2007. « Il est chelou, le nouveau. » « Ouaip. Tu viens de remarquer ? »

Archie, las et ennuyé pivote la tête vers Adam. Son regard est lourd et son sbire déglutit en secouant la tête de droite à gauche.

« Non. Non, il est chelou depuis le début. » « Yep. » Le roi de l’école affirme en opinant du chef. Il termine de gruger le bout de la tige en plastique dont il s’est servi pour mélanger son café et s’en débarrasse. Elle tombe peut-être sur le sol, peut-être sur une table, peut-être sur la tête d’un autre élève qui, de toute façon, ne bronchera pas en découvrant qui a envoyé le projectile. « C’est le frère de Freddy. » « Je sais. » « Ils ont une sœur. » « Je sais. » « Je connais pas son nom. » « Tessa. » Il esquisse un sourire en voyant, justement, la jeune femme mentionnée traverser la cafétéria. Elle ne les remarque pas. « Mignonne. » « Yep. Je me la suis déjà faite. » « Ah ouais ? » « Non, mais ça viendra. » Ricane Archie en détournant les yeux vers Lincoln, installé à l’autre bout de la pièce. Il lui fait un signe de la main. Rien de plus. Il détourne ensuite les yeux vers Adam. « On va mener une petite expérience, ce soir. On amènera Link. Victor. Tu vois d’qui je parle ? » « Lui qui danse ? » « Lui qui danse, exact. » Et il lui suffit de lancer un dernier regard complice à l’autre garçon obéissant pour qu’il comprenne ce qu’il a en tête. Ce soir, ils briseront des dents, et Archie ne se tachera ni les poings, ni les fringues.

Seize heures. À cette heure, Archie lutte habituellement contre un sac de boxe au gymnase mais, pas ce soir. Il a texté toute la bande pour qu’elle se réunisse à la sortie de l’école. Ils sont quatre, et s’ajoute à ce banc de poissons Lincoln, qu’Archie accroche dans le couloir sans lui dire un mot. Il le guide jusqu’à la sortie et, dehors, ils attendent que les parkings se vident. Pas une fois il décroche ses yeux du petit nouveau à la chevelure bouclée. Il lui offre des sourires malins, tente de lui percer la rétine par la simple intensité de son regard, et il s’amuse comme mille petits fous. Les autres s’échangent des clopes et fument en guettant la porte de sortie par laquelle Victor, se croyant malin et discret, s’échappe après l’école en espérant ne croiser personne. Aussitôt sa silhouette aperçue, les sbires vont à sa rencontre et l’entourent comme une meute de loups. Archie ne bouge pas. Il fixe toujours Lincoln pour voir ses réactions. Seulement quand le premier coup est porté dans la mâchoire du petit danseur, il lui adresse la parole : « Tu as passé une bonne journée ? » Il se sert enfin une cigarette qu’il porte à ses lèvres avant de faire craquer la flamme de son briquet en dessous. À travers le souffle du vent, des gémissements et des plaintes sont perceptibles. Les garçons ne frappent que dans les côtes pour éviter les blessures visibles. De braves soldats sans cervelle. Les petits poissons qui s’accrochent au grand requin. Ils feraient tout pour ne pas se trouver à la place des victimes. Être le pote d’Archie, c’est aussi de gagner la bataille. Tout le monde le sait. Lincoln aussi, probablement. « T’as pas le genre de mec qui me colle au cul habituellement. » Il lui tend sa clope pour lui proposer une late. « Il est cool, ton frère. Tu ne lui ressembles pas du tout. Vous n’avez pas hérité des mêmes gênes ? » Il demande sans vraiment se soucier de la réponse. Il ne paraît pas vraiment intéressé, en fait. Mais c’est Archie. Il n’a de l’intérêt que pour lui-même et les prochaines filles qu’il invitera dans son lit pour prouver au monde entier qu’il est normal, pas malade. Pas comme Victor, et peut-être… « Rassure-moi, Link. T’es un homme, pas vrai ? » Il demande en tirant la fumée vers le haut, bras croisés sur sa poitrine, dos collé contre le tronc d’un arbre. Il se permet même le luxe de fermer les yeux, certain que son interlocuteur ne prendra pas la fuite. Il serait bête de le faire. S'il est moindrement intelligent, il lui mentira. Puis, tous les deux pourront mentir ensemble.

