Cette fois-ci, Evie n’est pas de la partie. Et pour cause, il ne lui a pas demandé de l’accompagner à cette soirée-là. Non parce qu’il ne voulait pas la voir, mais bien parce qu’il a estimé qu’ils y gagneraient tous à ne pas la lui imposer. Ils avancent petit à petit sans trop savoir vers où (oh si, bien sûr qu’ils savent, mais il est bien plus facile de se voiler la face que de l’avouer) et il ne veut pas que ces soirées caritatives fassent partie de leur quotidien. Ils ne sont personne pour prétendre s’intéresser à la moindre cause qui en vaut la peine, même s’ils sont triste devant les affiches d’orphelin dans le métro ou les chiens errants dans la rue. Simplement, il faudra bien plus d’une vie pour changer le monde, alors autant prendre le temps de se préoccuper de sa propre personne. Voilà ce qu’il se dit, Rhett, sortant tout de même sa carte bleue flanquée d’un Garrett Hartfield lorsque vient le moment de donner un petit quelque chose, ne serait-ce que pour rembourser le champagne et la location des lieux.

Là n’est pas le sujet, n’est-ce pas ? Conrad, dont la main qu’il a posé dans son dos n’implique pas la possibilité de fuite de la part de Rhett, le balade d’un bout à l’autre de la pièce à la recherche d’une amie à lui, d’une connaissance, d’une et plus si affinités ou Dieu sait quoi encore ; Rhett n’a pas écouté cette partie-là de l’histoire, lui qui pensait naïvement qu’il ne faisait que lui tenir la conversation pour mieux s’éclipser ailleurs. Faute est de constater que non et si Rhett a bien tenté de lui dire que non, il n’a pas envie qu’il lui présente quelqu’un, aussi belle, gentille et drôle soit-elle, ce n’est pas une demande qui a semblé ralentir Conrad dans son idée, encore moins lui faire changer d’avis. Il sourit comme le premier de la classe qu’il a toujours été, ses dents refaites après des années passées à s’entrechoquer sur les terrains de rugby. Il a toujours l’air d’avoir trente ans, sûrement parce qu’il a effectivement une paire d’années de moins que Rhett. Encore une fois, là n’est pas le sujet. “Elle s’appelle Greta, tu verras, c’est une perle.” Mais que tente de rétorquer l’ancien sportif, une fois de plus en vain. Elle peut être une perle, ce n’est pas ce qu’il remet en question, mais ce n’est pas non plus ce qui lui importe le moins du monde. Il était supposé se montrer, retrouver quelques visages familiers, et s’éclipser presque aussi rapidement de cette soirée, uniquement pour se coucher tôt, comme le futur quarantenaire qu’il n’a jamais été aussi proche d’être.

“C’est la blonde, là.” qu’il souffle tout contre son oreille, son ton de voix laissant sans mal deviner le sourire qui est le sien. Rhett lui jette un énième regard interrogateur, sans rencontrer de réponse pour autant, surtout pas alors que Conrad gomme les derniers pas les séparant, le tout pour saluer chaleureusement l’inconnue vers qui toutes ses paroles sont tournées. “Désolé, je dois y aller, on m’appelle ailleurs, je vous laisse.” Les pupilles de l’australien courent contre le visage de son ami, sans comprendre le plan de ce dernier, sans pouvoir s’éclipser à son tour sans passer pour le pire des impolis. Ainsi, lorsque seule le fantôme de Conrad s’immisce entre eux, et après que ce dernier ait murmuré quelques derniers mots contre son oreille, Rhett tend une main chaleureuse à l’inconnue. “Rhett. Rhett Hartfield. Je suis désolé, il m’a traîné depuis l’autre bout de la salle en parlant un peu trop vite pour que je réussisse à capter ton prénom.” Ses excuses sont sincères, son trouble n’est pas inventé. Il ne sait de toute façon pas mentir, ni même être autre chose que parfaitement lui-même. Elle est écrivaine sont les derniers mots que Conrad a eu à son égard et, par extension, les seuls que Rhett ressasse dans son esprit rongé par sa gloire passée.

Le désespoir de Greta était un peu trop visible sur son visage au point où elle s’était rappelée le briefing de ses parents sur l’événement. Ceux-ci lui auraient fait comprendre qu’il fallait faire bonne figure en un regard : se tenir droite et s’assurer que la robe signée Sighbury soit mise en valeur parce que c’était finalement ça le plus important lors d’un gala de charité… Fort heureusement, ils n’étaient pas présents ce soir, ce qui aurait attiré beaucoup trop de regards sur elle. Greta s’efforçait d’être reconnue en tant que Moore et de cacher sa réelle identité même si la plupart des personnes participantes à cet événement connaissaient la famille Sighbury mais la bonne nouvelle était qu’ils étaient assez influents pour s’en ficher royalement. Se redressant et forçant un sourire, elle tentait tant bien que mal de se fondre dans cette masse de personnes présentes par intérêt plutôt que pour la bonne cause. Encore une fois, et comme à chaque événement de ce genre, la jeune femme ne se sentait pas à sa place mais faisait l’effort, pour sa famille mais surtout parce que la cause défendue ce soir l’intéressait un minimum, contrairement aux autres.

Il ne fallait pas moins qu’une équipe de rugbymen pour rendre la soirée moins ennuyeuse et c’est avec enthousiasme que Greta avait enlacé Conrad. Malheureusement, alors qu’elle pensait être sauvée de son ennui, celui-ci avait disparu aussi vite qu’il était venu, en laissant à côté de lui un garçon bouche bée, visiblement encore étonné des frasques de Conrad. « Il t’a fait le coup de l’entremetteur ? Il m’a fait ça un nombre incalculable de fois, on s’habitue à force et on est même plus gênés. Je suis Greta et ravie qu’on m’apporte une distraction sur un plateau ! » Malgré ses dires, Greta était bel et bien gênée et son rire un peu trop fort, visant à cacher son malaise et à témoigner d’une certaine alacrité. Elle avait caché ses lèvres avec la main, le champagne gratuit était un vrai danger. Devant l’air encore plus gêné que précédemment de Rhett, Greta avait tenté de lui prouver qu’elle n’était pas complètement folle, juste légèrement désespérée par la soirée. « Désolée, je crois que l’ennui me fait dire n’importe quoi ! Je ne savais pas qu’il y aurait des sportifs ce soir. » Avec cette phrase, Greta faisait référence à son ami Conrad, un rugbyman qui avait commencé sa carrière en Angleterre avant de partir briller en Australie. Puis en regardant enfin le fameux Rhett dans les yeux elle avait réalisé. « Mais attends, tu me dis quelque chose, tu es Rhett, numéro 9 ? » Sa connaissance en sport se limitait à ce que Conrad avait tenté de lui inculquer et aux quelques matchs qu’elle avait dû regarder avec son père ou son frère, pourtant, il lui avait été facile d’identifier son ami de ce soir. Selon ce qu’elle avait réussi à suivre, il était un sportif à la carrière brisée par un accident et elle réalisait qu’il était peut-être mal venu de lui rappeler de mauvais souvenirs. Malheureusement, sa répartie étant déjà limitée, il avait été difficile de trouver quoi dire à ce Rhett qui n’avait rien perdu de la carrure qui l’avait amené sur les terrains. Greta devait avouer qu’elle avait été prise au dépourvu et que ce gala ennuyant prenait une toute autre tournure.

