Il est avec ma sœur. Je sais de quoi il est capable et… » Pause. Il hésite. Jules ne mérite toujours pas ça. « J’suis désolé, Jules, je sais qu’tu veux pas entendre toutes ces choses à son sujet mais tu m’fais tellement penser à lui… » Il répète avant de se reculer pour faire les cent pas dans la salle de bains, se prenant la tête entre les mains et tirant la base de ses cheveux pour se sortir de ce cauchemar. « J’sais pas quoi faire. Ça m’bouffe d’l’intérieur. » Il a tout à perdre même si ce "tout", c'est très peu.
@Juliet Rhodes |
| | | | (#)Mar 26 Juil 2022 - 15:24 | |
| « Qui n’a pas de deuxième estomac pour le dessert ? » Exactement. Tu n'aurais su mieux dire. Tu es toutefois rapidement à découvert lorsqu'il avoue avoir vu la boîte de la tarte aux ordures. Impossible de t'attribuer le mérite pour quelque chose que tu n'as pas cuisiner toi-même - comme si c'était vraiment ton genre de le faire. Il faut dire que le laps de temps entre son message et son arrivée t'a à peine laissé le temps d'aller faire quelques courses et de concocter le plat de pâte, pas le temps de cuisiner un dessert digne de ce nom. Ça ne fait rien. Tant que c'est bon, peu importe qui l'a fait, non ? « J’essayerai d’te prévenir la prochaine fois. Mais j’avoue que j’suis venu sur un coup d’tête. J’ai pensé à toi en terminant le bouquin qu’tu m’avais conseillé. Il est super, d’ailleurs, merci. » Tu souris doucement à ses paroles. En réalité, même après ton offre de venir chez toi la dernière fois, tu n'étais pas vraiment certaine que Joseph viendrait vraiment. Encore convaincu que votre relation ne pouvait pas vraiment exister sans Alfie entre vous deux. Mais il est venu et la soirée est légère et agréable. Il a bien fait de saisir la main que tu lui as tendu. « Pas d'quoi. Si tu peux piger dans ma bibliothèque avant de partir, te gêne surtout pas. » C'est pas le choix qui manque. Tu as une bibliothèque bien remplie, qui fait presque un mur au complet. Il y en a pour tous les goûts. Il peut prendre celui qu'il désire, tant qu'il le ramène. Ça lui donnera une occasion de revenir d'ailleurs. « J’avais pas remarqué qu’le faisais. » Tu secoues légèrement la tête pour lui dire de tout oublier. Il a l'air de marcher sur un terrain miné avec la peur que tout explose s'il fait un faux pas alors que ce n'est absolument pas le cas. Il ne fait ni ne dit rien de déplacé, les excuses à répétitions ne sont vraiment pas nécessaires. Pourtant, il se lève d'un bond. Il va vers la salle de bain où il reste un peu trop longtemps. Il se passe quoi ? As-tu dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? C'est avec une touche d'inquiétude que tu vas dans la même direction que lui. Il va bien ? Parce qu'il ne semble pas bien allé sans que tu comprennes ce qui avait pu se passer pour le mettre dans un tel état. C'est la surprise qui envahit tout ton corps lorsque, la seconde d'après, il vient t'embrasser. Ça, tu ne l'as pas vu venir du tout. C'est tout en douceur que ta main se pose sur son avant-bras pour te défaire du contact. C'est pas une bonne idée tout ça. C'est vraiment pas une bonne idée. Le regard de Joseph planté dans le tien semble s'humidifier tout d'un coup. Tes sourcils se froncent doucement laissant une mine triste sur ton visage. Puis, il éclate. « Non. T'as raison. Désolé. Désolé. Désolé. » La distance s'impose naturellement entre vous deux, alors que, toi, t'es complètement sous le choc du spectacle qui se déroule sous tes yeux. « Tu m’fais tellement penser à lui, Jules. À… À ce… cet enf… ce… co… » Plus il parle, plus tu n'y comprends rien. Il a du mal à aligner deux mots un à la suite de l'autre. As-tu vraiment compris ? Il t'a embrassé parce que tu lui rappelles Alfie ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? C'est légèrement vexant pour toi, mais aussi très perturbant. « Il est avec ma sœur. Je sais de quoi il est capable et… » Tu n'as pas bougé d'une seule miette depuis le début de son discours - sa crise. Et, quoi ? Que veut-il dire ? Pourquoi il semble inquiet pour Lily ? Au même moment, il y a une boule qui prend place au creux de ton estomac. Autant tu meurs d'envie d'entendre la suite, autant tu as envie d'aller te mettre dans une petite boule dans un coin pour te boucher les oreilles. Alfie n'est pas un enfoiré. Il a besoin d'aide. C'est différent. « J’suis désolé, Jules, je sais qu’tu veux pas entendre toutes ces choses à son sujet mais tu m’fais tellement penser à lui… » La situation t'échappe complètement. Tu ignores complètement