❀ you ran into the night from all you had « summer evening breezes bloom, drawing voices deep from you, led by a beating heart | what a year and what a night, what terryifying final sights, put out your beating heart | the night was all you had; you ran into the night from all you had | found yourself a path upon the ground, you ran into the night, you can't be found »

Madison a chaud. Pourtant le soleil couché depuis longtemps a laissé place à une nuit sans étoile et à l'air frais. Mais la chaleur provient de sa peau à elle, de ses propres cellules qui s'agitent ; elle ôte sa veste, ses bras s'emmêlent dans les manches, elle manque de perdre l'équilibre et finit par l'accrocher à sa taille. Là, comme ça, elle ne la perdra pas, pas comme celle que ses parents lui avaient offert à Noël dernier et qu'elle avait abandonnée dans un bar huppé du centre ville. Elle attrapera peut-être froid, se dit-elle, parce qu'elle sait que la chaleur n'est qu'une illusion provoquée par le septième verre de vin, celui qui a fait monté la nausée qu'elle a noyé dans le huitième. Elle prétend danser au son de la musique qui provient de la scène, plus loin, mais elle sait qu'elle ne fait que tanguer. Son centre de gravité n'est plus le même depuis quelques heures, elle flotte dans cet état si familier et si réconfortant. Il est monté vite ce soir, trop vite peut-être, comme s'il sait que Madison a besoin de lui. Ne l'a-t-elle pas toujours dit ? L'alcool est son ami le plus cher, toujours présent quand elle a besoin de lui.

Elle a passé le dîner chez ses parents, essayant de calmer son cœur suite à la remarque de son père sur « ces gens-là » sur lesquels il avait lu un article la veille. Elle a même bu un verre de vin dans la cuisine, pendant que les autres ont le dos tourné, brisant sa règle de ne jamais boire plus de trois verres avec sa famille. Elle s'est convaincue, grâce à sa logique toujours arrangeante, que ce n'est pas grave car personne ne l'a vue, et que donc techniquement, pour ses parents, elle n'a pas bu plus de trois verres. Pourtant, à l'instant où sa mère est sortie de la pièce et que Madison a senti ses mains tremblantes aggriper la bouteille pour boire le plus vite possible, elle a eu cette sensation affreuse de se voir, au-dessus d'elle, et de savoir que quelque chose n'allait pas. Elle a senti l'angoisse la prendre, comme souvent lorsqu'elle a un moment de lucidité affreux où la peur l'envahit, que la réalité est trop dure à affronter. Et dans ces moments, l'idée d'être sobre face à cette réalité lui paraît tout simplement impossible. En partant de la maison familiale, elle s'est jetée dans le bus en direction du centre pour rejoindre ses amis qui passent la soirée ensemble. Elle s'en fiche d'où ils sont - apparemment un food market avec un tas de stands, de la musique, des expositions - de qui est là, tout ce qu'elle veut, c'est ne pas être seule, ne pas boire seule. Elle veut être une jeune fille normale, qui fait la fête comme tout le monde autour d'elle, et surtout, penser le moins possible.

Mais elle n'est plus une jeune fille normale. Les verres se sont enchaînés, et elle est partie aux toilettes, abandonnant ses amis derrière elle, et en revenant, elle se rend compte qu'elle n'a plus aucune idée d'où ils sont. Pendant quelques secondes, elle ne sait même plus où elle est. Quelque part au-dessus, dans un entre deux, pas exactement là, pas exactement vivante non plus. Elle marche, elle ère, les yeux qui papillonnent, à la recherche d'un visage connu, d'un autre stand qui vend de l'alcool.

Elle le reconnaît au loin, et sans réfléchir, elle s'approche, simplement parce qu'il lui est familier, qu'elle a besoin d'une ancre dans sa dérive.

« Fi...Finn !! » Elle agite sa main devant lui, comme s'il craint qu'il ne la voit pas tant elle se sent elle-même disparaître. « Madison, » elle précise, parce qu'elle a peur qu'il ne se rappelle plus d'elle. « Je suis une amie de Bryn, on s'est déjà croisé, je ne sais pas si tu te souviens ?! » La dernière fois qu'elle l'avait vu, c'était un soir où Bryn avait dû aller le chercher en soirée et le raccompagner parce qu'il était ivre mort. Ah oui, c'est vrai, se rappelle-t-elle... L'alcool. Elle le regarde. « T'as l'air vachement plus so... » Elle sent son cœur qui s'écroule dans sa poitrine : son filtre a complètement disparu et elle se maudit. Elle se déteste. Elle bafouille : « Plus...  » Elle se tait. Elle est affreusement consciente du verre de vin dans sa main. « Tu passes une bonne soirée ? » Enchaîne-t-elle, cachant un hoquet.


@Finnley Coverdale  

@MADISON KWANTEEN & FINNLEY COVERDALE ⊹⊹⊹ summer evening breezes bloom, drawing voices deep from you, led by a beating heart | what a year and what a night, what terryifying final sights, put out your beating heart | the night was all you had; you ran into the night from all you had | found yourself a path upon the ground, you ran into the night, you can't be found.

