Quelque chose cloche dans mon couple. Il y a trop d’incohérence entre ce qu’avance Scott pour justifier ses arrivées tardives et ses envies de week-end en tête à tête et la réalité que me transmet Sybille lorsqu’elle gaffe. Au plus le temps passe, au plus j’ai l’intuition que je partage mon mari avec une tierce personne, une personne de sexe féminin qui aura sans doute des formes plus voluptueuses que moi et qui sera certainement plus jeune et plus amusante. Dans mon imagination, elle possède tout ce que je n’ai plus : la fougue de la jeunesse, l’irresponsabilité des jeunes adultes, l’envie perpétuelle de s’amuser et non pas de construire. Or, c’est mon obsession, moi ! Bâtir une famille, je n’ai que ça à la bouche. Récemment, j’ai proposé à Scott de participer à ses examens qu’il avait lui-même suggérés afin que nous puissions comprendre pour quelles raisons Dieu s’acharne à nous priver d’un bébé à aimer. Loin de moi l’idée ou l’envie d’en vouloir à qui que ce soit, si ce n’est à moi si, d’aventures, j’étais la quatrième patte cassée du canard dit boiteux. En plus de me sentir incomplète, j’aurais l’impression d’être victime d’une punition pour un crime dont j’ignore encore tout, un crime que je n’aurais sans doute pas commis, hormis peut-être dans une vie antérieure. A moins que… a moins que ça soit une façon trouvée par le destin de me protéger. On ne conçoit pas un enfant pour sauver un mariage branlant et, quoique j’aurais juré que le mien était solide, je ne suis plus convaincue de rien. La preuve étant, je n’aurais pas fixé rendez-vous avec Gabrielle, la seule avocate de mon entourage en qui j’ai pleinement confiance parce qu’elle est mon amie. Nous nous sommes rencontrées alors qu’elle débarquait à peine sur Brisbane. La foi s’est installée rapidement, comme si nous étions deux âmes destinées à nous trouver. Elle m’a semblé “une évidence” tout comme aujourd’hui. Assise au bar d’un café trop à l’avance, je sirote un premier café en songeant que le hasard est parfois heureux, qu’il lui arrive de bien faire les choses. Je réfléchis aussi aux conséquences de cette rencontre. M’interroger sur le divorce, pourquoi ? Parce que je pressens que nous courrons, Scott et moi, à notre perte ? Est-ce une manière d’assurer mes arrières si la vérité d’un adultère - ce n’est pour l’instant qu’une présomption - me sonne au point d’être incapable de réfléchir ? De prendre les bonnes décisions ? Le cas échéant, mon mari étant intelligent, je perdrais tout ce que j’ai construit. Aussi, attendant patiemment Gabrielle Strange, je me persuade qu’il est bon de me pardonner cette précaution. Un Homme avertit en vaut deux et, en ce qui me concerne, si ma vie partait à vau-l’eau, il me faudra être au minimum trois. Cette pensée achève de zapper ma bonne humeur. Un voile de peine et de nostalgie emplit mes pupilles et je chausse mes lunettes de soleil pour dissimuler mon trouble. Je ne veux pas que l’avocate approchant enfin s’inquiète d’emblée pour moi. J’aspire à amener mes questions en douceur. Sauter à pieds joints dans un plat de pâtes, ça tache. ça éclabousse et je ne veux de ça ni pour elle ni pour moi qui me lève pour l'accueillir. «Merci de t’être déplacée jusqu’ici.» ai-je remerciée la jolie brune en lui donnant l’accolade. «Je sais que tu as beaucoup de boulot… que ça aurait été plus pratique qu’on se voit en soirée…» Dans un restaurant, autour d’un repas. «Mais, c’était important pour moi… je…» Au départ, en imaginant ce pot en terrasse, je me suis figurée rapporter mes peines en douceur. Je réalise soudainement que c’est impossible. Je suis submergée par l’émotion, si bien que je ne parviens pas à attendre que Gaby s’assoit, que le serveur s’arrête à notre table pour prendre sa commande et, plus respectueux encore, de la confronter droit dans les yeux. Dès lors, je lance, effrayée par mes propres mots. « Mais, j’ai besoin d’aide. Je crois que… que Scott me trompe.» Avec qui ? Aucune idée. Depuis quand ? Je n’en sais rien. Mes impressions sont fondées sur mon intuition féminine, mais dans quelle mesure est-elle fiable ?
Juin 2022. Ce n’est pas une surprise que de recevoir un message de la part d’Anouch. Il est commun entre les deux jeunes femmes que des sms soient échangés, qu’importe l’heure de la journée – et de la nuit concernant Gabrielle, sûrement parce que ces heures-ci sont celles où ses pensées sont incapables de se taire et que c’est un vrai papillon de nuit. Une amitié qui s’est rapidement nouée entre les deux trentenaires, assez naturellement à vrai dire, autour de quelques verres de vin et qui perdure depuis l’arrivée de la californienne à Brisbane, en réalité. Elle n’oubliera jamais cette bouée de sauvetage qu’a pu lui lancer Anouch ce soir où, après une journée éreintante du fait de la nouveauté et d’une nécessité d’adaptation à cette nouvelle vie australienne, la Strange s’est trouvée importunée par un homme un peu trop insistant. Une aide appréciée par l’avocate nouvellement débarquée et c’est ainsi qu’elle a pu faire connaissance d’Anouch mais aussi d’Evelyn. Deux agréables rencontres transformées très rapidement en amitié, pour le plus grand plaisir de l’américaine. Depuis donc, à défaut de se voir quotidiennement autour d’un verre – dose dont elles auraient sûrement bien besoin, c’est indéniable – les jeunes femmes prennent toujours soin de s’envoyer quelques nouvelles de quelques façons qu’il soit. L’échange par messages n’est donc pas surprenant mais c’est davantage le fond de celui-ci qu’il l’est aujourd’hui et qui fait sourciller la Strange, qui se redresse sur sa chaise pour relire la sollicitation de son amie. Il semblerait que cette dernière ait besoin de la voir assez urgemment, et même si cela n’est pas dit explicitement, Gabrielle le comprend assez vite. C’est donc pour cette raison qu’en plein milieu de l’après-midi, elle décide de quitter son bureau, annonçant à ses collègues qu’elle transmettra les nouveaux éléments qui sont arrivés au cours de la soirée – et comme ils la connaissent suffisamment, ils comprennent que cela signifie aussi en plein milieu de la nuit.
