Ade s’installe sur le siège passager de la voiture de patrouille et claque la porte, jetant un regard en biais à Billie, sa coéquipière pour la journée.
« Je vois vraiment pas ce que tu lui trouves ! »
Bien sûr qu’elle parle d’Oliver. Oliver et ses blagues misogynes. Oliver et son rire incessant aux blagues sur Adriana. Il l’exaspère la plupart du temps. Et parfois, elle se retrouve à le regarder d’un air suspicieux, les quelques fois où il la défend face à d’autres collègues, ces fois où elle sait plus si elle a envie de lui casser les dents ou de lui faire un câlin. Ce soir, pourtant, alors qu’ils s’apprêtent à aller patrouiller de nuit, Oliver a fait fort, et c’est le côté coup de poing dans la mâchoire qui semble l’emporter. La brunette attache sa ceinture et sirote le café dans son gobelet, avant de reporter son regard vers la fenêtre. La patrouille commence, et ses sens doivent être en alerte. Ce qui ne l’empêchera pas de pester sur Oliver si Billie relance le sujet. Ce n’est pas la première fois que la rousse et la brune font équipe et, même si elles ne sont que rarement coéquipières, le feeling est plutôt bien passé pendant leurs précédentes sorties. Ade espère qu’aujourd’hui aussi, tout se passera bien, même si elle ne peut réellement pas s’empêcher de se demander ce qu’une femme aussi sympathique et forte fait avec un homme comme Oliver.
Alors qu’elles s’arrêtent pour faire le plein à une station essence dans une zone industrielle, Ade quitte le véhicule pour se dégourdir les jambes. Son regard est rapidement attiré par du mouvement, un peu plus loin : des hommes entrent et sortent d’un bâtiment qui est connu pour être désaffecté. Ils n’ont, en apparence, rien à faire ici, et n’ont pas de vêtements de chantier ou travailleur, à première vue. Les sourcils de la brunette se froncent et, automatiquement, elle pose la main sur son arme à sa ceinture, avançant de quelques pas en directement de l’usine. Elle ne détourne pas le regard mais lance en direction de Billie.
« Redfield ? J’ai vu un truc par là. Je vais aller jeter un œil. »
Elle continue à s’approcher doucement du bâtiment, ne repère plus de mouvement autour pour l’instant. Tous les hommes qu’elle a aperçus doivent être à l’intérieur, ou partis, au moins pour certains. Elle ne sait pas où se trouve Billie, ne sait pas si elle fait encore le plein de la voiture ou si elle est juste sur ses talons. Lorsqu’elle pose la main sur la poignée et ouvre la porte doucement, Ade se dit qu’elle aurait forcément dû l’attendre. Si on a un coéquipier, ce n’est pas pour rien. Soudain, une main se referme sur le bras d’Adriana, on l’empoigne et l’attire à l’intérieur du bâtiment. Elle laisse échapper un cri qui fend le silence qui règne dans cette zone peu passante. Puis la porte claque derrière elle, et on n’entend plus aucun bruit.
- Qu’est-ce qu’Olly’ a encore fait ? Parce que ouais, c’est hyper facile de comprendre qu’Adriana, -ma coéquipière pour aujourd’hui du moins- parle du mien. Je sais que mon binôme a pas l’art d’être apprécié au sein de la Brigade. Et que même, c’en est tout le contraire si on s’attarde un peu sur les relations qu’il peut avoir avec nos collègues. J’ai déjà un peu convaincu Cass’ qu’il n’était pas qu’un aimant à emmerdes, comme elle a persisté à le croire durant un bon bout de temps. Il est plus que ça, Oli’. Mais allez le dire à une brune, remontée comme une pendule. Je vois pas vraiment ce que mon intérêt pour Oliver a à faire dans notre conversation, là. Là, je peste. En l’appelant par son nom de famille. C’est jamais bon signe.
Si je le fais, c’est qu’il y a généralement deux petites raisons à ça. La première, c’est pour taquiner. Pour emmerder. La seconde, c’est quand on commence à me saouler. Et surtout, quand il y a pas d’arguments convaincants à la clé. Je sais pas ce que mon partenaire a pu bien faire pour s’attirer les foudres de la Mexicaine au sang chaud, mais je devrais peut-être lui souffler l’idée qu’il doit s’excuser. N’empêche, qu’exceptionnellement, je suis en patrouille avec elle. Et, que si on veut mener à bien cette journée, doit pas y avoir d’accrochages. Même si bon, elle a mal commencé en râlant sur Oliver et en lui foutant sur les épaules, un procès d’intention. Où il écope de toutes les charges, sans pour autant se défendre. Et ça, en tant que flic, ça me débecte. Un peu. Vachement même.
