Maison familiale des Griffiths, 17h30.

Matilda demanda à la styliste d’arranger la robe de sa Maddy chérie. Elle devait être parfaite. Elle avait été parfaite aujourd’hui, en décrochant la couronne de Miss Queensland. Elle pensait que la compétition serait enfin finie, mais son vrai travail de reine de beauté commençait maintenant. Pas le temps de célébrer sa victoire ou d’aller se reposer dans les bras de son petit ami Marlon, les sœurs Griffiths étaient attendues pour leur première interview à la télévision locale.

Maddy connaissait les studios de la ABC, son papa l’avait souvent emmené en ces lieux, pour qu’elle se familiarise avec l’univers de l’audiovisuel. Mark Griffiths était un réalisateur réputé et reconnu pour les feuilletons qui étaient diffusés en prime time. Dès que Maddy avait été capable de parler avec une allocution acceptable et que son visage arrondi de bébé s’était affiné pour devenir une jolie petite fille, il avait planté la graine dans le cerveau de son enfant pour qu’elle aime le cinéma. Sauf que Matilda avait eu son mot à dire, elle voulait que sa fille devienne une princesse, une reine de beauté, une mannequin, un trophée qu’elle adorait exhiber. Mark et Matilda avaient longtemps étaient en conflit sur le futur de leur si précieuse Maddy. Après de nombreuses disputes, ils avaient enfin trouvé un compromis. Maddy commencera par participer au concours local de Miss Queensland. Matilda avait tout fait pour que sa fille soit la meilleure, négligeant la pauvre petite Mabel qui avait dû suivre les pas de sa sœur sans grande conviction. Le plan des parents Griffiths avait été minutieusement étudiés. Le concours mettra en lumière leur si-Parfaite-Maddy dans le but de décrocher des futurs contrats, principalement pour le petit écran. Au final, les parents s’étaient rendus compte que Madeline était bien plus douée en comédie tandis que Mabel avait un physique fait pour évoluer dans le mannequinat, même si à l’heure actuelle, la cadette était en pleine crise d’adolescence. Matilda était devenue verte de colère lorsqu’elle avait découvert le piercing de son enfant, tandis que Maddy était devenue rouge de honte. Elle ne comprenait vraiment pas comment sa petite sœur pouvaient apprécier ce genre d’accessoires, trop impure pour la nouvelle miss de beauté.

« Mabel, viens voir comme ta sœur est jolie dans sa robe ! » Maddy admira son reflet dans le miroir, elle trouvait cette robe dorée splendide sur elle. La Griffiths tout juste âgée de dix-huit ans n’avait pas encore l’habitude de porter des tenues aussi luxueuses. Pourtant, elle allait devoir s’y faire rapidement. « Jolie, oui. Au moins, la robe cache bien son ventre » Le sourire de Maddy s’évanouit, elle posa ses mains sur sa taille. Mabel était juste jalouse, elle ne dirait pas ses mots si elle n’avait pas subi le même régime alimentaire que son ainée. La blonde était convaincue que sa place de première dauphine était la cause principale de sa provocation. Maddy n’avait plus l’âge pour ses enfantillages, elle était désormais majeure, et elle prenait très au sérieux ses nouvelles responsabilités. L’ainée des Griffiths descendit de son estrade, laissant la place à Mabel qui était en train de regarder d’un air blasé le portant de robes. Les sœurs s’ignorèrent et Maddy se dirigea de côté opposé de la chambre où une maquilleuse ainsi qu’une coiffeuse l’attendaient avec un énorme sourire et le regard remplit d’admiration.

Studios de la ABC, 19h45

Matilda toute pimpante parlait à tout le monde. Maddy anxieuse répétait son discours dans sa tête, tandis que Mabel était sur son téléphone. Un assistant escorta les trois Griffiths pour s’installer sur le plateau principale du 20h00. Les mains de Maddy se mirent à trembler, c’était la première fois qu’elle allait parler à la télévision devant des milliers de personnes. Miss Maddy fut installée au milieu, entourée par sa mère et sa sœur toujours aussi désintéressée. « Mabel fait un petit effort. C’est un privilège d’être en ces lieux pour une interview exclusive. » qu’elle murmura afin que Matilda n’entende rien et que Mabel se redresse sur sa chaise. Elle était épuisante à la longue, mais Mabel restait Mabel.

Si-Parfaite-Maddy voulait tout contrôler, pourtant elle se heurte aux messes basses de ses parents et la mauvaise humeur de sa petite sœur. Madeline voulait que sa première interview en tant de Miss Queensland soit parfaite. Elle souhaitait que son couronnement ainsi que son année soit un succès, un souvenir mémorable, inoubliable. Elle prenait ses nouvelles responsabilités très à cœur. Enfin, elle avait l’impression de faire quelque chose d’utile. Sa personnalité, ses ambitions, ses engagements ainsi que son grand cœur avaient conquis le jury et le public. La beauté n’était que secondaire pour elle, même si sa mère ne partageait pas cet avis.

