Les différents groupes s’étant produits sur scène ont pris du retard tout au long de la journée, faisant ainsi retarder leur propre prestation de plusieurs dizaines de minute, ce qui n’a rien pour arranger Ambrose qui, comme à son habitude, avait déjà prévu un emploi du temps de fin de journée hyper chargé. Il a besoin de travailler sur un discours de Camil, il a besoin de vérifier des sources, il a besoin de faire encore un bon millier de choses mais le voilà réduit à accorder la guitare d’un Dave éternellement en retard. Heureusement, le son a déjà été vérifié et arrangé pour sa voix, ce qui réduit quelque peu son agacement autant que sa colère. Ce qui permet un peu plus de le calmer, aussi, c’est l’arrivée de Zoya - dont il note aussi le retard par rapport à l’heure convenue - dans le bar. Il n’a aucun mal à la remarquer au milieu de la foule, chose qu’il ne soulignera pas aussi simplement, préférant plutôt mettre en avant son œil de lynx plutôt que tout autre chose. Il n’y a rien qui l’empêche de répondre à son signe de la main de la même façon, comme il saluerait un ami à bord d’une autre voiture sur la route. Après avoir interrogé le gérant, il sait qu’il ne montera pas sur scène avant cinq bonnes minutes, soit autant de temps qu’il peut passer près du bar - et de Zoya qui s’y trouve, par pure coïncidence.

“J’étais pas sûr que tu viendrais.” Il annonce simplement, sans émotion dans la voix, laissant le sous-entendu de ses mots parler pour eux-même. “La bière du jour, s’il vous plaît. C’est sur la note des Leftovers.” Son attention s’exporte rapidement sur le barman, à qui il commande une bière sans même plus se poser davantage de questions, connaissant par cœur la carte ou presque. Il a une mémoire photographique, il vous le dirait lui-même - et il commence aussi à avoir l’habitude de se produire ici, ce qui fait que les boissons sont gratuites pour lui et les membres de son groupe. Lorsqu’on la lui tend sous le nez, pourtant, c’est vers Zoya qu’il la fait automatiquement glisser. “C’est toujours la meilleure.” Il esquisse un autre sourire, tente un sujet de conversation hasardeux mais sur lequel ils ne devraient pas pouvoir se disputer. S’il doit boire, pour sa part, cela ne sera qu’après son heure de gloire. “T’es en retard.” Rose commente, enfant intenable, un sourire au coin des lèvres alors qu’il lui offre un regard, traduisant son amusement. Ce n’est pas véritablement un reproche, simplement son moyen à lui de lui dire qu’il est heureux de la savoir ici, ce soir.

« J’espère au moins que tu es un minimum content de me voir. » Tout en baissant la tête par pudeur, il sourit. Il sait très bien ce que Zoya sous-entend, tout comme il ne sera pas celui qui parlera le premier de tout cet indicible. Leur dernière rencontre était bien différente et il ne s’excusera pas de son attitude, encore touché du silence radio qu’elle lui a imposé pendant si longtemps. Il ne le dira jamais ainsi, peut-être, mais n’en pense certainement pas moins. Elle n’avait pas à le traiter ainsi et si elle n’était pas elle, jamais Ambrose n’aurait fait autant d’efforts et de pas en avant, à commencer par celui-ci. “Ça va.” Il répond simplement avec un sourire en coin, laissant largement sous-entendre le véritable fond de ses pensées. Bien sûr qu’il est heureux de la revoir, bien que ce soit le soulagement qui prône sur tous ses sentiments en réalité. Ainsi, pour changer de sujet autant que pour tenter de garder les tensions apaisées, Rose lui offre simplement une bière - qu’il ne paie pas lui-même, alors bon. La meilleure, qu’il dit. « Parce que c’est toi qui me l’offre ? » Sa répartie le fait rire. “C’est toujours meilleur quand c’est offert.” Et ce n’est même pas ironique, surtout pas de la part d’un homme qui n’accepte pas la générosité d’autrui et est loin de rouler sur l’or, ou terminer les fins de mois aussi simplement qu’il le voudrait. “Je la paie pas moi non plus, de toute façon.” Il ne veut pas recevoir des lauriers qui ne sont pas les siens, alors Rose préfère statuer la vérité rapidement. Il se contente de la faire profiter de ses avantages. « Ce n’est pas mauvais, Constantine » Et à nouveau, aussi simplement que cela, il sourit.

