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"Je dois filer." Et ce n’était pas les gémissements plaintifs de maman Khadji qui y changeraient quoi que ce soit. Quand bien même elle avait appris à accepter que sa cadette avait une vie, elle continuait tout de même à croire qu’en la gavant comme une oie, à toute heure de la journée, elle finirait un jour où l’autre par la faire revenir une énième fois au bercail. C’était peine perdue, elle ne pouvait pas l’ignorer, surtout pas après que son époux fût rameuté comme conseiller de choix par sa fille pour jeter un œil expert au bien immobilier sur lequel ils avaient misés, Edgerton et elle. Elle faisait sa vie, c’était tout ce qu’elle avait toujours voulu, de fait elle ne pouvait que l’encourager, et c’est pour ça qu’elle ne la laissa pas partir sans lui mettre une boîte hermétique entre les mains, laquelle renfermait des trésors de pâtisseries orientales que Yasmine avaient enfournées toute sa vie, sans jamais douter une seule seconde que Fatima Khadji ne soit pas la meilleure cuisinière du monde — de l’univers, quand il fallait polir davantage son ego et la faire sourire.
Un baiser sur son front plus tard, un autre lancé de la main vers son père qui s’amusait au loin de la situation, et elle quitta le cocon de son enfance avec la ferme attention de se rendre à son rendez-vous — rendez-vous, c’était apposer quelque chose de positif à ses petites séances de boxe, qui n’en étaient pas vraiment d’ailleurs, avec Jackson. Et effectivement, c’était une bonne chose, ce n’était pas si terrible que ça. C’était même le contraire, aussi étrange que ça pouvait paraître sur le papier, être confrontée à la rudesse du jeune homme, c’était aussi entrer en terrain neutre, un terrain dont elle n’avait jamais réalisé avoir besoin jusqu’alors.

Yasmine ne se souvenait plus exactement comment le tout avait été décidé, et puis le temps passant, l’absence de Jackson lui étant revenue aux oreilles par le biais des membres de Run For Judy, elle avait été la première à lui dire qu’elle ne lâchait pas l’affaire, qu’elle l’attendait au tournant dès son retour ; à croire que côtoyer Edge lui donnait des ailes quand il s’agissait de se placer en challenger, quand elle savait au fond qu’elle n’avait aucune chance. Au moins, elle ne se carapatait pas, c’était déjà ça.
Lorsqu’elle déboucha sur le parking du dojo, elle gara sa Jeep à côté de celle de Jackson, s’amusant de la différence de standing de leurs deux véhicules, l’un paraissant nettement plus neuf que l’autre, et s’avança vers l’entrée, sa boîte pleine de pâtisseries sous le bras, son autre main occupée à rédiger un texto à destination d’Edgerton à qui elle rappela qu’elle rentrerait plus tard que d’habitude. Son sac battant la mesure de son pas sur sa cuisse, elle prit conscience du silence des lieux comme chaque fois qu’elle y entrait, jetant des regards de droite et de gauche pour ne pas manquer à son éducation et saluer quiconque était présent. Il n’y avait que Jackson, déjà occupé à soulager le trop-plein d’énergie qu'il semblait toujours avoir. Ça aussi, ça l’amusa assez pour qu’elle le laisse continuer un instant de sauter à la corde, jusqu’à ce qu'il se figure de sa présence, et qu’elle s’approche de lui pour accueillir son accolade avec la chaleur de chez elle.
"Pas aussi bien que toi, à ce que je vois." Elle n’avait pas été la meilleure au marathon, elle avait été utile ailleurs. Par modestie, elle tairait la vie qu’ils avaient sauvée avec Isaac même si l’histoire avait fini par faire le tour des célébrations et que ses anciens supérieurs s’étaient hâtés de venir lui mettre sous le nez l’idée qu’elle manquait au service, qu’il fallait qu’elle revienne. Elle y pensait. Mais elle ne faisait que ça pour le moment, repoussant le plus fort possible la certitude qu’elle avait dans le fond de mériter plus que le bureau qu’elle investissait plusieurs fois par semaine à l’Hibiscus, ce qui n’était pas tellement compatible avec les projets personnels qu’ils avaient avec Edge, elle en était consciente "Comment s’est passé ton voyage, c’était pour le boulot ?" Se reculant pour répondre à sa bienveillance par un sourire, elle posa son sac au sol, se rappelant qu’elle tenait la boîte de pâtisseries offerte par sa mère dans la main, et qui était probablement de trop si on considérait l’endroit dans lequel ils étaient. Elle expliqua rapidement , désignant le tout avec son autre main "Ma mère. Elle a tendance à penser que je suis maigrichonne et que j’ai besoin de me remplumer." Ce qui n’était pas faux sur le fond, mais sur la forme, Yasmine n’avait jamais eu besoin qu’on lui répète de se nourrir. Secouant la boîte, elle dit au jeune homme "Farine, miel, fruits secs… si on oublie l’huile et le beurre, c’est presque un encas de sportif." Presque.