quoi dire et quoi faire. Il est en train de faire une crise d'anxiété ? Oh, ça tu connais par contre. Il tourne dans ta salle de bain comme un lion dans une cage. « J’sais pas quoi faire. Ça m’bouffe d’l’intérieur. » Ses mains se portent à sa tête, tire sur ses cheveux comme s'il voulait extirper le mal à l'intérieur de lui. C'est à cet instant que tu te décides enfin de bouger. Tes mains viennent délicatement chercher les siennes pour les ramener entre vous deux, mais surtout, pour l'empêcher de se faire encore plus de mal. « On va commencer par s'asseoir, d'accord ? » On a vu mieux comme milieu pour reprendre ses esprits qu'une salle de bain. Joseph a le choix entre s'asseoir sur le bord du bain ou sur la toilette, vraiment incroyable. Pour ta part, tu viens simplement t'accroupir devant lui. « Regarde-moi. » que tu ajoutes ensuite en glissant ton index sous son menton pour le redresser, pour que son regard retrouve le tien. « Maintenant, tu vas prendre une grande respiration. » Tu imites le mouvement avec pour l'encourager à faire de même. Mais surtout pour que sa respiration retrouve un semblant de calme. Inspire. Expire. « T'es pas obligé de m'expliquer quoi que ce soit, mais je t'écoute si tu as envie de le faire. » que tu ajoutes en lui offrant un sourire chaleureux. |
| | | | (#)Mar 9 Aoû 2022 - 1:48 | |
| Il fallait qu’il gâche tout. Joseph, l’enfant instable coincé dans le corps d’un vieillard abimé par le temps gaspillé. Il a beau être un adulte depuis plus de vingt ans, il aurait encore besoin d’un guide pour l’aider à se retrouver dans le dédale de ses esprits.
Mais ce n’est pas parce qu’il cherche un guide qu’il embrasse Jules sans réfléchir deux fois avant de le faire. Elle ne pourrait pas l’aider. Elle n’est que le symbole d’une revanche. Joseph a beau se fermer fort les paupières, couvrir ses yeux d’acide, les rincer en plongeant sa tête dans une bassine, se les arracher des globes ; il verra toujours Alfie à travers la jeune femme. Cette partie de lui qui n’a pas sombré dans les méfaits, la lumière qui éclairait jadis sa pupille et cette témérité qui l’encourageait à venir en aide à Joseph peu importe le prix à payer. Il était là pour lui et, aujourd’hui, plus aucune main ne se tient. Jules est seul. Joseph est seul. Alfie ? Peu importe. Il ne devrait plus compter dans l’équation.
Pourquoi n’arrive-t-il pas à l’oublier alors ? Est-ce qu’il a aussi cette emprise sur son ancienne copine qui, ce soir, assiste à un spectacle désolant ?
Il tourne en rond, Joseph, parce que c’est tout ce qu’il peut faire pour ne pas laisser ses poings se déchainer à nouveau dans le mur, la porte, le comptoir, n’importe quel surface assez solide pour qu’il se casse les phalange et déplace le mal. Il s’en fiche bien des coupures, des coups et des brûlures parce que sa peau est devenue un bouclier à force de se faire malmener mais, son cœur, lui, n’a pas moyen de se protéger.
Il pleure, s’agite comme l’addict qui n’a plus rien à se coller dans le fond des narines alors que le problème n’est pas aussi physique. L’anxiété l’empêche de respirer et il entend la voix de Jules d’une seule oreille, tamisée derrière un voile étouffant et épais qui dissimule les sons les plus graves. « On va commencer par s'asseoir, d'accord ? » Il hoche machinalement de la tête sans savoir ce qu’elle a dit, mais il comprend grâce à son geste qu’il doit se poser sur le bord du bain. Il le fait mais ses jambes ne cessent jamais vraiment de s’agiter. Ses talons roulent contre le tapis, ses orteils s’agitent et dansent dans ses chaussures. Il a envie de taper mais il ne le fait pas. S’il mettait la main sur une couverture, il se blottirait en dessous et attendrait que le sommeil vienne à lui. Jeune, il réglait tous ses problèmes de cette façon. « Regarde-moi. » Il regarde le sol brillant de la salle de bains et le reflet des lumières éclatantes. Jules coince son menton entre ses doigts et seulement à cet instant il plonge son regard à moitié aveugle dans le sien. Les larmes coulent comme des rivières chaudes le long de ses joues. « Maintenant, tu vas prendre une grande respiration. » C’est le mouvement de sa main, calme et apaisant, qui l’invite à gonfler ses poumons à pleine capacité. Il retient cette inspiration seulement cinq seconde avant que toutes ces années de consommation de cigarettes reviennent à lui comme une bombe atomique. Il expire vivement et une sorte de gémissement tremblant s’échappe de sa gorge en même temps. Il est en train de se noyer.