- Vas-y. Balance. Qu’est-ce qu’Oliver a pu bien foutre ou dire pour te mettre dans des états pareils ? Je les connais, ces blagues un peu à cheval sur la misogynie et qui passent généralement pas. Mais moi, j’en ai jamais fait les frais. Peut-être tout simplement, parce que je suis sa binôme et qu’instinctivement et dans la réciproque : l’un comme l’autre, on se fait confiance. Peut-être aveuglément. Or, c’est comme ça. Je la donnerais jamais à un ou à une autre, ma confiance. Hors de question. Je t’aime bien Adriana. Mais faudrait voir à pas faire un procès à charge sur Dawson, sans n’émettre aucun argument valable. Tu serais sympa. Un sourire qui se veut sincère, alors que j’allume la radio de la voiture de patrouille et qu’on tarde pas à s’arrêter à une station essence dans une zone industrielle peu fréquentée.
J’avoue que … depuis qu’on m’a tirée dessus, je suis un peu plus sur la défensive et un peu plus craintive. Et, c’est peut-être aussi pour ça, que j’ai pas encore remis le couvert avec Oliver sur le terrain. Pas encore. Intérieurement, j’ai peut-être peur de faillir à ma mission de protéger mon binôme. Je veux pas le voir s’effondrer sous mon regard gris, ça je le veux pas. Mais en même temps, je peux pas m’empêcher de craindre pour sa survie quand il patrouille avec d’autres membres de notre équipe. Ça, je lui en ai jamais vraiment parlé. Même pas à la psy. Et, c’est clair que je vais pas en parler à Castillo, vu comment elle le porte dans son cœur.
En parlant de Castillo, je perçois qu’elle me lance une œillade circonspecte et la portée de ses mots. Elle m’a sortie de mes pensées et j’en suis presque à terminer le plein de la caisse. Tandis que, attentive, je la vois porter la main à son arme. Qu’est-ce qu’elle a bien pu voir et qui m’a échappé ? Rapidement, je lâche ce que je suis en train de faire, prenant mon téléphone à la hâte dans la poche arrière de mon jean noir. Je sais que je dois pas, que le temps est compté mais j’ai jamais tapé un texto aussi vite. Car, c’est une faute grave de laisser l’autre sans surveillance, plus de quelques minutes. Y’a peut-être rien dans ce bâtiment désaffecté mais l’expérience sur le terrain me fait croire le contraire.
J’ai pas le temps d’écrire plus. Et, je sais même pas s’il a été envoyé au destinataire. Parce que, ce que j’entends, me fait courir. Sans pour autant tenter de me faire remarquer avec les grosses semelles de mes Dr. Martens. Mon arme, bien en place. Lentement, je pousse une porte qui n’est pas verrouillée, pour pénétrer à l’intérieur. Faisant le moins de bruit possible pour pas me faire remarquer. Car là, c’est pas l’effet de surprise qui va nous sauver la vie. Parce que, dans tout ce merdier … elle est passée où Adriana Castillo ?
Olly Juste pour te prévenir. Bâtiment désaffecté. Redcliffe.
Adriana peste en entrant dans la voiture de patrouille.
« Qu’est-ce qu’Olly a encore fait ? »
La brunette ne peut s’empêcher de ricaner.
« Tu vois, que je parle d’un connard, tu comprends immédiatement de qui il s’agit … c’est pas de ma faute, ça ! »
Elle parle d’une voix enfantine et bat des cils pour se donner un air innocent. Elle sait qu’elle abuse, mais c’était trop tentant.
« Je vois pas vraiment ce que mon intérêt pour Oliver a à faire dans notre conversation, là. »
Ade se retient de rire, mais un sourire amusé illumine son visage. Sa coéquipière du jour semble titilleuse sur le sujet de son mec, mais ça ne fait que renforcer l’envie d’Adriana de pousser le bouchon plus loin. Elle hausse les épaules.
« Tout, pourtant ! T’es sympa comme nana, t’es une bonne flic, t’es franche, assez brute de décoffrage, … et pourtant, tu l’apprécies. Alors je me demande ce que tu vois que je ne vois pas. »
Elle hausse une nouvelle fois les épaules en observant le paysage qui défile derrière la fenêtre. Finalement, Billie qui prend la mouche, ça lui ferait presque oublier le comportement d’Oliver.