Riding with the King -- @Archie Kwanteen

Je pensais naïvement que changer d’école me permettrait de prendre un nouveau départ, d’apprécier les quelques années qu’il me reste avant d’avoir mon diplôme sans craindre qu’on m’attende à la sortie des classes ou même de me faire bousculer au tournant d’un couloir. La vérité, c’est que toutes les écoles sont pareilles, les agresseurs ont juste des traits et des noms différents. Depuis le temps que je me fais intimider à l’école, il ne m’a fallu que de quelques minutes en débarquant ici pour comprendre que le parasite de l’école s’appelle Archie Kwanteen, que c’est de lui que j’ai intérêt à me rapprocher si je ne veux pas me retrouver dans la catégorie des victimes. Le problème, c’est que lui et moi n’avons absolument rien en commun et que la petite voix dans ma tête me crie de fuir chaque fois que mon regard se pose sur lui, mais aussi difficile soit-il de l’accepter, sa protection semble être mon seul espoir de passer une année scolaire sans anicroche alors je joue le jeu du mieux que je peux en espérant être crédible et que la boule que j’ai dans le ventre chaque fois que je me retrouve en sa compagnie disparaisse un jour. « Tu rentres à la maison directement après les cours ou? » Je hausse les épaules sans trop oser regarder Tessa, je sais qu’elle n’approuve pas trop mes fréquentations ces derniers temps et je préfère éviter le sujet pour ne pas avoir à lui expliquer le pourquoi du comment car ça non plus elle n’approuverait pas. « Je ne sais pas trop encore… Ça va dépendre si je vois des potes. » Le mot sonne faux à mes oreilles parce que je sais que Kwanteen est tout sauf un réel ami, pas comme Adriel l’est. « Link… » Elle soupire, je la déçois et je le sais, mais je ne peux pas faire autrement. Rapidement, je lui fais une accolade d’un bras. « On se parle ce soir. À tantôt. » Sans attendre sa réaction, je prends mon cabaret et je m’installe à une table tout près avant de relever la tête en entendant au loin la voix du roi résonner. Le petit signe de la main qu’il me fait suffit à faire accélérer mon rythme cardiaque, mais j’y réponds malgré tout en lui souriant. Heureusement pour moi, nous ne sommes pas dans la même classe dans les cours qu’il me reste cet après-midi.

Sauf qu’à la sortie des classes, j’ai à peine le temps de prendre mon sac à dos dans mon casier que la brute m’accoste dans le couloir. « On va où? » demandé-je inquiet tout en tentant de camoufler comme je peux le malaise que je ressens à ce contact, à mes épaules qui remontent et ma tête qui bascule vers l’arrière en sentant son bras autour de mes épaules. Je veux qu’il me lâche, qu’il me laisse partir chez moi, mais il semble avoir autre chose derrière la tête ce soir et il ne m’en dira pas un mot, je le devine à son regard perçant et à ses sourires qu’il m’adresse probablement pour que je me sente mal. Spoiler alert, ça fonctionne. Dès que nous franchissons la porte de l’école, j’aperçois plus loin la bande d’Archie qui semble l’attendre. Ce n’est qu’en les voyant bondir vers Victor comme des loups que je comprends ce qu’ils s’apprêtent à faire. J’ouvre la bouche comme si j’avais soudainement un élan de courage pour défendre Victor, mais aucun son ne sort et je la ferme aussitôt tandis que mon regard inquiet croise celui d’Archie pendant une fraction de seconde avant que je détourne le regard, incapable de l’affronter. Est-ce que je suis le prochain? Je pourrais totalement être le prochain… il faut que je trouve moyen de partir d’ici au plus vite pour ne pas l’être, mais comment? Je panique, je déglutis difficilement et je passe à deux doigts de m’étouffer avec ma bave. Je grimace, impuissant face à la scène dont je suis témoin. « Tu as passé une bonne journée ? » Sa voix me sort de mes pensées et il me faut quelques secondes pour enregistrer ce qu’il vient de dire alors que je le fixe sans rien dire comme un idiot, les yeux grands ouverts comme un chevreuil aveuglé par des phares de voiture. « Hein? Oh uh… oui oui. Et toi? » Je me fou littéralement de sa réponse, je suis trop occupé à jeter des regards furtifs autour de moi pour trouver une porte de secours pour pouvoir fuir, mais mon regard est attiré par la cigarette qu’il me tend. J’ai envie de vomir rien qu’à penser poser mes lèvres au même endroit que les siennes, mais je sais que je dois accepter. La main tremblante, je prends la cigarette et je la porte à mes lèvres pour en prendre une bouffée, puis je la lui tends de nouveau. « T’es pas le genre de mec qui me colle au cul habituellement. » Je fronce les sourcils en riant nerveusement. Moi, lui coller au cul? « De quoi tu parles? » Je fais l’innocent, je vais clairement perdre à ce jeu. « Il est cool, ton frère. Tu ne lui ressembles pas du tout. Vous n’avez pas hérité des mêmes gênes ? » Je me sens mal de partager avec lui un détail aussi important de la vie de Freddy, mais ce n’est pas comme si mon frère se souciait de moi, pas vrai? Ce n’est pas comme si Archie allait se servir de cette information contre nous, pas vrai? « Tu connais Freddy? Non… on n’a pas… les mêmes gênes. Freddy a… il a été adopté. » Je me caresse la nuque d’une main en jetant un coup d’œil vers les cris et les gémissements plus loin. Mauvaise idée, je n’aurais pas dû regarder. J’ai mal au cœur. « Rassure-moi, Link. T’es un homme, pas vrai ? » Je l’interroge du regard en fronçant les sourcils, sans comprendre le sens de sa question, du moins pas immédiatement. Quelques secondes plus tard, le point d’exclamation est clairement visible sur mes traits et j’acquiesce d’un mouvement de tête rapide. « Oui oui… Je suis un homme. Un vrai! » dis-je en levant devant moi mon poing fermé. L’instant d’après, je me sens ridicule et je le baisse aussitôt avant de désigner Victor d’un mouvement de tête en osant poser sur Archie mon regard inquiet. « Il a fait quoi pour que… que vous le frappiez? » Je n’aurais peut-être pas dû lui poser la question, mais je veux comprendre pour me protéger, ne comprenant pas du tout mon rôle ici actuellement. À moins que… Et si j’étais ici pour une espèce d’initiation? Il faut vraiment que je parte d’ici… j’ai mal au cœur.

