Lorsqu’il avait appris qu’une exposition sur l’œuvre de William Turner, son peintre fétiche, se tenait en ville, Carmine, papillon attiré par la lumière, n’avait pas su résister bien longtemps. Victimes des tourments de l'existence depuis son départ de Londres, l’anglais s’était rendu sur place en toute discrétion, profitant de l’anonymat des déplacements en taxis pour éviter de se faire suivre par d’éventuels paparazzis. A quelques jours du lancement de la collection automne – hiver, son absence en Angleterre commençait à sérieusement paniquer la maison Sighbury et Carmine préférait se faire, une fois n'était pas coutume, le plus invisible possible. Lui dont la vie n’avait été que strass et paillettes, objectifs et caméras, se retrouvait donc à raser les murs et à chercher les coins d’ombre dans le but égoïste d’avoir un peu de tranquillité. Il souhaitait prendre le recul nécessaire afin de penser à son avenir et à ce qu’il était encore prêt à accepter de faire ou non pour la gloire de sa famille mais accusait difficilement le coût à payer.
Dans son cas, anonymat rimait avec solitude et la solitude avait toujours été la chimère la plus effrayante qui soit pour Carmine. L’enfant star, choyé et surcouvé depuis sa naissance, ne savait tout simplement pas comment l’appréhender ; comment être autre chose que le centre d’attention, celui vers lequel convergeaient tous les regards. Son identité s’était forgée à travers le regard des autres et ressentir le besoin de s’en éloigner provoquait en lui de puissants conflits intérieurs. Comment pouvait-il à la fois satisfaire les attentes de la marque dont il était l’héritier et le symbole tout en respectant son besoin d’être lui-même ? Comment s’assumer pour ce qu’il était lorsqu’on attendait de lui qu’il soit l’image parfaite et préconçue d’un Homme auquel il s'identifiait de moins en moins ? Le cas de conscience était complexe et épineux. Trop pour trouver des solutions toutes faites, simples et rapides. Carmine avait besoin de lucidité. Il souhaitait prendre les bonnes décisions et, quoiqu’il en disait, rester en bon terme avec ses parents car la famille avait une importance capitale à ses yeux. Mais comment concilier l'être et l'avoir ?
Debout dans un coin de l'exposition, focalisant son attention sur les toiles afin de rendre plus complexe l'ouverture de la conversation pour quiconque essayerait de l'aborder, l'anglais se perdait dans ses pensées. Les images de ces tableaux qu'il connaissaient par cœur le renvoyait aux souvenirs de ses années universitaires. Il se revoyait jeune et insouciant, entouré d'une cour de vipères dont il ne découvrirait la nature profonde qu'au fil des années et des déceptions. Son amour du beau, sa confiance trop vite accordée, son imaginaire galopant, son romantisme incurable ... Le fameux sourire qu'on lui connaissait en couverture des magazines avait depuis toujours caché une personnalité délicate et émotive, loin de celles des clients auxquels les vêtements qu'il portaient étaient destinés.
Une émotivité qui le rattrapait face à la beauté des couleurs et des effets de transparence de Turner. Les yeux brillants d'appréciation, Carmine se projetait dans les voiles des bateaux de la bataille de Trafalgar. Il imaginait le vent se prendre dans les tissus, le craquement des mâts signaler les collisions et les cris des soldats passant à l'abordage. Cette bataille avait signé la victoire de la marine royale, alors en infériorité numérique, face à l'empereur de France. Carmine y voyait une allégorie réconfortante. Lui aussi était en infériorité numérique dans le conflit l'opposant à ses parents. Fallait-il cependant que l'histoire se termine sur le même modèle ? Le mannequin ne souhaitait pas voir la guerre éclater au sein de sa famille. « Mais qui apprécie la paix de nos jours ? » Questionna-t-il à haute voix, sans même le réaliser, distrait et rêveur.