Le moment est gênant au possible, chose que Rhett ne peut pas nier mais contre laquelle il tente d’aller, pas timide pour un sou bien qu’éternellement trop franc. Il aurait sans doute dû inventer un mensonge ou une blague et alléger la discussion dès le départ ; il y pense trop tard. « Il t’a fait le coup de l’entremetteur ? Il m’a fait ça un nombre incalculable de fois, on s’habitue à force et on est même plus gênés. Je suis Greta et ravie qu’on m’apporte une distraction sur un plateau ! » Conrad devient dès lors leur ennemi commun, ce qui leur fait donc un point commun par extension. Déjà, tous deux savent que leur ami avait sans doute tout prévu, lui qui a bien trop de pensées à la seconde pour que cela n’en soit pas effrayant. “J’avais jamais été qualifié de distraction jusque-là. Je sais pas si je suis flatté ou outré.” Mais à en juger par le rire qu’il y ajoute, il est sans doute bien plus amusé que quoi que ce soit d’autre, lui qui n’a de toute façon aucun mal à laisser toutes les fautes reposer sur les épaules de Conrad, lui qui les a projetés dans une discussion sans même leur donner le moindre indice du pourquoi du comment. Les présentations faites, il peut dire qu’il est lui aussi heureux de pouvoir compter sur Greta au milieu de cette fête sans doute bien trop grande pour que cela ne sonne pas artificiel au possible. Qui plus est, Conrad ne semble pas avoir visé de travers et Rhett apprécie déjà l’humour de la jeune femme, sans doute aussi parce qu’il ne connait que ce trait de caractère d’elle.

« Désolée, je crois que l’ennui me fait dire n’importe quoi ! Je ne savais pas qu’il y aurait des sportifs ce soir. » - “Oui, on se retrouve toujours un peu invités là où on ne nous attend pas et… -” Et ce n’est pas à lui qu’elle faisait référence, il s’en rend compte sur le tard, ayant déjà mis en avant sa propre personne mais pas encore tout son palmarès, fort heureusement, il s’est arrêté à temps. Il aurait dû deviner qu’elle parlait de leur ami commun, ce rugbyman que plus personne ne peut ignorer désormais. Il passe une main maladroite dans ses cheveux, mime une grimace presque enfantine. C’est plus fort que lui, même sans la moindre tentative de drague ou de flatterie moindrement artificielle, il trouve toujours le moyen d’être maladroit face à une femme. « Mais attends, tu me dis quelque chose, tu es Rhett, numéro 9 ? » Et le voilà aussitôt, son sourire de champion qui revient à la charge et ses passages chez le dentiste qui portent leur fruit, montrant une dentition plus blanche et droite que jamais. Il bombe le torse, numéro neuf, fier au possible d’avoir été reconnu. “C’est bien ça, oui. Tu travailles dans le monde du sport ? Ou tu t’y intéresses juste ?” Elle doit être quelqu’un si elle a été conviée ici, mais encore une fois il existe une bonne et une mauvaise façon de le lui demander, raison pour laquelle Rhett se permet de poser les questions de façon quelque peu détournée. Après tout, il a sincèrement envie d’apprendre à la connaître, puisque par extension cela pourrait expliquer pourquoi Conrad a jugé si important de les présenter, lui qui sait très bien que le coeur de Rhett n’est plus vraiment à prendre - et donc que ce n’est pas uniquement la gentillesse et le jolie faciès de cette perle qui l’a poussé à la présenter à l’australien. “Ça fait longtemps que je ne suis plus numéro neuf, je suis impressionné.” Il rajoute après une paire de seconde, faussement circonspect. “Conrad t’a donné un mémo, à toi ?” Et cette fois-ci, il rajoute un rire sincère, amusé à l’idée que cela puisse être vrai.

Sa vie avait totalement changé depuis trois années et même si c’était ce qu’elle avait souhaité, Greta ne pouvait qu’admettre que son déménagement l’avait chamboulée, changée. A commencer par sa sociabilité, elle qui avant savait toujours quoi répondre et quand lancer des touches d’humour se sentait maintenant toujours légèrement à côté de la plaque. Plus les années avançaient, plus elle se rendait compte qu’elle avait en fait bénéficié d’un sentiment biaisé par son statut social, les gens riaient haut et fort à ses blagues les plus mauvaises et lui dégainaient d’étincelants sourires pour s’assurer les meilleures places aux défilés. Depuis son arrivée à Brisbane, tout était certes plus brut mais également plus sincère et elle se devait de se raccrocher au positif pour ne pas donner raison à ses parents qui n’espéraient que son retour. Greta en était consciente encore ce soir, elle ne pourrait jamais réellement se défaire de ses racines. “J’avais jamais été qualifié de distraction jusque-là. Je sais pas si je suis flatté ou outré.” Après le rire du jeune homme, l’auteure s’était encore une fois sentie hors de propos et le rose lui était monté aux joues. Il était difficile pour elle de savoir comment se comporter face au garçon séduisant que venait de lui offrir en pâture son ami Conrad. Heureusement pour Rhett, Greta savait que son ami avait toujours un coup d’avance et qu’il ne se serait pas une nouvelle fois permis de lui présenter quelqu'un sans raison autre que de vouloir la caser. Comme elle l’avait évoqué, il l’avait déjà fait à plusieurs reprises et cela s’était soldé au mieux par une nuit difficilement mémorable. “C’est bien ça, oui. Tu travailles dans le monde du sport ? Ou tu t’y intéresses juste ?”  « Je dois répondre honnêtement là ? » Enième tentative gênée de détendre l’atmosphère avant de se reprendre et se rappeler que non, cette rencontre forcée serait loin de mener à quoique ce soit. Greta avait de toute façon perdu tout espoir de recréer quoique ce soit avec le sexe opposé et c’était tant mieux, la scène n’avait pas besoin d’un degré de malaise supplémentaire. « Non, plus sérieusement, avec Conrad je n’ai pas pu faire autrement que d’en apprendre un peu sur le rugby, puis avec mon père… » Sa phrase s’était terminée plus vite que prévu car elle avait rapidement réalisé que ce n’était pas un terrain sur lequel elle voulait aller. “Ça fait longtemps que je ne suis plus numéro neuf, je suis impressionné.” Greta s’étonnait elle-même de pouvoir identifier Garrett Hartfield, ancien joueur de rugby et ne pouvait s’empêcher d’imaginer les yeux de son père s’illuminer d’une grande fierté s’il avait été présent. Mais il ne l’était pas et mieux valait ne pas mentionner son nom à une des personnes présentes ici qui ne semblait pas le connaître. “Conrad t’a donné un mémo, à toi ?” Si seulement … « Non, il ne m’a rien dit du tout et si j’avais su que je passerais la soirée avec un rugbyman, je n’aurais peut-être pas eu besoin de boire autant de champagne... » Impressionné, Rhett n’allait pas le rester longtemps. Greta avait glissé sur un autre terrain qu’elle voulait éviter bien malgré elle avec cette phrase qui avait pris Rhett de court. « Enfin, tu vois ce que je veux dire, parce que j’ai de la compagnie, je n’ai plus besoin de noyer mon désespoir dans l’alcool… » Elle s’enfonçait et aurait voulu partir sur le champ mais quelque chose l’en empêchait, peut-être la politesse de ne pas interrompre une conversation à peine commencée. « Alors Rhett, qu’est ce qui t'amène ici ? » Enfin, après lui avoir laissé penser qu’elle était une gamine hystérique un poil alcoolique qui lui faisait du rentre-dedans, elle avait réussi à aligner les mots afin de prononcer la première phrase sensée de la discussion. Lancée, Greta avait poursuivi. « Qu’est-ce que devient numéro 9 ? » Le sourire de Rhett à l’évocation de son ancien poste ne lui avait pas échappé et elle espérait avoir repris un discours un peu plus cohérent, fini le champagne pour ce soir.

