Carl a pris une décision et comme chaque fois qu'il tranche avec lui-même sans consulter le moindre avis extérieur, il convient de s'inquiéter. Sa dernière idée brillante l'a par exemple conduit à s'incruster au vernissage d'un ami qui n'avait aucune envie de le voir, et dont le rejet résonne encore dans son esprit plusieurs semaines après le drame tant les mots balancés à sa figure ce soir-là l'ont heurté. Il n'était plus censé prendre d'initiative sur un coup de tête et s'était même promis de ne plus mettre le nez dehors jusqu'à nouvel ordre à l'exception de ses promenades avec Maya et de ses allées et venues au café, mais Carl a très vite oublié ses bonnes résolutions comme en témoigne sa sortie du jour. Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas trainé sa frêle carcasse près du siège de l'Australian Broadcasting Corporation et pour cause, pendant deux ans le garçon s'est tenu soigneusement à l'écart de tout ce qui pouvait le ramener à sa participation ô combien décriée au plus célèbre jeu d'enfermement de la chaine. Une expérience qu'il aimerait pouvoir oublier tout comme les amères retombées de celle-ci qu'il n'a jamais vraiment cessé de récolter depuis, son nom et son visage continuant d'évoquer les frasques qui l'ont tristement fait connaitre comme s'il était finalement impossible de se faire oublier quand on a suscité un tel phénomène.

Mais alors pourquoi revenir sur les traces de ses déboires passés et remettre les pieds là où tout a commencé ? C'est bien lui qui prétendait qu'il n'y retournerait pas même sous la torture, c'est aussi lui qui évite le secteur depuis deux ans comme si ce bâtiment abritait le diable en personne. Carl était déterminé à ne plus s'en approcher de quelque manière que ce soit mais c'était sans compter son besoin de réponses, et cette page qu'il n'a jamais vraiment tourné sur ce qu'il considère être la pire expérience de sa vie. House of Secrets n'a jamais quitté son esprit au même titre que son gagnant, pour quelqu'un qui ne veut soi-disant plus entendre parler de cette émission Carl garde un œil sur les nouvelles saisons avec le même intérêt malsain que celui que le public lui avait à l'époque porté. Il ne vaut au final pas mieux qu'eux et il n'est pas non plus fier d'espérer qu'un jour un candidat s'illustrera dans des agissements plus problématiques que les siens afin que les regards soient enfin braqués vers un autre, car c'est ainsi qu'il compense la frustration d'avoir été le seul à sombrer quand tous ses camarades ont retrouvé une vie normale ou connu une glorieuse avancée. Les téléspectateurs attendent de voir le premier couple du jeu se former pendant que lui attend la prochaine chute après la sienne, refusant de croire qu'il n'existe pas d'autres monstres comme lui dans la nature que ce système finira par exposer.

