Ambrose n’est pas du genre à s’extasier devant grand chose, mais il doit bien admettre que tout ce que son frère a mis en place pour Weatherton a de quoi l’étonner et le rendre fière, plus que jamais. Il admire sa dévotion, son talent, ses idées. Il admire tout ce qu’il a su mettre en place pour plaire au public de Brisbane ; et à en juger par la fréquentation, c’est un véritable succès. Si August s’est contenté de dire qu’il viendrait s’il en a le temps, pour Flora c’est son cadet qui lui a directement demandé de se rendre à l’événement à ses côtés, pour profiter d’un peu de temps auprès de sa famille et ce dans un contexte familial plus large encore. Il ne sera pas du genre à défiler ou vouloir faire quoi que ce soit de ses doigts qui ne se résume pas à tenter de gratter la guitare, mais il souhaite au moins montrer à leur cousin qu’ils sont présents pour lui - et ce même si le métier de Flora en est déjà un exemple. “Il a fait un travail incroyable. T’imagines tout le temps et l’organisation que ça a dû lui demander ?” Il devient fou à préparer les déplacements de Camil, Rose, et ça n’a rien de créatif à aucun niveau. Cela ne le fait qu’admirer un peu plus encore les lieux, les décors, le soin porté à la création du moindre cocktail qu’il découvre sur de magnifiques cartes, bien sûr créées pour l’occasion.

“On peut prendre un verre et faire un tour ensuite. C’est cet après-midi que commence le défilé, non ?” La question est rhétorique: bien sûr qu’il a étudié le programme avec soin et minutie et qu’il le connaît déjà par cœur, autant que le plan des environs et des différents ateliers dédiés au public. Il devrait se rendre au vide-dressing, cela donnerait une bonne image de lui et de sa vision écologique des choses ; non pas qu’il s’en moque en réalité mais oui, il s’en moque. Rose a des problèmes bien plus terre à terre et urgents à traiter, il faut bien l’avouer. “Je peux profiter de toi pour la journée ou tes services vont être demandés d’ici à cinq minutes ?” Il demande avec un sourire en coin, n’ayant aucun mal à comprendre le fait qu’un travail puisse demander beaucoup de son temps, qu’il soit libre ou non. Tout ce qu’il cherche à faire, c’est anticiper et savoir par avance combien de temps il réussira à passer avec sa soeur. En attendant sa réponse, il enroule son bras autour du sien: pour l’heure encore, ils ont le temps et ne sont que tous les deux, occupés à flâner jusqu’au bar à cocktail, qui affiche une pancarte ouverte malgré la matinée à peine terminée. Peu importe, il n’est jamais trop tôt pour prendre un bon verre.

L’habitude la plus récurrente d’Ambrose est sûrement celle de vanter les mérites de son frère, chose qu’il fait à longueur de journée sans même s’en rendre compte. Il le dit et le redit, pourtant: ce n’est pas de sa faute si James est aussi doué de ses mains et doté d’un esprit aussi vif. Ce n’est pas comme s’il vantait ses propres mérites, loin de là, il ne fait que souligner ceux des autres et, par extension, être un bon frère. « Ouais. Il a fait un boulot remarquable. » Bon frère, mais pas au point de remarquer le ton de voix de Flora, ce léger flottement qu’il aurait su déceler chez n’importe qui d’autre pourtant. Lorsqu’il s’agit de sa famille, il devient soudainement sourd et aveugle à tous les signes qui soient, il se contente de la vérité criante: son travail est remarquable et les deux Constantine sont bien évidemment d’accord sur ce point. « Allons pour un verre ou deux. » - “Ne me regarde pas comme ça, j’ai le droit de boire depuis quelques années maintenant.” Il traduit à mal le regard semi-réprobateur de son aînée, ne prenant pas assez la mouche pour véritablement se retrouver vexé pour autant. Au contraire, il est déjà en train de sourire à nouveau, le regard espiègle déjà retourné vers l’assemblée, curieux de savoir si quelques personnalités plus ou moins connues seront présentes. Ambrose est physionomiste, il saurait les retrouver aisément, peu importe le milieu dont elles pourraient venir: la mode comme la politique, les deux opposés, il s’y connaît plutôt bien. Un Lagerfeld et un Mugler de commandés plus tard, la fratrie prend enfin le temps de se poser un instant près du bar. « Heureusement qu'on commence tôt, celui-ci aussi me fait envie. » Mais sa sœur, autant que lui, est une personne raisonnable (sur ce sujet du moins). Il l’observe bien plus qu’elle que la carte, prenant le temps de noter les traits tirés de son visage et les cernes qu’il arrive à deviner sous son maquillage, trop près d’elle pour se faire avoir par n’importe quel jeu de couleurs. “Plus qu’à prier pour que tu puisses encore le commander ce soir, quand tout sera passé.” Il ne sera pas celui qui lui dira de prendre un deuxième verre d’alcool avant le travail: Weatherton n’a pas besoin de scandale dans le genre, surtout pas lors d’une journée aussi importante que celle-ci.