A sa façon, et sans nécessairement se montrer très discret, Rhett essaye de démêler le mystère que représente la jeune femme face à celui, celui devant lequel Conrad l’a placé sans même lui donner le moindre indice. « Je dois répondre honnêtement là ? » L’espace d’un instant, il se demande pourquoi le sujet semble la gêner, ou même s’il a dit quelque chose de travers, en témoignent ses sourcils qui dansent brièvement pour palier à son silence. Oui ? « Non, plus sérieusement, avec Conrad je n’ai pas pu faire autrement que d’en apprendre un peu sur le rugby, puis avec mon père… » Le sempiternel sujet difficile de papa, Rhett hoche la tête pour lui signifier qu’il comprend et qu’elle n’a pas besoin d’en rajouter à ce sujet. Après tout, ils ne se connaissent pas et elle ne lui doit rien, ces quelques mots lui suffisent donc amplement pour avoir une large vision de la situation. Ce qu’il apprend, surtout, c’est qu’elle a appris au contact de leur ami commun, ce qui le fait s’interroger un instant s’il a été plus qu’un ami pour elle. Encore une fois, pourtant, Rhett estime que cela ne le regarde pas outre mesure et garde donc tout questionnement pour lui. “Je vois. T’as appris à la dure, alors.” qu’il préfère répondre et relancer avec un sourire en coin, n’ayant aucun mal à comprendre que le rugby puisse ne pas être une passion ou une évidence pour d’autres.

« Non, il ne m’a rien dit du tout et si j’avais su que je passerais la soirée avec un rugbyman, je n’aurais peut-être pas eu besoin de boire autant de champagne... » Rhett rigole sans trop savoir pourquoi, ne sachant comment interpréter sa phrase pour se montrer juste et ne pas sauter aux conclusions alors qu’il ne connaît rien de la jeune femme face à lui. Elle est étonnante et bavarde, pourtant, choses qui semblent lui plaire puisqu’il n’a pas encore pris ses jambes à son cou et insulté Conrad par des messages colorés. Se rendant compte de l’aspect ambigu de ses mots, Greta semble vouloir se reprendre. « Enfin, tu vois ce que je veux dire, parce que j’ai de la compagnie, je n’ai plus besoin de noyer mon désespoir dans l’alcool… » - “C’est bon, c’est bon, tout va bien. Je suis pas de la brigade des mœurs.” Il n’est personne pour qu’elle ressente le besoin de se justifier à ce point, encore moins pour qu’elle lui fasse part de certains aspects sombres de sa vie. En réalité, Rhett est simplement étonné de ne pas être le premier à mettre les deux pieds dans le plat, rôle qui est bien plus souvent le sien. “Ça m’arrange aussi de ne pas avoir à faire la conversation à droite et à gauche en attendant que ce soit une heure convenable pour partir.” Sans champagne pour sa part, cependant, mais il n’est pas nécessaire de souligner leurs différences, surtout d’un tel genre. Greta semble avoir beaucoup de choses à dire, son attitude a tout pour l’amuser. Elle est différente, même si cela ne suffit pas à expliquer l’acte de Conrad.

« Alors Rhett, qu’est ce qui t'amène ici ? Qu’est-ce que devient numéro 9 ? » En guise de première réponse, il se gratte la tête, ne sachant trop quoi dire. Numéro neuf ne devient plus grand chose, maintenant, même si passer à la télévision et être écouté à la radio semble être une très bonne chose aux yeux de tous, même de papa maman. “Dis moi, tu es écrivaine ?” Il coupe alors qu’il ne le devrait pas, son visage légèrement vrillé pour marquer son questionnement et intérêt. “Conrad m’a dit qu’il avait une amie écrivaine, ça me revient maintenant.” Mais il lui a dit il y a une semaine, deux peut-être, lorsqu’ils se sont tous deux rendus compte qu’ils assisteraient à l'événement. Le genre d’information qui va et vient, mais surtout qui va. Maintenant, il redouble d’intérêt pour le sujet. “Je crois… Enfin, si c’est vraiment toi, je pense que Conrad a pas oublié une vieille conversation qu’on a eue.” Mais il ne veut pas trop s’avancer, de peur que ses espoirs se trouvent être infondés. Numéro neuf n’est peut-être plus grand chose, mais il ne veut pas que cela reste ainsi. Il a encore des choses à vivre, des choses à dire.