« T'es pas obligé de m'expliquer quoi que ce soit, mais je t'écoute si tu as envie de le faire. » Ses oreilles sifflent et il aurait bien envie de se taper la tête, aussi, contre le mur, la porte ou le comptoir pour régler le problème. Il est épuisé. Il entrouvre les lèvres, laisse un soupir s’échapper, puis sa tête bascule un peu sur le côté, retenue par la poigne de Jules. « Et si c’était ma faute ? » Elle ne pourrait jamais répondre à la question. Elle ne sait rien. Le problème, c’est qu’elle s’en sortira toujours mieux si elle ne se fait pas emporter dans cette histoire. La tornade est déjà passée sur le corps de trop de gens. « J’suis parti. J’ai abandonné mon meilleur ami parce que j’étais pas assez brave pour affronter ceux qui m’voulaient du mal. J’ai toujours été un lâche. J’fuis comme un stupide lapin. » Elle ne comprend rien. Quedal. Nada.
Nouveau sanglot. Son visage se déforme sous une culpabilité qu’il n’avait jamais ressentie avant aujourd’hui. À cause de lui, Jules aussi souffre. Comme s’il avait été le seul élément perturbateur dans la vie d’Alfie alors qu’il n’avait tout simplement jamais vu la noirceur dans le cœur du garçon parce qu’il le regardait à travers un voile rose à paillettes. « Il n’a pas toujours été comme ça, tu l’sais, tu l’as connu autrement. Tu es tombée en amour avec lui quand je ne faisais plus partie de sa vie. » Il secoue la tête de droite à gauche tel un paranoïaque qui verrait des fantômes autour de lui. Il irait mieux s’il se piquait… Oh, qu’est-ce qu’il irait mieux. Mais, surtout, il cesserait de se blâmer pour cette graine de malice qui pousse dans le ventre d’Alfie, et qui poussait-là bien avant que tout soit chamboulé. Ce n’est pas la faute de Joseph. Son ami est et a toujours été un enfoiré. « Comment il était, Jules ? » Il demande, la voix asséchée. Il la regarde à nouveau. Ses membres se sont calmés. « Avant que j’vienne frapper à la porte d’votre appartement. Comment il était ? » Ses yeux sont soudainement humides d’une tristesse plus profonde. Il a l’impression de sentir un nuage gris se gonfler dans ses tripes pour mieux glacer ses organes. « Je n’arrive plus à m’rappeler de qui il était avant tout ça. » Avant qu’il ne l’abandonne à Crows Nest alors qu’il avait à peine treize ans. C’est bien à ce moment-là qu’il a été transformé, que le têtard est devenu grenouille ?
Peut-être qu'en embrassant Jules, il aurait pu se rappeler de son meilleur ami quand il était encore son meilleur ami.