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Elle n’avait pas assez côtoyé Jackson pour prétendre le connaître, pourtant Yasmine savait que ce n’était pas utile de faire dans l’expansion de dialogue pour glaner des informations à son sujet. Elle ne dirait pas qu’il était secret, plutôt qu’il était économe dans sa façon d’envisager son rapport aux autres, et sans doute qu’il y trouvait son compte, elle n’avait pas d’avis sur le sujet, pas vraiment là pour juger ou pour apporter son opinion sur la manière qu’il avait de gérer sa sociabilité, encore moins sa façon d’interagir avec son prochain. Néanmoins, elle eut un sourire en l’entendant souligner le trait de caractère qu’avaient leur mère. Elle ne lui demanda pas comment était la sienne, anticipant la rebuffade avec clairvoyance, et lui tendit simplement la boîte de pâtisseries qu’il convoitait déjà, et dont elle fit l’inventaire tout haut, comptant sur ses doigts, les yeux rivés au plafond du dojo.
"Briwate, sfenj, bechkito, et mes préférés personnellement, baklava… tu peux les garder, j’en aurais sûrement des tous frais demain." Elle n’exagérait pas quand elle parlait de sa mère et de ses dessins de gaveuse professionnelle, et si elle s’agita pour rassembler ses longs cheveux dans une tresse que ses doigts tricotèrent à la vitesse de l’habitude, elle eut un sourire, confrontée à la blague de Jackson "Si j’avais su que c’était la cuisine ton point faible, je t’aurais fait part de mes talents en la matière. Tu sais que je fais un tajine de kefta qui te ferais oublier comment tu t’appelles ?" Sa tresse faite, elle la fit pendre entre ses omoplates d’une pichenette, se départissant de son sweat trop large pour être plus à l’aise, et qu’elle posa avec son sac. Il ne le savait pas, c’était chose réparée.

Elle trouva quelle parlait un peu comme sa mère sur le moment, aussi ça ne la perturba pas plus que ça, se rendant compte que Jackson avait déjà des idées en tête, et que ce n’était pas l’invitation de quelques pâtisseries qui viendraient y changer quoi que ce soit. Yasmine n’avait pas espéré le soudoyer avec les trésors culinaires de Fatima, mais elle devait admettre qu’elle redoutait toujours l’aspect un peu physique de ce qui s’était mis en place entre eux, la rendant légèrement fébrile face au colosse qu’était Mills.
Rien qu’elle n’avait pas l’habitude de confronter au demeurant, elle avait le même à la maison. Ses eux se posèrent sur ce qui lui montra "Je connais, mais j’y ai jamais joué." Au touch rugby. Elle laissait ça à Hassan, Rhett et Qasim qui avaient fait leur preuve au rugby classique sans qu’elle ne se sente obligée de suivre leurs pas, étant juste une supportrice fidèle qui savaient les rebooster quand il le fallait "On sera assez de deux ?" lui demanda-t-elle, l’imitant en se parant de la ceinture qu’il lui tendit, et prit une légère inspiration quand il lui parut évident qu’elle  ne pourrait pas échapper à l’exercice — l’imminence de la partie, ce fût assez pour la convaincre que, essayer de détourner l’attention, c’était la meilleure méthode à adopter pour éviter de passer tout de suite à la casserole. Alors finalement, elle demanda à Jackson "Alors, elle est comment, ta mère ?" C’était ça, sa manière à elle d’esquiver, et peut-être que Mills le lui reprocherait parce qu’à son contraire, elle n’était pas difficile à lire Yasmine.