Ambrose ne serait pas Ambrose s’il n’était pas éternellement terre à terre, pourtant, et c’est la raison pour laquelle il n’hésite pas à souligner le retard de la jeune femme. Elle est venue, certes, mais en retard. « Mais je suis là, c’est le plus important, non ? » Après avoir bu une gorgée de sa propre bière, il esquisse une moue, mimant de peser le pour et le contre de toute cette histoire. Pourtant, il n’existe qu’une seule véritable réponse: oui, c’est le plus important et oui, c’est tout ce qui compte à ses yeux. Mais il ne peut pas le lui laisser dire aussi facilement. “Qu’est-ce qui t’a retenu ?” Il essaye alors d’en savoir un peu plus à son sujet, même si la question semble anodine au possible. Il essaye. Il n’a aucune idée de ce à quoi a ressemblé sa vie ces dernières semaines au sujet de ce fameux projet, alors il improvise.

« Je pensais que tu serais déjà en train de chanter. » C’est ce que le planning et ses horaires avaient laissé sous-entendre, en effet. Lui aussi pensait qu’il serait en train de chanter à cette heure-ci mais le voilà sagement et calmement assis devant le bar. « Je suis déçue, j’espère que tu passes bientôt. Je me disais qu’après ça, on pourrait peut-être en profiter pour discuter un peu plus… calmement, cette fois. » - “Ils doivent ajuster le son et on est les suivants à passer.” Il assure ce qu’il peut assurer. Pour ce qu’il en est de la discussion plus calme, il n’en sait rien. Lui aussi espère qu’elle aura lieu mais avec Zoya, il a aussi appris à ne jamais trop s’avancer ; jamais trop espérer non plus. « En allant se caler sur la plage avec un de ces tacos que tu aimes par-dessus tout. » Il rigole à nouveau et continue de sourire. “Au moins, je sais que c’est pas le genre de phrase que tu sors au premier venu.” La promenade sur la plage, pourquoi pas, mais pour ce qu’il en est du choix de nourriture, il doute de l’aspect romantique ou tout du moins adapté de la chose. Pour lui, cependant, elle n’aurait su faire meilleur choix. Après tout, Constantine n’est pas du genre difficile. "J'ai écrit une nouvelle chanson, depuis la dernière fois. J'espère que tu l'aimeras." Mais il n'en est pas assuré, alors il ressemble encore à un enfant soumettant son dernier dessin en date, peu assuré de son accueil. "Tu comptes me dire ce que c'était, ton projet ?" Ses yeux se relèvent sur la figure de la jeune femme alors qu'il se mord l'intérieur de la joue, ne cherchant qu'à comprendre la situation et non à l'accabler. Dans le fond de la salle, on appelle son prénom pour lui demander de monter sur scène. Il le fera quand il aura eu sa réponse, oui.

Ils ressemblent à deux inconnus qui se parlent pour la première fois, à ainsi marcher sur des œufs et peser le pour et le contre de chacun des mots qu’ils pourraient prononcer. Cela n’empêche pas Ambrose de sourire tendrement, mais il peine encore à savoir où se placer sur l’échiquier. Craindre de poser une question ne lui ressemble pas, mais il mentirait s’il disait se sentir à sa place lorsqu’il lui demande ce qui a retenu la jeune femme, lui qui s’attend à tout instant qu’elle lui avoue finalement avoir un mari et des enfants qui l’attendent pour le dîner, sous peu. Si elle part en plein milieu du concert, au moins, il saura pourquoi. « Un vomi Le visage de Constantine se relève aussitôt, interloqué au possible alors qu’il n’arrive pas à déterminer si c’est un mensonge ou la vérité. pas le mien. Celui de ma nièce. Elle a deux ans. Et suite à cette confession, il esquisse un rire de fond, amusé. Ce n’était effectivement pas une raison qu’il aurait pu anticiper d’une quelconque manière ; et pour cause, il n’est même pas certain qu’elle ait parlé de sa nièce face à lui. “Tu es une personne charmante, Zoya.” Il reprend, amusé, usant et abusant d’ironie. Mais, si jamais ça se reproduit, la prochaine fois, je viendrai avec pour ne pas être en retard. » Elle sourit avec malice, ce qui ne gâche en rien le propre sourire de l’australien. “Tu devrais, en effet.” Son sourire est toujours présent, assuré. Il a le contact facile avec les enfants, même s’il espère encore que sa nièce ne sera pas prête à lui vomir dessus. Sans doute aimerait-il rencontrer la jeune enfant, bien qu’un bar ne soit pas l’endroit le plus adéquat pour une telle idée.