@Juliet Rhodes |
| | | | (#)Mar 16 Aoû 2022 - 0:15 | |
| « Et si c’était ma faute ? » Sa tête bascule sur le côté t'obligeant à la rattraper entre tes mains. Il a l'air d'un petit enfant fragile entre tes mains. Un enfant que tu voudrais bercer toute la nuit pour y chasser les terreurs de ses mauvais rêves ou partir à la chasse aux monstres sous son lit. Sauf que son monstre n'est pas sous son lit, mais dans sa tête. Son monstre perturbe la tienne aussi. Sa peine, sa détresse, tu l'as comprend sans vraiment la comprendre. Mais tu as surtout l'impression que lui comprend la tienne. « De ta faute ? » que tu le questionnes, l'encourage à continuer de parler davantage. « J’suis parti. J’ai abandonné mon meilleur ami parce que j’étais pas assez brave pour affronter ceux qui m’voulaient du mal. J’ai toujours été un lâche. J’fuis comme un stupide lapin. » Tu ne comprends pas de quelle partie de sa vie - et de celle d'Alfie - il peut bien parler, puisqu'il ne t'a jamais parlé d'un tel abandon de son passé. Mais tu réalises surtout, et de plus en plus, que tu ne connais rien de la vie de celui que tu as tant aimé. « Es-tu certain que ça se soit vraiment passé ainsi ? Et si c'était pas plutôt lui qui t'avais abandonné, hm ? » Tu ne connais pas la vérité à ce sujet. Tu n'étais pas là. Tu n'as pas non plus les deux versions de l'histoire. Mais à voir ce qui se déroule aujourd'hui, c'est bien Alfie qui a repoussé tout le monde. Ce ne serait pas si étonnant qu'il l'ait déjà fait par le passé. Il jette les autres lorsqu'il n'en a plus besoin, pense pouvoir revenir comme une fleur lorsqu'il en ressent le besoin. Il est égoïste Alfie. Ce n'est pas une nouvelle, mais tu avais toujours préféré voir le meilleur et ignorer le pire. « Il n’a pas toujours été comme ça, tu l’sais, tu l’as connu autrement. Tu es tombée en amour avec lui quand je ne faisais plus partie de sa vie. » Ton regard s'attriste sous ses paroles. Joseph s'en met bien trop sur les épaules. À cet instant précis, tu arrives encore une fois à te voir en lui. Tu aurais pu énoncer tous tes défauts pour que ce soit de ta faute et non celle des autres. Tes doigts viennent doucement se glisser contre ses joues pour essuyer les larmes qui les envahissent, espérant pouvoir soigner son chagrin par le même fait. « Comment il était, Jules ? » Tu te figes sous la question. Ton regard le questionne, lui implore de préciser sa question. Et il poursuit. « Avant que j’vienne frapper à la porte d’votre appartement. Comment il était ? » Oh Joseph… est-il vraiment certain de vouloir aller sur ce terrain là ? Ça ne semble pas vraiment une bonne idée. Autant tu n'as pas envie de replonger dans des souvenirs aussi beau que douloureux, autant tu ne veux pas lui donner de raisons supplémentaires de se sentir coupable. « Je n’arrive plus à m’rappeler de qui il était avant tout ça. » Avant quoi ? Avant qu'il vienne toquer à la porte de l'appartement ou avant qu'il l'abandonne - soit disant ? « Tu penses vraiment qu'il a changé lorsque tu es venu ? » La présence de Joseph n'a pas changé son ami. Elle l'a plutôt confronté à ses propres mensonges. « Il a menti. Il m'a menti sur beaucoup de choses. » Et encore aujourd'hui, tu ne connais pas la vérité sur tout. Tu n'arrives tout simplement plus à lui faire confiance. Tu ne sais plus quand il ment ou quand il est honnête. « Et il a sûrement eu peur que ses mensonges lui retombent au visage. » Parce que Joseph savait qu'il mentait. Il aurait pu tout faire éclater d'un simple claquement de doigt. « Alfie se détruit tout seul. Parce qu'il est borné et bien trop fier pour laisser quelqu'un lui tendre la main. » Tu l'as compris lorsque tu es venu lui rendre visite à l'hôpital. Une visite qu'il n'a d'ailleurs pas du tout apprécié. « Ce n'est pas de ta faute. » Et ce n'est pas de la tienne non plus. Il est l'unique responsable de ses noirceurs. |
| | | | (#)Lun 29 Aoû 2022 - 18:41 | |
