thursday the 12th
Spencer Blackwell & @Mac Sutherland  

Le summer camp touche à sa fin et tu sais pas tellement comment t’es supposée te sentir à l’idée de rentrer. Si au début t’étais pas forcément enjouée à l’idée de passer une partie de l’été ici, finalement c’était pas si mal que ça. Le fait que tu sois pas venue seule a forcément beaucoup joué, hein. Sans la présence de Mac t’aurais sans doute pris ton sac dès la fin du premier jour et t’aurais essayé de rentrer à pied, tout ça pour te paumer au fin fond de la forêt, ne plus jamais refaire surface et finir comme victime principale d’une émission de true crime dix ans plus tard. A la place tu t’es à peu près tenue à carreau pendant le séjour et t’es devenue le cauchemar des plus jeunes à force de leur sortir des histoires flippantes sur l’ermite fou qui vit dans les bois et qui s’en prend à quiconque s’approche de sa cabane faite en ossements (jamais trop dans l’exagération.) On pourrait même aller jusqu’à dire que tu t’es amusée pendant les quelques semaines passées ici, et ça c’est sans doute un accomplissement en soi. T’as pas pensé à tous tes problèmes à la con qui t’attendent à Brisbane, et tu sais pas trop dire si c’est le contact avec la nature ou cette fille que t’as rencontrée et avec qui le courant est plus que bien passé. Au début, t’as hésité parce que ça te faisait un peu flipper, t’as jamais été qu’avec des mecs jusqu’à maintenant et t’avais pas spécialement envie d’être ce genre de meuf qui se sert de quelqu’un pour découvrir que finalement, non, t’es bien hétéro comme il faut. (Spoiler alert : tu ne l’es pas.) Ca s’est fait naturellement et si vous n’en avez pas parlé ouvertement aux autres, vous ne vous êtes pas spécialement cachées non plus. Et puis c’est pas non plus comme si vous étiez un vrai couple et que c’était voué à durer, dans deux jours tout le monde sera rentré chez soi et vous vous reverrez sans doute jamais.
Y a une fête un peu clandestine à la con organisée près du hangar à bateau pour célébrer le dernier soir du camp, avec alcool, joints et peut-être quelques champignons ; courtesy du mono un peu stone que t’as réussi à te mettre dans la poche sans trop forcer. Il est à peine plus vieux que vous et pas franchement crédible dans son rôle, mais au moins il disait rien quand il surprenait quelqu’un hors de sa chambre après le couvre-feu. Et pour ce soir, les autres ont décidé de fermer les yeux et de faire comme si tout le monde allait gentiment se coucher. Tout le monde est quasiment déjà parti là-bas, mais toi tu traînes un peu plus que de raison dans la cabine parce que Mac est toujours affalée dans son lit. Toi tu retournes tes affaires sur le tien, tu fais semblant de chercher frénétiquement un truc en attendant que les autres occupants se barrent. « T’as pas vu mon briquet ? » tu lui lances en espérant la faire réagir. « Mac ? » tu presses un peu plus quand t’as pas de réponse. Sûrement que tu te fais des idées, mais tu la trouve bizarre depuis quelques jours. T’as la vague impression qu’elle te fait la gueule et tu sais pas si c’est parce que tu passes trop de temps avec les autres ou s’il s’est passé un truc que t’as pas vu et t’aimes pas ça. Tu vas te poser sur le bord de son lit, bien déterminée à la faire parler. « T’es morte ? » tu souffles en sachant très bien que non. « Alleeeez, j’sais que tu dors pas. Bouge toi, ils vont tout boire sans nous là. » tout ce que tu trouves à faire, c’est tirer sur sa couverture jusqu'à au moins voir son visage. Ca t’emmerde de rater le début de la soirée, mais ça t’emmerde encore plus d'y être sans elle.

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@Spencer Blackwell & Mac Sutherland    

J'aurais pas dû insister pour qu'on vienne, en fait. J'aurais dû t'écouter, trouver ça un peu nul et ringardos et me laisser convaincre que passer l'été à grimper dans les arbres avec de la bière chaude, tes potes et de la musique sur un vieil autoradio, ça aurait été le summum du fun. Parce qu'en comparaison avec ça, franchement, c'est quasi crédible. Alors voilà : je reste plantée dans mon lit, en pyjama en pleine soirée alors que dehors les autres jeunes célèbrent la dernière soirée, et j'attends qu'un truc vienne miraculeusement réparer mon cœur meurtri pour la cent millième fois du séjour. D'habitude, ce truc en question, c'est toujours toi, mais plus cette fois, et, sans vouloir être trop dramatique, peut-être plus jamais. Parce que je sais : t'es tombée amoureuse. Peut-être pas le coup de foudre d'une vie ou même un truc qui va durer au-delà du séjour, mais c'est quelque chose, déjà – quelque chose qui m'a férocement évincée de ta bulle alors que j'avais dû te tirer par les pieds pour venir. On est venues ensemble, on a tout fait ensemble, et puis elle est arrivée et elle s’est immiscée. J’ai rien dit, au début, parce que j’étais contente que tu te plaises ici, dans mon monde à moi si différent du tien. Puis j'ai pris ta main, et tu t'es dégagée parce qu'elle te regardait.