Greta se tenait là, dans une robe de créateurs à en faire pâlir les invités les plus riches de la soirée, une robe qui lui valait quelques regards en coin - comment cette fille pouvait se permettre d’enchaîner les coupes de champagne et les amuses-gueules habillée en Sighbury ? - tant elle était chic et pourtant, la première impression qu’elle était en train de donner à Rhett devait être bien médiocre. C’était bien là tout le problème de Greta et l’une des raisons qui l’avaient amené à tout quitter : la jeune femme n’avait jamais vraiment réussi à se mouler à toutes ces mondanités et à rester distinguée en toutes circonstances. Greta était souvent hors de propos, parfois trop sociable et enchaînait donc les phrases qui se voulaient drôles mais pouvaient en devenir gênantes pour certaines personnes un peu trop imbues d’elle-même. Etrangement, le joueur de rugby semblait continuer la discussion sans vraiment accorder d’importance à la profondeur de ses mots, ni s’inquiéter de sa maladresse. La blonde reprenait peu à peu confiance, le rose de ses joues s’estompait et elle se réjouissait maintenant de cette compagnie. “C’est bon, c’est bon, tout va bien. Je suis pas de la brigade des mœurs.” Greta avait baissé la tête en riant, discrètement cette fois. « Je sais bien, excuse-moi, je parle trop et ensuite je dois me justifier pour ne pas paraître complètement dingue. Ah, Conrad… » L’auteure avait trouvé le regard de Rhett pour lui sourire sincèrement et lui montrer qu’elle avait maintenant terminé de s’excuser en boucle et que la conversation était lancée. “Ça m’arrange aussi de ne pas avoir à faire la conversation à droite et à gauche en attendant que ce soit une heure convenable pour partir.” Encore un rictus de la part de la jeune femme qui avait acquiesé en levant sa coupe de champagne en évidence avant de la poser comme pour signifier qu’elle n’avait pas de problème avec l’alcool mais qu’elle essayait bel et bien de tromper l’ennui. Visiblement, Rhett la supportait pour la même raison. Alors que les deux jeunes gens tentaient de faire connaissance et que la conversation était redevenue plus fluide, Rhett avait évincé sa question pour la prendre de court. “Dis moi, tu es écrivaine ?” Pourquoi ? Comment ? Comment un joueur de rugby dont la notoriété n’était plus à prouver pouvait-il connaître sa réelle identité ? Alors que Greta commençait à perdre pieds et se poser mille questions, Rhett avait rapidement effacé ses questionnements.  “Conrad m’a dit qu’il avait une amie écrivaine, ça me revient maintenant.” « Conrad… Ce mec va avoir pas mal d’explications à me donner… » avait-elle commencé, gênée de la situation. De toute façon piégée, Greta avait dû s'expliquer. « Ecrivaine, c’est un bien grand mot. Est-ce qu’on peut qualifier d’écrivaine une fille ayant sorti un unique best-seller ? » Peut-être était-ce encore une fois le champagne qui parlait mais maintenant que Conrad avait vendu la mèche, Greta pouvait se libérer d’un poids qu’elle ne pouvait jusqu’alors partager qu’avec une poignée de personnes. « Je suis de Londres, à la base. C’est là-bas que j’ai sorti mon bouquin mais depuis que je suis arrivée ici il y’a trois ans, je suis un peu au point mort. » Greta était probablement en train d’accorder trop de confiance à Rhett juste parce qu’il était connu et incroyablement séduisant, mais après tout, quel intérêt aurait-il à dévoiler sa couverture ? Elle avait tout de même pris soin de ne pas mentionner son nom de famille, au cas où. « Tu sais que pendant un court instant j’ai cru que Garrett Hartfield avait lu mon livre d’amour ? » avait-elle continué en riant. Dans ce cas, la situation aurait été réellement improbable. « Dis-moi que tu commences à piger ce que Conrad avait derrière la tête en nous présentant ? » Toujours perdue, Greta ne pouvait pas imaginer où Rhett voulait en venir mais elle s’était tournée vers lui avec les sourcils froncés pour qu’il poursuive la conversation et éclaircisse peut-être le mystère.

« Conrad… Ce mec va avoir pas mal d’explications à me donner… » Et à en juger par la réaction de Greta, et ce même s’il va regretter d’avoir laissé fuiter cette information, Conrad l’a pourtant mis sur la bonne piste en la désignant comme une écrivaine. De son côté, Rhett a eu raison d’enfin faire le lien entre elle et l’information donnée ultérieurement, qui plus est, chose qui le rend plus fier qu’il ne s’en veut d’avoir quelque peu trahi son ami. Conrad saura s’en remettre, sans nul doute. « Écrivaine, c’est un bien grand mot. Est-ce qu’on peut qualifier d’écrivaine une fille ayant sorti un unique best-seller ? » - “Honnêtement ? Oui. Beaucoup d’écrivains n’ont jamais de best-seller, pour commencer.” Ce n’est peut-être qu’un avis de néophyte, mais au moins il est objectif. Rhett ne sait pas mentir et, surtout, il n’aurait rien à gagner à le faire. Elle a tout d’une écrivaine et ce même si elle n’a écrit qu’un livre, il trouve ça d’autant plus remarquable qu’il a su se hisser dans les meilleures ventes à lui seul et sans le moindre prédécesseur. C’est une prouesse dont il n’aurait jamais été capable, à commencer par là, sûrement parce qu’il peine à écrire un sms sans être trop maladroit, en témoignerait Evelyn. “De quoi parlait le livre ? Désolé, je vais pas faire semblant d’être un grand lecteur.” Cliché du sportif qui ne fait rien d’autre que courir après une balle, pas vrai ? Il se rattrape dans d’autres domaines, mais pas celui de la lecture.

« Je suis de Londres, à la base. C’est là-bas que j’ai sorti mon bouquin mais depuis que je suis arrivée ici il y’a trois ans, je suis un peu au point mort. »
“L’Australie ne t’inspire pas ?”

