Alfie n'a quitté ton bureau que depuis quinze minutes, mais pourtant tes mains sont toujours aussi tremblantes. Tu dois toujours contrôler ta respiration pour être certaine de ne pas éclater en sanglots. Comment ose-t-il se pointer ici avec de tels mensonges ? Comment ose t-il te replonger dans un passé où t'a rejeté à la base ? Hors de question que tu ne verses qu'une seule larme pour Alfie Maslow. Tu as vidé ton réservoir il y a bien longtemps. Tu ne comprends absolument pas ce qui a bien pu lui passer par la tête. Était-il vraiment jaloux de son ancien ami à ce point pour dire de telle horreur sur lui ? Est-ce qu'il réalise qu'il te blesse toi plutôt que Joseph dans toute cette histoire ? Les deux anciens amis semblent avoir une histoire à régler et tu as presque l'impression de te retrouver au centre de tout ça alors que tu n'as rien demandé. Tu en as encore moins envie. Tourner la page sur Alfie, c'est tout ce que tu souhaites. Mais le voilà de retour comme une fleur à t'empêcher de le faire. Le petit hamster dans ton cerveau va à vive allure, alors que tu replaces tous les crayons symétriquement sur ton bureau, chaque paquet de feuille y passe, le bureau au complet y serait sûrement passé si tu n'aurais pas été interrompu pendant le processus. Les vieux tocs reviennent au galop lorsque la machine à anxiété démarre. Tu redresses toutefois la tête au bruit de toquement contre la porte déjà ouverte du bureau. Greta peut facilement lire la surprise sur ton visage - à moins qu'elle n'ait remarqué ta détresse d'abord ? « Oh..heu…salut. » Comme entrée en matière cherchant la normalité, c'est totalement raté. D'autant plus lorsque tu te redresses d'un seul coup, le dos bien trop droit pour que ça soit le moindrement naturel. « Est-ce qu'on devait se voir ? » que tu relances aussitôt, tentant surtout de ne pas lui laisser le temps de placer un seul mot ou de remarquer l'étrangeté de la situation. Soyons honnête, plus tu essaies, plus tu t'enfonces. « Je… j'ai oublié. » que tu avoues carrément. La perturbation suite à la présence d'Alfie n'y étant pour rien, puisque tu n'arrives toujours pas à te rappeler de la date que vous avez posé lors de ta dernière discussion avec l'anglaise. Est-ce vraiment aujourd'hui ? Sa présence semble le confirmer. À moins qu'elle ne soit que passer te saluer avant d'aller dans le bureau de l'éditeur ? C'est aussi une possibilité si elle a un nouveau projet en tête dont elle ne t'a pas encore parlé. « Je suis désolée, c'est que j'ai tellement de choses à penser ces temps-ci et… et… » Et toutes les précédentes tentatives manquées depuis le début de cette conversation sont en vains lorsque tu sens l'eau te monter aux yeux à cause d'un simple oublie ridicule - vraiment pas de quoi réagir de la sorte. En une poignée de minutes, Alfie a bel et bien réussi à perturber ta stabilité émotionnelle. Tu devrais sûrement aller simuler une indigestion à ton patron, puisque tu seras incapable de poursuivre ta journée de travail dans un état pareil.

@greta moore

Après sa première année à Brisbane, Greta était toujours empreinte d’une réelle motivation et avait pris rendez-vous dans plusieurs maisons d’édition pour savoir si elle pourrait compter sur des alliés lorsque l’inspiration lui permettrait d’écrire un second livre. Malheureusement, ici, elle n’était personne et la simple évocation du titre de son best-seller en Angleterre n'impressionnait pas les requins du monde de l’édition. Peut-être que c’était cette chasse au trésor vaine qui avait eu raison de la motivation de la jeune femme, trop habituée à ce que tout se passe comme elle le souhaitait, mais il semblait que cette panne soit là pour durer. Il fallait qu’elle se ressaisisse et elle le savait, l’auteure était venu dans cette ville pour prouver son talent et réussir sans bénéficier de traitement de faveur. Pourtant, se retrouver face à la réalité avait été plus compliqué que prévu. Heureusement, en voguant de bureau en bureau, Greta avait au moins eu la chance de rencontrer Juliet, une assistante dans la maison d’édition qui se situait toute proche de son loft. La rencontre clichée lors d’une bousculade dans les couloirs avait permis la naissance d’une amitié qui s’était rapidement fortifiée. C’était à la fin de l’année 2021 et elles étaient aujourd’hui plutôt proches. Du moins, proches au point que Greta puisse débarquer dans le bureau de son amie juste parce qu’elle passait à côté sur le chemin qui la menait du centre ville à son loft. Visiblement, cela avait eu l’air de prendre Juliet de court. « Est-ce qu'on devait se voir ? » Greta s’était sentie soudain un peu gênée face à la question de son amie.  « Non, mais, je sais pas, je passais par là alors je me suis dit… » Juliet avait poursuivi sans lui laisser réellement le temps de parler ou d’essayer de l’écouter. « Je… j'ai oublié. » Greta avait finalement compris, Juliet n’était pas dans son état normal. La jeune femme bafouillait, semblait nerveuse sans réelle raison mais c’est à l’apparition de goutelettes dans ses yeux que le doute s’était totalement dissipé. Quelque chose n’allait pas. « Je suis désolée, c'est que j'ai tellement de choses à penser ces temps-ci et… et… » Juliet pouvait tenter de se justifier tant qu’elle voulait, les deux jeunes femmes avaient développé une relation assez sincère pour que Greta s’inquiète pour elle et sache déjà lire en elle comme dans un livre ouvert. « Hey, hey, calme toi, tout va bien. » avait-elle commencé en s’approchant de son amie et posant une main rassurante sur son épaule. L’auteure s’était ensuite assise en face d’elle. « Qu’est ce qu’il t’arrive ? Tu sais que tu ne peux pas me mentir. » Greta voulait savoir ce qu’il se passait, non par curiosité, mais parce qu’elle avait à coeur d’être là pour aider son amie.