De façon plus personnelle, il confie à son tour avoir écrit une nouvelle chanson, tout en espérant tout particulièrement qu’elle lui plaise. Rose n’est pas du genre à partager des pans de sa vie privée, pas de sitôt surtout, alors il lui offre le peu qu’il a: sa musique, ses chansons. « J’ai hâte de l’entendre » Et de son côté, il fera de son mieux pour lui rendre justice et honneur, à la chanter avec son coeur et son talent grandissant. En attendant, il cherche surtout à obtenir une bonne fois pour toutes la réponse à cette épée de Damoclès menaçante au dessus de leur tête: ce projet qui l’a tenue à l’écart et, surtout, sous silence, pendant aussi longtemps et sans la moindre explication autre. A nouveau, pourtant, elle semble éviter le sujet, largement aidée par la signal imminent du concert qui l’est tout autant. « Je… Je t’en parlerai après. C’est promis » Il la détaille du regard une dernière fois, sans un mot, sans non plus laisser parler ses émotions. Elle peut aisément deviner ce qu’il en pense, sûrement, alors il n’a pas besoin d’appuyer un peu plus l’évidence alors qu’il craint de plus en plus que cette soirée se solde par un nouvel échec entre eux, une nouvelle impasse. « Good luck » Rose esquisse un sourire triste lorsqu’il cède enfin et fait un pas en arrière, laissant sa main glisser dans le dos de la jeune femme lorsqu’il rejoint la scène, comme prévu. “A tout à l’heure.” Constantine souligne et espère.

***

Encore haletant, après avoir bu l’équivalent d’un lac tout entier, le brun reste en coulisses le temps de faire redescendre la pression et de se passer de l’eau sur le visage, pour se calmer autant que pour en nettoyer la sueur. Déjà, il crève d’envie de retourner sur scène, d’avoir d’autres chansons à présenter, d’avoir le droit à plus de temps devant le public. Pourtant, un autre groupe se prépare déjà, dans l’anonymat le plus total, et il n’a d’autre choix que de faire de la place et parler de la pluie et du beau temps avec ses amis.
« Hey. La voix de Zoya le fait se retourner aussitôt: elle est toujours là. Comme elle le lui avait dit, elle est toujours là. Il a cherché son regard dans la foule, sans la trouver, peu aidé par son incapacité à rester calme et en place. j’ai bien fait d’arriver "à l’heure". Le rire de la jeune femme amène le même chez le jeune adulte. Il n’aurait pas voulu performer en son absence. Félicitation, Rosie, c’était génial. » - “Merci.” Il souffle tout bas, avec sincérité, bien conscient qu’une bonne ou mauvaise performance sur scène est bien plus suggestive que celle qu’il pourrait avoir lors de débats, par exemple. « On y va ? » Soucieux, il hoche la tête et se contente de rapidement saluer les membres de son groupe, à qui il donnera bien rapidement rendez-vous pour qu’ils répètent dans les jours à venir, en prévision d’un autre concert qui n’a pour l’heure aucune date. “Tu as l’air stressée.” Il commente, à peine le trottoir atteint et le bar autant que ses oreilles indiscrètes derrière eux. Son pas, lui, prend instinctivement la direction de la plage. “Est-ce que… tu regrettes d’être revenue vers moi ?” Il ne voit que ça. C’est la seule partie de l’équation qui a été changée, alors il lui semble évident de la proposer en premier lieu, voulant plus que tout crever l’abcès entre eux. “Je peux l’entendre si c’est le cas.” Il en a peut-être l’âge, mais il n’est pas un gamin. S’il ne peut pas encaisser de telles paroles, alors jamais il n’aura sa place en politique.