L’indifférence. C’est bien ce qui caractérise Archie lorsqu’il entreprend de raser le monde de ses victimes, arrachant leurs paysages de son bulldozer, transformant la végétation en désert, les verts en bruns et les sourires en peur. Il se prend pour Dieu, ou plutôt son opposé qui aurait détruit la terre plutôt que de la créer. Il s’est octroyé le droit de faire ce qu’il fait et, si personne ne l’a arrêté jusqu’à présent, c’est parce qu’il fait bien les choses.

Son travail n’est pas terminé. En fond les gémissements de Victor se fondent en décrescendo plus la douleur lui cloue les lèvres. Dans ses lèvres à lui ; une clope qu’il fume comme une récompense. « Hein? Oh uh… oui oui. Et toi? » Ça lui aura pris du temps pour répondre, dis donc. Ce Link aurait bien besoin de forger un caractère. La situation arrache un rire sadique à Archie qui prolonge le silence un peu plus longtemps pour profiter de la saveur du tabac et du vent rafraichissant sur ses joues. « Oh… Uh… Oui… oui… » Il l’imite enfin, lui jetant un regard malicieux avant de lui taper l’épaule comme s’ils étaient des frères, tous les deux. Il rit à nouveau avant de faire part d’une première interrogation qui lui trotte dans l’esprit depuis un moment déjà. Le garçon devant lui ne ressemble pas à ces sbires qui le suivent partout où il va comment des poissons accrochés à un requin. « De quoi tu parles? » Alors il veut jouer à ce petit jeu ? Il n’a pas une bonne main, ses piètres cartes ne le mèneront pas à la victoire. « Ne fais pas l’innocent s’il-te-plaît, nous perdrons moins de temps. On a tous les deux envie de rentrer chez nous, crois-moi. » Archie bredouille d’une voix plus austère, menteur. Non, il n’a pas l’intention de montrer le bout de son nez à ses parents de sitôt. Il ira louvoyer dans la ville avec sa bande de loups afin de prolonger son règne. Il n’est jamais prêt à baisser les armes, et c’est ce qu’il doit faire quand il rentre chez lui. Devant ses parents, il ne joue pas les krakens. Il est obéissant ; une fierté et rien de moins que le meilleur des frères. « Tu connais Freddy? Non… on n’a pas… les mêmes gênes. Freddy a… il a été adopté. » « Ça ne me surprend pas. » Il répond aussitôt sans laisser le temps à l’autre de respirer. « Je connais tout le monde, Link. Et pas seulement leur prénom. » Il le désigne du menton pour l’interpeller : « J’en sais un peu trop sur toi, d’ailleurs. » Des informations qui ne sont pas à son avantage, d’ailleurs. Le genre de potin qu’Archie attrape à deux mains pour ne plus jamais le lâcher. Victor aussi aime bien la danse. D’ailleurs, il est silencieux celui-là, et les autres garçons l’encerclent toujours mais ont cessé de le frapper.

« Oui oui… Je suis un homme. Un vrai! » Et Archie exploserait de rire devant la gestuelle de Lincoln, alors qu’il lève son poing fermé, témoin de sa soi-disant virilité. Mais il garde son sérieux, un sérieux à la fois serein et intimidant, dévisageant son interlocuteur d’un œil noir et dubitatif. « Uh uh. » Il lui laissera le bénéfice du doute si ça peut l’empêcher de chier dans son froc. « Il a fait quoi pour que… que vous le frappiez? » Il ne prend même pas la peine de regarder la victime. Il n’a d’yeux que pour son futur apprenti. « Pourquoi tu m’inclues dans ta question ? » Il demande d’une voix vexée. « Tu as dit « vous ». » Il précise, laissant tomber sa clope qu’il écrase avec sa semelle. « Je ne l’ai pas frappé, Victor. » Il se rapproche du garçon et, bien qu’il soit plus petit que lui, il lui fait de l’ombre en plantant ses yeux cruels dans les siens. « Tu m’accuses à tort. » Il marque une pause et reprend en pointant ses sbires : « Ils le frappaient injustement… Ils n’aiment tout simplement pas sa gueule. Le truc, Link, c’est qu’ils attaquent tout ce qui ne leur plaît pas. » Il vient lui murmurer près de l’oreille : « Je crois qu’ils n’apprécient pas le fait que Victor fait de la danse… Du moins, c’est mon interprétation. Ce n’est peut-être pas le vrai problème, mais il vaut mieux être prudent. » Il l’interroge du regard, la main posée sur son épaule. « Tu ne crois pas ? »