Ce n'est pas que la présence de Greta est gênante. Du moins, elle ne l'est pas en temps normal, mais aujourd'hui, maintenant, ce n'est pas un temps normal. Tu es encore sous le choc de ta précédente conversation avec Alfie. Conversation qui tourne en boucle et en boucle dans ta tête. « Non, mais, je sais pas, je passais par là alors je me suis dit… » Et c'est sûrement ce qui t'empêche de réellement écouter les paroles de Greta, encore convaincu que tu avais oublié que vous deviez vous voir. Tu coupes ses paroles sans vraiment réaliser que tu le fais. Tes pensées sont toutes dirigées vers une seule et unique personne, quand bien même cette personne ne se retrouve plus dans la pièce. « Hey, hey, calme toi, tout va bien. » La douce voix de Greta semble soudainement te faire retrouver ta lucidité, du moins, pour quelques minutes au moins. Sa main vient délicatement se poser contre ton épaule alors qu'elle s'assoit en face de toi. C'est à ce moment-là que tu juges nécessaire de prendre une grande et lente respiration, puis d'expirer d'un coup. Nécessaire pour ne pas éclater en larme. Ce n'est ni le moment, ni l'endroit adéquat pour le faire. Déjà que tu reçois deux visites aussi rapprochées ça ne risque pas de plaire au patron s'il s'en rend compte. « Qu’est ce qu’il t’arrive ? Tu sais que tu ne peux pas me mentir. » Tu ne peux pas mentir à personne et c'est bien ça le problème. C'est tellement facile de pouvoir lire en toi - un peu trop même, c'est parfois frustrant, mais c'est ce qui fait de toi la personne vraie que tu es. « Alfie… il était là et il… il vient de partir. » Ta gorge se noue sous tes paroles. Le simple fait de dire son prénom à voix haute te donne l'impression que ton estomac est tordu dans tous les sens. Ton regard se relève soudainement vers la porte derrière elle, comme si Alfie allait revenir après avoir, lui aussi soufflé de son côté. Il viendrait s'excuser d'avoir menti et tu lui demanderais pardon de l'avoir chassé d'ici - et de ta vie surtout. « C'est… » que tu débutes en réalisant que le prénom d'Alfie ne doit absolument rien dire à Greta. Les ravages qu'il a fait dans ton cœur n'était plus aussi criant qu'au début lorsque la blonde est arrivée dans la vie. « On a été ensemble pendant longtemps. » Assez longtemps pour avoir cru que tu passerais tes vieux jours avec lui. Mais ça fait aussi longtemps que c'est terminé, que lui, a mis fin à tout ça. C'est complètement insensé qu'il se pointe ici après tout ce temps pour te demander de lui rendre des comptes. A-t-il oublié comment tout ceci s'est terminé ? Parce que toi, tu n'as rien oublié. « C'est toujours aussi difficile de le voir même si c'est terminé depuis longtemps. » que tu ajoutes en essuyant le coin de ton œil malgré qu'aucune larme n'a coulé officiellement. C'est encore plus difficile de le voir se détruire à petit feu, mais, même s'il était heureux et épanouis dans sa nouvelle vie, tu n'es pas vraiment certaine que ça faciliterait les choses. Voilà la preuve qu'entre Alfie et toi, il n'y aura jamais naissance d'une amitié. Tu ne sais pas comment font ces exs qui arrivent à rester ami. Aucune chance pour que tu veuilles être juste ami avec Alfie. Ce serait totalement malsain de simplement essayer.

Alfie. Dans l’imaginaire de Greta, Alfie était unique et ce prénom - ou plutôt ce surnom - ne pouvait faire référence qu’à une seule personne. Alfie Maslow lui était apparu comme unique en son genre à la seconde où elle l’avait aperçu et même si les années lui avaient permis de passer à autre chose, il lui avait laissé un souvenir impérissable et leurs rares rencontres étaient toujours difficiles à gérer tant elles replongeaient Greta à l’adolescence. Brisbane était bien trop dense pour qu’une telle coïncidence ne soit possible, pourtant, à bien y réfléchir, Greta aurait juré avoir reconnu une silhouette familière dans le couloir. Un frisson était venu la parcourir en y songeant encore un peu plus, le garçon qu’elle avait aperçu de dos avait une tenue bien trop colorée pour le commun des mortels pour qu’il s’agisse d’une simple coïncidence. Plongeant son regard dans celui de son amie pour se recentrer sur l’essentiel et revenir au moment présent, Greta avait laissé son amie poursuivre. « On a été ensemble pendant longtemps. » Après cette phrase, Greta refusait de croire que son amie parlait de lui parce que cela aurait pu venir ternir une amitié à laquelle elle accordait bien trop d’importance. Certes, Alfie n’avait été pour elle qu’un coup de cœur d’adolescente et elle savait être insignifiante dans l’histoire du garçon mais comment pouvait-elle accepter d’entendre Juliet se confier sur lui ? L’ambiance était devenue pesante et l’auteure s’efforçait de donner le change, incapable de poser la question qui lui brulait les lèvres, cherchant à trouver les bons raccourcis pour parvenir à la réponse. « Comment ça, Alfie ? Tu ne m’as jamais parlé de lui ? »  Le moment n’était pas aux reproches et loin de la jeune femme l’idée d’accabler une amie déjà bien affaiblie, elle n’éprouvait