C’est peut-être con, de me miner pour ça ; je le sais. J’y suis pas étrangère, à ces émotions parasites que je prends trop à cœur. Je m’en veux presque autant qu’à toi, de rester coincée là, bien cachée sous ma couette, à ressasser alors que je pourrais profiter, moi aussi. Tomber amoureuse, peut-être même, rien que pour ce soir. J’y penserais, si tu venais pas me faire chier avec ton briquet. « Mmmmfr », je grogne quand tu relances. Non, j’ai pas vu ton briquet, non, y a pas de Mac sous cette couette. Laisse-moi dormir, prétends que la forme dans mon lit est une illusion et qu’il n’y a jamais eu de Mac. Morte, ça fera très bien l’affaire. « J’ai mal au bide », que je mens sans vergogne quand tu t’enquiers de mon état, comme pour me dédouaner de toute activité ce soir. En vérité, j’ai aucune envie de rater le dernier soir, mais surtout, j’ai aucune envie de voir ta meuf. « Lacey vient ? » demandé-je d’un ton un peu résigné, parce que je connais déjà la réponse ; je sais que je vais passer les quatre prochaines heures à vous regarder fricoter et à me gratter l’intérieur du bras jusqu’au sang pour pas crier, je sais que quoi que je dise ou fasse tu vas me convaincre de venir parce que t’es douée à ce point, et je m’en mordrai les doigts, mais je résiste pas à ton regard de chiot battu.

« Bon. Ils veulent faire quoi ce soir ? » Je me redresse enfin, cheveux dans tous les sens, mine renfrognée collée à la tronche pour le siècle à venir. Ne te méprends pas : je tire toujours la gueule. J’ai juste compris qu’avec toi, c’était perdu d’avance. « Ca parlait pas d’aller faire peur aux petits en faisant le tour du camp ? » A un autre endroit, un autre temps, l’idée m’aurait fait marrer, juste pour la cruauté adolescente dans laquelle on était tous. Mais c’est Lacey qui a proposé, alors je crache un « quelle idée de connard, quand même. » Prends ça, sale voleuse.

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Spencer Blackwell & @Mac Sutherland  

Rien à foutre du briquet, en plus tu l’as même pas perdu vu qu’il est dans ta poche et tu le sais très bien. C’est vraiment qu’une excuse pour traîner un peu en arrière et ne pas rejoindre les autres tout de suite pendant que tu t’assures qu’elle fasse pas la gueule pour une obscure raison. Ou qu’à minima, elle aille bien. Elle prétend avoir mal au bide et t’es pas sûre de la croire, elle avait l’air d’aller super bien toute la journée (enfin si on enlève l’air renfrogné qui ne la quitte plus depuis un moment déjà). « Bein oui. Tout le monde vient. » même Lacey, même les monos qui seront pas trop occupés à se pécho en pensant que personne les a grillé. Ils ont pas idée du nombre de paris qu’il y a eu sur eux, d’ailleurs faudra que t’engueules Dave parce qu’il t’a fait perdre vingt boules en allant pas serrer la bonne personne. Elle émerge enfin, l’air à peine plus motivée que ça et même quand elle fait semblant d’en avoir quelque chose à foutre du programme de ce soir, t’es pas dupe.  « C’est pas un des arguments que tu m’as sorti pour que je vienne ? » tu renvoies l’air de rien, arquant un sourcil au passage. Ca et le fait que globalement les anim laissent faire à peu près tout et que c’est la loi du pas vu pas pris qui s’applique, que la dernière soirée passée sur le camp était incroyable et à ne surtout pas rater. Et au-delà de tout ça, t’es surtout venue pour lui faire plaisir et passer du temps avec elle loin de votre quotidien habituel, sans parler que pour une fois t’as fait en sorte d’aller dans son sens plutôt que l’inverse. T’as fait des efforts -un peu-, sur place t’as trouvé d’autres gens sympas avec qui t’as créé un semblant de lien, et puis Lacey est arrivée. Ça se passait bien au début, et puis elle a commencé à faire la gueule sans que tu saches trop pourquoi. Enfin t’as une vague idée, mais c’est con parce que ça peut pas être ça. Tu quittes son lit et tu ramasses ses fringues laissés en vrac à côté pour les lui filer et la laisser s’habiller, parce qu’elle va pas y aller en pyjama et que toi tu sors pas sans elle. Pendant ce temps-là, tu lui tournes le dos pour lui laisser un semblant d’intimité en faisant genre de ranger le bordel étalé sur ton matelas. « En plus c’est l’occasion parfaite de se venger de l’autre Peter là. » il a beau avoir à peine dix ans, ça n’en reste pas moins un sale petit con qui mérite une bonne frayeur pour le calmer. « Mais si tu veux pas faire ça on est pas obligées d’y aller hein. » rester autour du feu à picoler et à raconter des histoires à la con, c’est pas mal aussi. Tu fixes toujours la porte droit devant toi en attendant qu’elle se change, sauf que tu tiens plus. « Mac ? J’ai fait un truc qu’il faut pas ? » tu demandes en balançant un regard furtif par-dessus ton épaule pour t’assurer qu’elle se bouge un minimum. « Genre tu m’en veux ou- Si c’est pour l’autre coup j’t’ai dit que j’étais désolée. » désolée de lui avoir posé un lapin quand t’avais promis que tu l’accompagnerais à la sortie sur le lac. T’as un peu perdu la notion du temps parce que du coup t’étais avec Lacey et t’as complètement zappé tout le reste. Tu pourrais développer encore, continuer à t’excuser pour tu ne sais quoi, mais ton attention est vite reprise par la lumière qui se coupe brusquement. Un simple regard par la fenêtre et tu vois que c’est tout le camp qui est plongé dans la pénombre. Ils ont le droit de faire ça ? Couper complètement le courant pour une blague de merde ? « Ah bah j’pensais pas qu’ils allaient commencer tout de suite. » faut croire qu'ils étaient pressés d'aller faire hurler de terreur les petits.