Il n’émet pas d’avis sur le sujet, Rhett, il se contente de sincèrement poser la question sans attendre de réponse particulière, ni même pré-écrite. Il avait deviné son accent anglais avec une certaine évidence, mais ils se trouvent à une soirée où les invités viennent de trop de parties du monde pour que cela ait encore le moindre intérêt à être souligné. « Tu sais que pendant un court instant j’ai cru que Garrett Hartfield avait lu mon livre d’amour ? » En voilà donc le thème, de son fameux livre. De quoi laisser Garrett Hartfield rigoler à nouveau, sincèrement. Peut-être qu’il aurait pu le lire, ou tout du moins l’acheter et l’oublier sur sa fameuse étagère-fourre-tout, qui sait. “Appelle moi Rhett. Tout le monde m’appelle Rhett.” Il précise rapidement, souriant, pour ne pas lui faire penser qu’il lui donne déjà une place bien particulière ou quoi que ce soit dans le genre. Simplement, il n’y a que son frère qui l’appelle Garrett, et ce uniquement lorsqu’ils sont encore en train de se disputer. « Dis-moi que tu commences à piger ce que Conrad avait derrière la tête en nous présentant ? » Le brun jette un regard sur l’assemblée autour d’eux, par réflexe, comme s’il allait trouver sa réponse sur le visage d’inconnus. “Je… Ouais, peut-être.” Sans doute, en réalité. Il n’y a que peu de doutes sur le sujet, assez pour que Rhett prenne le temps de réfléchir, trouver ses mots, maudire autant que bénir l’esprit si particulier de son ami. “J’ai dit à Conrad que je voulais écrire mes mémoires, un jour.” Oui, il n’a que quarante ans. Oui, il n’a pas été président des Etats Unis ou quelque chose d’exceptionnel pour être vendeur au premier coup d’oeil. Mais oui, malgré l’avis de tous, il tient à cette idée, pour une liste interminable de raisons qui sont les siennes et le font désormais baisser d’un ton, comme s’il avait déjà signé un accord de confidentialité. “Ça peut paraître présomptueux mais je le suis pas assez pour m’inventer un quelconque talent d’écriture.” Il n’a même pas essayé d’écrire quoi que ce soit, ni même trouver le titre de l’oeuvre. Tout ce qu’il a fait, Rhett, c’est parler de son idée autour de lui, vaguement, et espérer un jour trouver la bonne personne pour faire un bout de chemin avec lui. Chose que Conrad a peut-être fait à sa place finalement. “C’est osé comme proposition, je sais. Et ça change sûrement énormément de l’écriture d’un roman, mais si jamais tu bloques, alors peut-être… Peut-être que ça vaut la peine d’essayer.” Greta l’anglaise qui n’a rien écrit depuis trois ans n’aurait rien à y perdre, non ? N’a-t-elle pas un éditeur qui lui envoie des messages toutes les semaines pour lui demander quand est-ce qu’il aura quelque chose à se mettre sous la dent ?

Greta avait retrouvé le sourire et ne prêtait plus vraiment attention aux discours prononcés qui venaient ponctuer la soirée de charité. Rhett était charmant, avenant et bien plus intéressant qu’elle n’aurait pu l’imaginer, elle qui ne connaissait de lui que sa carrière sportive - et encore. Il était fort probable que le jeune homme n’ait aucun intérêt particulier pour la littérature, encore moins pour les romans à l’eau de rose, mais pourtant, il la questionnait et le visage de Greta s’illuminait. “Honnêtement ? Oui. Beaucoup d’écrivains n’ont jamais de best-seller, pour commencer.”  L’auteure avait baissé la tête pour masquer le sourire plus intense qui se dessinait. Ce n’était pas tous les jours que l’on se faisait complimenter par une personne comme Rhett et elle savait en apprécier la valeur. “De quoi parlait le livre ? Désolé, je vais pas faire semblant d’être un grand lecteur.” « J’imagine que tu me demandes ça par politesse alors je te la fais courte, c’est sur un garçon amoureux d’une fille depuis le lycée et qui s’efforce de réaliser tous ses rêves en restant au second plan, jusqu’à ce que leur histoire d’amour se concrétise. Rien de bien passionnant mais comme quoi, l’amour reste le sujet le plus vendeur. » En reprenant les lignes principales de son premier roman, Greta se retenait de soupirer tant cela la laissait encore rêveuse. Il était inutile de repenser à son histoire d’amour avortée qui l’avait tant fait souffrir maintenant alors qu’elle était en pleine discussion. « Je ne te raconte pas tout, au cas où te viendrait l’envie de le lire ! » Greta avait encore une fois réussi à détourner la tournure gênante que prenait la conversation par l’humour - hors de question de laisser paraître son coeur brisé à l’inconnu qu’était encore Rhett après seulement une petite heure de conversation.

“L’Australie ne t’inspire pas ?” Difficile de répondre à cette question. L’Australie était magnifique, pleine de paysages fascinants et d’une faune aussi incroyable qu’effrayante. Le dépaysement avait été difficile à combattre et après trois ans Greta commençait à peine à se considérer comme une habitante de Brisbane, l’accent la trahissant toujours. Le lieu était source d’inspiration puisqu’il était nouveau mais le peu de mots qu’elle avait couchés était loin de former un livre complet. “J’ai dit à Conrad que je voulais écrire mes mémoires, un jour.” Alors qu’elle rêvassait encore en plein milieu de la conversation, Greta ne s’attendait absolument pas à ce que Rhett lui évoque enfin la raison de leur rencontre, orchestrée d’une main de maître par Conrad. “Ça peut paraître présomptueux mais je le suis pas assez pour m’inventer un quelconque talent d’écriture.”  Elle n’avait cette fois-ci pas réussi à dissimuler le rictus qui lui était venu face à cette annonce.  Il était imposant, il était beau, il était doué sur le terrain à l’époque, mais est-ce que cela pouvait réellement justifier sa volonté ? « Excuse-moi Rhett, je voulais vraiment pas me moquer mais je t’avoue que je m’attendais à tout sauf à ça ! »

“C’est osé comme proposition, je sais. Et ça change sûrement énormément de l’écriture d’un roman, mais si jamais tu bloques, alors peut-être… Peut-être que ça vaut la peine d’essayer.”  Était-il en train de lui faire cette proposition ? Était-elle déjà en train de bouillonner d’idées suite à la dite proposition ? « Number Nine. Ou juste Nine. » avait-elle commencé en posant son regard vers les dorures qui ornaient le plafond de cet endroit bien trop chic pour accueillir toutes ces personnes qui n’avaient que faire de l’écologie. « Ce serait un titre prometteur non ? Avec une jolie photo de toi … » Ce ne serait pas difficile à trouver avait-elle pensé sans oser le dire et gâcher cette peut-être prochaine collaboration. « … on comprendrait tout de suite que c’est ta biographie. Enfin, si tu peux voir ça comme une biographie plutôt que comme des mémoires. Les mémoires, ce serait vraiment si tu avais marqué l’histoire, c’est un peu le cas je te l’accorde mais tu vois ce que je veux dire ? » Le but n’était pas de minimiser l’impact de Rhett dans le monde du sport mais d’essayer d’éclaircir un peu les termes et de paraître légèrement plus professionnelle qu’au début de leur échange. « Je ne sais pas ce que tu voudrais raconter, ta seule carrière sportive ou également ton enfance, ta vie privée… et si tu veux écrire toi-même en recevant un peu d’aide ou qu’une certaine personne écrive tout pour toi ? » Lancée sur un terrain qui lui correspondait plus que le rugby, Greta semblait maintenant mener la danse et sans vraiment y penser, elle avait attrapé une coupe de champagne sur le plateau du serveur qui passait par là. « Tu m’accompagnes ? » avait-elle demandé en lançant un regard vers les coupes qui les aideraient probablement dans l’élaboration de cette collaboration inattendue.

