(sept. 2017) Les avions n’arrivent jamais en avance, mais Swann a tout de même jugé bon d’arriver à l’aéroport avant l’heure d’atterrissage, ne serait-ce parce qu’il ne voulait pas prendre le moindre risque, surtout pas celui de laisser à Greta la moindre opportunité de penser que finalement personne ne l’attendait. Il devine aisément qu’elle est à fleur de peau et ne veut que faire de son mieux pour lui faciliter les choses autant que possible, à son niveau. Ainsi, lorsqu’il reconnaît sa chevelure blonde au milieu de tous les passagers, il esquisse déjà un sourire tendre et quelques pas en sa direction. « Merci d’être venu, Swann. Je sais que tu n’as jamais voulu te retrouver mêlé à ça. » Avant même qu’elle n’esquisse un geste en ce sens, il passe ses bras autour de ses épaules, préférant la serrer doucement contre lui avant qu’ils ne parlent déjà des sujets qui fâchent et, surtout, attristent. “Aucun problème. C’est normal.” Il accueille une vieille amie qui vient de traverser la moitié du globe, alors le reste n’a aucune importance. Ils n’ont pas à déjà parler de pourquoi elle a décidé d’un tel geste, tout comme ils n’ont pas à parler de quoi que ce soit. Il le jure, l’aéroport est ouvert en continu, ils peuvent très bien rester comme ça pendant des heures pour mieux omettre le monde qui les entoure.

« Et merci de ne pas me dire que tu m’avais prévenue. » En effet, elle le connaît assez bien pour savoir qu’il n’a pas ces mots sur le bout de la langue et qu’il ne les aura jamais, trop conscient du fait qu’ils ne feraient que la mettre plus mal encore, sans jamais l’aider dans son processus de guérison. En silence, une de ses mains quitte son dos pour retrouver sa nuque et la caresser doucement. Il y a des soubresauts qui ne trompent jamais, Swann n’ayant aucun mal à deviner qu’elle relâche enfin la pression, laissant place à des larmes qu’il jugera aussi peu que le reste. “Tout va bien se passer, Greta.” Ici, en Australie, tout va mieux. Ici, il a retrouvé sa famille, il a rencontré Ginny et Jillian, il a trouvé Matt qui est aussitôt devenu son meilleur ami. Il a découvert l’existence de Rory, qui est devenu tout, absolument tout. Elle fera de belles rencontres, elle ira de l’avant. Elle sera heureuse, elle aussi, parce qu’elle le mérite terriblement. “Viens, on rentre. Tu veux rester chez moi quelques jours ?” Son appartement n’a rien de flamboyant, surtout en comparaison de ce qu’elle connaît, mais il peut au moins lui laisser son lit pour préférer le canapé le temps de quelques nuits de son côté. S’il n’a aucune idée de ce dont elle a besoin ou envie en cet instant, il pense pourtant qu’avoir une figure connue dans son quotidien lui fera du bien: ici, elle doit tout découvrir, tout réapprendre. Son visage niché contre son cou, l’anglais décale à peine son visage pour déposer ses lèvres près de sa tempe, yeux fermés, profondément désolé. Tout est la faute d’Arthur, à nouveau. “J’ai amené des mouchoirs.” Il souffle tout bas, comme si ces mots étaient le pire secret en sa possession, avant d’effectivement en sortir le paquet de sa poche pour le tendre à son amie. Ce moment, il l’avait bien malgré lui anticipé, et il garde une main posée contre son dos, pour lui assurer qu’il reste présent autant que pour se rassurer, lui, et espérer qu’elle tienne le coup.

