Ca aurait dû être une super soirée ; j’avais pas bu, au début, parce que je te soutiens de façon inconditionnelle, que je suis foutrement super-capable d’être sobre même avec mes potes qui le sont jamais, et que c’était important pour moi de tous te les présenter après des années à avoir séparé les deux mondes. Y a les filles, mais y a aussi des potes, d’anciens collègues, des amis de Margot qui sont devenus mes amis à moi et y a fort à parier que t’en aies croisés un ou deux au Nouvel An, mais ils étaient suffisamment beurrés pour ne plus s’en souvenir et toi suffisamment perdue pour les avoir effacés. Je me suis faite belle comme jamais et j’ai prié jusqu’à la dernière minute que tu viennes, que t’annules pas par peur que ça fasse trop, trop de gens, trop de tentations, trop de souvenirs que tu voudrais pas revivre. Mais t’es venue, tu tirais la gueule et tu puais le stress mais t’étais prête à tout donner, et je me suis rendue compte que pour la première fois depuis des années, on pouvait enfin profiter comme des gens normaux. Comme un couple normal, même, et qu’importe depuis combien de temps on a officialisé entre nous, je me demande même qui était au courant, avant ce soir.
C’était pas chez Alice, ce soir - pourtant c’est toujours chez Alice, la gosse de riche au penthouse avec la pyramide de champagne pour décoration quotidienne - : le groupe avait choisi à la dernière minute de dévier chez Jasper pour sa pendaison de crémaillère, et c’était peut-être le premier signe que j’aurais du faire demi-tour. Jasper, c’était l’ex d’Alice, et c’était surtout le drama king du coin, gosse de riche mal dégrossi qui avait pris pour son grade à l’adolescence et qui avait sorti ses pecs et toute la puissance de sa méchanceté à l’âge adulte. Un mec sympa, au fond, qui dégueulait l’envie d’être aimé et, forcément, qui cherchait l’amour partout où il pouvait être, même dans les pires endroits. Ca me faisait redouter de t’y ramener, ne serait-ce que pour ce qu’ils avaient pu entendre ou comprendre de toi ; surtout, ça me sortait complètement de tout élément de confort relatif aux invités possibles, et j’étais même plus foutue de te rassurer correctement. « On se dit 1h là-bas et on rentre, ça t’va ? » Mes doigts tapotent nerveusement le volant tandis que je me gare à l’adresse indiquée, et j’espère que tu remarques ni ça, ni le besoin de mettre Waze pour aller chez une pote proche. « Ca va être cool, en vrai, tu vas voir. » Parce que bien sûr, que je t’ai pas mise au courant des changements de plan ; je te sens déjà morte de trouille et j’ai pas envie de te catapulter dans l’inconnu total. Faut que je tienne debout, que je sois forte pour deux, que je me déglingue la tronche au champagne et que je me tienne au créneau d’1h. Ca sera vite passé, je me dis en détachant ma ceinture. De toute façon, qu’est-ce qui pourrait arriver de mal ?
Je rattache nos doigts et les entremêle pour porter les tiens à mes lèvres ; tu es belle, ce soir, comme tous les autres, mais ce soir je sais que t’as fait un effort spécial, parce que c’est important pour toi. Je culpabilise encore plus de t’emmener ; peut-être que c’est pas le jour, pas l’heure, pas les bonnes personnes au bon endroit, mais si mon cerveau panique mon corps s’en fout, parce qu’il avance jusqu’à presser la sonnette et taper la bise la plus hypocrite du monde à Jamie, parce qu’il sera le premier à remarquer ma gueule déconfite si je plaque pas un masque serein sur mon visage. « Trop belles, mes chéries, bienvenue, Spencer c’est ça, enchanté, faites comme chez vous », il lâche, et le mec respire jamais, ça me fait suffoquer à mon tour, et comme si ça suffisait pas, je vois des cheveux bruns et bouclés qui se baladent en arrière plan, par-dessus des boucles blondes à lui, et mon corps (toujours lui) comprend avant même que mes neurones ne se connectent.

@Spencer Blackwell

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Spencer Blackwell & @Mac Sutherland    

Cool, c’est peut-être pas l’adjectif qui te vient tout de suite à l’esprit quand tu visualises la soirée qui se profile. Mais voilà, tu t’es promis de faire des efforts pour elle et ça commence par ne pas faire de manières quand il s’agit d’aller rencontrer son cercle de potes. Tant pis si t’es terrifiée et tant pis si tu sais que tu vas probablement être mal à l’aise toute la soirée. T’as aucune envie d’être le genre de personne qui empêche sa meuf de sortir s’amuser uniquement parce que tu sais pas prendre sur toi. Alors tu carres les épaules et tu ravales tes craintes absurdes. C’est con parce que tu sais très bien qu’en temps normal, tu les aurais noyées dans de trop nombreux verres d’alcool accompagnés d’un rail ou deux, sauf que là, ni l’un ni l’autre n’est envisageable. Pas d’arme secrète pour appréhender une soirée stressante au possible, donc. Tu te rappelles même pas la dernière sortie que t’aies faite sans rien avoir dans le système, probablement jamais, si t’es tout à fait honnête. Ça a commencé parce que tu voulais qu’on t’apprécie, ça a continué parce que tu savais plus faire sans. C'est pourtant ce que tu dois faire ce soir et t’es même pas sûre d’en être capable. T’as été à ça d’annuler à la dernière minute, vraiment, mais si tu veux que ça fonctionne, faut bien faire des concessions à un moment donné, surtout dans la mesure où c’est quelque chose d’important pour elle. T'as pris une grande inspiration avant de finalement te pointer chez elle, et juste pour la voir si belle et bien apprêtée, t'es contente de l'avoir fait. L’espace d’un instant, ça te fait même oublier un peu tes appréhensions à la con. Une fois dans la voiture, tu l’écoutes tenter de te rassurer en acquiesçant vaguement. « Une heure c’est bien, ouais. » Hop, un léger sourire pour tenter de te rendre convaincante et t’es persuadée que le tour est joué. C’est pas la mer à boire, et elle a sûrement raison, ça sera cool parce que y a aucune raison que ça le soit pas. En plus, ça vous fera du bien de faire quelque chose, de voir d’autres personnes et de sortir de votre bulle. Elle se gare, essaie de nouveau de te rassurer, t'acquiesces et tu l'embrasses brièvement avant de sortir de la voiture à ton tour. Sans doute qu’elle sent ton angoisse grimpante, parce qu’elle vient prendre ta main pour la porter à ses lèvres et tu serres un peu plus ses doigts en la laissant t’entraîner jusqu’à chez son pote. Peut-être que c’est tout ce qu’il te fallait pour démarrer la soirée, un point d’ancrage auquel te raccrocher. Tu lui adresses un sourire timide et un peu gauche, tu te répètes les prénoms de ses potes en boucle parce que y en a tellement que t’es déjà en train de les oublier et tu te tends malgré toi quand la porte s’ouvre. Plus question de faire marche arrière, maintenant. Le type qui vous accueille parle vite, pour toute réponse tu lâches un « Hey- » un peu étranglé avant qu'il ne s'approche pour te faire la bise à ton tour. Peu habituée et pas forcément à l'aise avec le fait d'être touchée par des gens que tu connais à peine, tu prends quand même sur toi et tu te laisses faire sans rien dire. Un petit effort de ta part pour essayer de te fondre dans la masse et faire bonne impression, c’est pas grand chose.
D’une certaine façon, tu t’attendais à ce qu’elle fasse la conversation pour deux comme c’est généralement le cas, pourtant ici, elle se retrouve étrangement silencieuse sans que tu ne saches pourquoi. Un regard dans sa direction et tu la vois fixer un point dans le lointain, et quand à ton tour tu parviens à déterminer ce qui a à ce point capté son attention, c’est tout ton corps qui se raidit. De tous les scénarios que t’as imaginé pour ce soir, c’est sans doute un des pires. « Attends, tu m’avais pas dit- Qu’est-ce qu’elle fout là ? » tu marmonnes à ta moitié sans quitter l’autre des yeux, et déjà elle s’approche de vous. Inconsciemment tu lâches la main de Mac pour planquer la tienne dans le fin fond de ta poche, comme si la toucher devant son ex allait vous porter préjudice. Vieux réflexe de l'époque où elles étaient encore ensemble et où tu préférais t’effacer pour éviter de déclencher le conflit de trop. C’était une mauvaise idée et tu le savais. « Margot. » tu siffles dans un sourire crispé alors qu’elle vient se poster face à vous, l’air au moins aussi ravie que toi. « J’savais pas que tu venais. » bien évidemment si t’avais su, tu ne serais même pas pointée du tout. Et si Mac l'avait su, elle te l'aurait dit, hein ? Y a pas moyen qu'elle te ramène consciemment face à son ex en pensant que ça va être fun et que ça sera cool. Qui alors ? Ses potes ? Ils l’ont fait exprès ? Pourquoi ? Et elle savait que vous seriez là ? Merde. Pendant un instant tu crains même de voir apparaître ce connard d'Oliver, genre vengeance planifiée depuis des mois juste pour toi. « Ça fait longtemps. » pas assez, clairement. Pourtant, t'essaies de te montrer un minimum courtoise et de ne pas porter le premier coup bas, ça serait con de faire une scène devant tous ses potes à peine arrivée. Par contre dans genre cinq minutes grand max, t'es partie.

