| Everything is gonna be alright [PV Yasmine] |
| | (#)Mer 5 Oct 2022 - 23:31 | |
| Ce n’était pas mon lit. Je n’avais pas besoin d’ouvrir les yeux pour le deviner. Les draps étaient rêches, le matelas plus dur que le mien et une odeur d’antiseptique flottait dans les airs. S’il y avait ne serait-ce que l’ombre d’un doute, le brouhaha caractéristique levait toute ambiguïté. Avant même d'avoir un aperçu de la chambre, je savais exactement où j’étais : les urgences de l’hôpital de Brisbane. Une douleur sourde pulsait dans ma tête en haut de mon arcade sourcilière. Les derniers instants qui avaient précédé le trou noir qui m’amenait dans ce lit étaient entourés d’un étrange brouillard (dont le seul responsable pouvait être la fatigue). L’ultime souvenir que j’avais remontait à cet arrêt en vitesse grand V au supermarché pour aller récupérer l’essentiel pour le repas. Entre l’allée du lait et celle des céréales, j’avais eu cette impression d’un crâne embué et cette immense pression sur mon torse. C’était singulier que de me sentir aussi léger et lourd à la fois. Je me rappelais vaguement de m’être cramponné à mon panier sur le côté de ma voiture. Maintenant que j’y pensais, j’avais surement dû m’effondrer dans le parc de stationnement du magasin. J’avais remis la rencontre avec le cardiologue parce qu’il y avait eu une grosse enquête au boulot, le genre qui prenait un peu trop d’espace dans ma tête pour que ce qui était quand même important le soit réellement. C’était sans doute parce que je n’avais pas avalé la dose à temps. Pas parce que le traitement ne marchait pas. Pas parce que le défibrillateur était la seule option qui était en mesure de contrôler mon cas.
J’ouvris les yeux avec un grognement. La lumière des néons était éclatante et me donnait envie de les refermer à l’instant. La chemise bleue de l’indignité confirmait ce que je savais déjà avec le son régulier d’un moniteur cardiaque branché au mien. Je m’assis lentement dans le lit et j’entrepris de retirer les capteurs ce qui fut suffisant pour attirer une infirmière qui insistait automatiquement sur le fait que je devais rester parce que mon cœur venait tout juste d’être stabilisé et que je devais être évalué parce que je m’étais quand même fendu l’arcade sourcilière en tombant et qu’il y avait un risque réel de commotion cérébrale. Au fond, je savais qu’elle avait sans doute raison… Mais je m’entendis quand même demander la décharge, ce formulaire qui me permettait de partir sans l’avis d’un médecin, comme ce que j’avais fait à deux reprises.
Elle n’était même pas revenue que j’avais déjà remis mes vêtements et repris mes effets personnels. N’eut été de ces petits machins blancs qui rapprochaient les parties de mon arcade sourcilière, j’aurais sans doute pu faire croire que j’étais en service. C’était ce que je me dis lorsque j’aperçus au loin une tête qui ressemblait drôlement à celle de ma fille alors que j’étais appuyé sur le poste des infirmières, en attendant que la garde-malade qui avait le malheur de m’avoir été affectée déniche le formulaire en question. Je n’avais pas l’intention d’attendre pour savoir si c’était réellement ma fille.
J’avais plutôt pris ma plume pour signer le formulaire de consentement et j’étais sorti dans le grand air. L’air un peu trop chaud de ce mois d’octobre naissant avait fouetté mon visage. L’hôpital était dans Toowong, pas si loin de chez moi et pourtant ça me semblait impossible de le marcher seul. Il y avait naturellement l’option de retourner chercher ma voiture au magasin, mais je n’étais pas assez idiot pour m’imaginer que j’étais en état de conduire. Le taxi ne me tentait pas plus comme option. Je soupirais lentement avant de fouiller dans mon téléphone. J’avais peu de gens dans mon réseau qui savaient que j’étais malade et ils étaient encore moins nombreux qui viendrait me chercher sans nécessairement trop se montrer embêtant. Il y avait cette voisine que je commençais presque à tenir en estime, Yasmine. Et je fouillais brièvement dans le répertoire avant de tomber sur son numéro pour lui envoyer un message texte. Direct et sans détour pour lui demander de venir m’aider à rentrer.
En attendant qu’elle vienne me rejoindre, j’avais hésité à appeler au poste pour prendre une journée de maladie demain. Un mensonge de plus sans l’ombre d’un doute. Mais prétendre à une gastroentérite foudroyante n’expliquerait pas les points que j’avais au visage quand je rentrerai au poste après ma fin de semaine. « j’imagine que ça ne sert à rien de dire que je n’ai pas envie d’en parler ou que je vais bien. », grommelais-je doucement comme un bonjour à ma bonne samaritaine, lorsqu’elle finit par arriver à côté de mon banc. @Yasmine Khadji |
| | | | (#)Jeu 13 Oct 2022 - 9:44 | |
| Occupée à ranger les derniers vestiges de son passage à l’Hibiscus Sports, Yasmine entendit son téléphone portable vibrer sur son bureau remis en ordre. Son départ avait été acté au début de la semaine sans que personne ne soit vraiment surpris qu’elle parte enfin pour voguer ailleurs, là où elle n’aurait pas l’impression de perdre son temps à ne rien faire. Tout le monde avait été heureux pour elle, elle-même paraissait enchantée d’avoir pris cette décision pour renouer avec ce qui la faisait vibrer, poussée par l’enthousiasme de ses anciens collègues, ragaillardie pour son entretien avec ses anciens supérieurs. Dans quelques jours, elle ferait son retour aux urgences, au même poste, dans une ambiance similaire, et ce serait presque comme si rien n’avait bougé au cours des deux dernières années. Tout, sauf elle. Yasmine avait changé. Elle avait appris à gérer ses émotions en les prenant au sérieux, elle avait aussi appris qu’on ne pouvait pas prendre tout le mal du monde sur ses épaules, et si c’était une évidence pour autrui, ça avait été un long chemin à parcourir pour elle, et qui l’avait finalement amenée à se rendre compte qu’elle était faite pour autre chose que de la paperasse et des petits bobos ; tu gâches ton potentiel, c’était ce qu’elle avait le plus entendu quand elle avait annoncé qu’elle quittait son emploi actuel, tu as raison de filer ailleurs, tu le mérites — c’était réconfortant, bien qu’un peu intimidant, de constater que son entourage se rendait compte de qui elle était bien avant qu’elle n’en fût capable elle-même. Pour l’heure, elle s’approcha de son bureau pour harponner son téléphone portable, s’attendant à un message d’Edge dans lequel elle répondrait dans la foulée, comme elle en avait pris l’habitude ici, ou rien ne lui demandait d’être sur le qui-vive ; mais ce n’était pas lui. Ça ne l’empêcha pas de répondre rapidement, les sourcils légèrement froncés tandis qu’elle sentait le poids du carton qu’elle avait pris avec elle peser au bout de sa main, l’autre occupée à taper les premières phrases de sa réponse à Muiredach. Ils ne seraient bientôt plus voisins, restait que Yasmine avait appris à apprécier le caractère bougon de l’homme qu’elle avait pressé de faire appel à elle en cas de pépin, et visiblement, il avait retenu son offre comme étant valable. Il lui demandait de passer le prendre aux urgences, ce qu’elle n’hésita pas à faire après avoir salué tout le monde autour, remercié ses anciens collègues, encouragés les habitués qui venaient la voir de temps en temps à son bureau et qui la prirent dans leur bras en lui souhaitant bonne chance — et le chemin qu’elle pris, elle le connaissait par coeur, lui donnant hâte de le reprendre durant ses heures de travail, quand bien même elle savait que ce ne serait pas de tout repos. Elle venait en visiteuse cette fois-ci, ou plus ou moins, puisque s’engageant sur le parking des urgences, elle vit la silhouette dégingandée de son voisin au loin. Elle ne lui ferait pas la leçon, elle jugeait qu'il était assez grand pour savoir quoi faire de sa vie, mais elle ne put refouler l’impression qu’elle avait qu’il jouait avec, et ce n’était pas prudent. Elle n’insisterait pas pour savoir ce qui lui était arrivé exactement, elle n’insisterait pas non plus pour lui faire entendre qu’il devait sérieusement envisager de revoir le médecin autrement qu’en urgence, quand la crise était passée. Muiredach avait fait appel à elle parce qu’elle ne le jugeait pas, c’était assez flatteur pour qu’elle s’oppose à l’idée même de lui faire la morale.