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Dernière édition par Carmine Sighbury le Dim 27 Nov 2022 - 1:43, édité 2 fois
Une exposition sur William Turner à Brisbane, c’était un évènement qu’il ne fallait surtout pas manquer. Tu en avais entendu parler avant son ouverture quand tu avais repris contact avec tes anciens collègues et connaissances du milieu artistique à Brisbane. Malheureusement, depuis son ouverture, tu n’avais pas eu le temps de t’y rendre. La galerie commençait enfin à ressembler à quelque chose ce qui te faisait vraiment plaisir mais qui rajoutait un peu de stress à ton quotidien. Parce que qui disait fin de travaux, disait ouverture et tu n’avais pas encore recruté assez de talents pour une ouverture réussie. C’était sur la recherche de talents à exposer et ton argumentaire que tu travaillais comme une acharnée. Il n’était pas facile de convaincre les artistes de te faire confiance, toi qui ouvrais une galerie inconnue en dehors du quartier de Spring Hill qui était celui où les galeries rayonnaient le plus. Justement, c’était ton parti pris que d’ouvrir en dehors du quartier des affaires. Tu n’avais pas envie de vendre de l’art à des personnes qui passaient moins d’une heure dans leurs appartements modernes et froids qui n’étaient que des vitrines d’une vie d’opulence. Non, toi ce que tu voulais c’était vendre de l’art qui changerait la vie des gens. De l’art qui serait exposé dans des maisons ou des locaux professionnels qui en profiteraient et qui pourrait apporter du répit et de la joie aux personnes les possédant. Tu ne promettais pas à tes artistes des ventes aux prix astronomiques mais tu leur promettais des ventes à un prix correct et des acheteurs bien plus impliqués et intéressés. Et puis ta galerie pourrait être un tremplin pour eux s’ils désiraient plus tard être vendus dans des galeries de renom. Ce dont tu ne manquais pas c’était de réseau avec tes différentes expériences professionnelles. Tu avais vite compris que dans ce milieu, c’était bien plus important que tes connaissances en art alors tu l’avais entretenu au fil des années, même quand tu étais à New York. Tu évitais de le mentionner à tes proches cependant car eux n’avaient pas eu droit à des nouvelles pendant tes deux années sur le continent américain.
N’ayant pas encore de vraies contraintes liées aux horaires de ta galerie, tu avais décidé d’aller visiter l’exposition des œuvres de Turner en pleine semaine et en journée pour éviter le plus gros de l’affluence. Tu n’avais pas encore statué sur les jours d’ouverture de la galerie mais tant que tu n’aurais pas d’employés, tu devrais fermer un jour par semaine au moins pour souffler. Il n’était pas question de fermer le week-end bien entendu car tu espérais avoir ta plus forte fréquentation sur ces journées, alors que les habitants du quartier flâneraient dans les rues. Une fois habillée d’une petite robe printanière, tu quittais la maison sur ton vélo pour te rendre à la galerie. Tu voulais t’assurer que les travaux avaient bien repris. Tu t’étais laissée un peu de marge pour l’ouverture de ton bébé mais pas assez pour que tu puisses te permettre beaucoup de retard. Rassurée que tout se déroulait comme prévu, tu grimpais sur ton vélo pour te rendre sur le lieu de l’exposition. Une fois arrivée, tu accrochais ton vélo à l’endroit où le stationnement lui était dédié avant de grimper les marches pour rentrer dans le bâtiment.