Et déjà, l’attention vacillante de Rose se dérobe ailleurs, plus loin encore sur le stand, lui qui cherche la petite bête pour que ce ne soit pas un invité qui la trouve à sa place, lui qui souhaite que tout soit parfait alors qu’il ne travaille même pas ici et que son nom n’est pas rattaché à l’événement. Il a beau avoir connu James depuis l’aube de sa vie, cela ne lui en a pas donné le même nom pour autant. Parfois, il le déplore: cela rendrait tellement plus simple à expliquer, toutes ces fois où il a parlé de lui comme son frère alors que les médias n’en connaissent justement aucun au couturier. Comme pour se montrer raisonnable, c’est sur Flora qu’il laisse finalement échouer son regard autant que sa question, nouant par la même occasion son bras autour celui de sa sœur - sa véritable soeur, cette fois. « Profites en avant qu'on ne me reconnaisse et m'ordonne d'aller chercher des bouteilles d'eau aux mannequins. » - “Et ceux qui ne te reconnaîtraient pas pourraient penser que tu en es une, de mannequin, justement.” Il partage sur un ton plus bas, presque celui de la confidence, partageant avec sa cadette un sourire sincère alors qu’il souligne la beauté naturelle de ses traits. « James ne peut pas être partout, malheureusement. » Si tel était le cas, nul doute que le cadet Constantine userait de la moindre excuse à sa disposition pour passer un peu de temps avec lui, ne serait-ce pour lui parler de la pluie ou du beau temps ou découvrir toujours un peu plus de ce monde dans lequel il a pourtant grandi. “Il n’y a sûrement que Cristina qui serait bien heureuse de ne pas l’avoir dans ses pattes.” Il confie d’un sourire amusé en même temps qu’il enroule soigneusement ses doigts autour du pied du cocktail, pour mieux faire tinter les deux verres ensemble dès l’instant suivant. « Je me demande où il est en ce moment, d'ailleurs. » Tout ce qu’il sait, Ambrose, c’est qu’hier James lui a demandé un service pour les retouches de dernière minute d’un costume et que la conversation s’est avérée bien plus animée que tout ce que les deux hommes auraient pu prévoir. Alors s’il ne le retrouve pas pour l’heure, il n’y voit pas le moindre inconvénient, pour une fois. “Sûrement en train de travailler d’arrache-pied alors qu’on profite de cocktails. Arrête de parler de lui, tu vas finir par l’invoquer et il va te mettre au travail.” Même si finalement, c’est toujours lui qui parle de James et non l’inverse. Peu importe.

Son bras toujours enroulé à celui de son aînée, son cocktail dans l’autre main, il entreprend de faire quelques pas vers les jardins botanique, sans but particulier. Il souhaite simplement s’éloigner des oreilles indiscrètes, voilà tout. “T’as des nouvelles d’August ? Depuis…” Depuis son mariage catastrophique qui n’a finalement eu de mariage que le nom ? Oui, exactement ça.

