“Joyeux anniversaire mon chéri” c’est ce qu’avait dit ma mère en me tendant l’enveloppe qui contenait les billets pour la croisière commémorative du “Narelle”. C’était un cadeau qui m’avait énormément fait plaisir, j’ai toujours été passionné par les bateaux et un navire comme celui-là est des plus fascinants. J’avais passé des semaines à attendre ce voyage en famille comme un enfant qui attendrait Noël. Réaliser mon rêve d’enfant de monter sur le Narelle n’était cependant qu’un prétexte pour mes parents j’en suis conscient. Cette croisière c’est une occasion en or pour sympathiser avec d’autres familles “respectables” comme dirait mon père, le genre de famille où l’on peut trouver un bon parti. “Il faut que tu trouves une femme” c’est ce qu’ils n’arrêtent pas de me répéter, surtout depuis l’annulation de mes fiançailles avec Sara il y a quelques mois. Cette croisière c’était donc un prétexte déguisé pour faire de nouvelles rencontres utiles mais je me fichais de ça, ce que je voulais moi c’était naviguer.

J’ai rêvé de ce mythique paquebot et de le voir fendre les flots paisibles de l’océan, mais aujourd’hui c’est un véritable cauchemar. J’ai dû quitter la salle de réception en catastrophe après le discours du capitaine et le début de la tempête. Toute cette situation est complètement lunaire et je ne comprends pas comment on a pu arriver à une telle panique générale. Oui la tempête a décidé d’être l’invité surprise de la croisière mais ce n’est quand même pas une nouveauté. Il y a toujours eu des tempêtes, on a appelle ça les aléas de la météo et pas “le signe évident d’une malédiction qui va tous nous tuer”. Je n’ai rien compris à son histoire de crâne et de malédiction mais certains ont l’air de l’avoir pris au sérieux. L’intervention du capitaine a provoqué un mouvement de panique et papa m’a demandé de retourner à la cabine pour aller chercher notre majordome. Je me mets donc en route pour notre cabine mais le chemin est plus compliqué que prévu. Je ne suis pas très loin de la première classe pourtant le bateau qui se met à tanguer manque de me faire tomber à plusieurs reprises. Je sens mon estomac souffrir de tous ces remous et la nausée vient rapidement m’embêter. Mon mal-être est tel que je dois m’arrêter sur un coin du pont pour vomir par-dessus bord. Foutue tempête et après avoir été presque intégralement trempé par les pluies torrentielles qui s’abattent sur le pont j’atteins enfin le couloir de notre cabine. Je m’apprête à entrer la clé dans la porte mais celle-ci est déjà ouverte. Bizarre J’entre sans trop hésiter et je tombe sur une jeune femme. Je n’ai aucune idée de qui est cette personne mais elle n’a sûrement rien à faire là. “Je peux savoir ce que vous faites là ?” Mon ton est peut-être agressif mais j’ai l’impression qu’elle est en train de fouiller dans nos affaires. “Vous êtes en train de fouiller dans nos valises ou je rêve ??” Si en plus d’une tempête et d’une malédiction à la con je dois en plus gérer une voleuse ça va commencer à faire beaucoup pour ce qui aurait dû être un cadeau d’anniversaire calme et mondain.

@Spencer Blackwell

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Spencer Blackwell & @Cesar Gutiérrez

