Elizabeth ouvrit délicatement les yeux, elle n’était pas sûre de vouloir reprendre contact avec la réalité. Elle savait que la place à côté d’elle était vide. Sentir le poids de Jackson sortir du lit l’avait ramenée du monde de Morphée. Elle pouvait sentir son corps endolori, surtout au niveau des fesses, là où Jackson y avait laissé la marque de ses mains. Oui, elle avait été marquée par cet homme. La douleur ne l’empêcha pas de frissonner en repensant à ce souvenir de leurs corps brûlants parcourant les murs jusqu'à la chambre, ravageant ce qui se trouvait dans leur chemin. Leurs ébats qui suivirent avaient été musclés, intenses, acharnés. Finalement à l’image de leurs échanges au quotidien. Même dans un moment aussi intime, ils conservaient leur ardeur opiniâtre dans la lutte. L’un comme l’autre avait voulu avoir le dernier mot, se rendre dingue, utiliser chacune de leurs compétences pour pousser l’autre à bout, mais cette fois-ci dans le plaisir. Ca changeait du registre de la colère. Ou plutôt de l'agacement pour être plus exact.
Elle resta allongée plusieurs minutes. Des images de la veille parcoururent son écran interne, comme des extraits de films pornographiques. Tout était encore plus parti en vrille à partir du moment où Jackson l’avait embarquée jusque dans la chambre. Oui, du tourbillon, il y en avait eu, physiquement et psychiquement. Tout avait volé en éclats, les coussins, ses cris et son self control. Mais là où elle était un peu rassurée, enfin, si on pouvait formuler cela ainsi, c’était qu’elle savait qu’il en était de même pour Jackson. Elle connaissait déjà le feu torride qu’il possédait en lui (et qui le possédait aussi d'ailleurs) mais de le retrouver avait été encore plus exaltant qu’elle n’avait imaginé dans ses fantasmes des dernières semaines. C’était ça le pire dans l’histoire, que la réalité ait été encore plus satisfaisante que ses rêveries déplacées sur son faux agent de sécurité.
Elle essaya de se relever doucement. Son bas du dos tirait autant que les cernes dessinées sous ses yeux. Elle entendit de légers bruits provenant à priori de la cuisine. Il n’était pas parti. Elle aurait du sans doute n’en avoir rien à faire mais son cœur se resserra légèrement de savoir qu’il ne l’avait pas laissée. Même si, dans le fond, elle n’avait pas vraiment envie de découvrir ce qu’ils allaient se dire en se retrouvant. Peut-être allaient-ils choisir la voie du silence, comme ils le faisaient habituellement. Quelle ironie de finalement trouver ce silence confortable.
Elle s’assit au bord du lit en couinant légèrement à cause des courbatures et des contusions. Ses pieds touchèrent le sol et rentrèrent en contact avec la fraicheur du parquet. Un matin comme les autres. Ou presque. Elle pouvait encore sentir les effluves de sexe dans la chambre. Il fallait qu’elle en sorte pour ne pas avoir envie de replonger, comme la bonne junkie qu’elle avait l’impression d’avoir été hier soir. Elle fila donc se laver, de l’odeur de Jackson, de sa culpabilité. Après avoir terminé sa toilette, elle se regarda une dernière fois dans le miroir. Elle avait peur. Jamais Elizabeth Warren n’admettrait avoir peur à quiconque mais c’était pourtant bel et bien le cas. Qu’allait-il se passer maintenant ? Et que voulait-elle qu’il se passe exactement ? Elle sortit de la salle de bain, se dirigea vers son mur de chaussures et attrapa ses escarpins à la main. Puis, elle prit une grande inspiration avant de rejoindre la cuisine. Ou peut-être le salon si Jackson avait décidé de bouger entre temps. Peut-être même était-il parti ? Car la directrice n’entendait plus beaucoup de bruit mais c’était peut-être lié à son démon intérieur qui se réjouissait de la torturer de questionnements.
Il était là. Elle sentit de suite sa présence en s’approchant. Pas besoin de le voir de ses propres yeux, son corps réagissait directement en la présence de l’agent, comme un réflexe intégré en elle. Mais puisque c’était inévitable, elle finit par croiser son regard. Elle n'avait fait aucun bruit en arrivant mais lui aussi l'avait sentie et s'était retourné. Leurs yeux ne se détournèrent pas de leur cible pendant de longues secondes, scannant chacun du mieux qu’ils le pouvaient la rétine de l’autre pour y trouver des informations.
Le bruit de la douche l'extrait de ses recherches hasardeuses dans les placards de la cuisine. Après avoir trouvé le café et lancé la cafetière, Jax s'était mis en quette du sucre dont son corps a besoin pour recharger les batteries après l'intensité de la nuit mais savoir qu'Elizabeth a choisi de faire sa toilette plutôt que de le rejoindre l'invite à revoir ses plans. A aucun moment il ne prend ce signale comme un appel du pied pour lui signifier de partir et que la propriétaire des lieux ne veut pas le voir au réveil. Sans gêne, Mills se tourne vers le réfrigérateur qu'il ouvre grand à la recherche d'ingrédients plus consistants à se mettre sous la dent ...
Il devine la présence de Warren dans son dos sans avoir eu besoin de l'entendre arriver. Lorsqu'il se retourne, Jax tient entre ses mains une assiette remplie de fruits coupés et de toasts à l'avocat sur lesquels débordent des œufs brouillés. Un petit déjeuner de champion, sain et vitaminé, le genre de bombe énergétique qu'il a l'habitude de s'enfiler les jours d'entrainement. Comme à son habitude, son regard remonte le long de la silhouette de la jeune femme. S'y être attendu ne rend pour autant pas l'expérience moins troublante : instantanément, la vision de son corps habillé le fait se rappeler celle d'elle nue, dans la pièce d'à côté, pendant qu'ils jouaient à concurrencer Youporn. Ses abdos se contractent par réflexe de désir, réveillant au passage les courbatures que l'agent avait oublié. Un petit pincement comme pour mieux le ramener aux enjeux de la matinée et aux conséquences de leurs actes. Terminant sa course sur le visage féminin, son regard finit par croiser celui d'Eli auquel il s'accroche, comme une provocation.