Elle en avait déjà vécu, des ruptures. Être la fille cadette d’une lignée de stylistes et mannequins avait évidemment laissé les gênes faire leur travail et Greta n’avait jamais laissé les garçons indifférents. Alors à l’adolescence, elle avait commencé à s’essayer aux relations amoureuses avec plus ou moins de succès mais l’impact n’avait jamais été le même que celle-ci. Parce que l’adolescente avait grandi pour devenir une jeune femme pleine d’ambition et de rêves qui avait cru vivre un conte de fée. Les années avaient passé pour lui faire réaliser que les projets étaient bien plus beaux à deux et qu’elle aussi voulait vivre ce que ses parents avaient vécu. Malheureusement, en un revers de main - ou plutôt en un simple silence - Arthur avait tout balayé et c’était dans les bras d’un autre qu’elle se consolait, de manière bien plus platonique. “Aucun problème. C’est normal.” Dans les bras de quelqu’un de bien. La présence de son ami avait permis de venir apaiser la douleur et la jeune femme accueillait ses paroles et son réconfort avec plaisir même si elle était bien peu capable d’esquisser un sourire naturel. “Tout va bien se passer, Greta.” Swann représentait la sagesse quand Arthur et Greta représentaient l’insouciance, l’incohérence et ce qui avait pu ressembler à de la folie. « T’as sûrement raison. Après tout, si je t’avais écouté dès le début, ta veste ne serait pas dans cet état. » avait-elle répondu en reniflant et en tapotant délicatement la veste de Swann. Les années à vivre auprès des Sighbury, qui accordaient plus d’attention à leurs tenues vestimentaires qu’à leurs émotions, avaient laissé des traces. Il fallait que tout soit parfait et si chagrin d’amour il y avait, les larmes ne devaient pas couler sur du coton, encore moins sur de la soie. “Viens, on rentre. Tu veux rester chez moi quelques jours ?” Alors qu’elle se laissait guider par Swann, devenu son seul repère dans un pays qu’elle ne connaissait pas, Greta avait levé un regard brillant vers lui. « Je sais pas, ça serait mal venu vis à vis d’... » Leurs deux regards avaient compris, son seul prénom était devenu tabou. « C’est compliqué. Si j’accepte, tu ne lui diras rien j’imagine ? J’avoue, je sais pas si je suis en état d’être seule au loft. » Un loft dont elle avait la clé, l’adresse et quelques photos. Mais un endroit qu’il serait probablement difficile de désigner comme son chez-soi pendant quelques temps. “J’ai amené des mouchoirs.” Cette fois, le sourire de Greta était un peu plus sincère et rempli de toute la tendresse qu’elle éprouvait pour le jeune homme. « Merci, Swann. » avait-elle simplement répondu avant de passer les portes automatiques et se laisser surprendre par la différence de saison entre l’Angleterre et l’Australie - sensation qui ne l’avait même pas frappée à la sortie de l’avion tant elle était chamboulée. « En y réfléchissant, je sais pas si je serai de bonne compagnie si je reste chez toi. Mais je veux bien, si ce n’est pas trop demander, que tu m'accompagnes pour découvrir ma nouvelle maison ? » Parce que découvrir sa nouvelle home sweet home serait probablement moins éprouvant accompagnée d’un vrai ami, peu importe combien celui-ci la replongeait inévitablement dans ces soirées où elle avait connu Arthur.

Il prolonge naturellement leur étreinte et continuera de le faire aussi longtemps qu’elle le jugera nécessaire. Après tout, Swann a pris son après-midi pour venir la chercher à l’aéroport et il n’a rien de mieux à faire pour les heures à venir, ayant aussi prévenu Rory de l’arrivée de son amie au pays, ce qui signifie qu’il a simplement proposé qu’ils se voient le lendemain plutôt que le soir-même. Tout a été préparé pour Greta, les choses ont été finement ajustées sans que cela ne pose pas le moindre problème, à aucun niveau, pour qu’il puisse en cet instant resserrer doucement ses bras autour d’elle, lui assurant tendresse et protection à la fois. « T’as sûrement raison. Après tout, si je t’avais écouté dès le début, ta veste ne serait pas dans cet état. » - “On a beaucoup d’araignées mais on a aussi des lave-linges ici.” Il sourit tout près d’elle, prenant toujours le temps de la rassurer, même sur les détails qui n’auraient pas eu la moindre importance aux yeux d’autrui. L’état de sa veste, il s’en moque bien.