L’ainée essaya de temporiser son anxiété. Matilda attrapa vivement la main tremblante de sa fille sous la table. Elle manqua de lui écraser les doigts, Maddy se força à afficher un grand sourire pour contenir sa grimace de douleur. Pendant ce temps, Mabel ronchonnait de l’autre côté. Maddy leva les yeux au ciel aux propos de sa cadette. Elle lui aurait bien répondu, mais ce n’était pas son genre. Pas devant papa et maman, encore moins devant un public. Elle devait être p-a-r-f-a-i-t-e. Alors elle laissa ses parents faire leur job. Pour une fois, ils n’étaient que présents pour les événements médiatiques. Mark Griffiths ne manqua pas de répéter le mot « famille » qui n’avait aucune profondeur aux yeux de l’ainée. Encore un point que Maddy préféra ignorer, elle ne voulait pas gâcher sa réussite du jour et surtout sa bonne humeur.

Le compte à rebours fut lancé et le présentateur commença son speech. Il s’adressa aux téléspectateurs pour ensuite se tourner vers les Griffiths. Inévitablement, Matilda coupa la parole à Maddy alors que l’animateur s’adressa à l’élue du jour. Une nouvelle fois, la blonde ne dit rien, affichant son parfaite sourire Colgate avant de prendre la parole d’une voix assurée. Elle remercia tout le monde pour leur accueil chaleureux et leur soutien sans faille. Une nouvelle fois, Maddy annonça ses projets en tant que Miss Queensland. Ses engagements : le soutien aux familles démunies ainsi qu’une participation active à l’association du Royaume Enchantée de l’Hôpital Saint-Vincent destinée au service pédiatrique. Madeline devenait la nouvelle marraine, la bonne fée de cette organisation caritative. Cela tenait à cœur à la Griffiths qui avait toujours eu un instinct maternel très développé, plus que Matilda en tout cas.

Le discours de Maddy fut salué et applaudi. Elle était fière d’elle la Griffiths. Elle espérait que ses parents aient compris le message. Elle aimerait formé une vraie famille. Pauvre naïve. Cette fois-ci, le présentateur se tourna vers Mabel. Il ne manqua pas de reluquer sa petite sœur, puis posa la question qui fâche. Maddy se mordit l’intérieur des joues. « Et vous Mabel, ça vous fait quoi d’être la première dauphine de Miss Queensland ? » Ou comment mettre les deux pieds dans le plat. « Je dois avouer que le match était serré, vous êtes toutes les deux d’une grande beauté. C’est une histoire de famille à ce que je vois ! Quel est votre secret ? » Oh oh. Maddy avait très -très- peur de la réponse de sa benjamine.

Perfection rime avec contrôle, Maddy ne peut anticiper les mots de sa petite sœur. Elle a envie de fusiller le présentateur du regard pour sa question. Dieu seul sait de quoi Mabel est capable. Miss Maddy garde son sourire parfait sur le visage mais ce n’est qu’une façade. Elle panique grave à l’intérieur. L'aînée retient son souffle, elle a soudainement l’impression d’étouffer dans sa robe de princesse lorsque sa cadette prend la parole. Elle voit les caméras se braquer sur la belle blonde.

La première phrase passe sans encombre, Maddy se détend légèrement attendant que Mabel la félicite, mais rien. Même si elle ne le dirait jamais de vive voix, Maddy est blessée, ça lui fait quelque chose. Elle aurait aimé le soutien, la bénédiction de sa petite sœur car malgré leur famille dysfonctionnelle, elle est sa meilleure alliée dans toute cette mascarade.

Depuis que les sœurs sont devenues des adolescentes, un gouffre s’est creusé entre elles emportant leur complicité, leur insouciance sur le passage. Elle en veut à ses parents pour ça, pour leur éducation de merde, pourtant Si-Parfaite-Maddy ne peut pas manifester son désaccord. Elle est l’ainée, elle doit montrer l’exemple. C’est comme ça que les Griffiths fonctionnent, tout est sous contrôle. Du moins Matilda et Mark essayent de contrôler leurs filles comme des petits pantins, même si elles ne sont plus des enfants depuis des années. Elles l’ont compris, elles ne sont pas débiles.

Mabel remue le couteau dans la plaie en mentionnant les pratiques de leurs parents. Même si Maddy est fière d’avoir remporté ce concours de beauté pour le côté caritatif, elle n’apprécie pas tout le reste. Le besoin constant de Matilda de comparer ses progénitures depuis qu’elles sont en âge de marcher et parler.

Le sourire de Maddy s’évanouit sur son visage, elle a le droit à un regard noir de sa mère. Elle l’ignore ce qui a le don de contrarier Matilda pendant que Mabel a la parfaite opportunité de poursuivre son interview.