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Allez, une heure, une heure à la con et on arrête. On se le promet façon pinky mais on scelle ça avec un baiser à la place, parce que c’est normal, maintenant ; on fait des trucs de couple et c’est normal, tu viens rencontrer mes potes et c’est normal. Ca me fout de l’hypertension, mais c’est normal : on a toujours été enfermées dans une bulle opacifiée sur le monde extérieur et on s’en extrait encore à peine, les vieilles (mauvaises) habitudes sont dures à combattre mais on tient bon. Tu tiens bon, post-désintox et tu veux m’en faire la preuve, ce soir ; le cadeau même.
Sauf qu’ici, je suis éminemment consciente que je contrôle rien : ni les invités, ni ce qu’ils vont dire en nous voyant, ni le regard qu’ils vont porter sur toi. Ils ont pas tous suivis ; c’est pas le genre de potes auxquels j’ai tout confié, mais ils en savent assez pour savoir que t’es la personne qui a longtemps partagé ma vie et que tu l’es redevenue, d’une manière différente encore.
Je m’explique même pas le mauvais pressentiment que j’essaie de refouler depuis que je suis sortie de chez moi, la nausée qui commence à poindre quand Jasper nous ouvre, la terreur pure et simple quand je vois la tignasse brune en arrière-plan. Et je crois que tu comprends plus vite que moi, parce que ta main quitte prestement la mienne et que tu te réfugies dans ta bulle, à toi. Celle où je suis pas la bienvenue.
Forcément, qu’il l’a invitée.
Forcément qu’elle est venue.
« Je- » j’arrive même pas à réagir, à te rassurer, à te promettre que je le savais pas et pourtant, c’est même pas une surprise entière. J’aurais dû demander, clarifier, être sûre qu’il y avait tous les éléments pour que t’aies pas ce genre de déconvenues, j’aurais dû j’aurais dû j’aurais dû mais j’ai rien fait et le karma est en train de m’éclater par terre.
« Salut. » J’ose à peine regarder Margot mais j’ai pas besoin, pour connaître par coeur le regard qu’elle me renvoie : incompréhension, douleur, envie de me blesser en retour, comme à chaque fois qu’on s’engueulait à cause de mon manque de considération pour ses émotions à elle. Pas besoin de relever la tête pour imaginer parfaitement sa mâchoire qui se crispe et son regard abattu, mais même pas si surpris que ça. « Tiens, t'es plus avec la meuf de Netflix ? » Elle fait coup-sur-coup, et mon instinct est de la prendre par la main jusqu’à une autre pièce pour qu’on s’écharpe loin des regards indiscrets mais je peux pas. Je suis figée, je suis près de toi, j’ai plus ta main dans la mienne et je sais déjà que toi aussi, tu t’éloignes, parfait miroir de Margot, à l’opposé parfait pourtant. « Remarque, y en a aucune qui reste longtemps, j'me trompe ? » C’est piquant, c’est âpre au fond de la gorge et pile quand je commence à comprendre ses invectives, mon cerveau capte que c’est pas que la conversation, qui me fout un sale goût en bouche. « T'as la couronne, Spencer, la reine des maîtresses, la dernière debout, j'espère que t'es contente. T'attendais depuis un bail, j'parie. » C’est pas ses mots, qui restent bloqués et m’empêchent de respirer. C’est ma propre bile.