Il ne sait pourtant pas vraiment ce qu'il espère trouver ici car comme à son habitude Carl se lance dans des projets à travers lesquels il ne se projette jamais jusqu'au bout. Il ne dirait pas forcément non au fait de s'entretenir avec quelqu'un pour se libérer des questions qui le tourmentent depuis deux ans mais il a déjà posé la plupart d'entre elles à May, qui était la mieux placée pour recueillir ses interrogations et qui ne travaille plus entre ces murs, d'après ce qu'il sait. L'idéal serait que Carl parvienne à approcher un candidat d'une autre saison que la sienne afin de confronter leurs expériences, il y pense à vrai dire depuis longtemps sans avoir encore osé contacter l'un d'entre eux et c'est peut-être bien ce que ses yeux s'affairent à rechercher autour de lui maintenant qu'il a officiellement franchi l'entrée de ces studios. Mais problème, l'observateur qu'il comptait être se trouve observé à son tour alors qu’une dizaine de personnes s'attroupent à ses côtés comme on se rassemblerait autour de l'attraction du moment. Le wacko est de retour et il ne passe pas inaperçu, récoltant les regards insistants et les messes basses des petits curieux de passage comme des employés de la chaine. Il pourrait rebrousser chemin face à cette effervescence qui lui fait aussitôt regretter sa venue, il l’envisage même sérieusement mais Carl croit percevoir un signe de l'univers lorsqu'on interpelle à quelques pas de là une femme au nom étrangement familier. Griffiths, il n'en fallait pas plus pour le ramener un an en arrière et pour le pousser à voler à la rencontre de cette blonde élancée. Le bonhomme se fraie alors un chemin parmi la foule et ne se soucie soudainement plus que de cette femme, devant laquelle il ne tarde pas à venir se planter. « Excusez-moi, hum.. Griffiths c'est bien votre nom ? » Un nom qui l'a sensiblement marqué par le passé et qui remue un certain nombre de choses en lui en résonnant de cette façon aujourd'hui, quand il pensait bien ne plus jamais l’entendre. « Comme Marceline Griffiths ? » il complète en ne voyant même plus l'attention dirigée vers lui et ces gens semblant se demander ce qui peut bien lui prendre d'apostropher cette femme de la sorte. Elle n'est à tous les coups pas n'importe qui ici mais ça Carl l'ignore, la seule Griffiths célèbre qu'il connaisse étant une actrice à l'ascension fulgurante. « Je peux vous demander si elle va bien ? » Se présenter aurait été une bonne chose en premier lieu mais il suffirait presque de tendre l'oreille pour intercepter le nom du garçon au vol, chuchoté ici et là à travers la petite foule.

Griffiths, à quel point ce nom peut-il être répandu en Australie ? Sûrement bien plus que Carl ne le pense en effectuant le raccourci entre cette femme et celle qui hantait ses pensées pas plus tard que le printemps dernier. Il ne sait pas si c’est la blondeur ou le côté élancé de cette inconnue qui lui fait penser à Marceline mais il ne pourrait pas croire à une simple concordance de nom, pas alors qu’il pense aussi reconnaitre chez elle des mimiques observées chez l’actrice. Elles sont automatiquement associées aux yeux du bonhomme et il n’en attend plus que la confirmation, d’ores et déjà prêt à remettre en doute toute réponse qui n’irait pas dans son sens. « Marceline est ma cousine » Le voilà rassuré, savoir que cette femme est étroitement liée à Marceline lui vaut même d’étirer un sourire enchanté – terni toutefois bien vite par la question qui lui est naturellement retournée. « Vous êtes qui, par rapport à elle ? » Ça alors, Carl se sera retrouvé dans le pétrin en un temps record aujourd’hui.  « Je suis hum.. » Le garçon cherche nerveusement ses mots, ne sachant pas comment qualifier ses rapports avec l’actrice en dehors de leur nature à présent inexistante. Elle fut un temps sa cliente préférée avant de devenir celle pour qui il aurait décroché toutes les étoiles du ciel mais tout ça appartient au passé, quand bien même Carl ne parvient jamais totalement à laisser celui-ci derrière lui comme son approche du jour le montre encore bien. « Un vieil ami ?.. Oui c’est ça, un ami. » C’est encore ce qui l’arrange le plus car bien sûr, détailler l’intérêt qu’il a porté à Marceline durant des mois jusqu’à s’en faire mal au cœur n’est pas une option ici. « C’était une cliente du café où je travaille, c’est là que je l’ai connue. » il ajoute des fois que cette précision, bel et bien véridique, ne l’éloigne de l’image de fan envahissant que cette femme lui a forcément attribué en le voyant. Mais Carl se fatigue certainement pour rien compte tenu des bâtons dans les roues qu’une maquilleuse s’empresse de lui mettre après ça. « Elle ne reconnaît même pas Wacko Carlito » Non visiblement pas, et le garçon en était bien content avant que cette intruse ne compromette sa couverture. Il n'a vraiment pas besoin qu'on souligne à quel point il peut être célèbre entre ces murs, la dernière de ses envies était d'y attirer l'attention mais Carl devrait pourtant le savoir : ici plus que nulle part ailleurs ses frasques sont vouées à lui coller à la peau. « Une preuve de goût, vraiment » La preuve qu'elle ne s'intéresse sans doute pas au programme qui l'a fait connaitre et elle n'y perdrait rien aux yeux de Carl, qui aurait lui-même préféré ne jamais découvrir l'existence de ce maudit jeu. « Je sais pas pourquoi elle dit ça ni pourquoi ces gens nous regardent.. je.. » Il porte un regard affolé autour d'eux, enfin conscient des vagues qu'il provoque depuis son arrivée mais tout sauf prêt à assumer cette sombre étiquette ici et maintenant. « Je sais pas qui est Wacko Carlito. » Si ce type existe ce n'est certainement pas lui et c'est aussi une pure coïncidence si tous ces regards sont orientés dans leur direction. Mais oui Carl, bien sûr.

