Ses lèvres ont le goût de la framboise. Ces mots hantent Lily. Moins que cette soirée, moins que le bruit du coup de fusil, moins que l’impression que son coeur se serre dans sa poitrine au point où cela pourrait la tuer. Ils font partie du cauchemar, ils jouent leur rôle. Et, surtout, ils impliquent une quatrième personne d’un tableau qui n’en a toujours connu que trois, ne lui fasse mentir l’historique de sa relation avec Alfie. Juliet n’est pas dans le tableau. Juliet n’a pas le droit d’être là. Elle est une pièce rapportée par l’anthropologue, le genre qui peut repartir à tout instant, l’image d’Amelia avant elle. Les sentiments vont et viennent, elle n’est pas éternelle, et l’amour qu’il garde pour elle - quoi qu’il en dise - l’est tout aussi peu. Pourtant, jamais Lily n’aurait cru voir l’équation se complexifier, certainement pas de cette manière là, avec Joseph trônant en maître entre les deux amoureux.

Elle pourrait aller voir le premier concerné, Lily. Après tout, il est son frère, il est celui qui a prononcé ces mots, il est le seul à en connaître le contexte. Mais cela voudrait dire qu’elle veut encore lui parler ou avoir à nouveau à faire à lui, ce qui est un immense mensonge pour l’heure. Elle ne veut plus entendre parler de son frère pour le moment et si elle sait que son avis changera tôt ou tard, il est celui-ci pour l’heure. Il y aura d’autres discussions, d’autres disputes, d’autres réconciliations. Simplement, elle ne veut pas s’ajouter la moindre pression supplémentaire en ce moment, pas alors qu’elle passe difficilement le cap du premier trimestre de sa grossesse. Face à Juliet, elle sait que l’adversaire est doux, simple, facilement achevable. Ce n’est pas ce qu’elle désire - parce que la brune compte pour Alfie, alors elle a le droit de vie - mais cela reste une possibilité. Au besoin, cela reste possible.

Alfie. C’est pour lui qu’elle fait ça. C’est pour lui qu’elle part en quête de vérité, de justice, de réponses. Parce que finalement, elle ne sait pas ce qui l’étonne le plus: que son asocial de frère ait fait le premier pas vers qui que ce soit, ou que la si parfaite Juliet ait jeté son dévolu sur lui - quoi qu’elle l’avait déjà fait sur Alfie, alors … Alors peu importe, parce que si sa dernière discussion avec Juliet a bien relevé un problème, c’est celui-ci: Lily a commis la même erreur, elle aussi, mais n’a jamais eu la même reconnaissance en retour. Un mal pour un bien, sans doute, puisque c’est sûrement ce manque de reconnaissance qui lui a permis de passer d’une décennie à une autre aux côtés du Maslow et de faire d’elle une figure incontournable de sa vie.

“Juliet.” La tarte aux framboises, réalisée avec soin, se présenté désormais sous le visage de la jeune femme, des bras tendus de Lily qui sourit comme s’il s’agissait d’une publicité pour un dentifrice. “C’est sans sucre et sans gluten.” Si jamais tu comptes toujours tomber enceinte, c’est sain au possible. Est-ce que c’est avec son frère qu’elle comptait avoir son enfant, peut-être ? L’idée traverse soudainement l’esprit de Lily, bien malgré elle. “Tu sais ce qui m’a inspiré cette tarte ?” Sa voix s’envole comme le chant d’un oiseau, elle a l’air douce, elle a l’air terriblement empathique et intéressée par la vie qui l’entoure. “Mon frère qui a dit que tes lèvres ont l’goût d’la framboise.” Elle gronde un peu, restituant la voix de son aîné qu’elle connait si bien - surtout depuis qu’il a hurlé sur Alfie, il y a peu. “J’imagine que je peux rentrer ?” En d’autres termes: il faut qu’on parle.

@juliet rhodes
@joseph keegan lis

“Juliet.” S'il y a bien une personne sur laquelle tu ne pensais pas tomber en ouvrant la porte de ton appartement, c'est bien Lily. Encore moins avec une tarte entre les mains. “C’est sans sucre et sans gluten.” qu'elle annonce fièrement en tendant le dessert entre ses mains. Tu ne comprends absolument pas ce qui est en train de se dérouler sous les yeux. S'il y a bien quelqu'un qui a besoin d'amener une tarte à l'autre, c'est bien l'inverse. Quoi que la Lily qui se trouve devant toi n'a rien à voir avec celle qui a traversé la porte la dernière fois. Son bras n'est plus dans un attelle, mais ça ne t'empêche pas de le fixer quelques secondes avant de finalement te mettre à bouger pour prendre la tarte qu'elle te tend comme si elle l'a faite elle-même. « Euhm, merci. » que tu lui réponds simplement toujours à la recherche de cet élan de générosité spontanée de sa part. Tu ne poses pas la question. La réponse viendra d'elle-même tu en es convaincu. “Tu sais ce qui m’a inspiré cette tarte ?” Non, tu ne le sais pas, mais tu vas le savoir dans les prochaines secondes. Pour l'heure, tu as l'impression d'être de plus en plus dans le néant. “Mon frère qui a dit que tes lèvres ont l’goût d’la framboise.” Tes yeux s'agrandissent dans la même seconde. Jamais ô grand jamais, tu n'aurais pu prédire entendre ses paroles un jour. Tu pensais plutôt que ça resterait un secret bien gardé entre Joseph et toi. Parce que ça ne voulait rien dire. Parce qu'il n'y avait rien à y dire surtout. Pourquoi est-ce que Joseph avait confié cette information à sa soeur ? Pourquoi est-ce qu'il lui avait confié avec de telles paroles surtout ? “J’imagine que je peux rentrer ?” - « J'imagine. » que tu réponds, bien simplement, un peu déboussolé. Tu n'es pas très convaincu d'avoir envie d'avoir cette conversation. Parce que tu ne sais pas vraiment ce qui la pousse à l'avoir non plus. Pourquoi est-ce qu'elle se sent concerné par l'information ? Au fond, ça ne la regarde pas. Même si ça reste son frère oui. Et puis, tu avais cru comprendre qu'ils ne se parlaient plus vraiment. Non, tu ne comprends rien, mais la situation est bien loin de te rendre à l'aise.