Comme tu l’avais espéré, il n’y avait pas grand monde. Tu avais choisi le matin car il y avait toujours moins de monde que l’après-midi et tu allais pouvoir prendre le temps d’étudier les œuvres qui étaient présentées. Tu t’accrochais rapidement les cheveux pour ne pas être gênée dans ta découverte avant de te lancer. L’exposition était loin d’être petite, le musée avait vraiment mis les moyens. Tu te notais d’essayer de voir le commissaire de l’exposition si tu pouvais le croiser. Tu prenais ton temps devant chaque tableau, essayant de redéfinir les coups de pinceaux qui avaient menés à de telles œuvres. Tu avais pris l’audioguide également pour avoir le maximum de détails même si tu en savais déjà beaucoup sur le peintre. Il n’y avait pas grand monde dans la salle où tu te trouvais, seulement toi et un autre homme voilà pourquoi tu sursautais quand tu entendis : « Mais qui apprécie la paix de nos jours ? » Tu te retournais brusquement mais l’homme n’avait pas bougé de position. Il semblait être totalement dans ses pensées alors que son regard était plongé sur La bataille de Trafalgar. Un sourire amusé se dessina sur ton visage et tu vins t’arrêter à quelques mètres de lui. « Les enfants je suppose. La paix leur permet de ne pas grandir trop vite. » Sa question était rhétorique, c’était évident mais tu avais envie de ramener un peu de légèreté sur le visage de l’homme qui semblait ne pas être au meilleur de sa forme. « Il est regrettable qu’il faille des guerres pour aboutir à de si belles œuvres d’art. Dans tout chaos se cache de la beauté, un rayon de lumière. » Tu étais une pacifiste convaincue. Pour toi, le monde se porterait bien mieux si tout le monde pouvait vivre en paix mais tu avais compris depuis longtemps que les hommes n’étaient pas faits pour vivre en paix. S’il n’y avait plus de raisons d’être en conflit, ils en créeraient des nouvelles. « C’est toujours un pur plaisir de redécouvrir les œuvres de Turner … » Dis-tu mélancolique. Cela te ramenait à d’autres musées, d’autres moments de ta vie.
« Les enfants je suppose. La paix leur permet de ne pas grandir trop vite. » Carmine battit des cils, ramené à la réalité par une voix inconnue. Son regard se tourna en direction de l'unique personne présente dans la salle. Une femme qu'il estima être dans la même tranche d'âge que lui, vêtue d'une robe au motif floral mettant en valeur son teint pâle. Habillés de ses vêtements de créateurs aux matières nobles et à la coupe parfaitement ajustée à ses mensurations, l'anglais paraissait indiscutablement guindé en comparaison de ce style un peu bohème. « Il est regrettable qu’il faille des guerres pour aboutir à de si belles œuvres d’art. Dans tout chaos se cache de la beauté, un rayon de lumière. » Sighbury réfléchit au sens de ces propos dans un silence analytique. Mains croisées dans le dos, il approuva d'un signe de tête. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire triste. L'anglais aimait la poésie et l'espoir. Il partageait - depuis qu'il l'avait découvert en classe - le point de vue des dieux gréco-romains concernant la beauté de l'existence mortelle. Le tragique que représentait l'inévitabilité de la fin et la valeur que cela donnait au chemin parcouru et à parcourir. L'Art, quelque fût son moyen d'expression, était une ode à tout ceci. Un habile moyen d'expression de l'âme consciente de sa volatilité et peut-être aussi une tentative humaine de survivre à l'oubli. « C’est toujours un pur plaisir de redécouvrir les œuvres de Turner … » « Je ne vous le fais pas dire. »
Son attention se reporta sur le tableau qu'il engloba d'un regard appréciateur avant de reprendre : « Je me demande comment lui sont venues ces images mentales ... » Des récits des survivants, probablement. À cette époque où la photographie n'existait pas et où aucun réseau social n'était là pour diffuser en direct l'intensité de la bataille, il avait fallu au peintre une imagination débordante afin d'en arriver à ce chef d'œuvre. Carmine soupira. Que resterait-il de lui après sa mort ? Les photoshoot aux éclairages parfaits pour lesquels il posait depuis sa plus tendre enfance ou les clichés volés des paparazzis dont l'esthétisme n'intéressait personne pourvu qu'il y ait du scoop et de l'inédit en sous-titre ? « Amatrice d'Art je suppose. » Reprit-il pour chasser de son esprit ces interrogations moroses et se focaliser sur quelque chose de plus motivant, à savoir la perspective d'avoir à ses côtés une personne qui, comme lui, avait déjà étudié les tableaux exposés et avec laquelle il avait donc de bonnes chances d'avoir sujet à discuter.