Un Food Market n’est pas vraiment un endroit considéré comme dangereux, à moins d’avoir une liste interminable d’allergies alimentaires ou d’avoir une réelle phobie de la foule. Finn n’a ni l’un, ni l’autre. Pourtant, c’est bien avec un nœud à l’estomac qu’il traverse la rue piétonne, slalomant avec difficulté entre les fêtards qui ne marchent pas droit et les groupes qui prennent toute la place. Il est venu seul. C’est une première erreur, alors qu’il sait à quel point sa solitude peut lui peser ; d’autant plus depuis qu’il a pris conscience que sa vie sociale se résumait en majeure partie aux amitiés, superficielles il est vrai, nouées à l’intérieur des bars qu’il avait l’habitude de fréquenter. Évidemment qu’à force de devenir un rendez-vous quotidien, certains visages sont devenus tout aussi important dans celui-ci ; et maintenant qu’il essaie de se reprendre en mains et de se tenir éloigné de toute forme de tentation, il ne peut pas nier que sa vie sociale en a un pris un sacré coup, le genre de désavantage que beaucoup se plaisent à considérer, à l’inverse, comme un argument pour s’en sortir : ce ne sont pas de vrais amis s’ils contribuent à vous enfoncer. Finn, lui, n’arrive pas à voir les choses sous cet angle et tout ce qu’il constate est que là où il avait pris l’habitude de remplir son agenda pour se donner un sentiment d’appartenance, celui-ci a disparu au moment où il semblait enfin y être parvenu et que ce sentiment est détestable. Et peu importe si cette place acquise ne s’était pas obtenue dans les meilleures conditions : il s’est habitué à se contenter de rien plutôt que de mieux. Sauf que rien, c’est aussi ce qu’il est supposé boire depuis quelques semaines ; et c’est sa deuxième erreur. Son sevrage par pallier désormais terminé, le sang de Finn est définitivement vidé de tout éthanol et il se doit de le laisser en l’état ; sauf que c’est bien plus facile à dire qu’à faire et cette nouvelle sobriété est loin d’être aussi facile qu’il ne l’envisageait. Le suivi par des professionnels et la médication qui est désormais la sienne auraient dû l’aider à mieux vivre ce passage, pour autant il réalise ce soir que la tentation n’est jamais bien loin, et qu’elle l’est encore plus depuis qu’il ne peut définitivement plus boire. Il y a quelques semaines, il avait encore le droit à quelques gorgées par-ci, par-là, pour rendre ses symptômes de manque moins violents, pour que son corps s’adapte à cette transition après avoir été nourri au gin pendant des mois – à qui il ment, des années – il savait que ce jour finirait par arriver, mais il y avait quelque chose de satisfaisait de savoir qu’il avait encore le droit de profiter, juste un peu, de son pêché. Et en réalité, rien ne l’empêche de craquer aujourd’hui, si ce n’est cette voix dans sa tête qui lui répète que ce serait un échec, un qui s’ajouterait à la liste de nombreux autres. Il n’est pas certain que ce poids de la culpabilité soit une bonne idée à long terme, quand l’envie se fera plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui, mais dans l’immédiat, ça a le mérite de fonctionner. S’il y a bien quelque chose que l’alcool lui a appris, c’est qu’il y a un temps pour gérer chaque mauvaise décision.

Ce soir, il ne va pas bien, mais il ne va pas mal. S’il s’est rendu ici, c’est autant pour se mettre au défi que pour se féliciter, conscient qu’il serait en mesure de gérer cette sortie malgré l’accès facilité à l’alcool et la tentation de calquer son comportement réservé sur ceux, plus ouverts, des fêtards bien arrosés qu’il croise depuis une bonne demi-heure. S’il demeure une pointe de jalousie qu’il ne peut contenir, il y a aussi un certain mépris qu’il leur adresse alors qu’un groupe de jeune complètement arrachés ne semble pas prendre conscience du ridicule de leur allure et ce qu’ils considèrent comme drôle et qui ne font, en réalité, que les rendre pathétique aux yeux des passants. Il sait que son avis est très tranché ; et c’est en partie parce qu’il a lui-aussi eu l’habitude de se donner en spectacle qu’il se le permet, dans une envie de se distancer de cette manière de faire dont il a eu honte. Une honte qu’il doit chérir pour tenter d’avoir un argument supplémentaire à lister du côté des bienfaits de la sobriété, qui sont encore trop peu nombreux.

Finn quitte un stand de nourriture avec quelques rouleaux de printemps dans une barquette quand son prénom s’élève dans la foule, d’une voix qu’il n’est pas certain de reconnaître et qu’il n’identifie pas avant qu’un geste de la main ne lui donne un indice. « Madison, » Madison, donc, qu’il replace comme... « Je suis une amie de Bryn, on s'est déjà croisé, je ne sais pas si tu te souviens ?! » Comme ça, oui, et elle n’aurait même pas eu besoin de le préciser pour qu’il s’en souvienne. Il affiche un léger sourire, gêné, parce que s’il connaît et sympathise parfois avec l’entourage de Bryn, le contexte de ce soir ne s’y prête pas, d’autant plus en prenant en compte l’état de la jeune femme – qu’il jalouse à son tour. « Salut. » Il se contente de marmonner entre ses lèvres, et bien que Madison lui soit toujours apparue comme gentille, il n’est pas vraiment sûr que le fait d’avoir Bryn en commun soit suffisant pour qu’ils entretiennent une conversation qui va au-delà des sympathises d’usage. « T'as l'air vachement plus so... » Il fronce les sourcils alors qu’elle s’arrête et que son regard la met au défi de continuer. « Plus...  » Son sourcil se hausse, tandis qu’il verbalise son expression : « continue ? » Mais elle ne le fera pas, tandis que la jeune femme semble, en plus de ça, avoir des difficultés à tenir debout. « Tu passes une bonne soirée ? » - « Pas autant que toi visiblement. » Il souligne, un air grave sur le visage qui masque un début d’agacement. Parce qu’elle le dérange, le gêne ou le renvoie à un interdit, il ne saurait dire. « T’es pas toute seule quand même ? » Qu’il l’interroge alors que son regard quitte celui, brumeux, de la jeune femme dans l’espoir de trouver quelqu’un dans la même tranche d’âge qui semblerait passer la foule au peigne fin. Mais personne ne semble à sa recherche. « Est-ce que ça va ? » Il continue, par acquis de conscience, connaissant néanmoins la réponse. Autant celle qui sera donné que la vraie.

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Madison n’aurait jamais parlé à un quasi-inconnu si elle avait été sobre, elle le sait. C’est l’avantage de l’alcool : il casse ses barrières, dissout sa timidité à chaque gorgée. Bien sûr, ce n’est pas sans faille. Ses mots sont plus maladroits, elle ne contrôle pas toujours ce qu’elle dit et elle se rend ridicule, parfois, elle s’en rend compte le lendemain matin et la honte l’engloutit. Mais ces quelques heures de délicieuse euphorie, elle s’en fiche du regard des autres, et cette liberté lui suffit, peu importe le prix à payer. Il y a toujours un prix à payer avec l’alcool, de toute manière. Un prix réel, des centaines de dollars qu’elle jette chaque mois dans des verres et des bouteilles, mais il y en a bien d’autres, les mal de têtes, la peau sèche et le visage cerné, les secrets partagés malgré elle, les filles qu’elle a regardées avec trop d’insistance et cette angoisse immense qui rode comme un nuage noir et qui lui rappelle qu’elle n’a plus le contrôle sur ce train lancé à pleine vitesse vers un mur certain. Elle a peur, tout le temps, enfoui au plus profond d’elle.

« Pas autant que toi visiblement. » Hein ? Madison reporte son attention sur Finnley. Ah, oui, la bonne soirée… Elle regarde son verre de vin, toujours dans sa main - il lui brûle le bout des doigts. Elle hausse les épaules, sans savoir comment trouver ses mots, comment dire que oui, elle passe une bonne soirée, mais que non, tout est affreux, que c’est stupide, qu’elle est stupide. « T’es pas toute seule quand même ? » J’ai l’impression d’être la personne la plus seule sur terre, a-t-elle envie de répondre, et elle se sent absolument ridicule de ne plus contrôler le fil de ses pensées, d’être aussi dramatique. L’alcool est un liant social et Madison déteste les soirs où il la trahit ainsi. « J’ai perdu mes amis. Enfin, je me suis perdue. » Répond Madison, haussant à nouveau les épaules. Oui, oui, elle s’est perdue, c’est une bonne image.