Tu laisses Lily entrer et tu refermes derrière elle. Tu déposes la tarte sur la table en te demandant si tu étais supposé lui en offrir une part. De ton côté, on peut dire que tu avais soudainement perdu l'appétit. « Je comprends pas trop pourquoi il t'a dit ça. » que tu débutes. Oh non, loin de toi l'idée de nier ce qui s'est passé. Tu ne comptes pas mentir. Mais tu ne comprends pas pourquoi il a senti le besoin de partager ce moment avec quelqu'un d'autre. As-tu mal interprété ce baiser ? « Il l'a dit qu'à toi ? » Comme si soudainement l'information qu'elle partage une maison avec Alfie te revenait en tête. Enfin, aux dernières nouvelles, elle déménageait. Et elle doit sûrement l'éviter depuis l'incident. Mais, oui, tu peux pas t'empêcher de te demander si Alfie était présent lorsqu'il lui a confié. À moins que tu sois complètement à côté de la track et que ce soit Lily qui ait surpris la conversation entre les deux hommes ? Est-ce pour cette raison qu'un Alfie en colère est arrivé sur ton lieu de travail en racontant n'importe quoi sur son soi-disant meilleur ami ? Tout semble faire du sens maintenant.

Elle ne comprend pas, elle est perdue, et elle a toutes les raisons de l’être. Tout ce qui importe à Lily, c’est qu’elle accepte l’offrande empoisonnée (pas au sens propre, voyons) de sa tarte pour que l’ancienne infirmière puisse se libérer les mains et mimer la générosité jusqu’au bout. « Euhm, merci. » Bien sûr, même perdue Juliet reste profondément polie, parce qu’elle est la parfaite Juliet. Comme toujours. Ce qui dénote du cadre habituel de leurs échanges, ce sont les intentions de Lily. Aujourd’hui, elle ne fait pas semblant tout du long, preuve en est des mots qu’elle échange rapidement avec sa comparse, ne faisant finalement que répéter ceux que Joseph a eu juste avant elle: ses lèvres goûtent la framboise. Le sourire de Lily est amer sans qu’elle ne cherche à le cacher: elles doivent parler. « J'imagine. » Et sans plus de politesses, elle rentre donc, son épaule frôlant celle de la brune. La sienne, blessée il y a peu encore, doit reprendre quelques muscles, mais elle peut très largement se permettre de ne plus porter son imposante et encombrante attelle.

« Je comprends pas trop pourquoi il t'a dit ça. » Le sourire de la brune s’étend silencieusement, cachant pourtant habilement toute l’amertume qu’elle ressent à ce sujet. “Le contexte était particulier.” Et elle n’en dira pas plus, parce qu’elle respecte au moins le désir d’Alfie de la protéger. Elle n’a pas les épaules pour tout apprendre de leur guerre, elle ne pourrait pas y faire face, elle n’a pas à savoir que Joseph a tiré sur son ex petit-ami et sûrement nouveau petit-ami aussi. Elle est intouchable, Juliet, et le plus ironique dans tout ça c’est qu’elle ne le sait même pas. « Il l'a dit qu'à toi ? » - “Alfie sait.” Pour ça, elle lui dit pourtant la vérité, se contentant de hausser les épaules, comme si elle ne savait pas que cela a tout d’un problème que Juliet devra tôt ou tard gérer. Déjà, elle se doute que la nouvelle n’a pas plu à l’anthropologue, bien sûr, quand bien même le contexte particulier ne lui a pas donné le temps de s’appesantir davantage sur la chose. Après tout, personne ne l’a forcée à embrasser Joseph, alors son statut de petit protégée a ses limites: elle doit assumer les conséquences de ses actes et se rendre compte qu’aucun secret ne le reste.  “Pourquoi est-ce qu’une fille comme toi s’intéresse à quelqu’un comme Joseph ? Tu voulais faire réagir Alfie ?” Les questions doivent changer de sens, maintenant. Peu importe les questions qu’a Juliet, cela n’a aucune sorte d’importance: elle veut connaître des futilités et rien d’autres. Lily, en retour, essaie d’anticiper les conséquences de ses actes et de prévenir un bain de sang, tout en prenant le temps de peser le pour et le contre des rangs qu’elle pourrait vouloir rejoindre, de la personne qu’elle voudrait défendre. “T’as des sentiments pour lui ? Ou tu voulais savoir ce que ça fait que d’embrasser un taulard ?” Le frisson de l’interdit, c’est ça qu’elle voulait ressentir, la précieuse Juliet à la vie si normale, si calme, si parfaite ? Le jugement dégouline des mots de Lily sans même qu’elle ne cherche à le cacher.