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Est-ce qu’il y a un briquet, même, et est-ce qu’il y en a pas dix dehors que t’aurais pu avoir juste en tendant le bras sans venir me demander à moi ? Je sais que si, mais je me pose pas la question : t’es là pour tout autre chose, on le sait toutes les deux. Tu tardes pas à l’exprimer, et moi, je continue de me réfugier dans mes grognements, parce que si je te laisse voir que ça me touche, je suis partie pour pleurer et tout t’avouer pour te voir fuir ensuite. « Nan mais c’est bon, t’as le droit d’avoir ta vie, hein. T’as pas de raisons à me donner. T’sais quoi ? Laisse tomber. » C’est con, c’est injuste pour toi, mais j’ai même pas envie de t’expliquer. Je vois déjà ton regard rempli d’incompréhension et de crainte, parce que c’est toujours comme ça que se terminent ce genre de discussions ; tu comprends pas ma jalousie, je dois te l’expliquer, je m’embourbe dans des excuses creuses à travers lesquelles tu vois comme en plein jour, et on sait plus quoi dire alors on dit plus rien. Un jour, parfois deux, parfois une semaine. Je panse mon vide et je me promets de plus recommencer.
Ce soir, j’ai envie d’esquiver toute cette charade et de passer au résultat final : qu’on me foute la paix, jusqu’à demain, et on fera comme si de rien n’était, parce qu’il ne se sera rien passé. Lacey sera repartie au bout du pays avec sa famille, elle deviendra une chimère que t’oublieras bien vite, et tout reprendra comme avant. L’autre coup on s’en souviendra même plus, et pas parce qu’il s’est déjà produit plusieurs fois, mais parce qu’il n’aura plus aucune importance. « J’suis en plein SPM, ça va passer », j’ajoute depuis la couette, soucieuse d’apaiser le coup, de te montrer que je suis de mauvaise humeur, mais que c’est pas contre toi. Et c’est vrai : c’est pas contre toi. Du moins, ça devrait pas l’être.
« Putain t’es ser-... » Je m’arrête immédiatement en me redressant et en constatant que c’est pas toi, qui as éteint la lumière ; un coup d’oeil au niveau de la fenêtre près de mon lit et je constate que c’est le camp entier, qui a sombré dans la pénombre. « On va se faire défoncer par les monos, s’ils apprennent ça. » Mais à tous les coups, ils sont en train de se pécho ou de vomir toute la vodka qu’ils cachent sous leurs matelas : ils s’occuperont pas de nous, ce soir.
Je me redresse d’un coup d’un seul, la culpabilité et la colère restées au fond du lit : « Bon, à tous les coups si on reste là, ils vont venir nous éclater des oeufs pourris sur la gueule, moi je reste pas. » Et je chope mon Blackberry pour m’éclairer à trente centimètres dans le noir, avec un paquet de clopes que je traîne sur ma table de chevet comme une ado déprimée qui écoute MCR en regardant la pluie. « Vas-y, prends la tequila, on sait jamais. » Peut-être que ça va finir en feu de camp improvisé et en beuverie. J’en ai aucune envie, mais je suis pas non plus fan de l’idée de rester seule dans le noir ici. « J’espère que c’est pas encore un de tes trucs à la con, hein. » Mais j’entends crier au loin et je m'empêche de saisir ta main pour bien marquer le coup. J’aime pas ça, mais j’aime encore moins te faire la gueule. « On va au centre d'accueil ou on va vers la rivière ? »

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Spencer Blackwell & @Mac Sutherland  