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Dernière édition par Carmine Sighbury le Dim 27 Nov 2022 - 1:42, édité 1 fois
Ce n’est pas dans ton habitude d’aborder quelqu’un dans une exposition. En général, ce sont des expériences que tu préfères vivre seule et dans ta bulle. Tu as toujours trouvé cela agaçant d’avoir quelqu’un à trainer derrière toi à qui tu devrais tout expliquer. Voilà pourquoi tu t’arrangeais toujours pour visiter l’exposition seule avant d’y amener des amis ou à une époque Rhett. Toutefois, l’homme dans la pièce avec toi semblait réellement apprécier la qualité de l’œuvre qu’il avait sous les yeux et il n’y avait rien de plus intéressant à tes yeux qu’une conversation avec un autre passionné d’art. Il sursauta quand tu répondis à sa question ce qui ne te surprit pas. Il était évident que l’homme était perdu dans ses pensées et ne t’avait pas vu arriver dans la pièce. Ta réponse n’était peut-être pas la bonne mais il n’y en avait pas de bonne. Prenant le temps de l’observer, tu remarquais de suite qu’il n’était pas du même milieu que toi. Tu avais assez côtoyé la haute société pour reconnaitre leurs manières et leurs habits, l’homme à côté de toi en était presque le cliché. Mais il y avait toujours de belles choses qui sortaient des mélanges et tu étais curieuse de savoir à quoi cette conversation pourrait mener. « Je ne vous le fais pas dire. » Te voilà rassurée, tu étais au moins tombée sur un vrai passionné, tu ne t’étais pas trompée. Une exposition de cette envergure en Australie, ce n’était pas courant alors il fallait en profiter pleinement. « Je me demande comment lui sont venues ces images mentales ... » Toi aussi tu aurais aimé être dans la tête de Turner. Tu aurais aimé être dans la tête de beaucoup d’artistes pour mieux les comprendre et mieux saisir le génie de leur créativité. Malgré ton amour immense pour l’art, tu ne te considérais toi-même pas comme une artiste. Très peu douée de tes mains quand il s’agissait de créer, tes dessins étaient la seule chose dont tu étais à peu près fière. Le soupir que laissa échapper ton voisin confirma ta suspicion. Il semblait en avoir gros sur les épaules et cela n’avait aucun lien avec l’exposition que vous étiez en train de visiter. Mais tu fis comme si tu ne l’avais pas entendu, après tout, il n’était qu’un inconnu. « Moi je me demande à quel point elles sont fidèles. Quelle est la part d’interprétation et de liberté artistique prise par Turner ? » N’ayant pas assisté à l’évènement, vous ne le sauriez jamais mais c’était toujours la question que tu te posais quand tu voyais des œuvres censées représenter des évènements ou des lieux ou des personnages réels. Ton voisin finit par quitter le tableau des yeux et se tourner de nouveau vers toi. « Amatrice d'Art je suppose. » Un sourire amusé se dessina sur ton visage. Amatrice était un faible mot dans ton cas. « Je préfère amoureuse d’art, les œuvres artistiques sont bien moins déceptives que les humains. » Lui dis-tu sur le ton de la plaisanterie. C’était une blague teintée d’ironie mais cela ne restait pas moins vrai. « C’est surtout mon métier en réalité. » Finis-tu par lui dire. « J’ai longtemps été conservatrice de musée, je travaille aujourd’hui à l’ouverture de ma galerie. » Expliquas-tu sans réellement savoir pourquoi. Qu’est-ce que cet inconnu pouvait avoir à faire de ta carrière professionnelle ou de ta galerie ? « Vous m’avez l’air d’être un fin connaisseur de votre côté. » Lui dis-tu pour retourner la situation.
« Je préfère amoureuse d’art, les œuvres artistiques sont bien moins déceptives que les humains. » Les lèvres de Carmine s'entrouvrirent en une expression de surprise contenue. Subtilement, ses paupières se plissèrent tandis qu'il inclinait la tête. La réponse de l'étrangère éveillait chez le mannequin un intérêt d'autant plus grandissant qu'il l'accueillit sans s'encombrer de l'ironie allant de paire. Des décennies de déceptions, de désillusions et de trahisons avaient fait de l'anglais un être d'un cynisme aussi introverti qu'insoupçonné. Dire qu'il préférait son cheval à bon nombre de bipèdes endimanchés comme lui n'aurait pas été mentir, mais il s'agissait là d'un aveu à ne pas faire en société. Un Sighbury ne se prêtait pas à ce genre de provocations. « Une conservatrice de musée propriétaire de sa propre galerie ... » Reprit-il, les sourcils arqués d'appréciation. Aurait-il pu souhaiter meilleure rencontre ? Probablement pas. Il y avait tout à parier pour que les pièces choisies par la professionnelle eurent valu le détour. « Est-ce pour bientôt ? » L'ouverture.