Riding with the King -- @Archie Kwanteen

Ça ne fait peut-être pas très longtemps que je viens à cette école, je connais suffisamment Victor pour savoir que nous nous ressemblons beaucoup. La différence entre lui et moi est qu’il tente tant bien que mal de se tenir le plus loin possible d’Archie alors que j’ai plutôt décider de me tenir avec lui pour avoir sa protection. Deux garçons, deux stratégies différentes. En voyant les amis de Kwanteen rouer le pauvre Victor de coups aujourd’hui me convainc que j’ai fait un meilleur choix que lui même si je sais au fond de moi que je joue à un jeu dangereux et que je risque de le regretter un jour s’il se doute de quoi que ce soit. « Oh… Uh… Oui… oui… » Je ris nerveusement lorsque sa paume s’écrase sur mon épaule. Peut-être que je ne me défends pas et que je joue à l’innocent, je ne suis pas dupe, je sais très bien qu’il se moque ouvertement de moi. Des fois je me surprends à m’imaginer en train de lui coller mon poing dans la figure pour me venger et venger toutes ses victimes, mais je suis rapidement ramené à la réalité par ma peur et mon manque de courage et je ne fais rien. « Ne fais pas l’innocent s’il-te-plaît, nous perdrons moins de temps. On a tous les deux envie de rentrer chez nous, crois-moi. » Comme Victor, il y pense ça? Moi j’y pense, beaucoup, surtout quand j’ose lancer un regard dans sa direction qui me fait grimacer juste à imaginer la peur et la douleur qu’il doit ressentir à l’instant. « Les contraires s’attirent. » Ou qui se ressemblent s’assemblent, comment choisir l’expression qui nous convient selon la situation. La vérité, c’est que je n’ai rien en commun avec Archie si ce n’est que nous fréquentons la même école. Il se méfie, je le vois bien, et il a raison. Je me sens pris au piège, incapable de trouver une raison valable à lui donner pour qu’il me trouve crédible. « Je veux… me dégêner, j’aimerais ça… avoir confiance comme toi. » Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée de lui dire tout ça, mais c’est la seule chose qui me passe par la tête. Tout ça serait tellement plus facile si j’avais autant de facilité à aller vers les autres que Freddy, mon frère sur qui Archie me questionne justement. « Ça ne me surprend pas. Je connais tout le monde, Link. Et pas seulement leur prénom. » Leur nom de famille aussi? « J’en sais un peu trop sur toi, d’ailleurs. » Ah. Ah? Mal à l’aise, je croise mes bras contre mon torse en fronçant les sourcils. « Sur moi? Je ne vois pas de quoi tu parles… Je suis juste un mec sans histoire. » Un jeune qui tente d’obtenir son diplôme sans faire de vague, sans se faire enfoncer sans son casier dès qu’il a le dos tourné. « À moins que tu parles de quand je me suis fait prendre à voler des bonbons dans un magasin quand j’avais huit ans? » Bon ok, je suis loin d’être un gros caïd, mais il m’arrive de faire des choses que je ne devrais pas faire alors je lui sers l’information sur un plateau d’argent en espérant que ça détourne l’attention de ce qui pourrait réellement l’intéresser.

Dès l’instant où je lève mon poing serré pour montrer à quel point je suis supposément viril, je regrette ma décision et je me trouve complètement bête. À ça s’ajoute un profond malaise lorsque je constate que Kwanteen me dévisage. Instinctivement, mes épaules roulent vers l’avant dans l’espoir de me faire plus petit comme un chien qui veut être le moins menaçant du monde pour désamorcer le conflit. « Uh uh. » Incapable de soutenir son regard plus de deux secondes, je détourne la tête vers Victor qui se fait de plus en plus silencieux. Qu’est-ce qu’il a bien pu faire pour mériter de se faire tabasser à la sortie des cours? « Pourquoi tu m’inclues dans ta question ? » Je relève timidement les yeux vers Archie. « Hein? » « Tu as dit « vous. Je ne l’ai pas frappé, Victor. Tu m’accuses à tort. » Je déglutis difficilement en reculant d’un pas. Mon cœur bat tellement fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de mon corps. « Tu as raison, je suis désolé… » D’un mouvement de tête, je désigne ses amis, le regard apeuré. « Ils, pas vous. » Pas que ça changeait vraiment grand-chose dans la situation, parce que Kwanteen est assurément complice, mais je suis prêt à dire tout ce qu’il veut en ce moment si ça peut m’aider à sauver ma peau. « Ils le frappaient injustement… Ils n’aiment tout simplement pas sa gueule. Le truc, Link, c’est qu’ils attaquent tout ce qui ne leur plaît pas. » Lorsque le jeune homme s’approche de moi, ma tête a un léger mouvement de recul, mais pas le reste de mon corps qui ne bouge pas d’un millimètre comme si mes pieds étaient collés au sol. « Je crois qu’ils n’apprécient pas le fait que Victor fait de la danse… Du moins, c’est mon interprétation. Ce n’est peut-être pas le vrai problème, mais il vaut mieux être prudent. Tu ne crois pas ? » Ma petite voix intérieure me crie de partir, mais j’en suis incapable, persuadé que j’aurai droit au même supplice que Victor. Alors je reste, le regard plongé dans celui d’Archie après qu’un frisson m’ait parcouru l’échine au contact de son souffle sur mon oreille. Il est trop proche, beaucoup trop près, je veux juste qu’il sorte de ma bulle. « Oui. Oui oui, tu as raison. Vaut mieux être prudent. » Je renifle en lançant un énième coup d’œil dans leur direction. « Je pensais qu’ils aimaient la danse? Vous devez sortir dans des clubs, non? » Évidemment que je sais que ce n’est pas la même chose, mais je préfère faire l’innocent peut-être en espérant qu’ils me laissent tranquille en se disant que je suis facilement manipulable. « On n’allait pas quelque part? » demandé-je nerveusement en espérant que ça motiverait tout le monde à bouger et donc à laisse tranquille Victor. Dans quoi est-ce que je me suis embarqué?

