2h00 je pose enfin mon crayon et je prends la décision de me coucher. Je suis crevé et je dois me lever tôt demain pour aller bosser. Je passe à la salle de bain pour me brosser les dents avant de me glisser sous ma couette. Je mets un réveil pour 6h et je pose mon téléphone sur le chevet à côté de mon lit. Je mets un peu de temps à m’endormir parce que j’ai trop de choses à penser. Je repense aux commandes qui me restent à faire, aux dossiers qu’il faudrait que j’envoie à de nouvelles galeries, les nouvelles factures que j’ai récupéré à la boîte aux lettres tout à l’heure, Maria qui est à l’hôpital, Paola ou encore Rudy qui est encore parti on ne sait trop où. Un tourbillon de pensées qui s’entrechoquent et qui m’empêchent de m’endormir en quelques minutes comme j’aurais pu normalement le faire vu mon état de fatigue.

Je finis par m’endormir et alors que je suis encore en phase de sommeil léger j’ai l’impression d’entendre un bruit. Plus exactement une vibration. C’est une sonnerie en vibreur en continu qui fait désormais trembler tout mon chevet mais le temps que j’émerge de mon sommeil elle s’arrête. Après avoir lâché quelques jurons en espagnol pour être réveillé en pleine nuit comme ça. Les yeux à peine ouverts et en y voyant encore flou j’attrape mon téléphone. ”Appel manqué de Sara” Et je regarde ensuite l’heure : putain elle est sérieuse de m’appeler à 3h du mat ? Je vois qu’elle m’a laissé un message. Tant pis je verrai plus tard je suis crevé. Je pose le téléphone avec l’écran face contre le meuble. Je suis sûr qu’elle est bourrée et qu’elle m’appelle pour me raconter n’importe quoi alors je n’ai pas envie d’écouter ses conneries. Je pose le téléphone et je me retourne dans mon lit pour essayer de reprendre là où j’en étais. Mais le sommeil ne vient pas et je commence à me poser des questions : et si c’était important ? Elle me fait chier, elle m’épuise c’est ce que je me répète en tendant le bras pour récupérer mon téléphone. Je compose le numéro de ma messagerie vocale en poussant un grand soupir. « Hey hermanito, » Je n’aime pas qu’elle m’appelle comme ça et elle le sait. Elle a l’air de s’éclater en plus, ça commence mal. « Je suis à The Foundry. Y a un gars qui me colle. Lesley est partie et je crois qu’Aleisha aussi. Le gars me fixe et est pas parti avec ses potes. Je trouve plus Ally. » Aucune idée de qui sont les fameuses Lesley, Aleisha et Ally. Je soupire en entendant qu’elle se fait emmerder par un mec, rien de surprenant dans ce genre de soirées il n’y a beaucoup trop de mecs qui se croient tout permis. « C’est loin de la maison. Y a pas de taxi. » Typique de Sara ça. Elle part sans savoir comment rentrer ou alors elle se met dans des états pas possibles et elle est incapable de retrouver son chemin. « Je sais pas quoi faire, » Je n’en peux plus de son immaturité et de son talent à se mettre dans des situations pas possibles mais je ne pas la laisser toute seule si un mec louche lui tourne autour. Je vais aller la chercher mais c’est bien la dernière fois que je fais un truc pareil.

Je me lève péniblement du lit et j’enfile les premières fringues qui me passent sous la main, c’est à dire un vieux t shirt Jurassic park et un vieux jogging. J’attrape les clés de la voiture de maman et je me traîne jusqu’au garage. Je rentre l’adresse du bar qu’elle m’a indiquée avant de démarrer la voiture. Je conduis vite, d’une part parce que j’ai envie de pouvoir vite me recoucher et avoir l’espoir de ne pas aller bosser avec une nuit blanche dans les pattes. Mais de l’autre j’ai envie d’arriver vite pour m’assurer qu’elle va bien. J’arrive finalement devant le bar et je gare ma voiture comme un pied, mais je m’en fiche pas mal, je ne compte pas m’éterniser ici. La musique est forte et je suis tout de suite agressé par l’odeur de clopes des fumeurs. Je regarde si Sara est devant mais je ne la vois pas alors j’entre dans le bar. Mon regard balaie la pièce mais il y a tellement de monde que j’ai du mal à distinguer des visages, surtout que le bar est assez sombre. Je bouscule quelques personnes en essayant de me frayer un passage dans la foule ce qui me vaut quelques regards noirs auxquels je ne prête aucune attention. Et après de longues minutes je l’aperçois enfin près d’une fenêtre. Elle est toute seule et n’a pas vraiment l’air en détresse. Je m’approche d’elle et je lui lance avec un regard noir. “On rentre à la maison.” Elle n’a pas intérêt à discuter sinon je m’en fiche, je la laisse ici et elle se débrouillera. Elle me suit jusqu’à la voiture et je m’installe au volant. L’ambiance est glaciale mais je ne suis pas d’humeur à plaisanter. Je démarre et je brise le silence en lui lançant ma première pique que je ne peux plus retenir. “T’es fière de toi j’espère.” J’appuie sur l’accélérateur en sortant du parking du bar et je continue sur ma lancée. “T’es qu’une égoïste, à cause de tes conneries je vais pas pouvoir dormir avant d’aller bosser.” J’ai l’impression de faire la morale à une gamine, c’est peut-être un peu ce qui est en train de se passer.