En entendant la dernière phrase de sa petite sœur, le cœur de Maddy se serre dans sa poitrine. Maddy n’est pas d’accord, elle aimerait lui témoigner  qu’elle a toujours été la première personne qu’elle a aimé dans sa vie. Cependant toutes ses caméras autour d’elles empêchent la jeune fille de s’exprimer librement, sincèrement.

Pendant que Matilda reprend la parole pour sauver la situation, Maddy observe le public rigoler à la remarque piquante de Mabel. Ça ne la faisait pas rire mais les autres ne peuvent pas comprendre les sous-entendus de cette phrase.

L’interview touche à sa fin, Matilda se précipite vers le présentateur pour faire la lèche-botte tandis que les sœurs retournent dans la loge qu’elles partagent. Maddy se pose devant sa coiffeuse, elle croise le regard de sa petite sœur dans le miroir. Avec précaution, l’adolescente enlève la couronne de ses cheveux et son écharpe. Il n’y a plus de caméra, de photographe autour d’elles. Il y a juste Mabel et Maddy, juste deux sœurs aux destinées opposées.

”J’aurais aimé que ça se passe autrement.” que soupire Maddy d’une voix désolée. Elle a toujours trouvé Mabel plus jolie qu’elle. C’est un concours de beauté après tout, mais la personnalité et l’aura de Maddy semblent avoir conquis le cœur du public. Elle est à la fois fière et gênée de sa victoire par rapport à sa sœur. C’est un étrange sentiment. ”Ca m’aurait fait plaisir que tu me félicites Mab.” Mais bon, elle comprend qu’elle n’ait pas envie de le faire, surtout en étant arrivée deuxième, comme une malédiction suivant perpétuellement Mabel.

”Arrête de m’appeler comme ça Mabel.” Pour la première fois de la soirée, le regard de Si-Parfaite-Maddy devient sombre. Lla colère monte doucement en elle. Maddy n’a jamais aimé ce surnom, elle apprécie encore moins qu’on évoque sa perfection. Elle est comme une ombre la suivant partout où qu’elle aille, lui rappelant constamment son devoir d’être parfaite. Sa responsabilité en tant qu’aînée est de montrer l’exemple au monde entier. Tous les regards sont braqués sur elle, seulement elle et ce n’est pas le sentiment le plus agréable à vivre. Mabel elle a le droit à l’erreur, ce n’est pas si grave pour elle, alors que pour Maddy, c’est un drame. Mais ça, sa cadette ne le comprendra jamais. Elle est arrivée en deuxième, on sera toujours plus indulgente avec elle d’une certaine façon.

Le cœur de Maddy se serre dans sa poitrine, Mabel n’est pas contente de sa victoire. Les mots de sa benjamine sont durs à entendre. Elle l’a pensé juste jalouse. T’es bien trop naïve Maddy. Matilda a réussi son coup, opposer ses deux propres filles dans ces stupides concours de beauté.

Les traits de Mabel se crispent, tandis que Maddy reste bêtement la bouche entrouverte. Elle est choquée et déçue. Elle a mal mais elle ne veut pas montrer ses faiblesses à sa sœur. Elle doit garder la tête haute et ce sourire parfait sur les lèvres. C’est ce qu’on lui a toujours appris et répété depuis sa naissance. C’est devenu un automatisme, l’aînée en a même mal aux joues à force de sourire et prétendre que tout va bien dans ce monde de faux-semblants. Sa déception lui coupe la parole. Elle n’est pas comme Mabel, à parler sans filtre, ce n’est pas dans ses manières. Tout est une question de contrôle, néanmoins Maddy sent qu’elle va vriller dans pas longtemps.

Sans voix, elle regarde sa petite sœur s’agiter, s’habiller sans lui adresser le moindre regard. Maddy a vraiment envie de pleurer alors elle s’attelle à enlever ses bijoux, les accessoires dans ses cheveux, son écharpe. Elle toussote légèrement à cause de toutes les paillettes collant à sa peau. Elle voit Mabel prendre ses affaires et son portable, lui lancer une dernière phrase cinglante à la figure.

C’est trop pour Maddy, elle se lève. Elle n’a pas le droit de lui dire ça, alors pour la première fois depuis cinq minutes, elle ose parler. Dire le fond de sa pensée alors que sa petite sœur est sur le point de quitter la pièce. ”J’ai pris ta place ? Pardon ? Mais tu t’entends parler Mabel ? Si t’y tiens tant, vas-y passe une journée dans ma vie et tu verras à quel point c’est merveilleux d’être l’ainée !”

La seconde d’après, la benjamine quitte la pièce sans le moindre commentaire. Quelle drama queen. Elle devrait tenter l'acting. Elle aurait du succès. Maddy soupire avant de s’affaler sur sa chaise. Elle met sa tête entre ses mains et ferme les yeux. La joie de sa victoire lui semble être un lointain souvenir. Elle se sent terriblement seule. Mabel a préféré fuir et Maddy reste planquée dans sa loge car elle est juste incapable de communiquer avec sa sœur, avec sa famille toute entière.