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"Elle vit en ville ?" Ça fusait avec Jackson, c’était rapide. Yasmine avait compris qu’il n’était pas du genre à se reposer sur ses lauriers, et ça bousculait la calme relative qu’elle était. Elle était timide, mais elle était énergique, ayant toujours eu le besoin de se dépenser parce qu’elle avait comme tout le monde des choses à cacher, qu’elle avait passé une partie de sa vie à intérioriser trop de choses pour qu’elle se sente à l’aise à l’idée de rester inactive, molle ; elle avait fait du volley-ball à un bon niveau au lycée, elle était douée pour ça… mais ça rentrait en collision avec sa nature profonde, cette réserve qui faisait sa réputation, elle qui s’excusait sans cesse d’être qui elle était, qui ne savait pas faire autrement qu’être bienveillante.
Jackson n’était pas bienveillant avec elle. Il était rustre et pas très enclin à équilibrer les forces dans ce duo inattendu qu’ils formaient ; quand elle lui demandait de s’épancher un peu sur lui, sur sa vie, il lui demandait le quadruple de ce qu’il lui donnait en la bousculant comme il le fit maintenant, imposant son physique au sien, et finalement, ce n’était pas juste. Elle n’eut pas le temps de méditer sur ce fait que déjà, il l’avait contrainte à réagir sans savoir vraiment quoi faire. Alors, se retrouvant les bras ballants et la bouche ouverte par la frustration, à le regarder détaler comme un lapin, elle se permit de lui rappeler, sa voix grave et rauque d’habitude montant vers les aiguës comme elle se sentit frustrée qu’il la prenne toujours au dépourvu "Hey, faudrait peut-être que tu m’apprennes les règles avant d’attendre de moi que je te cours après, Mills !" Peut-être qu’il avait l’habitude qu’on lui court après sans avoir besoin de faire beaucoup d’effort de parlotte, mais Yasmine était différente : on ne l’avait pas de cette façon et elle tenait bien à ce qu’il en prenne conscience.

Elle le regarda en secouant la tête, laissant un léger rire lui échapper quand il revint vers elle, et que croisant les bras après caressé sa longue tresse avec ses doigts pour finalement la replacer entre ses omoplates, elle lui dit "Tu sais que les efforts sont pas équilibrés dans ce truc qu'on fait quand on est ici ? Je sue plus que tu ne parles, et c’est pas vraiment comme ça que je voyais les choses." Il serait surpris de la trouver, relativement s’entend, caractérielle sur ce coup-ci, mais il était clair qu’ils partaient tous les deux d’un palier différent, et que ce n’était pas fair-play de la part de Jackson de s’attendre à ce qu’elle accepte ce manque d’équité dans leurs échanges ; elle en avait souffert toute sa vie, petite chose fragile qu’on souhaite protéger, vue comme plus faible qu’il n’y paraissait… elle ne se tairait pas pour qu’il garde l’ascendant sur elle. Relevant le menton, elle le regarda par-dessous la barrière de ses longs cils bruns, reprenant là où elle avait laissé son interrogation, et lui chipant des mains le drapeau qu’il lui avait subtilisé en se croyant plus malin qu’elle "Ta mère, elle est vit en ville ?" qu’elle lui demanda de nouveau, remettant son drapeau en place, ses yeux s’opposant aux siens tandis qu’elle prenait la position qu’elle l’avait vu prendre quelques instants plus tôt, à peine, attendant qu’il lui réponde sur ce point, mais aussi qu’il lui explique exactement ce qu’il attendait d’elle ce soir.

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Yasmine avait de l’instinct, et elle n’était pas idiote ; Mills était aussi égoïste qu’elle était généreuse, et s’il pensait pouvoir la lui faire à l’envers en battant des cils et en l’effrayant avec sa grosse voix et ses gros muscles, il se fourrait le doigt dans l’oeil. A ce sujet, c’était d’ailleurs parce qu’elle avait relativement compris comment il fonctionnait qu’elle ne craignait plus tellement ses invectives, autrement elle restait toujours un peu sur ses gardes parce qu’il restait un homme robuste, qui semblait assez colérique pour la faire éclater en sanglots s’il s’en donnait les moyens ; il l’avait déjà fait une fois, elle était persuadée qu’il pouvait le refaire une deuxième, et même une troisième… est-ce que ça la vaccinerait de venir ici ? Absolument pas. Yasmine était une masochiste de premier ordre, qui avait besoin qu’on la bouscule, tout en se plaignant qu’on le fasse beaucoup trop fort.
Elle le regarda s’agacer, puis consentir à répondre à sa requête qu’elle accueillit d’un mouvement de tête pour enchaîner "Tu t’entends bien avec eux, vous êtes proches ?" Dans le fond, ça ne lui apporterait pas grand-chose de connaître ce genre de choses sur Jackson, seulement ça lui donnait la sensation de contrôler quelque chose, et c’était réconfortant quand on se retrouvait face à quelqu’un comme lui. Elle en savait quelque chose, elle avait Edge comme référence, et si aujourd’hui il n’était pas du genre à ménager ses pensées en les partageant avec elle sans qu’elle ne se sente obligée de le lui demander, il y avait eu une époque où lui tirer les vers du nez s’était révélé on ne peut plus compliqué. C’était bien pour cette raison que ça n’avait pas fonctionné, entre tout autre chose dont elle n’avait pas envie de parler.