***:

Dans  la voiture l’ambiance est plus que glaciale et je décide d’enfoncer le clou en brisant le silence pour lui lancer mon premier reproche. J’ai l’impression d’avoir 50 ans et d’être un père en train d’engueuler sa gamine qui a bu et est rentrée plus tard que l’heure convenue. J’ai conscience que ce n’est pas mon rôle de lui faire une leçon de morale, que ce serait à ma mère de le faire mais elle ne le fait pas alors je m’y colle. Je ne mâche pas mes mots, si ça fait mal c’est tant pis pour elle, elle n’avait qu’à y penser avant de se saouler la gueule sans savoir comment rentrer. « C'est pas de ma faute s'il y avait ce type, j'étais pas sortie pour le voir lui. » Je la regarde furtivement en fronçant les sourcils. Oui d’accord ce n’est pas de sa faute mais celle du type qui l’emmerdait, mais si elle n’était pas dans un état minable à cause de l’alcool elle aurait trouvé un moyen de rentrer ou de repousser ce type. « Je suis même allée me planquer aux toilettes pour voir s'il se barrait à force de plus me voir. Bah il était toujours là quand je suis sortie. » Toujours accuser les autres et jamais ne se remettre en question, c’est bien une Gutiérrez ça c’est clair. Je suis peut-être un peu têtu de temps en temps mais à la différence de ma sœur aînée je sais reconnaître mes erreurs. Et surtout je suis plus responsable qu’elle, quand je sors -et c’est plutôt rare- je sais toujours comment je rentre voire même je ne bois pas si je sais que je dois ramener quelqu’un en voiture. Enfin bref, je suis pas assez con pour me bourrer la gueule en me disant “non mais je trouverais un moyen plus tard”, on prend jamais de bonnes décisions avec deux grammes d’alcool dans le sang. Je soupire et ma réponse bien que dépourvue de paroles est assez éloquente : tu me gonfles. « Tu voulais que je fasse quoi ? Que je couche avec lui pour qu'il me foute la paix ? » Mon soupir l’a faite réagir mais vu ce qu’elle me répond j’aurais préféré qu’elle garde le silence. Pincez-moi je dois être en train de rêver, elle est vraiment en train de me mettre la faute dessus ? “T’es complètement débile ou tu le fais exprès ?” Je fais une nuit blanche pour elle alors que je suis épuisé, je traverse toute la ville pour la récupérer à une soirée qui craint un max alors qu’elle pue l’alcool et elle me balance des trucs comme ça ? “Je t’ai jamais dit que c’était de ta faute si ce connard t’emmerdait. Mélange pas tout.”  J’appuie sur l’accélérateur, je n’ai qu’une envie c’est de rentrer et essayer de faire au moins une sieste avant d’aller bosser. Je me crispe un peu sur le volant et je lui dis sans quitter la route des yeux. “C’est la dernière fois que je viens te chercher parce que t’as trop bu, la prochaine fois t’appelleras quelqu’un d’autre.” Maman par exemple, on verra si elle sera heureuse de faire le taxi à chaque sortie de sa fille chérie. Des fois je me dis que je suis trop gentil mais c’est plus fort que moi, la tête de mule sur le siège passager c’est quand même ma sœur et je ne peux pas la laisser dans la merde. J’aimerais quand même lui faire comprendre que ce qu’elle fait est dangereux et qu’elle agit de manière très égoïste et irresponsable. “La prochaine fois que tu décides de sortir t’assumes et tu trouves une autre solution plutôt que de compter sur le taxi de service.” C’est bon j’ai l’impression d’avoir 50 ans en disant ça, fait chier.