Un mensonge aussi peu convaincant qu'utile, car rien ne dit que cette femme n'est pas déjà en train de rassembler les pièces du puzzle en se remémorant ses déboires passés. Carl a pourtant l'espoir de ne pas être connu de tous ici, le souhait sûrement optimiste que sa réputation n'a pas déjà fait le tour du bâtiment car après tout l'émission qui a causé sa perte n'est pas le seul programme de la chaine, et son interlocutrice n'a pas franchement l'air de sortir du même univers que lui. « Je ne suis pas sûre que ma cousine apprécie que je parle d'elle à des inconnus » Inconnu, qu'est-ce que Carl ne donnerait pas pour le redevenir. Certains jours le garçon enfilerait même une cape d'invisibilité s'il le pouvait et c'est assez paradoxal pour celui qui a longtemps cherché à exister aux yeux des autres, simplement pas de cette façon. Son plan initial consistait à attirer l'attention d'un père ignorant mais c'est celle de millions de gens qu'il a finalement récoltée. Une mise en avant aussi brutale que déstabilisante pour un garçon de son acabit, pas plus résistant qu'une plume face à un ouragan. « Non mais je vous jure que je connais Marceline, ça fait juste longtemps que je l’ai pas vue et.. » Et quoi, Carl ? Le mieux serait sans doute qu’ils en restent là et qu’il rentre sagement chez lui mais le bonhomme n'est pas connu pour se montrer raisonnable lorsque les choses tournent à son désavantage. Il finira peut-être bien exclu de ces studios comme il l'avait été de la galerie d'art si cette femme finit par appeler la sécurité mais il ne reste limite plus que l'exploit d'être sorti par deux montagnes de muscles à accrocher à son palmarès, quand on y pense. « J’ai appris pour son Golden Globe, c’était en tendances sur les réseaux l’autre jour. » Cette fois Carl dit vrai, c’est par un heureux hasard qu’il l’a découvert alors qu’il aurait été le tout premier à se saisir de l’information quelques mois en arrière. Il est rare que le garçon s'intéresse encore aux héroïnes de ses épisodes une fois guéri de celles-ci, en théorie seulement car regarder en arrière peut s'avérer tentant lorsque l'une d'elles accède à une notoriété aussi fulgurante. Difficile alors d'ignorer l'évolution de Marceline lorsque le nom et le visage de celle-ci apparaissent un peu partout et d'une façon nettement plus glorieuse que pour lui, il y a deux ans. « Est-ce que vous pourriez au moins la féliciter de ma part ? » De la part de son vieil ami donc, nul doute que l'actrice doit en avoir des tas prêts à revenir comme des fleurs maintenant que le succès est au rendez-vous. Carl pourrait à vrai dire le faire lui-même car envoyer un message ne le tuerait pas, il n'est juste pas certain que Marceline désire recevoir quoi que ce soit de sa part à moins qu'il craigne surtout de raviver une peine dont son cœur n’a aucunement envie de se souvenir.