Au pas, elle fit rouler la voiture jusqu’au banc sur lequel il était assis, et ouvrit manuellement la vitre de sa Jeep en se penchant du côté passager, s’attendant à se faire houspiller d’avoir été aussi longue. Au lieu de quoi, elle reçut une bribe de paroles qui la fit sourire, et lui dire, les mains cramponnées à son volant "Je veux pas vous vexer, mais si vous comptez faire comme si tout va bien, votre sale mine vous trahit." La tête toujours tournée dans sa direction, c’est d’un index qu’elle désigna la balafre qu’il avait à l’arcade sourcilière — un ange passa pendant qu’elle attendit qu’il remue pour rejoindre sa Jeep, ce qui lui fit lui demander en dernier recours, débouclant finalement sa ceinture de sécurité, prête à sortir "Vous avez besoin d’aide pour grimper, ou vous allez me rouspéter de venir vous tendre mon bras pour vous amener jusqu’à la voiture ?" Elle dit ça sur un ton léger, préférant tendre vers l’humour pour gentiment le pousser à envisager les choses, plutôt que vers le dramatique qui lui ferait irrémédiablement emprunter ce ton désagréable qu’il prenait quand il se sentait acculé. Yasmine n’était pas là pour ça, elle était là pour l’aider, alors elle ne ferait rien sans son consentement clair et net, et ça même si ses vieux réflexes l’incitaient toujours à agir au plus vite. Là, elle attendit sagement qu’il lui donne son feu vert, ses yeux posés sur lui au travers de l’encadrement de la vitre ouverte de sa voiture.
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Jeu 20 Oct 2022 - 18:04 | |
| Au fond de moi, assis sur le banc dans le parc de stationnement, je savais bien que le fait de signer la décharge qui me permettait de déserter le terrain de l’hôpital sans avoir vu un médecin n’était pas la décision logique que je prenais. C’était une décision enfantine de ma part qui tenait à deux peurs qui me tenaillaient.
D’abord, il y avait ce souvenir amer de mon arrivée précipitée vers ce lieu à deux reprises quand j’avais été informé que mon père et mon frère y avaient été conduits des suites d’un malaise. Aucun n’en était ressorti sur ses jambes. L’odeur et les néons de l’hôpital rappelaient cette lourdeur pesante qui oppressait ma poitrine. J’admirais ceux qui avaient choisi de faire leur profession d’aider des gens de cette manière. Ma fille, entre autres. Bien sûr que j’avais été fier d’elle quand elle avait été admise en médecine. C’était une noble profession. Même si ça voulait dire d’importantes dépenses de notre côté pour lui permettre de réaliser tout son beau potentiel. Je n’aurais jamais été en mesure de prendre la même décision qu’elle.
Ce qui nous ramenait à cette tête que j’étais presque certain d’avoir aperçue dans le couloir de l’urgence pendant un bref instant. Ma fille, j’en étais presque certain. Une de ces rares personnes auprès de qui je comptais… peut-être… un peu ? Non. Pas nécessairement. Ce petit bout d’enfant devenue grande à qui je n’avais pas encore osé dire que j’étais malade. Parce que l’équilibre était précaire. Son anniversaire était à quelques jours à peine de nous et je n’avais toujours pas la moindre idée du cadeau que j’allais lui faire parce que ce lien précaire qui nous unissait, en ce moment, aurait pu se fracturer sous l’impact. Non. Hors de question qu’elle apprenne en me voyant dans un lit d’hôpital que j’étais malade, hors de question qu’en plus qu’elle me voit comme le triple con qui avait fait éclater notre famille parfaite, elle me voit ainsi réduit et vulnérable. Ce ne serait pas pour sa pitié que j’irais lui tendre la joue pour mieux encaisser les reproches.
Massant doucement mes tempes, je préférais plutôt mettre au banc des accusés pour mon escapade hors des urgences le blanc trop blanc des murs et les néons trop lumineux pour ce mal de tête lancinant que je me trainais et qui m’indiquait que j’étais plus mal en point que ce que je reconnaîtrais, lorsque je relevais les yeux devant la jeep qui était à la fois si près et si loin. Je me sentais vieux, vieux et fatigué si j’étais réellement honnête. Je remarquais le geste, ce léger geste de la main vers mon arcade sourcilière que je savais recouverte au terme de la brève discussion dont je m’étais pressé de m’échapper du lieu de soin et cette tache de sang qui ne partirait probablement pas aisément de mon complet. « Vous avez peut-être raison. Je n’ai pas tenu à faire un détour par les toilettes pour voir l’étendue des dommages. », déclarais-je d’un ton las et blasé en relevant doucement ma tête pour m’accrocher sur le regard de la demoiselle. J’aurais même pu me tenter sur une blague sur le fait que les femmes avaient une affection certaine pour les mauvais garçons si ce n’était pas que le sujet me mettait tellement mal à l’aise. Je n’avais aucunement l’intention de lui affliger cette autre partie de ma crise existentielle. Je soupirais bruyamment avant d’ajouter un : « Ça n’a pas non plus convaincu l’infirmière et le médecin. », qui indiquait sans doute ce qu’elle devait se douter : j’avais quitté malgré la volonté de l’équipe médicale. « Mais je ne pouvais pas rester. », ajoutais-je, d’un ton bourru qui était plus caractéristique de ce qu’elle dût s’attendre de moi. Je secouais la tête avant de grimacer. Je ne referais pas ce geste de sitôt. La vision de ce qui ressemblait vaguement à la silhouette de ma fille suffisait à me convaincre que je n’allais pas remettre les pieds à l’urgence ce soir. J’étais prêt à en débattre sur le fait que j’y aurais sans doute été passablement mieux installé. La crise était passée, mon arcade recousue et le repos, la seule chose qu’il me fallait.
Repos que je trouverais chez moi. Dans mon lit. Seul. Avec une bassine à côté du lit pour mon estomac barbouillé.
Mais pour me rendre dans cette position, il fallait que je franchisse une distance qui me semblait interminable maintenant que j’étais sorti de l’enfer blanc pour me trouver un refuge sur un banc bien aéré et frais du parc de stationnement. La Khadji avait détaché sa ceinture pour venir m’aider et me taquina pour savoir si j’avais besoin d’aide ou j’avais l’impression de pester pour qu’elle vienne m’aider. L’ombre d’un sourire sur mon visage pendant que j’essayais de me convaincre de me lever pour franchir la courte distance. « Ni l’un ni l’autre. Il faut juste me laisser le temps. » Visiblement, j’avais choisi de broncher et de protester à toute aide que j’avais pourtant demandée. Déni était mon deuxième prénom. J’allais bien. Mordillant l’intérieur de ma joue, je cherchais le courage de me lever et je rangeais mon téléphone qui trainait dans mes mains dans la poche intérieure de mon veston d’un geste lourd. Je relevais les yeux après quelques secondes de considération. L’extérieur ne devait pas tanguer et j’étais encore un peu étourdi. Abaissant un peu ma garde, je rajoutais un : « Je prendrais bien un bras… s’il vous plait. », qui en lui-même tenait du progrès ou du respect que j’avais pour cette infirmière particulière qui respectait mes limites. @Yasmine Khadji |
| | | | (#)Mer 2 Nov 2022 - 12:02 | |
| Non, elle n’était définitivement pas là pour juger Muiredach, Yasmine. Plus voisin que patient, elle ne pouvait pas se le permettre, et puis de toute façon, c’était une prérogative au métier d’infirmière. Tous autant qu’ils étaient, professionnels de santé, ils n’avaient pas le droit de proférer des opinions à l’encontre des gens à qui ils confiaient leur santé le temps de quelques minutes, voire de quelques heures, ou de plus encore si la chance n’était pas au rendez-vous. Certains s’y échinaient tout de même, à tourner en dérision le mal d’autrui pour se donner de l’importance en prétendant qu’une situation ou une autre était risible, seulement ils ne faisaient pas ce travail pour de bonnes raisons et comme partout, il y en avait quelques-uns qui perdaient des occasions d’être des gens biens, ce que Yasmine avait décidé d’être, n’en déplaise à qui que ce soit. Elle s’évertuait à garder une limite entre ses avis et les situations qui se présentaient à elle ; elle n’était pas mieux quiconque, c’était l’idée générale de sa tendance à rester maîtresse de ses jugements. Des erreurs, elle en avait commises des tas, et sa vie était jonchée de mauvaises décisions, alors faire la leçon à quelqu’un qui souffrait, qui plus est ? Trop peu pour elle, merci. Cependant, elle pensait avoir saisi au moins un peu le caractère de son voisin, et parce qu’il aimait rarement pencher vers le sentimentalisme, elle lui dit, comprenant qu'il était sorti des urgences contre avis médical "Ce qui ferait presque de vous un idiot, Muiredach. Mais qui suis-je pour juger ?" Vraiment, qui était-elle ? Pas grand-monde, si ce n’était une jeune femme qui faisait tout son possible pour aider quelqu’un de buté à prendre en compte l’idée que son entêtement ne rimait à rien, si ce n’était à mettre son avenir en péril. Au moins, elle suivait la ligne de conduite qu’il s’était fixé dés leur première rencontre en le prenant par l’humour et pas autrement. Elle le soupçonnait d’apprécier ça, le fait que sous ses allures de grande timide pétrie de bonnes intentions, Yasmine ne lui laissait pas l’occasion de la manger toute crue et finissait toujours par rétorquer à ses rebuffades pour lui faire comprendre qu’elle avait les épaules pour affronter la tête de mule qu’il semblait être. Il ne le savait pas, mais elle avait la même à la maison, elle savait comment s’y prendre, avec ces gens-là.