Gardant le contact visuel, Mills s'entoure de mystère et quitte le plan de travail pour revenir sur l'îlot central de la cuisine. L'absence de conversation permet à chacun des bruits de raisonner plus fort autour d'eux. Aussi l'impact de l'assiette qu'il dépose sur le meuble les séparant l'un de l'autre parait-il plus sonore. Sans rien dire ni rien laisser paraître de ses émotions, caché derrière sa poker face, Jackson s'empare de la cafetière. À l'instar de celui de l'assiette, le bruit du liquide tombant dans le fond de la tasse résonne en bruitage de la scène en train de se jouer. Aucun malaise ne semble le prendre tandis qu'il s'empare d'une fourchette avec laquelle il pique une fraise qu'il porte à sa bouche. Toujours pas un mot, toujours ce regard soutenant celui de la belle ... Au fur et à mesure que défilent les secondes, une tension s'installe. Jax sait que le silence est un vide redoutable dans lequel les voix intérieures hurlent leurs spéculations, impatientes d'avoir le fin mot de l'histoire. Doué à ce petit jeu, il imagine sans mal Eli tenir ses positions et ses démons en laisse, de l'autre côté de la façade qu'elle lui montre, toute seule dans sa tête et dans ses attentes vis à vis de lui. L'agent sait ménager ses effets, il le lui a déjà prouvé et récidive sans scrupules.
La façon dont Jax pousse le plat ainsi que la tasse de café dans la direction de Warren sonne comme une invitation. Il la veut plus proche avant de se décider à prendre la parole, parfaitement conscient que les premiers mots qu'ils échangeront jetteront sur la toile vierge de leurs rapports désordonnés par l'anarchie de la nuit l'ébauche de ce que sera leur quotidien dans les jours à venir. Ce moment ou tu réalises que t'as baisé '' ta Boss ''. Jamais la garde rapprochée ne serait se montrer aussi intéressante que maintenant que leurs corps ont redécouvert ce que fusionner avec celui de l'autre veut dire ...« Bien dormi ? » Quasiment pas. Mills en sait quelque chose, c'est lui qui l'a tenue éveillée ! Un rictus de coin trahit la concupiscence de ses pensées tandis qu'il garde pour lui le replay de leurs ébats. Son dos griffés et ses trapèzes marqués par les suçons tiennent lieu de preuves à charge. A aucun moment il n'aurait pensé déjeuner en caleçon dans la cuisine d’Elizabeth, la veille au soir, lorsqu'il prenait la route pour son domicile.
Jackson lui faisait face avec en main une assiette remplie de fruits coupés accompagnés d’un beau et grand toast au pain de mie complet à l’avocat. Dessus se dressait un dôme d’œufs brouillés, comme un volcan qui serait en pleine explosion. De l’indélicatesse avec de la générosité, sa cuisine était tout à fait à l’image de sa personnalité...Mais ce qu’elle voyait surtout c’était que non seulement il n’était pas parti, mais en plus il avait pris le temps de leur préparer à manger. Elizabeth avait envie de se dire que c’était parce qu’une bestiole comme Jackson avait besoin de se nourrir car il devait probablement mourir de faim après tout cet exercice physique et qu'il ne fallait surtout pas s'accrocher à ce détail…Mais la réalité était loin de ce qu’elle souhaitait. La réalité c’était que cette attention la touchait, elle n’arrivait pas à ne rien ressentir. Beaucoup d’hommes avaient traversé son lit comme s'ils prenaient un métro, de façon très énergique mais rapide. Peu restait. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui l’avaient poussée depuis longtemps à se rendre plutôt elle chez les hommes. Et aussi parce que de cette façon, elle pouvait repérer ceux qui étaient mariés. Comme elle le disait toujours, il y a bien suffisamment d’hommes sur Terre pour ne pas s’intéresser à ceux qui ont la bague au doigt.
Jackson et Elizabeth se dévisagèrent, chacun dans leurs pensées. Si au début la directrice pensait que c'était peut-être mieux de ne rien dire, à ce stade elle se demandait si elle arriverait à tenir sans récolter quelconque information pour la suite. Mais elle ne savait pas quoi dire. Et d’ailleurs, cela la gênait. Elle, toujours une réplique dans son sac, se retrouvait face à cet homme sans aligner une phrase ? Elle n’arrivait pas à se détacher du fait qu’il était resté. Mais le regard de Jackson commença à s’attarder sur le corps de la belle et bientôt des frissons lui parcoururent l’échine. Juste avec les braises qu’elle voyait en lui, elle était capable de le prendre par la main et de l’asseoir sur le canapé pour faire le deuxième round. Mais l’heure n’était pas au batifolage. D’ailleurs, ce ne serait peut-être plus jamais l’heure de cette activité avec Jackson. Il fallait remettre de la distance…non ?
Jackson revint sur l’ilot central de la cuisine. Il déposa l’assiette au centre et se servit tranquillement, attrapant cette fraise juteuse entre ses lèvres. Pouvait-il faire encore plus sexuel ? Cet homme-là n’aurait jamais fini de la rendre dingue, tant par son impertinence que par 'attraction inexplicable qu'elle avait envers lui. Il finit par pousser le plat vers sa direction, la tasse de café juste à côté.
« Bien dormi ? »
Un rictus se dessina sur ses lèvres. Il devait avoir les mêmes images qu’elle projetées sur son écran interne et elle ne put s’empêcher de laisser un petit sourire apparaître sur son minois. Elle alla se poser à côté de lui, comme si le fait qu’il ait brisé le silence lui donnait l’autorisation de s’approcher de la bête.
« Je crois que bien dormir c’est vite dit. La nuit a été courte. Intense mais courte »
Pas besoin de réchauffer les œufs avec toute la chaleur qui émanait de leur corps…Et pourtant, elle n’était pas si proche de lui. Arriverait-elle à résister de nouveau à cette tentation maintenant qu’elle avait littéralement dévoré le fruit défendu ?
« Merci…pour le…petit déj »
Pauvre Elizabeth, à cet instant on aurait dit une enfant prise en flagrant délit de vol de cookies, comme si elle n’avait pas le droit à cette douceur. On l’en avait tant privé qu’elle se demandait si cela était encore possible de pouvoir en profiter. La directrice entendit la faiblesse qui s’émanait de sa voix. Elle ne la fit pas durer une seconde de plus, c’était déjà bien suffisant.
« Et pour la nuit aussi. C’était… »
Elle attrapa à son tour une fraise et elle n'hésita pas à prendre son temps pour la grignoter avec sensualité.