« Carl ? » Une autre voix les interrompt et cette fois il reconnaitrait sa propriétaire entre mille : l’une des casteuses en charge de la sélection des candidats d’House of Secrets, que le garçon tient en partie responsable de sa descente aux enfers. « Je ne pensais pas te revoir un jour par ici. C’est gentil de nous rendre visite, je vois que tu sais toujours autant te faire remarquer. » Allusion évidente au petit monde rassemblé autour du bonhomme, une agitation qui ne semble pas étonner cette femme dont Carl ne parvient pas à se remémorer le nom. L’occasion lui est donnée de cracher toute la rancoeur qu’il garde en lui depuis deux ans mais il était nettement plus bavard face à May, bien trop intimidé ici par la foule qui ne le lâche pas des yeux au point d’en rester tout bonnement silencieux. « Si tu veux bien m’excuser je suis prise par le temps, on discutera de ce que tu deviens une prochaine fois. » Carl lui adresse un regard méfiant à défaut de prononcer un seul mot, attendant que la casteuse s’éloigne pour se tourner vers la blonde toujours face à lui. « Comme si ça l’intéressait.. » De savoir ce qu’il devient, ce doit être le cadet des soucis de tout le monde ici. Carl n’a pas eu de nouvelles de la production depuis sa sortie, les gars comme lui ne valent plus rien une fois relâchés dans la nature car c’est pendant l’aventure que ses excès pouvaient rapporter gros, il le sait bien. Qu’il puisse aller bien ou non n’est pas leur problème et il suppose que la discussion proposée n’aura elle aussi jamais lieu, à moins d'une très lourde insistance de sa part. « Euh okay, j’ai peut-être un petit peu menti tout à l’heure. » Il se résigne à l’avouer car à quoi bon tenter de sauver plus longtemps les apparences, le parallèle avec le wacko doit désormais couler de source et cette Mrs Griffiths doit sérieusement se demander sur quel spécimen elle vient de tomber. « Mais c’est pas important de savoir qui je suis, ce qui compte c’est Marceline pas vrai ? » On a connu des tentatives plus habiles pour recentrer une discussion mais à cet instant Carl ferait vraiment tout pour laisser son vilain passé de côté. C’est la seule chose qu’il demande, être oublié ne serait-ce que cinq minutes mais même ça, il semblerait que ce soit trop en attendre. « Je me rappelais pas qu’elle avait une cousine, je suis sûr de l’avoir su pourtant mais c’est vieux tout ça alors j’ai dû oublier votre nom. » Ça ne remonte en réalité qu’à neuf mois mais Carl a une notion du temps bien à lui. Il a forcément su pour la cousine de Marceline dont il a épié la vie en long et en large pendant des semaines, il se peut juste que l’information se soit égarée parmi des tas d’autres car à force de mettre son nez partout Carl se perd et se disperse. « Vos yeux me font penser aux siens, ils sont jolis. » C’est à vrai dire la première chose qui a attiré son œil chez elle, ce regard familier qui était autrefois si rassurant pour le bonhomme. Carl ne se rend pas compte qu’il arrache une grimace de dégoût à quelques témoins autour et encore, ce sont surtout les internautes qui s’en donneraient à cœur joie s’ils le voyaient. La plupart s’empresseraient sûrement de commenter à quel point ils le trouvent cringe car n’importe qui est autorisé à complimenter des yeux tant qu’il ne trimballe pas des casseroles comme les siennes, c’est bien connu.