« Pas de ça entre nous Rose, je peux te commander un coca si tu préfères. » - “Les bulles attaquent mon doux palais, tu le sais bien.” Et ses doigts se resserrent autour de sa carte, jouant le jeu et feignant une crainte inexistante qu’elle puisse déjà lui dérober ou confisquer un verre qui n’existe pas. En parallèle, il étire son sourire, simplement amusé. « Ne deviens pas trop sage trop vite, tu m'effraies. » Le sourire d’Ambrose se fade quelque peu, certain d’une chose: il est déjà bien plus sage qu’il n’aurait dû l’être, s’il avait choisi une voie de vie moins exigeante. Flora a aussi un quotidien bien rempli, les attentes sont simplement différentes. Le cadet ne dit rien, pourtant, se contentant à son tour de porter le verre à ses lèvres dès qu’ils leurs sont amenés. Sans doute que l’alcool aide à délier les langues au sujet de Cristina, une figure qu’aucun d’eux ne cherche à évincer de la famille, quand bien même sa présence ne leur semble pas toujours naturelle, et bien loin de là. « Sans aucun doute. Et qui sait, justement, il est peut-être bien à ses côtés. » Il n’y a rien dont Ambrose puisse être moins sûr en ce monde mais puisqu’il n’a aucune preuve à donner, aucun commentaire fondé à faire, il préfère encore le silence en guise de seule réponse, ne voulant pas laisser penser Flora qu’il éprouve du ressenti pour leur belle-soeur. Ce n’est pas le cas.

Son pas lent aidant à faire le ménage dans son esprit, Ambrose ne peut pas laisser ce moment disparaître sans parler d’August. Il ne sait pas quand est-ce qu’ils arriveront à se retrouver tous les deux pour échanger quelques mots en l’absence d’oreilles indiscrètes et, de façon assez évidente, il nourrit un souci grandissant à l’égard de son aîné, en témoigne le regard qu’il dédie à Flora. « ...que Yara l'a planté sur l'autel ? » que Yara l’a planté sur l’autel, oui. Voilà tout le manque de délicatesse de Flora en quelques mots, en effet. Ambrose ne s’en offusque pas, pas alors qu’il n’y a qu’eux, mais il ne peut que se douter qu’elle aurait tout autant osé avoir de tels mots en public, raison pour laquelle il a décidé de crever l’abcès rapidement, ici et maintenant. « Non... il ignore toutes mes prises de contact. » La gorge d’Ambrose se noue un instant, plus conscient que jamais que s’il n’accepte pas de parler à Flora, alors personne ne pourrait le faire. Elle est celle qui a toujours été le plus proche de lui, même aucun de ses amis n’arrive à passer au travers de son caractère parfois difficile comme leur sœur le fait, toujours, avec la douceur et la délicatesse qui la définissent tant. Lorsqu’elle remonte son regard dans le sien, il ne cherche pas à pleinement en cacher la peine et le souci qui le constituent, Ambrose se montrant bien moins flamboyant que jamais. Il laisse divaguer sa tête de droite à gauche lorsqu’elle envisage la possibilité d’aller lui parler et de forcer les choses plutôt que de lui laisser le temps de venir à elle. Paradoxalement, cela signifie qu’il est de son avis: savoir August seul à ruminer ne lui inspire rien de bon. « et toi, est-ce que tu sais quelque chose - peut-être que tu as pu gratter auprès de Yara ? » - “Si August se confie à quelqu’un, c’est toi et seulement toi.” Ambrose se contente donc de statuer, le lien entre ses aînés étant bien plus fort que celui qu’il entretient avec l’un ou l’autre. Après tout, ils sont nés ensemble, ont tout vécu ensemble, et ont des souvenirs qu’Ambrose n’aura jamais, pas même capable de ressentir la moindre émotion lorsqu’ils retrouvent des photos de leur ancien appartement à Sydney. Pour eux, cela signifie quelque chose, ça et bien d’autres exemples encore. “Et pour Yara… disons qu’on sait pourquoi elle s’entend aussi bien avec Cristina.” Elle a un caractère difficile et indomptable, voilà pourquoi. Personne ne se laisse faire dans cette famille, pas même les pièces rapportées par les aléas des battements de cœur. Généralement, c’est quelque chose qu’Ambrose apprécie. Dans ce cas précis, bien sûr, son attitude est bien différente. “J’ai pas pour habitude de ne rien faire, et je déteste encore plus de ne rien pouvoir faire.” Comment pourrait-il oser rêver à diriger un pays s’il n’arrive même pas à recoller les morceaux de sa propre famille ? “Tu penses que tu pourrais aller le voir chez lui ?” Parce qu’il jure qu’il est prêt à appeler les pompiers, Rose, si jamais son aîné ne daigne pas leur faire le moindre signe de vie. Les peines de coeur peuvent être dévastatrices, et cet imbécile d’August ne trouverait sûrement pas utile de se confier à quiconque à ce sujet, justement parce qu’il pense qu’il n’en a pas besoin, que ce n’est rien, ou Dieu sait quoi encore. “J’ai essayé de parler à Yara et Cristina, mais ça s’est pas vraiment bien passé avec l’une ou l’autre. J’ai juste envoyé un message à August, je sais que c’est pas à moi qu’il se confierait de toute façon.” Il relève le menton pour garder un minimum de fierté, pourtant bien plus touché qu’il ne voudrait l’avouer par cette simple remarque: à ses yeux, il est moins de sa famille que l’est Flora.