Carmine n'avait rien dit concernant la décoration du loft familiale de Spring Hill dont Greta, en sa qualité de première habitante à avoir investi les lieux, s'était chargé mais les goûts simples de sa sœur n'étaient évidemment pas à la hauteur de ses espérances en matière de décoration. Ikea ne faisait pas partie de ses fantasmes architecturaux. Contrairement à la plus jeune des Sighbury dont le souhait avait été de fuir leur cage dorée et tout ce qu'elle représentait de beaucoup trop ostentatoire, le fait d'avoir grandi au sein de maisons de maîtres savamment habillées, de pièces et de couloirs aux tableaux, aux sculptures et aux reliques venues des quatre coins du monde en plus d'avoir traversé les âges avait inspiré à Carmine une passion du beau suffisamment développée pour en faire le thème de ses études universitaires. « J'ai étudié l'Histoire de l'Art. » Répondit-il, soucieux de conforter la conservatrice dans son impression. Puis, pivotant sur ses talons afin de pleinement lui faire face, il la gratifia d'une révérence respectueuse. « Carmine. » Sighbury préféra taire son nom et se présenter en tant qu'homme plutôt qu'en tant que marque. Preuve lui avait plus d'une fois été donnée que son patronyme changeait la dynamique de ses rapports sociaux, notamment avec les étrangers. Or l'anglais, convaincu d'être dans un jour de chance, préférait offrir à cette rencontre la possibilité d'aboutir sur autre chose que des rapports biaisés. « Oserais-je vous demander la localisation de cette galerie ? » L'idée d'y faire un tour germait d'ores et déjà dans son esprit toujours partant pour un peu plus de contemplation.
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Dernière édition par Carmine Sighbury le Dim 27 Nov 2022 - 1:41, édité 1 fois
Il t’arrive régulièrement de parler sans réfléchir ou de penser à haute voix. Ton voisin ne s’attendait certainement pas à ce que tu laisses entendre que tu avais été déçue en amour. Mais en même temps, qui ne l’avait pas été ? Il devait exister des chanceux mais ils ne devaient pas être bien nombreux. Au hochement de tête de l’homme à tes côtés, tu compris qu’il te comprenait. Il se focalisa toutefois sur la partie la plus intéressante de la phrase que tu venais de prononcer c’est-à-dire, ta galerie. « Une conservatrice de musée propriétaire de sa propre galerie ... » Il y avait comme de l’admiration dans sa voix et c’était la première fois que tu l’entendais. Toutes les personnes à qui tu en avais parlé avaient pris cela comme une évidence, comme la prochaine étape de ton parcours professionnel, l’étape à laquelle tu te destinais depuis le début. Mais personne n’avait réellement montré de l’admiration. « Est-ce pour bientôt ? » Un peu plus et l’on pourrait croire qu’il est en train de te parler d’un bébé. De toute manière, ta galerie d’art est l’enfant que tu n’auras jamais, il faudra t’en contenter. « Oui, cela approche bien trop vite même si je n’attends que ça. Elle ouvrira début novembre, le 5 novembre pour être précise. » Tu pouvais te permettre de donner la date désormais, tu l’avais enfin choisie. Il te tardait que la galerie ouvre ses portes mais en même temps, tu étais terrifiée que tout ne soit pas prêt à temps.