Travaillant non loin du lieu de rendez-vous, Gabrielle se hâte donc à rejoindre Anouch qui doit sûrement déjà l’attendre sur place. Elle ne se trompe pas puisqu’en pénétrant dans le salon de thé, la jeune femme l’aperçoit déjà installée à une table. Un sourire se loge naturellement sur les lèvres de l’avocate, qui approche alors de l’agente, lui rendant son accolade «Merci de t’être déplacée jusqu’ici.» « De rien, voyons » lance-t-elle d’un air sincère. Son regard tente déjà de comprendre ce qui se trame chez son amie, alors qu’elle dépose son sac sur le dossier de sa chaise, ainsi que sa petite veste, sans pour autant y prendre encore place «Je sais que tu as beaucoup de boulot… que ça aurait été plus pratique qu’on se voit en soirée…(…) Mais, c’était important pour moi… je…» Gaby se stoppe dans ses gestes, sent bien que quelque chose tracasse Anouch, la sentant chamboulée, ce qu’elle n’a jamais pu détecter encore chez elle « Mais, j’ai besoin d’aide. Je crois que… que Scott me trompe.» Les yeux de l’avocate s’écarquille alors, et se saisissant immédiatement de la main de son amie, l’invite à s’assoir à l’unisson « Je suis désolée, Anouch dit-t-elle dans un premier temps, rassemblant ses idées pour trouver les mots justes face à cette situation délicate Qu’est-ce qui te fait penser que c’est le cas ? Je veux dire… as-tu vu quelque chose qui te pousse à penser qu’il te trompe ? Sa main resserre son emprise sur la sienne, son regard empli de compassion et de bienveillance Et évidemment, si je peux faire quelque chose, quoi que ce soit, je le ferai, Anouch ». Elle peut compter sur elle sans l’once d’une hésitation.
Assise à la terrasse où j’ai donné rendez-vous à Gabrille, je m’agite. Je me tortille sur ma chaise avec la nervosité d’un inculpé prêt à recevoir sa sentence. Je suis le moucheron qui remue sur la toile d’une araignée qui l’aura prise au piège. Je suis pathétique, mais ça n’inquiète pas ma vanité. Qu’importe l’absence de preuves incriminantes qui convergeraient vers mon intuition… Scott me trompe. Je le jurerais sur la Bible sans redouter de brûler en enfer. J’en ai la conviction parce qu’il a changé, parce qu’il ment, parce que s’il me désire, il m’arrive de humer le parfum d’une autre sur ses vêtements. J’en suis convaincue sous prétexte que ses baisers sont désormais dépourvus de fougue. En outre, j’alimente l’étrange sensation que, de nous deux, je suis la seule à ambitionner le rêve que nous devenions parents dans un futur proche. Dans ces conditions, comment ne pas ressembler à un diable monté sur ressort ? Comment ne pas trembler tandis que je remonte mes lunettes de soleil sur le dessus de mon crâne ? Comment ne pas accueillir mon amie, qui ne tarde pas à cheminer dans ma direction, en lui déballant le bonbon acide de mon intuition afin qu’elle le gobe tout de go ? Certes, j’exagère. Je l’ai tout de même remerciée d’avoir répondu présente à mon appel à l’aide. Je lui ai adressé un message tel une bouteille envoyée dans la mer de Gaza et mon amie l’a ramassée, l’a ouverte et a accouru vers moi pour me sortir du mauvais pas dont elle ne savait encore rien. D’après moi, c’était la moindre des choses que de lui témoigner ma gratitude. Le cas échéant, j’aurais pu être plus délicate. J’aurais pu me renseigner sur ce qu’elle avait mangé ou non. Moi-même, je n’ai pas faim. Depuis que mes doutes se sont mués en obsessions - en certitude - j’ai perdu quelques kilos et, ma silhouette, pas bien épaisse, en porte déjà les stigmates. Ils sont aussi visibles que la stupeur dans le regard de l’avocate tandis que ma franchise lui heurte le tympan. Polie, elle m’affirme être désolée et ces quelques mots me font un bien fou. Je me sens moins coupable d’avoir dérangé la quiétude relative de la jolie brune. Bien sûr, la réplique est creuse. Mais j’ai de l’empathie. A sa place, et en pareilles circonstances, je n’aurais pas été plus éloquente. Je crois, qu’au contraire, je me serais effondrée sur place, souffrant avec elle des conséquences de ce pied de nez du destin. Au lieu de ça, Gabrielle étant une femme exceptionnelle, elle rassemble ses émotions, les tord dans tous les sens et les modèle en questions pertinentes. Le problème, c’est que je n’ai rien de probant à invoquer pour étayer mon propos. Je n’ai à disposition que des indices abandonnés ça et là dans mon quotidien et qui, au fur et à mesure des nuits, se sont transformés en doutes, puis en évidence. «Son attitude. Ses chemises froissées. Ses mensonges aussi.» ai-je soupiré en hélant le serveur. J’ai soif. J’ai besoin d’un remontant : un café fera très bien l’affaire. J’y puiserai du courage. «Mais, je n’ai rien vu. Je le sens surtout. Je l’ai invité au restaurant récemment. Je voulais lui parler de bébé…» Mes envies ne sont un secret pour personne, mais les difficultés de notre couple à procréer est une information jalousement gardée. J’y viendrai peut-être, plus tard dans la conversation. Je l’ignore encore : je suis retournée et je peine à réfléchir avec cohérence. «Il est arrivé une demi-heure en retard. Il m’a dit qu’il était au bureau. Sauf que j’avais appelé sa secrétaire un peu avant et qu’elle a dit qu’il était parti dans le courant de l’après-midi. Vers 17 heures. Il est arrivé au restaurant à 19h30. Qu’est-ce qu’il a fait pendant ce temps-là ? » Pour moi, les choses sont claires. Tout du moins l’étaient-elles jusqu’à ce que j’énonce mes présomptions à voix haute. Est-ce que je me monte des scenarii toutes seules ? Ai-je une imagination trop fertile ? Est-ce normal que je me dégonfle comme un ballon de baudruche ?