« Vas-y. Balance. Qu’est-ce qu’Oliver a pu bien foutre ou dire pour te mettre dans des états pareils ? »
Finalement, elle laisse tomber la comédie et laisse échapper un soupire.
« Une remarque sexiste de plus … Un truc graveleux sur mes shootings photo pour de la lingerie pour payer mes études, et une suggestion de faire un autre métier peut-être plus rémunérateur. »
Une remarque de plus, encore. Ca avait commencé dès son arrivée, parce qu’elle était une femme, jeune, et pas très grande. Ca s’était renforcé lorsque ses collègues avaient découvert qu’elle avait fait du mannequinat pour payer la fac, et on avait dépassé un échelon supplémentaire quand ils étaient tombés sur ses shootings pour de la lingerie. Il n’y avait rien de sexuel là-dedans, c’étaient juste des publicités pour vendre des sous-vêtements. Mais visiblement, ça réussissait à mettre en émoi une grande partie du commissariat.
« Je t’aime bien Adriana. Mais faudrait voir à pas faire un procès à charge sur Dawson, sans n’émettre aucun argument valable. Tu serais sympa. »
La brunette dévisage très sérieusement la rousse, un instant silencieuse, avant d’éclater de rire.
« Tout doux, cowboy ! Je ne lui fais pas un procès sans argument valable, je sais ce que j’ai entendu. Et puis, tu n’oseras pas me dire que c’est pas son genre. »
Elle lui glisse un regard en coin avant de rire à nouveau, puis de lever les mains en l’air, paume vers l’avant, en signe d’apaisement.
« C’est bon, j’arrête. On change de sujet. »
Elles arrivent justement à une station essence et Billie s’arrête pour faire le plein. Adriana en profite pour se dégourdir les jambes lorsqu’une activité suspecte attire son attention : des allers et venues dans un entrepôt censé être abandonné. Avertissant rapidement sa coéquipière du jour, elle se rapproche du bâtiment, et teste la porte. Celle-ci n’est pas fermée à clés, et la jeune femme l’ouvre en grand pour jeter un œil à l’intérieur du bâtiment. Soudain, une main se referme sur son bras, l’attire à dans l’édifice alors qu’Adriana laisse échapper un cri. La porte claque derrière elle et le silence revient à l’extérieur. A l’intérieur, c’est autre chose. Un homme qui doit avoir quelques années de moins qu’Adriana, mais beaucoup plus de muscles et de nombreux centimètres en plus, la tire vers une pièce, un peu plus loin, tentant de la ramener auprès de ses copains dealers. La brunette résiste, utilisant tout son poids pour rester à l’écart des voix masculines qu’elle entend, non loin de là. Il la frappe au niveau du visage et elle sent la douleur irradier dans sa pommette gauche : ça va faire une sacrée ecchymose. Elle réplique, lui assénant un violent coup dans le plexus, entendant l’air s’échapper du corps du géant. Il lui attrape les cheveux et elle crie. Billie pénètre dans le bâtiment au moment où deux hommes lourdement armés déboulent dans le hall, menaçant les officiers de leurs flingues.
« A genoux ! »
Adriana est forcée à obéir, le troisième homme la maintenant toujours par les cheveux et utilisant sa prise pour la faire plier. Affolée, elle lance un regard désespéré à sa coéquipière et murmure, d’une toute petite voix : « je suis désolée ».
- Écoute. Je l’ai dit : c’est pas compliqué. Quand ça parle d’un gars connard à la Brigade, d’office, c’est Oliver. Y’a pas besoin d’être le couteau le plus aiguisé du tiroir pour comprendre ça. Ça me saoule sérieux. Ça commence à me gaver. Qu’une bonne partie de la Brigade s’attarde SEULEMENT sur ce comportement alors que mon binôme, il est plus que ça. C’est pas qu’un connard qui offre des paroles déplacées. C’est pas que ça. Et putain que ça commence sérieusement à m’énerver.