| S’il y a bien une chose qu’Alfie sait faire sans peut-être même s’en rendre compte, c’est de transformer les neurones de Joseph en un casse-tête duquel il manque des dizaines de morceaux. Un jour, il arrive à en assembler assez pour terminer un coin puis, le jour suivant, il pète un câble en ne trouvant pas celle dont il aurait besoin pour rejoindre deux parties complétées. Il sait que son ami est responsable de certaines choses mais il oublie parfois lesquelles et se perd dans l’automutilation. Il se blâme lui-même pour des événements qui auraient pu être évités si Alfie n’était pas comme il est. Ce dernier a besoin de marquer les gens, qu’il le fasse positivement ou négativement ; il veut simplement ne pas se faire oublier à la fin de la journée. S’il savait comment Joseph n’a jamais réussi à l’oublier même s’il se tape la tête contre des murs jusqu’à sans ruiner le fil des pensées. Malgré les efforts, il revoit toujours le visage du garçon qui l’a accompagné durant toute son enfance, il revoit les éclairs malicieux dans ses yeux quand une mauvaise idée lui traverse l’esprit, il revoit sa main qui attrape la sienne pour qu’ils fuient ensemble loin du mal, il revoit ce silence de marbre qui immobilisait les traits de son visage même lorsque paume se faisait dévorer par la braise. Et il revoit tout le dégoût qu’il exprimait à son égard lorsque Joseph, à dix-huit ans, pensait être accueilli chez lui à bras ouverts quand il a eu le courage de monter à bord d’une voiture étrangère pour retourner à Crows Nest. Une voiture conduite par un adulte qui aurait pu lui coincer les poignets contre le tableau de bord et le priver de son libre arbitre. « De ta faute ? » Oui. Et si tout était sa faute ? Il aurait pu rester auprès de son ami et absorber les coups comme il l’a toujours fait. Leur relation ne se serait pas fragilisée. Il l’aurait peut-être, sa maison près de la mer. Exactement comme dans ses rêves de gamin. « Es-tu certain que ça se soit vraiment passé ainsi ? Et si c'était pas plutôt lui qui t'avais abandonné, hm ? » Impossible. Ce n’est pas Alfie qui a fui au milieu de la nuit comme un voleur. Il ne l’aurait peut-être jamais fait, lui. Il serait resté avec Joseph parce que c’est ce que font les amis : ils se serrent les coudes et affrontent le grand méchant loup ensemble. « C’moi qui suis parti et qui l’ai laissé derrière, Jules. » Qu’il dit comme s’il souhaitait la convaincre d’être le mauvais côté de la médaille. Si elle le croit, elle pourra peut-être retourner avec Alfie, et l’histoire ne sera plus que de l’histoire ancienne. C’est bien lui qui a bousillé leur couple en frappant à la porte de leur appartement. Ils étaient certainement beaux, avant. « Tu penses vraiment qu'il a changé lorsque tu es venu ? » Il essuie ses yeux brouillés de larme pour les plonger dans ceux de Jules alors qu’elle apporte une interrogation qui titille sa curiosité. « Il a menti. Il m'a menti sur beaucoup de choses. » Il ressemble à un enfant qui apprend que le père Noël n’existe pas. Il est pendu à ses lèvres comme s’il voyait s’approcher la seule réponse qu’il a cherché toute sa vie. « Et il a sûrement eu peur que ses mensonges lui retombent au visage. » Mais Joseph aussi a menti. Jules ne sait pas qu’elle est en train de réconforter celui qui a cassé son ex à coups de lavabo. Lui, il se souvient du son des os qui se broient, les craquements des dents qui deviennent poudre, du goût du sang qui noie sa langue et ses gencives.
Un frisson de dégoût le traverse. Stupide mémoire infaillible qui l’empêche de trouver le repos.
« Alfie se détruit tout seul. Parce qu'il est borné et bien trop fier pour laisser quelqu'un lui tendre la main. » Si seulement c’était le seul problème. Oui, Alfie croit trôner au haut du plus grand des buildings, mais les fautes sont partagées, pas vrai ? Jeune, il n’était pas aussi puéril. Ou alors, Joseph ne s’en rendait peut-être pas compte puisqu’ils étaient dans la même équipe. Il n’aurait jamais pu blâmer son coéquipier. « Ce n'est pas de ta faute. » Il veut la croire et se débarrasser de tous ces remords qui l’empêchent de se relever. Ce serait tellement plus facile. Et pourtant, Joseph se croyait naïf. « Qu’est-ce qu’il t’a dit, alors ? » Il demande, retrouvant le courage d’enchaîner un mot après l’autre sans que sa lancée ne soit coupée d’un sanglot. « Il t’a menti à quel sujet ? » Ça le réconforterait peut-être d’apprendre qu’il n’est pas le centre des problèmes.