“Le contexte était particulier.” Elle n'en dira pas plus et tu comprends surtout que tu n'as pas vraiment envie de le savoir surtout. Tu ne comprends pas trop quel genre de contexte pourrait encourager de tels aveux. Tu comprends encore bien moins comment cet aveux peut prendre une allure positive, alors que ce n'était rien de tout ça. À qui d'autre Joseph a confessé ce secret qui devait être le vôtre ? “Alfie sait.” Tu déglutis difficilement à la suite de cette annonce. Alfie sait. Évidemment que Alfie sait. Depuis quand ? Pourquoi est-ce qu'il ne t'en a pas parlé directement ? A-t-il essayé de le faire sans que tu ne comprennes ? Peut-être que tu devrais lui écrire. Juste histoire de clarifier ce malentendu. À moins que…. ça lui est complètement égal ? Non, au vue de votre dernière conversation concernant Joseph, ce serait bien surprenant. « Et… il a réagit comment ? » que tu demandes. Tu verras bien selon les paroles de Lily si tu dois, ou non, aller désamorcer la bombe entre les deux hommes. Peut-être que Lily le fera elle-même lorsqu'elle saura l'histoire de a à z. Ce serait sans doute la manière la plus raisonnable de faire passer ton message. Alfie va finir par se dire que tu ne sais pas ce que tu veux à force de le repousser et d'être la première à demander à le voir. “Pourquoi est-ce qu’une fille comme toi s’intéresse à quelqu’un comme Joseph ? Tu voulais faire réagir Alfie ?” - « Quoi ? Mais… je… non. » que tu bégaies alors qu'une mine déconfite prend place sur ton visage. Oh, tu es de plus en plus perturbée par les accusations que Lily porte contre toi. Non, tu ne t'intéresse pas à son frère - pas dans le sens qu'elle s'imagine du moins. Et non, ce n'était certainement pas pour faire réagir - à moins que ce l'était, pas de ta part, mais de celui qui a osé franchir le premier pas. Les suppositions se bousculent dans ta tête sans que tu n'arrives à vraiment mettre le doigt sur la réelle explication de tout ceci. Ce n'est sans doute qu'un gros malentendu. Oh bien sûr tu es incapable de penser que quelqu'un puisse avoir des intentions malhonnêtes dans toute cette situation. Tu préfères toujours voir le bon côté et ignorer le moins beau. “T’as des sentiments pour lui ? Ou tu voulais savoir ce que ça fait que d’embrasser un taulard ?” Et plus elle poursuit dans ses suppositions et plus tu en es déboussolé. Tu ne comprends pas trop pourquoi elle t'attaque de la sorte. C'est comme ça que tu te sens, oui, attaquée. Elle veut protéger son frère ? Que serait le problème si tout ce qu'elle pense serait vrai ? Que de beaux repas de famille, entre Lily, Alfie et leur progéniture en devenir, et toi et Joseph. Hm. Horrible. « Non… non, c'est pas comme ça que ça c'est passé. » Elle est bien loin du compte. Est-ce qu'elle se fait un film ou quelqu'un (Joseph) l'a poussé à venir à de telles conclusions ? « C'est lui qui m'a embrassé. » que tu débutes, voulant d'abord te retirer des accusations que tu ne mérites pas. À aucun moment des rapprochements avec l'ancien meilleur ami de Alfie n'ont traversé ton esprit. Jamais. « C'était plus un appel à l'aide qu'autre chose. » Au vue de ce qui s'est passé par la suite. Ce baiser ne semblait pas vraiment désiré par Joseph non plus quand bien même c'est lui qui l'a désiré. « Il ne va pas très bien, tu sais ? » Parce qu'ils ne semblaient plus trop en contact si tu te fies aux dernières conversations que tu as eues avec Joseph.

« Et… il a réagit comment ? » Juliet cherche des réponses, c’est aussi normal que cela se veut évident, et pourtant Lily n’est pas la mieux placée pour lui répondre. Elle a ses réponses, oui, mais ce ne sont pas de celles qu’elle peut se permettre de partager avec elle. Juliet n’a aucune idée de ce à quoi la réalité des relations du trio ressemble, et tous sont au moins d’accord sur une chose: elle doit rester en dehors de ça. “Tu devrais en parler directement avec lui.” Ce n’est pas un sujet qui regarde la future mère. Pas dans ce sens là, du moins. Elle se mêle de savoir dans la bouche de qui son frère fourre sa langue, mais pas des histoires de cœur d’Alfie. Il y a des limites à tout et si les règles semblent difficiles à comprendre pour n’importe qui, elles sont évidentes aux yeux de Lily. Il lui racontera ce qu’il veut, cela ne la regarde pas, et ce n’est pas ce qu’elle veut savoir non plus.