Qui croit-il sérieusement berner en prétendant ne pas connaitre de Wacko Carlito ? Le mensonge aurait eu une chance de passer s'il ne s'était pas trouvé dans ces studios, où sa sombre réputation a vu le jour et où ses déboires semblent encore présents dans l'esprit de beaucoup. Carl voudrait disparaître, ce n'est pas ce qu'il espérait en remettant les pieds ici mais ça le dissuadera peut-être de se laisser tenter par ce genre d'idées à l'avenir. Car il ne faut pas être bien malin pour comprendre que cette vilaine étiquette le poursuivra aussi longtemps qu'il laissera son passé le rattraper, s'il se demandait il y a encore quelques minutes si tous ces gens étaient enfin passés à autre chose le garçon a désormais sa réponse : on n'oublie pas un spécimen comme lui car un wacko, il n'y en a qu'un. L'émission a pourtant vu passer bon nombre de candidats emblématiques en deux ans mais aucun qui n'ait fait suffisamment parler de lui pour l'éclipser, à son grand regret. Cette attention le bonhomme n'en a jamais voulu, pendant longtemps il a erré comme le plus transparent des garçons et même si n'exister aux yeux de personne l'amenait souvent à questionner sa place sur cette terre, à l'époque au moins Carl pouvait marcher tranquille dans la rue. Il pouvait aussi mettre les pieds quelque part sans craindre d'être reconnu, ce n'est alors pas faute d'essayer de mener la vie la plus discrète possible depuis sa sortie mais il ne doit pas franchement se rendre service en renouant avec ces lieux. Et cette femme devant lui ne croit visiblement pas à ses mensonges, plus informée à son sujet que Carl n'avait jusqu'ici osé le croire. « Vous ne le connaissez pas ? Etrange, alors que vous lui ressemblez tant. » Aïe. C'est officiel, le wacko ne lui est pas inconnu et il se fatigue pour rien à tenter de refiler le mauvais rôle à un autre. Quel échec, il doit avoir l'air bien minable à ne pas assumer alors que tous les doigts et les regards sont pointés vers lui depuis le tout premier instant.

Elle ne peut que douter de lui après ça, notamment lorsqu'il jure connaître Marceline et se présente au passage comme un vieil ami de celle-ci – à défaut de savoir exactement comment nommer ce qui les liait. Leur relation n'entrait dans aucune case, Carl refuse même de la réduire à quoi que ce soit mais comment le faire comprendre à sa cousine sans passer une fois de plus pour un imposteur ? « Peut-être que si elle avait souhaité vous revoir, elle aurait su comment vous contacter. » Elle n'a pas tellement tort et cette remarque le fait aussitôt baisser les yeux. Un triste soupir lui échappe, il est vrai que Marceline n'a pas remis les pieds au café depuis un certain temps et qu'il a un peu l'impression d'avoir vu sa cliente préférée lui échapper. Ce ne doit plus être compatible avec sa nouvelle célébrité et même s'il le comprend, Carl en est aussi le premier peiné. « Peut-être, oui. » il déclare d'une petite voix et hausse les épaules, remontant lentement son regard vers elle alors que sa dernière requête laisse apparemment la grande blonde perplexe. « La féliciter ? De la part d'un vieil ami qui ne sait plus comment il l'a rencontrée, ni vraiment à quelle date ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. » Il aurait dû s'y attendre, elle ne le croit pas non plus au sujet de sa rencontre avec l'actrice vis-à-vis de laquelle il n'a pourtant rien inventé. Carl soupire de plus belle, s'il n'avait pas honteusement menti tout à l'heure il n'aurait pas à s'en défendre et à devoir prouver par a + b que cette partie de l'histoire est bien vraie. « Je vous mens pas, elle fréquentait le Death Before Decaf où je suis serveur. C'est un café à Logan City, je peux même vous dire qu'elle commandait un iced latte à chaque fois ! » Pas sûr que ça le rende plus crédible mais il ne sait plus vraiment sur quoi appuyer pour qu'elle accepte de le croire. Avec sa chance Marceline n'aura parlé de ses préférences en matière de café à personne et cet argument ne fera rien avancer du tout, à l'image d'un Carl ayant désespérément l'impression de faire du surplace depuis le début de cet échange.