Intriguée par ton interlocuteur, tu lui dis remarquer que lui aussi semblait s’y connaître en art ce qui n’était pas toujours le cas dans des expositions de cette ampleur. Et tu ne le regrettais pas, il était important que même des profanes accèdent à la beauté de ces chefs d’œuvre. « J'ai étudié l'Histoire de l'Art. » Un sourire se dessina immédiatement sur ton visage et tu lui répondis : « Cela nous fait un point commun. » Car il était évident que vous n’en aviez sans doute pas beaucoup d’autres. Tu ne savais pas qui était l’homme à tes côtés mais ses beaux vêtements te laissait penser que c’était une personne avec des moyens au-dessus des tiens. Mais tu ne t’étais jamais arrêtée à cela et tu n’allais pas commencer maintenant quand tu venais de tomber sur quelqu’un de très intéressant. « Carmine. » Tes yeux se plongèrent dans les siens, légèrement amusée. Tu décidais de t’incliner comme lui en lui disant : « Enchantée, moi c’est Jenna. » Tes manières étaient sans doute loin de celles auxquelles il était habitué mais tu n’avais jamais été très cérémonieuse, tu trouvais cela pompant et inutile. « Oserais-je vous demander la localisation de cette galerie ? » Ce n’était pas un secret, bien au contraire même, si tu voulais qu’elle ait un peu de succès, tu pouvais bien commencer à en faire la publicité. « A Toowong, Sherwood Road plus précisément. » Elle n’était qu’à quelques mètres de chez toi ce qui était un avantage certain. Mais ce n’était pas l’endroit où l’on attendait une galerie. « Je n’avais pas envie d’ouvrir à Spring Hill. Je cherche à amener l’art dans des quartiers où il est moins présent et avec une offre plus diversifiée. J’aimerais être un tremplin pour de jeunes artistes et un lieu d’échange. Je prévois de mettre en place des activités et un petit espace salon de thé. » C’était ton concept, on y adhérait ou pas mais tu y croyais dur comme fer. « Si vous êtes disponibles le 5 novembre, vous pouvez passer à l’ouverture, vous serez le bienvenue. » Qu’est-ce que cela te coûtait d’inviter une personne en plus ? Cela ne te faisait que plus de publicité et puis tu auras ainsi l’avis d’un réel amateur d’art. « Vous travaillez dans le milieu de l’art ? » Lui demandas-tu à ton tour.
Sherwood Road - Toowong, Carmine enregistra l'adresse dans un coin de sa mémoire. S'il avait pour habitude de se délester des détails qu'il considérait comme étant inutiles ou encombrant auprès des secrétaires que la marque mettait à sa disposition, ce genre d'information n'en faisait pas partie et il décida de la garder précieusement pour lui. En sa qualité de fils prodigue et de figure emblématique des Sighbury, l'anglais s'était bien plus souvent vu considéré par ses parents et leurs employés comme un modèle - pour ne pas dire un accessoire - que comme un être à part entière doté d'une sensibilité propre. Ses études en Histoire de l'Art n'avaient pour beaucoup été vues que comme une formalité ; un prétexte plus qu'une véritable vocation puisqu'il fallait aller à Cambridge, comme tous les fils de bonne famille. Enfant star, Carmine n'avait pas besoin d'être diplômé pour continuer sa carrière. En revanche, on avait jugé judicieux qu'il étudie au sein de l'une des plus prestigieuses universités du pays, que ce soit pour l'image de marque ou pour le réseau que cela apportait. Confréries et bizutages forment la jeunesse dorée à devenir les rois de demain. Il n'en restait pas moins que le mannequin avait adoré ses années d'études et que son intérêt pour l'Art ne s'était pas tu avec l'obtention de son diplôme. Carmine avait simplement appris à ne partager cette passion qu'avec ceux disposés à l'écouter en parler. Rarement, donc.
Il écouta Jenna expliquer les raisons de ses choix et les aspirations les ayant portés. Son regard s'illumina lorsqu'elle fit mention du salon de thé. « Quelle idée délicieuse ! » Ce n'était plus une option désormais, Carmine désirait plus que tout se rendre dans cet endroit si bien qu'il fut plus que ravi d'être invité à l'ouverture. « Comptez sur moi, je serai présent. » En parfait gentleman, l'anglais mettait un point d'honneur à honorer ses promesses. Le 5 au matin, il serait le premier à pousser la porte de la galerie, probablement un bouquet de fleurs à la main et une cravate assortie.