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La meuf de Netflix ? Tu bloques dessus en cherchant de qui il peut s'agir, de quand ça peut dater, de si t'en as déjà entendu parler. Alors que tes sourcils se froncent dans une expression confuse, ton cerveau démarre à toute vitesse et prend surtout tous les raccourcis possibles. Y a eu les celles de Tinder sur lesquelles tu t'es déjà trop questionnée mais pour qui t'as pas demandé plus d'explications que ça parce que t'avais pas le droit, y a eu Leo pour laquelle vous avez déjà eu des mots, surtout y a eu Margot que t'aurais pas dû recroiser mais qui pourtant se trouve bien là. Alors cette meuf dont elle parle, elle se situe où dans tout ça ? Avant Leo ? Après ? Pendant ? Pourquoi elle parle d’elle plutôt qu’une autre et surtout pourquoi la concernée ne répond rien ? Bref coup d'œil vers ta partenaire toujours aussi immobile et silencieuse, retour sur Margot en passant par les regards curieux de ses potes braqués sur vous. T'es sûre qu'ils ont fait des paris, avant que vous n'arriviez. Genre sur qui va se mettre à gueuler en premier, sur combien de temps ça va prendre avant de réussir à faire pleurer Mac ou te faire sortir de tes gonds. C'est forcément un coup monté, genre dîner de cons dont vous êtes les attractions principales. Ça tourne trop vite dans ton crâne, toutes tes craintes et tes doutes s'entrechoquent et estompent complètement tout bon sens et toute capacité à raisonner normalement. T’es trop sobre pour ces conneries, pas assez défoncée pour réguler la machine. T’es partagée entre l’envie de les laisser régler leurs histoires sans t’immiscer plus que de raison, et le besoin de prendre le parti de ta meuf pour défendre son honneur bafoué. Mais la vérité c'est que t’as rien à dire, pas de répartie cinglante à sortir, juste toutes tes pensées les plus intrusives que tu peines à contenir.
Tu fusilles son ex du regard alors qu'elle s'adresse à toi, mâchoire et poings serrés, à deux doigts de l'attraper par le col pour la faire dégager et qu'elle se taise. Et tu l'aurais sûrement fait, si t'avais eu un coup dans le nez. La reine des maîtresses, c'est pas le titre après lequel tu courais franchement. Le pire c’est que ni l’une ni l’autre, vous ne pouvez dire de nier. Après tout, t'as été la dernière avec qui elle a été trompée avant la rupture finale, celle qui a toujours été un peu dans le fond malgré toi et qui a biaisé leur relation depuis le départ. « Fais pas genre que t’es surprise, hein. » à quel point elle était aveugle pour ne pas s’en rendre compte, ça te dépasse. T’es sûre qu’elle se doutait de quelque chose mais qu’elle refusait juste de l’admettre. « Personne t’obligeait à rester. » t’ajoutes comme si ça justifiait quoi que ce soit. Sans doute qu’elle était vraiment amoureuse et qu’elle avait envie que ça fonctionne à tout prix entre elles. « Personne t’obligeait à revenir. » Elle touche pile là où ça fait mal et c’est tout ce qu’il te faut pour faire un pas menaçant dans sa direction. Du coin de l’oeil, tu vois le Jasper prêt à intervenir, et puis plus rien. Tu la jauges de haut en bas avec la mâchoire tellement serrée qu’elle en devient douloureuse, puis tu t’éloignes en prenant conscience que tout le monde assiste à l’échange, que ce n’est ni le moment ni l’endroit pour perdre le contrôle comme tu pouvais le faire quand t’étais gamine. « Va t’faire foutre. » Tu siffles avant de prendre la direction de la porte pour rejoindre la rue, préférant la fuite à l’esclandre devant un public pareil. Super première impression auprès de ses potes, hein.
Tu marches au radar, à coup de grandes enjambées dans la direction opposée à la voiture, tu sais pas vers où, tu t'en fous. Ton premier réflexe, c’est de fouiller frénétiquement dans les poches de ta veste à la recherche de n’importe quoi pour te calmer, sauf que t’as oublié que t’as plus rien. Deuxième réflexe, sortir ton téléphone et tenter de retrouver le numéro de ton dealer, sauf que lui aussi a été effacé. Les signes de bonne foi que t’as fait pour soi-disant changer, ça te fait royalement chier aujourd’hui et t’as juste envie de trouver un truc pour étouffer toutes tes émotions trop bouffantes. Aucune idée depuis combien de temps tu t’es réfugiée à l’extérieur, toujours est-il qu’il ne faut pas être un génie pour deviner qui vient te courir après. « C’est quoi leur problème ? » Toi, sans doute, en partie en tout cas. C’est pas compliqué de deviner de quel côté ils sont, hein. Et c’est clairement pas du tien ou celui de Mac. « Pourquoi ils- » Ca y est, tu sais plus former une seule pensée cohérente tant tout est embrouillé par un milliard de questions et de doutes et de colère et de tout ce que tu ne maîtrises pas. « D’qui elle parlait ? » Y avait tellement d’autres problèmes à adresser, d’autres questions à poser mais c’est sur celle-là que tu t’arrêtes malgré toi.

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Bien sûr qu’elle est là. Bien sûr qu’elle est invitée, bien sûr qu’elle est venue, bien sûr que personne s’est rappelé que ça allait mal se mixer avec toi et moi. J’en veux à toute l’assistance d’un coup et j’ai envie de prendre un verre pour l’éclater entre mes doigts, comme dans les films ; au lieu de ça je reste désespérément fixée, bras ballants, à écouter mon ex balancer les pires vacheries à ma copine parce qu’une partie de moi se dit que je les mérite, qu’on les mérite et que c’était qu’une question de temps avant de devoir y faire face. Je sais que parler, ça me condamne à niquer le tapis en persienne de Jasper avec ma gerbe. Tu réagis mieux que moi ; en tout cas tu te défends, tu fais ce que je suis infoutue de me résoudre à faire et la brune s’engouffre dans la brèche, parce qu’elle connaît trop bien toutes mes fêlures pour ne pas deviner les tiennes. « Margot », je gronde comme pour la prévenir, sans la laisser finir sa phrase, mais elle ne fait même pas attention à moi et je réalise en voyant son regard blessé qu’elle a besoin d’externaliser sa vérité, sa souffrance et que je ne constitue même pas un obstacle à ce besoin. Je réalise : j’ai tourné la page et rejoint celle que j’aimais vraiment quand Margot n’a même pas commencé à reconstituer le puzzle de charpies que j’ai fait avec son cœur en partant.
Je peux même pas lui en vouloir, mais j’ai pas le temps de procéder ça. Mon corps se dirige déjà de lui-même vers la sortie, à ta poursuite, et je me force à rester assez longtemps pour lui glisser : « On en parle après si tu veux. Plus tard. Ok ? » Elle a envie de pleurer et mon coeur se brise, encore. Je me demande quand est-ce que toute cette merde ne me le brise pas. « C’est pas le moment. » Et je me détourne avant de l’entendre dire qu’il y aura jamais de moments, parce que je t’ai toujours choisie toi, et qu’elle aussi, elle a dû s’y faire avant même de le comprendre.

Tu pars en direction de la forêt un peu glauque derrière la maison et j’ai presque peur que tu tombes dans une piscine, un ravin ou un piège de chasseur, alors je me mets à courir sans m’en rendre compte pour arrêter mes pas à quelques mètres de toi. J’ose rien dire et j’ai rien à dire non plus ; j’attends la frappe, l’engueulade, Dieu sait que je les mérite. Mais tu t’énerves contre eux, à la place. « J’sais pas. » J’ai rien d’autre à dire, parce que je réalise bien qu’on est dans le calme avant la tempête. « Je suis désolée. » J’ai envie de me confondre en excuses, de te jurer que c’était pas prévu, que je voulais pas que ça se passe comme ça, que tu méritais mieux, que je viens de te foutre dans la merde. Je le vois à la façon dont tu t’agites et j’ai à nouveau le cœur au bord des lèvres rien que d’y songer. Alors je prends tes mains et je les serre dans l’une des miennes, pendant que l’autre fouille dans mon sac pour des clopes et un briquet. J’en glisse une contre tes lèvres sans un mot de plus. « Serre, si tu veux », je lâche en désignant nos mains. J’allume ta clope, et au travers de la première taffe, tu poses ta question, enfin.
Soupir.
« C’est vraiment ce qui t’emmerde le plus ? »
Je pose la question mais je connais déjà la réponse, parce que je la vois dans tes yeux, parce que je te connais suffisamment pour savoir que tu les gères comme ça, tes problèmes ; tu prends la plus petite partie et tu remontes sur tout le reste avec l’infinie conviction que découper le problème c’est le rendre plus petit, et en traiter que la surface c’est faire disparaître le pire. Jusqu’à la prochaine fois, du moins ; et pour le coup, ça m’arrange presque qu’il y en ait pas. Je réponds, malgré moi presque : ça me fait chier de parler de ça, mais je me souviens de Leo, je me rappelle de combien ça t’avait heurtée et j’ai pas envie de rejouer ça, la fausse ingénuité, les trente cinq tours autour du pot. La flemme. Rien qu’aujourd’hui. « C’est une meuf que j’ai fréquentée. » Evidemment. Je laisse un temps s’écouler, parce que Marceline je sais pas la définir, ni à toi ni à moi-même, et devoir le dire à voix haute me fait me rendre compte de combien cette période était floue. Et en même temps, que le flou n’est pas une excuse. « C’était avant toi et- ça c’est mal fini, évidemment. » Ca s’est fini dans la plus affreuse des confrontations et je pense que j’ai plus de regrets avec elle que j’en ai eus avec Margot. « Elle a découvert que j’avais quelqu’un, et on a arrêté. Mais ça a pas d’importance, tu sais. Et la partie Netflix c’est euh, que dalle, elle a joué vite fait dans un truc. » Ça en a jamais, si c’est pas toi. Je me le dis en boucle et j’y crois presque, au point que j’essaie de t’en convaincre aussi. « Et je - c’est pas vrai, tu sais. Le truc des maîtresses. Je t’ai jamais vue comme ça. J’espère que tu l’sais. » T’es bien foutue de pas y croire. « On peut partir, t’as pas besoin de les connaître. C’est des connards. »