Si même les employés de la chaine se passent le mot pour l'enfoncer, il ne sait vraiment pas comment il pourra convaincre son interlocutrice de ses bonnes intentions. Carl se serait bien passé de l'intervention de cette casteuse car le peu de crédibilité que le bonhomme pouvait avoir parait s'envoler après ça, comme si les regards insistants des curieux autour d'eux ne pesaient pas déjà assez lourd. L'existence d'une cousine lui dit maintenant quelque chose mais il faut croire que le garçon a enfoui certaines informations le ramenant à l'actrice pour tourner plus facilement la page. « J'imagine que vous n'êtes pas tant amis que ça, si vous ne connaissez pas sa famille. Et je ne vais pas passer des messages pour tous les inconnus qui gravitent autour de nous. » Carl aura beau expliquer en plusieurs langues qu'il connait Marceline rien n'y fera, sa cousine continuera de le traiter comme un vulgaire parasite tournant autour d'elle car il n'est probablement pas le seul à tenter de revenir maintenant que l'actrice semble au sommet de sa carrière. Le timing est effectivement malheureux, Carl n'a jamais eu en tête de profiter du moindre éclat de gloire à travers elle mais le monde de la télé-réalité est bourré d'arrivistes prêts à tout pour briller, ce pour quoi il doit très certainement passer. « Bah en fait.. elle m'a jamais parlé de sa famille. On parlait du théâtre ensemble surtout, j'étais venu la voir jouer avant que.. ça marche vraiment très bien pour elle. » C'est à ce moment-là que le bonhomme s'est éloigné, Marceline était devenue très demandée et il n'avait plus l'impression d'exister au milieu de cette nouvelle effervescence. Il n'a pas vraiment accepté que sa sauveuse passe aussi brusquement de l'ombre à la lumière, le fait de devoir la partager avec de très nombreux admirateurs l'a tout simplement découragé et Carl a rendu les armes sans se battre.

« Mes yeux ressemblent aux siens ? Parce qu'ils sont juste bleu, et ce n'est même pas la même nuance. » La voix moqueuse de son interlocutrice le tire de ses pensées, ce qu'il peut se sentir ridicule d'un coup. Son petit compliment ne passe pas, il semble même déplaire à la grande blonde dont le regard se teinte d'une méfiance que Carl connait trop bien. C'est ce même regard que l’on jette parfois sur lui dans la rue, un regard qui veut dire que les gens n’ont pas envie qu'un type comme lui puisse les approcher. Et il ne croit pas si bien dire en le pensant, comme les prochains mots de la cousine Griffiths le lui font bien comprendre. « Je vous déconseille d'approcher les femmes de cette façon. » Il expulse un nouveau soupir, plus triste et plus marqué que les précédents. Le monstre n'est plus très loin, Carl peut le sentir et c'est une preuve de plus qu'il devrait vraiment apprendre à rester chez lui plutôt que de suivre les idées foireuses que son cerveau peut pondre. « Je vous veux aucun mal. » il souffle d'une voix presque inaudible, son regard fuyant un instant autour de lui comme s'il cherchait un échappatoire à cette discussion. Et c'est finalement droit dans les yeux que Carl la regarde, animé par un regain de courage qui lui passera sûrement très vite. « Je voulais juste savoir comment va Marceline parce qu'elle a été gentille avec moi, elle.. elle m'a même sauvé la mise une fois. » Elle semblait aller bien sur sa photo des Golden Globes, plus rayonnante que jamais avec sa statuette dans les mains. Oui, Carl n'a aucun mal à imaginer qu'elle doit vivre un rêve éveillé mais les photos peuvent mentir, aussi. Il ne précise pas que Marceline l'a sauvé de personnes comme celles agglutinées autour d'eux aujourd'hui, au lieu de ça le garçon étire un sourire nostalgique. « C'est quelqu'un de bien et je suis content de la voir réussir. » Même si c'est de loin et qu'elle a dû oublier ce petit gars maladroit et envahissant qui la suivait comme son ombre quelques mois plus tôt, ce qu'il ne saura pas tant qu'il ne l'aura pas recontactée – sa cousine ne voulant vraisemblablement pas faire passer le message pour lui. « Je suis désolé, je.. je voulais vraiment pas vous faire peur. » Si c'est le cas Carl s’en veut beaucoup, les choses n'étaient pas censées tourner de cette façon et il regrette que sa réputation l'ait (encore) rattrapé au pire moment. Ce n'est pourtant plus étonnant à force, il devrait être habitué. « Je suppose que c'est pas la peine de vous demander ce que vous faites ici, je veux dire.. vous êtes actrice vous aussi ? » Il tente, sans vraiment s'attendre à en apprendre beaucoup plus. Si elle n'est pas actrice alors elle est peut être présentatrice ou chroniqueuse, Carl envisage plusieurs options pouvant la raccorder à ces studios alors que toutes pourraient facilement coller.