Il est facile, ce job. Faire le ménage dans les cabines, changer les draps, et surtout fouiller les bagages pour faire du repérage sur ce qui peut être intéressant à embarquer avec toi. Le tout, c’est de savoir résister et de ne pas voler tout de suite, sinon ça va aller se plaindre aux responsables et ils auront vite fait de remonter jusqu’à toi. Alors pour le moment, tu te contentes de regarder, de noter dans un coin de tête ce que tu pourras prendre sur les derniers jours. Le temps qu’ils se rendent compte que la montre à gousset ou le collier de perles aient disparus, tout le monde sera de retour à quai et toi tu seras déjà loin avec ton butin.
Du coup t’es là, en train de copieusement lorgner sur quelques bijoux dans une cabine que t’as pas encore commencé à nettoyer et ça commence à tanguer sévère. Tellement que la boîte à bijoux se renverse sur le sol, bientôt rejointe par la valise dont le contenu se répand. Y a des trucs qui roulent sous le lit et les vêtements qui se déplient. Merde. Rapidement, tu fais au mieux pour tout ramasser et remettre à sa place, faudrait pas que les occupants remarquent quoi que ce soit en revenant. Ce qui t’inquiète encore plus, c’est le fait qu’il y ait l’air d’avoir beaucoup de mouvement dans les couloirs étroits, un peu comme si tout le monde avait soudainement décidé de retourner dans ses quartiers. D’ailleurs ça ne manque pas, la porte s’ouvre et tu sursautes lorsqu’on t’interpelle. Vivement, tu te retournes en faisant au mieux pour dissimuler la redingote que t'étais en train d'essayer de ranger dans la valise. « Vous m’avez fait peur ! » qu’est-ce qu’il fiche là, même ? Les invités n’étaient pas supposés être en train de manger à cette heure-ci ? Bon c’est pas forcément agréable de le faire avec les remous incessants et de plus en plus violents, mais du coup il ne tombe pas spécialement au bon moment. Et forcément, tu ne peux qu’avoir l’air coupable vu la situation. « Quoi ? Bien sûr que non, j’étais- J’allais changer les draps et ça s’est mis à tanguer dans tous les sens, j’y peux rien si vos affaires se sont retrouvées par terre ! » le pire dans tout ça, c’est sans doute le fait que ça soit tout à fait possible. Le tout, c’est de réussir à le vendre comme il faut et d’espérer que monsieur le type qui a de toute façon trop d’argent à dépenser gobe le mensonge. Histoire de ne pas trop le laisser réfléchir, tu préfères enchaîner rapidement histoire de noyer le poisson. « Vous allez bien ? Vous êtes un peu pâle, pas le pied marin hein ? » hop, tu détourne la conversation comme une pro, et puis de toute façon c’est presque même pas un mensonge. « Vous devriez aller prendre un peu l’air parce que c’est pas sûr que ça s’arrange tout de suite. » vu comme il est trempé, il vient sûrement d’aller y faire un tour et n’aura pas forcément envie d’y retourner. Mais au moins, t’as réussi à détourner son attention, non ?

Après loin d’être sans encombres jusqu’à notre cabine je me tiens devant une jeune femme, visiblement une gouvernante qui a l’air de fouiller dans nos affaires. Même si je dois avoir l’air moyennement impressionnant quand en étant blanc comme un linge je prends une grosse voix pour la faire sursauter ça a l’air de fonctionner. Elle se retourne brusquement quand je lui demande ce qu’elle fait là. « Vous m’avez fait peur ! » Je la dévisage et je lui demande de manière agressive si elle était en train de fouiller dans nos valises. « Quoi ? Bien sûr que non, j’étais- J’allais changer les draps et ça s’est mis à tanguer dans tous les sens, j’y peux rien si vos affaires se sont retrouvées par terre ! » La manière dont elle a été surprise et son attitude nerveuse transpire la culpabilité. Elle pense m’avoir comme ça mais je ne suis pas idiot, je sens bien qu’elle est en train de me mentir. Mais j’ai d’autres problèmes à gérer tout de suite, comme par exemple un nouveau haut le cœur. Foutue tempête. Je ne vomis pas mais cette nausée me coupe dans mon élan de me lancer dans une leçon de morale pour la voleuse. « Vous allez bien ? Vous êtes un peu pâle, pas le pied marin hein ?” Mais c’est qu’en plus elle se fout de ma gueule ? « Vous devriez aller prendre un peu l’air parce que c’est pas sûr que ça s’arrange tout de suite. » C’est vrai qu’aller sur le pont pour affronter le déluge et la violence du vent c’est très certainement la meilleure idée pour faire passer la nausée. Cette fille ce n'est clairement pas le bateau qui navigue le plus loin, elle a l'air un peu limitée. Avec un sourcil haussé je lui réponds. “Au cas où ça vous aurait échappé, le temps dehors n’est pas radieux.” En témoigne l’état de mes vêtements tous plus imbibés d’eau les uns que les autres. “Et puis c’est n'importe quoi ce qui se passe là-haut ! Le capitaine a raconté n’importe quoi et c’est la panique générale maintenant.” Je suppose qu’elle n’est pas au courant de la très mauvaise blague que le capitaine a décidé de nous faire. C’est vraiment scandaleux de payer des billets aussi cher pour subir une farce d’aussi mauvais goût. “Alors je suis venu chercher notre majordome, mais je suppose qu’il n’est pas dans les parages.” Ce n’est pas vraiment une question, plus un constat. Dans tous les cas même si c’est une situation un peu particulière je ne compte pas partir de la cabine en la laissant la toute seule.