Et quand bien même il aurait pu rester figé comme un i pendant plusieurs heures encore, il juge qu’il n’est pas bon pour Greta d’ainsi s’exposer au regard d’autrui, qu’il n’est pas non plus bon pour elle de ne pouvoir se concentrer que sur l’aspect inévitable et surtout non désiré des choses. En d’autres termes, elle a besoin de se changer les idées et de trouver un semblant de réconfort ailleurs, raison pour laquelle il lui propose son appartement tel un point de chute. « Je sais pas, ça serait mal venu vis à vis d’... » Il échange un regard entendu et triste avec elle, hochant la tête uniquement pour lui signifier qu’elle n’a pas à dire son nom. “Il n’en saura rien.” Swann sait garder les secrets. Les siens, comme ceux de ses proches. A vrai dire, il est même plutôt doué dans la chose et s’y entraîne tous les jours, sans doute un peu malgré lui. « C’est compliqué. Si j’accepte, tu ne lui diras rien j’imagine ? J’avoue, je sais pas si je suis en état d’être seule au loft. » Après quelques pas esquissés en direction de la sortie, il prend sur lui pour ne pas déjà s’arrêter en chemin et la regarder dans les yeux au moment de lui parler. Alors, pour l’heure encore, il se contente de continuer à marcher, gardant ses mains au fond de ses poches pour garder pour lui cette part de tristesse qui l’habite encore. Jamais elle n’aurait dû avoir à traverser la moitié du globe pour le fuir. “Je ne lui dirai rien, non. Ça ne le regarde pas. Et tu ne lui dois rien. Moi non plus.” Ce ne sera même pas un mensonge: Arthur n’a simplement pas à savoir où loge Greta, parce qu’il n’a pas la main mise sur elle, parce qu’il n’a pas le droit de demander une telle information. Il détesterait la savoir chez Swann et serait le premier à leur inventer une liaison qui n’a jamais existé et n’existera jamais, qui plus est, alors ce sont des raisons supplémentaires pour que l’anglais reste muet.

« En y réfléchissant, je sais pas si je serai de bonne compagnie si je reste chez toi. Mais je veux bien, si ce n’est pas trop demander, que tu m'accompagnes pour découvrir ma nouvelle maison ? » D’un geste de la tête, il lui indique la direction à prendre sur l’immense parking de Brisbane pour qu’ils arrivent à retrouver sa voiture. “Bien sûr, oui. Tu as l’adresse ? On peut y aller directement. Tu dois sûrement vouloir te reposer.” Vol de nuit ou non, les longs trajets ne sont que peu souvent synonymes de repos, tout le monde le sait. Elle a une vie toute entière pour découvrir la ville, elle a le temps. “Je peux rester si tu veux. C’est juste une proposition, je m’impose pas, mais si tu veux pas être seule, je dis juste que je suis là.” Il ne veut pas paraître étouffant ou impoli, raison pour laquelle il justifie bien vite ses propos et y ajoute un sourire tendre. Simplement, il ne saurait pas se contenter de l’amener jusqu’à son nouveau loft et la laisser seule avec ses démons: ce serait bien mal le connaître.

Le contraste entre ici et là-bas serait bientôt également visible au travers de la presse. Là-bas, les journaux indiqueraient que la cadette des plus grands créateurs avaient été vue se dirigeant vers l’aéroport, ses yeux gonflés dissimulés derrière de grandes lunettes de soleil malgré une météo peu clémente. Ils n'indiqueraient rien sur la destination de Greta Sighbury, par chance, et l’aéroport ne serait pas en mesure de donner la précieuse information, son passeport ayant été changé. Ici, en revanche, les journaux seraient remplis de tout un tas d'informations toutes bien plus importantes que la rupture de la cadette et Greta Moore se mêlerait bientôt à la population locale, ses larmes au milieu des terminaux étant le seul détail pouvant lui attirer les regards. Ici, les gens portaient les habits des créateurs mais ne suivaient pas leur vie avec intérêt comme c’était le cas en Angleterre, et, même si certains férus de mode connaissaient peut-être les parents et le fils, la cadette elle passerait probablement inaperçue. C’est au moins ce qu’elle espérait alors qu’elle traversait le hall de l’aéroport au bras de Swann. “On a beaucoup d’araignées mais on a aussi des lave-linges ici.” Sa plaisanterie avait réussi à la faire sortir de cette position de célébrité incognito, scrutant le moindre visage. L’état dans lequel elle était à ce moment-là ne lui avait même pas permis de s’inquiéter pour les araignées, un venin bien plus douloureux s’était occupé d’elle de l’autre côté de la planète.