Conrad, sacré Conrad. Il n’en a pas l’air comme ça, mais il a toujours une longueur d’avance sur le reste du monde. Une longueur assez grande pour que Rhett se retrouver à écouter le pitch d’une inconnue sur son livre, qu’il n’a jamais lu et ne lira sûrement jamais non plus. Pourtant, il ne feint pas son intérêt, tout comme le sourire ému que l’histoire lui arrache n’est pas surjoué. Il se reconnaît un peu trop dans ces mots d’une histoire d’amour vécue au détriment d’une carrière ; ou plutôt d’une carrière au détriment d’une histoire d’amour. A la seule différence que si sa carrière a connu ses moments de gloire, il n’en a finalement jamais été de même pour son couple avec Jenna, ni même celui formé un peu plus tard avec Mabel. Finalement, il n’a pas tant de points communs avec cette histoire qu’il aurait voulu le croire, ce dont il est le premier à s’en retrouver attristé. Ce qu’il aborde avec un sentiment bien différent, c’est l’idée d’un livre sur sa propre histoire, idée qu’il se permet de dévoiler à Greta avec une certaine confiance, créée grâce à l’intermédiaire de Conrad, leur ami commun. Et si le rire de la jeune femme a tout pour le déstabiliser, il se reprend bien rapidement alors qu’elle marmonne des excuses rapidement et maladroitement, tentant de se reprendre. « Excuse-moi Rhett, je voulais vraiment pas me moquer mais je t’avoue que je m’attendais à tout sauf à ça ! » - “Je comprends.” Il ajoute avec une certaine évidence, pour tenter de le faire déculpabiliser. Lui non plus ne s’attendait pas à parler de son projet de livre en venant à ce gala, surtout alors qu’il ne la connaissait pas il y a quelques dizaines de minutes encore.

« Number Nine. Ou juste Nine. » L’interrogation semble assez bien se lire sur son visage pour que la jeune femme continue naturellement ses explications et aille plus loin. Son regard dérive, pas celui de Rhett qui reste ancré à ce visage qu’il a l’impression de voir pour la première fois d’une longue, longue liste. « Ce serait un titre prometteur non ? Avec une jolie photo de toi … » Le sourire qu’il esquisse n’est pas pour la photo, uniquement pour l’enchaînement rapide des idées de la jeune femme, autant que le fait qu’elles lui plaisent. Nine et une photo de lui. Ce serait simple, mais suffisant. A l’intérieur, il sait déjà tout ce qu’il dira, autant qu’il sait que cela intéressera toujours un public éternellement curieux. “Tu n’es pas seulement une bonne écrivaine, alors.” C’est une histoire de marketing, la couverture. Peut-être pas le titre, certes ; mais tout le reste. Et là encore, elle est douée et force de proposition, ce qui fait dire à un Rhett encore largement silencieux qu’ils pourraient faire une bonne équipe, tous les deux. “Nine, j’aime bien.” C’est simple et, surtout, cela sous-entend que le lecteur connaît déjà la référence à ce numéro, ce qui a tout pour plaire à son ego, une fois de plus. « … on comprendrait tout de suite que c’est ta biographie. Enfin, si tu peux voir ça comme une biographie plutôt que comme des mémoires. Les mémoires, ce serait vraiment si tu avais marqué l’histoire, c’est un peu le cas je te l’accorde mais tu vois ce que je veux dire ? » A ses yeux, ce ne sont que des mots synonymes qui veulent tous dire la même chose, alors il ne cherche pas à parlementer et argumenter en faveur de sa première idée. Une biographie, ça le fait tout aussi bien que des mémoires, tant qu’au final on le laisse raconter ce dont il a envie. Rhett a beau avoir une grande estime de lui-même, il sait qu’il n’arrivera jamais à la cheville d’un Obama par exemple - et qu’il en sera de même pour les ventes de ce livre. Il hoche la tête pour lui signifier qu’il comprend, en effet, autant qu’il accepte son idée sans le même problème. Il aura de quoi se battre sur bien d’autres sujets, il ne s’en fait pas. Pour l’heure, il n’a aucun mal à céder du terrain.

“Je voudrais parler un peu de tout ça, à vrai dire.” De sa carrière sportive, bien sûr, mais également de son enfance et de sa vie privée, sans pour autant savoir par avance quel thème aura quelle part d’attention dans le livre. Il veut tout couvrir, Rhett, mais surtout ce que le public ignore, justement parce qu’il a pris grand soin de tout cacher pendant des années. “Tu écrirais tout bien mieux que moi, même en m’aidant.” Il le lui expliquera avec ses mots, avec sa vision des choses, mais ce sera elle qui posera tout par écrit et l’ancrera dans le temps ; il n’a aucun doute là-dessus, si bien sûr elle accepte la proposition faite. « Tu m’accompagnes ? » - “Mes aveux commencent en te disant que je ne bois pas.” Mais cela ne l’empêche pas de prendre une coupe de champagne et de la lui tendre, ne voulant pas l’empêcher de se faire ce maigre plaisir. A défaut de trinquer avec elle, c’est un maigre sourire, largement désolé, qu’il lui offre. Elle va apprendre beaucoup de choses sur lui, ce qui demandera une confiance sans pareille et sans doute beaucoup de temps. “Je peux te laisser mon numéro et tu me recontactes si l’idée te dit toujours après y avoir réfléchi ?” Ce n’est pas une décision à prendre à la légère et il ne veut pas l’enfermer dans un carcan qui pourrait ne pas lui plaire, raison pour laquelle Rhett prend toutes les pincettes nécessaires, avenant et empathique. “J’ai… prévu… Enfin si ça se fait, cette biographie, y’aura des sujets difficiles à aborder. T’attends pas à une histoire uniquement tournée sur ma passion du rugby et les voyages liés, c’est tout ce que je veux dire.” Mais il ne lui dira rien tant qu’il n’est pas assuré de faire ce bout de chemin avec elle, parce que ce sont des aveux qu’il n’a même pas fait à son entourage le plus proche et qu’il ne peut risquer de tenir face à une inconnue, même si elle reste l’amie de Conrad avant toutes choses. “Mais au moins ça se vendra.” Il conclut dans un rire, amusé rien qu’à l’idée de devoir un jour faire la promotion de ce livre et de tous les sujets dont il traitera.