Ce qu’elle veut savoir, c’est comment est-ce qu’ils ont pu en arriver là. Comment deux personnes aussi opposées que son frère et Juliet ont pu croire bon, utile, ou Dieu sait quel autre adjectif encore, dans le fait de s’embrasser, et sans doute même plus encore. « Quoi ? Mais… je… non. » Bien sûr, elle ne sait pas réagir face aux accusations de Lily. Elle n’en a pas l’habitude ; personne n’attaque la parfaite-Juliet, et certainement pas l’autre parfaite-Lily. Quoi alors ? Plus que jamais, la jeune Keegan ne peut pas comprendre l’idée qu’elle puisse avoir simplement été attirée par son frère, et vice-versa. Il y a quelque chose dessous, elle le sait, et si ce n’est pas Juliet qui lui donne les réponses attendues, alors c’est à son frère qu’elle demandera des comptes, aussi simplement que cela. « Non… non, c'est pas comme ça que ça c'est passé. » Elle ne sait répondre que par la négation, Juliet, ce qui n’arrange en rien les affaires de Lily qui ne cherche qu’à avoir des réponses rapides pour mieux s’en aller. Ce n’est pas une discussion qu’elle a envie d’avoir, ce n’est pas un sujet sur lequel elle veut argumenter, et pourtant elle a l’impression de ne pas pouvoir y réchapper: c’est son devoir.

« C'est lui qui m'a embrassé. C'était plus un appel à l'aide qu'autre chose. » Le rire de Lily est fin, doux, faux. Joseph qui appelle à l’aide ; bien sûr. C’est simplement ce qu’il lui a raconté pour la mettre dans son lit, et plutôt que de marcher elle a couru. « Il ne va pas très bien, tu sais ? » Elle se retient d’afficher un second rire, consciente qu’il serait certainement malvenu, à force. “Ça fait quarante ans qu’il ne va pas bien.” Lily se contente simplement de statuer. Ça fait quarante ans qu’il ne va pas bien, pour une infinité de raisons, et à sa connaissance il n’a pas occupé tout son temps à attirer des filles dans son lit pour se faire plaindre. C’est peut-être une réponse possible, mais pas la seule. “Tu sais qu’il t’utilise, pas vrai ?” Et elle est douce et gentille, Juliet, pas du genre à refuser l’aide d’autrui, encore moins un homme qu’elle connaît un minimum. “C’est un toxico, tu peux pas t’attendre à des réactions saines et mesurées de sa part. T’es juste un trophée pour lui, Jules.” Et c’est ironique, à quel point ces mots pourraient simplement être renvoyés à l’emetteuse, en changeant quelques prénoms. "Et honnêtement, t'as aucune envie de te mêler plus que de raison à sa vie." A sa vie et, surtout, à ses problèmes avec Alfie.

“Tu devrais en parler directement avec lui.” Tu aurais cent fois mieux préféré qu'elle te le dise elle-même. La seule raison pour laquelle tu as envie de contacter Alfie, c'est pour lui dire que c'est faux. Enfin, non, c'est pas faux, mais ce n'est pas ce qu'il s'imagine. Tu le ferais simplement pour éclaircir les choses, qu'il ait tous les bonnes informations en main. Mais… « J'crois pas que ce soit une très bonne idée. » Ce n'est pas une bonne idée de le faire. Ce n'est pas une bonne idée d'aller encore vers lui alors que tu ne fais que le repousser, alors que tu es celle qui insiste le plus pour couper les ponts avec cette relation qui te ramène sans cesse à un passé qui n'existe plus. Ce n'est pas une bonne idée. Si ça vient de lui, vous aurez possiblement cette conversation. Encore là, tu as des doutes que Alfie ne fasse le chemin jusqu'à toi de nouveau. Votre dernière conversation a bien été claire à ce sujet. Ce serait sans doute le temps d'avoir la même avec Lily. Pas que tu veuilles éjecter la Keegan de ta vie. Non, mais tu ne veux plus qu'elle te parle de Alfie, ni de ce qu'il fait et surtout pas de comment il va. Heureusement que ce n'est pas pour lui qu'elle est là aujourd'hui hm. La conversation n'est pas particulièrement plus agréable pour autant. Le rire qui s'échappe de ses lèvres te fait froncer les sourcils et te met plus mal à l'aise qu'autre chose. “Ça fait quarante ans qu’il ne va pas bien.” Oui, bon, tu ne peux pas dire que tu le savais déjà, mais tu ne peux pas vraiment dire que tu es surprise de l'information. On attérit pas où il est du jour au lendemain, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'on est condamné à rester dans notre misère, n'est-ce pas ? “Tu sais qu’il t’utilise, pas vrai ?” - « Qu'il m'utilise ? » que tu répètes après elle, pas trop certaine d'où elle veut en venir ? Il t'utilise pour quoi ? Pour avoir un toit où dormir de temps en temps ? Tu ne trouves pas qu'il abuse vu le très maigre nombre de fois où il a pris la main que tu lui as tendue. Non, il ne t'utilise pas. Lily voit du mal là où il n'en a pas - où tu vois éternellement du bien là où il n'en a jamais eu. “C’est un toxico, tu peux pas t’attendre à des réactions saines et mesurées de sa part. T’es juste un trophée pour lui, Jules.” De surprise en surprise, c'est parfaitement lisible dans ton regard déboussolé que tu ne comprends absolument pas ce qu'elle essaie d'insinuer, ni pourquoi elle le fait. Un trophée ? Pourquoi ? Parce qu'il est allé se vanter d'avoir échangé un baiser avec toi ? Bon, ce sera quand même à clarifier avec lui et de s'assurer que ça n'arrive plus. Après tout, il a été le premier à vouloir garder cet échange secret. Le contexte était particulier, c'est ce qu'elle a dit. "Et honnêtement, t'as aucune envie de te mêler plus que de raison à sa vie." À quel point on doit se sentir seul au monde lorsque notre propre soeur a de tels propos à notre égard ? Franchement, elle ne fait qu'accentuer ta peine et ton empathie envers Joseph. « Merci pour tes avertissements. » Pas merci du tout. « Mais je gère, okay ? » Tu gères rien du tout, mais c'est très beau de te voir y croire. « C'est pas une cause perdue. » Et c'est plutôt horrible de la voir prétendre le contraire. « Tu te trompes. Il ne m'utilise pas. » Et tu es encore moins son trophée. Ah, c'est beau la naïveté.