Il faudrait qu’elle y retourne, qu’elle les cherche, mais elle se rend compte avec tristesse qu’elle n’a pas envie. Elle veut rentrer chez elle et disparaître sous sa couette, elle veut sa réserve secrète de gin qu’elle peut avaler jusqu’à oublier son propre prénom. Elle pense à Louis, qui vit avec elle à présent, et dans la lumière artificielle du food market, elle voit la réalité en face avec horreur : c’est une erreur de l’avoir invité à vivre avec elle, c’est une erreur d’être avec lui, parce que c’est elle l’erreur.

« Est-ce que ça va ? » Madison sursaute - elle a oublié Finnley devant elle, elle a oublié la réalité l’espace d’un instant. Elle le regarde, curieuse, détaille son visage flou comme elle peut. Il est beau, se dit-elle, avec des traits creusés par les années, et il a l’air gentil malgré ses sourcils froncés. Elle se doute qu’elle le gêne, elle et son alcool. Bryn lui a raconté qu’il avait arrêté et Madison a écouté avec un apparent détachement, quelques “oh, c’est super pour lui”, essayant tant bien que mal d’étouffer la petite voix en elle qui lui murmurait qu’elle ne pourrait jamais réussir un tel exploit et l’angoisse qui s’y collait de réaliser que l’alcool était devenu une telle part de sa personnalité, si présente qu’elle était indissociable de son être. « Oui, oui, » répond Madison par habitude. « Simplement un peu trop de… » Elle agite son verre dans sa main. Combien de fois a-t-elle dit cette phrase, avec une apparente légéreté, comme si c’était normal ? Et combien de fois l’a-t-elle entendu de la bouche des amis avec qui elle sortait ? Tout le monde buvait trop. Tout le temps. « Je n’en veux même pas, » continue-t-elle, sans réfléchir, « Enfin, même plus. » Elle a un petit rire. « Enfin, non. J’en veux tout le temps. Comme tout le monde, non ? » Et elle a honte, parce qu’elle sait que Finn est là, qu’il est sobre, qu’il doit avoir du mal à rester sobre, et elle ne contrôle plus ses mots et elle a envie de pleurer mais elle fait semblant, comme elle sait si bien faire. Elle pose le verre de vin sur le bord du stand le plus proche, s’appuyant au passage sur le comptoir comme pour reprendre son équilibre tandis que tout tourne autour d’elle. « Désolé, » dit-elle à Finn, à elle-même. Elle secoue la tête. Elle ressemble à une énième jeune fille ivre en soirée, se dit-elle, et si elle part maintenant, Finn se dira simplement qu’elle est une amie de Bryn qui aime faire la fête comme tous les jeunes de Brisbane. Il faut qu’elle parte. « Je vais retrouver mes amis, » dit-elle. Mais elle ne bouge pas, elle évite le regard de Finn, mais elle reste là. Les questions se collent au bord de ses lèvres et la gênent. Comment fait-il, se demande-t-elle, elle veut le supplier de lui révéler le secret. « Désolé, » Répète-t-elle.



@Finnley Coverdale  

Madison aurait pu passer à côté de lui sans un regard qu’il ne s’en serait pas vexé ; il y a cette règle évidente selon laquelle les amis de sa sœur sont des inconnus pour lui, quand bien même il les croise à quelques occasions. À la rigueur, une salutation aurait été appréciée, mais pas obligatoire et en ce sens il ne peut cacher sa surprise quant au fait que la jeune femme prenne le temps de s’arrêter vers lui pour entamer un brin de causette. Finnley n’a néanmoins pas besoin de plus d’un coup d’œil en sa direction pour réaliser que son taux d’alcoolémie est la raison pour laquelle elle a pris le temps de s’arrêter ; et qu’il ne s’agit probablement pas d’une envie de faire connaissance. Elle est aussi hagarde qu’elle n’est enjouée et le rouquin n’a pas à se creuser la tête pour déceler les signes d’un état qu’il ne connaît que trop bien pour se l’être infligé quotidiennement durant des années. Madison cherche ses mots, Madison titube, Madison a le regard vitreux et Finn cherche surtout un moyen d’éviter une situation qu’il anticipe comme étant susceptible de le mettre mal à l’aise. Ce n’est pas tant la confrontation avec un rappel douloureux de cette euphorie à laquelle il n’est plus en droit de prétendre, c’est surtout les efforts de sociabilité qui l’entoure et qu’il n’a pas réellement envie de faire – aussi gentille soit Madison. Il ne sait pas vraiment quoi lui dire, et quand bien même elle serait sobre qu’il est bien incapable de se souvenir de ses études ou d’un quelconque détail qui l’aiderait à contribuer à cette conversation. Tout ce qu’il peut noter, c’est qu’elle a l’air de passer une meilleure soirée que lui, sans jugement – mais peut-être avec une pointe de jalousie. Et qu’elle est seule ; un détail qui peut sembler anodin mais qui, dans un contexte comme celui-ci, a toute son importance. « J’ai perdu mes amis. Enfin, je me suis perdue. » C’est du pareil au même, mais il ne va pas chipoter sur des détails de langage compte tenu de la difficulté avec laquelle elle semble trouver ses mots.