T'as aucune idée d'où ça sort, cette agressivité passive à ton égard. Alors tu la regardes sans comprendre, blessée par son attitude dans un premier temps, mais surtout vexée dans un second. C'est ton orgueil qui en prend un coup, ce soir. Les lèvres pincées, tu fais comme si de rien n'était en acquiesçant alors que ça se lit sur ton visage et qu'elle est sans doute la plus douée pour te déchiffrer. « T'es chiante. » tu marmonnes quand même sans pour autant la regarder. Toi non plus, t'as aucune envie de te disputer, surtout pas ce soir alors que vous êtes supposées aller vous éclater avec les autres avant de rentrer sur Brisbane où vous ferez comme si tout s'était bien passé. Et pour la fin de l’été, tu retrouveras tes potes peu fréquentables, elle retrouvera les siens et tout le monde sera content.
Et avant que tu ne puisses t’offusquer ou insister davantage sur la raison pour laquelle elle se montre si distante ces derniers temps, les autres lancent les hostilités. La lumière se coupe brusquement, ça commence déjà à gueuler de terreur dehors et si t’es tout à fait honnête, t’es même plus trop d’humeur pour aller faire la fête ou même bouger avant d’avoir terminé la conversation. « Tu parles, ils sont tous trop occupés pour remarquer. » éventuellement si ça coupe les musiques d’ambiance qu’ils ont prévu pour couvrir leurs bruits, ça peut les faire chier mais autrement t’es même pas sûre qu’ils se ramènent parce qu’ils auront trop la flemme pour faire quoi que ce soit.
Cela dit, elle marque un sacré point avec les oeufs pourris. T’as pas non plus envie de servir de cible alors qu’à la base, t’es déjà supposée être à la fête. T’acquiesces en silence, t’embarques dans ton sac à dos la bouteille de tequila soigneusement planquée dans ta valise (tout le monde savait sûrement qu’elle était là mais tant pis, personne a rien dit et ça t’arrange bien.) « J’fais pas de truc à la con. » tu bougonnes, et mis à part tous les mauvais coups que t’as déjà fait, c’est à peu près vrai. « Si on va à l’accueil j’suis sûre qu’ils auront préparé une vieille blague à la con pour le premier qui vient essayer de rallumer. » c'est même carrément sûr. C'est un coup à se prendre un seau avec tous les restes de la cantine sur le coin de la gueule et autant dire que t'as aucune envie de subir un truc pareil non plus. « En plus tout le monde va se retrouver à la rivière. » autant les devancer et aller piquer les meilleures boissons le temps que tout le monde se ramène. Ni une ni deux, tu sors et tu prends la direction choisie sans rien ajouter. Tu jettes quelques coups d'œil suspicieux aux alentours histoire de t’assurer que personne n’est déjà là prêt à vous envoyer tu ne sais quoi de dégueu à la gueule et t’avances vers le sentier qui passe par les bois. D’ordinaire c’est le plus sombre, mais là c’est partout pareil alors autant prendre le chemin le plus court, faudra juste faire gaffe à pas se prendre les pieds dans une racine ou un caillou.
Tête baissée et mains dans les poches, tu marches un peu devant elle et sans pouvoir t’en empêcher, tu rumines sur toute la situation, sur ses réactions et la raison commence à te paraître plus qu’évidente. « T'aurais dû me le dire, tu sais. » tu lâches en shootant dans une pierre, ça serait con de se blesser avec. « Si tu voulais tenter un truc avec elle. J't'aurai laissé la place, j'm'en fous d’elle. » Et c'est peut-être bien là le fond du souci, tu captes pas les bonnes choses et de ce fait, c'est toute ton interprétation qui est faussée. Si elle fait la gueule et qu’elle t’en veut, c’est forcément parce qu’elle était intéressée par Lacey et que tu lui as juste coupé l’herbe sous le pied. « Genre j’sais que Mike était intéressé aussi, ça m’change rien moi. » c’est dingue à quel point tu te rends pas compte de ce que tu dis. Et bon Mike c’est un peu un des idiots du camp, grand brun un peu trop sûr de lui et grande gueule. Ca aurait jamais marché avec lui.
T’es prête à continuer, mais un bruissement attire ton attention. L’occasion parfaite de faire comme si t’avais rien dit et de changer de sujet. « T'as entendu ? » que tu demandes alors en t'arrêtant un peu brusquement, cherchant à déterminer si y a bien quelque chose ou si t’es juste un peu trop sur les nerfs.

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@Spencer Blackwell & Mac Sutherland    

Je me sens estomaquée, quand tu sors ça comme si c’était évident, comme si bien sûr le coeur du problème c’était Lacey et pas toi, comme si c’était elle que je voulais et pas toi, et j’ai envie de jeter ton briquet par terre pour l’écrabouiller comme tu le fais avec mon coeur rien qu’en étant aussi aveugle. Première étape : la colère, avant de passer à nouveau au déni - rien n’est dans l’ordre. Tu t’en fous d’elle, puis y avait Mike, et l’un ou l’autre ça change rien pour toi, et pour moi ça devrait rien changer non plus. Dépression direct, bam, pas d’étape intermédiaire, j’ai rien à négocier avec toi. Je peux pas m’empêcher de lâcher, d’une voix sardonique et dégoulinante de dédain au possible : « Ah, super, j’suis sûre qu’elle serait contente de savoir que tu t’en fous d’elle. » Tellement que tu passes tout ton temps avec elle, quitte à oublier le temps que tu dois me consacrer, à moi. J’aimerais prétendre que je suis pas jalouse, que ça me rassure que tu lui donnes une position tellement inférieure, mais je peux pas m’empêcher de me dire que c’est des mots vides, ceux qui rassurent. Je te déteste encore plus de pas être franche, de vouloir m’apaiser sans qu’il y ait rien derrière, et soudain j’ai qu’une envie : me barrer de ce camp, retrouver notre quotidien, celui où tu mens pas, même si ça blesse. « Tu crois vraiment que j’suis jalouse, pour elle et toi ? » Ca sort parce que j’arrive pas à passer au-dessus, malgré tout : je bloque sur l’idée que tu puisses te tromper complètement, et que peut-être, dans une réalité alternative complètement illusoire, ça change quoi que ce soit, que je rectifie le tir. Que je corrige tes hypothèses toutes pétées et que je te remette au centre, sans détour ni place au quiproquo. « J’m’en branle de Lacey. Sûrement plus que toi. » Et merde, débrouille-toi pour comprendre, parce qu’il fait froid, et mine de rien je commence à flipper.
Le destin veut pas qu'on en parle, de toute façon, parce qu'on est interrompues par un bruit sourd sur la droite ; un espèce de thud humide qui laisse penser à une veste mouillée lâchée sur un rocher. « C'est quoi ça, encore ? » Je lâche, presque énervée, contre toi ou contre moi, je saurais pas le dire. Qu'importe : je commence déjà à m'avancer vers l'origine du bruit, persuadée de trouver une énième blague ou un gamin pétrifié caché dans un buisson. « Hé, vous foutez quoi ? » J'annonce bien fort, histoire de pas prendre l'importun au dépourvu alors qu'il nique complètement notre conversation. « On aurait dû rester au camp, j'en étais sûre. Ça va remonter aux oreilles des monos et on va s'faire démonter. » Ma main retrouve même pas la tienne, pour la peine, parce que je la force consciemment à rester à mes côtés alors qu'on arrive aux abords du buisson d'où vient le bruit.