Je lève mon regard gris dans l’habitacle. Parce que le discours qu’elle m’offre par la suite, je l’ai déjà entendu. Venant de la blonde, que j’adore et qui, -bien évidemment-, ne supporte pas Oliver Dawson et ses manières d’ours. Ce laïus, il me fait grincer des dents parce que j’ai beau dire à celles qui le prononcent qu’il n’est pas qu’un connard, sexiste, misogyne ou que sais-je, ça leur rentre pas dans le crâne. Et, qu’en plus de s’attaquer au binôme, elles s’en prennent au type que j’apprécie chaque jour un peu plus. Alors ouais, ça me débecte. Parce que c’est Oli’ et que ça me met en rogne qu’on pense juste ‘ça’ de lui. Qu’on s’arrête à la surface. À ce qu’il offre aux autres. Moi, je le connais plus. Je sais comment il fonctionne. Et ouais, en plus de m’agacer, ça m’attriste.
- Ce discours, je l’ai entendu pas plus tard que la semaine passée. Alors, ça commence un peu à me tendre. Oliver, n’est pas que le gros connard que certaines pensent. Ouais, je l’apprécie. Même si ça paraît surréaliste. Même si ça semble totalement con. Mais, je lui donnerais ma vie sur le terrain. Il a ma pleine confiance. Tout comme j’ai la sienne. Bordel de merde ! C’est si dur à piger, ça ? Alors que je fronce les sourcils et qu’enfin, elle m’énonce ce pour quoi, elle a envie d’étriper Oliver sur la place publique. J’avoue ne pas y être confrontée à ces remarques. J’en ai jamais eu. Peut-être parce que je suis la fille de l’officier Christopher Redfield, mort dans l’exercice de ses fonctions ?
Aucune idée. Mais c’est peut-être ça, tout compte fait. Je sais pas. Avec un soupir à fendre l’âme, je pose mes iris grises sur celle de ma partenaire du jour consciente qu’elle souffre de ce jugement et de cette situation. Surtout qu’on a pas choisi, un métier facile. Qui est souvent réputé pour être un monde d’hommes. Et … quand on est jolie comme elle, on est soumises à bon nombre de paroles fortement dérangeantes et de commentaires graveleux et ô combien dégueulasses.
- Je vois. Tu sais que quand je suis arrivée au premier jour à la Brigade, je me suis penchée en avant pour ramasser un dossier qui m’avait échappé des mains et que quelques gars se sont permis des commentaires assez explicites sur ce qu’ils voulaient faire avec mon postérieur ? Un silence. Ils étaient trois, et chacun a reçu un coup de poing. Bon après, j’ai pas fait la fière, parce que j’ai dû porter une attelle et qu’Oliver m’a fait un sermon mais … ils ont plus jamais ouvert leurs gueules. Un autre silence. Attention, je te dis pas qu’il faut cogner Olly’ … mais y’a une solution. Soit, t’ignores parce qu’ils savent tous que tu marches au quart de tour … soit tu te fais respecter. Ou, je peux en parler à mon binôme. Généralement, il m’écoute quand il fait de la merde, ce con.
C’est vrai, ça. J’ai ce super-pouvoir de le faire se stopper dans ses conneries quand il commence à merder et que ça devient n’importe quoi. Comme quand il se met en colère et que je le tempère. Même si je suis pas le meilleur exemple. Même s’il suffit d’une seule étincelle pour que j’explose. Et ça, c’est pas peu dire. Ils le savent à la Brigade. Surtout, quand il y a plus ma barre de chocolat préférée dans le distributeur et que mon démon intérieur commence à grogner et à réclamer son dû. Toujours en haussant un sourcil, je reste convaincue qu’Olly’ se prend un procès à charge en pleine gueule de la part de mon interlocutrice. Même si elle en dit l’exact contraire, je suis pas convaincue. J’aime juste pas quand on incrimine quelqu’un sans savoir qui il est vraiment. Et surtout, quand c’est Oliver Dawson.
- C’est pas son genre et tu le connais pas assez de toute façon. Et ouais, on change de sujet. Elle tente d’enterrer la hache de guerre et moi, je l’ai toujours mauvaise quand même. Mais bon, c’est pas mon genre de réembrayer sur le sujet alors que je fais le plein de la voiture de patrouille. Et l’œil avisé de ma partenaire, me fait cruellement signe qu’on va se retrouver dans la merde. Dans pas longtemps, mais dans la merde. Putain de merde !