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Ça pulse bien trop là-haut, tu te fais le jeu des questions-réponses en solo, arrivant à tout un tas de conclusions erronées et surinterprétées au possible. Ca te terrifie de voir à quelle vitesse tu peux perdre pied pour un rien et que le premier truc auquel tu penses pour aller mieux c’est d’essayer de directement retomber dans tes vieux travers. Parce que c’est plus facile d’agir comme ça quand tu te sens submergée, que ça a toujours été ta solution miracle et que t’as jamais vraiment appris à faire autrement. Heureusement qu’elle est là, heureusement qu’elle te rattrape et prend les devants pour t’offrir un semblant de distraction. Ça t'aide de te concentrer sur sa main dans les tiennes, sur la clope qu’elle glisse entre tes lèvres, sur elle près de toi en général. Le problème, c’est qu’elle ne sera pas toujours là pour te ramasser et t’empêcher de partir trop loin dans tes délires. Et c’est particulièrement terrifiant. Serre, qu’elle te dit, et tu lui adresses un bref regard curieux et un peu perdu. Alors t’exerces quelques pressions, tu prends sur toi de ne pas le faire trop fort de peur de lui faire mal, alors à la place tu préfères commencer à dessiner du bout des doigts des formes aléatoires sur le dos de sa main.
C’est terrible de voir à quel point t’es incapable de te focaliser sur les choses réellement cruciales. A la place, tu retiens l’évocation d’une parfaite inconnue à qui elle a accordé un tant soit peu d’attention et ça travaille assez ta jalousie pour que ça passe au-dessus du reste alors même que c'était avant toi. Pendant qu’elle explique, tu restes concentrée sur vos mains et tout ce que t’entends c’est qu’elle avait quelqu’un d’autre, en plus de Margot, en plus de Leo, en plus des autres. Tu devrais pas, parce qu’elle t’assure que ça n’avait pas d’importance, mais peut-être que ça a tout de même compté et c’est suffisant pour bloquer le reste. Bien sûr que t’as encore plein de questions et de doutes sur le sujet, mais pour l’instant tu les retiens, la dernière fois t’as employé les mauvais termes en te précipitant et t’as pas envie de recommencer alors tu prends le temps de procéder pendant qu’elle enchaîne. C’est sûr que t’y reviendras plus tard parce que c’est plus fort que toi. Léger sourire amer, tu secoues la tête.  « Tu l’as peut-être pas pensé mais c’est- Elle a raison dans l’fond, tu le sais. » Vous pourriez continuer à vous voiler la face, à faire semblant d’employer d’autres termes faute de mieux mais les faits sont là, que ça vous plaise ou non. « C’est c’qui arrive quand on a une meuf et qu’on va voir ailleurs. Toutes les autres ou moi, c’est pareil pour eux. » Pour toi aussi, même si tu le confirmes pas de vive voix. C’est pas tellement pour la blâmer ou même un reproche, vraiment c'est un simple constat que tu sais particulièrement injuste pour elle, tout ce qu’elle a fait depuis que vous êtes ensemble c’est te soutenir et être patiente, elle t’en a parlé pour être le plus transparente possible à ton égard et tu devrais pas tant t’en formaliser. « On peut faire comme si c’était pas vrai, mais on peut pas vraiment dire qu’on a bien fait les choses dès le départ. » t’étais bien trop contente d’enfin l’avoir pour toi pour penser une seule seconde aux conséquences. Jusqu’à maintenant t’as évité d’y repenser parce que tu sais très bien que c’est le genre de sujet sur lequel tu vas faire une hyperfixation, et c’est précisément ce qui est en train d’arriver. Boum, ça redémarre, si elle l’a fait à l’époque elle est capable de le refaire, peut-être que tu lui apportes trop peu et qu’elle a besoin de réconfort ailleurs, qu’elle s’est rendue compte que t’étais pas assez bien pour elle. Puis tu te dis que non c’est pas possible, que vous avez trop galéré pour en arriver là et qu’elle te fasse ça, tu lui fais confiance aveuglément et pourtant t’apprends encore certains secrets bien gardés. Et ça boucle, toujours ça rejoue encore et encore, ça te fait flipper de pas savoir t’en détourner. « Parce que t’as envie d’y retourner, toi ? » tu railles sans vraiment pouvoir t’en empêcher. « Pourquoi tu veux toujours traîner avec eux, genre- Tu te rends bien compte qu’ils se foutent de ta gueule, hein ? » S’il y en avait un seul qui en avait eu quelque chose à faire, il aurait dit quelque chose, n’importe quoi. « Tu vas pas m’faire croire qu’ils se doutaient pas de comment ça risquait de tourner en vous invitant toutes les deux, que c'était pas fait exprès ? » C'est même carrément du sabotage à ce niveau là. Toi t’étais là et c’était probablement juste du bonus pour eux, tu sais pas ce qu’ils ont entendu à ton sujet mais si c’est Margot qui les a renseignés, c’est probablement pas que du positif. Malgré tout, ça reste ses potes, des gens assez importants à ses yeux pour qu'elle ait eu envie de te les présenter, sûrement que c’est juste toi qui extrapole un peu trop et qu’ils sont très sympas dans le fond, c'est pas sa faute si les circonstances ont joué contre vous. « Pardon j'devrai pas- C'est rien. Ça devait bien arriver à un moment, je pensais juste pas si tôt. » en fréquentant les mêmes personnes c'était sûr que c'était qu'une question de temps. « Tu- ça va toi ? » tu détournes à l’instant où tu sens que t’as envie de revenir sur la fameuse autre meuf.