« Les contraires s’attirent. » Non, les contraires se disputent, s’arrachent les cheveux, grognent comme des animaux, crachent, griffent, mordent. Dans ce scénario-là, Lincoln n’aurait pas la moindre chance contre le fier dragon de Komodo braqué devant lui et, même s’il s’en tirait avec quelques égratignures, le venin de sa bave infâme ferait pourrir sa chair jusqu’à ce qu’il se décompose quelques jours plus tard. C’est beau, la nature. Elle ne pardonne pas, la nature. « Je veux… me dégêner, j’aimerais ça… avoir confiance comme toi. » Sa manière de lui parler est presque attendrissante. Il a bien révisé son texte ou, alors, il a de bonnes capacités d’adaptation. Quoique, son ton est encore un peu tremblant et ses mots perdent en force sur la longueur. Il y a beaucoup de travail à faire. « Adorable. » Qu’Archie finit par fredonner en le soutenant du regard pour le gêner encore plus. Il paraît que les timides détestent les contacts visuels trop insistants.

Il mentionne Freddy, le frère de Lincoln, pour mieux les comparer tous les deux. Il connait aussi l’existence d’une sœur mais, celle-là, à part connaître la taille de son soutif et la couleur de ses lèvres, il ne peut pas en dire beaucoup. Les filles, Archie les classe toutes dans le même dossier. Les garçons, c’est différent. Il y a les braves, les cools, les chiants, les intellos, les fragiles et, Lincoln, il s’est réservé une place dans cette dernière catégorie sans avoir à lever le petit doigt. Il suffit de le voir se recroqueviller comme une tortue quand on l’approche trop, ou de l’entendre s’excuser alors qu’il n’est pas celui qui a commis le tort. « Sur moi? Je ne vois pas de quoi tu parles… Je suis juste un mec sans histoire. » Il esquisse un sourire, se cloue les lèvres avec sa clope. La prochaine répartie du garçon lui arrache un rire qui vient des entrailles. Il le pointe du doigt, hilare, crachant, enfumé : « En fait, t’es un marrant ! Je t’avais mal jugé ! » Il lui laisse juste assez de temps pour se détendre et penser qu’il s’en est tiré d’affaire avant de redevenir sérieux, de soutenir son regard à nouveau, de tordre l’atmosphère et de l’assombrir. Un long silence suit, seulement coupé par les plaintes de Victor qui écope d’une injustice derrière la silhouette de Lincoln, le prochain. Il fume, souffle vers le haut, se racle la gorge. « Mais, non, je ne parlais pas de ton petit exploits dans la boutique de friandises. » Il hausse un sourcil, penche la tête sur le côté, le détaille avec mesquinerie. « C’est difficile, comme sport, la danse ? » Archie demande enfin d’un air innocent.

Mais, peu importe la réponse du petit danseur, l’avis d’Archie est déjà fait. L’avis du monde entier aussi, d’ailleurs ; il n’y a que les filles qui portent le tutu, c’est ainsi. Il pose enfin une question intéressante : pourquoi Victor se fait-il ainsi déformer le portrait ? C’est vrai, ça. Pourquoi ? Ça pourrait paraître injuste pour celui qui ne comprend pas, et celui qui doit apprendre la loi de la jungle. « Oui. Oui oui, tu as raison. Vaut mieux être prudent. » Exactement le comportement d’un suiveur. Archie aurait presque envie de le prendre sous son aile et de l’utiliser à ses fins si sa manière de se tenir debout n’était pas aussi branlante. Il ne pourra pas se fondre au groupe. Il détonne, c’est indéniable. Ses poings ne se fermeront jamais pour assommer. Ses rotules se casseraient avant la mâchoire ciblée. « Je pensais qu’ils aimaient la danse? Vous devez sortir dans des clubs, non? » Il s’humecte les lèvres, laisse un sourire pervers retrousser ses lèvres. « Quand on est accompagné de filles, ouais. » Nouvelle latte tirée vers le haut. « Leurs fesses collées contre mes hanches. Les caresses qu’on se fait en scred. Et parfois, ça se termine dans les toilettes ou dans une chambre, s’il y en a une disponible. » Il note ses réactions, ses joues qui rougissent pour mieux afficher sa gêne vis-à-vis des mots qui ne devraient pas être prononcés par un garçon de seize ans. « Tu sais de quoi je parle, Link ? » Il commence à l’apprécier, ce petit surnom manipulateur.