Je jure, en écrivant rapidement un texto à Oliver. Jamais, j’ai pianoté aussi vite sur l’écran de mon smartphone, mais … si on s’en sort vivantes … c’est clair qu’il va m’étriper. La Psy’, m’a dit que c’était pas le moment pour revenir sur le terrain, mais putain, j’en ai marre de taper des rapports à la con alors que je sais que mon coéquipier lui, est en intervention ! Et, j’ai peut-être accepté trop vite l’invitation de Castillo, de patrouiller avec elle. À mon grand désespoir. Alors qu’elle est en danger et que je me précipite dans la gueule du loup. Armée mais anxieuse. À l’intérieur, j’essaye de pas faire de bruit, alors que j’assiste à une scène qui me glace d’effroi. Castillo à genoux, tout aussi menacée que moi par des armes. Et, je me retrouve quelques temps plus tôt … où c’est l’attente qui m’a fait avoir ce putain de mois de coma.
J’attends pas, je vise. La tête de celui qui tient Adriana et les genoux des deux autres. Ça tombe à genoux justement, en râlant mais … y’a pas le temps d’attendre. C’est de la légitime défense de toute manière. Et, je me rends compte que je me suis mise en mode automatique. Pour gérer l’anxiété. Parce que … c’est ce que je sais faire et c’est ce qu’on apprend au stand de tir. Faut pas tergiverser. Y’a les points vitaux à prendre en considération. Le reste, c’est accessoire. Puis, y’a un peu tout qui se mélange : y’a l’adrénaline, la peur de voir Castillo à terre comme moi je l’ai été et … Oliver.
Mais faut croire, que les autres ont appelé du renfort.
- Ça va ? T’as rien ? Okay … bon. Et, tu t’excuseras si on s’en sort pas. Ça me semble être un bon compromis ça.
Adriana s’est emportée à l’encontre d’Oliver, un collègue qui dépasse, à son avis, souvent les limites. Elle a juré, elle a voulu extérioriser, et voilà que sa coéquipière a pris la mouche. Elle aurait mieux fait de tenir sa langue et de ne rien lui raconter, puisque la rousse sort avec le « connard » de l’histoire. Mais elle n’a pas réfléchi, a réagi spontanément à une attaque dont elle venait d’être victime, une de plus.
« Ecoute. Je l’ai dit : c’est pas compliqué. Quand ça parle d’un gars connard à la Brigade, d’office, c’est Oliver. Y’a pas besoin d’être le couteau le plus aiguisé du tiroir pour comprendre ça. »
La brunette laisse échapper un petit rire, levant les yeux au ciel. Cette conversation l’insupporte déjà, mais elle a besoin que Billie comprenne : non, elle ne lui fait pas un procès d’intention. Non, elle ne juge pas sans connaître, car elle a déjà personnellement fait les frais du comportement déplacé du Dawson. Et non, elle ne pense pas qu’il n’est qu’un crétin décérébré, contrairement à d’autres collègues à qui on devrait franchement ôter leur arme de service.
« Et il n’y a pas besoin d’être le pingouin qui glisse le plus loin sur la banquise pour comprendre que, si quand on parle de connard, on mentionne Oliver, c’est qu’il doit y avoir une raison tout de même, non ? »
Enfin, la rousse était-elle aveugle ou bornée ? Si l’officier Dawson était souvent décrié, c’est qu’au moins certains des griefs qu’on lui faisait devaient être fondés.
« Ce discours, je l’ai entendu pas plus tard que la semaine passée. Alors, ça commence un peu à me tendre. Oliver n’est pas que le gros connard que certaines pensent. Ouais, je l’apprécie. Même si ça paraît surréaliste. Même si ça semble totalement con. Mais, je lui donnerais me vie sur le terrain. Il a ma pleine confiance. Tout comme j’ai la sienne. »
Adriana se renfonce dans son siège, un petit sourire sur le visage. Elle sent la tension, elle aimerait juste que Billie redescende, et comprenne qu’elle ne demande pas grand-chose, au final : juste comprendre. Elle finit par hausser les épaules.
« Mais c’est tout ce que je demande : comprendre. Donc tu l’apprécies pour … ses qualités professionnelles ? Tu trouves que c’est un bon flic, c’est ça ? Et quoi d’autre ? »
Et elle s’empresse d’ajouter.
« Je sais qu’il n’est pas qu’un gros connard, on peut sans doute lui ajouter d’autres qualificatifs … »
Elle fait semblant de réfléchir.
« … machiste, idiot … »
Elle rit et lève les mains en signe d’apaisement.