aucune rancoeur quant au fait de ne pas avoir été mise au courant de chaque détail de la vie de Juliet. Elle souhaitait simplement savoir, comprendre si c’était lui. Il était évident que Juliet était encore bien trop troublée par la visite du garçon pour que son passage dans sa vie n’ait été qu’anecdotique, ce qu’elle avait rapidement confirmé. « C'est toujours aussi difficile de le voir même si c'est terminé depuis longtemps. »  Greta se félicitait intérieurement de s’être assise dès le début de leurs échanges tant la conversation prenait une tournure compliquée pour elle. Premièrement, le doute grandissant sur l’identité du Alfie dont parlait Juliet, deuxièmement, l’évocation d’une rupture douloureuse. Cinq années n’avaient pas été suffisantes pour faire le deuil de l’histoire qu’elle avait vécu et elle savait déjà qu’elle ne serait pas l’interlocutrice idéale pour un tel sujet. Greta tentait malgré tout de poursuivre la conversation en se persuadant qu’elle concernait quelqu’un de lambda jusqu’à avoir une claire et précise confirmation. Pour l’heure, elle se devait d’être présente comme l’avait été Juliet, elle devait mettre ses états d’âme de côté pour consoler un petit bout de femme visiblement déstabilisée. « Question peut-être idiote… qu’est ce qu’il est venu faire ici si c’est terminé depuis longtemps ? Tu veux en parler ? » avait-elle demandé calmement. Difficile de savoir si Juliet souhaitait refaire le film de la discussion qui l’avait mise dans cet état mais si Greta voulait garder une chance de pouvoir la réconforter, il lui fallait au moins le contexte. « T’es de toute façon pas en état de bosser là je crois… » Leur rencontre semblait avoir été mouvementée et la conversation qu’était venue chercher cet Alfie là n’avait visiblement rien de réjouissant à en croire les yeux humides et le discours peu assuré de Juliet.

« Comment ça, Alfie ? Tu ne m’as jamais parlé de lui ? » Tu hausses légèrement les épaules. Sans doute que tu en avais très très légèrement parlé sans préciser de prénom à l'annectode. La discussion des exs avait été passée rapidement, bien trop pour entrer dans les détails. De toute façon, comme tu venais de le préciser, c'était parfois plus facile de faire comme si Alfie n'avait jamais partagé ta vie. Si tu n'en parles pas, si tu ne fais plus vivre l'histoire, c'est comme si elle n'avait jamais existé non ? Peut-être que tu ne voulais pas non plus d'une amie de plus qui te fait des reproches sur cette histoire. « Disons que c'est pas mon sujet préféré. » C'est la version courte et abrégée. Greta en comprendra sûrement que ça ne s'était pas bien terminé. C'est sûrement idiot de ne se concentrer que sur le négatif alors qu'il y a eu plein de belles histoires entre Alfie et toi. C'est dommage de devoir enterrer le beau, parce qu'il ramène automatiquement le moins beau. Alfie reste ta plus grande histoire d'amour. Il reste aussi ton plus grand chagrin d'amour. Un ne vient pas sans l'autre, mais de le voir débarquer ainsi, c'est juste… trop. « Question peut-être idiote… qu’est ce qu’il est venu faire ici si c’est terminé depuis longtemps ? Tu veux en parler ? » Est-ce que tu veux en parler ? Dure à dire. C'est comme devoir expliquer une histoire qu'elle ne pourra pas comprendre, mais que tu n'es pas certaine de comprendre entièrement non plus. À chaque jour, tu as l'impression d'avoir un nouveau morceau à placer dans ce puzzle complexe que représente Alfie. Le puzzle n'est toujours pas complet et c'est peut-être mieux qu'il ne le soit jamais. Sauf que la terre entière semble vouloir continuer à t'approvisionner alors que tu n'as rien demandé. « T’es de toute façon pas en état de bosser là je crois… » Elle n'a pas tout-à-fait tort. Tu prends une grande respiration, ou tu tentes de, puisqu'elle est plus saccadée qu'autre chose. Non, tu n'es certainement plus en état de bosser. Heureusement que le grand patron a quitté tôt. Personne ne s'en rendrait compte si tu partais maintenant. De toute façon, tu peux toujours reprendre ton retard plus tard dans la soirée ou encore en rentrant plus tôt demain matin. « Il a su que j'avais parlé avec un ami à lui et il… » Tu prends une pause. Tu prends le temps de te remémorer la scène qui vient tout juste de se dérouler sous tes yeux. Tu tentes encore de la comprendre surtout. « Pour qui il se prend à venir me dire à qui j'ai le droit de parler ou non ?? » Surtout après tous ces mois de silence. Surtout après que ce soit lui qui ait mis fin à votre relation. « Il raconte pleins d'histoires pas possible juste pour que je fasse ce qu'il veut. » Après avoir ramasser Joseph à la petite cuillère comme tu l'a fait, écorché par la vie, en crise de peine d'amitié pour Alfie, difficile à croire qu'il aurait pu lui faire du mal comme il le sous-entend. Il n'a pas trop l'air d'un bien bon menteur Joseph. C'est sans doute pour ça que Alfie le veut loin. Pour pas qu'il dévoile certaines informations sur lui. « Il n'a pas le droit de faire ça. » Il n'a certainement pas droit de remuer le couteau dans la plaie, non.