“Je ne lui dirai rien, non. Ça ne le regarde pas. Et tu ne lui dois rien. Moi non plus.” Greta avait le sentiment de lui avoir tout donné et il était sûr qu’elle ne lui devait plus rien, que si cela avait été le cas, elle n’aurait sans doute plus rien en sa possession qu’elle ne lui avait pas déjà donné. Il n’avait plus à savoir les détails de sa vie, sa localisation où ses activités et il n’en avait de toute façon plus rien à faire. Par contre, Swann et lui étaient amis et elle était persuadée que ce dernier serait toujours là pour lui, d’une façon ou d’une autre, malgré tout. Alors elle n’avait pas répondu, se contentant d’un maigre sourire en sa direction pour le remercier de sa présence et des efforts pour la rassurer. “Bien sûr, oui. Tu as l’adresse ? On peut y aller directement. Tu dois sûrement vouloir te reposer.” Difficile à dire, les repères de Greta s’étaient tous envolés et elle avait dû chercher sur son téléphone l’adresse avant de lui donner. « 17, Parkland Boulevard. C’est dans le quartier de Spring Hill, mais bon, ça tu aurais pu le deviner je pense. » Parce que les Sighbury n’auraient pas toléré que leur fille habite ailleurs que dans le quartier le plus chic de Brisbane, eux qui avaient déjà eu tant de mal à la laisser partir, sa majorité seule ne constituant pas une raison valable à la voir voler de ses propres ailes. Elle en rêvait. Depuis toujours. Mais elle en rêvait avec lui et pas dans ces conditions. Ce nouveau départ avait donc un goût amer auquel Swann venait redonner un côté un peu plus édulcoré. “Je peux rester si tu veux. C’est juste une proposition, je m’impose pas, mais si tu veux pas être seule, je dis juste que je suis là.” Greta avait secoué la tête pour lui indiquer qu’il n’avait pas à autant se justifier, il devait être conscient que tout ce dont elle avait besoin à ce moment précis était d’un ami sincère. « Dis pas de bétises, tu t’imposes pas, au contraire, tu me rends un grand service. C’est moi qui suis gênée de t’avoir demandé de mettre tous tes plans de côté pour moi… » En réalité, si l’auteure n’avait pas été au plus bas, elle lui aurait probablement sauté dans les bras parce que le revoir après tout ce temps représentait beaucoup pour elle. Mais ils s’étaient retrouvés sans effusion et plutôt que de profiter du moment, Swann la ramassait à la petite cuillère. « Il est quelle heure là ? Je sais pas si mon téléphone s’est mis à jour… Vous avez dix heures d’avance c’est ça ? J’espère que tu as passé une bonne nuit parce que je vais jamais réussir à dormir… »  A cause du décalage plus qu’à cause d’Arthur. A moins que les larmes ne l’aient assez fatiguée pour trouver le sommeil même si Londres ne s’endormirait que dans de longues heures. Greta avait déjà eu à faire avec le décalage horaire mais il n’avait jamais été couplé avec un coeur brisé, elle se retrouvait encore plus déstabilisée. « L’Australie, quoi ! On en avait tant parlé, c’est fou… » Greta tentait d’être une amie à son tour et de reprendre une conversation normale, laissant à Swann l’opportunité de s’imaginer que la soirée qu’il passerait avec elle ne serait pas faite que de regrets et de larmes. « J’espère que c’est assez loin comme destination pour ne plus jamais le voir… » avait-elle tout de même demandé rhétoriquement en s’engouffrant dans la voiture de Swann sur un parking qui lui offrait une vue imprenable sur les couples qui se retrouvaient.