Ça l'attriste de l'admettre mais la cousine de Marceline n'a pas tort, si cette dernière l'avait voulu elle aurait pu saisir l'occasion de le contacter et ils n'en seraient pas restés au dernier échange qu'ils ont eu quand la notoriété de l'actrice est devenue trop importante. Force est de constater qu'elle a tiré un trait sur lui, c'est en tout cas l'impression que tout ça lui laisse et c'est aberrant qu'il ait besoin de l'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre pour le réaliser. Carl avait pourtant tous les indices sous le nez depuis des mois, il ne peut d'ailleurs pas en vouloir à Marceline de l'avoir laissé derrière elle car au cas où ses souvenirs seraient trop flous c'est bien lui qui s'est éloigné le premier, lui qui a préféré prendre ses distances d'une célébrité qui lui faisait trop peur. Il a choisi de renoncer à elle avant qu'elle ne lui échappe et il est rare, très rare que Carl décide du moment où ses épisodes se terminent. Tout comme il est rare qu'on le croit sur parole après un vilain mensonge alors sans surprise, l'argument du café latte ne prend évidemment pas sur sa cousine. « Oh, je sais qu'elle fréquente le Death before Decaf, et ce qu'elle y commande habituellement. Mais honnêtement, je pense que la majorité des gens qui la suivent sur insta le savent ! » Ne serait-ce pas un léger sourire teinté de fierté qui étire les lèvres du garçon en l'entendant ? Si les abonnés de Marceline connaissent ses habitudes au DBD ils ont donc déjà dû voir les cafés que Carl avait pu lui servir, et cette simple idée le met en joie. C'est bête, ça ne veut pas dire grand-chose ou juste que l'actrice est du genre à partager une grande partie de sa vie sur ses réseaux mais il a ainsi le sentiment de n'avoir jamais cessé d'exister dans son paysage, même si c'est à travers de malheureux cafés qu'il n'a même plus l'occasion de lui apporter en personne. « Et vous, vous êtes déjà venue au café ? J'ai pas le souvenir de vous y avoir déjà vue. » Il suppose qu'il s'en rappellerait si c'était le cas mais Carl a tendance à oublier qu'il n'y travaille que depuis un peu plus d'un an, et qu’il n'y est pas non plus présent tous les jours de la semaine. S'il est vrai qu'il en connait maintenant la plupart des habitués une partie lui échappe sans doute encore, et il ne peut finalement pas affirmer que Marceline n'est jamais revenue au café comme il le pense. Elle connaissait ses jours de service et ses horaires, elle saurait donc quand s'y rendre pour être sûre de ne pas l'y croiser.