Avec les règles en tête, qu’elle écouta avec la patience d’une élève conscience et docile, Yasmine se mit en position, ses yeux marquant une stratégie rapide qu’elle abandonna le temps d’un instant quand Jackson mit en jeu une carotte dans laquelle elle ne saurait pas croquer ; et elle sut en affrontant son regard qu’elle était assez prévisible dans le fond pour qu’il réussisse à l’amadouer en l’espace de quelques minutes seulement, pas si difficile à cerner, et assez curieuse pour vouloir savoir de quel genre de secret il s’agissait pour se donner à fond, et remporter la récompense qu’il lui promettait.
Graduellement, les yeux plissés, elle pencha la tête sur le côté, lui disant dans une expression sérieuse, mais plutôt adorable si on considérait l’idée qu’elle était aussi incapable de lui faire mordre la poussière que de faire du mal à une mouche "Tu fais le malin en me promettant un secret, mais tu le feras moins quand tu te rendras compte que, quand il y a un truc à gagner, je sais être archi compétitive." Dans la limite de ce qu’elle était capable de faire en tout cas, trop soucieuse des autres pour ne pas la jouer à la loyale. Pourtant, stimulée  par ce qu’il lui promettait, elle frappa dans ses deux mains en faisant passer son poids d’un pied à l’autre, les reins cambrés en arrière et la tête en avant quand elle se lança d’une poussée vers Jackson pour attraper un de ses drapeaux du premier coup et lui faire remarquer dans une pause qui lui permit de se retrancher dans un coin du ring où elle fit tomber le drapeau de Jackson au sol "J’ai l’impression que tu me sous-estimes. C'est pas grave, t’es pas le premier." En effet, elle en avait l’habitude, et outre le secret qu’il lui promettait de partager avec elle, ça représentait un bel objectif de lui prouver que, comme tous les autres, il avait effectivement tort de la sous-estimer, Mills.

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Yasmine s’exempta de faire remarquer à Jackson qu’elle ne le croyait pas si manichéen. Dans un monde parfait, aimer ses parents, ça suffirait largement pour prétendre bien s’entendre avec eux. Mais dans celui de Yasmine, il y avait plusieurs variantes à prendre en considération, sans pour autant la faire douter sur le fait établi qu’elle aimait ses parents à en mourir. Restait qu’il y avait eu des moments où elle s’était posée des questions, où elle avait remis en cause leur façon de voir les choses, redoutant que leur éducation eut laissée des traces sur elle et sur sa psyché. Elle se savait beaucoup trop docile, beaucoup trop soucieuse de faire plaisir surtout, pour être capable d’adhérer à leur idéaux sans trop se poser de questions. Avec le temps, elle s’était révélée assez ouverte pour ne pas tomber dans le piège néanmoins, s’attribuant les mérites de son ouverture d’esprit en ne se laissant pas atteindre par l’archaïsme de leurs valeurs. C’était une bonne chose, de se confronter à ceux qu’on aime, aussi elle avouait être surprise par la réponse de Jackson qu’elle ne releva pas cependant, l’accueillant dans un signe de tête poli. Manifestement, il y avait quelque chose à creuser ; elle ne le ferait pas, pas certaine d’en avoir le droit ni d’en avoir l’envie.