Juin 2022. L’avocate ne tient pas à enfoncer le couteau dans la plaie. Son amie a des doutes concernant son mari, des doutes qu’elle lui partage, mais elle ne s’insurge pas dans l’immédiat. Elle est choquée évidemment par la nouvelle, attristée également mais n’en rajoute pas quand elle sent qu’Anouch est déjà suffisamment touchée par tout ça. Gabrielle veut être là pour l’épauler, pour la soutenir et si nécessaire l’aider mais elle ne la poussera pas sur la pente descendante. Elle est en position d’écoute, d’assimilation, de compréhension, comme elle fait au quotidien avec ses clients. Une déformation professionnelle en somme, mais elle reste là en position d’amie face à Anouch et non pas en position d’avocate. Mais si la belle brune aux yeux azur lui demandait d’en revêtir la casquette, elle le ferait sans hésiter « Son attitude. Ses chemises froissées. Ses mensonges aussi. » Pour l’instant, elle lui fait part de ces petites choses qui la font penser que son mari la trompe. Face à chacun de ses arguments, Gabrielle acquiesce d’un hochement de tête et lorsque son amie fait appel au serveur, elle commande un thé lorsque c’est son tour, sans toutefois accorder un regard au serveur, celui-ci toujours fixé sur le visage aux traits fatigués de son amie. Et d’ailleurs, en analysant davantage ses traits, Gabrielle se rend compte des joues creusées et des cernes sous les yeux d’Anouch, qui lui font davantage froncer les sourcils. « Mais, je n’ai rien vu. Je le sens surtout. Je l’ai invité au restaurant récemment. Je voulais lui parler de bébé… » Elle est au courant l’américaine de la volonté de son amie d’avoir un enfant. Elles ont abordé le sujet ensemble, peut-être par deux fois, où Anouch lui a sûrement retourné la question. Celle qui l’a faite légèrement sourire et peut-être rougir tant Gabrielle n’a jamais réellement envisagé la question. Les traumatismes du passé, de ce modèle familial chaotique dans lequel elle a grandi et qui lui font craindre de construire sa propre famille. L’absence aussi de stabilité dans sa vie amoureuse, quand elle fricote avec Channing depuis quelques mois mais dont leur histoire est si bancale qu’il est difficile pour elle de faire des plans sur la comète. Parce que, s’il y a bien une personne avec laquelle elle aurait pu et pourrait envisager cette possibilité, ce serait bel et bien avec l’héritier. Mais ils sont loin d’en être à un tel point, quand ils sont incapables déjà de s’avouer leurs sentiments. « Il est arrivé une demi-heure en retard. Il m’a dit qu’il était au bureau. Sauf que j’avais appelé sa secrétaire un peu avant et qu’elle a dit qu’il était parti dans le courant de l’après-midi. Vers 17heures. Il est arrivé au restaurant à 19h30. Qu’est-ce qu’il fait pendant ce temps-là ? » « Je vois, laisse échapper dans un premier temps la californienne dont le regard se pose sur sa tasse fumante je comprends tes doutes, Anouch et, effectivement, son comportement est plus que suspicieux » Elle annonce ça d’un ton désolé encore, préférerait lui dire que cela n’est que le fruit de son imagination pour apaiser ses craintes mais le coup du retard est peut-être celui de trop. Elle retrouve le regard si bleuté de son amie « Est-ce que tu as essayé d’en parler avec lui ? » notamment lorsqu’il lui a menti en pleine figure « Tu devrais l’envisager, tu ne peux pas rester avec des doutes pareils, sweet heart » elle la regarde, toujours avec cet air inquiet et ajoute « Ces doutes… tu les as depuis longtemps ? certainement quand elle remarque ses quelques kilos en moins et que Gaby s’en veut également de ne pas l’avoir remarqué plus tôt.
Je ne sais pas ce que j’espérais comme réaction de la part Gabrielle. Avais-je besoin qu’elle insulte mon mari ? Qu’elle me questionne ? Qu’elle m’invite à me calmer pour reconsidérer mes intuitions ? Dans les faits, qu’elle s’inquiète de savoir si je détiens des preuves ou non n’est pas étonnant. Elle est avocate, mon amie. Elle est pragmatique : il lui faut des faits vérifiables et, de préférence, vérifier. Les présomptions n’ont jamais envoyé personne devant un tribunal. Chacun est présumé innocent tant qu’il n’est pas désigné coupable, n’est-ce pas ce que prévoit la loi ? Dans ces conditions, j’ai bien du mal à légitimer ce que je ressens puisque je ne possède rien de tangible. Rien de concret à opposer au calme de Gaby. Elle me déstabilise et je remue comme une anguille sur ma chaise. Je me sens bête de m’emporter, mais pas vexée pour autant. Que du contraire ! Peut-être l’ai-je contactée avant Evey pour une bonne raison, une raison inconsciente au départ qui me saute aux yeux à présent : je ne cherchais pas à être accablée, mais secouée. Et, bien entendu, ma vieille amie aurait su endosser ce rôle. Mais, n’a-t-elle pas elle-même ses propres ennuis à régler ? Des problèmes bien plus graves que les miens puisqu’il touche à tout ce qu’elle a érigé professionnellement parlant, à sa réputation et à son sentiment de sécurité ? Le serveur, amène, à peine choqué qu’aucune de nous deux ne le regarde dans les yeux au moment où lui avons commandé un thé et un café - mauvaise idée compte tenu de ma nervosité - je tourne machinalement la cuillère dans ma tasse. Je n’ai pas ajouté de sucre. Je m’occupe les mains, la conversation prenant un tour inattendu et mes convictions s’étiolant à mesure que les mots de Gabrielle n'atteignent et ne chatouillent mes tympans. Et, pour cause, je suis bien trop lâche pour aborder la conversation avec Scott de manière frontale et j’ai honte d’avouer que «Non !» Même au restaurant, je n’ai pas osé le confronter. Au lieu de ça, je me suis levée pour tourner sur moi-même, qu’il constate mes efforts vestimentaires avec l’espoir fou qu’il ait envie de moi. Mon impératif, c’était qu’il me regarde, priant pour atteindre mes objectifs - qu’il accepte d’assumer ce qu’il m’a promis : un rendez-vous chez un spécialiste de la fécondation in vitro - et ne pas tout gâcher. Je l’ai fait cependant. En déclinant sa proposition de nous envoler le temps d’un week-end, je l’ai blessé. Comment lui confier alors que je doute de sa sincérité et, plus largement, de sa fidélité ? « Je ne peux pas, Gaby.» Mes grands yeux s’écarquillent. Je m’affole. Mon coeur bat trop intensément : je n’entends plus que ses battements. « Imagine, j’ai raison. Je fais quoi ? Je m’en vais ? Je le mets dehors ? Je fais quoi pour la société ? » J’ai mis toutes mes billes dans notre agence. S’il s’avérait que mes inquiétudes se matérialisent dans la bouche de mon mari, je perdrais tout, en ce compris ma dignité. « J’ai peur. J’ai tellement peur que je ne suis même pas capable de répondre à ta question : je ne sais plus quand j’ai eu mes premiers doutes.» Ma tête est un marasme d’émotions et de pensées toutes plus noires les unes que les autres. « Je dirais plus d’un mois.» A peu près…