La preuve en était. Elle lui laissa le temps de décider ou non s’il avait besoin d’elle. Bien qu’elle avait débouclé sa ceinture de sécurité, elle resta dans sa voiture en le regardant manoeuvrer pour la rejoindre selon ses propres conditions "Un pas à la fois, vous y arriverez." lui fit-elle seulement, s’inclinant assez pour le voir au travers du cadre de sa vitre ouverte. Elle fût peinée, elle devait l’avouer, de le voir ainsi diminué, pas disposé pour autant à lui faire entendre que le bras qu’elle lui proposait était une valeur sécuritaire à apporter au chemin qu’il foulait péniblement. Elle serra les lèvres, Yasmine, continuant à le regarder un instant avant de trouver ça un peu inconvenant de le regarder se débattre avec ses difficultés — jusqu’à ce que sa voix refasse irruption au milieu du silence relatif de la scène qui se jouait entre eux, et qu’elle finit par sortir de sa voiture pour venir lui apporter l’aide qu’il lui demandait. "Si vous êtes étourdi, c’est peut-être un signal qu’il faudrait prendre au sérieux pour faire marche-arrière, et retourner attendre qu’on vous examine plus en profondeur." Elle connaissait déjà sa réponse à cette rhétorique qu’elle lui posait en dépit de tout, glissant son bras dans le creux du sien pour l’aider à se tenir droit et à considérer le court chemin qu’ils avaient à parcourir plus sereinement que s’il l’avait fait seul. Elle avait conscience de l’effort que ça lui demandait malgré la courte distance qui les séparait de sa Jeep, aussi elle lui glissa doucement, presque pour qu’il soit le seul à l’entendre "Prenez votre temps, on peut faire des pauses si vous en avez besoin. Je suis pas pressée, vous ne l’êtes pas non plus, alors tout va bien." Son coeur ne devait pas s’être totalement régulé encore. On faisait passer prioritaire les symptômes cardiaques aux urgences, et les bêtabloquants étaient le haut du panier des antidotes efficaces ; mais la pathologie de Muiredach était sérieuse, et sa manie à ne pas vouloir l’entendre le rendait tributaire d’une fatalité qui ne plaisait guère à l’infirmière qui finit par lui demander "Qu’est-ce qu’il s’est passé ?" Elle connaissait partiellement la réponse, mais à la vue de sa blessure à l’arcade sourcilière, elle voulait connaître les tenants et aboutissants de son arrivée dans les couloirs des urgences. Ce qu’il lui reprocherait, elle pouvait très bien l’anticiper, alors elle ajouta en tournant la tête vers lui, le tenant toujours par le creux du coude, son autre main trouvant ses épaules pour qu’il regarde devant lui "Promis, c’est la dernière question que je vous pose, et vous devez me croire sur parole, parce que je ne cracherais pas par terre pour vous prouver ma bonne foi." En d’autres termes, le célèbre juré, craché, ce n’était pas pour elle ; et puis quelque chose lui disait qu’il n’avait pas besoin de ça pour savoir que Yasmine Khadji était du genre à les tenir, ses promesses.
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Dim 6 Nov 2022 - 22:51 | |
| D’un point de vue tout à fait objectif, à la mine renfrognée du médecin de garde et de la pauvre infirmière qui m’avait tendu le formulaire de consentement pour quitter les urgences sans leur accord, je savais que ce que j’avais fait n’était sans doute pas la plus brillante décision que j’avais prise au cours de mes cinquante années de vie sur terre. Un équilibre précaire, un cœur qui battait encore un peu trop vite, un mal de tête lancinant et une nausée plus présente que ce que je voulais bien admettre… j’aurais mieux fait de me retrouver dans des draps blancs et rêches d’un lit dans la bâtisse aseptisée que sur ce banc dans l’air frais de la nuit. Cependant, d’un point de vue parfaitement personnel, l’option de passer une nuitée aux urgences me semblait autant au-dessus de mes forces que le trajet qui me mènerait jusqu’à la jeep surtout quand je savais qu’il faudrait ensuite que je sorte du véhicule pour affronter les escaliers qui débouchaient sur l’étage et mon antre. Même si je ne l’avais pas déclaré au grand jour, la Khadji avait bien compris ce que j’avais fait. Le reproche était caché sous une teinte d’ironie. Cette décision faisait bien sûr sans doute de moi un idiot. Mais qu’elle n’était personne pour se prononce sur mes travers ce que j’approuvais en silence. En effet. Ce n’était nullement sa place pour statuer sur mes horribles choix de vie. Et peut-être avec un peu plus de piètre humeur que nécessaire, j’affirmais : « Dit comme ça, on dirait presque que vous vous permettez d’agir comme juge et jury ici. » Piquant sans que ce soit indispensable. L’habitude avait la main lourde et la mauvaise personne se trouvait à manger les vagues de ma morosité criarde. Ce n’était pas par manque de volonté de ma part qu’il m’était impossible d’engueuler mon propre corps pour sa trahison qu’il me faisait subir alors que je n’avais strictement rien demandé. Mon manque de savoir contrastait avec la douceur dans la voix de la voisine tandis qu’elle m’encouragea à franchir la distance un pas à la fois. L’usure finit par m’avoir parce que je réclamais finalement de l’aide, ce qui fut accueilli par une réplique qui était bien plus sensée que mon acharnement maladif à vouloir quitter le terrain de l’hôpital. Un conseil médical des plus raisonnables. Rentrer pour me faire examiner comme il le fallait, s’assurer que ma tête n’avait pas subi trop de conséquences de ma propre négligence. Pourtant, le regard que je lui lançais était glacial pour une réponse aussi bienveillante. « La seule manière dont vous allez me ramener à l’intérieur des urgences, c’est tout à fait inanimé et à l’article de la mort. », grognais-je d’une voix entendue. Même si c’était peut-être mon état, si c’était peut-être passablement plus logique d’opter pour la sécurité et la surveillance d’un milieu de soins que pour le confort de ma maison. Je n’osais pas sans doute aborder les raisons qui m’avaient poussé à refuser les examens supplémentaires, la peur que m’évoquait cet endroit. À la place, je portais mon attention sur la chaleur de sa main contre mon bras, sur mes pas hésitants. La voix douce qui glissait un commentaire sur le fait que rien ne nous pressait réveilla un moqueur : « Balivernes, vous devez bien avoir un millier d’activités plus palpitantes pour occuper votre soirée que de vous charger de moi.». Je l’avais bien vue avec ce voisin, Prince ou Price… (était-ce vraiment si important que de connaître le nom de ses voisins?). Son amoureux. Il était sans doute de meilleure compagnie que moi (ce qui n’était pas nécessairement synonyme de mettre la barre très haute). Mais ce ne fut pas pour autant que je me sommais pour avancer. Comme pour la première fois où elle m’était venue à l’aide, j’avais opté pour des pas calculés plutôt que mes grandes enjambées qui me caractérisaient au boulot ou sur une scène de crime. J’avais conscience de la lourdeur de mon souffle, du niveau de concentration demandé par chacune de mes foulées. Je ne sentais plus mon cœur qui tambourinait dans ma poitrine, cette étrange et curieuse pression. Cependant, la fatigue, elle, rayonnait et irradiait mon corps entier. Vient après la question sur laquelle je portais toute mon attention. La situation qui m’avait mené ici après tout devait être expliqué sans doute, ce qui n’empêchait pas pour autant que j’avais une réticence monstre à l’idée de l’ébruiter… pire que ça, je n’avais pas nécessairement envie de répondre à une myriade d’interrogations qui n’en finirait plus ce qu’elle ressentit parce qu’elle le suivit du fait que c’était la dernière question qu’elle me poserait. Elle avait beau être prête à cracher presque pour l’assurer que j’étais presque certain que ça ne serait pas la seule qui franchirait ses lèvres. Elle n’était pas vraiment le genre de personne qui se limitait à une unique question. J’avais envisagé donc pendant un bref instant de mentir pour pratiquer mon alibi pour mes supérieurs. Cependant, je choisis plutôt