La nuit est jeune et les passagers s'amusent dans la salle de réception. Tous - ou presque ? - sont en train de trinquer avec le capitaine qui fait vraisemblablement son dîner "regardez-moi je suis le meilleur". Saül n'est pas intéressé par un tel discours. Le jeune homme s'est faufilé dans les couloirs, loin au delà de la première classe. On l'a pris pour un travailleur, un de ces rats qui voyagent dans le navire et veillent au grain. En même temps, sa tenue s'y prête. Saül n'a rien d'un bourgeois. Il est de ceux que l'on oublie et bien qu'il soit en possession d'un ticket - qui n'est pas à son nom - personne ne tourne son regard vers lui.

Il a pourtant des mains en or. Demandez à son comparse, qui profite de sa grande capacité à rendre les verrous dociles, pour le suivre dans une nouvelle aventure. « 'Faut pas faire de bruit. On aura pas longtemps. » qu'il glisse au brun qui l'accompagne. Langue sortie, il finit par faire sauter la dernière sécurité qui les sépare du sésame. Derrière la porte qui mène au poste de commandement, il y a aussi la loge du capitaine. Ce dernier étant absent, les deux compères espère sans doute trouver tout l'or du capitaine derrière d'autres verrous plus complexes. Un trésor maudit est, paraît-il, tranquillement installé quelque part. Mais cela n'intéresse pas Saül. Ce qui l'intéresse, ce sont les montres et les bijoux sur lesquels il pourra mettre la main. Il partagera son butin avec son compère, bien sûr, qui s'avère très utile pour faire le guet.

Une poignée de secondes plus tard et les deux ombres se faufiles dans la cabine qui est, comme prévu, déserte. Saül esquisse un sourire et invite son nouvel ami à rentrer. « Presse toi, fais pas la mauviette. » Ce n'est pas le moment. D'un regard, Saül balaie la pièce. Il repère un mini bar, des boîtes sagement rangées, mais aussi tout un arsenal permettant de diffuser des messages dans le bateau. « On partage à hauteur de soixante-dix trente. J'ai déverrouillé les portes. » Saül n'est pas doué pour grand chose, mais en affaires, il se débrouille.

@ambrose constantine i Am ThE CaPtAiN oF tHiS ShiP

« 'Faut pas faire de bruit. On aura pas longtemps. » Bien sûr. Il n’avait pas besoin de le dire pour qu’Ambrose le devine par lui-même: lorsqu’on entre dans une pièce en la crochetant, cela signifie bien souvent que vous n’êtes pas invité à entrer, et plutôt enjoint à sortir, à vrai dire. Il ne dit pourtant rien, habitué au mauvais caractère de son ami, lequel est de toute façon trop occupé à tirer la langue pour se concentrer pour entendre ce qu’il pourrait lui dire. A peine la porte déverrouillée, il se faufile à sa suite dans la cabine du capitaine, curieux d’en découvrir le moindre détail. La vie d’un capitaine doit être trépidante, il veut y goûter. « Presse toi, fais pas la mauviette. » - “Arrête de te plaindre.” Il demande sans amertume, dégageant une mèche de son front pour la replacer derrière son oreille.

Son regard parcourt la pièce et trouve la réserve d’alcool alors que Saül s’intéresse davantage au haut parleur général du Narelle. « On partage à hauteur de soixante-dix trente. J'ai déverrouillé les portes. » Le regard d’Ambrose se pose sur lui avec amusement, n’hésitant pas non plus à le jauger avec une certaine ironie. “Et moi je te donne de ce rhum de… quinze ans d’âge si tu m’embrasses.” C’est ainsi qu’ils se partagent les choses apparemment, non ? Saul lui propose un partage inégale, celui d’Ambrose l’est à une simple et seul condition, laquelle il peut accéder aisément, en témoigne le sourire simple mais étincelant de Constantine. Ses doigts s’amusent à se nouer autour de la bouteille, la seule chose qu’il peut revendre. “Tu vas dire quoi ? Te faire passer pour Dieu, encore ?” Encore, oui, parce que c’est de Saül dont on parle et qu’il a déjà tout vu, tout essayé, et ce même malgré son jeune âge.