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Spencer Blackwell & @Cesar Gutiérrez

Malgré ton jeu d’acteur hors normes (hum), le type n’a pas l’air spécialement convaincu par la prestation offerte. Toi t’as la main sur la poitrine en prétendant avoir frôlé l’arrêt cardiaque et lui n’a pas l’air de s’en émouvoir plus que ça. Super ambiance. Heureusement que t’es plutôt sympa au point de lui faire une suggestion pour qu’il aille prendre l’air, parce que t’as bien peu envie d’avoir à nettoyer son vomi si jamais lui prend l’idée saugrenue de rendre son repas ici et maintenant. Il s’offusque même presque de la proposition, fait comme si une petite pluie c’était mauvais pour la santé alors que dans les faits, ça lui rafraîchirait juste les idées. Par contre ce qui t’interpelle un peu, c’est ce qu’il raconte sur le capitaine et si tu ne dis rien au début, tu ne peux pas t’empêcher d’arquer un sourcil.. « Le capitaine n’est pas tellement du genre à plaisanter vous savez. » il a dit quoi pour être si peu pris au sérieux ? « Je vous jure, une fois Lambert lui a raconté une blague, une histoire de mouettes qui vole à reculons je sais plus trop quoi, toujours est-il que ça a bien fait marrer tout le monde mais lui, même pas l’esquisse d’un sourire. » il en a probablement rien à faire de cette anecdote, mais c’est juste toi qui continue à noyer le poisson pour éviter d’avoir à trop justifier ta présence ici. « Il a dit quoi ? » parce que ça t’interpelle tout de même, cette histoire. Tu doutes franchement que le capitaine ne crée volontairement une panique à bord dans l’unique but de se divertir, c’est un homme tout à fait sérieux avec son air un peu acariâtre, il te fout un peu les jetons si tu dois être tout à fait honnête. Heureusement pour toi, tu n’as pas eu à le croiser tant de fois que ça de la traversée. « Et heu, désolée de vous décevoir mais je n’ai pas croisé de majordome ici. D’ailleurs la porte était déjà ouverte lorsque je suis arrivée, d’ordinaire les passagers laissent un mot s’ils ne veulent pas qu’on s’occupe de leur cabine. » ça au moins c’est vrai. Certains passent leur séjour sans vouloir voir le moindre personnel mettre le nez dans leurs chambres. Soit ils ont peur des voleurs, soit ils ont des choses à cacher. L’un comme l’autre, ce n’était pas le cas ici. « Il n’était pas avec vous là-haut ? » comme si toi t’en avais quelque chose à faire de son majordome. « Vous voulez de l’aide pour le retrouver ? »