Finnley ne réagit pas ; mais prend note de garder un œil sur elle jusqu’à ce qu’elle retrouve ses amis. Et quand son regard s’absente un peu trop longtemps, il verbalise une question qui n’attend pas vraiment de réponse. Ils ne sont pas assez proches pour qu’elle réponde par la négative, il n’a pas assez d’énergie à lui consacrer si c’est le cas – et peu importe l’image que ça renvoie de lui. C’est l’amie de Bryn, pas la sienne, et en ce sens elle n’est pas supposée être son problème. Pourtant, il n’arrive pas à se résoudre à faire taire cette inquiétude qu’il lui réserve depuis qu’elle s’est adressée à lui. « Oui, oui, » Il n’est pas convaincu, mais il ne relève pas alors qu’elle poursuit : « Simplement un peu trop de… » Son regard s’arrête sur son verre, comme s’il accédait à cette réponse grâce à elle, sans avoir déjà émis l’hypothèse dans son esprit dès qu’il a vu sa démarche fluctuante se diriger vers lui. « Je n’en veux même pas, » Elle le garde pourtant bien en main. « Enfin, même plus. » Il n’y a qu’elle qui rit. « Enfin, non. J’en veux tout le temps. Comme tout le monde, non ? » - « Non. » Oui. Il ne sait pas. Il déteste la question. Et il fronce à nouveau les sourcils, Finn, ne sachant pas s’il s’agit d’un reproche déguisé. Elle est l’amie de Bryn, elle est probablement au courant de certaines choses qu’il aurait préféré garder son silence – et c’est ce qu’il fait quand il ne réagit pas, se contentant de désigner le verre d’un signe de la tête. « Tu devrais peut-être commencer par arrêter. » Oh, elle est belle l’ironie d’un tel conseil donné par ses soins. Ce même conseil qu’il a entendu des dizaines, centaines, de fois, sans jamais y accorder le moindre bénéfice. Et le voilà qui, aujourd’hui, transmet ce cliché qu’il détestait entendre de la bouche des autres. Mais Madison n’est pas lui, Madison est seulement une fêtarde qui n’a pas su voir ses limites ce soir, comme tous les jeunes de son âge et c’est ainsi qu’il fait disparaître un peu de sa culpabilité suite à une telle réflexion. Il la remercie silencieusement de se débarrasser du verre par elle-même et de ne pas l’obliger à s’en saisir pour elle alors qu’il s’agit d’un geste anodin, mais dont il préfère ignorer les conséquences. Parce qu’il y a des mécanismes qui s’ancrent à force d’être répété ; et tenir un verre sans le porter à ses lèvres relève d’un geste qui est devenu contre-nature pour ses réflexes. « Désolé, » Madison est appuyée pour ne pas perdre l’équilibre, Finn fait un pas en sa direction pour s’écarter du passage de la foule. « Je vais retrouver mes amis, » C’est une bonne idée, oui. Dans les faits ; en pratique, ça n’en est pas vraiment une alors qu’elle s’excuse à nouveau et qu’elle reste prostrée contre ce comptoir. « Tu vas pas aller loin. » Il souligne en l’observant avec attention pendant un instant. « C’est pas une bonne idée. » Il ajoute, avant de se corriger : « De te mettre à leur recherche seule. » Comme s’il était le mieux placé pour déterminer ce qui relève d’une bonne idée ou d’une mauvaise. « Je vais les attendre avec toi. » Elle n’est plus vraiment en mesure de converser, de toute façon, alors le silence n’en sera pas gênant. Mais il ne peut décemment pas la laisser reprendre son chemin alors qu’elle a à peine conscience de ce qu’il se passe autour d’elle. « Sauf si tu préfères que je te raccompagne chez toi ? » Il n’est pas certain que de la coller dans un taxi tout aussi seule et alcoolisée soit une bonne idée vu le contenu des pages faits divers, mais il peut concéder à s’assurer qu’elle rentre chez elle sans encombres bien qu’il n’avait pas prévu de jouer au baby-sitter ce soir. « T’as essayé de les appeler ? » Ses amis. Il l’interroge et si la solution peut paraître indéniable, il sait aussi que Madison n’est probablement pas en mesure de réfléchir à de telles évidences. Celle à laquelle il pense, de son côté, c’est de faire disparaître le contenu de ce verre qui trône entre eux, quand dans un geste impulsif, pour mieux en renverser le contenu à terre, éliminant ainsi le problème. Autant pour elle que pour lui. Et peu importe si dans sa volonté d’en vouloir « tout le temps », elle le voulait encore.  

@Madison Kwanteen

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« Tu devrais peut-être commencer par arrêter. »

Madison regarde au loin les lumières qui clignotent et murmure un “hmmm” distrait. Elle ne peut pas croiser le regard de Finnley, elle ne peut pas être honnête. Ce qu’elle ressent, c’est le grand vide dans sa poitrine, la honte, mais surtout l’angoisse qui l’étrangle dès qu’elle imagine cette possibilité pourtant si simple : elle devrait arrêter. Elle sait qu’elle a bu ne pas boire, quand elle était enfant, quand elle était une simple adolescente qui buvait ses premières bières, c’était différent, avant que quelque chose ne change en elle, comme un interrupteur que l’on avait allumé. Elle ne sait pas exactement quand est-ce que l’équilibre a été déplacé, quand est-ce que l’arrêt a commencé à paraître impossible ; mais elle se sent prisonnière maintenant et pourtant, lorsqu’elle boit, elle est plus libre que jamais, légère, amusée par un rien, l’anxiété un peu plus loin que d’habitude. Ce paradoxe l’étrangle. Elle ne peut pas arrêter, pourquoi le voudrait-elle ? Il faut simplement qu’elle fasse attention.  

Alors elle négocie, chaque jour. Elle s’impose des règles et les changent, les brisent. Pas plus de trois verres devant ses parents. Pas plus de cinq verres devant ses amis proches en semaine. Pas d’alcool en voiture, ni en vélo, sauf si ce n’est que quatre verres. Sauf exception. Exception, exception, exception. Il y a toujours une exception. Parce qu’il n’y a plus de bus, parce que le taxi est trop cher, parce qu’elle a eu une longue journée, par que son père n’a pas vu le verre qu’elle s’était reservi, parce qu’elle s’est disputée avec Louis, parce qu’elle est stressée. Parce qu’elle mérite juste un verre, pour n’avoir pas bu la veille. Parce qu’elle est fatiguée.

Fatiguée de ne pas laisser l’envie la dévorer.

« Tu vas pas aller loin. » De quoi ? Madison ne sait même plus de quoi ils parlent. Ah, oui, si, ses amis, les retrouver ? « C’est pas une bonne idée. De te mettre à leur recherche seule. » Elle l’énerve, elle le sait, elle le sent. Elle est ridicule, une fille ivre en soirée qui ne sait pas se tenir, qui a envie de pleurer pour un rien, qui perd ses amis. Elle a honte, encore et toujours. « Je vais les attendre avec toi. » « Non, » elle s’exclame, et rajoute pour ne pas vexer Finn : « Je veux dire, je ne veux pas rentrer. Je n’ai pas envie de voir mon copain, »  bafouille-t-elle.

Elle met sa main sur la bouche, gênée d’avoir parlé si vite, de dire des réalités qui piquent un peu trop, simplement parce qu’elle a bu. Mais elle imagine le visage de Louis, son air toujours son ombre depuis son retour de l’armée, elle sait qu’elle a trop bu, qu’elle ne dirait pas les bons mots. Elle réfléchit, elle ne sait pas où aller - elle pense à son frère, Archie, un instant, se demandant comment il réagirait s’il la récupérait dans cet état. Elle a déjà ivre devant lui, mais jamais à ce point-là. Elle a peur de ce qu’elle pourrait lui dire à lui aussi. Elle n’a plus aucun contrôle, se dit-elle, inquiète ; elle a étrangement peur, réalisant qu’elle pourrait en pleurer si elle n’essayait pas de faire face à Finnley sans trop se ridiculiser.