Greta avait fait irruption dans le bureau de Juliet et elle se devait maintenant d’assumer la situation dans laquelle elle s’était mise. Bien sûr, la jeune femme mettait un point d’honneur à être présente pour ses amis lorsqu’ils en avaient besoin mais la discussion prenait une tournure qui lui faisait douter de pouvoir réellement consoler Juliet. Il semblait que leur amitié soit encore trop récente pour que l’auteure connaisse toutes les histoires qui faisaient de Juliet qui elle était aujourd’hui. Peut-être que l’avoir connue avant aurait permis d’éviter de se retrouver ici à tenter de comprendre si elle parlait de lui et non d’un autre, mais aurait-elle réellement pu se lier d’amitié avec la petite amie d’Alfie Maslow si elle l’avait rencontré comme telle ? Greta était au courant des erreurs qu’avait commises Alfie et de son caractère qui pouvait déplaire à la plupart des personnes qui le croisait. Mais c’était cette image d’un homme extrêmement distingué et au sourire ravageur qui lui restait en tête, la première image que la jeune femme s’était construite lors de ces fameuses soirées londoniennes. Il y avait aussi cette soirée qui aurait pu être insignifiante pour la plupart des gens mais qui avait marqué l’esprit de Greta. Le retrouver par hasard à Londres, la coïncidence était trop belle pour l’oublier aussi rapidement. Elle se souvenait donc plutôt bien de ce moment où il avait évoqué sa petite amie, une annonce qui était venue achever le coeur brisé de Greta par sa propre histoire d’amour ratée, par son aventure d’un soir avec un Isaac qui avait ensuite tenté de mettre fin à ses jours et l’avait poussée à rentrer pour tenter de reprendre pied avant de se replonger dans ses projets à Brisbane. Alfie était évidemment amoureux et l’idée de l’imaginer avec quelqu’un n’était pas étonnant pour Greta même si celle-ci aurait voulu une nouvelle fois pouvoir noyer son chagrin mais le faire avec celui qui était resté aussi parfait que dans ses souvenirs d’adolescente. « Il a su que j'avais parlé avec un ami à lui et il… » Se recentrant sur le présent et tentant tant bien que mal d’apparaître étrange auprès de son amie, Greta avait reposé son regard fuyant sur elle alors qu’elle peinait à terminer sa phrase. « Pour qui il se prend à venir me dire à qui j'ai le droit de parler ou non ?? » La tristesse de Juliet semblait se transformer en de la colère. « Il raconte pleins d'histoires pas possible juste pour que je fasse ce qu'il veut. » Et la jeune femme se rendait compte qu’elle avait raté tout un chapitre de l’histoire de Juliet, qu’il lui était difficile de bien comprendre la base du problème. « Attends, attends. Je t’avoue être perdue et ne pas réussir à te suivre… » L'auteure avançait à taton, ne souhaitant pas contrarier davantage son amie et ayant le sentiment de n’être que très peu légitime. « Il n'a pas le droit de faire ça. » avait-elle continué avant de prendre le temps de s’expliquer, Greta tentait de la rassurer, malgré tout, malgré la conviction qu’elle parlait bien de lui. « Est-ce que tu t’es demandée s’il avait une bonne raison de le faire ? » Le regard intense que Juliet venait de poser sur elle était difficile à cerner alors son amie avait continué, comme pour nuancer ses propos. « C’est évident qu’il n’a plus aucun conseil à te donner mais s’il le fait, c’est qu’il tient peut-être encore à toi. » L’auteure tentait de trouver des mots plus simples et moins directs que “j’ai croisé Alfie dans un bar et il était assez bourré pour se confier à moi, et si on parle bien de la même personne, il t’aimait, réellement”.

« Attends, attends. Je t’avoue être perdue et ne pas réussir à te suivre… » Tu connaissais toute l'histoire - ou tu croyais la connaître en entier plutôt - et toi aussi tu avais de la difficulté à suivre cette conversation. Tu voudrais bien lui expliquer plus profondément, mais tu étais tout aussi perdu qu'elle l'était. Par le mélange d'émotions contradictoires qui se bousculait à l'intérieur de toi, c'était plus qu'évident que, même toi, tu ne saurais lui donner une explication logique. « Est-ce que tu t’es demandée s’il avait une bonne raison de le faire ? » Ton regard vient se planter d'un seul coup dans le sien. Non, ce n'est pas une question que tu t'es posé lorsque Alfie a commencé son discours. Ce n'est pas non plus une question qui t'es venu à l'esprit lorsqu'il est parti. Même lorsque quelqu'un te propose de te la poser, tu n'arrives pas à le faire. Dans ta tête à toi, il n'existe aucune raison valable pour avoir un tel agissement envers toi. « C’est évident qu’il n’a plus aucun conseil à te donner mais s’il le fait, c’est qu’il tient peut-être encore à toi. » Ton regard retourne rapidement dans la tristesse. Depuis quand est-ce que quelqu'un dans ton entourage se range du côté de Alfie ? Oh Greta, elle n'était pas là pour ramasser les pots cassés quand Alfie est partie. Elle n'était pas là dans les mois plus sombres qui ont suivi votre séparation. Elle ignore tout du mal qu'il a causé dans ton coeur, dans ta vie. Elle ne dirait sans doute pas ça si elle savait. Personne ne dit jamais de telles choses. Voilà peut-être l'occasion d'avoir une vraie opinion, de vrai conseil en toute impartialité. Parce qu'elle n'est ni pour ni contre Alfie. Elle ne connaît rien de cette histoire. Son jugement n'est pas altéré par les sentiments et le passé. « Qu'est-ce que ça changerait ? » que tu lui demandes, comme une enfant le ferait avec sa mère. Qu'est-ce que ça changerait que tu comptes encore pour lui ? Ça ne lui donne pas pour autant le droit de s'immiscer dans ta vie privée. Vie qu'il a choisi lui-même de quitter. « Il est parti. » que tu précises par la suite au cas où elle n'aurait pas encore compris que c'était bien lui qui avait mis fin à la relation et certainement pas l'inverse. « Il ne m'avait pas adressé un seul mot depuis près de deux ans. » Tu passes outre l'épisode de la visite non-désiré à l'hôpital. On ne peut pas vraiment dire que ça comptait. Aujourd'hui, c'était bien la première fois que tu avais une vraie conversation avec Alfie. Une conversation qu'il avait choisi de son plein gré et dont tu te serais bien passé. Il aurait dû y réfléchir à deux fois avant de se rendre sur son lieu de travail. Il aurait dû savoir que ce n'était pas une bonne idée de venir, surtout sans prévenir. Des rencontres comme celles-ci ont besoin d'un minimum de préparations mentalement parlant. L'effet de surprise n'a définitivement pas joué en sa faveur. Bien au contraire. « C'est un peu trop tard pour faire semblant de tenir encore à moi, non ? » C'est trop tard. Il fallait le faire avant. N'est-ce pas ? Tu ne sais pas vraiment ce que tu espères comme réponse en fait.