Après la suggestion complètement ridicule de la gouvernante je lui réponds que ni la météo ni la cohue générale qui règne là-haut ne me donne envie de prendre l’air. Tout ça c’est de la faute du capitaine et son goût pour l’humour douteux. « Le capitaine n’est pas tellement du genre à plaisanter vous savez. » Qu’est-ce qu’elle en sait celle-là ? Je la regarde sans avoir l’air particulièrement convaincu. Elle sent mon hésitation et se sent obligée d’ajouter : « Je vous jure, une fois Lambert lui a raconté une blague, une histoire de mouettes qui vole à reculons je sais plus trop quoi, toujours est-il que ça a bien fait marrer tout le monde mais lui, même pas l’esquisse d’un sourire. » Je n’ai aucune idée de qui est Lambert et surtout je me contrefous de savoir qui il peut bien être ou de connaître les tenants et aboutissants de cette histoire de mouette. Je suis venu pour retrouver notre majordome, pas pour faire la discussion avec une employée. “S’il n’est pas du genre à plaisanter il a dû avoir un coup de folie alors.” Je ne vois que cette explication à la situation ubuesque à laquelle j’ai assisté. « Il a dit quoi ?” Je ne parviens pas à remémorer exactement ses paroles mais je ne peux pas oublier son visage qui s’est soudainement fermé, on aurait dit qu’il venait de voir passer un fantôme. Il y aurait eu de quoi faire froid dans le dos s’il avait parlé de quelque chose de sérieux et non pas d’une malédiction. “Il a parlé d’une malédiction, une histoire de crâne j’ai pas bien compris.”  Les histoires de malédiction ne sont que des inventions et tout a une explication logique. Je n’y crois pas et je ne vois dans cette tempête qu’un manque de chance et une météo capricieuse, rien de plus. “Mais il a assuré à tout le monde que si on ne retrouvait pas ce crâne, on allait tous mourir.” J’imite des guillemets avec mes mains avant de dire “tous mourir” avec une expression complètement blasée pour montrer à quel point je trouve ça ridicule. “C’est complètement délirant non ?” Elle y croit peut-être elle, je n’en sais rien. Vu la panique que ce discours a généré là-haut, il y a bien des personnes assez stupides pour y croire sérieusement. Je lui demande si elle n’a pas vu notre majordome, c’est pour ça que je venais dans notre cabine à l’origine. « Et heu, désolée de vous décevoir mais je n’ai pas croisé de majordome ici. D’ailleurs la porte était déjà ouverte lorsque je suis arrivée, d’ordinaire les passagers laissent un mot s’ils ne veulent pas qu’on s’occupe de leur cabine. » Je lève un sourcil, c’est quand même très bizarre ça, il devait nous attendre ici jusqu’à la fin du repas. "Étrange.” C’est tout ce que je trouve à dire. Je prends une grande respiration et je réfléchis pour savoir où il aurait bien pu aller. « Il n’était pas avec vous là-haut ? » Je secoue la tête de gauche à droite. Un majordome au repas qui rassemble l’ensemble de la première classe ? Sérieusement ?  “Non les majordomes ne sont pas vraiment à leur place là-haut vous savez.” C’est peut-être vexant pour elle mais je n’énonce que des faits. Chacun à sa place et puis c’est tout. “Enfin rien contre vous mais le personnel n’est pas convié au dîner.” Elle est peut-être vexée mais elle prend sur elle pour me demander : « Vous voulez de l’aide pour le retrouver ? » Alors que je m’apprête à lui répondre la tempête s’intensifie et le bateau se met à vaciller très violemment. Alors que le navire est violemment secoué et que je manque de perdre l’équilibre j’aperçois la valise qui se trouve sur l’étagère juste au-dessus de la jeune femme qui s’apprête à lui tomber dessus. “POUSSEZ VOUS” Je me jette sur elle pour la plaque contre le lit et lui éviter de se prendre un bagage bien trop lourd sur la tête. Au-dessus d’elle -et bien trop près de son corps- je reprends mon souffle avant de me rendre compte de la situation. Je me relève un peu brusquement, les joues légèrement rosées. “Vous allez bien ?” Je ne donnais pas cher de sa peau si la valise s’était écrasée sur elle, elle aurait eu la nuque brisée sur le coup. “C’est de pire en pire cette tempête.” Même si je ne crois pas en ces histoires saugrenues de malédiction, je dois avouer que la tempête m’inquiète énormément. Et si l’on faisait naufrage ? Je ne sais pas nager et je n’ai aucune envie d’apprendre sous la contrainte si un tel scénario devait se produire. Mais que faire ?

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Spencer Blackwell & @Cesar Gutiérrez