« J'crois pas que ce soit une très bonne idée. » Ce n’est peut-être pas une bonne idée, mais c’est surtout la seule issue que Lily lui propose, parce qu’elle refuse de parler davantage au nom d’Alfie en ce qui la concerne, elle. La brune n’insiste pourtant pas: Juliet se rendra compte d’elle-même qu’elle n’a de toute façon pas le choix, et en attendant ce n’est pas à Lily de jouer le rôle du bad cop qui la forcerait à aller de l’avant pour enfin ouvrir les yeux. Sur ce sujet précis, du moins, elle ne le fera pas. Il y en a d’autres plus urgents encore à traiter.

Joseph est devenu l’un de ces fameux sujets urgents, par la force des choses. Parce qu’il s’est immiscé là où il n’aurait jamais dû, parce qu’il a décidé de s’approprier des lèvres qu’il n’aurait jamais ô grand jamais dû trouver. Parce qu’elle l’a laissé faire, aussi, et qu’elle ne semble pas éprouver la moindre once de remords, ce que Lily ne peut définitivement pas comprendre à l’idée d’une proximité avec un homme tel que son frère. « Qu'il m'utilise ? » A-t-elle besoin qu’on lui répète à nouveau les mots ? Ils sont pourtant simples et clairs: oui, Joseph utilise Juliet et oui, bien sûr, elle n’y voit que du feu parce qu’elle est trop occupée à avoir foi en lui pour s’occuper du reste. L’ancienne infirmière se charge de lui expliquer les choses telles qu’elles sont, rappelant par la même occasion l’addiction qui est celle de son aînée, laquelle n’a définitivement rien de glamour à aucun niveau. Il est un addict, et si depuis longtemps son plaisir coupable se résume à la drogue, rien ne dit qu’il n’en changera pas un jour, pour quelque chose de plus sombre, pour quelque chose qui lui coûtera peut-être finalement la vie. C’est déjà un miracle qu’il soit arrivé en vie jusqu’à aujourd’hui, tout le monde en conviendra. « Merci pour tes avertissements. Mais je gère, okay ? » C’est ce que tout le monde dit toujours, avant de se rendre compte trop tard qu’ils n’ont jamais rien géré et ont à peine été dans l’illusion des contes de fées. A la fin, les méchants deviennent gentils, et les gentils épousent les nouveaux de leur classe. C’est ce qu’elle espère sans doute, Juliet, mais ce n’est pas Joseph qui risque d’être capable de lui donner un enfant pour autant. “Parle à Alfie.” Elle en revient donc à son propos initial. Parle à Alfie, et on verra si tu gères toujours après ça.

« C'est pas une cause perdue. Tu te trompes. Il ne m'utilise pas. » Que pourrait-elle penser d’autre, Juliet ? Elle qui pense sincèrement que Joseph l’aime pour la personne qu’elle est, et non pour la personne qu’elle représente, pour ce talon d’Achille qu’elle est pour Alfie. Il n’y a qu’en s’en prenant à elle qu’il pourrait l’atteindre à son tour, alors Joseph a joué sa partie, avec aussi peu de considération pour autrui que Lily aurait pu l’anticiper. “Je ne me battrai pas avec toi, Juliet. J’espère juste que tu t’en rendras compte avant qu’il ne soit trop tard.” Les mots de Lily continueront de la hanter, elle le sait déjà, et tout ce qu’elle espère c’est qu’elle arrivera à distinguer la bonne de la mauvaise personne avant de choisir entre les deux hommes. Joseph restera toujours son frère quoi qu’elle en dise, quoi qu’elle en pense, mais il y a bien longtemps qu’elle a choisi Alfie, même s’il ne lui a pas toujours bien rendu, à grands coups d’interminables absences loin du territoire australien. Peu importe. Elle sait avoir fait le bon choix, malgré tout, et elle espère que Juliet sera capable du même ; avant qu’elle ne trouve l’idée de tomber enceinte, par exemple. “Ne lui donne pas l’occasion de t’utiliser comme une arme, c’est tout ce que je dis.” En arrêtant de fourrer sa langue dans sa bouche, par exemple. Ce serait un bon début.

“Parle à Alfie.” Tes sourcils se froncent alors que tu détournes le regard de sur Lily. Tu lui as déjà dit que ce n'était pas une très bonne idée. Tu es même plutôt certaine qu'il n'en a pas non plus envie. Il viendra bien par lui-même s'il veut parler. Après tout, il est venu te déranger à ton travail simplement parce que tu avais vu Joseph. Que fera t-il s'il croit que vous avez échangé un baiser ? Étant donné que c'est Lily qui se trouve aujourd'hui devant ta porte et non lui, ça veut peut-être dire qu'il ne fera absolument rien. Comment lui en vouloir ? La dernière fois c'est plutôt mal passé, en quoi ce serait différent cette fois-ci ? « Pourquoi ? Parce que Joseph l'a laissé pour mort dans notre appartement ? » Ah, tiens donc. Tu risques d'être bien déçu de ne pas lire le choque sur son visage, de ne pas l'entendre dire que ce sont d'horribles propos que tu portes à l'encontre de son propre frère. Le traité de toxico, c'est une chose. Le traité de (presque) meurtrier, c'en est une autre. C'est sans doute pour ça que tu t'empresses d'ajouter : « C'est ridicule. Je ne vais pas parler à Alfie. » pour lui démontrer que ce ne sont pas tes accusations, mais celles de Alfie.