Ce bureau semblait devenir de plus en plus étroit au fur et à mesure où elle prenait conscience de l’objet de cette discussion. Greta était la protagoniste mais regardait en même temps la scène de l’extérieur, comme si elle n’était pas vraiment présente. L’exercice était difficile, consoler une amie sans causer du tort à Alfie qu’elle respectait trop, bien peu consciente de l’impact que son comportement avait pu avoir sur quelqu’un comme Juliet. Le regard de son amie criait toute sa tristesse, tout le chagrin qu’elle avait pu ressentir lors de leur rupture et pourtant, Greta tentait de lui trouver des excuses. Tout semblait absurde, aucun mot ne semblait bon à dire et la blonde commençait à perdre pied. Tout aurait été bien plus facile si elle avait su le nœud du problème ou plutôt si elle n’avait pas connu Alfie parce que si quelqu’un était capable de comprendre comment une rupture pouvait nous briser, c’était bien elle. ​​« Qu'est-ce que ça changerait ? » Les questions de Juliet devaient recevoir des réponses qu’une femme étant restée cette éternelle adolescente vouant un culte à l’homme ne pouvait pas donner sans être orientée. « Il est parti. » avait-elle jugé nécessaire de préciser alors que Greta savait déjà qu’une telle rancœur ne pouvait être possible en ayant été quittée et non l’inverse. Du moins, c’est ce qu’elle s’imaginait. Greta la laissait parler, recevant sa peine de plein fouet et l’associant forcément à celle qui était la sienne il y avait maintenant presque cinq années. La recevant et ne pouvant ignorer l’hypocrisie de la situation. « Il ne m'avait pas adressé un seul mot depuis près de deux ans. » Et c’était à ce moment-là Greta elle-même qui luttait pour éviter à son regard de trop s’humidifier et de s’autoriser à ressentir à nouveau la souffrance de sa propre rupture. Elle était sur le chemin de la guérison depuis trop longtemps et c’était Juliet qui avait besoin d’aide parce qu’elle s’était retrouvée plongée des années en arrière dans son ancienne relation alors qu’elle s’était reconstruite. Les deux jeunes femmes ne se connaissaient pas totalement et certaines parties de leurs vies n’avaient pas été évoquées en témoignait les découvertes que Greta était en train de faire mais l’anglaise était sûre d’une chose, son amie avait avancé et était devenue quelqu’un, sans se laisser définir par sa rupture. Du moins elle l’espérait. « C'est un peu trop tard pour faire semblant de tenir encore à moi, non ? » Greta avait réfléchi quelques instants avant de répondre. « Il ne fait peut-être semblant de rien. » avait-elle commencé avant de poursuivre pour mieux s’expliquer. « Moi je me dis que justement, il n’aurait aucun intérêt à revenir après autant de temps sans une bonne raison. » Pourquoi attendre deux années pour revoir son ex petite-amie ? Greta était convaincue de ce qu’elle avançait et parlait selon ce qu’elle ressentait pourtant, la jeune femme se rendait bien compte ne pas connaître Alfie. Surtout pas comme Juliet le connaissait. Elle tentait de discuter en restant neutre, ne sachant pas à quel moment lui demander si elle parlait bien de lui ou non, ne sachant pas si cela aurait un impact positif ou non sur la façon dont elle tentait d’apaiser son amie. Greta soutenait le regard de Juliet, lui révélant par le regard que quelque chose sonnait faux, qu’un non-dit était en train de lui brûler les lèvres sans qu’elle ne puisse lui avouer de quoi il s’agissait. « Je ne peux pas vraiment me faire un avis et te conseiller sans avoir toutes les pièces du puzzle. » avait-elle finalement dit, se sentant déjà coupable de la mener à se confier sur lui tout en lui taisant savoir très bien qui il était. Qui il lui avait montré être à elle.