« Délicieux »
La fraise et la nuit, mais elle n’avait aucun doute sur la capacité de l’agent à comprendre. Au revoir la vulnérabilité, bonjour la séduction, comme un mode automatique qui reprenait le dessus naturellement. Son mécanisme de défense préféré pour se protéger. Elle attrapa ensuite le mug et renifla les effluves de caféine, sa drogue préférée. Elle prit une gorgée de cette boisson rassurante préparée par les soins de Jackson. Hummm…Bien corsé, comme elle l’aime. Elle observa l’agent du coin de l’œil. A aucun moment elle n’aurait pensé déjeuner en face de Jackson en caleçon, dans sa propre cuisine, la veille au soir, quand elle se préparait pour l’accueillir. La vie était décidément plein de surprises, que réserveraient les prochaines ?
Intense mais courte. Jax ne pourrait mieux résumer. Relevant le petit sourire d'Elizabeth, exact reflet du sien, il se contente d'acquiescer d'un signe entendu de la tête tandis qu'elle s'approche et prend place à ses côtés. « Merci ... pour le ... petit dej. Et pour la nuit aussi. C'était ... » Le regard que Mills pose sur le profil de sa voisine se veut à la fois humble et bienveillant. S'il apprécie de toute la force de son ego masculin d'être remercié pour le sexe qu'il a fait cette nuit, Jackson saisit également sans mal la fragilité dans la voix de la brune. Conscient d'avoir sa part de responsabilité dans le fait qu'elle peine à croire qu'il puisse être présent dans sa cuisine ce matin et non dors et déjà enfui par la fenêtre de sa chambre, l'agent se garde de pointer du doigt la faiblesse, tout comme Eli s'en était gardée la veille au soir, lors de la lecture douloureuse de la lettre. Se montrer présent sans pour autant l'envahir, voilà ce qu'il fait lorsqu'il lui assène un petit coup de coude en réponse à ce « Délicieux » qu'elle lui sort après avoir suçoté la fraise comme il se souvient l'avoir senti sucer autre chose, quelque heures plus tôt ...
Jax profite qu'Elizabeth tourne son attention sur la tasse de café pour passer aux choses sérieuses. Fini les fruits : délaissant sa fourchette, l'homme tend la main vers l'énorme toast à l'avocat et engouffre la moitié d'une seule bouchée, fidèle à son appétit d'ogre. Quelques miettes d'œufs roulent sur ses abdos, terminant leur course sur son caleçon. Naturel, Mills les ramasse et les porte à sa bouche, trahissant sa gourmandise incurable. Lorsqu'il repose le toast dans l'assiette pour mieux placer cette dernière face à la brune, son autre main s'empare de la tasse qu'Eli a encore entre les doigts. L'échange de victuailles n'a peut-être rien de significatif pour tout autre que lui, mais voir Jackson Mills partager sa nourriture est un phénomène rare. Lion dominant, l'animal a pour habitude de défendre plus farouchement le contenu de son assiette que de le mettre en commun.
« Retour à la réalité. » Commence-t-il après avoir ingurgité une longue rassade du liquide encore fumant. Sans être froid ou distant comme cela fut de nombreuse fois le cas lors de leur joutes verbales, le ton de Jackson a tout de même changé, preuve du professionnalisme sous-jacent avec lequel il aborde cette conversation. « J'aimerais avoir accès aux dossiers des ressources humaines de la chaîne, aujourd'hui. » Jax sait que sa requête peut sembler incongrue, c'est pourquoi il ajoute : « On va s'assurer qu'aucun de tes collaborateurs ne se soit fait graisser la patte par Hoover. » Car le traçage de l'ordinateur d'Elizabeth peut aussi bien avoir été orchestré à distance que rendu possible par l'action d'un employé de la ABC. En bon agent anti-corruption qu'il est, Mills ne se laissera pas convaincre par la confiance aveugle que la directrice semble offrir à son équipe. Il a vu trop de traitres vendre leur âme au diable pour encore s'imaginer que l'argent et le pouvoir n'achètent pas tout en ce bas monde.
Ténébreux, l'agent repose la tasse et amorce un mouvement de départ. Prendre une douche lui remettra les idées en place car le mélange entre sa vie privée et la complexité de la double mission qui lui incombe désormais - protéger Warren tout en trouvant le moyen de confronter le colonel corrompu - lui embrouille l'esprit. Il lui faut segmenter les choses de manière claire s'il ne veut pas se perdre dans les méandres de ses souvenirs autant que dans les cul de sac de l'enquête. C'est donc bien décidé à aller de l'avant que Jax passe la porte de la cuisine. Toutefois, après deux pas dans le couloir, son attention s'accroche à l'un des meubles bousculé la veille. C'est donc ça, l'hématome sur sa cuisse. Amusé, Jax se penche, retire son caleçon et fait marche arrière. Eli a le nez dans l'assiette lorsqu'il lance dans sa direction le vêtement dont le tissu s'accroche à l'épaule de la belle. « Matière à souvenirs. » Sourire insolent et haussement de sourcils provocateur accompagnent le dernier regard qu'il lui lance avant de disparaître pour de bon, emportant avec lui sa nudité impudente et son besoin de tourner la page de cette nuit fort agréable s'il veut se montrer efficace lors de leur arrivée aux studios de télévision.
* * *
Une heure et demi plus tard, Jackson gare sa Jeep sur le parking de la ABC. La directrice de la programmation et lui ont convenu de se rendre sur place séparément, anticipant le fait que l'un comme l'autre aura des rendez-vous à honorer après leur journée de travail. L'agent porte une tenue légèrement différente de celles qu'il a l'habitude d'arborer dans son rôle de garde du corps. La chemise noire a laissé place à un col roulé gris sous la veste noire à laquelle sont épinglés son badge et le fil de son oreillette. Cacher les suçons lui semblait plus important que de maintenir le code couleur. Lorsqu'il frappe à la porte du bureau de Warren, Mills ne peut s'empêcher de se revoir dans la même position, quelques mois auparavant, forçant le passage afin de la convaincre de faire équipe avec lui et de le croire lorsqu'il lui disait '' ne pas être ce genre de mec ''. Le genre d’homme à la laisser seule face au danger.
Jackson engloutit quasiment d’une seule bouchée le toast à l’avocat, en laissant tomber quelques miettes sur son caleçon. Elizabeth ne put s’empêcher de sourire de le voir aussi maladroit qu’un enfant. A vrai dire, toute cette scène la faisait sourire tout court. Elle en était elle-même surprise, elle qui s’attendait à devoir se confronter à la réalité de leur acte. Mais apparemment Jackson avait tout autant envie qu’elle de rester sur leur planète, celle où le passé et le futur n’avaient pas d’importance.