Un coup de folie, qu’il dit. Peut-être, tu peux pas vraiment le contredire là-dessus tant il y a d’histoires de marins qui perdent la boule en haute mer, surtout une fois la nuit tombée. Quelque chose à voir avec le grand vide de l’océan, quelque chose qui se rapproche du néant tant aucune lumière ne transparaît parfois à l’horizon. Rien que d’y penser ça te fait peur, toi. Alors t’essaies d’en savoir plus et l’autre répond un peu circonspect, sans avoir trop l’air d’y croire, mais en même temps relativement inquiet. Drôle d’histoire effectivement, ce truc de crâne, et t’avoues ne pas trop savoir où te situer. Si le capitaine a effectivement pété un boulon, il serait bon de faire quelque chose. « Et le second ? Les autres officiers ? Quelqu’un doit bien continuer à commander le navire sinon je ne vous raconte pas la galère dans laquelle on se trouve. » est-ce qu’ils ont tous suivis dans le délire de l’autre ou est-ce que certains ont quand même réussi à garder la tête froide ? Si ça se trouve son majordome au type, là, il a décidé que c’était chacun pour sa peau et il est parti piquer une barque pour tenter sa chance dans l’immensité du grand bleu agité. Ou alors il s’est retrouvé assommé par un truc qui lui est tombé sur le coin du nez. Dans tous les cas, tu ne dis trop rien sur sa réflexion quant à la place des employés, d’une part parce qu’il a raison, et d’autre part parce que t’es un peu trop absorbée par tes propres réflexions. Pas le temps de tergiverser, ça continue à s’agiter violemment. Tellement que l’importun gueule et te saute dessus. « Qu- » tout ce que tu peux penser à l’instant, c’est que lui aussi est devenu fou d’un seul coup. Bam, une autre valise se casse la gueule et tu te retrouves coincée sur le lit avec lui au-dessus, et si en temps normal t’aurais peut-être pas rechigné, la situation n’a rien de plaisant dans l’immédiat. Il semble tout aussi inconfortable que toi et se redresse rapidement. « Heu bein je- Oui ? Merci. » Tu bégayes à moitié en jetant un oeil au lourd bagage qui s’est écrasé au sol et qui aurait pu te tomber dessus. « Vous me croyez maintenant ? » Au moins il a été témoin de la chute violente de ses affaires, ça joue un peu en ta faveur au final, non ? Mais effectivement, cette tempête ne semble pas s’arranger et ça ne te dit rien qui vaille. « Si ce que vous dites est vrai, il faudrait- » Tu sais pas ce qu’il faudrait faire, t’en as aucune idée. « Je sais pas, prévenir quelqu’un ? Si le capitaine a entraîné l’équipage avec lui, ça sera compliqué de maintenir ce navire à flot dans une tempête pareille, croyez moi. » Et vu que t’es dessus, t’as pas super envie de couler ou de te faire bousculer par un timonier un peu cinglé. « On devrait alerter les gardes-côtes. » Ou au moins vérifier que quelqu’un est toujours à la barre.

La gouvernante m’assure que le capitaine est un homme très sérieux, trop sérieux si j’en crois son histoire de goéland un peu détraqué. Pourtant c’est loin d’être le genre d’impression que j’en ai eu tout à l’heure. Une mauvaise blague c’est ce qu’était le discours du capitaine, le souci c’est qu’on attend toujours la chute de cette histoire. Je peux imaginer que certains rêvent d’aventures, de frissons et aiment se faire peur avec des histoires à dormir debout comme celle de cette malédiction mais je ne fais vraiment pas partie de ces gens là. Alors si c’est une farce elle est de très mauvais goût. Et s’il faut écarter la piste d’une annonce malhonnête de la part du capitaine alors je ne vois qu’une seule explication : le capitaine a pété un boulon. Il faut dire qu’à son âge avancé l’esprit n’est plus très vif. Ajoutez à ça un peu d’alcool et un chaos comme celui qui vient de se produire est vite arrivé. « Et le second ? Les autres officiers ? Quelqu’un doit bien continuer à commander le navire sinon je ne vous raconte pas la galère dans laquelle on se trouve. » Qui commande la bateau, c’est une bonne question ça. Je n’ai pas la réponse à sa question et c’est complètement angoissant, je n’y avais pas pensé. Je hausse les épaules et la fille me demande si j’ai besoin d’aide pour retrouver notre majordome. Au moment où je m’apprête à lui dire que non je vais simplement aller le chercher ailleurs seul le bateau bouge très brusquement et fait tomber un bagage posé sur une étagère. « Qu- »Je lui évite de finir écrasée sous une énorme valise mais la position dans laquelle nous nous retrouvons est plutôt gênante. C’est dans un grand malaise que nous nous relevons et je lui demande si elle va bien, j’ai eu très peur, c’est arrivé très soudainement. « Heu bein je- Oui ? Merci. » Le malaise est partagé. « Vous me croyez maintenant ? » Je dois avouer qu’elle marque un point. Même si la situation était plutôt louche quand je suis arrivé et que je l’ai vue les deux mains plongées dans nos bagages mais la violence de la tempête est telle que oui maintenant je la crois. “Je vous ai peut-être mal jugée.” Je ne m’excuse pas et je ne dis pas qu’elle est parfaitement innocente mais son explication tient la route il faut l’avouer. « Si ce que vous dites est vrai, il faudrait- » Je la vois hésiter et suspendu à ses lèvres j’attends de savoir ce qu’elle a en tête, parce que finalement on dirait qu’elle a de la ressource pour une gouvernante. « Je sais pas, prévenir quelqu’un ? Si le capitaine a entraîné l’équipage avec lui, ça sera compliqué de maintenir ce navire à flot dans une tempête pareille, croyez moi. » Je hoche la tête. « On devrait alerter les gardes-côtes. » Même si je ne crois pas à toutes ces affabulations et à cette fameuse malédiction je sais qu’on ne peut pas continuer comme ça. La tempête est une menace à prendre au sérieux, nous pourrions faire naufrage à chaque instant. Qui plus est si personne n’est à la barre pour essayer de nous maintenir à flot. “Il faut qu’on fasse quelque chose oui, on ne peut pas rester là à attendre de faire naufrage.” Les gardes côtes c’est une bonne idée mais je n’ai aucune idée d’où se trouve le télégraphe. “Vous savez où se trouve le télégraphe ?” Il va falloir agir vite si on veut s'en tirer vivants. “Je peux y aller, et pendant ce temps essayer de voir de votre côté si quelqu’un dirige toujours ce navire. Quelqu’un de sensé bien sûr pas qui nous répètera que tout est la faute d’un crâne” Je fais une petite pause avant d’ajouter. “Qu’en dites-vous ?”