Ils n'ont pas beaucoup de temps, n'en ont jamais beaucoup eu. Les types dans leur genre n'ont jamais beaucoup de temps, au fond. « Arrête de te plaindre. » « Me parle pas. » Du temps pour s'insulter et se dire des méchancetés, en revanche, ils le prennent. Saül finit de s'acharner sur une serrure, Constantine fait l'idiot. L'italien est à ça de décocher à son nouvel ami un grand coup de coude dans les côtes. Il l'aura cherché.

Ils sont entrés, finalement. Les deux jeunes hommes parcourent l'endroit du regard comme s'ils en étaient déjà les maîtres. Rien ne laisse plus Saül pantois que la sensation de pouvoir qui se dégage de cette salle. L'air de rien, il promène son regard du côté du post du capitaine, lequel doit pouvoir effectuer quelques tâches urgentes s'il oubliait qu'il peut aussi piloter le navire en compagnie de son équipage. La plèbe, en somme. « Et moi je te donne de ce rhum de… quinze ans d’âge si tu m’embrasses. » Un sourire fend le visage de Saül, qui vire tout de suite au rouge carmin. Le jeune homme n'a jamais osé parler de ça à voix haute, bien que Constantine ne soit pas dupe. « Tu vas dire quoi ? Te faire passer pour Dieu, encore ? » « Ce que tu peux être con. » qu'il constate dans un souffle, rejetant de justesse l'envie d'aller écraser ses lèvres sur celles d'Ambrose.

Il ne lui faut pourtant pas beaucoup de temps pour sécuriser l'endroit et pour bloquer la porte. Il ne lui faut pas beaucoup plus de temps pour juger que désormais, ils sont tranquilles. Alors, d'un pas conquérant, le jeune premier se rapproche du nouveau propriétaire de la bouteille du capitaine. « C'est vraiment tout ce dont à quoi tu penses. » C'est après avoir frôlé les lèvres d'Ambrose des siennes que Saül ravit la bouteille. L'instant d'après, le jeune homme s'éloigne vers le micro, décidé à en percer les secrets. « Trouve de quoi nous payer un séjour en France. » Ou de quoi leur payer deux tickets pour le paradis.

« Me parle pas. » Bonne ambiance assurée avec Saül Williams, comme toujours. Ambrose, lui, il s’applique à remettre les choses en ordre, lui qui quémande un baiser de sa part en échange du droit de toucher à cette bouteille de rhum. Il le sait avec un sourire immense aux lèvres, trop fier de lui, largement aidé par le fait d’avoir déjà bu dans une autre bouteille avant, et sans doute une autre encore mais il ne s’en souvient plus vraiment, de celle-là. Il s’amuse du teint soudainement rosé de l’homme, lui qui n’en mène soudainement pas large. Son silence est une réponse en soi, Ambrose continue donc de parler seul. “Très bien, je le boirai donc seul.” Et il ne se fera pas prier pour cela, que Saül en soit sûr. Il était déjà assuré qu’il ne partagerait pas ce baiser, de toute façon. Comme toujours avec lui, l’éternel timide sur la question. « Ce que tu peux être con. » Et il ne pose toujours pas ses lèvres sur les siennes, laissant donc le brun inerte, vide. Il espérait qu’il changerait d’avis. “J’accepte pas ces mots venant de toi.” Lui qui a honte de tout même d’exister, lui qui a peur de tout même de son ombre.

Dans un coin de la pièce, il l’observe tout réagencer, lui qui n’aide pourtant pas le moins du monde. Il ne le veut pas, vexé. « C'est vraiment tout ce dont à quoi tu penses. » Leurs lèvres se frôlent, les yeux d’Ambrose se ferment par instinct, mais il ne se passe toujours rien. Rien, sauf la bouteille qui lui est dérobée bien malgré lui, geste qui suffit à l’agacer. “T’as pas le droit de jouer comme ça.” Il a tous les droits, au contraire, le pirate, et c’est justement cela qui rend Ambrose d’autant plus colérique sur la question. « Trouve de quoi nous payer un séjour en France. » - “T’attends pas à recevoir quoi que ce soit de ma part maintenant.” Définitivement, il est en colère, et il laissera Saül boire cette bouteille seul, tout en priant pour qu’une vague soudaine change son équilibre et enfoncent le verre de sa bouteille contre ses dents.

Après avoir passé la tête au travers d’une fenêtre du poste de commandement, il hurle au travers de cette dernière, de toute ses forces, sa voix s’entendant à peine derrière la tempête. “SAÜL WILLIAMS EST GAY.” Sa main contre l’oreille, il mime écouter les bruits de l’extérieur. “Tu vois. Aucune apocalypse.” Il voudrait en rire, mais le regard qu’il lui porte est profondément noir.