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Plus tard, que je lâche à Margot, comme la pire des putes – je le suis sûrement, à ses yeux, que je me figure en tournant le pas, trop pressée de te rejoindre toi alors que le monde part en lambeaux par-dessus mon épaule. J'aurais dû le savoir, merde ; je m'en veux de pas y avoir pensé, et par-dessus tout je me soupçonne d'avoir occulté volontairement l'idée. Margot est leur amie, à eux aussi, certainement plus que moi, parce que Margot ne déserte pas, Margot prend soin des autres, Margot est loyale et Margot est tout ce que je ne suis pas, en amitié comme en amour. Elle mérite mille fois plus leur considération que je ne pourrais espérer l'avoir, et j'ai naïvement pensé qu'elle serait sortie de ma vie pour de bon, sans possibilité d'y revenir. Encore moins aussi facilement, aussi connement, et de façon aussi douloureuse pour toi.
J'ai pas envie d'avouer que oui, j'ai foiré, et que ça m'emmerde qu'on me le rappelle sans cesse. J'ai bêtement envie de croire que moi aussi, j'ai le droit au pardon, à la rédemption, et j'ai pas envie de voir la rancœur dans les yeux de mes potes et de mon ex, même si elle est légitime. Je me suis fourvoyée à penser que je me rachetais en étant près de toi et en faisant tout ce que je ne savais pas faire avec les autres : c'est faux, bien sûr. Et ça me revient en pleine gueule avec la puissance d'une tornade. « J'vois pas comment on aurait pu faire mieux, Spence. Tu voulais qu'on se tourne autour encore trois ans par respect pour Margot ? » je crache, plus en colère que je ne devrais l'être, surtout contre toi ; t'es pour rien dans ma connerie, dans mes manquements, mon adultère chronique. Je me reprends, me force à respirer ; je sors encore une clope pour l'avaler en deux bouffées. « T'as toujours été la seule. T'es comparable à aucune autre et encore moins à une maîtresse. Ça m'emmerde que tu le voies pas. » Je te le montre amplement avec mon visage fermé, en colère sans trop savoir contre qui. Tu reçois tout, t'es le dommage collatéral ; tu l'es toujours, au fond. « Merde, Margot c'était parce que je pouvais pas t'avoir toi. Ok ? » Je l'ai jamais dit comme ça mais je l'ai toujours pensé ; elle est là, l'ampleur de mon irrespect pour elle, elle est à la genèse de ce nous qui a toujours pris trop de place. Je vais gerber. « J'pensais que t'aurais la décence de pas faire genre que tu savais pas. »
Je me demande à quel moment ça va exploser et si ça va venir un jour : ma mâchoire travaille jusqu'à m'en faire mal alors que je te fustige bêtement pour douter d'une femme aussi instable que moi, tu me fusilles avec tes yeux et tes remarques acerbes et les plaies à peine pansées qui nous relient se rouvrent en grand. T'as toute raison de douter, je réalise. J'ai jamais été à la hauteur dans quoi que ce soit, avec les autres. « Je sais pas ce qu'ils croyaient, Spence, je pense qu'ils ont pas réfléchi. C'est leur pote autant que moi, ils ont même pas dû s'dire que ça poserait problème. » Ou alors c'est toi qui as raison et moi, je m'accroche à une version erronée et trop valorisante de personnes qui ne m'ont jamais vraiment considérée comme une amie. L'idée est trop douloureuse pour que je la considère vraiment. « J'pensais vraiment pas qu'elle serait là, Spence. Je suis désolée. » La colère cède un peu de place à ma gueule de chien battu qui fait plus effet depuis que j'ai quinze ans. J'ai envie de pleurer mais je refoule mes larmes, par peur que tu penses que j'essaie de t'amadouer. Et toi, grande dame, certainement plus adulte que moi, tu t'emmerdes quand même à prendre la température auprès de moi, t'en chies mais tu décides de me demander à moi, la commanditaire de tout ce merdier, comment je me sens. J'ai envie de rire et de hurler tout à la fois. Au lieu de quoi : « Ça va. C'est ma faute pour pas avoir tenté de me renseigner davantage ou de parler à Margot avant, j'présume. » C'est surtout de ma faute d'avoir laissé la boîte de Pandore se rouvrir alors que je t'avais promis une transparence totale sur tout. J'ai aucune envie de te parler de Marceline, mais je sais que je devrais y passer ; il faudra bien que ça vienne, parce que tu mérites la clarté totale sur ce qui te fait le plus peur. Tu n'as pas encore confiance en moi et je n'ai aucun droit de t'en vouloir. « On se casse ? » C'est plus une déclaration qu'une question, mais je te laisse la possibilité de te dérober si jamais t'as besoin ; de me dire que tu préfères être seule, que t'as envie d'y retourner, que t'as des comptes à régler avec moi avant de me ghoster pendant trois semaines. Je comprendrais toutes les alternatives mais je refuse de leur laisser trop de place. « Y a la plage, à côté. Tu te souviens quand on parlait de voler un bateau ? » Dick move, de parler du bon vieux temps ; un énième, et je ne sais même plus où ça me place sur la carte des connards. Je fais mine de m'en foutre et d'oublier le sujet.

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Spencer Blackwell & @Mac Sutherland    

Un jour vous réussirez à faire une sortie avec d’autres gens sans que ça vire au drame. Peut-être. « Je sais pas comment on aurait pu faire, je sais vraiment pas. » Y avait forcément une meilleure manière, t’as juste choisi de foncer dans le tas et de l’entraîner avec toi au passage. « J’aurai pu ne pas te sauter dessus à peine revenue, déjà. » Est-ce que c’est le moment où tu lui dis que tu voulais te barrer, ce matin là ? Que si t’es restée, c’est uniquement parce qu’elle est rentrée et que t’as pas pu fuir, que t’étais trop fatiguée, trop peu sobre pour avoir l’esprit bien clair ? Non. Avec le recul tu regrettes pas de l’avoir fait, c’est même tout le contraire. T’affiches un sourire amer quand elle avoue que Margot, c’était le backup plan. Elle te l’a déjà plus ou moins dit, une fois, que c’était pour te rendre jalouse à la base et elle n'a aucune idée d’à quel point ça a été efficace. Ça devrait te faire plaisir mais même pas. T’as rien dit quand l’autre est arrivée dans sa vie parce que t’étais persuadée que ça ne serait que passager, comme celles d’avant. Sauf qu’elle est restée et t’as fini par te convaincre qu’elle l’avait choisie plutôt que toi, que t’étais complètement passée à côté de ta chance et que c’était terminé, que t’avais plus qu’à t’effacer et leur laisser de la place. Comme d’hab, t’étais complètement à côté de la plaque et tu t’en es rendue compte bien trop tard, surtout à un moment de ta vie où tu ne pouvais pas te permettre de te lancer dans une relation sérieuse avec elle. Là, tu ne peux qu’encaisser le reproche, baisser les yeux en acquiesçant et serrer la mâchoire pour ravaler tes pauvres excuses de pas avoir su en parler avant.
Tu t’énerves contre ses potes à la place, tu leur en veux d’avoir été cons, tu t’en veux d’avoir baissé ta garde et d’avoir naïvement cru que ce moment n’arriverait jamais. Tu t’excuses, t’essaies de voir comment elle se sent et la réponse ne te plaît pas tellement. Elle y est pour rien, elle s’est retrouvée prise entre deux feux aussi soudainement que toi et ni l’une ni l’autre, vous n’étiez réellement préparées à affronter le regard et les reproches de Margot. « C’est rien, tu pouvais pas prévoir. C’est pas ta faute. » C’était à toi de pas réagir comme ça mais surtout c’était à eux de prévoir le coup et d’aligner deux neurones pour faire les bons calculs, pas à elle qui voulait juste te présenter ses potes et passer une bonne soirée. Quel gâchis encore une fois. Elle propose de se barrer et là-dessus, t’as aucune intention de la contredire. T’acquiesces en silence, reprenant une clope comme si ça allait réussir à te calmer les nerfs et à t’apaiser l’esprit quand tu sais très bien que c’est pas ce dont t’as envie. Se tirer d’ici, c’est sans doute la meilleure idée de la soirée même si tu sais pas où aller, si t’as envie d’être seule avec tes pensées ou si tu préférerais crever l’abcès. Sans trop de conviction, les poings fichés dans le fin fond de tes poches, tu suis le mouvement vers la plage, lâchant un pauvre « Hmm, » lorsqu’elle évoque ce plan irréalisable de vol de bateau. Tu paierais cher pour pouvoir y revenir, à cette époque plus simple, tu pourrais prendre ton courage à deux mains et lui dire ce que t’avais sur le coeur avant qu’elle ne te parle de sa rencontre avec Margot. Toi aussi, tu préférerais reparler de ce vos projets de voler un bateau et de partir en profiter loin d’ici. Pourtant t’es là avec ta gueule des mauvais jours, ton silence trop pesant, tu rumines ce qui vient d’arriver et ton cerveau commence malgré toi à filtrer les nouvelles informations et à tout mélanger jusqu’à ce que plus rien n’ait de sens. Ça y est, ça déborde, faut que tu reviennes sur ce qu’elle a dit. Tu ralentis le pas jusqu’à complètement t’arrêter, tant pis pour la plage. « Tu peux me reprocher plein de trucs, mais ça j'y suis pour rien, » tu commences sans relever la tête. Elle peut te ressortir ton abandon d’il y a trois ans, ton incapacité à tenir une promesse ou qu'importe, c’est pas les raisons qui manquent, t’es rodée, t’as le dos large, mais là tu vois pas en quoi c'était ta responsabilité. « J’t’ai pas forcée à te mettre avec Margot et à rester avec elle tout ce temps. » Alors ouais, t’aurais pu avoir la décence de pas faire genre que tu savais pas, mais elle pourrait au moins ne pas te foutre ses actions et leurs conséquences sur le dos. Bon techniquement elle l'a pas fait, mais c'est ce que t'as interprété.  « J’t’ai pas non plus obligée à tomber amoureuse d’elle ou des autres. » Leo, la meuf de Netflix, celles dont t’as aucune idée. C’est son truc à elle ça, les sentiments qui débordent et qui s’étalent, toi tu préfères les garder enfouis et les étouffer tellement ça te fait flipper. « Je sais que j’ai pas mon mot à dire sur les meufs que tu voyais avant, mais ça m’fait chier quand même. » Pause. Tu cherches où tu vas avec tout ça, t’essaies de pas tomber dans les accusations foireuses, de pas te laisser dépasser. « Ça m'fait chier parce j’ai peur que ça arrive encore. » Sûrement autant qu'elle flippe que tu te foutes en l'air ou que tu te barres à nouveau. C’est même pas tant le fait d’être trompée qui t’inquiète, parce que tu sais que tu voudrais toujours d’elle malgré tout, tu crains trop de te retrouver seule à nouveau, non, c’est l’idée d’être remplacée. « J’ai peur que tu trouves quelqu’un d’autre, quelqu’un qui sera mieux pour toi et qui pourra t’apporter c’que je suis pas foutue de faire. » Voilà, c’est dit. T’es bien incapable de lui assurer un semblant de sécurité ou de stabilité, de promettre de pas rechuter dans deux jours ou deux ans, si on va pas te retomber dessus au détour d’un coin de rue ou tu sais pas quoi encore. « Je sais que c'est con, que j'devrai pas, mais j'y peux rien. » Et t'es désolée, c'est injuste pour elle, c'est toi et tes soucis d'attachement,  tes craintes irrationnelles. « Mais ok, ouais, on a qu'à faire semblant d'aller voler un bateau et oublier tout ça. » Ignorer les problèmes jusqu'à la prochaine fois ça a toujours bien fonctionné avec vous, hein. 