« Vous travaillez dans le milieu de l’art ? » Malaise. Carmine sous-pesa ses mots. S'il était toujours partant pour discuter de l'Art sous toutes ses formes, parler de sa carrière de mannequin et de l'industrie dont il était une icône ne lui semblait pas approprié à la conversation. Il était venu au musée dans le but de se changer les idées, de prendre du recul et de penser à autres chose qu'aux problématiques complexes que sa situation impliquait depuis la dispute avec ses parents et sa fuite en avant. Il lui sembla nécessaire de rester vague afin d'éviter les questions qui l'amèneraient à n'avoir d'autres choix que de mentionner les Sighbury : « La Mode. » Dit-il en tirant sur ses manches afin de s'assurer que ces dernières s'arrêtaient parfaitement à la couture du poignet de sa chemise. « Je veille à ce que les hommes s'habillent avec élégance. » Fallait-il seulement le préciser ? Tout chez lui transpirait le paraître et l'attention minutieuse portée à l'image. Cependant, l'anglais ne s'attarda pas sur ce point et reprit : « Je serai curieux de connaître votre œuvre favorite parmi celles ici exposées. » Son regard engloba la pièce comme une invitation qu'il faisait à Jenna de l'emmener avec elle vers le tableau de son choix. Carmine pouvait tout aussi bien discuter des raisons faisant de telle ou telle pièce la plus appréciable de toutes que rester debout, côte à côte, à contempler silencieusement la beauté des couleurs.
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Dernière édition par Carmine Sighbury le Dim 27 Nov 2022 - 1:40, édité 1 fois
Contre toute attente, ton interlocuteur se montra intéressé par ta démarche au niveau de ta galerie d’art. C’était un concept dans lequel tu croyais profondément mais n’ayant pas eu pour l’instant à faire un emprunt pour ton projet, tu n’avais pas eu à le défendre devant d’autres personnes que ta famille aimante et dévouée. Autant dire que leur approbation t’était acquise. Il était intéressant de voir l’homme à tes côtés s’extasier devant ton concept unique et différent : « Quelle idée délicieuse ! » La mention d’un salon de thé semblait avoir fini de le convaincre. Cela t’amusa parce que Carmine avait l’air d’être quelqu’un plus habitué aux galeries d’art de Spring Hill qu’à ta petite entreprise à Toowong mais tu n’allais pas cracher sur l’opportunité qui se présentait. Un potentiel client de plus dans ta galerie n’était pas quelque chose à prendre à la légère alors tu n’allais pas le faire. « Comptez sur moi, je serai présent. » Un sourire illumina ton visage. Tu ne connaissais pas assez ton interlocuteur pour savoir s’il était du genre à faire ce type de promesse sérieusement ou non. Il devait avoir un planning bien rempli alors tu ne lui en voudrais pas s’il changeait d’avis. Tu l’accueilleras cependant chaleureusement s’il arrive à se rendre disponible. « C’est vraiment gentil de votre part. Je vous offrirai un thé et une pâtisserie pour vous remercier. » Tu n’allais sans doute pas faire beaucoup de ventes lors de ton premier jour mais cela importait peu. L’important était de marquer les esprits avec ton projet et les artistes que tu exposais. Tu voulais surtout que les gens reviennent quand ce sera plus calme, quand ils auront l’occasion de mieux profiter des œuvres.
Ta question sur le travail de Carmine le mit mal à l’aise ce que tu ne compris pas très bien. En général, les gens sont fiers de leur travail et se définissent par lui. C’était un peu ce que tu faisais aussi ces dernières années car il était la seule chose qui fonctionnait correctement et que tu réussissais à mener de front dans ta vie. « La Mode. Je veille à ce que les hommes s'habillent avec élégance. » Tes yeux s’écarquillèrent car tu étais persuadée qu’il travaillait dans le milieu de l’art. Mais il n’en était pas éloigné, la mode était un art également. Tu y étais moins sensible mais tu le qualifierais tout de même d’art. « S’ils s’habillent comme vous, ils sont sur la bonne voie. » Lui dis-tu avec un sourire. De ton côté tu n’étais pas très attachée aux crédos de la mode, ton côté bohème était indéniable. « Vous vous habillez tous les jours comme ça ? » Ta spontanéité finira par te perdre un jour … « Désolé, c’est juste que ça n’a pas l’air très confortable. » Dis-tu en haussant les épaules. Tu détestais te retrouver dans des vêtements qui t’empêchaient de bouger comme tu l’entendais et Carmine semblait se trouver dans des vêtements plutôt serrés. Sa gêne l’amena rapidement à changer de sujet après avoir tiré sur sa veste pour couvrir un peu sa chemise. « Je serai curieux de connaître votre œuvre favorite parmi celles ici exposées. » Que la conversation se recentre sur l’exposition ne te dérangeait pas plus que ça. « Venez c’est par là. » Dis-tu à Carmine avant de l’entraîner devant The Rise of the Carthaginian Empire. C’était peut-être un cliché mais ce tableau t’avait éblouie quand tu l’avais découvert et cela n’avait pas changé aujourd’hui. Cette œuvre était un peu moins ténébreuse et plus optimiste par rapport à ce que Turner avait tendance à représenter. Le tableau que vous observiez auparavant en était un contraste totale. « J’aime ce que raconte ce tableau. J’aime cette construction avec ce mélange des hommes et de la nature et ce soleil qui éclaire d’optimisme le travail acharné de chaque protagoniste. » Dis-tu en laissant ton regard se perdre dans les coups de pinceaux du tableau. « Qu’est-ce que vous en pensez ? » Demandas-tu à ton interlocuteur.