Carl en devient alors tristement nostalgique, sa cliente préférée lui manque et leurs discussions autour de ses maladresses d'autant plus. Qui le sauvera la prochaine fois que deux brutes viendront en découdre avec lui sur son lieu de travail ? Avec Marceline il se sentait protégé et c'est sûrement pour ça qu'il se soucie autant de savoir comment elle peut aller, c'est même bien la moindre des choses après ce qu'elle a fait pour lui. Son succès aujourd'hui fait plaisir à voir, il a toujours pensé qu'elle avait du talent et il se réjouit de voir que celui-ci est enfin reconnu à sa juste valeur, même si cette ascension fulgurante est aussi ce qui les a éloignés. « Marceline mérite sa réussite. Elle a toujours été une excellente actrice. Elle est douée, et généreuse. » Généreuse est bien l'adjectif que Carl emploierait lui aussi pour la décrire, car il a rencontré très peu de personnes comme Marceline au cours de sa jeune vie. Il n'est pas sûr que l'actrice sache tout ce qu'il lui doit ni même s'il aura le courage de le lui dire un jour, mais il est en tout cas rassuré de savoir que tout va bien pour elle à défaut de pouvoir en dire autant, pour lui. « Je dois passer dans une des émissions de la chaîne » Il relève un regard curieux vers la grande blonde alors que celle-ci demeure bien évasive. « Ah oui, hum.. et quelle émission ? » Il pourrait à vrai dire tout entendre tant que le nom de l'émission en question n'est pas House of Secrets, car là il faut avouer que Carl se sentirait très mal. L'attention de la petite foule autour d'eux est un déjà rappel suffisant de ses frasques passées, il pensait être habitué aux regards insistants et aux messes basses mais de toute évidence, le bonhomme ne s'y fera jamais. « Je devrais d'ailleurs commencer à me préparer. » Ce doit être une façon de couper court à leur conversation, des fois que Carl n'aurait pas déjà senti à quel point il peut être de trop entre ces murs. « Oh. » Le message est plutôt clair, il faudrait vraiment le vouloir pour ne pas le saisir et Carl n'a de toute façon pas prévu de s'éterniser dans cet endroit où tout, absolument tout lui rappelle qu'il ne retrouvera jamais une vie normale. Après deux ans on se souvient toujours de lui comme du barjot de la télé alors très franchement, il ne voit pas quelle tranquillité il peut encore espérer trouver ici bas. « Je vais vous laisser alors, si vous êtes occupée. » Carl espère que c'est vrai et qu'elle ne l’a pas brandi comme un prétexte pour se débarrasser de lui car elle ne serait pas la première à le faire, même s'il a déjà été renvoyé chez lui bien plus brutalement que ça. Cette femme est polie au moins, il regrette juste qu'elle se méfie de lui au point de ne même pas consentir à lui dévoiler son prénom, ne serait-ce que ça. « Et puis.. laissez tomber pour Marceline. J'irai la féliciter moi-même, c'est pas à vous de le faire pour moi après tout. » Carl hausse les épaules, s'il y tient vraiment il n'aura qu'à entreprendre ce petit pas vers l'actrice plutôt que de compter sur sa cousine qui n'ira probablement pas parler de lui en bien, après ça. « Je lui enverrai un message à l'occasion, vous en faites pas je l'approcherai pas directement. » Dire qu’il ne l’approchera plus serait plus correct puisqu'il a eu tendance à se montrer très collant envers l'actrice par le passé et ça il ne sait pas si sa cousine le sait ou l'a compris, malgré la réputation qu'elle semble d'ores et déjà lui attribuer et le raccourci qui serait facilement fait entre ses tendances et son grand intérêt pour Marceline. Carl en a de toute façon fini avec cet épisode, l'actrice ne risque plus de tomber sur lui à la sortie d'un théâtre ou bien encore au coin de sa rue car s'il devait un jour physiquement revenir vers elle ce serait simplement pour lui souhaiter tout le bonheur du monde – mais il évitera Carl, réveiller ses anciennes obsessions n'est jamais bon et il le voit bien en ce moment. « Désolé pour.. tout ça. » Il vrille un regard à gauche puis à droite comme pour désigner les curieux agglutinés non loin d'eux, même s'il pourrait aussi s'excuser pour son approche et son insistance, qui n'ont pas dû redorer la fâcheuse image qu'elle devait déjà avoir de lui. Un jour il fera bonne impression quelque part Carl, c'est beau d'y croire.