d’opter pour l’honnêteté. « Je ne me souviens pas de tout. J’étais à l’épicerie dans Logan City. J’ai eu… un malaise… » Je m’abstins de préciser que c’était cardiaque. Elle le savait nécessairement pour m’avoir vu dans le pire de mes états. « Je pense que j’ai tenté de m’agripper au panier, ce qui, considérant ses roues dont il était muni, n’était peut-être pas ma plus brillante idée. » J’eus un semblant de sourire moqueur de ma propre idiotie, qui accompagnait un bref arrêt. Je n’étais pas le genre de personne qui se plaisait à s’épandre dans des détails ou à s’accrocher dans les fleurs du tapis. Le geste aidait peut-être à couvrir le fait que la petite marche m’essoufflait et que je ralentis. « Visiblement, je me suis cogné la tête et j’ai perdu connaissance. » Je n’essayais pas de préciser si c’était le coup de mon front sur un objet non identifié ou la vitesse effarante de mon cœur qui m’avait envoyé dans les vapes. J’aurais été incapable de replacer ces deux événements dans l’ordre même si je l’avais voulu si je devais de toute évidence être honnête. Je haussais les épaules avant de rajouter un vague : « Je me suis réveillé aux urgences. ». Je n’étais pas volontairement évasif sur les détails. La mémoire me faisait défaut. Bien contre mon gré. Cependant, en arrivant à la portière du véhicule (du côté passager), je m’entendis presque murmurer : « Je pense que j’ai vu Isla… ». Le prénom de ma plus vieille était sorti sans filtre et avec une délicatesse rare dans ma voix. Il me vient en tête que je n’avais pas, par la force des choses abordé, ce pan de ma vie avec la voisine. Mon timbre trembla, marquant une hésitation alors que je me montrais moins avare de détails : « Ma fille était de garde, je crois. » Elle devait être devenue interne ou résidente. Je n’en étais pas certain. Quelle spécialité aurait-elle bien pu choisir? Était-ce le fruit du hasard? Était-ce une hallucination? Ces interrogations semblaient beaucoup demander à mon cerveau qui élançait. Bourru, je rajoutais : « Il est hors de question que nos retrouvailles se passent pendant que je suis dans cet état. » @Yasmine Khadji |
| | | | (#)Mer 16 Nov 2022 - 10:55 | |
| En matière de caractère revêche, Yasmine en avait connu d’autres, et pas des moindres. Il n’y avait pas que des gens bienveillants qui se présentaient aux urgences, c’était un fait qu’elle avait appris à ses dépens tout au long de son parcours dans la grande institution qu’était le soin hospitalier. Elle en avait reçu des insultes, et pas uniquement des insultes basiques, qui soulignaient le caractère fort agréable de ce physique de Miss Monde qu’elle avait pour elle et qui faisait jaser plus qu’à son tour. Elle était marocaine et musulmane, deux défauts de choix pour les bigots qui n’avaient jamais la langue trop lourde quand il s’agissait de faire dans le racisme primaire, alors vraiment, les rebuffades de Muiredach, elles glissaient sur elle comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Elle ne roula même pas des yeux quand il rouvrit la bouche pour mettre en exergue le jugement dont elle l’avait alloué tout en affirmant qu’elle n’avait pas le droit de le faire, ce qui semblait lui être passé dans une oreille pour ressortir par l’autre. Mais elle ne lui en voulait pas, loin de là. Il n’était pas dans son état de forme, son voisin, et puis c’était son mécanisme de défense. Chacun le sien, après tout. Ça ne l’empêcha pas de venir l’aider à terme, ne quittant pas cette douceur qui était la sienne quand elle venait en aide aux autres, mais pas seulement. Certain disait que ça lui portait préjudice d’être aussi bienveillante, sauf qu’elle préférait l’être que de forcer qui que ce soit à adhérer à sa pensée en jouant avec les limites de son droit à se donner voix au chapitre. Néanmoins, parce que la situation lui paraissait tout de même assez grave pour qu’elle se permette un conseil médical avisé, revêtant un instant les habits de l’infirmière consciencieuse, elle l’accorda à l’homme qu’elle tenait par le coude, et rétorqua au mépris qu’il appliquait à son avis de professionnelle "Le seul endroit où vous rentrerez dans cet état-là, c’est dans une morgue, Muiredach." Elle le lui avait dit, lors de leur première rencontre, qu’il jouait avec sa vie, et il lui avait répondu qu’il en était conscient. Pour autant, ça ne l’empêchait pas d’agir en véritable âne pour ne pas réagir en conséquence, et apporter à son problème de santé, une solution durable qui lui permettrait de préserver l’existence qu’il menait. Ça faisait peur, elle n’en disconvenait pas, et c’est le regard se posant dans le sien qu’elle lui dit lorsqu’il releva la manière dont elle faisait de lui une priorité, l’incitant à la pause s’il en avait besoin "Vous vous sous-estimez. J’aime bien être avec vous ici, à me faire traiter comme la dernière des incapables tout en vous aidant à garder votre dignité." Dans d’autres circonstances, elle aurait pu accompagner sa réponse d’une légère grimace pour lui faire entendre qu’elle plaisantait, mais pas là. Là, elle continua à l’aider comme elle s’était engagée à le faire, reléguant, effectivement, toutes ses autres priorités à la dernière place de son planning immédiat.
Sa priorité, c’était Muiredach à ce moment-là "Respirez, doucement." lui fit-elle entre deux pas difficiles, entendant le rythme de son souffle lui parvenir par saccades lourdes et douloureuses. Dans son dos, Yasmine raffermit sa main pour le soutenir, écoutant la réponse qu’il lui accorda comme elle lui avait demandé de l’éclairer sur la situation dans son ensemble ; et elle serra les lèvres, l’imaginant avoir une crise en plein milieu de l’épicerie, et la bousculade qui avait dû s’en suivre pour lui apporter assistance. Comment se sentait-il dans ces moments-là ? Craignait-il de ne jamais se réveiller, s’en voulait-il de ne pas vouloir qu’on lui apporte une aide personnalisée pour éviter qu’il se retrouve dans ce genre de conjoncture ? C’était difficile à savoir, et Yasmine savait très bien qu’elle ne réussirait pas à recueillir ses confidences sur le sujet. A dire vrai, il lui en avait déjà dit assez pour qu’elle devine que ce serait la seule et unique chose qu’il lui donnerait, s’octroyant le droit d’être avare en explications parce qu’il considérait que ça ne regardait que lui — ce qui n’était pas tout à fait faux, au demeurant. L’aidant toujours, Yasmine se permit seulement de dire, prenant ses informations pour les ranger soigneusement dans une partie de son esprit en même temps "Ce qui est bien mieux que de se réveiller à la morgue, vous en conviendrez." Si tant était qu’on se réveillait là-bas, mais il apprécierait son effort de faire encore un peu d’humour. De l’humour qui se noya dans le chemin qu’ils firent jusqu’à la Jeep. Une fois que Yasmine fût assez près de la voiture, elle lui ouvrit la portière, l’entendant murmurer en même temps, et ce quelque chose qu’elle ne saisit pas tout de suite "Isla ?" lui demanda-t-elle, accueillant ses paroles avec un froncement de sourcils qui se dérida une fois qu'il apporta des éclaircissements au brouillard qu’il fit peser sur sa perception des choses "Elle travaille chez nous ?" Inutile de lui poser la question, ça paraissait assez évident pour que dans son esprit, tout clic, et que l’aidant à grimper côté passager, elle lui fasse après avoir terminé, restant un instant là, le bras tendu tenant la portière, ses yeux posés sur lui "Elle n’est au courant de rien à propos de vos difficultés ?" lui demanda-t-elle tandis que le terme retrouvailles se perdit dans sa direction. Yasmine, elle, elle se trouva bien magnanime de déterminer ça comme étant des difficultés, et pas comme une situation de crise qui mettait sa vie en danger "C’est pour ça que vous ne voulez pas rester ? Vous avez peur qu’elle le découvre ?" Effectivement, Yasmine n’était pas une femme qui se contentait d’une seule question, et peut-être qu’il le lui reprocherait — il le ferait sans aucun doute.