Ambrose n’est généralement pas le dernier pour cerner les gens et deviner ce qu’ils ressentent, toutes proportions gardées. Il n’est pas mauvais à ce jeu là et pour cause, il a lu tous les bouquins qui soient sur les micro expressions, les tics du langage, le langage corporel et ainsi va. Avec Zoya, pourtant, il est bien trop conscient qu’il manque cruellement d’objectivité, incapable de faire la différence entre ce qu’il voudrait être être la vérité et ce qui l’est réellement. « Moi ? Pas mon genre. » Là, pourtant, il n’a aucune mal à retrouver le mensonge au milieu de ses mots et son éternelle envie de sauver son ego parmi les décombres. Cette attitude lui arrache un certain sourire, même s’il n’oublie pas l’idée principale de ses mots: elle a l’air stressée. Au fond, il espère simplement que ce n’est pas de sa faute et qu’il a fait naître en elle ce sentiment sans jamais ô grand jamais l’avoir souhaité. « Non, bien sûr que non, Rosie. » Son surnom est de retour, alors. Il esquisse un sourire triste, en demi-teinte. “Rose.” Il souffle tout bas, corrige sans réellement vouloir se faire entendre. Ce n’est pas le moment de jouer la fine bouche, il le sait bien.

Elle observe les environs, sans doute pour gagner du temps, et à ses côtés le pas d’Ambrose ralentit peu à peu, anticipant son besoin de parler. « Ca n’a rien avoir avec toi, au contraire, je suis contente de te retrouver… sincèrement » Son pas reprendre déjà, l’australien sur ses talons. Ses paroles ont beau le rassurer à un certain niveau, il ne peut que se demander en parallèle ce qui peut bien la laisser se questionner et se tourmenter à ce point, alors. « On se prend ces tacos et on va se poser sur la plage ? » - “Bien sûr.” Un sourire relève ses paroles, il souligne son entreint et son envie de faire avancer les choses dans le bon sens sans jamais ô grand jamais vouloir mettre des bâtons dans les roues de Zoya et de toute la bonne volonté qu’il voit à l'œuvre sous ses yeux.

« Je sais que tu penses sûrement que je cherche encore à esquiver à te donner une explication pour mon silence… Ce n’est pas le cas. C’est juste que… ce projet dont je t’ai parlé… cette raison qui m’a pris tout mon temps… je … je ne sais pas si je suis prête à la partager. » Ambrose souffle longuement et reprend le rythme de la marche, ayant besoin de plusieurs secondes pour se donner le temps de la réflexion, l’air marin aidant quelque peu à la chose. La gorge nouée, il ne sait pas comment réagir, chose qui ne lui ressemble généralement pas. Elle prononce elle-même les reproches qu’il pourrait lui tenir pour lui couper l’herbe sous le pied, voilà tout ce qu’Ambrose voit dans son discours, incapable de comprendre quel genre de projet, si demandeur en temps, pourrait vouloir être tenu sous silence. “Tu fais ce que tu veux, Zoya. Si tu veux pas m’en parler, je comprendrais.” Un peu moins avenant, un peu moins chaleureux, il avance ces quelques mots avec la neutralité qui correspond à sa future fonction. “Mais n’attends pas de moi que je fasse tous les efforts. Tu fais ce que tu veux, tant que t’en assumes les conséquences.” Ce ne sont pas des menaces, loin de là. Rose ne fait que statuer l’évidence et le fait qu’il ne l’attendra pas éternellement et qu’il ne se montrera pas patient alors qu’il n’a même aucune idée du genre de secret qu’elle pourrait un jour lui révéler. Et si elle a flirté avec l’illégalité ? Il ne peut pas se permettre d’avoir un tel proche. “Si tu veux pas m’en parler, je me dis juste que y’a sûrement une raison à ça.” Et qu’ils ne sont pas aussi proches qu’il l’a brièvement cru, avant que justement elle ne soit plus qu’un fantôme à ses côtés et des souvenirs dont il se souvenait encore de l’odeur, des semaines après. L’australien hausse finalement les épaules, voulant repousser à plus tard la suite de leur conversation alors qu’il commande pour deux leur repas de fortune. Il n’y aura peut-être plus rien demain, alors il veut au moins profiter de la plage à ses côtés une dernière fois.