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Spencer Blackwell & @Cesar Gutiérrez

Aucune idée de si c’est à cause de la panique à bord ou si tes talents d’actrice sont à ce point convaincants, toujours est-il que le jeune homme semble mordre à l’hameçon. Peut-être qu’il n’a tout simplement pas envie de discuter plus que de raison et qu’il souhaite ne pas finir ses jours au fin fond de l’océan à cause d’une malédiction sortie tout droit de tu ne sais où. Foutus marins et leurs superstitions bien trop sérieuses. Promis, si le navire revient à bon port et que tu t’en sors indemne, tu resteras sur la terre ferme pour toujours. Terminées les vaines tentatives de prendre le large et de changer de vie loin de ta terre natale, tu peux tout aussi bien le faire depuis Brisbane ou n’importe quelle ville pour ce que t’en as à foutre. Le bon vieux sol bien tangible et qui ne risque pas de t’engloutir avec lui, y a que ça de vrai. Alors voilà, maintenant il faut trouver une solution pour que tes projets d’avenir puissent se réaliser. Tu réfléchis tout haut sans être sûre de la marche à suivre. Les marins qui suivent le capitaine risquent d’être un problème. Pourquoi ils le confortent dans sa folie, même ? Aucune raison logique de le faire sauf s’ils en ont marre de vivre. Rien ne fait sens, même pas le plan foireux que tu proposes. Si par miracle vous réussissez à contacter qui que ce soit, ils vont vous prendre pour des fous, c’est sûr et certain. Et si jamais ce n’est pas le cas, qui sait combien de temps ils mettront à rejoindre la position de la Narelle. Bon sang, pourquoi faut-il que tout se complique alors que le voyage touchait à sa fin. T’aurais pu être de retour dans ta chambre miteuse dès demain, les proches pleines d’un butin durement gagné mais pas démérité. Et quant aux victimes, ce ne sont pas quelques simples objets manquants qui allaient leur manquer. Mais oui, il a raison, le type. Il faut faire quelque chose, hors de question d’attendre que le bâtiment ne disparaisse à jamais sans rien tenter. Rester les bras ballants, c’est un coup à devenir fou. « Le télégraphe- Oui ! » rapidement tu remets de l’ordre dans ton crâne, tu fais le vide pour te concentrer sur l’essentiel. « C’est une petite cabine non loin de celle du capitaine. Sinon il y a des appareils sur le pont principal mais s’il y a du monde ça sera un peu plus embêtant. » voire même carrément suicidaire. Avec un peu de chance, l’officier chargé des communications ne sera pas à son poste et il aura le champ libre. « Je vais essayer de trouver l’officier en second, peut-être qu’il sera un peu plus lucide que le capitaine. » ou peut-être pas. Quelle angoisse, bon sang. « Bonne chance ! » ni une ni deux, tu t’éclipses en direction du quartier des officiers, espérant trouver une âme assez ancrée dans la réalité pour t’aider dans tout ce merdier.