Juin 2022. Gabrielle sent la nervosité de son amie. Elle le voit même physiquement sur elle et elle la découvre ainsi pour la première fois. Anouch est différente ce soir, elle qui lui est toujours apparue décontractée et souriante à chacune de leurs rencontres. Des rencontres bien souvent légères, où deux voire trois amies - quand Evelyn se joignait à elles - se retrouvaient pour parler de tout et de rien. Leur quotidien laissé derrière elle le temps de quelques heures, leurs tracas aussi, juste profiter de l’instant présent pour déconnecter. Anouch n’a jamais montré une seule faille en la présence de Gaby et la voir comme ça la perturbe. La perturbe d’autant plus qu’elle lui parle de son mariage qui, aux yeux de l’avocate, semblait être parfait tant elle n’en a jamais décrit la quelconque faille. Aujourd’hui, ce monde idyllique dans lequel elle pensait que son amie vivait s’étiole au fur et à mesure de ses mots, au fur et à mesure de ses doutes. Des doutes liés à un mari à qui, pourtant, on aurait envie de donner le bon Dieu sans confession. Un mari qui semble cacher son jeu à la perfection et si Gabrielle semble prendre avec des pincettes les accusations d’Anouch à son encontre, il n’en est rien. Oh, elle a envie de lui dire que c’est qu’un pauvre con qui ne la mérite pas. Elle a envie de lui dire qu’elle croit dur comme fer en ses doutes et qu’en général, ce genre de pressentiments ne trompent jamais. Mais en posant des questions calmement comme elle le fait, qui oblige la belle aux yeux azur à réfléchir à cette situation, elle le fait pour tenter d’apaiser son état de nerfs… mais cela semble être vain… «Non !» qu’elle lui répond quand Gabrielle lui demande si elle a tenté de discuter avec Scott, notamment concernant son retard, en sachant pertinnement qu’il lui a menti en pleine face. « Je ne peux pas, Gaby.» « Pourquoi ? » glisse-t-elle alors qu’elle est étonnée par la réponse qu’Anouch lui donne. « Imagine, j’ai raison. Je fais quoi ? Je m’en vais ? Je le mets dehors ? Je fais quoi pour la société ? » Elle panique Elle suffoquerait presque, ce doit être le cas à l’intérieur d’elle et Gabrielle le sent, changeant de place, venant s’assoir sur une chaise plus proche de celle de son amie pour venir lui saisir les mains « Respire, Anouch » murmure-t-elle mais cela ne semble pas être suffisant pour apaiser son amie, alors que vient la question de savoir depuis combien de temps elle a tous ses doutes « J’ai peur. J’ai tellement peur que je ne suis même pas capable de répondre à ta question : je ne sais plus quand j’ai eu mes premiers doutes.(…) Je dirais plus d’un mois.» Un mois, c’est peu et beaucoup à la fois. Peu parce que cela ne représente pas des années, mais long parce que pour l’agente, cela représente tout de même des jours et des jours d’angoisse et de questionnements qu’elle a eu seule, sans obtenir de réponses ni de soutien. « Ecoute-moi Anouch dit-t-elle sur un ton calme, l’obligeant à trouver son regard « Pour savoir si tu as raison, il faut déjà que tu en es la certitude elle marque volontairement une pause, son regard dansant dans celui d’Anouch, montrant toute sa compassion et sa bienveillance et pour ça, soit tu affrontes Scott, soit … tu uses d’un autre moyen pour connaitre la vérité par toi-même… est-t-elle en train de lui suggérer un détective privé ? elle ne nomme pas l’idée, mais la sous-entend Et s’il s’avère que tu as raison, tu ne peux pas accepter la situation et vivre avec un type qui t’es infidèle et qui te manque de respect la voilà la Gabrielle qui se glisse dans la peau de l’amie bien sûr que tu vas le foutre dehors, parce qu’il ne te mérite pas et pour la société, il y a pléthores de solutions. Elle est ferme dans ses propos Gabrielle, volontairement, pour pousser Anouch à agir et on y travaillera ensemble au moment voulu. Pour le moment, Anouch, tu ne peux pas rester comme ça. Et je suis là pour t’épauler, tu n’es pas seule » conclue-t-elle, n'ayant pas flancher du regard un seul instant pour lui prouver toute la sincérité de ses dires.
Ce “non”, il respire la peur. La preuve, mon regard, plongé dans celui de mon amie, est épouvanté. Elle a beau changer de place pour s’asseoir à mes côtés et me prendre par les mains, histoire de me rassurer, je suis tétanisée par l’avenir qui me sera réservé si, d’aventures, j’avais raison. Je ne suis pas prête à renoncer à ma maison. Je ne le suis pas davantage de considérer que j’ai investi argent et énergie dans une société qui sera soit vouée à la faillite si je réclame la moitié des fonds qui me reviennent, soit qui sera rachetée par mon mari, ce qui me ramènera à la case départ malgré le pécule que j’aurai récupérer. Travailler avec lui en étant divorcé ? Je n’ose pas l’envisager. Pas plus que je ne m’aventure vers cette voie qu’est le divorcer. Le pis, je crois - je le sais, et j’en ai honte - c’est que je me demande comment atteindre mon rêve de m’accomplir en tant que femme si mon époux sort du décor. Est-ce logique ? Légitime ? Gaby a beau m’inviter à respirer plus amplement - à me calmer - je n’y parviens pas. Je regrette d’avoir commandé un café d’ailleurs : une infusion m’aurait mieux valu. «J’essaie, tu sais. J’essaie de relativiser, mais c’est compliqué. » ai-je confessé, les paupières gorgées des larmes de désarroi, de déception et de colère à la fois. La déception d’avoir confié mon coeur à un homme qui m’enfonce dans un tel état de stress et de paranoïa, le désarroi d’avoir à repartir à zéro a plus de trente ans – j’approche doucement, mais sûrement, de la quarantaine - alors que toute femme a sur le crâne estampillé une date de péremption. La colère de m’être laissé prendre au piège et de perdre pied aussi facilement devant témoin. Une chance que j’ai foi en cette amie qui a à coeur de me rassurer et de me conseiller au mieux. Au contraire, je me serais levé de table sans demander mon préavis pour me réfugier chez moi, m’entourer de mes bras et pleurer sur mon sort. Au lieu de ça, je me concentre sur les mots de Gabrielle, sur ce qu’elle prévoit comme solution. Retournée, je n’intègre pas l’impact de tout ce qu’elle me propose, malheureusement. «Un autre moyen ? Mais, lequel ? » Engager un détective privé ? Est-ce ce à quoi elle fait allusion ? Ma tête se penche machinalement sur le côté et j’embraie. «Ensemble ? ça veut dire que tu seras là ? » Qu’elles seront là toutes les deux, Evey et mon amie avocate, pour me soutenir, m’aider à empoigner les cornes du taureau et foutre à la porte mon mari ? Gaby répondra-t-elle au téléphone si je l’appelle en pleine nuit ? Viendra-t-elle dormir auprès de moi si je souffrais de la solitude ? M’empêchera-t-elle de téléphoner à Scott les soirs où je serai ivre de vin rouge ? «Et… comment je vais faire … ? Pour avoir un bébé, je veux dire ? » La gravité dans le timbre de l’avocate a quelque chose d’apaisant. Elle me soulage d’une partie de mes craintes d’être abandonnée, mais n’est-elle pas atavique ? Ne dépend-elle pas aussi de ce que je n’ai pas été aimée par ma vraie mère ? Que mon père biologique est un mystère pour moi ? Aurais-je envie de me lancer dans le projet d’avoir un bébé toute seule ? « Je ne supporterais pas de ne pas donner la vie. Je sais que ça peut paraître pathétique.» Beaucoup de femmes considèrent que ce n’est pas une fin en soi. Elles ne comprennent pas leur congénère de mon espèce qui, à l’inverse, estime que c’est le summum de la féminité. Et, Gaby, qu’en pensera-t-elle de mon besoin viscéral d’être maman ?