« Il ne fait peut-être semblant de rien. » Peut-être. Peut-être pas. Seul Alfie à la vraie réponse à cette question, mais encore une fois, qu'est-ce que ça changerait à tout ça qu'il soit ou non honnête dans ses intentions ? C'était mieux autant pour toi que pour Alfie si vos chemins ne se recroisent plus jamais. Il vaut mieux que vous restez deux lignes parallèles qui évoluent chacun de leurs côtés. « Moi je me dis que justement, il n’aurait aucun intérêt à revenir après autant de temps sans une bonne raison. » Sans doute a-t-elle raison. Mais avec Alfie, c'est rarement logique, c'est plutôt spontané, impulsif. Il n'a pas réfléchi. Il s'est laissé porter par l'émotion. Sans quoi il n'aurait jamais pensé que ça puisse être une bonne idée de se présenter sur ton lieu de travail sans s'avertir. Quoi que l'impulsivité vient souvent avec l'honnêteté, n'est-ce pas ? Toute cette histoire risque de te donner tout un mal de crâne. C'est une conversation qui risque de tourner en boucle dans ta tête pendant les prochaines semaines à venir. À force de le faire, peut-être que tu finiras par remarquer quelque chose que l'émotion t'a empêché de voir du premier coup. « Je ne peux pas vraiment me faire un avis et te conseiller sans avoir toutes les pièces du puzzle. » Ce n'est pas faux que tu ne fais que lui donner des informations qu'elle ne peut pas comprendre puisqu'elle ignore tout de l'histoire que tu as vécu avec Alfie. Par quoi commencer ? Par le début ? Ce serait bien trop long et bien trop douloureux de ressasser tous ses souvenirs. « Il y a quelqu'un qui s'est introduit chez nous il y a trois ans environ. » que tu débutes. C'est ce qu'elle veut savoir non ? Comprendre quel mensonge Alfie est venu inventé ici ? « Alfie a été très amoché. Il est presque mort ce jour. » Laissé pour mort, c'est les mots qu'il a utilisés quelques minutes plus tôt. Pour cette partie, c'est l'entière vérité. Il a eu énormément de chance de ne pas mourir vider de son sang. Mais cet événement a laissé des cicatrices à ton ancien copain. « Ça n'a plus jamais été pareil après ça. » Il s'est passé quelque chose dans le cerveau amoché d'Alfie, quelque chose que tu ne comprendras jamais, quelque chose que tu n'as pas été capable de sauver, quelque chose dont il ne veut pas que personne ne sauve. Il ne veut pas être sauvé Alfie. Il faudra que tu finisses par l'accepter un jour. On ne peut pas sauver quelqu'un qui ne le désir. « Il n'avait plus aucun souvenir de l'agression et là, par hasard, il se souviendrait que c'est son ami qui l'a agressé ? Ça ne fait aucun sens. » Ce n'est qu'un mensonge de plus. Il se sert des souvenirs et de tes émotions pour faire de toi un pantin. Si Greta aurait vu la manière dont tu as recueillis Joseph chez toi, elle non plus ne croirait pas un seul mot des accusations que Alfie porte contre cet (ancien) meilleur ami.

La voir rejeter chacune de ses paroles pouvant contenir la moindre infime nuance positive concernant Alfie ne l’étonnait absolument pas. Greta se mettait facilement à sa place, rejetant elle-même en bloc chaque argument qui aurait pu venir minimiser le comportement qu’avait eu Arthur à la fin de leur relation. Ou même au début, plutôt au début, car c’était à ce moment-là que certains signaux d’alerte avaient été émis par ceux qui le connaissaient. Elle n’avait rien écouté et elle en était arrivée à une période extrêmement difficile. Alors, peut-être que finalement, rien ne pourrait venir redorer le blason d’Alfie à ses yeux mais Greta voulait au moins se donner la chance d’avoir une discussion à ce sujet pour que Juliet ne reste pas complètement fermée aux avis extérieurs qui s’avéraient parfois précieux. Il fallait que l’écrivaine fasse preuve d’un peu plus de discernement et qu’elle essaie de voir Alfie avec les yeux d’une Juliet à qui il avait visiblement brisé le cœur. Avoir partagé une histoire avec quelqu’un, qu’elle ait été sincère des deux côtés ou non réciproque, qu’elle ait été brève ou très longue, signifiait quelque chose. Juliet le connaissait mieux que quiconque, et elle seule savait réellement les nuances de sa personne. Alors Greta avait jugé indispensable de demander un peu plus de détails quant aux mensonges dont elle accusait Alfie, ne sachant pour l’instant qu’une chose, qu’ils avaient été en couple. « Il y a quelqu'un qui s'est introduit chez nous il y a trois ans environ. » Et soudain, les événements énoncés par Juliet devenaient bien plus complexes encore qu’une simple histoire de cœur. Il semblait pourtant évident que la conversation ne pouvait pas se corser encore plus qu’après avoir réalisé qui était réellement l’ex petit-ami de Juliet, mais, en quelques mots, d’autres frissons étaient venus parcourir l’auteure. « Alfie a été très amoché. Il est presque mort ce jour. » Greta se sentait déstabilisée, accueillant bien malgré elle l’annonce d’un Alfie qu’on avait laissé pour mort. « Ça n'a plus jamais été pareil après ça. » Ils vivaient ensemble. Leur relation était sérieuse. Ils devaient être heureux, mais comment un couple pouvait-il survivre à un tel drame ? Un cambriolage devait déjà être extrêmement difficile à gérer sans agression physique, mais ce que lui racontait Juliet ne se passait normalement que dans les séries télé. L’empathie de Greta était mise à rude épreuve. « Je suis désolée, Juliet. J’en avais pas la moindre idée… » Leur amitié n’était probablement à l’époque qu’à ses balbutiements, Greta avait du mal à réellement remettre les dates dans l’ordre, et ce n’était pas le genre de chose que l’on confiait à n’importe qui. « Il n'avait plus aucun souvenir de l'agression et là, par hasard, il se souviendrait que c'est son ami qui l'a agressé ? Ça ne fait aucun sens. » Greta l’avait vu, seulement quelques temps avant ce drame. Un Alfie brisé, mais un homme respectable qui semblait reconnaître ses torts. Difficile pour la blonde de se voir dresser un tout autre portrait, alors, sans qu’elle ne réalise, ses mots étaient sortis tout seuls. « Alfie n’est pas du genre à mentir ou à mettre de l’huile sur le feu, selon moi… » Le rouge lui était monté aux joues, la volte-face de Juliet la rappelant à l’ordre. « Enfin, de ce que tu as pu me dire sur lui. Et s’il n’a vraiment pas été épargné, le trauma a pu laisser des traces, ça ne me paraît pas impossible qu’il se rappelle de tout ça seulement maintenant … » Trop tard. Les yeux de Juliet étaient fixés sur elle et elle avait probablement compris. Il avait été impossible pour l’écrivaine de rester de marbre face à ce qu’elle venait d’apprendre et ce malgré le peu d’importance que devait lui accorder Alfie. Lui, en avait beaucoup pour elle, sans qu’elle ne s’explique vraiment pourquoi. Une chose était sûre, la jeune femme venait probablement de perdre toute crédibilité face à Juliet.