Jackson attrapa ensuite la tasse qu’Elizabeth avait encore entre ses doigts. Elle le sentit l’effleurer. Ce geste semblait si anodin et pourtant, n’était-il pas le reflet même de la création d’une intimité ? D’autant plus qu’Elizabeth ne dit rien. Elle ne râla pas, ne fit pas de réflexion. Le partage de sa caféine n’avait peut-être rien de significatif pour tout autre qu’elle, mais voir Elizabeth accepter d’offrir une partie de sa drogue préférée était un phénomène rare. Elle le laissa tout simplement faire et dégusta son petit déjeuner dans le calme, profitant de chaque seconde qui restait de cette bulle.
« Retour à la réalité. »
Le coup de fouet était radical et elle déglutit en entendant cette petite phrase. Il était clair dans son ton que l’ambiance avait changé. Comme un interrupteur que l’on aurait allumé, ils se retrouvaient désormais en plein dans la lumière du jour, les passions de la nuit précédente derrière eux. Le ton de Jackson n’avait rien d’agressif, de tendu ou de dominant comme cela pouvait être habituellement le cas. Non, son phrasé était juste professionnel. Il demanda l’accès aux dossiers des ressources humaines de la chaîne, poursuivant son enquête.
« On va s'assurer qu'aucun de tes collaborateurs ne se soit fait graisser la patte par Hoover. »
Elizabeth avait pourtant toute confiance en son équipe. Elle ne s’amusait pas à passer des heures à les recruter pour rien. Elle était minutieuse dans son travail et vérifiait tous les antécédents de ses employés proches d’elle. Mais elle comprenait que Jackson soit rigoureux dans sa recherche. C’était d’ailleurs tout à son honneur. Hoover…qu’adviendrait-il quand il serait définitivement hors de portée ? Ou en tous cas suffisamment pour que les personnes qui aient touché, volontairement ou involontairement à cette affaire, soient en sécurité. Jackson serait-il là encore, à prendre le petit déjeuner dans la cuisine de la directrice ?
Jackson se leva et passa la porte de la cuisine mais un détail attira son attention et il se figea le temps de quelques secondes. Elizabeth l’observa, curieuse de découvrir ce qui se cachait derrière cette pause, bien qu’elle redoutait une phrase qui ouvrirait la discussion qu’elle avait envie de repousser le plus longtemps possible, celle avec les questions qui fâchent. Et soudain, Jackson se pencha et retira son caleçon. Il fit marche arrière de sa progression et balança le bout de tissu en direction de la directrice, qui se déposa en toute impertinence sur son épaule.
« Matière à souvenirs. »
Non sans avoir affiché son éternel sourire insolent, Jackson disparu, sans doute vers la douche vu son état de nudité. Elizabeth attrapa le caleçon. Il fallait qu'elle ne le laisse pas à portée de vue, sans quoi retrouver son appartement vide ce soir serait encore plus douloureux avec cette preuve vivante l'aguichant. Elle se leva et alla le ranger symboliquement dans le tiroir du salon dans lequel elle avait conservé la fameuse lettre. Elle s’y confronterait plus tard. Peut-être finirait-elle par rendre ce fameux caleçon à Jackson mais pour l'instant cela incarnerait un souvenir dans une boîte de Pandore fermée. Puis elle revint dans la cuisine comme si de rien n'était et elle s'attela à nettoyer.
Si Elizabeth pu partir de suite de son domicile, Jackson du faire un détour chez lui pour pouvoir se changer. Ce qui tombait plutôt bien car ils s’étaient mis d’accord de ne pas arriver ensemble à la ABC. Jackson avait tout à fait mérité son pass retard pour la journée…Lorsqu’elle arriva, Elizabeth fit sa journée comme habituellement. Elle commença par faire un point avec son assistante, déjà arrivée bien entendu, puis elle alla regarder ses emails. Sa tête était pourtant ailleurs, refaisant le film d’hier soir encore et encore. Comme si elle en voulait encore en fait. Elle s’efforça de rester concentrée sur son travail. Un coup à la porte se fit entendre et la tête de Jackson pénétra dans le bureau.
« Depuis quand tu frappes quand tu entres ? A croire que j’ai fini par te dompter »
L’idée était bien de revenir à la normale non ? Et les taquineries faisaient parties de leur quotidien depuis bien longtemps. Jackson et Eli, ils se cherchaient tout le temps...comme un jeu du chat et de la souris. Et si Elizabeth était la petite bête grise, elle avait su se démontrer plus maline que le félin à plus d’une reprise.
« J’ai demandé à mon assistante de sortir les dossiers RH, elle ne devrait pas tarder à les amener si elle veut garder son job »
Le petit rictus ne put s’empêcher de sortir. Elizabeth ressentait un malin plaisir à maltraiter ses assistantes. On ne devenait pas meilleur si on n’apprenait pas à se surpasser, telle l’indiquait la devise des Warren.
« Je t’ai fait amener un starbucks aussi. »
Aucun des deux n'avait jamais réussi à commander ailleurs. Etait-ce réellement pour la qualité du café ou un geste symbolique inconscient ? Cela avait été après tout le lieu de rencontre de Jackson et Elizabeth. Oui, pas de Connor et Elizabeth mais bien de Jackson et Elizabeth. Elle s'était sentie si désarçonnée, si vulnérable ce jour-là. Etait-ce réellement une bonne idée de relaisser cet homme de nouveau dans sa vie ?
« La même commande que d'habitude »
Elle connaissait bien ses goûts à force. Elle s’était dit que cela serait utile pour surmonter la fatigue…Surtout si Jackson allait plonger son nez dans des dossiers ennuyeux à mourir. Il était clair que c’était un homme d’actions, au tempérament questionnable d’ailleurs.
« Je peux t’aider si tu veux pour les dossiers. Je te promets même d’être obéissante et je te laisserai me dire quoi faire pour suivre ta méthode »
Est-ce que cette offrande serait mal interprétée ? Il n’était clairement pas habituel pour la directrice de proposer son aide. Elle avait déjà bien assez à gérer. Mais l’idée de conserver une forme de proximité avec Jackson était alléchante. Elle avait envie de venir inhaler son odeur, de le voir s'agacer contre des bouts de papier, de venir le chercher pour provoquer du désaccord...Mais allait-il accepter ? N'était-elle pas folle de faire une telle proposition aussi proche de leurs ébats sexuels ? C'était le moment parfait pour remettre de la distance pourtant, de le laisser le nez plongé dans ces dossiers interminables et d'aller régler les multiples problèmes déjà présents sur son bureau.