Ils prennent le chemin de la plage comme si de rien n’était, en apparence du moins. En réalité, c’est que le pas de Rose est largement entaché par le souci qu’il garde très peu de temps en lui, prenant rapidement la peine de verbaliser son souci et de lui en faire part. Une part de lui craint sans doute un peu trop que le passé se reproduise. Et la réponse que lui apporte Zoya n’en a que le nom, en réalité, alors qu’elle lui avoue à son tour ne pas savoir comment se positionner, comment savoir si oui ou non elle veut lui parler de ce qu’elle garde sur le cœur. Bien que cela forme une boule dans la gorge de l’australien, il n’a d’autre choix que d’accepter sa décision telle qu’elle est: il n’y peut rien, s’il n’a pas autant gagné sa confiancé qu’il l’aurait cru et voulu. Les prochains pas s’effectuent en silence, chose qu’il préfère finalement face à des mots qui pourraient lui causer davantage de tort que de bien. Si personne ne dit rien, aucun empire ne s’effondre, pas vrai ? Au Diable les conséquences des non-dits, il préfère commander des tacos et jouer à l’adolescent comme s’il pouvait se permettre d’en être un, comme s’il avait le temps pour ces choses là, pour les tentatives de réparation de relations brisées. Il préfère écrire des discours sur l’avenir du monde plutôt que de se fier aux ressentis d’autrui, Constantine, mais il n’a pas fui le côté de Zoya pour autant, sans doute encore un peu trop plein d’espoir.

« Je sens que tu es déçu… Il ne sait faire autre chose qu’esquisser un rire faux tout en trouvant un appui contre le mur de pierres derrière eux, ses chaussures dans une main et son repas du soir dans l’autre. Ce n’est pas tant qu’il est déçu, finalement, c’est qu’elle lui lance une flèche en plein cœur et ne semble pas se rendre compte de la douleur qu’elle provoque autant que de l’hémorragie qu’elle cause chez lui. Et j’en suis désolée. Ce n’est pas une question de confiance ou non à ton égard. C’est juste que… j’ai peur que tu ne comprennes pas et que tu ais envie de prendre tes jambes à ton cou. - “Alors tu prends les décisions pour nous deux.” Il conclut donc, n’ayant pour sa part pas à passer par quatre chemins pour arriver au but. Il ne l’accable pas davantage, il ne lui tient pas plus de reproches non plus: il se contente de parler avec les faits et non les sentiments, comme elle s’applique à le faire ; une stratégie comme une autre. Elle pourrait fonctionner, avec une personne autre que lui. Rose a depuis longtemps fermé son cœur à des problèmes de ce genre, simplement parce qu’il n’a pas le temps de gérer ce genre de choses, ni même de se retrouver pris au piège dans les filets des sentiments.