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Spencer Blackwell & @Mac Sutherland  

T’as toujours été maladroite sur tout un tas de choses, ta façon de t’exprimer en particulier. La plupart du temps tu parles et c’est qu’après coup que tu te rends compte que t’aurais pas dû dire ça ou que t’aurais dû le faire autrement. « C'est pas c'que j'voulais- » tu t'interromps parce que si, c'est exactement ce que t'as voulu dire en fait. Et puis à quoi bon se justifier puisque de toute manière, elle ne te crois visiblement pas. Lacey, si tu l’apprécies, n'est rien d'autre qu'un flirt d'été que tu reverras plus jamais à partir de demain, alors dans le fond ça n’a aucune importance. T'essaies de lui expliquer, sauf que tu t'enfonces dans tes justifications bancales et elle ne manque pas l’opportunité de te le faire remarquer. Forcément tu te vexes, tu te fous sur la défensive et tu sais plus quoi lui dire ou comment t'excuser. T’aimerais savoir faire autrement, mieux contrôler tes émotions parasites qui te font sentir aussi honteuse que coupable sans que tu ne comprennes pourquoi, mais t’en es incapable. Pour toute réponse, tu carres les épaules et tu retiens pas le ton agressif qui sort pour se calquer au sien. Bien sûr qu’elle est jalouse, et clairement elle ment en disant qu’elle en a rien à faire, sinon vous seriez pas en train de vous prendre la tête à ce sujet. « Bein j'en sais rien vu que tu veux pas répondre clairement. » tu relances à ton tour, prête à pousser en demandant clairement c’est quoi le problème et pourquoi elle se comporte comme ça alors que vous êtes supposées vous éclater pendant ce séjour. Encore une fois, la seule alternative que tu vois dans ton esprit étriqué, c'est qu'elle est intéressée par Lacey. Impossible de simplement imaginer que ça puisse être toi, vous vous connaissez depuis trop longtemps et tu le saurais si c’était le cas. T'es pas tellement contre l'idée, ça t'es même arrivé d'y penser un coup de temps en temps. Souvent en fait. Mais c'est tout ce que tu t'autorises parce que vu comment ça termine toujours quand tu sors avec quelqu’un, t'as décrété que ça n'arriverait jamais. Vous êtes bien comme ça, vouloir plus c’est risquer de la perdre et tu refuses que ça arrive un jour à cause d’un crush débile.
Sauf que voilà, y a du mouvement à côté et ça vous interrompt avant que tu ne puisses aller plus loin dans tes réflexions et que tu ne la questionnes d’avantage. Sans aucun doute une blague à la con qui aurait pu te faire marrer en temps normal, mais clairement plus maintenant. La seule chose dont t’aies envie dans l’immédiat, c’est la laisser se démerder avec les plaisantins pour aller t’isoler avec Lacey et ta bouteille de tequila dans un coin, ça lui fera les pieds. En tout cas, ils ont réussi à foutre une ambiance glauque à souhait entre la coupure générale et les embuscades au milieu des bois, même toi t'es pas tranquille. « Ça va ils sont tous en train de baiser, détends toi un peu. » Tu lâches, l’air agacée, en lui emboîtant tout de même le pas. Dans le pire des cas, vous allez trouver quoi ? Genre une poupée placée là exprès pour faire peur juste avant qu’on ne vous saute dessus pour vous offrir une bonne frayeur. Sauf que non. A mesure que vous vous approchez de la lampe au sol, y a cette odeur nauséabonde qui t'agresse les narines, genre ça te rappelle la fois où un gamin du foyer avait laissé pourrir un steak dans un placard, ça puait exactement pareil. Par réflexe tu remontes le col de ton tshirt pour bloquer la senteur et tu ne peux que constater la carcasse putride gisant sur le sol. Par réflexe, t’attrapes Mac par le poignet pour la tirer derrière toi et passer devant elle. « Putain ils sont sérieux- » Ils vont un peu loin pour une blague, non ? A tous les coups c’est un truc qu’ils ont récupéré auprès d’un chasseur local, tout ça pour un truc même pas particulièrement drôle. Rapide regard aux alentours, t’essaies d’entendre quoi que ce soit d’autre que le bruit assourdissant des mouches à viande, mais toujours rien. Après un moment, tu vas rapidement récupérer la lampe en retenant un haut-le-coeur quand tu t’approches trop près de la pauvre bête. « C’est des grands malades. » Tu marmonnes en observant de nouveau les alentours à l’aide de la lumière avant de retourner près d'elle, toujours persuadée que c’est une connerie organisée par Mike et sa clique. Bon, t'as plus tellement envie de la laisser seule ici ou même de rejoindre les autres, t'as même presque oublié pourquoi vous étiez en train de vous embrouiller à la base. « On reste pas là. » Ni une ni deux, tu l’entraînes à ta suite en prenant sa main, direction le hangar à bateaux. A priori devrait y avoir personne là-bas. « Tu veux- On fait quoi ? » à aucun moment tu n’envisages d’aller prévenir les monos, soit ils vont vous rire au nez, soit ils vont carrément être dans le coup. T’as pas non plus envie de courir après le responsable de la vanne à la con.