« On n’allait pas quelque part? » Il lâche un gloussement, secoue la tête. « Nope. Enfin, je ne pense pas que tu as été invité. On ne sait pas encore si on peut te faire confiance. » Il étire le cou pour regarder sa bande de hyènes derrière : « Eh, les mecs ! Apportez-nous son sac ! On doit faire un peu de tri. » Et le malentendu lui extirpe un grognement mécontent : « Pas ce sac-là, le sac de sport ! » Il précise en envoyant sa main en l’air, un geste qui fait s’exécuter les idiots : l’un d’eux rejoint Lincoln et Archie avec le sac de sport que ce dernier lui arrache des mains. Il l’ouvre, y envoie fouiner sa main, en ressort des chaussures de danse puis une sorte de pantalon noir moulant qui lui arrache une grimace de dédain. Il le tend à Lincoln, ainsi que son briquet : « Alors ? Est-ce qu’on peut te faire confiance, Link ? » Et, derrière, les yeux mouillés de Victor se lèvent alors qu’il lâche une supplication : « Non, s’il-vous-plaît, pas mon équipement ! » Une supplication qui ressemble davantage à un couinement de roadkill de la part de celui qui peine à se relever, l’arcade sourcilière déchirée et le nez noirci.

Riding with the King -- @Archie Kwanteen

« Adorable. » Le ton qu’il emploie pour prononcer ce simple mot me donne envie de vomir. Je ne sais pas à quoi j’ai pensé en me rapprochant de lui, mais pour le moment, le seul bénéfice que j’y vois c’est de ne pas me faire taper dessus parce que niveau moqueries, il ne se gêne pas du tout. Au contraire, il semble prendre un malin plaisir à me rendre mal à l’aise dès qu’il en a l’occasion, comme en ce moment où il me fixe avec intensité. Je sens mes jambes ramollir à mesure que les secondes passent et si j’essaie de soutenir son regard comme je peux, il ne suffira de quelques secondes pour que je détourne la tête. Il a gagné une fois de plus et j’ai juste envie de disparaître quelque part où il ne pourra pas me retrouver.

Archie éprouve beaucoup trop d’intérêt en ma personne à mon goût, je voudrais simplement me fondre dans la masse et qu’il ne me remarque pas parmi tous ses amis, mais considérant que je n’ai aucun point en commun avec les idiots qui tabassent Victor non loin de nous, c’est difficilement réalisable. Même si je sais qu’il y a peu de chances que ça fonctionne, je tente de le convaincre que je suis un garçon sans histoire dans l’espoir qu’il me laisse tranquille et qu’il m’oublie. « En fait, t’es un marrant ! Je t’avais mal jugé ! » Je sens la tension se relâcher dans mes épaules alors que je ris légèrement, mais le soulagement ne sera que de courte durée, je le comprends lorsque son visage redevient bien trop sérieux et qu’un lourd silence s’installe entre nous, brisé seulement par les coups reçus par Victor ainsi que ses plaintes de douleur. « Mais, non, je ne parlais pas de ton petit exploits dans la boutique de friandises. » Mes épaules se crispent aussi vite qu’elles s’étaient relâchées et la peur se répand jusque dans mon regard noisette. « De quoi tu parlais alors? » demandé-je à voix basse en caressant instinctivement mon avant-bras pour calmer mon stress. « C’est difficile, comme sport, la danse ? » Complètement figé, je déglutis difficilement sans le quitter des yeux. J’ai toujours voulu lui cacher que je dansais, sachant trop bien que ça lui donnerait une raison pour me malmener comme ses amis le font actuellement avec Victor, mais je comprends à sa question qu’il est au courant. Pourquoi n’a-t-il rien dit avant aujourd’hui? Vient-il seulement de le découvrir? « C’est… exigeant. » Les mains moites, je les essuie sur mon pantalon en passant ma langue sur mes lèvres qui, elles, sont au contraire bien trop sèches comme ma gorge. « C’est pour ma sœur que j’en fais, mes parents nous ont inscrits ensemble. Je n’aime pas ça. » Je tente d’être convainquant dans ma réponse même si je rêve de faire de la danse une carrière et que c’est le seul endroit où je réussis à être plus ou moins à l’aise dans mon corps.
Je n’ai jamais compris pourquoi les danseurs attiraient autant les moqueries considérant que les gens populaires ont tendance à fréquenter les bars pour, entre autre, aller danser. Archie et ses amis doivent bien fréquenter ces établissement aussi, non? Je suis certain qu’il a une fausse carte, ce serait totalement son genre. « Quand on est accompagné de filles, ouais. Leurs fesses collées contre mes hanches. Les caresses qu’on se fait en scred. Et parfois, ça se termine dans les toilettes ou dans une chambre, s’il y en a une disponible. » Je peine à réprimer la grimace qui menace d’apparaître sur mes traits. La façon qu’il a de parler des filles comme s’il ne s’agissait que d’objets me dégoûte. « Tu sais de quoi je parle, Link ? » Je ne prends même pas le temps de réfléchir et je hoche la tête pour ne pas avoir l’air trop hésitant. « Oui oui, je vois très bien ce que tu veux dire. » dis-je en mettant mes mains dans mes poches en détournant la tête. Ce n’est pas tout à fait un mensonge, non? Je comprends ce qu’il veut dire, oui, mais est-ce que je l’ai déjà fait? Non…