« T’as essayé de les appeler ? » Madison sort difficilement son portable de son petit sac en bandoulière et s’y reprend à plusieurs fois pour débloquer l’écran, chercher dans ses contacts le bon numéro. Toutes les lettres sont floues et dansent devant ses yeux. Elle est gênée d’être observée par Finn qui réalise sûrement à quel point elle a bu. Elle porte le téléphone à son oreille, écoute les bips qui s’enchaînent, tente un autre numéro. Personne ne répond, bien sûr. Elle secoue la tête et hausse les épaules, regarde l’horizon au loin, toujours un peu perdue. Peut-être qu’elle peut juste partir, les chercher - Finn ne va pas lui courir après. Elle le regarde à nouveau, son visage toujours plus dilué dans la lumière, formant un halo autour de ses cheveux roux. Il ne boit pas, lui. Il a arrêté. Il a fait l’impossible. Elle meurt d’envie de lui demander comment il a fait, les mots sont cachés sous sa langue et elle les retient de peur de le gêner encore plus. Elle se fait déjà tellement honte, elle espère qu’il ne parlera pas à Brynn de cette rencontre ; elle a envie de disparaître sous terre, elle regarde une nouvelle fois son téléphone, toujours aucun message, personne ne la cherche. Elle ne veut même pas qu’on la trouve.

« Je n’ai même pas envie de les retrouver, » Madison murmure sans réaliser qu’elle s’est mise à pleurer, elle essuie ses yeux en se maudissant. C’est une imbécile, il faut qu’elle parte. Elle fait un pas en arrière, comme pour fuir Finn, comme si une telle confession lui avait fait peur. « Je ne veux pas être là mais je ne veux pas rentrer et je veux que ça s’arrête. Je veux arrêter et je ne peux pas arrêter, » avoue-t-elle dans un sanglot. Ses pensées ne sont presque plus cohérents, un flot qui s’écroule contre elle, des vagues, et elle est la digue qui lâche. « Pardon, j’ai honte, je… Je sais pas ce qui me prend. Ce n’est pas comme ça d’habitude. D’habitude ça me rend heureuse. » Elle a un hoquet et agite ses mains comme pour chasser tous les mots qui flottent dans l’air. « Tellement heureuse que ça me fait peur. Comment je ferais sans, comment on fait sans ? » Elle fait un nouveau pas en arrière, parce que les lumières du stand près d’eux lui brûlent les yeux et qu’elle préférerait être loin d’ici, au fond de l’océan qui borde la ville. Elle sent que la crise de panique la guette - elles sont toujours pires quand elle a bu, parce qu’elle n’a plus aucune prise - et elle ne veut pas qu’on la voit, surtout pas Finn. Elle se demande, sans réussir à lui poser la question, si elle comprend, s’il a été ainsi, lui aussi ; elle a l’affreuse sensation d’être complètement seule.




@Finnley Coverdale  

Depuis quand s’est-il transformé en donneur de leçons ? Oh, bien sûr que s’il voulait réellement lui en donner une il se serait montré bien plus brutal que ça, il n’aurait pas hésité à la heurter comme il sait si bien le faire, même si la faute est plus à mettre sur sa franchise qu’une véritable envie de blesser les autres. Le rouquin sait pertinemment qu’il n’est pas le mieux placé pour donner un tel conseil. Si on lui avait recommandé de « commencer par arrêter » pour régler son problème d’envie quasi quotidienne d’alcool, il aurait envoyé balader son interlocuteur sans sourciller tant ces mots lui semblent ridicules. Si seulement c’était aussi simple. Mais il sait – il croit savoir – que leurs situations sont bien différentes. Madison ne consomme pas de l’alcool comme lui pouvait le faire par le passé, elle est jeune, elle veut s’amuser, elle n’a pas su respecter ses limites ce soir. Finnley n’a jamais su boire pour s’amuser – ou du moins, il ne s’en souvient pas. L’envie primait sur le reste, puis la nécessité dictait sa conduite. Leurs situations ne sont pas comparables et en ce sens, son conseil ne semble pas totalement déplacé. Elle devrait commencer par arrêter, oui, avant de le regretter dès le lendemain quand elle se rendra compte des excès de la veille. Il ne sait seulement pas, à cet instant, que cet excès est loin d’être son premier. Madison se veut silencieuse et un instant durant, il a l’impression de jouer au père de famille, Finn, le renvoyant dix ans en arrière quand il avait sa petite sœur à charge, alors qu’elle entrait dans la majorité et que les soirées s’enchaînaient sans qu’il ne soit totalement d’accord avec l’attitude qu’elle adoptait. Elle n’a jamais dépassé les limites pourtant, n’a jamais été dans un état similaire à celui de Madison – ou elle lui l’a bien caché. Quoi qu’il en soit, si c’est un rôle qu’il rêve de revêtir un jour, il n’a aucune envie de tenir celui-ci auprès des amies de sa sœur et son malaise est perceptible.

Sauf qu’il ne peut pas partir. Il ne peut décemment pas la laisser tituber dans pareil état, alors que son discours autant que ses pas sont peu assurés. La foule est dense et le risque de se perdre au milieu de celle-ci est bien trop important – et ça, c’est uniquement parce qu’il est optimiste quant à ce qui pourrait lui arriver, s’il s’agit d’un simple égarement. « Non, » Il fronce les sourcils, Finn, n’étant pas sûr de comprendre. Elle voulait les retrouver, il y a quelques instants et à présent ce n’est plus sa priorité ? « Je veux dire, je ne veux pas rentrer. Je n’ai pas envie de voir mon copain. » - « Pourquoi ça ? » Il peut comprendre qu’elle n’ait pas envie de se montrer dans un tel état, mais paradoxalement, n’est-ce pas non plus la personne qui pourrait s’occuper d’elle dans ces circonstances ? Il n’est pas plus rassuré par ce constat alors que ce n’est pas ce qu’il aurait souhaité entendre. Non, ce n’est pas un discours rassurant et plus que jamais, il est convaincu de ne pas vouloir la quitter des yeux et de vouloir l’empêcher de se mêler à cette foule seule. Sa main sur sa bouche qui traduise de son envie de retirer de telles paroles ne rendent pas son discours plus cohérent aux yeux d’un Finn qui, justement, pose son regard sur elle en essayant de déterminer ce qu’il perçoit à travers ses expressions faussées par son taux d’alcool. Son regard est trop vitreux pour qu’il puisse y lire quoi que ce soit, ses traits trop dessinés pour qu’il puisse jauger de sa sincérité et il ne doute pas que ses paroles seront trop emmêlées pour qu’il puisse y dénouer un semblant de réponse.