« Depuis quand tu frappes quand tu entres ? A croire que j’ai fini par te dompter. » Jackson arque un sourcil hautin, drapé d'une condescendance qu'il feint plus qu'il ne ressent réellement : « Écoutez-la se bercer d'illusions, c'est touchant. » Renvoie-t-il tout en s'avançant pour rejoindre la brune. L'agent se verrait bien lui répondre qu'après avoir goûté à ce que cela donne quand elle lui ordonne de désobéir, il compte bien lui en faire voir de toutes les couleurs, mais cette affaire de dossiers des ressources humaines est plus importante dans son esprit concentré sur la réussite de sa mission. 48 heures auront suffi à faire redoubler Jackson de détermination. Maintenant qu'ils ont le nom du coupable, il s'agit de le traquer et de l'isoler pour lui tomber dessus par surprise, au moment ou il s'y attendra le moins et sera le plus vulnérable. Tout ce que l'animal assis en face du bureau de la directrice de la programmation aime faire. L'influence qu'a désormais le nom du haut gradé sur les instincts de chasse de Mills n'a d'égale que celle des courbes de Warren sur ses instincts de reproduction.
« Je t’ai fait amener un starbucks aussi, la même commande que d'habitude. »« Qui dompte qui ? » Lâche-t-il innocemment tout en s'emparant de la boisson qu'il porte à ses narines. Des effluves de crème fouettée, de vanille, de cannelle, de sirop de sucre et de lait entier stimulent son odorat ... Les baristas du Starbuck du coin de la rue connaissent la recette par cœur à force de la lui préparer. Peu nombreux sont les clients à commander ce genre d'ajouts à leur café. « Merci ... pour le café ... et pour la nuit ... » Copie-t-il, insolent d'un coin à l'autre du sourire qu'il affiche par dessus le rebord de la cup tandis qu'il porte lentement à ses lèvres le breuvage. Mills se laisse le temps de terminer sa petite imitation de Warren au réveil : il avale une gorgée puis lance à son interlocutrice un regard entendu, léchant sans retenues ses babines pleines de mousse. « Délicieux. » Ainsi s'enfonce le clou des certitudes : la valse des taquineries a bel et bien repris le dessus dans la nature de leurs rapports et Mills affiche d'entrée de jeu la couleur : tous les coups sont permis maintenant qu'ils ont tiré le leur.
Eli se montre coopérative, elle lui propose son aide en des termes qui réussissent à sortir Jax de son mode joueur le temps de négocier les règles de leur collaboration : « OK. » Répondit-il sans détour, conscient que sans Néo ni Bond à ses côtés, l'épluchage des documents administratifs ne sera que plus long et plus complexe ; ce point-là ne faisant clairement pas partie de ses spécialités. Le moment que Jackson préfère dans la paperasse c'est lorsqu'il faut y foutre le feu pour effacer les traces compromettantes ... « On va faire une liste pour chaque employé : Adresse, date d'embauche, numéro de sécurité sociale, coordonnées bancaires, historique de carrière ... » Jax énumère de mémoire les axes d'investigation les plus connus et par lesquels commencer à faire le tri lors de ce genre de battue à l'aveugle. « La liste des demandes d'augmentations refusées, des renvois et des démissions aussi. » Parce qu'il est plus facile de corrompre un élément déjà en litige avec une cible que l'inverse, évidemment. Jackson a remarqué le plaisir que prend Elizabeth à être invivable avec ses assistantes. Observateur et silencieux, il n'a pipé aucun mot concernant cette manie mais ne peut s'empêcher de penser que c'est précisément ce genre de comportement qui ouvre des brèches de sécurité lorsqu'il est question de corruption.
L'assistante entre dans le bureau, entre-coupant leur conversation. Jax attend que Warren s'en débarrasse pour rapprocher son siège de la table et ouvrir la première pochette. Armé de son téléphone portable, il crée de nouvelles fiches qu'il aura tôt fait de communiquer au PSI pour des études plus approfondies des profils. Mais ça, Eli n'a pas besoin de le savoir. L'agent a promis de ne pas lui mentir, pas de lui dire toute la vérité.
« Écoutez-la se bercer d'illusions, c'est touchant. »
Elizabeth était soulagée d’entendre la légèreté du ton de Jackson. Après tout, ils pouvaient peut-être surmonter ce qui s’était passé hier soir, comme si de rien n’était. Mais lorsqu’il s’avança vers la brune, Elizabeth sentit un nœud se former dans son estomac. La gêne physique venait masque son envie de le voir se rapprocher davantage pour venir sceller un baiser sur ses lèvres, comme celui qu’il lui avait offert à l'époque quand il l’avait retrouvée pour la convaincre de leur laisser une chance. Mais tout ça, c’était avant. Oui, avant. Maintenant, ils n’étaient que l’ombre de leur histoire, à tenter d’assembler des morceaux isolés. Jackson pour sa mémoire, Elizabeth pour…quoi au juste ? Que cherchait-elle à faire exactement ? Elle avait accepté d’aider Jackson déjà parce qu’il semblait qu’elle était la seule à pouvoir le faire progresser sur sa mémoire à propos de sa vie personnelle et qu’elle n’était pas arrivée à le laisser à l’abandon dans son propre trou noir. Mais la concernant, c'était à la base pour tenter de surmonter sa rancœur, son amertume quant à cette histoire qui l’avait brisée. Si effectivement il avait perdu ses souvenirs, ce qu’elle savait maintenant pour sûr, alors sans doute y avait-il un autre regard à porter sur la fin de leur histoire. Et depuis hier soir, elle était parvenue à son objectif. Elle avait sentie dans toutes les fibres de son corps la vulnérabilité de cet homme, son désarroi face à la façon dont il l’avait abandonnée. Elle ne ressentait plus de colère envers lui désormais. Oui, son objectif était atteint de son côté. Alors, est-ce que quand Jackson aurait atteint le sien leurs chemins se sépareraient de nouveau ? Sa gorge se resserra car elle savait déjà qu’elle ne voulait pas qu’il en soit ainsi. Elle décida de changer rapidement de sujet en révélant la commande du Starbucks qui attendait l’agent.
« Qui dompte qui ? »
C’était une excellente question mais à laquelle il n’y avait pas vraiment de réponse pour le moment...Donc Elizabeth se contenta d’esquisser un sourire sur ses lèvres.