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Mer 23 Nov 2022 - 1:16 | |
| Sur l’échelle de l’attitude de connard, je n’étais peut-être pas le pire des modèles qu’il y avait. Si mes parents avaient peiné à m’inculquer les bonnes manières sur un grand nombre de points, mon statut d’immigrant (certes si blanc qu’il était particulièrement doué pour atteindre un stade de « homard » sur une ravissante journée d’été sans nuages ni une protection solaire adéquate) m’avait au moins appris que certaines marques d’intolérance n’avaient pas leur place dans ce bas monde. Jamais ne me viendrait en tête l’idée de refuser de me faire servir par une personne sous le simple principe que sa culture n’était pas mienne. Fondamentalement athée et issu de l’union de deux anglicans d’un village reculé d’Écosse qui n’avait jamais mis les pieds à l’église depuis que nous avions atterri en Australie (sauf pour les enterrements), mon éducation ne prenait pas racine dans des traditions ancestrales. Elle s’ancrait dans des livres et dans un folklore aux multiples couleurs.
Non, je tenais plutôt du con qui cherchait à se détruire seul tel un grand sans que personne ne puisse l’arrêter. Ceux qui considéraient percer ma carapace étaient davantage une menace pour mon équilibre précaire et pour cette solitude que j’étais convaincu d’avoir choisie. J’étais autant inoffensif qu’un chihuahua. Je jappais fort, mais personne n’avait sincèrement peur de moi. Ce qui ne m’empêcha pas de rétorquer du tac au tac lorsque la Khadji avait répondu que c’était vers la morgue que je m’en allais si je continuais comme ça d’un simple : « Vous aussi. Si vous osez encore m’appeler par mon prénom. » Une menace, sans doute en l’air ce soir (ou toutes les veillées si je devais jouer cartes sur table). Je n’allais pas perdre mon poste pour m’en être pris à une personne qui cherchait tout bonnement à m’aider dans un moment où je n’étais pas en état. Malgré mes tentatives de faire en sorte que rien ne paraissait, je le sentais, mon souffle court et laborieux. J’étais si fatigué et si épuisé. Je n’avais même pas la force de répliquer à ce qui était peut-être une pique de la part de la jeune femme. En était-ce une? Non, à la place, j’utilisais la majorité de mon énergie pour tâcher de régulariser un peu ma respiration qui me semblait si ardue sans tenir compte du fait que la douleur dans mon bras (caractéristique de ces moments où mon cœur battait à tout rompre) n’était pas là. Ce fut peut-être pour cette raison que j’échappais avec un instant de frustration dans ma langue maternelle un « J’essaie » amer. Je faisais de vrais efforts pour que mon souffle se calme, mais ça n’empêchait pas que la main de la jeune femme resserrât son emprise sur mon dos pour éviter que je ne me retrouve au sol.
Entre la tête qui tournait à cause du coup que je m’étais mangé et le fait que l’après-tempête semblait m’avoir vidé de toute l’énergie, je n’avais pas nécessairement envie de m’épandre dans le récit de l’incident qui m’avait mené aux urgences du Saint-Vincent. Je n’abordais donc toujours pas ce que je ressentais lorsque mon cœur choisissait de prendre un rythme que lui seul connaissait. Trop rapide pour mon corps, trop précipité pour mon esprit. Je ne parlais pas de cette peur terrible qui m’habitait. Pas plus que je ne m’étendais sur les détails de la mort de mon propre père et de mon frère, les deux emportés par le mal qui me rongeait actuellement. J’en avais voulu aux deux. Cependant, je n’étais pas certain que mes enfants auraient autant de clémence à mon égard si une « difficulté » cardiaque venait me ravir. Je n’étais plus le héros de personne et j’en avais pleinement conscience. Il y avait des années que ce n’était plus le cas. C’était peut-être pour cette raison que j’étais amer et acerbe.
Au commentaire de la Khadji, je répliquais factuellement : « On ne se réveille pas à la morgue. On y arrive. Un point c’est tout. » L’humour m’avait échappé comme un peu trop souvent. J’avais après tout vu mon lot de morts avec une longue carrière de détective à la criminelle : certains qui m’avaient marqué plus profondément que d’autres. Je ne parvenais pas à oublier combien j’avais souhaité que certaines dépouilles reviennent. Mais c’était un terminus. Dernier arrêt. Tout le monde descend. Une fois que le cadavre rendu, l’âme (ou ce je-ne-sais-quoi qui avait un jour été une personne) disparaissait dans la nature… évaporée. Il n’y avait plus de demain, plus de deuxième chance. Cette macabre pensée me ramenait à certaines enquêtes, comme l’affaire Hemingway. Combien j’avais souhaité quand le corps avait été découvert que ce ne soit qu’un mirage, que nos équipes se soient trompées. Mais cela avait été une réalité immuable avec laquelle il fallait composer. Un rire de gamine qui plus jamais ne s’envolerait dans les airs pour les peupler de sa légèreté. Une famille qui serait à jamais chavirée. Je n’avais aucune idée de l’impact monumental que la disparition de cette petite vie aurait eu sur la mienne.
Aucune pensée qu’il en viendrait à me faire murmurer le nom de ma fille avec une ombre de terreur au fond de la voix. Parce qu’il y avait dans mes yeux une crainte aussi immense que rationnelle qu’elle m’en veuille encore pour les gestes dont j’avais pris l’entière responsabilité. Installé sur le côté passager, je réalisais que j’avais dévoilé une vague partie de vulnérabilité : le fait que j’avais une grande enfant et qu’elle travaillait à l’hôpital. La question de la Khadji était peut-être rhétorique, mais ma réponse à moi restait égale à mes autres propos. « De toute évidence. Elle étudiait en médecine quand sa mère et moi avons divorcé. » Mais c’était que les confidences pleuvaient dans mes mots avares. C’était peut-être écrit dans mon front que j’avais été marié : après tout aucune personne saine d’esprit ne serait capable de tolérer mon aspect taciturne au quotidien. J’évitais son regard perçant alors qu’elle restait appuyée contre la porte pour me demander si mon Isla était au courant de mes difficultés. Considérant qu’elle avait mentionné par deux fois le fait que je finirais à la morgue…, c’était quand même digne d’intérêt. « Disons que l’on ne se parle plus depuis la séparation de sa mère et moi. Elle a choisi son camp, jugeant les informations qu’elle avait. Je me voyais mal annoncer que je suis malade sur sa boîte de messagerie pour faire pencher la balance dans ma direction. », admis-je d’une voix douce. Ce n’avait jamais été mon but parce qu’il m’aurait semblé fort manipulateur que de lui demander d’être présente pour une rencontre chez le médecin. Elle était une enfant. Ma solitude n’était pas une excuse pour lui donner des rôles qui appartenaient à une conjointe, ce que j’étais certain que je n’aurais plus. J’avais appelé une maladie, une maladie. Venait alors la question qui découlait de ces mots : « En un sens, oui… Je ne souhaite surtout pas qu’elle revienne vers moi uniquement parce que j’ai des difficultés. » Mais c’était plus complexe. Je l’avais croisé avec mes papiers pour mon refus de traitement dans les mains. Je n’admettais pas aisément la peur que j’inspirais les murs aseptisés de l’hôpital. Je choisis donc de détourner l’attention en retournant vers elle : « Qu’est-ce que vous vouliez dire par chez nous? Ne bossiez-vous pas dans une clinique? » demandais-je en m’étirant le bras pour ramasser ma ceinture. @Yasmine Khadji |
| | | | (#)Dim 4 Déc 2022 - 15:56 | |
| Et comment Yasmine était-elle supposée l’appeler si ce n’était pas par son prénom ? Intérieurement, elle haussa les épaules pour récuser sa propre interrogation, et elle ne lui posa pas la question tout haut non plus, beaucoup trop occupée à l’aider à avancer à son rythme. Un mystère qu’elle résoudrait plus tard, quand il aurait retrouvé de sa superbe, puisque loin l’idée de prendre l’avantage sur lui, elle en aurait l’impression si elle en venait à le questionner plus que de raison sur des informations qu’il laissait échapper sous couvert de sa respiration saccadée et de ses petits pas difficiles à exécuter. Elle ne se forçait pas à être sympathique avec lui, comme il ne se forçait pas à ne pas l’être avec elle, au moins ils restaient relativement les mêmes en la présence de l’autre. D’autres auraient souligné que ça pourrait marquer le début d’une bien belle amitié ; dans un film de l’après-midi peut-être, mais ici, Yasmine avait conscience que si son voisin l’avait appelée à l’aide, ce n’était sûrement pas pour sauter gaiement dans les flaques et faire de la pâtisserie.