@Juliet Rhodes |
| | | | (#)Mer 7 Sep 2022 - 22:55 | |
| « C’moi qui suis parti et qui l’ai laissé derrière, Jules. » Tu aimerais lui trouver toutes les défaites du monde si ça pouvait soulager sa conscience. Sauf que tu n'étais pas là lorsqu'il est parti comme il le sous-entend. Tu ne sais même pas de quelle période de sa vie il parle, mais ça semble très lointain. Assez loin pour que ce soit une période de leurs vies dont tu ne connais absolument rien. Tu voudrais bien lui dire la version de Alfie, qui peut-être le dédouane lui même. Tu aimerais simplement la connaître, mais ce n'est pas le cas. Tu ne connais rien. Tu as l'impression d'être mise en face d'une histoire qui comprend deux inconnus alors que l'un d'eux a partagé ton intimité pendant plusieurs années. « C'était ce qu'il y avait de mieux pour toi ? Partir ? » que tu lui demandes en cherchant encore à comprendre un peu mieux ce qui se passe sous ses yeux. Il a dit qu'il a fuit comme un lâche qui ne voulait pas affronter ses problèmes. Est-ce que c'était un problème qui concernait également votre ami commun ? Est-ce que ça ne le concernait absolument pas ? « Tu sais parfois il faut prendre des décisions un peu égoïste pour notre bien. » Un conseil que tu recommandes fortement, mais que tu n'appliques pas du tout. Tu donnes sans jamais rien attendre en retour. Tu donnes plus que tu ne le devrais et il ne reste plus rien pour toi ensuite. Joseph essuie grossièrement ses sanglots, écoute tes paroles comme si elles contenaient la vérité absolue. Tu ne fais que tenter de jongler avec le trop peu d'informations que tu as. Tu ne fais que comprendre partiellement sa douleur, parce que tu la sens similaire à la tienne - malgré qu'elle soit complètement différente à plusieurs niveaux. « Qu’est-ce qu’il t’a dit, alors ? » qu'il demande dans ce qui est probablement une curiosité malsaine. Qu'est-ce que ça change ce qu'il t'a dit ? Tu ne libères pas Joseph pour mettre Alfie coupable. Personne ne l'est. On devient ce qu'on devient par les choix qu'on prend et non par ceux que les autres prennent autour de nous. « Il t’a menti à quel sujet ? » qu'il précise, insiste même. Tu ne comprends pas trop pourquoi il a besoin de ressasser tout ça. Il devrait mettre ça dans un petit tiroir fermé à double tour dans son cerveau. C'est ce que tu fais, mais on dirait que le monde entier est entêté à forcer la serrure. Un silence s'installe entre vous deux alors que tu prends vraiment le temps de réfléchir à la réponse que tu comptes lui donner. « Disons qu'il n'a pas tout dit. » Il a gardé certaines informations pour lui tout seul. Ce ne sont pas tout-à-fait des mensonges, puisqu'il ne les aurait sûrement pas contredit s'il aurait été confronté par ses vérités un jour ou l'autre. Mais c'était toujours humiliant d'apprendre certaines informations de la bouche d'un autre. Même encore aujourd'hui, tu continues d'apprendre des choses qu'il n'a jamais jugé bon de te dire. C'est blessant de penser qu'il n'avait pas suffisamment confiance en toi pour pouvoir tout partager avec toi. « Il gardait le moins beau pour lui, tu vois ? » Alfie était la meilleure version de lui-même avec toi. Peut-être trop. Peut-être au point d'avoir l'impression de n'être qu'un comédien dans sa propre. Peut-être est-ce aussi une raison pour laquelle il t'a quitté. Parce qu'il ne savait plus vivre dans ce mensonge qu'il s'est lui-même imposé. « Et il y a eu son agression et puis… » Tu prends une pause, alors qu'une mine triste traverse ton visage à ce souvenir. « Ça n'a plus jamais été pareil après. » que tu ajoutes en haussant les épaules. Peut-être est-il enfin devenu qui il était vraiment. Il ne pouvait plus vivre sa double vie avec son cerveau aussi affecté. « Tu devrais aller le voir, mais pas ce soir. » que tu ajoutes en lui souriant doucement. Parce qu'il n'y a personne d'autre que Alfie pour comprendre entièrement Alfie. |
| | | | (#)Mar 20 Sep 2022 - 21:21 | |
| « C'était ce qu'il y avait de mieux pour toi ? Partir ? » Oh, Jules, il ne pourrait pas mentir cette fois parce qu’il ne possède tout simplement pas la réponse à cette question. Il n’a pas trouvé une meilleure vie en fuyant : il en a trouvé une différente, elle aussi remplie d’embûches et de défauts. Il n’avait tout simplement plus personne qui pouvait lui mettre la main dessus sans qu’il ne le veuille. Plus de claques, plus de mains refermées autour de son poignet pour le traîner là où il ne veut pas aller, plus d’insultes et plus de moments durant lesquels il doit mettre son cerveau à off pour s’empêcher de trop penser et souffrir davantage. De la pauvreté, de la solitude, des décisions à prendre, des besoins primaires à combler sans l’aide de personne. « C’est bien l’problème, Jules. J’en sais rien. J’serais pas aussi perdu aujourd’hui si j’avais la certitude que d’laisser Alfie derrière moi m’avait permis d’vivre réellement. » Il marque une pause, pense un peu plus longuement à la question bien que cette dernière le rende vulnérable comme l’enfant qu’il était jadis. « T’sais, il existe probablement une dimension dans laquelle je ne l’ai plus jamais revu après mon départ, et p’t’être qu’vous êtes encore ensemble et heureux, dans cette dimension-là. » Il s’imagine en regardant le sol pour mieux visualiser ce monde où tous les trois sont sortis gagnants.