« Formidable. » Flora grince des dents face à la complexité de leur famille et du caractère de chacun. A cela, Rose n’a rien à redire ou commenter, déjà pertinemment au courant que même en faisant de son mieux, il constitue lui aussi une épine de cette rose. S’il n’a jamais su être proche d’August, et jamais aussi proche de Flora que ce qu’il aurait voulu, alors c’est sûrement qu’il représente une partie du problème et qu’il aurait pu mieux faire, en témoigne la simplicité et l’évidence du lien qu’il a en parallèle tissé avec son cousin. Ainsi, c’est bien malgré lui qu’il demande à Flora d’intervenir, conscient qu’elle est bien plus proche d’August qu’il ne le sera jamais et que si quelqu’un peut l’aider, c’est elle. « Je peux. Je ne sais même pas s'il va m'ouvrir, mais je pense que ça vaut le coup de tenter. » Ces mots génèrent en lui un maigre espoir, qui a au moins le mérite d’exister à défaut d’être fort. Jamais August n’oserait laisser sa jumelle dehors, encore moins si elle prend le temps d’insister doucement en agitant sous son nez ses friandises préférées. Il n’est pas un mauvais garçon, leur frère, et bien loin de là.

Lorsque leurs pas s’arrêtent pour que Flora puisse poser une main douce et rassurante contre la joue d’Ambrose, ce dernier ne sait finalement pas comment réagir, à la fois rassuré par un geste aussi simple et désireux de lui faire retirer cette main à l’allure bien trop maternelle pour qu’il ne se sente pas mal à l’aise. En somme, il est désolé d’être ainsi, et cela se traduit par sa main qu’il pose par dessus la sienne après quelques secondes, pour la guider à se dégager de sa joue, avec toute la douceur du monde tant la blesser serait le dernier de ses souhaits. « Tu comptes pour lui. Tu comptes pour nous tous, Rose. » Les mêmes sentiments paradoxaux l’envahissent, assez pour qu’il se retrouve à sourire maladroitement, effectivement touché par ces mots. Ils sont toujours bons à prendre et à entendre, même pour un garçon qui tente de faire croire au monde entier - et à lui-même - qu’il est déjà adulte. “Je sais, je sais.” Mais il ne compte pas autant que Flora, par exemple, et la voilà l’inévitable comparaison qui n’a de cesse de le blesser, sans qu’il ne puisse en vouloir à l’un ou à l’autre de ses aînés.