La vue de Victor au sol et le son de ses plaintes sont de plus en plus difficiles à supporter. J’ai besoin d’air, de partir d’ici pendant qu’il en est encore temps. Ma petite voix me crie de partir et je sais qu’elle a raison. Je suis en danger. À défaut de pouvoir partir seul, peut-être pouvons-nous au moins partir d’ici pour mettre fin au supplice de mon partenaire de danse? « Nope. Enfin, je ne pense pas que tu as été invité. On ne sait pas encore si on peut te faire confiance. » Invité où de toute façon? Je ne sais même pas quels sont leurs plans… « Pourquoi pas? Je n’ai rien fait… » demandé-je en riant nerveusement. « Eh, les mecs ! Apportez-nous son sac ! On doit faire un peu de tri. Pas ce sac-là, le sac de sport ! » Je fronce les sourcils en entendant la demande d’Archie. Je me méfie de lui une fois de plus, je n’ai pas un bon pressentiment. Il vient de dire qu’ils ne pouvaient pas me faire confiance, j’ai l’impression que le moment est arrivé où je devrai me prouver à eux et ça ne me rassure pas du tout. J’ai mal au cœur. « Alors ? Est-ce qu’on peut te faire confiance, Link ? » Mon regard se promène entre les pantalons noir et le visage d’Archie. J’hésite, d’autant plus lorsque j’entends Victor supplier qu’on épargne ses choses. « Non, s’il-vous-plaît, pas mon équipement ! » Je sais que je n’ai pas le choix sinon je finirai de la même façon que lui. J’évite de le regarder comme la peste même si j’ai juste envie de m’excuser. « Je te dis que oui. » Sans quitter Archie des yeux, je prends le briquet et le pantalon qu’il tenait dans ses mains. Je prends une grande bouffée d’air, je tends les bras devant moi et j’allume le briquet tout juste sous le coin d’une des pattes du pantalon. Je pourrai toujours lui en racheter un ensuite pour me faire pardonner…

Il en croisera plusieurs, des garçons comme Lincoln. Il ne pourra pas toujours les choper dans ses crocs et les utiliser comme des marionnettes afin de satisfaire ses besoins et de rassasier son égo. Il prendra des années, terminera ses études avec le meilleur diplôme en poche puis il se confrontera à une réalité dans laquelle il ne pourra plus obtenir ce qu’il désir de la même façon. Il devra s’adapter à une nouvelle réalité mais, pour le moment, il se contente d’abuser de ce qu’il possède aujourd’hui du haut de ses seize ans. Un empire à ses pieds, des paysans qui le craignent plus qu’ils ne l’admirent mais ça lui convient, de faire baisser les yeux. Ainsi, personne ne peut percer sa coquille et comprendre les intentions derrière ses actes tous plus égoïstes les uns que les autres. « De quoi tu parlais alors? » S’il le disait à voix haute et sans emprunter de détour, ce serait bien plus simple. Mais, utiliser les mots comme ils sont, c’est impossible pour un Archie qui croit qu’il pourrait fragiliser son bouclier s’il les employait, les termes tels qu’ils sont, les définitions qui l’ont intoxiqué lui et ses pensées. Alors c’est plus facile de parler de la danse, ce sport bien plus artistique que les autres et qui plaît habituellement aux filles. « C’est… exigeant. » Il croise son regard, note la fine couche de sueur sur son front. Il est certain qu’elle n’a pas été provoquée par le soleil d’après-midi qui tape sur leurs têtes découvertes. « C’est pour ma sœur que j’en fais, mes parents nous ont inscrits ensemble. Je n’aime pas ça. » L’excuse lui arrache un rire, encore un, qui détourne ses intentions et le fait passer pour un mec bon public. « T’es en train de me dire que tu te laisses influencer comme ça par tes vieux et ta sœur ? Tu sais, t’as le droit de choisir ce que tu veux faire. Qu’est-ce qui t’intéresserait vraiment ? » Il l’interroge du regard, cherchant la faille dans son discours mensonger.

Et Lincoln essaye de renvoyer la balle dans son camp, prétend que tout le monde apprécie de danser puisque les bars n’existent que pour ça. Et pour vendre de l’alcool, aussi. Mais Archie s’empresse de préciser que ce n’est pas le même type de danse qui est exercé dans ces cas-là. C’est une danse qui se fait à deux, de la chair qui s’empoigne et de la peau qui se frotte pour présager la suite dans un lieu plus intime. « Oui oui, je vois très bien ce que tu veux dire. » Il n’aura pas besoin de le dire deux fois : quoique, ça ne l’aurait pas dérangé d’insister sur le sujet des filles afin de convaincre le monde entier qu’il n’y a qu’elles qu’il regarde, lui, et qu’il n’a jamais douté. Il ne sentirait pas le besoin de le faire si ce n’était pas un mensonge. Il sentirait encore moins le besoin de le faire s’il n’avait pas peur que Lincoln puisse comprendre sa supercherie parce qu’il pourrait les voir, les indices, s’il creusait un peu. Heureusement, il ne lui laissera jamais le temps de le faire et ne lui prêtera jamais la pelle pour y arriver. Dans une ultime tentative de se dérober de cette situation oppressante, Lincoln propose de bouger un peu – de laisser Victor, surtout. Mais Archie ne le laisse pas s’en tirer si facilement. Il n’a pas encore passé son initiation. Comment pourrait-il lui faire confiance autrement ? C’est le costume de danse de la victime qui se trouve entre les mains de la brute, et il le laisse flotter juste sous les yeux de Lincoln pour lui laisser le temps de réfléchir et de comprendre ce qu’il devra faire pour officiellement faire partie de la bande (pour ne pas se faire taper, surtout). Il apprécie le cran dont il fait preuve quand il attrape le pantalon ainsi que le briquet, malgré les supplications de Victor qui n’aura jamais eu la chance de se défendre. « Je te dis que oui. » La flamme s’allume, ainsi que celle dans les yeux d’Archie, qui observe avec gourmandise le pantalon qui vire au noir, gobé par les flammes. « Parfait. » Qu’il marmonne quand la flamme est arrivée jusqu’au genou. Il récupère son briquet et fait claquer ses doigts (oui) pour faire signe à sa troupe qu’il est temps de foutre le camp. Il jette un dernier regard moqueur à Lincoln avant de lui souffler : « Alors on se revoit plus tard. » Nope, t’es pas invité. « Y’a que quatre places dans la voiture. » Puis il le contourne, sort de sa poche les clefs de sa bagnole, direction sa Pontiac d’occasion (oui), suivi par les hyènes qui se battent pour voir la place en avant afin de ne se pas se retrouver coincé en arrière comme des sardines.    