« Merci ... pour le café ... et pour la nuit ... »
Elizabeth fit instantanément le lien avec sa phrase maladroite de ce matin. La provocation de Jackson n'avait-elle donc jamais de limite ? Son imitation et son rictus insolent de satisfaction qui en découla n’aurait pu laisser personne indifférent. Et ce fut ainsi qu'en un claquement de doigts, il enragea de nouveau la directrice. Cela la démangeait de lui répondre mais elle savait déjà que sa réplique ne ferait que rallumer un feu de tensions entre eux. Mais la tentative d’Elizabeth d’apaiser le climat ne fut que de courte durée car Jackson prit un malin plaisir à tenter de nouveau venir la chercher. Il prit son temps pour prendre une première gorgée de sa drogue à lui et n’émit aucune retenue à lécher tout ce qui trouvait sur son passage autour de ses lèvres. Que cherchait-il à faire ? La provoquer. Encore et encore. Comme si c’était dans leur ADN, que c’était un automatisme quand ils étaient proches l’un de l’autre.
« Délicieux. »
Il n’y avait aucun doute dans ce qui se passait dans les deux petites billes de la directrice : let the game begin. Encore. Comme une chanson que l’on écoutait en boucle. Quand est-ce que l’on s’en lasserait ? Mais Elizabeth ne comptait pas se laisser faire. Et ainsi, en un battement de cils, elle envoya valser sa résolution de maintenir une relation calme et apaisée avec Jackson.
Elizabeth proposa son aide. Son besoin de proximité avec lui avait pris trop d’ampleur pour ne pas être rempli. Pour une raison ou une autre encore inconnue, Jackson accepta le coup de main qu’elle proposa. Elle ne s’en plaint pas, consciente de gagner elle aussi du terrain sur l’agent et elle écouta avec attention sa méthode. Ils furent ensuite interrompus par l’assistante d’Elizabeth qui déposa les dossiers en question et Jackson attendit son départ pour avancer son siège près de la table, à uns distance raisonnable d'Elizabeth, et ouvrir le premier dossier.
Elizabeth attrapa l’accoudoir de la chaise de Jackson et elle fit rouler son siège de bureau vers lui pour réduire davantage la distance entre eux.
« Tu n’es pas obligé de te mettre aussi loin. Comme ça si j’ai un souci, je peux plus facilement t’interrompre. »
Elle déposa délicatement sa main sur sa cuisse.
« Et puis, tu sais, je ne mords pas hein » *Non, je ne fais que griffer* pensa-t-elle en écho. Et puis au fond d’elle, elle n’était pas sûre que Jackson ne ferait pas ressortir en elle une envie de morsure à un moment ou un autre. Pourquoi donc l’attrait du combat était-il aussi attrayant à son contact ?
Elizabeth ouvrit elle aussi son premier dossier. Et ainsi commença de nouveau leur chasse. A l’employé bien sûr.
Le temps fila à une vitesse surprenante et l’heure de se nourrir approchait. Mais comme à son habitude quand elle travaillait, Elizabeth était bien trop pris dans ce qu’elle faisait pour prendre conscience de sa faim. Ce fut donc son ventre qui s’exprima à sa place, grognant son inattention envers lui.
Une secousse lui signale qu'Elizabeth vient de s'amarrer à son siège. Interdit, Jackson lève le nez de son dossier avant de baisser les yeux sur la main que la brune pose sur sa cuisse. « ... Comme ça si j’ai un souci, je peux plus facilement t’interrompre. » S'il perçoit la sournoiserie de la manœuvre, Mills ne la souligne pas, se contentant de répondre par un sourire ostensiblement hypocrite. Elle ne mord peut-être pas, mais lui s'imagine sans mal lui croquer les fesses si d'aventure ses doigts s'amusaient à remonter un peu trop le long de son pantalon.
Les recherches commencent, longues et fastidieuses. Croiser les informations, vérifier les concordances, organiser les notes afin de les rendre claires et lisibles d'un seul coup d'œil ... Autant de tâches faisant se froncer les sourcils de Jackson sur le visage duquel concentration et contrariété se lisent par alternance. Parfois, un soupire exaspéré lui échappe tandis qu'il colle un post-it ou tourne une page ne contenant pas l'information qu'il recherche. Le temps passant, l'irritabilité s'impose comme sentiment prédominant, poussée par la faim lovée au creux de son estomac. Il faut que celui de Warren se mette à protester pour que la tête de mule qu'est Jackson sorte enfin le nez de ses notes et réalise qu'il est, lui aussi, affamé.
Sa réponse ne se fait pas attendre : Mills se redresse, attrape la veste qu'il avait retirée durant leur analyse des dossiers et l'enfile avec élégance. Après avoir vérifié que son portefeuille se trouve bel et bien dans la poche intérieure du vêtement, l'agent se tourne vers Elizabeth. « Viens, on va prendre l'air. » Jackson ne le réalise pas, mais ce " on " spontané trahit sa volonté de la garder auprès de lui. Ses propos sonnent comme des ordres, parce qu'il ne communique uniquement comme cela depuis tant d'années que l'idée de poser une question ouverte ne lui effleure même pas l'esprit. Manger sur le bord du fleuve, en plus de leur donner du carburant pour continuer leur enquête, leur changera les idées. Il en a besoin, animal asphyxié dés lors qu'il passe trop de temps enfermé entre quatre murs.
Dehors, Jax laisse à Eli le soin de commander ce qu'elle désire aux food trucks présents tous les jours à proximité de la ABC. Les bureaux de la chaîne brassent tant de monde qu'il est aisé de comprendre pourquoi ces petits camions de nourritures se garent devant, attendant que le staff médiatique sorte le bout de son nez. Armés de leurs plats, ils s'éloignent du lieu de travail et prennent place sur un banc offrant à la fois une vue sur le fleuve et sur le va et vient des passants. Évidemment, Mills se précipite sur la nourriture et ne refait surface dans la conversation qu'après plusieurs bouchées de ses tacos, les doigts plein de sauce qu'il essuie dans une serviette tout en détaillant le flux constant des bateaux traversants le fleuve. « Comment tu te sens ? » Interroge-t-il, son bras passant dans le dos de la brune afin de se caler le long du dossier. Elle pourrait croire qu'il la taquine encore, mais son regard dit le contraire. Jackson sait parfaitement ce que cela fait de réaliser qu'on est une proie potentielle. La désagréable impression d'avoir une cible dans le dos ou une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si la directrice n'en avait qu'une vision abstraite, pour sûr que le fait d'éplucher les dossiers du personnel à la recherche d'un traître lui donnera matière à considérer cette situation comme une menace plus proche et plus concrète. Impulsif, Mills ne réfléchit ni aux regards des passants - et collaborateurs se rendant potentiellement au bureau - ni aux signaux paradoxaux qu'il envoie en se comportant de la sorte : naturellement, son buste s'incline et son nez vient se lover au creux du cou de Warren. Il y inspire une grande bouffée de son parfum, les yeux fermés, la tête pleine des images de la veille. « J'laisserai personne te toucher. » Affirme-t-il dans un murmure qu'elle seule peut entendre.