« The Rise of the Carthaginian Empire ! » Récita Carmine face à la toile auprès de laquelle Jenna l'avait emmené. L'intonation de sa voix laissait supposer qu'il appréciait ce choix et la façon dont il se pencha vers le tableau (nez plongé sur les détails tandis qu'il gardait les mains croisées dans le dos, tel un inspecteur des travaux finis) trahissait un intérêt certain. « J’aime ce que raconte ce tableau. J’aime cette construction avec ce mélange des hommes et de la nature et ce soleil qui éclaire d’optimisme le travail acharné de chaque protagoniste. » Les explications de Jenna accompagnaient la contemplation du mannequin dont le regard passait d'un coin à l'autre de l'œuvre avec application. « Qu’est-ce que vous en pensez ? » L'anglais se redressa et pris quelques pas de recul. Il avait alors dans son cadre non seulement le tableau mais aussi la chevelure incandescente de sa complice. « Je pense que ces couleurs mettent en valeur la vôtre. » Le charme britannique. Carmine sourit, bienveillant, avant de revenir à la hauteur de la jeune femme. « Regardez cette lumière ... » Montra-t-il de ses doigts pianotant dans les airs et désignant le ciel de la peinture. « C'est typique de l'artiste. Vous voyez la fumée ? J'ai longtemps cru qu'elle représentait les vapeurs des canons ou la morosité des scènes dépeintes mais plus je l'étudie, plus je lui trouve une utilité certaine dans le jeu des profondeurs. Tout est plus doux et plus lointain à travers ce voile. » La voix du mannequin également se faisait plus lointaine, preuve qu'il se perdait une fois de plus dans ses pensées.
Des bruits de pas derrière eux le fit revenir à la réalité. En se retournant, Carmine réalisa que Jenna et lui n'étaient plus seuls. Une classe d'adolescents - introduite par un professeur d'Art plastique peut-être ? - venait de faire son entrée dans la salle. L'ambiance sereine des lieux changea radicalement. Les enfants, bien que strictement encadrés, restaient agités dans leur demi-silence troublé de rires étouffés et de messes-basses. Le visage de l'anglais se chiffonna un instant puis reprit son expression courtoise. Carmine n'aimait pas beaucoup les enfants. Ou plutôt, ces derniers le mettaient mal à l'aise. Qu'ils soient très jeunes ou plus âgés, ces étranges créatures aux connaissances limitées des conventions sociales et de la bienséance le poussaient bien souvent dans ses retranchements. L'anglais n'aimait tout simplement pas être sortie de sa zone de confort. Pas lorsqu'il n'en faisait pas le choix conscient en tout cas. « C'est l'heure pour moi de vous dire au revoir, Jenna. » Une pointe de regret teintait son timbre tandis qu'il s'inclinait devant la jeune femme comme il l'avait fait lors des présentations. « Nous nous voyons le 5, Sherwood Road - Toowong. » C'était gravé dans le marbre. « Passez une délicieuse journée. » Et il disparut de sa démarche impérieuse qui fit pouffer quelques adolescentes pointant le doigt dans sa direction.