Le récit des événements de l'agression de Alfie semble surprendre Greta. En même temps, comment aurait-elle pu connaître toutes les embûches que vous aviez traverser ? Ils sont nombreux. Comme n'importe quel couple sans doute. Mais l'agression de Alfie est tout de même la plus difficile d'entre toutes. Si elle a eu d'abord comme effet de calmer les tensions du couple, ce n'était que pour mieux s'écraser des mois plus tard. « Je suis désolée, Juliet. J’en avais pas la moindre idée… » C'est un évènement qui est ignorée par toutes les personnes qui font partie de sa vie maintenant, mais qui n'était pas présente lors de l'incident. Ce n'est pas le genre de souvenir dont on a envie de parler pour ne pas l'oublier. Non, c'est celui qu'on évoque lorsque quelqu'un nous demande pourquoi on vérifie quatre fois que la porte est bien verrouillée avant d'éteindre les lumières. Autrement dit, ça n'arrive pas très souvent. « Le soit pas. » que tu lui réponds en haussant légèrement les épaules. Elle n'a pas à être désolée. Ce n'est pas sa faute. Elle ne pouvait pas savoir. Elle ne pouvait même pas s'en douter. La voilà maintenant propriétaire des informations nécessaires pour comprendre la discussion qui a suivi avec Alfie, pour comprendre pourquoi tu ne crois pas un seul mot des accusations qu'à fait Alfie à l'égard de son (ancien) ami. C'est une jalousie mal placée qui a parlé et non l'envie de dire la vérité. C'est ce que tu crois. Tu ne vois pas d'autres explications. « Alfie n’est pas du genre à mentir ou à mettre de l’huile sur le feu, selon moi… » La tournure de sa phrase te fait froncer des sourcils alors que tu relèves le regard elle. Qu'est-ce qu'elle veut dire ? Pourquoi le dit-elle comme si elle le connaissait depuis toujours ? Ce ne serait pas difficile d'inventer quelque chose, n'importe quoi pour expliquer ce qu'elle a voulu dire. Tu as toujours été de nature bien naïve qui voit le bon partout. Ce ne serait pas compliqué pour Greta de te faire comprendre que tu as mal compris le sens de sa phrase, mais lorsque le rouge lui monte au joue… tu sais que tu as très bien compris ce qu'elle vient de dire. Et à voir sa réaction, ce n'était pas une information qu'elle voulait partager avec toi. « Enfin, de ce que tu as pu me dire sur lui. Et s’il n’a vraiment pas été épargné, le trauma a pu laisser des traces, ça ne me paraît pas impossible qu’il se rappelle de tout ça seulement maintenant … » Elle tente de rattraper le coup, mais c'est trop tard. Qu'elle veuille cacher l'information te rend plus anxieuse qu'autre chose. « Tu connais Alfie ? » que tu demandes alors que la tristesse se lise au fond de tes prunelles. Elle a couché avec lui ? C'est évidemment la première chose à laquelle tu penses au vu de sa réaction. « Tu as… quelque chose à me dire ? » Toi, tu peux dire que tu as déjà repéré la poubelle dans laquelle tu vas possiblement gerber tellement tu as l'estomac à l'envers. Comme si la journée n'était pas déjà assez compliquée comme ça. Tu ne peux pas retomber dans les montagnes russes émotionnelles une deuxième fois en si peu de temps. « C'est le moment Greta. » Même si ça te brise le coeur. Ça te le brisera deux fois plus d'apprendre plus tard qu'elle t'a menti.