Mais est-ce rassurant ? De la volonté de bien faire son job à celle de possession dictée par ses instincts de mâle dominant, il n'y a qu'un pas.
Alors qu’Elizabeth avait encore le nez plongé dans son dossier, laissant son corps à l’agonie de la faim, elle aperçut l’ombre de Jackson se lever. Se disant qu’il s’agissait d’une interruption toilettes, elle ne prit pas la peine de lever son minois.
« Viens, on va prendre l'air. »
Si Elizabeth était déterminée à ne pas écouter son besoin primaire de se nourrir, Jackson ne fit pas attendre son estomac lui. Ce qui, en soit, n’était pas vraiment surprenant. Mais ce qui l’était un peu plus, c’était Jackson qui, après hier soir, prit la décision d’inclure Elizabeth dans ses plans de gloutonnerie. Ce choix de l’inclure dans sa pause, si banal en apparence, incarnait pourtant l’occasion idéale de se positionner par rapport à leur récent rapprochement…Si Jackson avait décidé de se lever seul et d’aller déjeuner de son côté, le message aurait été clair sur ses attentes pour la suite. Peut-être d’ailleurs aurait-il mieux valu qu’il agisse ainsi car le choix qu’il faisait là n’éclaircissait en rien la suite pour eux. Ou peut-être qu’Elizabeth délirait dans sa tête…Après tout, il n’y avait sans doute rien de plus à lire, ils étaient tous les deux dans son bureau et c’était donc logique qu’il l’invite à se joindre à lui. Allait-elle chercher à tout interpréter désormais ? Elizabeth ressentait presque une forme de pitié envers elle-même. Ils avaient couché ensemble, point. Il n’y avait rien d’autre à dire ou à lire. Et puis au final, l’invitation sonnait plutôt comme un ordre et non comme une invitation, ce qui était très caractéristique des personnalités du genre de Jackson, vouloir avoir la main sur ce qui se passe, le contrôle. Elle sourit intérieurement en se disant qu’avec elle, il aurait toujours du mal à avoir le dessus, hier étant la référence parfaite mais leurs nombreux désaccords depuis leur partenariat en étaient d’excellents également. Mais en cet instant, elle n’avait pas la force de manifester de l’impétuosité à son égard. Et puis cela était sans doute représentatif de l’importance qu’elle se nourrisse si elle était prête à se faire dominer par lui sans rechigner…Sans compter le fait qu’il était si rare qu’elle puisse s’aérer correctement pendant sa pause. Certains jours Elizabeth était prise sur des tournages et ne pouvait pas s’échapper, ce qui amenait par conséquence le saut de son repas. Pas pour aujourd’hui en tous cas ! Elle attrapa son sac pour suivre Jackson hors du bureau.
Après avoir commandé de quoi se rassasier auprès des nombreux foodtrucks présents devant la ABC, ils s’éloignèrent en marchant en direction d’un banc face au fleuve. Le contexte de repas était presque idyllique. Jackson dévora son tacos et Elizabeth grignota sa salade sans prononcer un mot. Ce silence dut générer sans doute une pointe d’inquiétude chez Jackson qui vint vérifier l’état de la directrice.
« Comment tu te sens ? »
Son ton était sérieux, elle le sentait. Plus le temps passait et plus elle arrivait à percevoir les nuances de la voix de Jackson. Et lorsqu’elle croisa son regard, elle était définitivement sûre que la question était sincère. Alors qu’elle réfléchit sincèrement à comment lui répondre, elle put sentir le bras de Jackson prendre du terrain le long du dossier du banc. Il semblait si à l’aise, comme si la situation était simple. Alors que rien ne l’était. Même cette histoire de dossier ne l’était pas. Elizabeth ne pouvait nier qu’avoir enchaîné la lecture de toutes ces plaintes lui avait déclenché une sorte de gêne. Est-ce qu’elle s’en voulait ? Non, pas vraiment. Elle n’était pas du genre à regretter ses décisions dans le cadre du travail. Mais est-ce qu’elle avait ressenti un pincement au cœur à l’idée que l’une de ces personnes puisse tenter de l’atteindre physiquement ? Oui. Etre mécontent d’un licenciement ou d’un refus de congés, c’est une chose, tenter de nuire littéralement à quelqu’un, c’en est une autre.
« Dans l’ensemble ça va. Je ne suis pas du genre à me laisser impressionnée, comme tu le sais sans doute déjà. Mais je dois admettre que ça me fait quand même bizarre de me dire que l’une de ces personnes pourrait venir me nuire »
Sa réponse était honnête, transparente. Jackson se pencha et avança son nez dans le cou d’Elizabeth. Elle pouvait le sentir humer son odeur et relâcher son souffle, ce qui provoqua directement un frisson qu’elle ne put bien entendu pas dissimuler. Quel dépit de constater que de le sentir rôder près d’elle était déjà suffisant pour lui générer une réaction physique. Et ce fut là, avec ce détail qui semblait insignifiant, qu’elle comprit que les choses ne seraient plus comme avant, qu’elle se berçait d’illusions. Oui, avant, elle avait déjà une attirance envers lui, mais elle pouvait la cacher, le souvenir de leur passion dissimulé derrière un nuage gris lointain dans le royaume de sa mémoire. Désormais, il pouvait avoir une emprise physique sur elle. Il y avait une brèche qui s’était créée lorsqu’elle lui avait ouvert la porte de ses cuisses, et peut-être d’autre chose au passage.
« J'laisserai personne te toucher. »
Ce murmure était subtil. Elizabeth prit un moment pour construire sa réponse. Il fallait qu’elle se ressaisisse, qu’elle ne reste pas à la merci de ce prédateur qui l’abandonnerait une fois qu’elle serait vidée de ses tripes, distrait par la prochaine proie fraîche et pimpante, prête à être dépecée à son tour. Oui, il lui fallait au moins cette image gore pour pouvoir se réancrer dans la réalité, celle de sa solitude amoureuse effrénée. Mais elle avait beau vouloir essayer d’éteindre cette lueur d’espoir en elle, elle n’y arrivait pas.