Mais Joseph se trompe peut-être : Jules prétend que ce n’est pas sa faute si son couple s’est détruit même si sa destruction s’est déroulée au moment où Joseph et réapparu dans la vie de son meilleur ami. Selon elle, Alfie se démolit lui-même et, si c’est une idée que le plus vieux arrive facilement à concevoir, il n’est pas convaincu. Au fond, il ne connait pas l’intimité du couple et il se doute que rien n’a jamais été complètement naturel quand lui était là pour tenir la chandelle mais la voix dans sa tête, destructrice, ne cesse de le blâmer lui pour cette descente en Enfer. « Disons qu'il n'a pas tout dit. » Il se mord la lèvre inférieure. Cette affirmation le vise aussi. Lui non plus, il ne dit pas tout. Il ne serait pas encore libre s’il avait été honnête sur toute la ligne. « Il gardait le moins beau pour lui, tu vois ? » Oui, malheureusement, il voit très bien. Bientôt, Joseph se sent inconfortable mais il ne laisse rien paraître derrière son visage impassible, probablement un tour de magie qu’Alfie lui a inconsciemment appris. Jeune, il ne pouvait pas mentir. « Et il y a eu son agression et puis… » Il entend déjà la suite à des kilomètres. Jules ne se rend pas compte qu’elle tente d’innocenter Joseph pour des actes qu’il a commis dans son dos. Elle défend le responsable de tous ces maux et, cette idée, il ne la supporte pas. C’est pour cette raison que ses mots, qu’elle souhaite rassurant, n’ont pas l’effet escompté. Le garçon se referme un peu plus, misérable ver de terre coupable qui frissonne de dégoût. « Ça n'a plus jamais été pareil après. »
Ça n’a plus jamais été pareil après cette soirée-là, Joseph. Tu te souviens le son de ses os qui se broient contre le comptoir et le sang qui tache tes mains, et de ta conscience complètement assourdis par l’adrénaline ? Aucun homme ne mérite mieux la prison que toi. Tu te souviens ? Tu as voulu qu’il meure, ou qu’il n’ait jamais existé, pour t’éviter de te salir les mains. Ingrat. Il t’a sauvé la vie bien avant que tu essayes de lui voler la sienne.
« Tu devrais aller le voir, mais pas ce soir. » Et il est con, Joseph, parce qu’il répond par le non-sens alors qu’il offre un sourire à Jules à son tour, miroitant son visage pour qu’elle se sente en sécurité malgré le criminel qu’il est. « T’as raison. » Non, il n’ira plus jamais le voir. Il ne pourrait supporter la simple idée de le confronter à nouveau. Il a déjà perdu le contrôle alors il pourrait commettre la même erreur une seconde fois. « Et, toi, tu devrais penser à toi aussi. » Il lui renvoie son propre conseil. « Prends des décisions pour ton bien. » Derrière de nouvelles larmes qu’il ravale de justesse, il conclut : « Tu dépends pas d’Alfie, personne dépend d’lui. Est-ce que t’es encore amoureuse malgré tous les non-dits ? »* Si elle l’affirmait, il ne pourrait que la comprendre. Il n’a jamais cessé de l’aimer, son meilleur ami, même quand il lui donnait toutes les raisons du monde de lui fermer la porte au nez.