L’ambiance dans la voiture est plus qu’électrique et tout n’est qu’à une étincelle de l’explosion -ce qui vu la dose d’alcool absorbée par Sara devrait donner un mélange plutôt détonnant-. Les mains crispées sur le volant j’ai toute une série de reproches qui me viennent à l'esprit et si j’essaie de me calmer pour les garder pour moi c’est impossible. Même si en général j’essaie de faire des efforts sur la gestion de la colère et d’être plus compréhensif -j’en suis loin- là c’est trop. J’en ai marre de passer pour le taxi de service, la solution de facilité. Alors je ne prends pas de gants et je brise le silence en lui expliquant ce qu’elle est : une sale égoïste immature. Elle me sort des explications farfelues sur le type du bar, comme si ça suffisait à tout effacer. Je la regarde et je lui demande si elle est complètement débile ou pas pour me sortir un discours comme celui-là. Bien sûr que ce type n’avait pas à l’emmerder mais elle a sa part de responsabilité. “Alors c’est quoi le problème ? Je t’ai appelé parce qu’il me tournait autour et toi tu me reproches de t’avoir appelé, je vois pas ce que j’ai mélangé.” Je soupire et le regard fixé sur la route je lui réponds. “Non mais c’est bon t’as pas envie de comprendre alors je vais arrêter de me fatiguer pour rien.” Je suis fatigué, il est quatre heure du mat j’ai envie d’autre chose que de perdre du temps et de l’énergie à lui répondre. C’est une discussion de sourds complètement stérile alors autant clore tout ça. Je tiens quand même à lui rappeler que la prochaine fois elle devra trouver un autre pigeon. “Super, je vois qu’on peut compter sur son frère.” Je lève les yeux au ciel, c’est le pompon là. Elle est complètement torchée, me dérange alors que je bosse dans 3 heures et se permet de me culpabiliser. “Mais putain qu’est-ce que tu comprends pas quand je te parle ?” Contrairement à elle mon cerveau n'est pas embrumé par l'alcool et je n'ai pas la maturité d'un ado de 14 ans donc c'est l'hôpital qui se fout de la charité. “C’est toi qui comprends rien ! Et arrête de faire comme si c’était moi le frère ingrat! Je suis TOUJOURS venu te sortir de la merde. Tu crois que Rudy l’aurait fait ?" Une question qui n'attend pas vraiment de réponse, d'ailleurs je ne lui laisse pas le temps de me répondre. "Je vais te dire ce qu'il aurait fait, il t’aurait envoyé chier à la deuxième fois !” Je crie un peu, je sais que ça ne résoudra rien, qu'au contraire ça envenimera sûrement tout mais je m'en fous, elle l'a bien cherché. Elle n'a pas l'air de s'en rendre compte mais je suis bien plus soft dans mes paroles qu'aurait pu l'être Rudy ou même Maman. Et si Alma et Diego n'osent pas lui dire les choses de manière percutante, moi j'ose. Tout en sachant très bien que ça n'aura aucun impact sur elle dans l'état où elle est. "J’étais juste sortie m’amuser, ma soirée j’aurais pu la terminer tranquille et sans t’appeler s’il y avait pas eu ce type. C’est quoi qui est pas clair là-dedans pour toi ?” Ce qu'elle fait ce n'est pas s'amuser c'est se mettre en danger inutilement tout en foutant son avenir en l'air. “Je pouvais pas prévoir qu’il y aurait ce type.” Elle répète ça en boucle et je n'ai plus la patience. Je l'empêche d'aller plus loin en criant un peu sur le début, le tout en essayant de ne pas lâcher la route des yeux. “Mais t’aurais pu trouver une autre solution, aller voir les videurs, voir tes supers copines, j’en sais rien moi !” C'est facile de se trouver des excuses quand on ne se bouge pas pour trouver des solutions. “Parce que là c’est ce type, la dernière fois t’avais paumé tes clés. Y a toujours quelque chose avec toi MERDE.” Elle est incapable de se remettre en question et d’admettre qu’elle est en tort. Elle ne pouvait pas faire comme tout le monde en s’excusant de m’appeler en plein milieu de la nuit plutôt que de retourner la situation en m’accusant ? “Putain tu pues l’alcool et la beuh c’est pas possible. Je suis sûr que maman sera ravie de sentir ça.” Un mélange franchement pas glorieux qui sera difficile à cacher à la maison, mais je m’en fiche ce ne sera pas mon problème.