Greta avait rencontré Conrad par le biais de ses parents, à croire que l’intégralité des trente trois années passées sur cette fichue terre n’avait de sens que grâce à eux. Ils ne se seraient probablement jamais rencontrés si Allister Sighbury n’avait pas été un grand - trop grand - fan de rugby qui usait de sa notoriété pour assister à tous les matchs, sauf ceux qui se déroulaient les jours de défilé. Alors que la jeune Greta accompagnait son père à l’un de ces nombreux matchs, sans grande conviction, le moment passé à l’after party lui avait apporté un réel ami en la personne de Conrad. Il était parfois too much, parfois imbu de lui-même mais une chose était sûre, il la faisait mourir de rire et ne refusait jamais un coup de téléphone lorsque les choses étaient un peu moins dorées qu’à l’accoutumée. Si Rhett était l’un de ses amis, s’il avait décidé de faire en sorte que leurs chemins se croisent ce soir, cela voulait dire que Greta pouvait se détendre et se permettre une totale confiance. Du moins, elle l’espérait.

Les yeux de Greta s’étaient illuminés d’une étincelle un peu trop souvent laissée de côté depuis son arrivée et le flot de ses paroles ne semblait pouvoir cesser. “Tu n’es pas seulement une bonne écrivaine, alors.” Greta avait simplement souri pour ne pas justifier sa façon de penser à tout pour encore une fois garder sa véritable identité pour elle. La carrière de ses parents ne laissait aucune place à l’improvisation et les Sighbury étaient connus pour tout contrôler, des patrons des vêtements jusqu’aux photographes présents aux défilés en passant par la vérification des titres des articles dans lesquels ils apparaîtraient. Sans s’en rendre compte, la jeune femme venait tout naturellement de déjà peaufiner chaque détails d’un projet encore dans l’oeuf, en parlant au fur et à mesure où les idées se profilaient. “Nine, j’aime bien.” Son regard perçant se posait dans celui de Rhett alors qu’il l’encourageait, des encouragements devenus rares à Brisbane où son entourage s’était amoindri. Greta n’était pas du genre à chercher l’approbation et à plaire mais une partie d’elle avait besoin de ce petit quelque chose en plus pour avancer et c’était ce que lui apportait l’ancien sportif actuellement. “Mes aveux commencent en te disant que je ne bois pas.” Transportée par l’idée d’un nouveau projet, Greta s’était laissée tenter par une nouvelle coupe de champagne, se disant qu’après une telle proposition, Rhett ne devait pas avoir une si mauvaise image d’elle. Continuant à siroter le précieux liquide, elle avait laissé sa curiosité mal placée là où elle était, peut-être s’abstenait-il de boire simplement par envie, peut-être pour d’autres raisons. Quelque chose lui disait qu’elle l’apprendrait de toute façon assez vite.

Elle était loin de croire au destin, ni même au hasard mais elle refusait d’attribuer cette rencontre à ses parents qui l’avaient convaincue de venir se montrer ce soir, même si si elle était tout à fait honnête, elle affirmerait qu’encore une fois, une opportunité s’était montrée à elle grâce à eux. “Je peux te laisser mon numéro et tu me recontactes si l’idée te dit toujours après y avoir réfléchi ?” Sa crédibilité ne devait pas être à son paroxysme après qu’elle ait sauté si vite sur cette occasion, peut-être un peu trop enthousiaste pour justifier d’une carrière flamboyante. Peut-être que ce serait Rhett lui-même qui le lendemain aurait changé d’avis… « Oui bien sûr, excuse-moi, je dois bien avouer que ton idée m’a tout de suite inspirée. Je bosse sur un second roman depuis mon arrivée et je bloque, travailler avec toi m’aiderait sûrement à changer de registre et à retrouver le plaisir d’écrire » Greta se confiait, parce que le champagne aidait toujours à délier les langues mais également parce que Rhett avait su attiser sa curiosité et l’embarquer dans un nouveau projet dont elle ne pensait pas avoir besoin il y’a encore quelques minutes. “J’ai… prévu… Enfin si ça se fait, cette biographie, y’aura des sujets difficiles à aborder. T’attends pas à une histoire uniquement tournée sur ma passion du rugby et les voyages liés, c’est tout ce que je veux dire.” Le moment était probablement très mal venu pour lancer une énième blague sur l’alcool alors elle avait simplement acquiescé. Greta se rendait compte qu’elle ne tenait pas simplement un nouveau projet mais qu’elle allait également avoir le privilège d’entendre Garrett Hartfield, numéro neuf, lui raconter son histoire comme lui seul la connaissait. Sa curiosité allait être assouvie plus qu’elle ne pouvait le souhaiter. “Mais au moins ça se vendra.” avait-il ajouté, comme s’il avait besoin d’un autre argument pour la convaincre, comme si les gains que rapporterait le livre l'intéressait. Si seulement il savait. « Ma curiosité est piquée au vif, monsieur Hartfield. J’imagine que si j’ai déjà envie d’en savoir plus rien qu’avec ce que tu viens de me dire, beaucoup de gens seraient prêts à payer pour lire ton histoire. » Leurs sourires devenaient de plus en plus franches, ils n’avaient de toute façon plus besoin de faire connaissance puisque l’intégralité de l’histoire et la personnalité de Rhett lui seraient servies sur un plateau à leur prochain rendez-vous. Difficile pour la jeune femme de se dire qu’elle avait rendez-vous avec un rugbyman mais que cela était purement professionnel. « La question maintenant est de savoir si tu vas réussir à te confier à une totale inconnue. Je vais devoir te passer au crible ! » Greta parlait de nouveau comme quelqu’un qui n’avait absolument pas à réfléchir pour accepter le projet. Attrapant un amuse-bouche qu’elle avait fourré dans sa bouche sans même essayer de rester chic, elle avait tenté de boucler leur prochain rendez-vous, effrayée à l’idée de passer à côté de cette opportunité. « Je ne sais pas si tu préférerais être en territoire connu pour te livrer, mais on peut se fixer rendez-vous chez moi, j’habite à Spring Hill, pas loin d’ici. Ce sera plus simple pour moi. » Elle lui offrirait du thé puisqu’il ne boit pas et s'abstiendrait de boire du vin pour trouver l’inspiration cette fois-ci.