Il a l’impression d’être le juge de ses capacités quand elle sort son téléphone et s’y reprend à plusieurs fois pour saisir son code, puis pour rechercher les bons numéros dans son répertoire. Un instant, il est tenté de lui proposer d’essayer lui-même, avant qu’elle ne colle le téléphone à son oreille. Sans succès, une fois, deux fois, trois fois. « Je n’ai même pas envie de les retrouver, » Il faut quelques instants à Finnley pour comprendre que ses joues se mouillent et si ça ne l’aide pas à se sentir plus à l’aise – c’est Bryn qui devrait gérer ça – ça le convainc de ne pas la laisser. « Je ne veux pas être là mais je ne veux pas rentrer et je veux que ça s’arrête. Je veux arrêter et je ne peux pas arrêter, » Elle s’est reculée et lui s’est approché d’un pas comme pour tenter de lui montrer qu’elle n’est pas toute seule. « Hé, Madison, ça va, t’as juste un peu trop bu, ça arrive. » C’est rien de grave. Dans sa situation, ce n’est rien de grave, il en est convaincu alors qu’il ne devrait pas l’être. Ce n’est rien de grave parce qu’elle est jeune, parce qu’elle a juste envie de faire la fête, parce qu’elle se remettra d’ici les prochaines heures. Ce n’est pas grave parce que ce n’est qu’un incident isolé, pas vrai ? « Pardon, j’ai honte, je… Je sais pas ce qui me prend. Ce n’est pas comme ça d’habitude. D’habitude ça me rend heureuse. » Sauf que ce n’est pas isolé, que c’est une habitude. Et que son discours confus commence à faire sens. « Te retiens pas si t’en as besoin. » Il ajoute en esquissant un fin sourire. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas doué pour essuyer les larmes qu’elles lui font peur et son inconfort est secondaire par rapport au confort que cela pourrait apporter à Madison. « Tellement heureuse que ça me fait peur. Comment je ferais sans, comment on fait sans ? » Elle se recule toujours plus et loin de vouloir forcer sa présence dans son espace vital, il est inquiet à l’idée qu’elle le sème – même s’il émet des doutes quant à sa capacité à courir dans la foule pour le laisser derrière elle. « C’est pas la première fois, pas vrai ? » Il finit par lui demander, ne cherchant pas à tourner autour du sujet pour la préserver. C’est ce qu’il comprend au fur et à mesure de son discours, c’est surtout ce qu’il perçoit quand elle l’implique dans ce « on » qui désigne les gens comme lui. Comme elle, comme eux. « T’es vraiment sûre que ça te rend heureuse ? » Il fait glisser son regard sur elle, simplement pour lui faire comprendre qu’à l’évidence, ce n’est pas le cas. Et même lorsqu’elle a l’impression d’être heureuse, est-ce réellement le cas ? « Tu sais faire sans. » Il souligne par la suite, avant de rapidement préciser le plus important : « tu l’as déjà fait. » Parce qu’il n’ose pas encore poser des mots sur ce qu’il croit comprendre, Finnley, mais il y a une chose qui est certaine ; on ne naît pas alcoolique.

@Madison Kwanteen

❀ you ran into the night from all you had « summer evening breezes bloom, drawing voices deep from you, led by a beating heart | what a year and what a night, what terryifying final sights, put out your beating heart | the night was all you had; you ran into the night from all you had | found yourself a path upon the ground, you ran into the night, you can't be found »

Madison déteste sentir que la situation lui échappe, qu’elle s’échappe à elle-même. Pourtant c’est ce qu’elle recherche à chaque fois qu’elle boit, elle pour qui la vie n’est qu’une série de moments contrôlés où elle s’impose d’être la fille, la soeur, la copine parfaite. Il n’y a que l’ivresse qui la libère, un endroit familier où elle perd le contrôle. Mais voilà, parfois, le courant l’amène légèrement trop loin et l’alcool casse les dernières barrières qu’elle se met et qui la protège.

Parfois, ivre, elle regarde de trop près les filles dans les bars, elle se laisse un peu trop ressentir un éclat dans le fond de sa poitrine, elle ouvre des fenêtres de navigation privé sur son téléphone pour aller regarder des vidéos qu’elle n’oserait jamais ne serait-ce qu’observer d’un coin de l’oeil la plupart du temps.

Parfois, ivre, elle regarde Louis, son petit-ami, et l’étrangeté de leur relation, le mot toxique flotte dans son cerveau, elle pense à la façon qu’ils ont de sortir ensemble, de prendre quelques petites pilules qui s’additionnent aux médicaments de Louis, à l’alcool qu’elle boit.

Parfois, ivre, elle se regarde trop près, son angoisse, son rapport à l’alcool qu’elle ne maîtrise plus, et elle s’autorise à être inquiète face à sa vie qui lui file entre les doigts.

« Hé, Madison, ça va, t’as juste un peu trop bu, ça arrive. » Finn se trompe et elle a envie de rire de sa naïveté. Non, ce n’était pas des choses qui arrivaient. C’était son quotidien. C’était le prix à payer pour tous les moments où l’alcool la rendait euphorique. Mais Madison ne se met pas à pleurer, non, elle se met à pleurer, stupidement. « Te retiens pas si t’en as besoin. » Elle voudrait, mais elle n’y arrive pas, les mots s’échappent d’entre ses lèvres plus vite qu’elle ne peut les retenir. Elle regarde Finn et se dit qu’il sait, lui, qu’il comprend. Qu’il a vécu ce qu’elle vit. Non, se dit-elle ensuite. Elle se souvient l’avoir récupéré avec Bryn lorsqu’il était complètement ivre, un véritable alcoolique, ce n’est pas elle ça, ce n’est pas elle… Elle essaie de se convaincre alors qu’elle est en train de pleurer devant un quasi-inconnu et qu’elle a la nausée, qu’elle a perdu ses amis, peut-être bien ses clefs ou son porte-monnaie, ça ne serait pas la première fois, qu’elle a depensé trop d’argent dans trop de verres : non elle n’est pas comme Finn a été, comme les alcooliques sont.

« C’est pas la première fois, pas vrai ? »

Madison regarde Finn. Il a compris. Et elle sent qu’elle continue à pleurer, fatiguée, et elle hoche la tête, acceptant la défaite. Elle est exactement comme Finn l’a été, comme les alcooliques sont.