Juin 2022. Il n’est pas possible d’avoir une conversation raisonnée si dans un premier temps, Gabrielle ne parvient pas à faire trouver à son amie un tant soit peu de calme. Surtout, ce qu’elle cherche à faire en lui demandant de prendre une profonde respiration, c’est de la mettre en condition. La mettre en condition afin qu’elle soit attentive aux mots qu’elle va prononcer, aux conseils qu’elle va lui prodiguer, aux solutions qu’elle lui propose pour se sortir de cette situation qui n’est pas vivable. «J’essaie, tu sais. J’essaie de relativiser, mais c’est compliqué. » Ce n’est pas tant de relativiser qu’elle lui demande, quiconque en serait incapable dans une telle situation. Juste de prendre du recul et d’être prête à entendre cette vérité, qui n’est pas plaisante certes mais indéniablement nécessaire «Un autre moyen ? Mais, lequel ? » « Si tu ne veux pas utiliser une manière officielle comme un détective privée… peut-être déjà commencer par son entourage proche… des amis à lui avec qui tu as de bons rapports… » Elle n’est pas réellement convaincue que cela soit une solution et qu’elle obtiendra des réponses par ce biais, mais cela peut être un début. « Tu sais déjà qu’il t’a menti ce soir-là, prétendant être au bureau alors qu’il n’y était pas… Essaye de gratter davantage, auprès de sa secrétaire… d’un de vos collaborateurs… ». Des preuves, c’est ce qu’il lui faut, voilà tout «Ensemble ? ça veut dire que tu seras là ? » « Tu en doutes sincèrement, Anouch ? Bien sûr que je serai là. La porte de chez moi est d’ailleurs grande ouverte si tu as besoin et si tu veux que j’aille moi-même confronter, Scott, je le ferai » On sent la détermination dans sa voix, elle en serait d’ailleurs capable et Anouch a, en réalité, qu’un mot à dire pour qu’elle mette son plan à exécution. «Et… comment je vais faire … ? Pour avoir un bébé, je veux dire ? (…) Je ne supporterais pas de ne pas donner la vie. Je sais que ça peut paraître pathétique.» Elle la comprend sa crainte. Non pas parce qu’elle se pose les mêmes questions, Gaby, la maternité l’effraie sûrement bien plus qu’elle ne peut elle-même l’imaginer, mais parce qu’elle sait. Elle sait à quel point avoir un enfant est important pour Anouch et c’est sûrement pour cette raison qu’elle vient à davantage resserrer son étreinte autour de ses mains « Non, non, Anouch, ça ne l’est pas mais… elle laisse échapper un soupir, désolé d’avoir à prononcer ces mots mais ce n’est pas parce que tu veux un bébé que tu es dans l’obligation de rester avec Scott et accepter ce qu’il te fait subir. Ce n’est pas la solution ». Elle sait que la perte de repères sera difficile, elle sait elle-même à quel point il est difficile de se reconstruire après une rupture, elle ne peut imaginer ce que cela peut être après un divorce, mettant fin à plein de projets de vie. Mais elle ne peut pas et ne doit pas s’oublier pour autant… et surtout, elle se doit de se respecter – à défaut que son mari le fasse.