Pourtant, Zoya a encore beaucoup de choses à lui dire, autant de mots qui lui font toujours un peu plus perdre l’appétit. Et je le comprendrais, je ne t’en voudrais même pas... Mais… Mais elle fait remonter son regard dans le sien et, dans la pénombre, Ambrose le soutient sans émotion, incapable d’anticiper là où elle souhaite mener cette discussion. Elle est impétueuse et indéchiffrable, ce qui ne lui avait jusque là que très peu posé de problème, mais ce soir il se souvient parfaitement de la raison pour laquelle tout peut soudainement devenir si compliqué avec elle. Je n’ai pas spécialement envie de te perdre, Rosie. Le jeune adulte souffle doucement, incapable de comprendre un tel raisonnement pour en venir à cette conclusion. “Moi non plus, tu sais.” Il a besoin de temps pour lui redonner de sa confiance à nouveau, il ne le lui cache pas, mais c’est aussi sa façon à lui de faire des efforts. Je ne dis pas que je ne te le dirai pas… juste… pas maintenant. Par avance déjà, il sait que lui demander une date exacte ne servirait à rien. Pas maintenant, ce sont les miettes de pain qu’il récolte et tout ce à quoi il a le droit. Ca ne parait peut-être pas mais ça m’a manqué, tout ça. » Le silence d’Ambrose marque son avis sur la question. Zoya lui a manqué, oui. Toutes les difficultés qu’elle amène et qui gravitent autour d’elle, non, certainement pas. Il abandonne son repas à plus tard, laissant sa tête se reposer entre deux pierres grossièrement taillées et chauffées par le soleil de toute une journée. “Tu me demandes d’attendre que tu estimes le bon moment venu pour me faire une annonce qui va pas me plaindre au point où j’aurai sans doute envie de tout abandonner.” En résumé, voilà où ils en sont, pas vrai ? C’est une épée de Damoclès, un cul de sac, un tonneau des Danaïdes et une Boîte de Pandore à la fois. Rien que ça.

"Je sais pas ce que tu cherches à faire Zoya, mais je suis pas certain qu'on soit sur la même longueur d'onde." Elle donne tous les codes et tous les indices de la personne qui cherche une relation de quelques soirs sans le moindre attachement et, de l'autre côté, de celle qui cherche à construire une relation sérieuse sans trop savoir comment s'y prendre (ce qu'il ne peut juger, n'ayant objectivement que peu d'expérience en la matière). Plus que tout, ce sont les indices criant de l'auto-sabottage qu'il voit chez elle et s'il fait au mieux pour l'aider, il ne peut pas prendre le risque de se trouver trop proche d'elle lorsque la bombe explosera, ne pouvant se permettre de tâcher de sang son parfait costume blanc de politicien. "On peut se voir de temps en temps pour aller sur la plage et manger ensemble. C'est ce que font les gens qui ne se disent pas tout." Il ne peut pas se permettre de s'attacher à nouveau et de lui offrir plus pour qu'elle foute le camp à nouveau, voilà tout. Ce n'est pas qu'il ne veut pas, c'est qu'il ne peut pas, bien trop conscient des dégâts que cela causerait chez lui. Cette conclusion ne lui plaît pas, mais c'est tout ce qu'il a à lui offrir.

« Je suis désolée. » Être désolé n’a jamais résolu aucun problème. Il ne veut pas lui répondre aussi frontalement et froidement, mais cela ne l’empêche certainement pas de le penser. Elle a des sentiments et il ne peut pas lui en vouloir pour ça ; il en a aussi, malgré ce qu’on pourrait en penser. Ce pour quoi il lui en veut, c’est de les mettre ainsi en avant aux moments les moins opportuns, alors qu’ils ne sont pas (plus) ce qui importe réellement. Les faits ne changeront pas: elle a mis une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, et c’est uniquement sa faute à elle. Face aux paroles de l’australien, l’agacement de Zoya grandit sans qu’il n’ait rien à dire contre. « Je ne sais pas, Ambrose, je ne t’utilises pas si c’est ce que tu penses. » Et une fois de plus, il taira ses pensées. Il ne se traitera pas lui-même de gigolo ou de petit Labrador prêt à tout pour faire plaisir à son maître. Il ne s’abaissera pas aussi bas, mais cela ne l’empêche en rien de le penser. Après tout, c’est à peu près tout ce dont il a été question, entre deux confessions sur l’oreiller et départ aux aurores pour ne pas manquer le travail. Il ne sait pas ce à quoi il aurait dû s’attendre d’autre, après tout. Il aurait dû le voir venir ; tout ça. « Et toi, qu’est-ce que tu attends ? » Lentement, il lui décoche un regard réprobrateur, lui en voulant plus que tout de le mettre dos au mur alors qu’elle ne peut que se douter de ce qu’il sous entendait avec ces mots dignes d’une comédie amoureuse pour adolescents en pleine puberté. “Rien. Rien du tout.” Finalement, il vaut mieux préférer un petit mensonge à une grande vérité. C’est la vie qui le lui a appris, c’est les journées entières passées auprès de son père qui se souveint parfaitement du nom de tous leurs chiens mais pas de celui de son dernier né qui l’ont confortées dans cette idée. Il se mord la joue, détourne son regard de la jeune femme, l’esprit embrûmé. “Je te reproche pas de m’utiliser, je suis un grand garçon.” Il veut pourtant souligner, malgré la différence d’âge entre eux, malgré l’idée que tout le monde se fait à toujours vouloir lui tendre la main et lui venir en aide. Il n’a besoin de personne. De rien ni personne. Il travaille d’arrache pied pour joindre les deux bouts et se construire une vie, et il le fait seul, parce que personne n’arrivera jamais à l’accompagner jusqu’au sommet, le moment venu. C’est un chemin solitaire, il le sait depuis le début, mais cela ne l’empêche pas de toujours vouloir défier les lois de la nature.