« T’es vraiment sûre que ça te rend heureuse ? » Ah, la fameuse question. Sous le coup de l’ivresse, de la fatigue, elle sent qu’elle ne pourra pas mentir et répond malgré elle : « L’alcool est mon meilleur ami. »

Et elle sait qu’elle est sincère. L’alcool a été là pour elle dans toutes les situations où elle a eu besoin de lui, les premières soirées où elle était trop angoissée pour danser, les moments où elle avait besoin de relâcher la pression après ses examens lors de sa double-licence qui lui prenait tout son temps, lorsqu’elle avait besoin de courage pour embrasser des garçons et se convaincre que cela lui plaisait. Quand elle a bu, c’est plus simple de toucher Louis, de le laisser la toucher, l’alcool la protège de tous les doutes qui la prennent. Le pire, c’est le lendemain, quand elle se réveille sobre et qu’elle a une sensation étrange, surtout lorsque Louis a insisté la veille alors qu’elle ne voulait pas coucher avec lui. Et dans ces moments-là, elle se sert un verre de vin avant que Louis ne se réveille, et le goût acre pique sa gorge et la rassure, elle oublie cette sensation grandissante que quelque chose ne va pas. L’alcool l’aide à se sentir normale, à se sentir adéquate. Bien sûr qu’il la rend heureuse.

« Tu sais faire sans. Tu l’as déjà fait. » Madison pince les lèvres et confesse : « Je ne me souviens pas comment je faisais. Ça fait longtemps. » Trop longtemps serait le bon terme. Depuis qu’elle a commencé la fac, qu’elle vit seule, elle s’est enfoncée, elle le sait. Elle renifle, essaie de se reprendre, de ne plus pleurer. Elle oublie presque les bruits autour d’elle, la fête, elle se sent tout à coup dans une petite bulle avec Finn, elle se demande si ce n’est pas lui qui détient la clef. Elle se penche vers lui. « Comment tu fais, toi ? Tu crois que je pourrais réussir aussi ? »



@Finnley Coverdale  

Ce n’est pas ainsi que Finnley pensait passer sa soirée et s’il regrette à quelques occasions de ne pas avoir fui après avoir salué la jeune femme, la détresse qu’elle affiche de plus en plus le réprimande quant à cette idée. S’il s’était convaincu qu’il était préférable qu’elle retrouve ses amis, il en est de moins en moins sûr alors que ses confessions ne semblent pas cadrer avec l’idée d’une soirée entre amis. S’ils ne sont pas capables d’avoir su garder un œil sur elle, il doute qu’ils soient d’une très grande aide pour la rassurer ou, à défaut, la calmer. Ils ne sont probablement dans un état plus engagé que le sien et en ce sens, il se sent une responsabilité vis-à-vis de Madison (et Bryn le tuerait s’il savait qu’il l’a congédiée alors qu’elle semble avoir des choses à lui dire). C’est du moins ce qu’il suppose puisqu’elle ne fait pas demi-tour, reste près de lui, vaseuse et secrète, des larmes qui coulent le long de ses joues qui lui font comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’un petit excès d’éthanol. Mais si c’était le cas, ça arrive, et il est bien placé pour savoir de quoi il parle. Ça arrive, oui, une fois, deux fois, trois fois, puis trop souvent pour suivre le compte. Mais Madison n’est pas de ce bois-là. Madison est jeune, Madison a un métier qui lui plaît, Madison a des amis qui sont là pour elle ; et dans sa conception de la maladie elle n’a pas le profil. Il ne veut pas qu’elle ait le profil, car si elle l’a, qu’est-ce que ça induit du sien ? Elle a le mérite d’avoir certaines choses à quoi se raccrocher, contrairement à lui, et même s’il ne peut prétendre connaître tous les détails de son existence, le portrait qui lui en dresse Bryn est plutôt réjouissant. Si même les personnes comme elles doivent composer avec cette addiction, il n’a aucune envie d’avoir à se confronter à la sienne, parce qu’il possède bien moins de ressources pour y faire face. Pourtant, Madison ne lui demande pas son avis quand elle glisse sur ce terrain et quand il cesse de jouer à l’ignorant alors que le désarroi de la jeune femme traduit de sa réalité. « L’alcool est mon meilleur ami. » Il serait presque tenté d’en rire, tant la phrase est clichée ; mais elle n’en demeure pas moins vraie. Il sait à quel point il peut être réconfortant, soutenant et sécurisant, toutes ces qualités qu’il n’a trouvées chez aucun autre ami. « Si ta conception de l’amitié est d’être tirée vers le bas et de perdre le contrôle, oui, c’est certain qu’il est le meilleur dans ce rôle. » Il devrait se passer de telles réflexions alors qu’il serait facile de les lui renvoyer en plein visage, mais au-delà de son affection pour la jeune femme, il y a aussi une certaine rancœur alors qu’il espérait sincèrement vivre une soirée lui permettant de se changer les idées et de non de le renvoyer à ses pires travers. « Je ne me souviens pas comment je faisais. Ça fait longtemps. » - « Longtemps, c’est-à-dire ? » Qu’il l’interroge, alors qu’il craint déjà la réponse. Longtemps comme « on a rien vu avec Bryn » ou longtemps comme « ça en devient insupportable » ? « Comment tu fais, toi ? Tu crois que je pourrais réussir aussi ? » Et elle est là, la réponse qu’il craignait tant. La vérité, c’est qu’il n’en sait rien. Il a bien conscience des déclics qui ont été les siens, des mauvaises passes qui se sont transformées en accumulation d’erreurs, jusqu’à ce qu’elles soient bien trop visibles pour qu’il puisse continuer à nier l’évidence. Forcé de se confronter à sa situation, il ne l’a pas corrigée pour autant, jusqu’à ce qu’un jour le besoin de se projeter vers le futur était plus important que la sécurité du présent. « Il y a pas de miracle, Madison, il faut le vouloir. » Et il n’a pas l’impression que, de son côté, elle en ait réellement envie, alors il se passera les longs discours motivationnels que, de toute évidence, elle n’est pas prête à entendre pour plusieurs raisons. « Mais tu pourrais, oui, si tu t’en donnes les moyens. » C’est la seule chose dont il peut l’assurer à cet instant. « C’est long, c’est compliqué, c’est des échecs à répétition, mais ça en vaut la peine. » Il ne le pense pas. Mais il ne peut pas lui dire que l’alcool lui manque, qu’il en rêve à chaque fois qu’il se retrouve dans une position comme celle-ci, à chaque fois que les difficultés reprennent le dessus, à chaque fois qu’il se veut perdu ou hésitant et qu’il a besoin d’un peu d’aide. Il ne peut pas dire tout ça alors il partage des propos auxquels il ne croit pas, mais il en a envie ; alors peut-être qu’il cherche aussi à se convaincre. « Et ce que je sais, c’est que t’es pas en mesure d’avoir cette conversation ce soir. » Parce qu’elle n’est pas en état d’entendre la vérité, de se confronter à ce qu’elle est devenue et ce sur quoi elle a tiré un trait, même momentanément, et que le but n’est pas d’augmenter sa détresse. « Ecoute, si tu veux pas rentrer chez toi, on peut au moins aller se poser dans un café que tu reprennes un peu tes esprits ? » Partout sauf ici, partout alors que la tentation n’en est pas une que pour elle. « Et si t’as vraiment envie d’en discuter, on le fera à tête reposée. » Quand tu seras prête, et moi aussi.