Gaby déploie des trésors d’énergie pour m’obliger à regarder au-delà que le bout de mon nez. Elle Fait preuve de douceur et de compassion afin que je me calme, condition sine qua non pour mener à bien une réflexion utile et, par conséquent, ne plus tourner en roue libre. Sauf que c’est compliqué. Je suis une vis tournant dans le vide parce que le filet est trop usé. La peur me paralyse, elle m’empêche d’agir et, pourtant, je sais en mon for intérieur que l’avocate a raison. Dès lors, je l’écoute attentivement. Mon pied bat au sol la mesure de mon cœur battant chamade, mais je m’efforce de me concentrer sur ses mots. Je m’y emploie avec l’énergie du désespoir qui m’assaille d’autant plus lorsqu’elle me propose une alternative à la confrontation refusée entre mon mari et moi. «Questionner ses proches ? Nos proches ? » Lesquels ? Lesquels ne prendraient pas parti pour lui ? Je dresse une liste rapide et peu de noms me viennent en tête. «La seule qui pourrait m'éclairer, c’est Sybille, sa secrétaire. Mais, elle ne cafarde pas. En tout cas, elle ne le fait jamais volontairement. Là, elle a fait une bourde, je suis convaincue qu’il lui a rappelé que moins j’en savais, mieux c’était pour lui. Je peux faire le test de suite : tu verras que s’il n’est pas au bureau, je n’arriverai pas à savoir où il se trouve, même s’il ne fait rien de mal et qu’il est simplement en rendez-vous professionnel. Elle est trop loyale. Elle lui doit tout. » Et, c’est consternant. «Peut-être même que c’est avec elle qu’il me trompe.» J’en aurais douté il y a peu. Aujourd’hui, je ne suis plus sûre de rien. Tous types de physique devient une menace et l’âge n’est plus un critère pour j’écarte une de ses prétendantes. Ainsi, mon coeur saigne parce que les possibilités sont nombreuses…. beaucoup trop. «Un détective privé, c’est peut-être le mieux.» ai-je admis, dépitée d’en arriver à de telles extrémités. «Je suppose que tu en connais un, et un bon…» Sûrement très cher, mais je ne manque pas d’imagination : je trouverai bien une excuse pour justifier cette dépense à mon époux puisqu’il est évident qu’elle passera sous le compte de la société. Combien n’en avons-nous pas engagé pour surveiller nos artistes ou nos concurrents directs ? Un nombre incalculable… autant d’oeil de Moscou que je suis interdite de contacter. «Tu as raison. Je ne dirais pas que je me sens déjà mieux, mais savoir que tu es là.» Qu’elle sera toujours là : elle me le promet. «ça m’aide à me calmer.» Et, en conséquence, à penser plus posément et avec rationalité. «Tu sais, parfois, je me dis que s’il m’a trompé, ce n’est peut-être un hasard. J’ai peut-être ma part de responsabilité.» C’est le concept même de la dispute : il faut être deux pour en mener une. «Je lui ai peut-être trop mis la pression pour cet enfant. A force, il n’y avait plus rien de spontané entre nous. Tout était calculé en fonction de mon cycle. C’était pas le bon plan pour éviter la routine. On fait plus romantique. Je peux ne pas le condamner tout de suite.» ai-je proposé, espérant que Gabrielle comprendra cette remise en question. Bien sûr, elle ne démontre pas le quart de la fierté qui nourrit ma personnalité. Elle s’efface et, pour cause, je n’ai imaginé un autre papa que Scott pour mes enfants et, qui plus est, le temps presse dangereusement. Mon regard cadenassé à celui de Gabrielle, je poursuis : « Je n’arrive même plus à envisager de ce que je me fais des idées. Tu te rends compte ? Je pense déjà à le pardonner.» Suis-je bête ? Toujours amoureuse ? (évidemment) Prête à tout pour atteindre un objectif unique : être mère ? Assurément.
Juin 2022. «Questionner ses proches ? Nos proches ? » C’est une idée, encore faut-t-il trouver les bonnes personnes pour se faire, des personnes de confiance, des personnes qui ne tenteront pas de la rassurer quand elle a toutes les raisons de s’inquiéter et qu’ils en sont conscients. Ce n’est pas évident, rien ne garantit que cela l’avancera et lui permettra d’obtenir des réponses, mais cela peut être une alternative à défaut de vouloir utiliser tout de suite par la manière forte. «La seule qui pourrait m'éclairer, c’est Sybille, sa secrétaire. Mais, elle ne cafarde pas. En tout cas, elle ne le fait jamais volontairement. Là, elle a fait une bourde, je suis convaincue qu’il lui a rappelé que moins j’en savais, mieux c’était pour lui. Je peux faire le test de suite : tu verras que s’il n’est pas au bureau, je n’arriverai pas à savoir où il se trouve, même s’il ne fait rien de mal et qu’il est simplement en rendez-vous professionnel. Elle est trop loyale. Elle lui doit tout. » Les yeux de l’avocate se plissent au fil des mots de son amie, réfléchissant à un moyen d’utiliser cette fameuse secrétaire pour obtenir un début de quelque chose « Le portrait que tu me dresses d’elle me fait me dire qu’elle a le profil de celle qui parle beaucoup et qui pourrait répondre à quelques-unes de tes questions, si on sait comment s’y prendre avec » peut-être parce qu’elle a le profil d’une fille quelque peu crédule aussi et qu’en maniant les mots d’une certaine façon, cela pourrait permettre de l’amener à confesser des choses qu’elle ne dirait pas si la question lui était posée de but en blanc. C’est une hypothèse qu’émet Gaby, ici, sans garantie que cela puisse être satisfaisant «Peut-être même que c’est avec elle qu’il me trompe.» « j’en doute … » dans le sens où elle ne lui aurait pas dit la vérité sur son mari absent du bureau par exemple. «Un détective privé, c’est peut-être le mieux.» « Ca me semble être le moyen le plus sûr si tu veux connaitre la vérité de manière certaine » dit-t-elle de manière douce et prudente. «Je suppose que tu en connais un, et un bon…» Gabrielle acquiesce doucement de la tête « J’en ai un ou deux à te soumettre, effectivement. Je peux t’envoyer leurs coordonnées dès demain à la première heure quand je retourne au bureau ». Elle ne les avait pas là dans l’immédiat sous la main mais elle n’oublierait pas de le faire. «Tu as raison. Je ne dirais pas que je me sens déjà mieux, mais savoir que tu es là (…) ça m’aide à me calmer.» Un mince sourire se dessine sur les lèvres de Gabrielle, une certaine satisfaction de se dire que sa présence puisse aider un tant soit peu Anouch, même si cela n’efface rien de ses problèmes – et pourtant, elle aimerait avoir un tel pouvoir. «Tu sais, parfois, je me dis que s’il m’a trompé, ce n’est peut-être un hasard. J’ai peut-être ma part de responsabilité.» Les mots ne plaisent pas à Gabrielle, et Anouch n’aura aucun mal à le lire sur ses traits. Ses sourcils se froncent et son silence veut sûrement en dire plus que si elle usait de mots «Je lui ai peut-être trop mis la pression pour cet enfant. A force, il n’y avait plus rien de spontané entre nous. Tout était calculé en fonction de mon cycle. C’était pas le bon plan pour éviter la routine. On fait plus romantique. Je peux ne pas le condamner tout de suite.» « Comment tu peux dire une chose pareille, Anouch ?! Ce n’est en RIEN de ta faute, tu m’entends ? Et RIEN, ne peut justifier son comportement. Je te défends de te juger coupable de quoi que ce soit. Tu n’y est pour RIEN » Elle insiste mais veut faire enlever cette idée absurde de la tête de son amie. Il ne manquerait plus que ça, que Scott trouve l’excuse qu’il subissait trop de pression de sa femme pour le bébé, d’où le fait de vouloir aller voir ailleurs ! On aura tout vu. Malgré sa colère soudaine, les traits de la californienne s’apaise aussi vite qu’ils se sont renfrognés « Je n’arrive même plus à envisager de ce que je me fais des idées. Tu te rends compte ? Je pense déjà à le pardonner.» « Je serai là pour te rappeler que tu es stupide de le faire » c’est spontané mais franc, Gabrielle s’en veut peut-être pour le manque de délicatesse laissant échapper un soupir « S’il s’avère que tes suspicions sont fondées, il ne te mérite définitivement pas elle vient alors à la prendre dans ses bras, sentant depuis de longues minutes déjà que le brune est prête à craquer d’un instant à l’autre Ca va aller, je serai là, je te le promets » réitère-t-elle avant de se reculer « Et si tu souhaites que j’aille moi-même lui faire sa peau, on peut trouver un terrain d’entente ». C’est une boutade volontaire qu’elle lâche là, prenant soin de remettre une mèche de cheveux de la jeune femme derrière son oreille avec douceur « On aurait peut-être dû commander un verre de vin ou un cocktail » fait-t-elle en adressant un regard à leurs boissons sûrement devenues froides.