“Je ne me battrai pas avec toi, Juliet. J’espère juste que tu t’en rendras compte avant qu’il ne soit trop tard.” Que pourrait-il vraiment arriver pour que ce soit "trop tard" ? Ce n'est pas comme si tu investissais tout ton temps et ton énergie en lui. Tu te contentes simplement de répondre présente quand il en a besoin, de l'écouter et de le guider du mieux que tu peux - même si tu n'es pas trop certaine de pouvoir vraiment l'aider, il aurait plus besoin de l'aide d'un professionnel dont le jugement n'est pas interférer par les émotions. “Ne lui donne pas l’occasion de t’utiliser comme une arme, c’est tout ce que je dis.” Tu hoches la tête de la négative. Ce n'est pas ce que tu fais. Il y aura sans doute quelques petites choses à clarifier avec Joseph de ton côté. Mais non, c'est juste beaucoup de malentendus, n'est-ce pas ? Ce n'est pas dans les intentions de Joseph non plus. À quoi bon ? Il te manque bien trop d'informations au puzzle, voilà le problème. Mais personne d'entre vous quatre n'a le puzzle en entier. « C'était juste un baiser Lily. Ça ne voulait rien dire. » Et Joseph qui décrit tes lèvres avec le goût de la framboise n'aide en rien à confirmer tes paroles. Tu peux tout de même dire que, pour toi, ça ne voulait rien dire. Et avec ce qui a suivi par la suite, tu es presque certaine que ce soit réciproque. « Et ça n'arrivera plus. » Tu doutes que Joseph puisse vouloir retenter l'expérience de nouveau. De toute façon, s'il le fait, le résultat sera le même : rien de plus. Et puis, ça ne les regarde pas vraiment. Ni elle, ni Alfie. Au pire, ils seront bien fier de te balancer un peu i told you so. Voilà qui devrait clore le sujet, sinon, un changement de discussion devrait suffire. « Il fera un bon père, tu sais, même s'il en doute. » que tu lui dis alors que ton regard divague vers son ventre quelques secondes. Elle en doute sûrement elle aussi au vu de l'incident des dernières semaines.

« Pourquoi ? Parce que Joseph l'a laissé pour mort dans notre appartement ? » Parce que ce n’est pas la première fois que Joseph le laisse pour mort, voilà les véritables mots que Lily voudrait tenir mais dont elle se retient encore, parce qu’elle garde tout de même ses limites. Même elle. Parce qu’elle le doit à Alfie, parce qu’elle est aussi peu certaine que possible à l’idée que Juliet soit au courant du caractère répété de la chose, de l’escalade de la violence mutuelle qu’ils se portent. La prochaine fois, sans nul doute, il y aura un mort. “A commencer par cette raison là, oui.” Le reste, cela ne la regarde pas. Ils n’auront qu’à se réconcilier sur l’oreiller si c’est ce qu’ils veulent ; encore une fois, ce ne sont pas les affaires de Lily. Elle est une femme bientôt mariée (qu’Ezra ait ou non l’intention de la demander en mariage un jour, elle compte bien s’assurer que ce soit le cas le moment venu), et elle ne peut pas éternellement garder avec autant de force toute personne s’approchant d’un peu trop près d’Alfie à ses yeux. Ce n’est pas comme s’il souhaitait écouter moindrement son avis non plus: il est bien placé pour savoir qu’elle revient toujours auprès de lui, peu importe les gestes ou les mots échangés. « C'est ridicule. Je ne vais pas parler à Alfie. » Lily souffle longuement. Peu importe. Elle ira le trouver, le moment venu, quand elle comprendra qu’elle n’a personne vers qui se tourner dans leur monde.

« C'était juste un baiser Lily. Ça ne voulait rien dire. » - “Toi comme moi on sait que tu n’es pas du genre à échanger des baisers à tout va.” Elles se ressemblent beaucoup sur un certain nombre de points, et Lily est plutôt certaine de pouvoir avancer ces mots sans risquer de se brûler les ailes. Juliet accorde beaucoup d’importance à l’idée d’un couple et à l’amour, elle n’est pas du genre à se donner au premier venu, ni même à s’amuser de cette façon. Elle vaut bien plus que cela et ça ne l’empêche en rien de tenir d’autres défauts, mais pas celui-ci. Si elle a embrassé Joseph de son plein gré, alors ça signifie que justement, il y a une raison derrière tout cela. « Et ça n'arrivera plus. » Lily l’espère, et c’est justement pour cette raison qu’elle veut bien la croire: parce qu’elle veut qu’il en soit ainsi. Elle ne veut plus que son frère soit capable d’utiliser de tels arguments contre Alfie ; elle ne veut pas que Alfie, justement, puisse entendre de tels mots à nouveau.