Greta semble encline à la conversation, capable de se confier sans le moindre mal, et c’est un trait de caractère qui plaît à Rhett, dans le sens où cela le fait sourire sans le moindre mal. Elle n’a pas à s’excuser d’être trop inspirée par l’écriture de son roman, cela ne fait à ses yeux aucun sens, de façon assez évidente: il aime se dire que sa personne est assez intéressante pour faire couler de l’encre. De son côté, il a toujours bien plus de mal à traduire ses pensées, mais il tente tout de même de le faire dans l’optique de faire au mieux pour leur collaboration, et la création de leur véritable petit enfant. « Ma curiosité est piquée au vif, monsieur Hartfield. J’imagine que si j’ai déjà envie d’en savoir plus rien qu’avec ce que tu viens de me dire, beaucoup de gens seraient prêts à payer pour lire ton histoire. » Parce qu’ils voudront du sensationnel, parce qu’ils voudront pouvoir juger Rhett et se dire qu’il existe finalement toujours pire qu’eux en ce monde. L’australien sait qu’il joue avec le feu, mais il n’a rien appris du mythe d’Icare et est prêt à tout tenter pour avoir son instant de gloire, surtout s’il peut mener avec lui Greta jusqu’aux sommets.

« La question maintenant est de savoir si tu vas réussir à te confier à une totale inconnue. Je vais devoir te passer au crible ! » Face à cette question éminemment importante, Rhett laisse échapper un rire de convenance trahissant son manque d’assurance. Il n’a aucun mal à mettre en avant ses capacités physique mais dès qu’il est question de la moindre émotion, il peine à répondre à l’appel. Il n’y a pas de traumatisme d’enfance pour l’expliquer, c’est simplement ancré dans son caractère et bien difficile à changer. Pour ce sourire rassurant et pour le bien de leur projet, pourtant, il jure qu’il fera tout ce qu’il peut pour enfin poser des mots sur les choses. Il faut voir le bon côté des choses: plutôt que de payer un psy hors de prix, c’est en racontant son histoire qu’il va finalement gagner de l’argent. Le rêve. “M’en veux pas si on y va pas à pas.” Parce que de toute façon, c’est ce qui devra se passer. Il ne pourra pas lui avouer du jour au lendemain ses plus grandes peurs et craintes alors qu’il ignore tout ce qui ne se résume pas à son simple prénom. « Je ne sais pas si tu préférerais être en territoire connu pour te livrer, mais on peut se fixer rendez-vous chez moi, j’habite à Spring Hill, pas loin d’ici. Ce sera plus simple pour moi. » - “C’est mon quartier aussi. Ce sera parfait. Tu m’enverras l’adresse.” Puisqu’elle a maintenant son numéro de téléphone, ils peuvent sérieusement envisager la suite des choses, comme s’il n’y avait finalement rien de plus simple que de dire à un inconnu d’écrire son livre et à un autre de raconter son histoire. Si seulement les autres soirées mondaines avaient été aussi productives. “Et je suis sérieux, pour le changement d’avis. C’est toujours une possibilité.” Rhett reprend une fois de plus, plongeant son regard dans le sien. Il lui en laisse la possibilité maintenant mais ne le fera plus jamais ensuite, pour des raisons plutôt évidentes.

La conversation avait pris le dessus sur l’événement et Greta en avait presque totalement oublié la raison principale de sa venue. La proposition de Rhett avait été si directe que son attention avait été complètement détournée de la cause écologique du gala et le cocktail semblait toucher à sa fin sans qu’elle n’ait eu l’impression d’être arrivée bien longtemps auparavant. “M’en veux pas si on y va pas à pas.” Comment pourrait-elle lui en vouloir de quoi que ce soit alors qu’elle le connaissait à peine ? Comment pourrait-elle lui en vouloir de prendre son temps pour se confier à une inconnue ? En s’enthousiasmant sur le projet, Greta n’avait pas réellement réalisé que l’exercice pourrait s’avérer plus difficile qu’elle ne l’imaginait. Car c’était justement un projet, et rien de plus, pour le moment. Pourtant, si écrire un roman n’engageait qu’elle, écrire le récit de la vie d’un tiers impliquait d’écouter, de coucher sur papier l’intégralité de ce qui lui était raconté sans aucun jugement et sans intervention. Certes, Greta pourrait toujours mieux formuler certaines phrases mais cela ne viendrait en aucun cas dénaturer le propos initial. A ce stade de la conversation, l’auteure n’imaginait pas que le sportif puisse choisir de révéler aux grands jours autre chose que ses glorieux moments.

“C’est mon quartier aussi. Ce sera parfait. Tu m’enverras l’adresse.” L’idée qu’elle vivait depuis tout ce temps dans le même quartier que Rhett Hartfield sans jamais l’avoir croisé lui semblait légèrement cruelle mais impossible pour elle de relever sans gaffer une nouvelle fois et perdre tout professionnalisme. Ils étaient maintenant, ou seraient bientôt, des collaborateurs, la biographe et son sujet, rien de plus. Et je suis sérieux, pour le changement d’avis. C’est toujours une possibilité.” Cette affirmation l’avait fait sourire. « Je sais bien que tu ne m’obliges à rien, t’en fais pas » avait-elle répondu avec un sourire sincère car elle ne doutait pas de ce qu’il disait, il n’avait pas l’air d’être le genre de personne insistante ou tentant de l’influencer. Rhett avait soumis une idée et elle avait suivi avec tant d’enthousiasme que se rétracter semblait par contre maintenant presque impossible. Malgré les coupes de champagne, la jeune femme savait ce qu’elle faisait et ce qu’elle disait. Certes, elle n’avait aucune réelle idée de ce dans quoi elle s’engeait mais cela ne faisait rien, l’idée même d’une nouvelle aventure lui donnait l’impression de faire enfin un pas en avant. Elle ne risquait rien, ne pouvait pas délivrer quelque chose de décevant en se contentant de raconter la vie de Numéro 9, personne ne viendrait lui dire que l’histoire était mauvaise. Pour le moment, tout s’annonçait sans encombre. Greta avait noté le numéro de téléphone que Rhett avait pris soin d’afficher sur son téléphone qu’il brandissait sous ses yeux. « Je t’envoie un message demain en fin de journée sans faute. » Alors que la conversation se terminait naturellement, les organisateurs de l’événement avaient choisi ce moment pour rassembler la foule d’invités maintenant assez alcoolisée pour donner de l’argent sans compter. La jeune femme aurait sans problème passer le restant de la nuit avec Rhett mais il fallait maintenant se concentrer un peu sur les annonces faites ce soir et sur le gala pour ne pas paraître impolie. Ils auraient de toute façon tout le loisir de passer du temps ensemble et c'est donc assez rapidement que Greta s'était éclipsée. « Merci pour ce soir, j’ai été ravie de te rencontrer. A demain ! » avait-elle terminé alors qu’elle commençait déjà à s’éloigner en attrapant son chéquier dans son sac à main pour s’occuper de la généreuse donation des Sighbury.