Au plus je pense à Sybille, au plus je me dis qu’elle pourrait être la clé qui ouvre la porte vers la vérité. Sauf que si Scott avait vent de mon interrogatoire, ils se méfieraient. Ils se montreraient d’autant plus vigilants par rapport à ses frasques qu’il ne serait plus “pinçables.” Dieu que c’est attristant. C’est désolant de réaliser que mon couple est si mal entouré. A quel moment n’ai-je pas été une épouse assez loyale pour que ses amis à lui se sentent redevable vis-à-vis de moi ? De mon intégrité ? Parce que s’il me trompe, Scott est condamnable. C’est d’autant plus désarçonnant que j’en viens à me demander dans quelle mesure je suis responsable de cette situation. Est-ce normal ? Est-ce le lot de toutes les femmes gorgées de présomption qui se figurent trop proches de la vérité ? Est-ce logique que, le cas échéant, j’aurais envie de rencontrer l’élue du corps ou du cœur de mon époux ? Est-ce que, comme moi - j’en suis certaine - s’inquiètent-elles de ce qu’elles ont de plus qu’elles, ces maîtresses ? Je ne détiens aucune preuve et, pourtant, j’en suis déjà là et je souffre. Je souffre d’avoir peur sans preuve. Je souffre d’être grotesque. Je souffre d’écraser ma vanité sous mon talon comme s’il s’agissait d’un vulgaire insecte. «Oui ! Peut-être que Sybille pourrait être piégée. Je pourrais aussi essayer de l’éloigner de l’agenda de Scott, mais je crois que mes doigts trembleraient tellement fort.» Que je serais incapable de dénicher une information capitale et utile. Je ne le précise pas. Mon hésitation en dit plus long que les mots qui m'accableraient plus encore, qui me transformeront en idiote. «Et, tu sais, je te demanderai jamais d’affronter quoi que ce soit à ma place. » Cette remarque-là, elle est plus maligne. Elle trahit d’un soupçon de courage qui redore mon blason, un peu. Il n’est pas rutilant. Je crains qu’il puisse plus jamais briller, mais c’est un bon début, non ? Statuer sur l’engagement d’un détective privé, c’est également un nouveau pas en avant, je me trompe ? Peu à peu, les pièces du puzzle s'imbriquent les unes aux autres et, avec eux, s’amenuit mon sentiment d’impuissance. Je reprends des forces et des couleurs tandis que j’acquiesce en silence. Demain, j’aurai des coordonnées utiles dans mon téléphone. Demain, si je trouve de la bravoure pour agir, j’appelerai. En attendant, j’expose mes remises en question au grand jour. Elles sont sous la lumière et mes paupières se bordent de larmes. Je n’ai pas toujours été facile avec mon conjoint. Lorsque je parle de pression par rapport à la parentalité, je ne mens pas. Je n’aggrave pas mon comportement afin de lui trouver à lui des circonstances atténuantes. Je dépose sur la table où trônent thé et café - je n’y ai pas encore touché - les faits tels que je les perçois avec le recul. J’ai été casse-pied. Mon désir d’enfant a compté davantage que de nous empêcher de tomber dans la routine. Malheureusement, si c’était à refaire, je recommencerai. Est-ce parce que je suis égoïste ? Je le crains, honnêtement, et plutôt que de cheminer encore sur la route du mea culpa, je m’accroche à l’analyse de la situation en fonction de la façon dont l’avocate la perçoit. C’est plus facile. C’est moins pesant pour mes épaules frêles. C’est aussi lâche que je ne le suis depuis des semaines. «Stupide ! C’est bien que tu le dises, c’est comme ça que je me sens, mais à tout niveau. Stupide d’avoir oublié mon couple, stupide de m’être entêtée alors que visiblement, je ne suis pas faite pour avoir des enfants. Stupide de…» De tout ce qui me tombe sur le coin du râble… en ce compris, stupide de ne plus ouvrir la bouche que pour me plaindre. Mes lamentations ne changeront plus rien désormais. Peut-être est-il temps que je change de disque ? Que j’avance pas à pas au lieu de me projeter vers la version la plus sombre de mon avenir. C’est ce que m’inspire l’accolade de Gabrielle qui achève de me détendre, qui me raisonne sous le bon prétexte qu’elle me rassure, la brunette. Je lui adresse en conséquence un sourire des plus sincères et rempli de gratitude. «On pourra aller rayer sa voiture.» ai-je plaisanté en essuyant les larmes qui roulent sur mes joues. «Hé ouais, un verre de vin me fera du bien. Ou un cocktail. Tout dépend de ce que toi tu as à me raconter. Je sais encore écouter, tu sais.» Je suis apte à anesthésier mon coeur si, d’aventures, Gabrielle avait elle aussi besoin de vider le sien. «Je suis désolée. Je ne suis pas la meilleure compagnie qui soit, mais je fais appeler le détective. Je te promets.» Je ne me laisserai pas faire : je le jure au nom de la patience de mon interlocutrice.
Juin 2022. «Oui ! Peut-être que Sybille pourrait être piégée. Je pourrais aussi essayer de l’éloigner de l’agenda de Scott, mais je crois que mes doigts trembleraient tellement fort.» Elle ne finit pas sa phrase, n’en a pas besoin, parce que Gabrielle sait ce qu’elle sous-entend. Anouch ne se pense pas apte à affronter la secrétaire, à user de malices pour la piéger et la faire parler plus qu’elle ne le devrait. Ce n’est pas une position évidente mais une position que l’avocate n'aurait aucun mal à adopter, et serait même prête à y aller elle-même. Et comme si l’agente lisait dans ses pensées, la voilà qu’elle la devance dans cette proposition qu’elle aurait été prête à lui faire pourtant. «Et, tu sais, je te demanderai jamais d’affronter quoi que ce soit à ma place. » « Et si tu changes d’avis, je serai ravie de le faire » dit-t-elle avec une sincérité limpide toujours sur ce ton bienveillant qu’elle use depuis le début de leur rencontre.