Il boira seul, alors. Saül hausse les épaules. Il se trouvera une bouteille, s'il ne peut pas voler celle de son ami. Et puis finalement, Saül revient sur sa décision et s'approche, sourcils froncés, de celui qui lui tient éhontément tête. « J’accepte pas ces mots venant de toi. » « Tant pis. » Après tout, il sera le seul à les entendre. Il nous pourra se plaindre à personne, Constantine, coincé dans une pièce grande comme un palace en compagnie de Saül-le-taiseux, Saül-couvert-de-honte, qui a menti pour avoir un billet et qui ment à son entourage au sujet de ses fréquentations. Son entourage le croit sans doute en Espagne ou ailleurs, dans un pays d'Europe où l'avenir que le jeune homme leur a fait miroiter se concrétise doucement.

Au lieu de cela, Saül est occupé à s'amuser de promesses faites en l'air, entre deux portes closes. Voler une bouteille semble plus moral que d'embrasser Ambrose, même si personne ne les a vu entrer par ici. « T’as pas le droit de jouer comme ça. » « Regarde moi bien. » S'il n'en a pas le droit, Saül le prendra. Un sourire plus tard, le jeune homme débouche la bouteille dérobée. Il a les yeux posés sur un poste de commandement qui octroie sans doute un sentiment de puissance à quiconque essaie de le manier. Il n'y connaissent rien, à toutes ces histoires compliquées de gouvernail, les deux terreurs. « T’attends pas à recevoir quoi que ce soit de ma part maintenant. » « Oh tu boudes, mon pauvre amour. » La première gorgée a un goût de victoire - un brin amère. Après tout, Saül cachera habilement que les paroles d'Ambrose et ses gestes ont fait s'emballer son palpitant mieux que toutes les liqueurs et que tous les verres d'absinthe.

Et soudain, alors que Saül contemple les tas de boutons qui actionnent sans aucun doute l'explosion du navire, Ambrose ouvre une fenêtre sur la tempête. « Qu'est-ce que tu- » « SAÜL WILLIAMS EST GAY. » Voilà que l'intéressé se rue sur son ami, lâchant au passage la bouteille qui vient s'échouer sous un bureau. Tout son contenu s'est répandu au sol, mais Saül n'en a rien à faire. Il attrape déjà le col d'Ambrose, le cœur battant. « Tu vois. Aucune apocalypse. » « Espèce de... » Les cheveux battus par le vent, Saül resserre sa prise sur le col du jeune homme qui lui fait face. Il n'a rien de plus à lui dire, rien ne veut sortir. Les lèvres serrées, il referme prudemment le hublot. Ses doigts tremblent, révélant toute la confusion qui l'habite alors que ses yeux peinent à trouver ceux d'Ambrose. « On aurait pu t'entendre. » En plus, ce n'est pas vrai. Ces choses là ne devraient pas porter de nom et Ambrose ne devrait pas s'octroyer la liberté de les crier. Les doigts de Saül reposent patiemment sur la chemise de son homologue. « Tu te crois malin ? » Et voilà que Saül, le sourire retrouvé, presque reconnaissant, échappe une nouvelle fois à l'envie d'embrasser Ambrose.

Non, à la place, il préfère aller appuyer sur tous les boutons de la table de commandement, révélant sans doute leur position à tout le navire. Saül tousse dans un haut-parleur, écoutant avec délice l'écho qui se répercute dans les couloirs. « Permettez moi de dire que si vous cherchez un monstre dans ce navire, il n'y en a qu'un et son nom est... » Non, il ne peut pas le dire. Pas alors qu'il reste tant de chemin à faire. « Constance. Constance est communiste, c'est une sacrée traînée et en plus, elle a couché avec le capitaine. » Si personne n'essaie d'enfoncer la porte d'ici dix minutes, les deux lurons auront de la chance.

Ses mains brûlantes trouvent refuge contre un col passionné.
Les iris se cherchent l’une l’autre,
seules les insultes se trouvent.
« Espèce de... » gronde le tonnerre,
“Quoi !?” s’embrase le volcan qui ne demande qu’à exister.