Riding with the King -- @Archie Kwanteen

« T’es en train de me dire que tu te laisses influencer comme ça par tes vieux et ta sœur ? Tu sais, t’as le droit de choisir ce que tu veux faire. Qu’est-ce qui t’intéresserait vraiment ? » La vérité c’est que je ne me souviens même plus comment j’ai commencé à faire de la danse tellement ça fait longtemps. J’imagine que mes parents ont inscrit Tessa pour commencer et que j’ai dû me joindre au cours à mon parce que je n’étais jamais bien loin de ma sœur jumelle. Dire que j’ai continué à danser pour faire une activité avec elle serait un gros mensonge, j’ai développé une réelle passion pour ce sport qui me permet d’être un peu plus à l’aise dans mon corps, au moins quand je performe du moins. Toutefois, les moqueries que ma passion suscite commencent sérieusement à me donner envie de tout lâcher pour qu’on me laisse enfin tranquille. « J’aime passer du temps avec ma sœur et ça lui fait plaisir… » tenté-je de me justifier. En même temps, Archie n’avait pas complètement tort en disant que je me laissais influencer. Peut-être pas en ce qui concerne la danse, mais je suis conscient que ma prise de décision est très influencée par l’opinion des gens autour de moi. Mon manque de confiance en moi me pousse à prendre des décisions qui me donneront l’approbation des gens autour de moi, même si au final ce n’est pas la décision que j’aurais prise si j’étais seul. « J’aime… les voitures. » Ce qui n’est pas du tout un mensonge, même si ce n’est pas une passion au même titre que la danse. « Je ne me débrouille pas trop mal en mécanique. » Je n’ai pas le désir d’en faire une carrière, mais j’apprécie les moments passés avec papa à bricoler sur sa voiture.

J’essaie de me prouver comme chaque fois que je suis en sa présence, mais j’ai le sentiment de ne jamais en faire assez, qu’il faudra toujours que j’en fasse plus pour le satisfaire. Jusqu’à la prochaine fois. Aujourd’hui, il se sert de moi pour ridiculiser Victor et j’en ai conscience, mais je n’ai d’autre choix que de faire ce qu’il me demande si je ne veux pas être le prochain Victor. J’ai déjà changé d’école une fois, je ne peux pas faire toutes les écoles de la ville l’une après l’autre. C’est partout pareil… « Parfait. » Mon regard se pose sur celui d’Archie dans lequel j’aperçois la flamme du pantalon de Victor danser et, à cet instant, je le déteste un peu plus. J’aimerais avoir le courage de lui faire goûter un tant soit peu à sa médecine, mais je ne suis qu’un lâche qui fait aux autres ce qu’il ne veut pas qu’on lui fasse pour survivre dans la jungle qu’est la cour de notre école. Je ne bouge pas d’un poil lorsque Kwanteen récupère le briquet que je tenais toujours entre deux doigts et quand il claque des doigts, je l’observe en restant sur mes gardes. « Alors on se revoit plus tard. » Je retiens mon souffle, ne voulant pas me réjouir trop tôt. « Y’a que quatre places dans la voiture. » Je hoche la tête sans dire un mot et ce n’est que lorsque la voiture se met en marche que j’ose enfin respirer, mes épaules se détendant. Dès que la voiture n’est plus dans mon champ de vision je me tourne vers Victor. « Je suis tellement désolé, je n’avais pas le choix… » Je le supplie du regard d’accepter mes excuses, mais il me regarde à peine en récupérant son sac. « On a toujours le choix Lincoln, on a toujours le choix… » Désemparé, je le regarde partir presque en courant sans oser bouger. Ce n’est que quelques minutes plus tard que je quitte enfin vers la maison sans trop savoir ce que je répondrai à mes parents lorsqu’ils me demanderont ce que j’ai. Je suis un trou de cul, je ne vaux pas mieux qu’Archie et sa bande…