Anouch commence à s’accabler, à s’accuser de tous les maux, de la tempête que son couple est en train de traverser. Sauf que Gabrielle ne le voit pas de cet œil, refuse que la jeune femme laisse Scott prendre le dessus, refuse qu’elle puisse le pardonner si ses doutes venaient à s’avérer réels «Stupide ! C’est bien que tu le dises, c’est comme ça que je me sens, mais à tout niveau. Stupide d’avoir oublié mon couple, stupide de m’être entêtée alors que visiblement, je ne suis pas faite pour avoir des enfants. Stupide de…» « Arrête Anouch ! ». Ce n’est pas ce qu’elle voulait souligner en lui disant qu’elle ne manquerait pas de lui dire qu’elle est stupide si elle venait à lui pardonner. « Tu n’es pas stupide. Tu es humaine. Et tu n’as commis aucune erreur à mes yeux » et elle ne dit pas ça parce que c’est son amie, elle ne dit pas ça pour panser ses blessures ou son cœur déjà bien meurtri. Gabrielle le lui dit parce qu’elle le pense, autrement, elle se serait abstenue du commentaire.
Après une étreinte bien nécessaire, la légèreté tend à reprendre sa place dans la discussion des deux jeunes femmes «On pourra aller rayer sa voiture.» Légèreté mais plan diabolique aussi et la remarque ne manque pas de faire rire doucement l’avocate « Avec joie ». C’est le moins qu’il mérite pour avoir lui, rayer le joli cœur de la belle brune. «Hé ouais, un verre de vin me fera du bien. Ou un cocktail. Tout dépend de ce que toi tu as à me raconter. Je sais encore écouter, tu sais.» « Va pour un verre de vin alors » elle hèle alors le serveur pour en faire la requête, avant qu’elle ne reporte son attention sur Anouch «Je suis désolée. Je ne suis pas la meilleure compagnie qui soit, mais je fais appeler le détective. Je te promets.» « Les amis ne sont pas là que pour les bons moments. Ils sont là aussi pour les mauvais un peu comme le mariage finalement, mais il n’est pas nécessaire de le souligner ici au vu de la situation délicate dans la vie de l’agente je veillerai de toute façon à ce que tu le fasses » est-t-elle en train de sous-entendre qu’elle ne la lâchera pas d’une semelle jusqu’à ce qu’elle le fasse ? Tout à fait. « Sinon, je n’ai pas grand-chose à raconter. La routine » Vraiment, Gaby ? Elle accueille le serveur cette fois avec un grand sourire, il a même toute son attention, se saisissant du verre aussitôt alors qu’elle sent le regard de son ami sur elle « Il y a peut être matière, mais cela concerne un homme et je pense qu’on a eu notre dose pour aujourd’hui, tu ne penses pas ? ». Un léger rire s’échappe d’entre ses lèvres avant qu’elle n’avale une gorgée du liquide rougeâtre.
Cette proposition de Gabrielle qui consiste à se substituer à moi pour coincer Sybille ou confronter mon mari, elle me touche. Elle renverse mon coeur meurtri de femme flouée puisque, tout à coup, je me sens chanceuse. Je suis vernie d’avoir dans mon sillage une amie aussi fidèle que peut l’être Evey. Un instant durant - fugace, cependant - je savoure mon aubaine comme une gagnante du lotto qui, après avoir joué les mêmes numéros durant des années, est enfin auréolée par le destin. Je le manifeste par un sourire tandis que j’essuie mes larmes de mes poings, à l’image d’une petite fille que sa mère viendrait de rassurer. Quoi qu’il arrive, je ne serai pas seule. Mes proches ne m’abandonneront pas. J’ai des alliées qui sont prêtes à me soutenir si, d’aventures, j’avais à assumer le deuil de mon couple, à affronter les conséquences douloureuse d’un divorce des suites d’un adultère sur mon estime de moi. Ainsi, ai-je repris des couleurs. Mon teint olivâtre, tantôt gris laiteux par ma peine tantôt rosi par mes sanglots, est moins marqué par la peur. Certes, elle est toujours là. Elle me colle à la peau comme un chewing gum collé dans des cheveux. Je peinerai à m’en débarrasser, mais j’ai les armes et je décide de me battre. Je statue également sur ce qu’il convient à présent de changer de sujets. J’ai déjà trop parlé de moi. Dans mon empressement à accoucher de mes présomptions, j’ai négligé mon propre rôle dans cette relation entre Gaby et moi. Maladroitement, j’essaie de dévier la conversation, mais elle est clairvoyante, l’avocate. Elle devine, sans doute parce qu’elle a été tenue de serrer mes mains dans les siennes pour me ramener vers plus de calme, que je ne suis pas en état d’assumer une discussion à propos de ses problèmes. L’envie ne manque. Seul l’énergie me manque et, elle, évidemment, elle ne m’en veut pas. «Merci. Merci d’être là, de me comprendre…» De me conseiller et de désalourdir mon palpitant du lest de ma culpabilité. Je lui en serai reconnaissante à jamais et ce ne sont pas des paroles en l’air. Si je les garde pour moi, c’est parce que l’idée d’avoir une compagne de crime si une folie vengeresse me conduisait jusqu’à rayer la voiture de Scott m’amuse terriblement. Je ne réprime aucun éclat de rire d’ailleurs. Tout comme je me laisse séduire par l’appât d’un verre d’alcool, quoiqu’il soit encore trop tôt pour l’apéro d’avoir le souper. Qu’à cela ne tienne, je hêle le serveur, commande deux cocktail et l’empêche de ramasser nos boissons chaudes à peine entamée. Je ne suis pas soulagée de mes doutes. Néanmoins, j’ai l’impression d’avoir à disposition un éventail de solutions pour m’éclairer. Ce dont j’ai besoin, c’est de courage et Gaby est formelle : elle en a assez pour deux. «Tu sais que, toi aussi, tu peux toujours compter sur moi. Pas parce que tu m’apportes ton aide aujourd’hui, mais parce que c’est déjà comme ça avant.» Je prêche une convaincue. Je le lis dans l’attitude de la brunette qui retrouve sa place en face de moi. Moi, je presse sa main pour la remercier à nouveau et j’ajoute, presque vindicative et avec conviction : «Sus aux hommes, ce ne sont que des emmerdes.» Toutefois, je sais. Je sais que je me pointerai chez elle avec une bouteille de vin pour l’écouter elle et non rabâcher mes propres emmerdes qui, jusqu’ici, sont toujours infondées.