Le prouvaient ses tentatives d’humour prises trop au sérieux par l’homme qu’elle soutenait par le bras et qu’elle aida définitivement à grimper dans sa Jeep quand, dans le même temps, le prénom d’Isla lui échappa pour la laisser interdite le temps d’une poignée de secondes à peine. Elle aurait pu profiter de cet instant pour lier davantage quelque chose avec lui en lui faisant remarquer qu’il avait donné à sa fille un prénom qui avait un rapport avec ses propres croyances, sauf qu’elle avait appris rapidement sa leçon Yasmine, surtout qu’encore une fois, sa réaction fût accueillit de manière bien désagréable et qui lui fit lui dire "Pardon de ne pas connaître votre arbre généalogique sur le bout des doigts. Vous admettrez que c’est assez difficile d’obtenir quoi que ce soit venant de vous, que ce soit des informations personnelles ou autre chose. Attention à vos doigts." lui fit-elle finalement après avoir bouclé sa ceinture de sécurité sans se laisser impressionnée par sa résistance ; elle claqua la portière du côté passager derrière, et pour mieux contourner sa voiture et s’installer derrière le volant à l’instant où Muiredach éclaircissait un peu le tout pour lui donner une meilleure vue d’ensemble de la situation qui le poussait à parler de retrouvailles avec sa fille. Yasmine haussa doucement les sourcils, redémarrant le vieux moteur de son carrosse en lui accordant un regard juste après "Elle a pourtant le droit de savoir. Informations erronées ou pas, vous restez son père." Et c’était la fille cadette en elle qui parlait à ce moment, sans pour autant émettre un quelconque jugement de valeur sur ce qu’elle entendait là. Elle ne comptait pas demander à l’homme assit à ses côtés les raisons de son divorce ni quel genre d’informations sa fille avait en sa position pour préférer croire la version de sa mère. Jamais rien n’était facile dans ces histoires, et bien qu’elle n’avait pas eu à le supporter d’un point de vue direct, elle avait vu des divorces prendre place au sein de son cercle de connaissances, alors dans une certaine mesure seulement, elle pouvait très bien s’imaginer combien ça ne devait pas être facile à vivre, encore plus du côté de l’enfant qui se retrouve au milieu de ses parents "Si vous ne lui dites jamais rien, vous ne lui laissez pas le bénéfice du doute. C’est un peu injuste si vous voulez mon avis… mais je sais que vous ne le voulez pas, alors je vais me contenter de démarrer tranquillement, et si je vais trop vite, houspillez-moi comme vous savez si bien le faire, je ralentirais la cadence." lui dit-elle dans un léger sourire, commençant à avancer sur le parking pour en sortir quand ce qu’il ajouta la fit sourire un peu plus fort et froncer les sourcils dans le même temps, un peu surprise par elle-même "Je me suis même pas entendue employer le terme chez nous." Elle n’avait même pas encore officiellement repris son poste à l’hôpital qu’elle en parlait déjà comme si c’était le cas. Le regard sur la route, elle lui expliqua calmement "C’était dans un complexe sportif. J’ai démissionné, c’était mon dernier jour aujourd’hui." lui avoua-t-elle sans vouloir ajouter qu'il avait un peu écourté les au revoir avec ses collègues. En revanche, elle poursuivit sur sa lancée d’explications "Je vais reprendre le poste aux urgences que j’ai quitté il y a quelques années maintenant. Je me sens prête à revenir." Il s’en ficherait probablement comme d’une guigne, mais elle était assez fière d’elle pour vouloir laisser filer cette certitude sans attendre qu’il ne la félicite, ou qu’il ne lui dise quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Néanmoins, après un court instant de silence durant lequel la jeune femme écouta la respiration de Muiredach emplir l’espace, elle finit par lui demander avec inquiétude "Vous vous sentez comment maintenant ?"
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Mer 28 Déc 2022 - 15:29 | |
| Comme trop souvent, je n’avais pas réfléchi. Je m’étais abstenu de tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de l’ouvrir et de répliquer du tac au tac que c’était une évidence. La simple possibilité d’avoir aperçu ma fille était anxiogène. Elle m’avait fait réaliser l’écoulement indubitable du temps qui avait filé entre mes doigts. Non, je ne m’attendais pas à ce que la Khadji sache que j’avais une princesse, qu’elle étudiait en médecine et qu’elle était rendue à sa résidence. J’en parlais peu, parce que les mots avaient une saveur acide qui devait contribuer à mon estomac barbouillé. Je compris pourtant que j’avais peut-être été un peu fort avec la réplique et le claquement de porte avec un bang si sonore pour moi. Je reposais mon front sur l’appui-tête et soupirais lorsqu’elle ouvrit la portière. « Ce n’était pas ce que je voulais dire… » Il y avait une fatigue qui s’entendait dans mon souffle, dans ma voix. M’aventurer sur un terrain que je savais fragile et glissant m’exaspérait d’une manière si audible. « Mon ex-femme semble aussi avare de détails sur les allées et venues de nos enfants que moi sur tout… toute la merde que j’ai foutue dans ma vie. », grommelais-je doucement en finissant dans ma barbe, dans ma langue qu’elle ne comprenait pas. Mon mariage, mon infidélité qui n’en était pas une vraiment, mon asexualité potentielle, mes petits devenus grands. Autant les merveilles que j’avais produites que mes pires conneries étaient gardées sous clé et occupées à me gruger par l’intérieur. « Je voulais juste dire que je ne pensais pas qu’elle était déjà rendue à travailler dans l’hôpital ou à faire sa résidence. » Une étincelle de fierté pétilla pendant un bref instant au fond de mes yeux. Que mes pauvres décisions de vie et l’explosion de notre famille n’aient pas complètement bousillé la sienne… Ces informations étaient presque aussi rassurantes que terrifiantes.
Ce qui amenait vers le silence que je semblais maintenir envers mes proches ou du moins que je sentais comme un reproche dans la voix de l’infirmière. J’ignorais la pique sur le fait de la houspiller si jamais le roulement de la voiture me dérangeait trop contemplant plutôt la dissimulation de mon état (et de sa gravité) à mes enfants. « Je suis au courant que je reste son père… et je lui parle. Je… je l’appelle trois fois par semaine depuis la séparation. Je tombe forcément sur sa boîte de messagerie, mais j’ai laissé des messages. » Et je m’abstins de dire que le nombre devait dépasser les six cents depuis le temps et que je n’avais aucun moyen de savoir s’ils avaient été écoutés ou simplement supprimés dès les premiers sons. J’ouvris cependant un peu plus la porte sur cette intimité familiale que je n’abordais pas. « La même chose avec mon grand garçon… Alistair. Il doit être à l’université… » J’en avais voulu à ma voix de craquer après cette mention sobre. Ils étaient la meilleure partie de moi, une douceur que j’étranglais pour qu’elle ne se charge pas de moi. Je réalisais qu’il y avait presque l’impression dans la dureté de mon ton qui s’édulcora lorsque je précisais avec un « s’il a choisi cette voie. » parce qu’il n’y avait jamais eu de pression auprès de mes gamins. Je fermais délicatement mes yeux en rajoutant : « Mais ce genre d’informations là ne se balance pas sans être certain que mes enfants aient du soutien autour d’eux quand ils l’apprennent… » C’était à leur bien-être que je pensais en décidant de taire mon état pour le moment. Ma relation avec Margaret, leur mère, était encore trop tendue pour que je puisse avouer ma piètre condition et avoir confiance qu’elle les accueillerait et qu’elle les guiderait dans les sentiments. Je le savais, parce que j’avais été aussi un enfant devenu grand qui avait appris que le cœur pouvait faire défaut. Il fallait une ancre auxquelles s’accrocher quand le fait que ces piliers dans nos vies n’étaient pas inébranlables que ce qu’il était possible de croire de prime abord s’écroulait. « Trop d’hommes dans leurs existences ont été emportés par ça. », reconnus-je sans l’ombre d’une émotion dans ma voix. C’était un fait. Mon père. Mon frère. Les deux autres figures paternelles dans leur histoire qui avaient été ravies par le mal qui me rongeait. La nature irrévocable de la réalité n’empêchait pas que l’idée me terrorisât même si je n’osais absolument pas l’admettre à voix haute.
J’essayais encore de calmer mon souffle, témoin que mon cœur, bien que moins irrégulier et échevelé que ce qu’il avait été aujourd’hui, battait aussi avec un rythme impressionnant dans ma poitrine. Je portais mon attention sur sa voix et je me sentis pendant un bref instant coupable de l’avoir attaché à des au revoir. « Je suis content pour vous, et je suis certain que vous y ferez un boulot extraordinaire. », dis-je, conscient de la platitude de mon propos. Je n’avais pas de doute de sa compétence même si je m’obstinais bec et ongle pour qu’elle ne me ramène pas aux urgences et que je travaillais ironiquement à tenter d’apaiser ma respiration.