Plutôt fière d’avoir pris Jackson à son propre jeu, elle le regarda s’agiter en retour, lui trouvant un caractère bien vantard quand il se lança dans une manoeuvre compliquée pour quoi, lui prouver qu’il était capable de lui rendre la pareille ? Sûrement, ça ne lui fit pas moins lâcher un léger rire quand il parvint à son but sans qu’elle ne soit impressionnée par son endurance néanmoins, du genre à prendre ce genre de démonstration comme le signe évident d’un besoin viscérale de garder son ego intact. Grand bien lui faisait, elle le laissa égaliser sans s’en offusquer davantage, se calant sur la sonnerie qui résonna dans le dojo. Allant s’asseoir en opposition à Jackson, sur un tabouret similaire, elle écarta légèrement les jambes pour poser ses deux mains à plat sur le rond de bois qu’elle venait d’investir, et elle répondit à sa question.
"Depuis quelques semaines déjà. On a encore deux trois petites choses à régler avant de s’installer pour de bon." Amjad était venu visiter la maison, Tamara avait donné ses conseils de comptable chevronnée, et les cartons s’entassaient un peu partout dans leur résidence actuelle ; ce n’était plus qu’une question de temps, tout s’était enchaîné assez rapidement finalement. Les yeux posés sur Jackson, elle eut un sourire oscillant entre soupçon et malice quand elle en vint à mentionner le marché qu’il avait lui-même mis en place quelques instants plus tôt "C’est trop tôt pour te demander ce que c’est, le secret que tu m’as vendu comme une récompense ?" Subitement, elle leva ses deux mains devant elle, de chaque côté de son visage qu’elle releva, menton en direction du jeune homme. Il avait parlé du round trois, mais qui ne tentait rien "J’ai compris. Je pousse trop loin mon avantage."

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Elle croyait avoir compris le fonctionnement de Jackson, alors elle ne s’offusqua pas de le sentir un peu ailleurs quand elle s’adressa à lui, acceptant sa sentence sans faire de tergiversations, et repartant pour un tour sans sa soucier sur le coup de son absence momentanément. La lutte était plus facile à envisager parce qu’elle l’avait déjà fait, et son deuxième drapeau, elle le gagna à la loyale, ne boudant pas ses efforts pour contrer les tactiques d’habitué de Jackson — qui perdait en agilité, ou est-ce qu’elle se faisait des idées ? Dans un claquement de paume à paume, leurs mains se rencontrèrent et elle accepta sa victoire sans vantardise, se replaçant ensuite à l’endroit qu’ils avaient quitté quelques instants plus tôt, et imitant son adversaire en reprenant une gorgée d’eau qu’elle n’avala pas sur l’instant, entendant de nouveau la voix de Mills résonner dans le dojo.

L’aveu sortit de nulle part, et la tête de Yasmine se pencha quand elle posa son regard sur lui, tachant de démêler la pelote d'informations qu’il venait de lui lancer sans doute pas à l’aveuglette, puisque c’était leur deal après tout, mais sans s’avancer de trop dans les explications qui auraient pu lui faire comprendre pourquoi ça avait autant d’importance pour lui sur l’instant de lui dire ça — le reste, il vint naturellement, et Yasmine comprit quoi faire des paroles du jeune homme quand, sincère, elle lui dit "Je suis désolée. Je sais que c’est pas simple." Et elle ne disait pas ça pour faire dans la complaisance de bas-étage, elle y croyait, les yeux rencontrant ceux de Jackson pour le lui faire réaliser sans avoir besoin de le lui dire. Elle comprenait, vraiment ; même si elle n’avait pas perdu de sœur, elle avait perdu un bébé, elle aussi, ça la plaçait presque dans la position de celle la plus à même de comprendre.
Ce qu’elle partageait avec Jackson sur le moment, c’était un point commun qu’elle aurait aimé ne pas avoir à traiter, et elle ne le fit pas à dire vrai, se contentant de reprendre une gorgée de sa bouteille pour ensuite demander au jeune homme, levant la tête dans sa direction pour mieux accrocher son regard de nouveau et se figurer un instant à quel point ça avait dû être douloureux pour tous les membres de sa famille ; peu importaient les circonstances, ça restait une tragédie dont elle connaissait les aboutissants pour ne pas sincèrement se désoler pour lui et pour sa famille "T’avais quel âge à l’époque ?" Encore une fois, peu importait en réalité, ce genre de choses ça frappait fort à n’importe quel stade d’une vie, et elle n’osait pas imaginer ce que ça avait eu comme impact sur la mère de Jackson à l’époque — ça avait eu un impact désastreux sur elle, après tout.