Il se veut force de proposition, pourtant, Ambrose. Puisqu’il sait bien trop que de tels mots, laissés tels quels, mèneraient à la combustion spontanée des restes de leur relation, il propose à la place de construire autre chose. Un quelque chose fait de brics et de brocs, parce que c’est tout ce qui leur reste à disposition, maintenant. « Sûrement… je te demande juste d’être patient… c’est possible ? » Son idée ne lui plaît pas, de façon assez évidente, et il est sincèrement désolée de ne rien avoir d’autre à lui proposer, voulant rendre la jeune femme heureuse malgré tout. “Je peux être patient. C’est pas un problème, ça.” Et c’est la vérité qu’il statue là, il le jure. Simplement, et comme toujours, il existe un immense mais qu’il retient encore un peu dans le fond de sa gorge nouée. “Tu me reparleras quand tu seras prête.” Mais en attendant, il ne peut pas se permettre de lui donner de son temps alors qu’il n’est pas assuré du résultat final. Un peu de distance l’empêchera de cultiver d’autres sentiments ou de faire grandir ceux qu’il connaît déjà, pour ainsi éviter le pire - comme le meilleur. Elle veut du temps, il lui en donne. Simplement, il ajoute à cela la variable de la distance, vitale à ses yeux. “Viens te baigner, il n’y a personne.” Elle aura le temps de prendre de la distance dès demain mais en attendant, il veut pouvoir profiter de son sourire une dernière fois, de sa proximité aussi avec. Laissant son t-shirt reposer contre le sable, grossièrement plié, il lui offre sa main pour l’aider à se relever, véritable proposition de trêve avant la Grande Guerre.

« Je ne t’ai jamais considéré autrement » Tant mieux, sans doute. Si Ambrose est sincèrement touché de l’entendre le lui dire, cela ne suffit pourtant pas. Elle le considère comme un grand garçon, c’est un bon début, mais ce n’est certainement pas suffisant. Cela ne peut pas l’être après un mois de silence, du moins, et Rose finit par statuer ses conditions et la façon dont il envisage le futur, sans laisser à Zoya la possibilité de négocier. Ce sera ça ou rien. Ainsi, c’est dans le but de se faire pardonner autant que de profiter de cette fin de soirée qu’il lui propose de profiter d’une dernière baignade dans l’océan. Ce n’est rien, c’est enfantin, c’est ce qu’il considère être comme une perte de temps pour sa nuit déjà trop courte et son réveil qui sonne dans peu de temps ; et pourtant il espère sincèrement qu’elle n’ira pas contre. Finalement, il est rassuré et soulagé qu’elle le suive dans cette idée sans rien négocier, sans rien lui reprocher non plus. Il enserre sa main autour de son poignet pour l’aider à se relever et ne la lâche pas jusqu’à ce qu’ils arrivent dans l’eau, fraîche.