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@Spencer Blackwell & Mac Sutherland    

Ce que tu m’emmerdes, avec tes hésitations et ta fausse innocence qui tombe au pire des moments, voilà ce que j’ai envie de te dire, autant que j’ai envie de te foutre le nez dans ta merde sans que ça n’ait d’importance demain, parce que la voilà, la vérité : ça me flippe autant que toi tout ça, sinon plus, et la dernière chose que j’ai envie de faire d’habitude, c’est de risquer de mettre notre routine en péril. N’importe quand d’autre, j’en aurais rien eu à foutre de Lacey, et je serais passée au-dessus comme une grande avec n’importe qui de dispo et qui ne te ressemble pas assez pour que je me pose des questions. Mais ce soir j’ai peur ; je suis au bord d’une crise de nerfs, retenue seulement par une adrénaline qui court à un taux trop important pour être négligée. J’aime pas le noir, j’aime pas la colo soudain silencieuse et l’atmosphère pesante, et tout ça ressort sur toi, avec un ton toujours plus hargneux et sans répit possible. « C'est d'elle que j'suis jalouse. Ça te va comme réponse claire ? » Je te claque ça gratuitement et ça n’appelle pas de réaction de ta part, puisque je continue de m’enfoncer dans un environnement sombre qu’on ne reconnaît même plus, sans aucun bruit pour nous situer, jusqu’à celui qui nous coupe.

L'odeur acide fait grimper bile et larmes en parallèle, ça agresse tous mes sens d’un coup sans que je puisse m’en enfuir : c’est le genre d’odeur qui restent, qui s’impriment dans l’âme, le genre qui changent une personne une fois qu’elle l’a sentie. Le genre qui te pousses à te dire que ça, ce sera toi un jour si on te brûle pas ou qu’on t’embaume pas avant. C’est primal : si je détourne pas le regard, dans deux secondes, je vomis. « Mh », je geins faiblement, ma main libre bouchant complètement mon nez et ma bouche sans grand intérêt alors que l’autre s’agrippe à ton sweatshirt, restant derrière toi alors que t’inspectes ce qui se situe devant nous sans me demander (ni m’autoriser) de regarder. J’ai plein de questions à poser, aucune réponse à vouloir et d’un coup c’est plus fort que moi : l’astringence me fait tousser et je sais que si je tousse une seconde fois, ça va tout sortir. Alors je la ferme, je te laisse nous guider loin de l’odeur et ce n’est qu’une fois dans le hangar à bateaux et la porte refermée que je me rends compte que je n’ai lâché ni ton haut, ni la manche qui recouvre mon visage. Je te lâche que quand tu te poses, mais ma main en masque refuse de se baisser par peur de sentir à nouveau l’odeur.

« Vas-y, file, j’en ai besoin. » Je sais rien répondre d’autre à ta question, alors je chope d’office ta bouteille et je bois une longue rasade avant de m’en verser sur les mains, peut-être par espoir que ça me désinfecte, que ça me lave de l’odeur. Je sens ton regard noir et je fais comme si de rien n’était. « Ce… » Ca y est, je retrouve mes esprits, l’alcool a un effet révélateur plutôt que l’inverse habituel et je me rends compte de la merde dans laquelle on est. Je ne pense même pas à une blague : tout ça fait trop réel, trop calculé, et je suis trop proche de mes émotions pour être rationnelle. « C’était quoi, ça ? » finis-je par demander, sans préciser si je fais référence à la carcasse, à l’odeur, ou à ce qui a bien pu faire ce bruit, d’un coup, alors que la carcasse en question n’a pas pu bouger toute seule. Je retiens mes mains tremblantes avant de les enfoncer dans mes cheveux, me rappelant distraitement de l’alcool qui y sèche et les rend poisseuses. « C’était un peu trop chelou pour une blague de merde, on est d’accord ? » La bouteille revient en ma possession, mais je ne bois qu’une demi-gorgée avant de me rendre compte que je suis trop écoeurée pour en avoir envie. Je me laisse tomber sur le banc à côté de toi, trop fébrile pour tenir encore, soudain vidée de toute énergie. La nuit me semble d’avance trop longue, trop compliquée, et j’ai envie d’être partout sauf ici. « On devrait rentrer, non ? » Je murmure, regard fixé loin devant, de l’autre côté du hangar, ou peut-être aux dortoirs où les lits chauds nous attendent, ou à Brisbane, qui semble à des années lumières d’ici. « Genre, dans les chambres. Si on y va, ils nous foutront la paix, personne ira regarder là-bas de toute façon, nan ? » Ou alors c’est là qu’ils iront réveiller les plus couche-tôts avec une blague de mauvais goût, du genre des araignées dans le lit ou un masque de Scream sur la tronche. Mais le hangar, aussi loin qu’il soit, froid et isolé, me paraît tout sauf un bon choix de planque. Peut-être qu’il y a que moi qui veux me planquer, cela dit ; peut-être que t’as envie d’y retourner, de les faire flipper aussi, de voir Lacey et ses idées de merde et son décolleté où elle a mis du maquillage pour coller au thème, avec ses seins à la con et son eyeliner de merde. Je saisis inconsciemment ta main avec la mienne, collante d’alcool, et entremêle nos doigts comme pour te retenir. « Tu restes, hein ? T’y retournes pas, s’te plaît ? » Peut-être que si je prie, t’oublieras ses seins pendant cinq minutes.