« Le soit pas. » avait-elle dit, naturellement, parce que le temps avait passé et que la jeune femme avait en quelques sortes fait le deuil de ce qu’il s’était passé. Greta, elle, avait bien plus de mal à comprendre que le couple ait été détruit probablement à cause de quelque chose sur lequel ils n’avaient aucun contrôle. Malgré son attirance pour Alfie et sa frustration de savoir qu’une de ses amies avait réussi à le conquérir, Greta était peinée parce que le savoir malheureux ne pouvait avoir que cet effet. Les événements qui lui étaient racontés étaient difficiles à entendre, parce qu’ils impliquaient son amie Juliet mais aussi Alfie, dont elle ne saurait décrire la place qu’il occupait dans sa vie. C’était probablement le fait d’apprendre qu’Alfie avait frôlé la mort qui lui avait fait perdre pied et commencé à ne plus suivre le fil de la conversation et à ne plus réussir à masquer la vérité. Tout cela partait pourtant d’une bonne intention parce que l’écrivaine voulait défendre Alfie qui, elle en était persuadée, était venue avec les meilleurs intentions. Sinon, il ne serait probablement pas venu du tout. Tu connais Alfie ? » Greta aurait pu tenter de se rattraper et c’est finalement ce qu’elle avait essayé de faire, en échouant lamentablement. Si elle n’avait pas paniqué et si ses joues ne l’avaient pas trahie alors peut-être qu’elle aurait encore eu une chance de ne pas donner l’impression à Juliet qu’elle était en train de complètement se moquer d’elle. Ce n’était bien sûr pas le cas, l’écrivaine n’ayant jamais imaginé que le monde puisse être aussi petit que ce que ce hasard était en train de lui faire prendre confiance. « Tu as… quelque chose à me dire ? » Greta pouvait donner une version édulcorée de la vérité, en taisant la partie d’un Alfie qui lui avait avoué un peu trop de choses alors qu’il était au plus mal, et d’un moment de faiblesse où ils auraient pu franchir une limite qui l’aurait mise dans un embarras encore plus intense à ce moment présent. Une version qui ne contenait pas la partie où elle se liquéfiait chaque fois qu’elle le voyait. « C'est le moment Greta. »  Elle avait soupiré et baissé la tête avant de poser un regard contrarié sur Juliet. « Oui, enfin… j’étais pas sûre, quand t’as dit Alfie. Il y’en a plein des Alfie… » Non. Très peu, sûrement. Elle avait plusieurs amis qui s’appelaient de la même façon, mais elle ne connaissait qu’un seul Alfie. Elle aurait pu mentir et lui dire qu’elle le connaissait sous son vrai prénom mais cela ne serait venu qu’attiser la colère de Juliet - personne n’appelait Alfie Alfred. « C’est une connaissance, c’est surtout un ami de mon frère, tu sais. Je voulais pas t’interrompre… » Ses mots sortaient difficilement de sa bouche parce qu’elle se sentait piégée. Les apparences étaient contre elle et malgré sa bonne volonté, son amie semblait furieuse. « J’voulais juste aider, Juliet… » Mais Greta semblait tout détruire, ces jours-ci.

« Oui, enfin… j’étais pas sûre, quand t’as dit Alfie. Il y’en a plein des Alfie… » Des Alfie vivant à Brisbane ? Vraiment ? Ce n'est pas le prénom le plus commun qui soit. Ce n'est pas le prénom qu'on se dit que la coïncidence est impossible pour que ce soit le même. Il n'y avait pas quatre Alfie dans ta classe ni dans celle de personne d'autre. « Je n'en connais aucun autre. » Ce n'est pas parce que tu n'en connais aucun autre qu'il n'en existe aucun autre. Sûrement qu'il en a un autre quelque part dans le monde. Peut-être même qu'il en existe un autre vivant dans la même ville. La moindre des choses aurait été qu'elle le demande plutôt que de faire comme si ce prénom lui était totalement inconnu. Plus Greta semble mal à l'aise face à cette découverte, plus l'angoisse te dévore les tripes. Il s'est passé quoi entre eux pour qu'elle réagisse ainsi ? Qu'est-ce qui la pousse à vouloir mentir plutôt que d'aller vers la voie de l'honnêteté ? A-t-elle eu une liaison avec lui et, après ta confession, elle vient d'apprendre qu'il n'était pas célibataire ? Elle devrait simplement dire la vérité Greta. Ce serait mieux que tous les scénarios horribles qui te passent par la tête. Déjà que la visite surprise de Alfie t'a secoué, c'est impossible d'arriver à vraiment comprendre ce qui est en train de se passer sous tes yeux. Tu devrais peut-être questionner directement Alfie. Il n'a pas l'habitude de mentir lorsqu'il est confronté directement à ses mensonges, ou ses secrets plutôt. « C’est une connaissance, c’est surtout un ami de mon frère, tu sais. Je voulais pas t’interrompre… » Une connaissance ? Pourquoi est-ce qu'elle se met dans un tel état pour une simple connaissance ? Et qui est son frère ? Tu tournes en boucle dans ta tête les amis d'Alfie pour pouvoir associer un prénom ou un nom de famille plutôt à ce qu'elle est en train de te faire croire. « Il n'en a jamais parlé. » C'est plus facile de prétendre qu'elle ment plutôt que d'avouer que ce ne serait pas le premier fantôme du passé que Alfie a choisi de ne pas partager avec toi. Ce ne serait pas la première fois qu'il omet de te parler de quelqu'un. Ce ne serait pas non plus la première fois que tu apprendrais plus tard qu'il a déjà eu une liaison avec un ami à toi. Ça aussi, c'est une information bien trop humiliante pour que tu puisses lui en faire part. « J’voulais juste aider, Juliet… » Voilà qui n'est pas réussi alors que tu te sens encore plus mal qu'avant qu'elle n'arrive comme une fleur. Ton regard se détourne du sien alors que du revers de ta main, tu viens essuyer tes yeux humides. « J'ai beaucoup de boulot. J'voudrais pas prendre trop de retard. » Une manière comme une autre de lui demander de s'en aller. Tu as besoin de digérer toute seule ces nouvelles informations, de les retourner cent fois dans ta tête jusqu'à y comprendre vraiment quelque chose - ou jusqu'à tout comprendre de travers. Ça ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie pour le moment. Rien de bon ne pourrait ressortir de tout ceci. Il vaut mieux qu'elle s'en aille pour le moment. Dans quelques jours, quand la poussière sera retombée et qu'elle aura envie de donner de vraies explications, peut-être que tu l'écouteras.