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Je sais pas si je t'en veux davantage à toi pour te peindre comme la méchante ou si je m'en veux de pas savoir de contredire ; tu me fous au pied du mur en sous-entendant que j'ai pas été carrée avec Margot et ça m'agace que t'aies raison. Ça fait des années que j'aurais dû faire les choses bien avec elle ; j'aurais dû lui dire que j'étais pas amoureuse, pas vraiment, j'aurais dû arrêter avant Leo, avant Marceline, avant toi. J'aurais pas dû commencer, tout court, au fond ; mais j’étais seule, j’étais à des milliards de kilomètres de toi qui te perdais dans les substances et Margot, elle était là, tangible, elle avait envie de moi, de ma présence au lieu de me tourner le dos. Elle était douce et honnête et enthousiaste ; loin du fantôme que tu me laissais pour souvenir, ton ersatz sans saveur mais tangible et souriante. Petite, si petite dans mes bras et si facilement présente, pourtant, que je pouvais presque arrêter de penser à toi quand je l’étreignais. « Hé, j’suis une adulte consentante et capable de faire mes propres choix, hein. » C’est si amer que ça a un goût de bile. J’invective et j’éructe, je m’emporte sans volonté autre que celle de me défendre. Je me sens presque insultée que tu te rendes responsable de tout pépin entre nous, comme ça ; comme si j’étais pas au moins aussi toxique, aussi toquée, aussi sciemment capable de foutre tout le reste en l’air juste pour t’avoir un peu plus longtemps. Putain, j’ai passé cinq ans avec une femme qui faisait de son mieux pour trouver comment me combler alors que moi, je cherchais à imaginer le goût de tes lèvres sur les siennes.

L’accalmie revient sans durer et pourtant je m’y accroche comme si ça voulait dire quoi que ce soit : je fais de mon mieux pour jongler pour t’occuper, te changer les idées et te détourner de la rage que je sens gronder en toi, je continue de marcher même quand tu reprends la parole, et je garde le visage impassible d’une sourde jusqu’à ce que tu reparles des autres. « C’est pas c’que j’ai dit, Spence », que je lâche entre mes dents, d’une voix qui pue l’énervement et l’avertissement. Sauf que c’est tout à fait ce que j’ai pensé, et c’est peut-être ça, qui m’agace le plus. J’ai beau te dire l’inverse, je te reproche d’avoir été trop lâche pour faire un pas en ma direction, de m’avoir laissé imaginer que tout était dans ma tête et que je devais me consoler ailleurs alors que t’attendais la même chose de moi. Je voulais même pas de relation ou de promesses de ta part : je me serais contentée d’un signe, un tout petit, une main serrée ou un regard qui s’attarde, et j’aurais attendu. Voilà tout ce que tu représentes pour moi et que tu balances par-dessus bord comme si j’allais te tromper toi, ou aller vers quelqu’un que tu trouves arbitrairement mieux. Après dix ans à t’aimer toi, à t’attendre toi, et à me fustiger de le faire dans le vide. J’espère que les paumes qui passent sur mon visage vont l’aspirer jusqu’à ce que je puisse plus rien dire ni ressentir, je contemple vaguement l’idée de courir dans l’eau et crier un coup pour qu’un requin me repère et me bouffe. C’est horrible, ce qui nous arrive, et c’est à cause de moi. Je sais pas comment vivre avec ces reproches que tu me fais sur ce que j’ai pu faire pour combler ton absence. « Ca arrivera plus parce que t’es là », je martèle, maxillaires comprimées à m’en foutre une migraine. Elle sont là, les sentencieuses larmes, elles arrivent et je les combats tellement que je sonne comme une alcoolique sur le retour.