« Il fera un bon père, tu sais, même s'il en doute. »
“Il t’aime toujours, même tu en doutes.”

Ce n’est pas une bataille et cela n’aurait jamais dû l’être, mais Lily a la féroce impression d’être attaquée par ces mots, qu’elle le veuille ou non. Elle y est pour quelque chose, parce que Juliet pense encore fermement que cet enfant est celui d’Alfie alors qu’il n’en est rien, mais le moment n’est pas venu pour lui parler de la vérité derrière toutes ces choses. Cela voudrait dire évoquer bien d’autres sujets encore, et Lily estime que ce n’est pas son rôle que de faire l’immense résumé de leurs vies à une Juliet perdue, insouciante, faible. Elle est aussi belle qu’elle est délicate, mais elle est aussi et surtout une rose à qui on a coupé toutes les épines, et elle ne survivrait pas seule. “Je sais qu’il ferait un bon père.” Elle souffle plus doucement, ajoutant le conditionnel à ses paroles. Tout le monde le sait ; sauf lui, simplement parce qu’il n’a aucune envie de paternité et que c’est un concept que Lily a bien du mal à accepter. “Et toi une bonne mère, le moment venu.” Ces mots ne sont pas faits pour blesser, elle le jure.

“A commencer par cette raison là, oui.” Et chaque mot qui sort de sa bouche sont à glacer le sang. Parce qu'ils sont prononcés bien trop calmement. Parce qu'ils sont dit comme si c'était une évidence. Elle ne réagit pas, et c'est bien ça le problème. Tu voulais qu'elle se mette à rire, qu'elle trouve les fausses accusations complètement idiote. Est-ce que Alfie lui a menti à elle aussi ? Est-ce que c'est l'amour qui la rend aveugle sur ces mensonges ? Sait-elle la vérité ? Accepte-t-elle la vérité alors que tu l'as rejetée ? Tu es incapable d'accepter que l'humain peut être aussi horrible. Le monde n'est pas tout rose. Loin de là, il serait sans doute tant de laisser de côté ta naïveté d'enfant. « Pourquoi il aurait fait ça ? » Parce que c'est un addict et qu'on ne peut pas s'attendre à des réactions saines de sa part. Elle te l'a déjà dit. Est-ce que ça veut dire la même chose de Alfie ? La question te brûle les lèvres. Comme si soudainement Lily était celle qui avait la réponse à toutes les questions du monde. Peut-être que c'est parce que tu crains sa réponse que tu n'oses pas la prononcer à voix haute. “Toi comme moi on sait que tu n’es pas du genre à échanger des baisers à tout va.” Non, effectivement. Tu n'es pas non plus une adepte des coups d'un soir. Tu n'embrasses pas n'importe qui. La preuve de ta vie intime quasi inexistante depuis ta séparation avec Alfie. Tu commences à peine à t'y remettre. Ça fait autant de bien que c'est angoissant. « Mais j'ai rien fait. C'est lui qui m'a embrassé. » Tu n'as nullement participé à ce baiser. Vos lèvres se sont touchées que quelques secondes seulement. La manière dont Joseph parle de ce baiser semble prétendre le contraire, mais c'est la vérité. Et puis, comme si elle avait besoin de preuve supplémentaire qu'il n'y a absolument rien entre son frère et toi, tu ajoutes : « Tu sais, avec Corey, c'est… bien. J'ai pas envie de voir personne d'autre. » Votre relation n'en est qu'au tout début. Vous êtes bien loin d'être un couple. Vous êtes encore deux personnes qui apprennent à se connaître. Deux personnes qui essaient de voir si des sentiments peuvent finir par naître de tout ça. C'est quand même pas ton genre d'embrasser n'importe qui quand tu en vois un autre, sérieux ou pas.

“Il t’aime toujours, même tu en doutes.” À quel point c'est ironique qu'elle te balance une pareille information alors que vous êtes en train de (presque) parler de l'enfant qu'elle partage avec Alfie ? « J'en doute pas. » Tu en as douté pendant longtemps. Même lorsque tous les signes sont là pour le confirmer. Greta t'a sans doute aider un peu à ouvrir les yeux, mais c'est votre dernière discussion qui t'a vraiment fait ouvrir les yeux sur les sentiments toujours présents de ton ex. « Ça veut pas dire que ça change quoi que ce soit. » C'était pas assez de s'aimer il y a deux ans. C'est pas assez aujourd'hui non plus. Sentiment ou pas, votre histoire est terminée. Il s'est passé trop de choses pour pouvoir la réparer. “Je sais qu’il ferait un bon père.” Il ferait et non sera. Sa grossesse est bien loin d'être terminée, mais elle ne semble pas vouloir laisser une place à Alfie dans la vie de cet enfant. Et au vu de ce qui s'est passé entre eux, c'est plus que compréhensible. Mais elle a encore le temps de changer d'avis. Ou alors, c'est plus facile de l'éjecter elle-même plutôt que de le laisser dire qu'il ne veut pas faire partie de cette famille. “Et toi une bonne mère, le moment venu.” - « Merci. » Le compliment fait plaisir autant qu'il est difficile à entendre. Tu laisses un mince sourire s'afficher, mais même si c'est un sourire, la tristesse se voit. « Je vais devoir envisager une autre option. Ça n'a pas fonctionné. » que tu précises par la suite comme si elle pouvait te donner une solution miracle à ton problème. Ce ne sera probablement pas pour bientôt, mais tu gardes quand même espoir que ton tour viendra. Ce sera plus compliqué, mais pas encore impossible.