« Je ne suis pas certaine que cette décision te revienne. Après tout, tu ne peux pas être 24H/24 avec moi »
Les inspirations profondes de Jackson dans le cou d'Elizabeth occupent le silence réflexif de la brune. Maintenant qu'il a le nez collé à sa peau et que les cheveux de la belle camouflent une partie de son visage, l'agent s'imagine aller plus loin. Il laisse ses pensées s'égarer dans les souvenirs de la nuit, revoit comme s'il y était ces moments de calme entre les rounds de plaisir pur. Elle aime qu'on lui embrasse la nuque, il le sait. « Je ne suis pas certaine que cette décision te revienne. Après tout, tu ne peux pas être 24H/24 avec moi » Jax stoppe ses reniflages. Son immobilité s'étire sur une dizaine de secondes avant qu'il n'accepte de sortir le nez de sa cachette. Lorsqu'il se redresse, l'agent toise Elizabeth d'un regard intense derrière lequel se cache la fougue de sa personnalité bravache. La police, l'armée et l'entraînement sportif lui ont rentré dans le crâne des doctrines simplistes et dangereuses sur lesquels il s'est construit et qu'il ne remet pas en question. " Quand on veut, on peut ". Un mantra très efficace pour motiver les troupes et faire naître le courage ; moins lorsqu'il s'agit d'entretenir la paix des ménages. « De quoi es-tu certaine, alors ? » Questionne-t-il en reportant son attention sur les tacos.
Mills souligne implicitement le risque auquel s'expose la directrice chaque fois qu'elle sera seule. Il a bien saisi que Warren ne souhaitait pas se faire dicter sa vie mais ne compte pas devenir celui qui a échoué dans sa mission par excès de considération. Leur deal est simple : son aide contre sa protection. Personne n'a affirmé que cette dernière serait docile et plaisante. Être surveillé, que ce soit avec malveillance ou bienveillance, finit toujours par irriter la cible. Conscient de ce détail, l'agent avale ce qu'il lui reste de repas avec sérénité. Il sait ce qu'il a à faire et cela commence par trouver Hoover. Plus vite il lui mettra la main dessus, plus vite ils se débarrasseront des menaces que la liberté et l'influence du colonel représentent. Dans cette optique, Jax sort son téléphone sur le clavier duquel il se met à pianoter à la recherche du répertoire de contacts. Anwar Zheri, son complice lors de l'infiltration dans la police de Brisbane, est l'homme de la situation. Tous deux naviguent en sous-marin depuis des semaines à la recherches des indices leur ayant permis d'identifier Hoover et l'agent sait que l'inspecteur prend cette affaire avec le même sérieux que lui. Si Mills y a déjà laissé la mémoire, Anwar a lui aussi beaucoup à perdre dans cette histoire. La peur rend les hommes dangereux et violents. Jax a déjà la trame du scénario de ses retrouvailles avec Hoover en tête : ça ne sera pas beau à voir.
Il range le téléphone après avoir envoyé l'heure et le lieu de rendez-vous où il compte mettre au point leur stratégie. Si la chasse au traitre a déjà commencé au sein de la ABC, celle au commanditaire est sur le point de se lancer. Ça tombe bien, Jackson a suffisamment de rancœur et de vengeance personnelle à satisfaire pour courir plusieurs lièvres en même temps. Lorsqu'il refermera sa gueule sur ses proies, ces dernières n'auront plus qu'à regretter d'avoir un jour nourri l'espoir de lui faire mordre la poussière. « Prête ? » Pour y retourner. Il leur reste tout un après-midi de fouilles administratives. Pour Jackson, le challenge consistera à ne pas s'endormir avec la digestion.
La question vint la surprendre. Si Jackson l’avait pourtant habituée à avoir une répartie toujours bien présente, elle ne s’était pas attendue à avoir une interrogation en guise de réaction. S’intéressait-il réellement à ce qu’elle pensait ? Ce serait bien la première fois qu’il prendrait en considération ses pensées à elle. Après tout, peut-être que leur rapprochement physique, et la porte émotionnelle que cela avait ouvert en conséquence, avait amadoué la bête sans qu’il ne s’en rende compte. Elizabeth prit une nouvelle bouchée de son repas, prenant son temps afin de peser ses mots. Elle savait qu’il écouterait attentivement mais serait-il capable de comprendre les mots cachés ? Ceux qu’elle ne se permettrait pas de prononcer à haute voix ?
« Que je vais devoir accepter que je suis réellement en danger » « Et que je n’ai pas envie que tu t’éloignes de moi »
« Que je vais devoir ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe autour de moi » « Et que je vais devoir ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe entre nous »
« Que je vais devoir rester solide physiquement et psychologiquement » « Et que je vais devoir ne pas me reposer sur toi alors que j’en meurs d’envie »
Pendant que Jackson prit le temps de sortir son téléphone et de composer un message, Elizabeth prit pleinement conscience de la situation. Elle regardait l’eau en face d’elle, apaisée en surface mais tumultueuse dans son intérieur, avec tous les allers et venues des poissons, mais surtout des déchets dont il faudrait se séparer pour survivre. Elle avait l’impression d’être comme cette eau, calme en apparence mais traversée d’un tas d’émotions dont beaucoup seraient à jeter pour survivre. Avait-elle encore suffisamment d’énergie en elle pour être une survivante ? Pour se battre ? Elizabeth était fatiguée d’entendre cette musique en boucle. A croire que sa vie, ce n’était que ça. Se battre contre ses patrons, contre ses parents, contre ses frères et sa sœur, contre tous les hommes qui l’ont blessée…Quand aurait-elle du repos ? C’était dur pour elle de le reconnaître mais heureusement que Jackson était là. Oui, heureusement que son ex qui lui a brisé le cœur était revenu. Elle en était donc arrivée là. Elle se faisait limite pitié à elle-même. Elle espérait que la suite de son histoire lui réservait mieux…
« Prête ? »
Elle le regarda droit dans les yeux, avec un grand sourire, tentant de laisser transparaître le plus de confiance possible.
« Tu sais bien que je le suis toujours »
Et c’était sans doute là un mensonge, envers lui mais avant tout envers elle.