« S’cuse moi, mais c’est facile, un peu, nan ? Décréter comme ça que t’es pas assez bien, au lieu de, genre, essayer de l’être ? »

Je balance ça sans y penser, et je réalise que j’aurais tout aussi bien pu insulter ta mère. Une part de moi le réalise et s'en flagelle tandis que l'autre a envie de poursuivre sur sa lancée, frustrée et inquiète que tu ne comprennes jamais. C'est la première qui gagne, malgré moi, quand je prends une grande inspiration bloquée par les larmes toujours au bord du barrage et que le vent frais me force à me reprendre. Je ne sais pas si je m'en veux plus à moi, ou à celle que j'ai été. C'est un ensemble confus d'auto-détestation qui me sied et se colle à moi comme une nouvelle peau. « Merde. Okay. » je murmure alors que je presse mes doigts contre mes yeux. Si je les enlève, tu verras les larmes, et je veux que ce soit à toi d'être triste sans avoir besoin de me consoler. Alors je reste volontairement dos à toi, épaules agitées par des respirations trop grandes, préférant la distance à l'intimité qui me fait trop de mal et me bouleverse si facilement. Quand je reprends, je suis sûre de me maîtriser. « Je comprends que t’aies pas confiance en moi. J’ai trompé ma meuf pendant quatre ans et honnêtement, je ferais pas confiance à quelqu’un comme ça non plus. Et j’arrête pas de trouver des raisons mais en vrai, c’est ce que j’ai été, point. Y a pas d’excuses à ça. » C'est clinique, comme façon d'exposer. C'est putain de détaché, je fais l'autopsie de toutes ces relations qui ont pas marché et je m'observe comme un sujet un peu con mais foutrement bien intentionné. Elle est peut-être là, l'erreur ; mes intentions n'ont jamais été louables ou réfléchies. « Je peux même rien t’assurer que tu trouves crédible, en fait. Je peux juste te dire que je vais regagner ta confiance sur le long-terme, parce que quoi que je dise, je pense pas que ça change grand-chose pour toi. » T'as peur de mes travers, et Dieu sait que t'as raison. Leo, Marceline, Margot : je pourrais analyser soigneusement chaque erreur de parcours pour te dire ce qui m'a faite tomber amoureuse et comment, à quel instant précis, et la réponse se trouverait toujours dans le manque de toi. C'est stupide, mais c'est vrai ; ce qui est encore plus stupide, c'est que ce ne sera jamais une promesse à tes yeux. Parce que j'en ai fait, des promesses, et elles n'ont jamais valu grand-chose. « Mais je suis là pour rester. Y a personne qui m’apporte ce que tu m’apportes, et crois-moi, j’ai beau être une conne finie, j’aurais tourné la page y a mille ans si j’pensais pas que t’en valais la peine. Merde, tu nous as vues à l’époque ? J’aurais même pas frôlé l’idée qu’on se rapproche si je pensais pas qu’on valait mieux que ce qu'on était. » Et ça y est, ça coule, ça rechiale et ça tremble sur tous les bords ; je me déteste comme ça, injuste et obsédée par ma propre peine quand t'en as déjà trop de toi même à gérer. « Alors quoi, Spence ? Je sais pas quoi te dire, ou comment te rassurer et que tu me croies. J'peux juste te dire que je te le prouverai avec le temps, et encore, j'sais même pas si ça touche une corde sensible chez toi. Ça te suffit, même ? » Je peux m'en prendre qu'à moi-même, j'imagine ; c'est foutrement toxique, tout ça, de la tête aux putains de pieds, qu'on a foutus dans quelque chose de peut-être trop grand pour nous. J'ai aucune envie d'arrêter, pourtant. « Dis-moi c'qu'il te faut et je le ferai. » Tout sauf du temps ou un adieu à la con, on en a déjà trop fait et trop perdu.

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C’est pas ce qu’elle a dit et pourtant tu peux pas t’empêcher d’y penser, de trouver confirmation dans le sous-entendu à peine voilé qu’elle lâche ; “parce que t’es là.” Mais soit, t’as plus qu’à faire semblant d’y croire et ça finira par se faire. L’invective vise juste là où il faut et d’ordinaire, c’est le genre de reproche que t’essaies de pas trop prendre à cœur. C’est généralement le cas quand ça sort de la bouche de n’importe qui. Seulement voilà, face à toi se trouve la personne la plus importante à tes yeux et ses mots entaillent avec précision le peu de confiance que t’arrives à placer en toi. Mais tu dis rien, tu serres la mâchoire, t’enfonces tes ongles dans les paumes de tes mains et tu prends sur toi de ne pas broncher. Merde, ça fait jamais aussi mal que quand ça vient des gens à qui tu tiens. Ça te renvoie à Spencer, six ans, qui couvre ses oreilles pendant que Maureen, ivre morte, lui répète à quel point elle est aussi bonne à rien que responsable de tous ses maux. T’as fini par y croire à l’époque et c’est toujours le cas aujourd’hui tant c’est ancré. La sensation désagréable et pourtant si familière qui s’insinue et te conforte dans l’idée qu’elle avait raison à l’époque, la vieille. Comme Mac à l’instant, comme à chaque fois qu’elle a vu clair dans ton jeu depuis toutes ces années. Au moins t’as une réponse à tes questions ; t’essayes pas suffisamment. Et c’est terrible parce que t’as la certitude que si jamais tu donnes plus et que t’arrives au maximum de ce dont t’es capable, ça ne sera toujours pas suffisant. Alors à quoi bon s’échiner. Ca te fout la rage, d’être bloquée là à pas savoir quoi dire d’autre, elle est dans le vrai et tu le sais, y a même pas à discuter. T’as envie de retourner te planquer quelque part où on te connaît pas, de disparaître à nouveau pendant une semaine ou deux ans, d’être n’importe où sauf ici.
Est-ce qu’au final, vous deux ça ne s’est pas toujours résumé à ça ? Des disputes futiles qui prennent des proportions bien trop importantes parce que dans le fond, vous n’êtes ni complémentaires, ni faites pour être ensemble ? Soit c’est toi qui démarre une engueulade parce que t’es jalouse des gens qui gravitent autour d’elle, que t’as peur qu’elle te voit plus, alors tu réclames son attention de la pire des façons. Et après coup, tu reviens la queue entre les jambes et ton air de chiot battu et elle te reprend malgré tout quand bien même tu mérites tout sauf son pardon. Ou alors c’est elle qui commence une dispute parce qu’elle est inquiète, qu’elle supporte pas tes potes trop camés et pas assez fiables, qu’elle cherche à tout prix à te préserver de toi-même et tu détestes qu’on te dise quoi ou comment faire, alors tu te braques et t’écoutes rien. Puis elle revient s’excuser d’avoir été trop brusque ou pas assez patiente alors qu’elle était dans le vrai. Toi tu sais pas comment faire sans elle, alors la question de savoir si tu pardonnes se pose même pas, tu le ferai tous les jours, sans hésiter, tant pis si elle a des mots durs à ton égard et que ça blesse ton égo.
T’écoutes en silence, oscillant entre colère, honte et remords, t’acquiesces parfois, chassant d’un revers de manche peu cérémonieux les larmes que tu sens poindre et que tu veux pas laisser sortir. T’y crois pas, ou qu’à moitié, ton cerveau est juste trop hermétique pour accepter l’idée qu’il y en ait eu d’autres avant toi, c’est tout. Quant à savoir ce qu’il te faut, t’en as aucune foutue idée. Si t’étais d’humeur à plaisanter, t’aurais répondu que dans l’immédiat c’est d’un rail ou d’une cuite dont t’as besoin. « Bien sûr que ça me suffit, c’est juste- » C’est juste quoi ? Tu sais même pas vraiment définir le problème et encore moins l’exprimer à voix haute. T’as jamais été douée pour ça, c’est pas aujourd’hui que ça va commencer. « T'aurais dû- t'aurais pu me le dire. On aurait évité ce genre de- » C'est dingue d'être aussi hypocrite, Spencer. Tu sais très bien pourquoi elle l’a pas fait, t'as beau prétendre que si tu l'avais appris de sa bouche ça aurait été différent, mais même toi t'y crois pas. Y a jamais de bon moment pour ce genre de discussion, surtout avec toi. Et puis à ce tarif là, y a tout un tas de trucs dont t'as jamais parlé et tu te doutes que si elle l'apprenait, ça se passerait au moins aussi mal. « Réponds moi franchement, c’est c’que t’attendais, du coup ? Genre tu trouves toujours que ça vaut la peine ? » Tu la vois là, dos à toi et t'es partagée entre ton besoin de la prendre dans tes bras jusqu’à ce qu’elle te pardonne encore une fois, ou ton envie de fuir le plus loin possible avant de dire un truc que tu regretterais. « J'veux dire- Regarde nous maintenant, c’est pas tellement mieux qu’avant. » Tu lâches un ricanement amer, t’as pas tellement l’impression que vous ayez beaucoup avancé depuis l’époque, justement. C’est toujours les mêmes disputes à la con, y a juste un truc en plus vu que vous pouvez laisser transparaître toute votre jalousie ou votre manque de confiance mutuel. Y a plus à les cacher derrière des faux-semblants ou des excuses vaseuses et peu crédibles. T’en es encore au stade de lui prendre la tête pour des histoires qui te concernent même pas, t’étais pas là, t’as aucun droit de lui en vouloir d’avoir eu une vie avant toi, tu le sais pourtant, elle te l’a déjà dit. C’est à peine si vous sortez, en vrai, t’es pas foutue de savoir te tenir plus d’une soirée, t’as si peu confiance en toi que t’es à l’aise nulle part si t’es pas bourrée ou défoncée et que ça lui retombe dessus, forcément. Elle voit rarement sa famille, ses potes t’en parles même pas et t’as du mal à voir où elle y trouve son compte. Si c’est ça que tu lui apportes, autant rien faire. « Je- J’ai besoin de réfléchir. » Tu bégayes à moitié, toi-même incertaine de ce qu’elle pourrait dire pour te rassurer. Pour le moment t’as surtout besoin de te calmer. « J’vais rentrer, je crois. » Pas chez elle, elle l’aura compris. Quant à savoir si tu vas réellement rentrer, c’est une autre histoire. Tu vas sans doute finir par emmerder Malone au milieu de la nuit parce que ça ira pas et que t’as aucune envie qu’elle se retrouve encore à devoir te gérer. « J’suis désolée, Mac. » D’en être arrivée là encore une fois, de pas savoir contrôler ta jalousie ou tes insécurités, de continuer à pas la croire, de pas lui offrir ce qu’elle mérite, tout, n’importe quoi, elle a le choix.