@Juliet Rhodes *cette phrase rime beaucoup trop, on dirait une comédie musicale |
| | | | (#)Mar 27 Sep 2022 - 15:36 | |
| « C’est bien l’problème, Jules. J’en sais rien. J’serais pas aussi perdu aujourd’hui si j’avais la certitude que d’laisser Alfie derrière moi m’avait permis d’vivre réellement. » Tu ne sais plus trop quoi dire pour soulager sa peine. Tu as l'impression d'entendre le récit de deux personnes que tu ne connais pas. Tu fais du mieux que tu peux avec le très peu d'informations que tu as. Ce n'est visiblement pas suffisant. Et tu peux pas t'empêcher de te sentir coupable - oui c'est complètement stupide. « Peut-être qu'avec du recul ce n'était pas forcément le bon choix, mais tu ne pouvais pas savoir à ce moment là. » C'est ce que tu comprends, qu'il est parti parce qu'il pensait que c'était le mieux pour lui, mais au final, vingt ans plus tard, il n'est plus certain d'avoir fait le bon choix. Après tout, on ne découvre qu'après les conséquences de nos gestes et ce n'est pas forcément ce à quoi on s'attendait. « T’sais, il existe probablement une dimension dans laquelle je ne l’ai plus jamais revu après mon départ, et p’t’être qu’vous êtes encore ensemble et heureux, dans cette dimension-là. » Tu ne comprends pas tellement pourquoi il revient sans cesse là dessus. Pourquoi il se sent si responsable de votre rupture. Est-ce que c'est ce que Alfie lui a confié ? Ça te semble peu crédible, mais tu as constamment l'impression de te tromper à son sujet. Alors, oui, peut-être que c'est ça. « Arrête de te torturer avec ça. Alfie et moi, on avait plus la même vision de l'avenir. On l'a jamais eu. Ce n'est pas de ta faute. » que tu répètes encore une fois. Ce n'est clairement pas la faute de Joseph si Alfie ne voulait pas d'enfant avec toi. Ce n'est pas de sa faute à lui s'il était malheureux de rester au pays par ta faute. Ce n'est pas non plus sa faute s'il a cessé de t'aimer.
Il écoute la suite de ton récit sans rien dire. Même si tes mots se veulent le plus rassurant possible. Tu n'es pas vraiment certaine que ça fonctionne vraiment. Il reste de marbre, ne te donne pas vraiment l'occasion de lire en lieu, alors qu'il te laissait voir sa vulnérable quelques minutes auparavant. As-tu dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Tu ne saurais dire. C'est toutefois un faible sourire qui finit par apparaître sur son visage. Et ce sourire devient rapidement miroir sur le tien également. Ça prendra plus qu'une discussion pour régler ce qui se passe dans sa tête, mais tu es quand même un peu soulagé si tu as réellement réussis à calmer ses torpeurs pour une soirée au moins. « T’as raison. » qu'il débute alors que les sanglots continuent de diminuer de plus en plus. « Et, toi, tu devrais penser à toi aussi. » Il te retourne ton conseil. Toujours plus facile de conseiller les autres que de l'appliquer pour soi-même hm. Mais, oui, tu crois quand même être dans la bonne direction pour ça. Tu as choisi d'arrêter de te morfondre et d'aller de l'avant, ce qui est déjà une bonne étape. « Prends des décisions pour ton bien. » - « C'est ce que je fais. » que tu le rassures. C'est ce que tu fais en choisissant d'avoir un enfant sans attendre l'intervention divine d'un homme. Tu n'en as pas besoin. Tu ne veux pas attendre plutôt. Tu comptes bien aller au bout de ses idées peu importe ce qu'en pense les autres. « Tu dépends pas d’Alfie, personne dépend d’lui. Est-ce que t’es encore amoureuse malgré tous les non-dits ? » Voilà une question à laquelle tu n'as pas tellement envie de répondre. À voir comment sa condition t'inquiète autant, la réponse est sûrement évidente. Tu ne veux plus l'être. Tu veux être soulagé de ses sentiments qui, au fond, ne servent à rien. Que tu l'aimes encore (ou pas), ne change rien. Vous ne serez plus jamais un couple. Ce serait impossible de n'être que des amis. Vous êtes condamné à n'être… rien du tout. Voilà. « Je sais pas. » que tu réponds, ne voulant pas mentir, mais n'acceptant pas totalement la vérité non plus. « Il va toujours compter d'une certaine manière je suppose. » Ce qui n'est pas tout-à-fait faux. Lorsqu'on partage notre vie aussi longtemps et aussi intimement avec une personne, elle reste importante dans notre vie quoi qu'il advienne, non ? « Tu devrais peut-être aller dormir un peu. Ça te ferait du bien. » que tu ajoutes avec un sourire en coin. Tes mains relâchent finalement les siennes alors que tu te redresses pour retrouver ta hauteur. Après toutes les émotions qu'il vient de traverser, il risque de tomber comme une bûche. |
| | | | | | | | No more victims, we said. [Jules #2] |
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