« Pourquoi il aurait fait ça ? » Juliet joue un jeu dangereux, à ainsi poser autant de questions pour lesquelles elle ne veut pas connaître la réponse. Lily l’observe un instant en silence, presque capable de s’imaginer qu’il existe un miroire face à elle. Physiquement, elles pourraient être le portrait craché l’une de l’autre, les sœurs d’une vie différente que seules la couleur de leurs yeux pourraient différencier. “Parce que c’est qui il est vraiment.” C’est dans sa nature, à Joseph. Parce qu’il est Joseph, mais aussi et surtout parce qu’il est un Keegan. Elle aussi, elle en aurait été capable: à la seule différence que si un schéma semblable avait dû exister de son côté, elle se serait assurée que sa victime ne se relève jamais. Cacher ses traces et les corps avec, voilà qui devrait être une évidence pour tout le monde, même si elle est heureuse et soulagée que Joseph n’en ait pas eu l’idée avec Alfie.

Elle espère sûrement que Lily fera par lui dire que tout ceci n’est qu’une immense blague et une caméra cachée dont personne n’a mesuré la gravité, mais il n’en est rien. Il n’en est d’autant plus rien lorsque le sujet du baiser échangé revient sur le tapis, énième reproche envers Juliet qu’elle n’est pas prête d’abandonner, et encore moins d’oublier. « Mais j'ai rien fait. C'est lui qui m'a embrassé. » Elle vient à bout de la patience de Lily qui jurerait avoir déjà entendu son discours, il y a quelques minutes à peine. La douce Juliet innocente qui a malencontrueusement embrassé le meilleur ami, meilleur ennemi de son ex. Personne n’y croit, et Lily est certaine qu’elle n’arrive pas elle-même à croire à son mensonge éhonté, comme si ce baiser n’avait pas été un tant soi peu partagé. Elle ne dit pas que son frère est doué en amour, certainement pas, mais elle ne l’accuserait pas d’avoir forcé Juliet à l’embrasser, parce qu’elle sait au moins que cela ne lui ressemble pas. S’ils en sont arrivés là, c’est qu’elle le désirait aussi, même si elle a plus à y gagner à clamer le contraire maintenant. « Tu sais, avec Corey, c'est… bien. J'ai pas envie de voir personne d'autre. » La brune lève un sourcil curieux, et si elle a effectivement arrangé un rendez-vous entre les deux, elle n’avait pas été tenue au courant que ce dernier avait pu porter ses fruits. Tant mieux, pourtant, parce que tel était bien le but recherché. “Ne lui brise pas le coeur.” A Corey, en premier lieu. A Joseph, aussi, sûrement. Malgré tout.

Si Lily est aujourd’hui présente, ce n’est pourtant pas pour parler de Corey, et ce peu importe à quel point elle aime et estime son ami de toujours. Ce n’est pas dans un tel contexte qu’elle veut parler de lui, tout simplement. Si elle a fait ce chemin, c’est pour Alfie, et Alfie seulement, ce qui la pousse à réparer les pots qu’elle a elle-même cassés, puisque Juliet mérite d’entendre la vérité toute entière, même celle des sentiments qu’elle extrapole du coeur de l’anthropologue. « J'en doute pas. Ça veut pas dire que ça change quoi que ce soit. » Ça le devrait, pourtant, mais cette partie de l’histoire n’est pas le combat de Lily, dont la vie est peut-être même un peu meilleure si elle sait qu’ils ne sont pas ensemble, à se bécoter sous des houx et à tenter de convaincre et persuader Alfie qu’un enfant ensemble n’est pas une si terrible idée. Elle lui a dit qu’il l’aime ; le reste, ce ne sont pas ses affaires. « Je vais devoir envisager une autre option. Ça n'a pas fonctionné. » L’empathie dans le regard de Lily est sincère, cette fois. Elle sait très bien ce que c’est que de ne pas arriver à fonder la famille tant désirée. “J’ai essayé pendant douze ans. Deux grossesses, et deux fausses couches.” Elle ne joue pour une fois pas au jeu de celle qui est le plus à plaindre. Tout ce qu’elle se contente d’essayer de lui dire, c’est que le parcours est parfois difficile pour beaucoup d’entre elles, même si peu osent en parler. “Je suis désolée. Mais ça vaut la peine de se battre.” C’est à une autre femme qu’elle parle maintenant, et plus à la Juliet qui se retrouve au milieu de tous les hommes de sa vie - grand dieu, au moins Ezra en est exempté. Elle lui parle de femme à femme, de future mère à future mère. Elle sera exemplaire en la matière, le moment venu et elle mérite de se battre pour cette vie qu’elle désire et mérite. “Mais je pense qu’on s’est tout dit, maintenant. Je vais te laisser.” Et elle ne demande pas son autorisation, déjà relevée bien qu’au ralenti, ses doigts ayant replié sa robe pour qu’elle suive la courbe de ses cuisses sans faire de zèle. Elle ne veut pas parler de la difficulté qu’a Juliet a avoir un enfant, trop apeurée à l’idée qu’on le lui fasse payer par une nouvelle fausse couche. Tant qu’elle n’aura pas vu son enfant de ses propres yeux, elle ne sera pas sereine. La vie le lui a appris.