La flasque abandonnée au sol annonce l’inclinaison du navire,
les hublots se referment pour garder les secrets intacts.
La passion de l'air est étouffée par la terre « On aurait pu t'entendre. »,
ô miséricorde.
« Tu te crois malin ? »,
des mots se substituent à la passion que le premier chérit, que le second lui refuse.

Il est la nourriture des Dieux à laquelle il se refuse encore et toujours,
simple mortel qui pense encore pouvoir exister par lui-même.
Fou.
« Permettez moi de dire que si vous cherchez un monstre dans ce navire, il n'y en a qu'un et son nom est... »
Le silence est battu par les flots, le tonnerre et les hurlements impossibles.
« Constance. Constance est communiste, c'est une sacrée traînée et en plus, elle a couché avec le capitaine. »

Il espère des hurlements de joie, d'allégresse.
Il se croit au théâtre.
Ambrose ne se mue pas en une petite chose fragile,
Ambrose ne devient pas un lion en arène,
Ambrose ne s'effondre pas sous le choc de l'annonce.
Ambrose fait face à son amant, adversaire.
Ambrose hurle de l'intérieur seulement, quand les monstres marins le font avec bien moins de discrétion.
A quoi bon? Il se bat contre des chimères, des moulins, des rivaux impossibles.
Un en particulier.
Le teint pâle, les iris claires, les lèvres délicates.
Hors de portée.

"Monstre ?"
Les flots se brisent moins bruyamment que la voix du nectar des Dieux.
Cinq empruntes trouvent refuge contre une cage thoracique qu'il repousse et un homme qu'il répudie.
Le jeu n'en est plus un, il n'aurait jamais dû en être un alors que l'écume se fait moins sentir que les vapeurs d'alcool.
"Va te faire foutre." reste le seul axe de défense de l'animal blessé,
se contentant de foncer dans la gueule du loup en ouvrant la porte menant à la mer déchaînée,
mère décharnée en quête des restes de son enfant.

Saül attend le sourire de son amant. Il l'attend comme la neige en hiver, mais ne l'obtiendra pas - juste comme la neige en Europe au mois de juillet. Le sourire d'Ambrose file alors que Saül éteint le micro, lâche le bouton rouge qui s'allumait sous ses doigts. Il attend que son ami exulte, se jette à son cou pour se chamailler avec lui. Il s'attend à ce que son amant revienne à la charge, le noie sous les insultes murmurées entre deux baisers. Rien ne vient, sinon le silence. Alors, Saül comprend. Il est sans doute allé trop loin.

Brusquement, son regard change et passe de l'incompréhension à l'angoisse. « Monstre ? » Saül s'approche et est aussitôt repoussé. « Tu ne vas tout de même pas prendre pour toi une blague sur les communistes. » Mais si. « Va te faire foutre. » Le sourire de Saül s'efface définitivement alors qu'Ambrose emprunte la porte de sortie. Il fuit vers l'océan déchaîné, brise la bulle dans laquelle lui et Saül s'étaient enfermés. « Ambrose. » Il ne peut pas le perdre, le seul jeune homme avec lequel il se soit jamais senti en lien. Le seul qui n'ait pas besoin de l'écouter pour le comprendre. Le seul dont il accepterait les jugements, même s'il ne le connaît que depuis peu.

Saül passe la porte et s'expose aux marées. Le vent prend d'assaut son visage, rabat ses vêtements dans son dos. Un instant, le brun doit mettre ses bras devant ses yeux pour espérer se protéger des embruns. Plus qu'à l'intérieur, la sensation de tanguer est forte sur le pont glissant. « Ambrose ! » Pour la deuxième fois, Saül essaie d'interpeler son ami, tendant assez le bras pour l'arrêter dans son élan. « Tu vas tomber par dessus bord. Rentre avec moi. » Mais de l'autre côté, on bat le fer et le bois. La porte cèdera d'ici quelques minutes, ou même d'ici quelques secondes. Saül ne finit par l'entendre que parce que la mer manque un battement. La poigne sur l'avant-bras d'Ambrose se renforce et les cheveux de Saül se trempent d'écume sous l'assaut de la prochaine vague. « On ne peut pas rester ici. Viens, je t'en prie. » D'un regard suppliant, Saül essaie d'attirer Constantine à ses côtés. Il hurle par dessus la tempête, désignant un petit escalier de service qui les mènera sans doute à des ponts inferieurs où ils seront plus en sécurité.