De lentes inspirations, d’interminables expirations. Qui n’empêchèrent pas que je sente l’inquiétude pointer le bout du nez dans la voix de ma voisine. Je choisis d’y aller avec une vérité qui n’était pas édulcorée. « Mieux, probablement. », répondis-je évasif. J’avais fermé les yeux quand même parce que le roulis de la voiture n’aidait pas « Je suis fatigué… », commençais-je. Ça devait sans doute compter pour une énergique séance de sport, ce que mon cœur avait fait. « … et un peu nauséeux. », rajoutais-je en toute honnêteté. Pas au point d’être malade, mais je l’avais déjà été par les étourdissements. C’était différent par contre, j’étais peut-être même prêt à parier que c’était peut-être plus lié à mon coup à la tête qu’à mon rythme cardiaque. Voulant cependant insister que j’allais mieux, je finis en disant : « mais j’ai plus mal… » C’était le cas, mon souffle revenait lentement à la normale, mais la douleur lancinante de ma poitrine n’était plus là, ce qui m’avait enlevé une autre chose que je n’osais pas avouer non plus, mais que mon regard montrait parfois : Je n’avais plus cette terreur profonde et dévorante. @Yasmine Khadji |
| | | | (#)Mer 4 Jan 2023 - 19:26 | |
| La page était déjà tournée pour Yasmine. Elle n’arracherait aucune excuse à Muiredach à propos de sa propension à lui sauter à la gorge chaque fois qu’il ouvrait la bouche pour s’adresser à elle. D’une certaine manière, elle savait sans véritablement le connaître qu'il devait agir de la sorte avec à peu près tout le monde, alors elle ne le prenait pas personnellement. Elle crut néanmoins voir une étincelle de vulnérabilité un peu différente de celle qui le forçait à reprendre sa respiration avec autant de force percer dans son regard, un chevrotement singulier faisant permuter le rauque de sa voix, et ce quand il mentionna la carrière de sa fille. Il était donc un papa fier de sa progéniture. D’un côté, c’était rassurant, de voir qu’il pouvait être sincèrement touché, mais de nouveau, parce qu’elle était trop délicate pour en faire une arme à retourner contre lui, plutôt pacifiste, Yasmine ne lui fit pas remarquer. Elle n’émettrait jamais aucun commentaire sur l’éducation des enfants d’autrui, ou sur les rapports qu’ils entretenaient avec leurs parents — elle n’avait pas d’enfant, et si ses rapports avec ses parents étaient bons, ils n’étaient pas sans heurts. En revanche, avec peut-être un peu trop d’audace, elle se permit de rappeler à Muiredach que sa fille avait le droit de savoir qu'il était mal en point. Probablement que son expérience personnelle parlait, puisque lorsqu’elle avait elle-même prodigué les premiers secours à son propre père, elle aurait aimé avoir une vue d’ensemble de la pathologie qui l’avait cloué au sol, et qu’elle se mettait à la place d’Isla sans mal, plus qu’à celle de Muiredach. Tout ça, c’était des souvenirs sur lesquels elle n’avait pas envie de s’appesantir et dont elle n’userait pas pour marquer son point au près de l’homme qu’elle conduisait hors de l’hôpital, se contentant de l’écouter rétorquer avec une attention qu’elle divisait entre deux taches — celle, donc, de l’écouter attentivement, et celle de le conduire prudemment jusqu’à chez lui pour qu’il se repose tout à son aise "Leur mère ne peut pas leur apporter le soutien nécessaire ?" La pudeur de Muiredach, elle poussait Yasmine à en faire preuve également, alors elle n’osait pas lui poser plus de questions, redoutant de se voir éconduire et traiter de sombre idiote indélicate. Alors, plus que d’ordinaire encore, elle pesait ses mots, les enrobant dans de la réserve qu’elle n’avait pas besoin de surjouer au demeurant "Encore une fois, j’ai pas mon mot à dire, j’en suis consciente. Mais ça ne tient qu’à vous de ne pas être le quatrième, Muiredach." Ça, c’était l’infirmière qui parlait, et personne d’autre. En connaissant les risques, il aurait dû avoir suffisamment peur pour ne pas vouloir imposer sa perte à ses enfants. Elle avouait que ça la dépassait un peu, cette manière qu'il avait d’envisager les choses ; vouloir protéger ses enfants tout en ne faisant rien pour aller vraiment mieux, c’était une contradiction qui la laissait perplexe le temps de quelques instants.
Croire en la pseudo-joie exprimée par l’homme à ses côtés à propos de son retour à son poste de prédilection était un peu difficile, seulement Yasmine accepta ses mots avec une dignité qui lui était propre, penchant juste la tête pour assimiler ses paroles et les chérir dans l’intimité de ses pensées. A dire vrai, elle avait d’autres chats à fouetter que de parler d’elle, alors elle ne s’attarda pas sur son cas, préférant s’en remettre à celui de Muiredach pour s’en enquérir prudemment. Et sa réponse fût morose, comme toutes celles qu’il lui accordait depuis tout à l’heure, entrecoupée par une respiration laborieuse et une volonté farouche de ne pas se montrer plus faible qu’il ne l’était déjà. "Je peux m’arrêter un peu si vous vous sentez sur le point de vous sentir mal." Il lui disait être nauséeux, elle devait avoir des antis-vomitifs dans le sac qu’elle gardait dans le coffre de sa Jeep et qui recelait de trésors de premiers soins. Sauf qu’elle pouvait déjà anticiper le fait qu’il ne veuille davantage de son aide ; et ça la frustrait un peu, dans le fond, bien qu’elle avait connu d’autres patients récalcitrants, le fait que d’une façon étrange, il souffle le chaud et le froid en l’appelant pour qu’elle vienne l’aider, tout en repousser le fait qu’elle veuille bien le faire, ça avait tendance à la laisser perplexe — fort heureusement, elle était d’une patience infinie "C’est une bonne chose, ça ira de mieux en mieux." Pour l’instant, jusqu’à la prochaine crise, et en ça elle se permit d’ajouter, doucement "Maintenant que je vais retrouver ma place à l’hôpital, je pourrais peut-être parler de vous aux médecins compétents." Elle savait qu’il devait régulièrement consulter, mais elle doutait qu’il fasse réellement part de toutes ses difficultés aux titulaires qui s’occupaient de lui sur une base plus ou moins régulière "Si c’est difficile pour vous de vous exprimer sur ce que vous ressentez, je peux, je sais pas, vous accompagner pour trouver avec vous le meilleur moyen de vraiment vous soulager ?" lui proposa-t-elle instinctivement, prête à essuyer une énième rebuffade sans broncher.
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Jeu 19 Jan 2023 - 2:05 | |
| Le divorce qui m’avait opposé à Margaret avait été houleux : une confiance aveugle avait brusquement volé en éclat sans avertissement quand mon inadéquation m’avait été lancée au visage comme une vérité amère que je n’avais même pas encore commencé à aborder, à découper, à analyser et à comprendre dans toutes ses nuances. Avec la complicité fracturée et une image personnelle que je peinais à remettre dans un semblant d’ordre, les tempêtes des premiers jours en étaient venues à se heurter à une froideur qui n’avait que peu d’égaux dans ce bas monde. Les échanges étaient pratiques et utilitaires. Au fil des ans, les appels avaient su se faire particulièrement brefs et expéditifs. Ni elle ni moi ne trouvions notre compte dans ces joutes oratoires où la tendresse avait fini par céder le pas à un ressentiment, voire une rage déchaînée qui transparaissait sans doute jusque dans les silences hurlants.
Elle avait fait preuve de plus de flexibilité que moi. Recommencer sa vie en un sens avec un énième amant. Je n’en avais pas senti l’obligation personnellement. Ma solitude était rassurante d’une certaine manière sur ce point (nul besoin de m’imposer une intimité que je comprenais plus enquiquinante que plaisante).