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@Spencer Blackwell & Mac Sutherland    

Je le vois dans tes yeux : je te blesse, et c’est exactement ce que je cherchais en te poussant à bout de la sorte. Je m’en veux immédiatement, parce que rationnellement, je sais que j’attaque tes points faibles, ceux sur lesquels tu travailles surtout ; d’un autre côté, putain que ça fait du bien, et c’est encore pire de me l’avouer. Merde, ça fait du bien de te blesser, parce que j’ai l’impression de jamais pouvoir extérioriser ce que je ressens à ton égard, comme si j’étais toujours à marcher sur des oeufs, parce que je m’imagine connement que chaque mot de travers, chaque retard et chaque phrase mal construite te jettera directement sur le premier rail que tu trouves - qu’il soit blanc ou rouillé par les trains, j’en ai aucune idée et surtout aucune envie de tester. Ca a jeté un putain de froid entre nous, mine de rien, ton séjour en désintox, et moi, connement, j’ai toujours pas pris l’initiative d’aller voir le psy qu’on m’a conseillé. Je pensais que ce serait moins dur - c’est toi qui as le problème, pas moi, moi j’ai surtout une peur casse-gueule de l’abandon que je règle à bons coups d’évitement bien placés. J’aime pas non plus devoir ressortir tout ça : j’ai besoin d’être un pilier sans failles pour toi afin que tu restes bien droite debout et que je te retrouve pas à convulser dans ton vomi à moitié morte, et ça a toujours été ça notre problème, finalement.

Tu tombes, je tombe.

« Te dire quoi, même ? Et te le dire comment ? » Y a pléthore de choses que j’aurais pu, et dû te dire avant, mais c’était plus simple de garder le silence, de me reposer dans un statu quo dans lequel on était si bien. C’était inconfortable au possible mais au moins, c’était sécurisé ; on connaissait tout ça, on savait à quoi s’attendre. J’avais pas peur de te foutre en l’air avec une déclaration maladroite et je te laisser savamment parer tout sous-entendu sans jamais te contredire ou laisser davantage ma main s’attarder sur ta joue, ou mes lèvres sur ton front. On était un beau duo de merdeuses aveugles, et en rétrospective, moi non plus, j’avais pas envie de me risquer dans quelque chose avec quelqu’un comme toi. « Dis-moi honnêtement que ça aurait changé quelque chose pour toi. » Je serre déjà les dents, parce que j’ai peur de la réponse. De son absence, surtout, parce que je sais qu’elle confirmera tout. Une excuse tacite teinte mon regard, mais ça non plus, tu ne le verras pas : t’es trop occupée à scruter l’horizon pour y chasser tes larmes et à fantasmer d’une soirée où t’aurais dit non à mon invitation et où on serait restée dans mon canapé, tu serais nue dans mes bras et on n’aurait que nous deux, loin du monde, et ça aurait suffi. Mais cette réalité alternative a crevé dans un coin pendant qu’on s’écharpe dans le présent, moi, les épaules rentrées et la mâchoire crispée pour transformer ma douleur en une colère quelque peu plus acceptable.

Tu me réponds par une question dans laquelle je prétends trouver un peu plus de colère plutôt que le vide gelé qui commence à se resserrer autour de mon thorax. Tu vois, Spence, c’est exactement pour ça que j’ai peur qu’on se casse la gueule, parce que je sais jamais si tu me dis ce que tu ressens ou si tu me pousses vers la sortie pour pas avoir à prendre congé toi-même. « Tu me demandes vraiment ça ? » que j’échappe dans un petit rire incrédule à la con : Mac a repris les armes, cette pauvre conne, et elle te pousse vers la sortie à son tour, parce qu’elle sait pas avouer qu’elle flippe ou s’accrocher pour deux. Elle décide qu’elle n’a plus la force pour aujourd’hui, parce qu’il y a son ex dans la pièce juste derrière l’étendue et qu’il y a l’amour de sa vie qui est en train de lui dire que finalement, leur romance est peut-être nulle à chier. Elle est crevée, Spence. « P’têtre que tu devrais te la poser à toi-même, si t’as tant l’impression que c’est horrible entre nous. » Le ton est dépourvu d’affection, il est distant au possible, sans inflexion ni retour en arrière possible, et ça me surprend à peine, quand tu décides de prendre congé. Soit, vas-y, vas réfléchir, rentre et excuse-toi à demi-mots, je ne relèverai pas. Je reste obstinément les mains dans les poches, regard fixé sur le large à mon tour alors que j’entends tes pas s’éloigner, vision brouillée par des larmes qui refusent de tomber et de me soulager une fois pour toutes. Je décide à la même seconde de fuir à mon tour, et je pars dans l’autre sens, vers la maison qu’on a quitté y a quinze minutes à peine pour m’abrutir dans l’alcool auprès de gens qui m’aiment pas et que je méprise de tout mon être. C’est toujours mieux que le vide que tu laisses et que je ne sais pas comment gérer. Tu tombes, je tombe : peut-être que cette fois t’y croiras enfin.