@Madison Kwanteen

❀ you ran into the night from all you had « summer evening breezes bloom, drawing voices deep from you, led by a beating heart | what a year and what a night, what terryifying final sights, put out your beating heart | the night was all you had; you ran into the night from all you had | found yourself a path upon the ground, you ran into the night, you can't be found »

Madison n’aurait pas imaginé en rejoignant cette soirée que cette dernière finirait ainsi. C’est le seul problème qu’elle trouve à l’alcool, cet aspect de roulette russe qu’elle ne peut pas contrôler. Elle sait qu’il y a un prix à payer pour tout ce qu’elle apprécie dans le fait d’être ivre et elle accepte sans trop broncher les gueules de bois, l’argent qui part dans les verres, les affaires qu’elle perd. Ce n’est rien comparé à la légèreté, les rires, l’impression d’être normale. Non, le problème de l’alcool, c’est que parfois, de façon aléatoire, il devenait un poids qui l’entraîne sous la surface, elle se ridiculise en disant quelque chose de trop intime ou de maladroit, elle a l’alcool triste et se met à pleurer, à être angoissée. C’est seulement de temps en temps, mais ce n’est jamais agréable. « Si ta conception de l’amitié est d’être tirée vers le bas et de perdre le contrôle, oui, c’est certain qu’il est le meilleur dans ce rôle. » Madison grimace, sans le savoir, Finn vient de viser juste. Sauf qu’il ne comprend pas : l’alcool ne tire pas Madison vers le bas, pas toujours. Seulement par accident, de temps en temps. Alors elle se contente d’hausser les épaules, comme pour repousser ce qu’il vient de dire. Elle fonctionne ainsi depuis trop longtemps, de toute façon. « Longtemps, c’est-à-dire ? » Elle regarde Finn. Pourquoi ne pas être honnête, après tout ? Ne s’est-elle pas assez ridiculisée ce soir ? Totu à coup, elle ressent l’envie présente d’être sincère, de pouvoir coucher toutes ses peurs sur les épaules de Finn, lui qui a l’air pourtant de porter déjà bien plus que son poids. Mais il est là, et il comprend, et elle a peur, elle doit parler. « Au moins trois, quatre ans », elle avoue, même si ça fait depuis qu’elle est adolescente que l’alcool est un refuge, elle sait qu’il y a eu une bascule à la fin de ses études et que c’est de pire en pire. Elle sait que sur le papier, elle ne devrait pas boire autant, qu’il faudrait qu’elle se calme. Elle le sait au fond d’elle, avec autant de force qu’elle sait qu’il lui est impossible d’arrêter de boire, les deux vérités renforçant une dissonance cognitive qui l’angoisse tellement qu’elle boit pour l’oublier. Elle se demande, quand elle regarde Finnley, comment il a pu dépasser ça, lui.

« Il y a pas de miracle, Madison, il faut le vouloir. » Madison grimace. Ah, alors là, c’était sûr que ça ne marcherait pas. Elle a une sorte rire étouffé, parce que la situation est stupide, qu’elle est stupide. « Mais tu pourrais, oui, si tu t’en donnes les moyens. C’est long, c’est compliqué, c’est des échecs à répétition, mais ça en vaut la peine. » Elle regarde Finnley et elle se dit qu’il récite ce qu’on lui a appris, qu’il n’y croit pas lui non plus. Pendant un instant affreux, elle se dit qu’elle devrait lui proposer un verre, juste pour voir ce qu’il dirait, juste pour pouvoir se dire qu’il n’est pas plus fort qu’elle, ou plutôt qu’elle n’est pas aussi faible. L’alcool la rend triste, mauvaise, méchante, elle a honte. Finn n’est que doux avec elle, alors qu’elle se comporte comme une gamine arrachée qui ne sait pas se comporter. Elle n’aurait pas dû rester là, elle aurait dû chercher ses amis, mais Madison a eu si peur, sans savoir l’expliquer, l’alcool l’a bousculé ce soir et Finn a été la bouée à laquelle elle s’est accrochée. « Dis comme ça, ça ne fait pas trop envie. » Elle est sincère, une fois de plus. Elle sent que les effets de l’alcool sont toujours présents mais qu’elle se sent moins hors de contrôle, comme si la perspective d’arrêter de boire l’avait assez paniqué pour qu’elle se ressaisisse, qu’elle se dise qu’au fond ça allait, qu’elle se sent presque bien. « Et ce que je sais, c’est que t’es pas en mesure d’avoir cette conversation ce soir. » Finnley est décidément bien perspicace. Madison rougit, se sentant à nouveau un peu trop percée à jour. « Ecoute, si tu veux pas rentrer chez toi, on peut au moins aller se poser dans un café que tu reprennes un peu tes esprits ? Et si t’as vraiment envie d’en discuter, on le fera à tête reposée. » Elle ne discutera pas avec Finn, elle le sait. Mais elle le regarde, elle se dit qu’elle devrait prendre un taxi, partir, mais quelque chose l’attire à lui, cette fameuse bouée dans la tempête, et elle hoche lentement la tête : « Un café », elle murmure. « Je ne veux plus en parler », ajoute-t-elle, pour qu’il comprenne, et elle semble voir dans son regard un éclair de soulagement. Alors elle le suit, hors de la fête, de la tentation, jusqu’à un vieux café un peu miteux encore ouvert à cette heure-là, où elle se laisse tomber sur une chaise, ses mouvements encore incertains, elle commande une immense tisane qu’elle espère calmera ses nerfs, elle regarde Finn face à elle et lui sourit, cette fois-ci un vrai sourire depuis le début de la soirée. « Merci. » Ce n’est pas grand chose, mais c’est ce qu’elle ressent. Elle pose son menton dans ses paumes, soupire, elle est encore trop ivre pour être normale mais elle sent qu’elle se détend. « Tu peux me raconter quelque chose, s’il-te-plaît ? Un souvenir d’enfance avec Bryn ? » Parce que tout ce qu’elle veut, c’est oublier, et elle laisse la voix de Finn l’amener hors de ce café, hors de sa propre vie, pour se réfugier là où plus rien ne l’angoisse et que la réalité n’est plus à confronter.



Terminé @Finnley Coverdale