Mais le résultat de cette relation brisée avec mon ex-femme se voyait dans ce manque de confiance qui régnait en maître sur nos échanges laborieux depuis que j’avais appris son infidélité et que j’avais accepté de la couvrir pour notre employeur, pour le bien de nos enfants. Pour être passé à quelques reprises devant la maison, je me doutais bien qu’elle n’était pas présente, pas là pour les épauler. Considérant l’aridité désertique de notre rapport interpersonnel, je n’allais certainement pas lui tendre le gros bout du bâton pour la laisser gérer les répercussions de mon état. Je préférais jouer d’honnêteté dans mon échange avec l’infirmière. « La dernière fois que j’ai eu des nouvelles de mon ex-femme, elle était partie en voilier avec son amoureux du moment. » C’était glacial et amer. Elle vivait alors que, moi, je survivais. Elle avait choisi de déserter possiblement, ce qui ne voulait pas pour autant dire que je pouvais récupérer un semblant de relation avec eux.« Donc, non. Je ne pense pas qu’elle soit fort présente pour mes enfants assez pour les aider à encaisser que je suis…» J’hésitais pendant un instant à rajouter un quelconque qualificatif. Malade était un mot que j’évitais comme la peste. Ça me paraissait restituer la gravité de ma situation de façon si véritable que si je me contentais de me borner dans un silence obtus ou d’utiliser un savant euphémisme tel difficulté. Le simple changement de vocable rendait mes circonstances plus faciles à accepter, plus aisées à apprivoiser. Une modification de paradigme qui émasculait en un certain sens la pathologie sans, effectivement, métamorphoser les faits de ce dont je prenais conscience dans le commentaire de la Khadji comme quoi ce n’était pas son boulot, mais qu’il ne tenait qu’à moi de ne pas me rajouter à la liste des âmes emportées par la saloperie qui pourrissait ma vie. « Je sais. », affirmais-je sans, concrètement, être sûr de ce que je pensais : que son opinion ne pesait pas dans la balance des choses? La réalité qu’elle avait répondu présente était un indicateur d’un semblant de point de levier sur moi. Ça influait sans doute. Non. C’était plutôt parce qu’elle avait raison en énonçant que j’étais l’auteur de cette histoire que mes enfants auraient.
Avais-je véritablement conscience de la profondeur du paradoxe de ma situation? Des efforts délibérés que je mettais pour les protéger alors que de l’autre côté j’étais volontiers à me négliger parce qu’une vie sans eux ni mon emploi ne me paraissait guère être une expérience qui en valait la peine. À l’inverse, il y avait cet appel à l’aide que j’avais passé pour m’acharner à faire comme si je n’en avais pas besoin. Ma propre vulnérabilité me terrorisait. La peur de laisser tomber cette épaisse carapace pour découvrir celui que j’étais derrière, mais que je n’étais pas à coup sûr certain de connaître. Non. Ma faiblesse qui m’avait poussé à demander du soutien pour rentrer se faisait allégrement écraser par mon orgueil dont la taille était si impressionnante que c’était tout à fait épatant que nous puissions être tous les deux dans la jeep.
Tout cela nous ramenait conséquemment à cet échange sur comment j’allais auquel je répondis avec honnêteté dans la brièveté qui m’était si caractéristique. Je contemplais l’option de refuser pendant un instant. Tant l’hôpital que mon domicile se trouvaient dans Toowong. C’était peut-être la fatigue qui incita mes mains bien trop serrées sur ma vie à desserrer un peu leur prise. « Je veux bien… même si je ne pense pas que quoi que ce soit est encore dans mon estomac. J’ai oublié de manger ce midi… je crois. » Il y avait une candeur dans l’aveu. Quelque chose qui avait glissé dedans. Ma négligence personnelle qui se répercutait en plusieurs étapes. Je savais qu’il serait sans doute stupide de rajouter a voix haute que c’était parce que l’enquête au travail avait pris toute la place dans ma tête. Je me contentais plutôt contemplatif d’écouter son offre en espérant que le commentaire ne se perdre dans la conversation avec le fait que c’était un bon signe et que j’allais mieux.
Balivernes moins graves que la proposition que j’examinais sans mot dire pendant un moment… La confiance envers mon cardiologue jouait probablement un peu contre moi dans la quête d’un traitement que j’accepterais sans encombre et je manquais cruellement de plusieurs choses dont ma conductrice débordait : entregent, patience et intelligence émotionnelle. Je rejetterais sur autrui, sans doute en d’autres circonstances, l’état dans lequel je me trouvais lorsque j’admis après un instant « Ça ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Je n’ai jamais été très doué pour comprendre comment je me sens. » Je fonctionnais par élimination de mes propres sentiments, dans une certaine analyse. @Yasmine Khadji |
| | | | (#)Dim 5 Fév 2023 - 18:30 | |
| Le ton emprunté par son voisin pour parler de son ex-femme était sans appel. De nouveau, Yasmine choisit la réserve pour réagir, ne le faisant qu’avec un léger haussement de sourcils tout en comprenant que ce n’était pas sous les meilleurs auspices que la séparation avait dû se faire. C’était rarement le cas, mais il y avait des individus qui réussissaient à trouver un terrain d’entente finalement, ne serait-ce que si des enfants étaient impliqués. C’était le cas ici, mais ça paraissait tout de même compliqué comme histoire. Quand bien même les enfants de Muiredach étaient grands, ils auraient eu besoin du soutien de leur mère pour leur apporter réconfort et bons mots pour répondre au ton cryptique d’une nouvelle comme celle qu’ils recevraient si leur père se décidait à les mettre au courant de son état. Sauf que compte tenu de ce que lui disait ce dernier, sa décision de ne pas le faire était avant tout dû au manque d’implication de son ex-femme, et donc d’un manquement affectif potentiel en cas de coup dur. Yasmine ne jugeait pas, mais ça l’éclairait davantage sur l’attitude de son passager à qui elle jeta un regard en biais lorsqu’il hésita sur les mots à employer pour définir sa situation "Malade. Vous pouvez le dire, c’est pas un gros mot." l’encouragea-t-elle en sachant qu’il n’y parviendrait pas. Ce n’était pas grave, ce serait pour une autre fois.
Un silence retomba dans l’habitacle, un silence que Yasmine rompit simplement pour proposer à l’homme de lever un peu le pied si jamais sa conduite était trop désordonnée pour son estomac ; il lui confirma que ce serait appréciée, de fait elle se déporta légèrement sur le côté pour arrêter le moteur et lâcher le volant "On va s’arrêter une minute. Vous me direz quand vous vous sentirez prêt." Elle avait tout le temps du monde, et une patience à rude épreuve. Après un instant à contempler l’idée, elle finit par reprendre la parole "Je sais déjà plus ou moins ce que vous allez me répondre, mais je me sentirais coupable de ne pas vous le proposer." finit-elle par faire après un instant à attendre sagement que Muiredach reprenne sur lui "On a une chambre d’amis à la maison, et je comptais cuisiner quelque chose pour le déjeuner. Je peux ajouter un couvert si ça vous dit, ça vous fera du bien de reprendre des forces une fois que votre crise sera passée — et la chambre d’amis, c’est pour la sieste." lui précisa-t-elle, n’attendant pas qu’il adhère à sa proposition, tout comme elle ne s’était pas attendue à ce qu’il adhère à celle qu’elle lui fit quelques instants plus tard, et qui impliquait de se charger personnellement de l’aider à mieux gérer son cas. Pourtant, il sembla peser le pour et le contre, Yasmine le voyait. Elle ne le brusquerait pas à envisager ça comme la solution à son problème parce que ça ne le serait pas, mais ça serait une bonne chose à considérer pour aller de l’avant dans les meilleures conditions et se donner les moyens d’aller mieux. Jouer avec sa santé par orgueil, ça n’avait jamais rendu service à personne. Elle pouvait comprendre la difficulté que ça représentait de demander de l’aide, mais elle n’était pas là pour se servir des faiblesses de ses patients pour marquer des points ; elle était infirmière, c’était son rôle de faire les choses sans chercher à en tirer une satisfaction personnelle, ce qui ne fut pas le cas lorsqu’il reprit la parole pour lui accorder des mots qui la firent sourire intérieurement seulement.
Elle ne démontrerait aucun signe de victoire à ce sujet, ce serait mal la considérer de la croire capable d’une telle bassesse alors qu’elle savait pertinemment que ça lui coûtait à son voisin d’accepter qu’elle lui tende la main sans la repousser. Sa tête posée contre l’appui-tête de son siège, Yasmine lui accorda un regard bienveillant et compatissant "C’est déjà une bonne chose de l’admettre, ça nous permettra de prendre les choses du début et d’essayer de trouver le meilleur moyen de vous aider à comprendre pour vous faire comprendre" La formulation bancale de sa phrase la fit sourire pour de bon cette fois tandis qu’elle se montrait toujours encourageante. Elle fût profondément touchée également parce que ça restait un homme démuni face un état qui le réduisait à son statut d’humain, et que ça non plus, ce n’était jamais facile à accepter. Opinant du chef à ses propres mots, cessant de sourire par la même occasion, Yasmine ajouta "Je ferais tout mon possible pour vous aider. Je sais qu’on se connait encore peu, mais j’ai l’habitude de tenir parole, alors si vous comptez m’envoyer balader encore et encore, ça ne me fera pas flancher ; vous acceptez mon aide, c’est à vos risques et périls, voisin." Gentiment têtue, elle l’était Yasmine.
rp terminé. @Muiredach MacLeod |
| | | | | | | | Everything is gonna be alright [PV Yasmine] |
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