thursday the 12th
Spencer Blackwell & @Mac Sutherland  

T’as rien compris. Ni comment ça a démarré, ni pourquoi c’est arrivé, mais voilà, une énième dispute qui se solde par ton mutisme parce que tu ne sais plus quoi dire ou quoi répondre. Tu comprends rien, et certainement pas pourquoi elle serait jalouse de Lacey. C’est personne, Lacey, juste une meuf présente le temps d’un séjour loin de chez vous, nullement une menace à votre relation ou à ta loyauté envers ta meilleure amie. Si elle veut que tu la largues ou que tu lui parles plus, ok, très bien. Ça te fera chier mais t’es prête à t’exécuter juste pour lui faire plaisir. Rien ne fait sens dans ton esprit, ni les mots de Mackenzie, ni l’ambiance glauque à souhait de cette dernière soirée de colo, ni la carcasse de sanglier à vos pieds. Avant même que ton cerveau trop lent n’arrive à décortiquer ses mots et à leur donner une explication cohérente, tu te retrouves à faire barrage pour l’empêcher d’approcher trop près ou de simplement poser les yeux sur l’horreur grouillante qui gît dans la pénombre. C’est rien, t’essaies de te rassurer, de trouver une logique ou une raison à la présence de l’animal ici, et malgré toutes les théories qui te viennent, aucune ne semble suffisante pour réellement te convaincre. Alors tu préfères la retraite, l’entrainant à ta suite pour la protéger d’un éventuel animal sauvage attiré par l’odeur putride ou d’une attaque de sanglier zombie. Ils sont vraiment trop cons, les mono, et ils doivent vraiment bien se marrer en vous regardant galérer comme deux connes dans la nuit noire.
Le hangar à bateau, s’il n’est pas spécialement plus rassurant dans son apparence, a au moins le mérite de vous offrir un abri, un court répit le temps de reprendre vos esprits. C’est idiot comme premier réflexe, d’aller chercher l’alcool dans le fond de ton sac, pourtant c’est la seule alternative qui te semble valable pour le moment. Tu te répètes la scène en boucle, tu rejoues les événements, même pas sûre de savoir ce qui est vrai ou pas. Pourtant l’odeur te reste dans le nez et c’est suffisamment réel pour te ramener à la réalité. Distraitement tu lui files la bouteille, t’essaies d’additionner deux plus deux et de rassembler les morceaux sans pour autant y arriver. Merde. « Je sais pas, » tu lâches d’une voix blanche, le regard fixé sur tes doigts que t’es en train de tordre dans tous les sens, suffisamment fort pour faire mal mais juste ce qu’il faut pour t’ancrer dans cette réalité étrange. Aucune idée de ce que c’était, de pourquoi c’est arrivé ou de qui a pensé que ça ferait une bonne blague. « Je sais pas. » Tu répètes alors que dans le fond, oui, t’es plutôt d’accord sur le fait que c’est vraiment chelou comme blague, mais en même temps tu vois pas d’autre explication. « Peut-être qu’on devrait- Qu’on devrait rester là. » Vous êtes bien, là, non ? Personne sait et par logique, personne viendra vous faire chier. T’as plus envie d’aller voir les autres, t’as pas envie non plus de retourner là où on vous attend sûrement pour mettre en oeuvre la suite de la blague de merde et porter le coup fatal. C’est à peine si tu réagis lorsqu’elle prend ta main, t’as le regard toujours accroché sur le néant devant toi et tes pensées sont tout sauf en ordre. Tout ce que t’arrives à faire, c’est secouer la tête, l’air de dire “non, j’y retourne pas” avant d’enfin serrer ses doigts et tourner la tête vers elle. Quand bien même il y a plus important dans l’immédiat, ton esprit revient sur ce qu’elle a dit avant ; à propos de Lacey, du fait qu’elle soit jalouse et tu te répètes qu’elle n’a aucune raison de l’être. Le silence s’installe pendant que tes yeux restent fixés à ses traits inquiets, tombent sur ses lèvres pincées et s’y attardent plus que de raison, inconsciemment, tu te dis que t’aimerais mieux l’embrasser elle plutôt que Lacey. Tu le sais, pourtant, que tu te fais des idées et que c’est sans doute pas ce qu’elle a voulu dire et que t'as forcément mal interprété ses paroles, alors tu te forces à regarder ailleurs et à ne pas revenir dessus au risque de relancer l’esclandre, c’est absolument pas le moment. Juste pour te remettre d’aplomb et prendre l’air de rien, tu te racles la gorge avant de te relever sans pour autant lâcher sa main. « Viens, on a qu’à aller trouver le directeur et rester avec lui. » Faudra juste pas lui parler trop près pour éviter qu’il sente votre haleine alcoolisée, mais c’est la seule chose sensée à faire. Les monos sont soit responsables de toute cette mascarade, soit dans le coup, donc aller les voir c’est pas la meilleure idée. Y a rien d’autre qui te vient, pas de brillante idée pour rebondir, pas l’envie de rejoindre la fête ou de chercher une explication à tout ça. T’as à peine le temps de remettre la bouteille dans le sac et d’essayer de l’aider à se relever à son tour qu’un hurlement à glacer le sang s’élève dans le lointain, attirant forcément ton attention.