« Je te taquinais, je rigole. Je ne pense pas qu’il soit stupide, ni sexiste d’ailleurs. Je pense juste … qu’il peut avoir un humour de merde ? »
Elle fait un effort, un énorme effort, pour tenter de calmer sa coéquipière du jour, parce qu’elle n’a pas envie de se fâcher avec elle. Elle apprécie réellement Billie, et elle a déjà presque oublié l’incident de ce matin. C’est affligeant, mais de telles remarques, elle sait qu’elle en aura encore. Ce n’est qu’une journée pourrie parmi d’autres, et ça ne l’empêchera pas de faire son boulot. La brune écoute ensuite la rousse lui raconter son premier jour dans la brigade, en secouant la tête d’un air navré.
« Quand j’étais affectée à la crim’ pour quelques mois de découverte, j’en ai plaqué un au mur, mais le chef est entré au même moment … C’est ce qui m’a évité l’attelle, je suppose. »
Elle hausse les épaules : non, Adriana n’était pas du genre à se laisser faire. Elle avait réagi à des moqueries et remarques particulièrement déplacées, à la fois parce que ça l’avait agacé, mais aussi et surtout pour éviter que cela ne se reproduise. Eliot était entré au moment où elle armait son poing et, si elle n’avait pas été sanctionnée, c’était sans doute parce qu’il avait entendu les commentaires sexistes des collègues concernés.
« Mais non, ne lui en parle pas. Je ne veux pas être celle qui vient pleurer dans les jupes de la copine pour obtenir un peu de répit. Je gèrerais, comme d’habitude. »
Elle espère ainsi mettre fin à cette discussion. Elle aimerait que Billie ait compris son positionnement, mais elle n’en est pas certaine, et elle ne rêve pas d’un dialogue de sourds pour démarrer la journée. Ni d’énerver sa partenaire occasionnelle. Elles ont encore de nombreuses heures à passer ensemble, aujourd’hui, suffisamment pour qu’elle souhaite que pouvoir discuter d’autre chose qu’Oliver, et sur un ton beaucoup plus serein.
Mais alors que Billie s’arrête dans une zone industrielle pour faire le plein, Adriana repère des mouvements suspects dans un bâtiment censé être désaffecté. Et en quelques secondes, elle se retrouve à genoux, tenue en joug par trois hommes armés, alors que Billie surgit, son arme à la main. Tout se déroule très vite : Adriana n’a même pas le temps de réfléchir à une solution que la rousse presse la détente à plusieurs reprises. Celui qui lui tenait les cheveux une demi-seconde plus tôt s’écroule, du sang s’échappant d’une blessure à la tête qui a sans doute été mortelle. Les deux autres hommes se retrouvent eux aussi très rapidement au sol, avec chacun une balle dans le genou. Adriana reste un instant paralysée, toujours à terre, le sang de l’homme qui la maintenait par les cheveux roulant en grosses gouttes sur sa joue.
« Ca va ? T’as rien ? Okay … bon. Et, tu t’excuseras si on s’en sort pas. »
Adriana frissonne à cette possibilité, mais la voix de Billie et sa remarque ont l’intérêt d’avoir ramené la brunette à elle. Elle touche du bout des doigts sa joue, observe ses doigts rougis du sang d’un autre, puis essaie d’ôter l’hémoglobine en frottant désespérément son visage avec sa manche. Des bruits de pas et de nouvelles voix masculines la font se dresser immédiatement sur ses deux jambes.
« Il se passe quoi ? »
Elle se rue sur la porte par laquelle Billie et elles ont pénétré dans le bâtiment, moins de deux minutes plus tôt, mais celle-ci est bloquée, ne s’ouvrant que de l’extérieur. Les bruits de pas se rapprochent, et la peur se lit dans les yeux noisette de l’officier qui crie à sa collègue.
« Cours ! »
Et les voilà parties dans un dédale de couloirs, à la recherche d’une sortie. L’adrénaline pulse dans les veines d’Adriana, qui se déplace aussi vite qu’elle le peut, et le plus silencieusement possible. Mais rapidement, les deux femmes se retrouvent dans une pièce sans issue, alors que quatre hommes les talonnent. Elles s’y barricadent, la fermant à clé et poussant tous les meubles qu’elles y trouvent devant l’ouverture. Les agresseurs tentent de défoncer la porte et donnent de violents coups d’épaule pour la faire céder. Adriana, blanche comme un linge, se tourne vers sa coéquipière qu’elle a clairement mis en danger aujourd’hui.
« Il nous faut des renforts ! »
Elle attrape sa radio qui semble cassée, et se demande comment elles vont faire pour s’en sortir vivantes.