Et lui qui pensait se montrer enfantin, Zoya reste la reine à ce jeu-là, n’attendant pas plus de quelques secondes avant de l’arroser, poussant Ambrose à d’abord avoir le réflexe de se protéger (en vain), avant de redoubler d’efforts et d’acharnement à la tremper, elle. « Ne t’en fais pas, tu es toujours aussi beau… si ce n’est encore plus dans cet état. » Il esquisse un rire amusé, loin d’être pudique. “Tu regrettes de ne pas avoir ton appareil, j’imagine.” Un sourire naît au coin de ses lèvres, passionné par la simple passion qu’elle a, elle, à vouloir éternellement capturer le monde qui l’entoure. “Je voudrais pouvoir dire la même chose de toi, si tu ne ressemblais pas à un caniche mouillé.” Il s’amuse, Ambrose, il fait comme si de rien n’était, il oublie les minutes précédentes, il se rapproche de la jeune femme sans jamais arrêter de la noyer sous ses assauts - après tout, c’est elle qui a débuté cette guerre. “Attends, je vais arranger ça.” Son assaut s’arrête soudainement, il se fait doux lorsqu’il dégage une mèche barrant son front et qu’il laisse son doigt rouler le long de cette dernière, qu’il replace derrière son oreille. “Mieux.” Son sourire, espiègle, est sincère. Un peu trop, sans doute, alors qu’il ne lui offre pas la moindre seconde de répit, poussant déjà sa tête toute entière dans l’eau la seconde suivante.

Si le regard de Zoya lui lance des éclairs pendant un instant, la bataille est acharnée et sans véritable vainqueur, les laissant finalement tous deux lever le drapeau blanc, le souffle court. « Au moins ce soir, je veux que tu ne sois qu’à moi. » Il la laisse s’approcher et placer ses avant-bras sur ses épaules, le tout pour mieux nouer ses mains contre sa nuque. Sans un mot, sans un commentaire non plus, les mains de Rose trouvent leur place entre les deux dernières côtes de la jeune femme, contre sa peau froide. Il voudrait dire qu’il n’est à personne et qu’il ne sera jamais à personne, mais il n’en a pas la foi. “T’as jamais froid aux yeux, pas vrai ?” Déjà, il connaît la réponse à sa question. Zoya demande et Zoya exige, et elle ne le fait pas pour n’importe quoi, pour des broutilles. La réponse arrive sans un mot lorsqu’elle se rapproche un peu plus de lui, son torse désormais contre le sien, de même pour leurs lèvres. Il ferme les yeux, ne sachant faire autre chose que répondre lentement à son baiser qui l’est tout autant, maintenant qu’il a lui aussi passé ses bras autour du torse de Zoya, la retenant près de lui. « J’ai aimé ta nouvelle chanson… j’ai envie de l’entendre à nouveau… S’il te plait… » Alors, sans chercher à négocier le moins du monde, il laisse retomber son front contre le sien pour lui chanter les premières vers de la musique, terminant par le refrain après avoir pris le temps de restituer la musique avec soin, ne serait-ce parce qu’il ne sait pas faire les choses à moitié. Finalement, et bien malgré lui, il se contente de basculer subtilement la tête pour retrouver ses lèvres d’une façon un peu plus affirmée, désormais. “T’es impossible, Zoya.” Et ce n’est pas une comédie romantique: ces mots n’ont rien d’un compliment. Il met fin au baiser et les lui murmurant, une main désormais posée délicatement contre une joue qu’il ose à peine toucher. “J’espère que tu trouveras quelqu’un avec qui tu seras sur la même longueur d’onde.” Ses yeux retrouvent les siens au moment où il dégage le bras qu’il avait passé autour de son torse, la main qu’il avait posée contre sa joue. Un pas en arrière, et il laisse l’eau l’engloutir jusqu’au cou, repoussant le moment où le froid l’aura un peu trop gagné et où il devra se résoudre à rentrer. En attendant, il espère encore naïvement qu’elle tient la réponse à tous leurs problèmes.