Flora se montre plus agile et rapide que lui lorsqu’il est question de dérober une gorgée de son verre, geste qu’il accuse d’une expression faussement réprobatrice, avant de s’autoriser un rire simple, moyen pour lui de changer de sujet et passer à autre chose. « Je sais que je devrais aller le voir, mais j'ai peur de ne pas savoir quoi lui dire. Je veux m'assurer qu'il va bien et l'aider, mais la situation me dépasse un peu. Et s'il ne m'ouvre pas ? Tu penses qu'on devrait s'inquiéter ? » Il lève la main entre eux pour l’enjoindre à ralentir le rythme et poser un problème à la fois. “Attends, attends. Doucement. T’es pas obligée de lui dire ‘hey comment ça va depuis que ta femme t’a plaqué ?’, parle lui juste comme vous le faites normalement.” Il n’a aucune idée de ce que se disent les jumeaux lorsqu’ils sont seuls, raison pour laquelle il ne va pas jusqu’à donner des exemples. Simplement, ils se parlent tout le temps, tous les jours, alors ils doivent avoir l’habitude de parler de la pluie et du beau temps maintenant, pas vrai ? « Il est blessé, pas que je craigne de le voir faire quoique ce soit de stupide, mais je ne veux pas lui laisser trop de temps. Ni forcer trop vite les choses. » - “Honnêtement, c’est pour ça que je t’en parle, Flo.” Il préfère agir maintenant plutôt que de regretter plus tard, même si sa méthode d’action se résume finalement à envoyer d’autres personnes à sa place: il le jure, pourtant, il aurait adoré parler à August si ce dernier avait voulu lui adresser la parole. “Il veut sûrement pas remuer le couteau dans la plaie. Et t’es douée, toi, pour parler de plein de choses.” Elle a toujours des idées et des rêves plein la tête, il ne doute pas un seul instant qu’elle saura trouver le moyen d’occuper toute la discussion, en laissant toujours à August le temps et la possibilité de donner son avis et de participer s’il le désire. “Demande toi si t’as plus peur de ne pas savoir quoi lui dire, ou qu’il fasse quelque chose de stupide.” La mine plus grave et infiniment désolée, il pose alors la question qui fâche, sans pour autant oser poser des mots véritables sur ce quelque chose de stupide. Après tout, lui n’a aucune idée du retentissement que pourrait avoir une rupture et même un divorce.

« Tu as raison, mais j'ignore si je vais être capable de le faire. » - “Je suis vraiment désolé de te dire ça comme ça, mais je crois que t’as pas vraiment le choix.” Le regard qu’il échange avec sa soeur traduit plus que jamais cette pensée, lui qui se montre absent de tout sourire ou de toute fierté éternellement associée à Constantine le reste du temps. Il voudrait ne pas avoir à lui tenir de tels propos, il le voudrait vraiment, mais il s’en voudrait surtout de laisser les choses couler, le temps faire son œuvre, et les regrets arriver dans un immense tsunami au final. Il l’aurait fait lui-même, s’il savait moindrement comment parler à August. « Tu penses que je ne devrais pas l'aborder s'il ne l'initie pas ? » Sa tête se balance de droite à gauche, il se pince les lèvres, désolé. “Il ne va pas l’initier.” Il ne connaît sans doute pas August aussi bien qu’il le voudrait, mais il peut au moins avancer ces mots sans se faire de souci quant à leur véracité.

« Comment, du haut de tes vingt-trois ans, tu peux avoir ce raisonnement ? » Elle a une voix désolée, Flora, elle qui se rend plus que jamais compte de la vitesse à laquelle Ambrose a grandi, en supprimant sans nul doute une immense partie de ses années d’insouciance. Il casse le possible pathos en ajoutant un rire, aussi bref que faux. Peu importe. Elle n’attend pas vraiment de réponse de sa part, et tant mieux, parce qu’il ne compte pas vraiment lui en donner. Il a grandi plus vite que les jeunes de son âge, bien plus par la force des choses que par envie. « Je vais aller le voir, je te tiendrais au courant. D'ici là, si tu as du nouveau, fais moi signe ? » Il retrouve finalement le regard de sa sœur, n’en menant pas large au milieu de toute cette discussion qu’il aurait très largement préféré éviter, si seulement il l’avait pu. “Oui, bien sûr. Merci Flo.” Merci de s’en charger, merci de le croire. Merci pour tout, pour ne pas tenter de mettre davantage de mots sur ses soucis qui rongent son cœur avec force depuis plusieurs semaines, et tout particulièrement ces derniers jours. “Prends soin de toi.” Et il espère que si elle a un jour besoin d’aide, elle sait qu’elle pourra toujours venir le trouver. Tout comme il espère que lui-même oserait en prendre l’initiative, si le problème venait à se poser dans l’autre sens.