Allez on rentre dans le vif du sujet, terminées les blagues

Win : Dans un grand fracas, quelqu’un vient tambouriner contre la porte fermée. Ca frappe des poings, ça appelle au secours et finalement le fameux Mike force la porte et rentre complètement paniqué à l’intérieur du hangar. Il a l’air d'avoir vu la mort en personne et tient des propos insensés, son tshirt est couvert de sang mais il n’a pas l’air blessé pour autant.
So close : Quelque chose de la taille d’un ballon de foot brise une des fenêtres tout de suite après le cri et vient rouler aux pieds des deux filles. La frayeur du moment passée, elles peuvent se rendre compte que ce n’est absolument pas un ballon mais qu'il s'agit une tête.  
Fail : Finalement elles sortent et en passant à côté d’un des canöes à l’extérieur, un bourdonnement assourdissant peut se faire entendre. Pire encore, la même odeur putride que celle du sanglier s’en dégage, se faisant plus forte à mesure qu’elles s’en approchent. Sauf que cette fois, ce n’est pas un animal qui se trouve là-dedans.

Je me sens nauséeuse, incroyablement à côté de mes pompes : j’ai jamais vu ni senti de cadavre mais je crois que maintenant l’odeur me suivra toute ma vie ; on est à des lieues de notre vie habituelle et j’ai envie de rentrer, j’ai terriblement envie de voir ma mère, qu’elle pose une main sur mon front et qu’elle me frotte le dos comme elle en avait l’habitude pour m’endormir quand j’étais gamine, et je sais pas ce que je donnerais pour que ça arrive ne serait-ce qu’une fois. A l’instant, je ferais n’importe quoi pour un moindre geste de réconfort qui sente bon la maison et le connu - tous ces trucs qui me faisaient chier, avant, tous ces trucs que j’ai balancé sans conscience de mon privilège en partant en camp sans dire au revoir à Papa parce qu’il m’avait saoulée.

Il n’y a plus que toi et je me raccroche à ça : j’essaie d’oublier l’odeur, les cris distants, la sensation oppressante qui m’écrase les poumons pour me concentrer sur ta chaleur corporelle proche de la mienne, ton alcool qui brûle mon gosier, ton épaule en poids rassurant contre la mienne. Ca m’ancre, un peu, autant que faire se peut dans ce contexte où l’envie prédominante est de disparaître complètement en fines gouttes de vapeur. M’échapper de mon corps me semble être la seule option viable, l’adrénaline montante mais encore trop faible pour réellement me maintenir : je sens la fatigue qui tombe sur moi, le cerveau qui a du mal à process ce qui nous arrive, et tu es là, la seule que j’aie envie de voir. « Ouais. On peut. » On peut rester ici et attendre le lendemain, ou un signe que c’est apaisé dehors. Pour l’heure je prends ta main dans la mienne et je te supplie de rester avec moi, le dernier élément normal de tout ce qui se passe, et je suis encore convaincue que rien n’est vrai, assez pour m’enhardir. Assez pour voir ton regard sur mes lèvres, comme une ombre qui se pose et tarde à partir, et assez pour que m’y focaliser me fasse oublier que mon coeur saute d’une terreur froide et de rien d’autre. Je regrette de pas t'avoir dit plus tôt que je voulais que tu largues Little Miss Soupe aux Choux et que tu m'embrasses moi, parce que c’est trop tard, terriblement trop tard. On a trop à survivre, avant ; tu t’en rends compte en même temps et décide de te relever. J’ai presque envie de protester : on avait convenu de rester ici et d’attendre que ça passe, mais on ne peut pas passer la nuit dans un vieux hangar sans avertir qui que ce soit. Je me redresse avec ton aide et prend une profonde inspiration, comme pour me préparer à ne plus jamais sentir d’air non vicié par la chair véreuse.

Et d’un coup, le chaos : un hurlement qui nous fige, au loin, et un éclat, beaucoup plus proche. Je n’ai ni l’instinct de me protéger la tête ni de m’écarter : j’ai crié, brièvement, et à peine plié les jambes pour me faire plus petite qu’un ballon roule à quelques mètres de nous. « Putain ! » C’est tellement tremblant que ça ne vaut pas grand-chose. Il faut une bonne minute pour que je sorte de ma torpeur et que je m’approche de l’objet. La pénombre et la panique m’empêchent pendant un bon moment de distinguer la tête de Joaquin, un de nos moniteurs. « Oh merde, bordel, c’est quoi ça ? » S’ensuit un flot inintelligible de paroles qui ressemblent plus à des onomatopées, parce que je le sais : si j’arrête de parler, je vomis. Quelques part dans ma diatribe, les mots se transforment en prière rapide dont j’oublie la moitié des mots en hébreu, comme si ça allait me sauver de là, de l’horreur, de la tête vraisemblablement réelle tranchée à nos pieds : je ne pense pas à la personne qui l’a lancée, seulement au fait que je ne veux absolument pas être ici. Je te le dis, peut-être, ou pas : j’ai envie qu’on parte. Je rattrape d’office le sac à dos tombé, prête à foutre le camp avec toi sur les talons : partout sauf ici, tant pis pour les risques.