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"Les tiennes ou celles de ta mère ?" De crises d’angoisse. L’un n’était pas moins plausible que l’autre, c’est ce que Yasmine se dit en osant poser la question à Jackson qu’elle se mit à imaginer à 14 ans tout en se demandant comment elle, elle aurait géré quelque chose de ce genre à cet âge. Probablement pas mieux qu’il y avait un peu plus d’un an que ça, quand elle avait saisi ce qui était en train de lui arriver et ce que ça voulait dire. Mais ça la concernait elle, c’était différent à envisager, pensait-elle. Si elle avait été confronté à la douleur de sa mère dans sa jeunesse, sans doute que ça aurait davantage creusé son anxiété, elle qui était une éponge à émotions, qui se retrouvait gorgée de tout ce qui l’entourait pour en faire une affaire personnelle au point d’en voir fait son métier.
Elle retint un léger soupir, finissant par baisser la tête pour ajouter à sa question, ses sourcils se haussant comme elle se mit à faire rouler les chaînes délicates du bracelet qu’elle portait au poignet pour se concentrer sur autre chose que ses propres pensées "Mais ça aussi, je sais que c’est pas évident." L'impression de s’étouffer avec son propre air, ce n’était pas la sensation la plus facile à contrôler. Jackson ferait ses propres conclusions grâce à son choix de syntaxe, elle en était persuadée.

D’ailleurs, elle sentit son regard s’arrêter longtemps sur elle, au jeune homme. Ça ne l’incita pas à relever la tête pour le moment, préférant donner le change en laissant le silence s’installer le temps de quelques secondes nécessaires pour l’aider à faire le point sur ses propres réflexions. Elle ne le fit qu’une fois qu’elle entendit ses pas feutrés faire résonner un bruit étrange dans le dojo et sa réception sur le sol lui indiquer qu’il avait quitté son spot de récupération. Sur son bout de tabouret, Yasmine finit par se laisser toupiller pour lui faire face et eut un sourire quand il s’empara de la boîte de pâtisseries orientales avec laquelle elle s’était amenée "C’est fait pour. Ma mère te dirait que le sucre, c’est le meilleur remède à tout." Elle fronça le nez, amusée par ce que ça impliquait vraiment, de suivre les conseils de docteur Fatima Khadji "Je les tiens pas d’elle mes talents de soigneuse. Mais tu feras comme si t’étais pas au courant si tu la rencontres un jour." Sa mère avait ses remèdes à elle, c’était un fait "J’ai un frère plus âgé." Elle savait, que son visage s’illumina à sa mention "Sohan. C’est quelqu’un de bien, il est analyste informatique dans la police de la ville." C’était dans ce genre de circonstances, quand elle accolait la profession de son frère au fait qu’il était quelqu’un de bien, qu’elle savait à quel point la manière dont elle avait été éduquée avait laissé des traces sur elle. Ses parents avaient prospecté longtemps pour que leurs enfants deviennent des gens respectables histoire qu’on ne leur reproche pas leurs origines et encore moins leur religion ; ils avaient mal encaissé le coming out de leur fils parce que ça dérogeait à la ligne de conduite qu’ils avaient en tête pour eux deux, au chemin qu’ils voulaient tracer pour qu’ils rentrent dans le rang et qu’on ne les fustige pas d’être qui ils étaient : un travail, un mariage, des enfants… à partir de là, qu’aurait-on pu leur reprocher, quand ils se seraient parfaitement confondus avec le reste de la société ? C’était archaïque, mais c’était aussi compréhensible quand eux de leur côté avait souffert de la stigmatisation et des quolibets, et ça avait toujours été un dilemme pour Yasmine de prendre partie dans la brouille qui avait séparé son frère de ses parents durant un temps infini : elle comprenait les deux partis et elle les aimait autant l’un que l’autre — alors elle avait troqué son éponge pour devenir tampon dans cette histoire, et ça aussi, ça avait laissé des traces.
Tout en se levant de son tabouret pour venir poser ses avant-bras sur les cordes du ring, le corps légèrement incliné vers l’extérieur, elle demanda à Jackson "Tes parents ont jamais voulu réessayer d’avoir un enfant après ça ?" Il ne fallait pas qu’il se méprenne, Mills : elle ne sous-entendait pas qu’ils auraient eu le droit de vouloir remplacer le bébé qu’ils avaient perdu. En fait, elle n’y songeait même pas, la problématique étant trop personnelle encore une fois pour qu’elle se lance dans cette discussion avec sérénité.