« 17, Parkland Boulevard. C’est dans le quartier de Spring Hill, mais bon, ça tu aurais pu le deviner je pense. » Il sourit face à la remarque de la jeune femme. En effet, il l’aurait aisément pu deviner qu’elle allait habiter à Spring Hill, dans un loft qui n’a pas grand chose à envier à ce qu’elle connaissait à Londres. Ce ne sont que des suppositions, mais elles s’appuient sur des connaissances plus ou moins poussées de Greta et de sa famille. Pour autant, sa proposition de rester un peu n’a rien à voir avec le quartier où elle réside, pas alors que Swann se contente de proposer sa présence pour ne pas qu’elle se sente seule. Il l’accueille chez lui si elle le désire ; il reste un peu chez elle si c’est ce dont elle pense avoir besoin. Il peut s’adapter, au moins un minimum, et il est certain que Rory n’aura aucun mal à comprendre pourquoi ils ne peuvent pas se voir quelques soirs. « Dis pas de bétises, tu t’imposes pas, au contraire, tu me rends un grand service. C’est moi qui suis gênée de t’avoir demandé de mettre tous tes plans de côté pour moi… » - “C’est pas tous les jours que des amis arrivent depuis Londres.” Autrement dit, ce n’est jamais arrivé et c’est une occasion assez rare pour que Swann veuille le souligner, avec un nouveau sourire en coin. Il ne change pas tous ses plans pour elle, il se contente de s’adapter à ce qui est le mieux pour elle. “Je vais te conduire dans ton nouveau chez toi.” Il conclut donc, déjà occupé à rentrer l’adresse qu’elle lui a donnée dans son téléphone. Ils seront bien mieux là-bas.

Leurs pas prennent peu à peu le chemin du parking, et Swann n’a de cesse de poser ses yeux sur le profil de son amie, ne serait-ce pour s’assurer qu’elle tient le coup. Elle vient de vivre beaucoup de choses en très peu de temps, il lui semble normal de s’inquiéter à son égard. « Il est quelle heure là ? Je sais pas si mon téléphone s’est mis à jour… Vous avez dix heures d’avance c’est ça ? J’espère que tu as passé une bonne nuit parce que je vais jamais réussir à dormir… » Il laisse échapper un nouveau rire, cependant peu convaincu sur sa capacité à rester debout toute la nuit, et ce même s’ils rattrapent la dernière saison de Doctor Who. “Il est cinq heures.” Autrement dit, il est plutôt étonné que Greta ne dorme pas beaucoup, parce que selon son décalage horaire il est beaucoup trop tôt. “J’espère que t’as pas prévu autre chose que de regarder Doctor Who.” Maintenant qu’il a enfin une compatriote à ses côtés pour comprendre sa passion pour la série, il ne va pas s’en priver, et ce ne sont pas ses amis australiens qui sauraient dire le contraire.

« L’Australie, quoi ! On en avait tant parlé, c’est fou… J’espère que c’est assez loin comme destination pour ne plus jamais le voir… » Une fois dans la voiture, il pose son regard sur la jeune femme à ses côtés, ayant bien du mal à se rendre compte qu’elle est sur le sol australien, maintenant, elle aussi. “Il sait que tu es partie ? Et que tu es ici ?” La question est en deux temps, Swann n’attend aucune réponse précise. Il se contente de se montrer curieux, parce qu’il veut en savoir le plus possible, pour commettre le moins d’erreurs possibles. “Moi je suis heureux que tu aies choisi cette destination, tu sais, pour ce que ça vaut.” Parce qu’il a sa famille ici, il a Rory ; mais il s’étonne certaines fois à se sentir seul, parce qu’il a tout abandonné à Londres du jour au lendemain. Il est heureux de sa vie aujourd’hui, bien sûr, et il le voudrait la voir changer pour rien au monde. C’est ici sa vie, maintenant. “Je pourrai te présenter à mes amis. Si tu parles barbecue avec les australiens, tu deviens automatiquement leur ami.” Il sourit face à la route alors qu’il l’observe avancer sous ses yeux, tentant que Greta pense aux lendemains plutôt qu’à son passé qu’elle semble vouloir oublier, maintenant plus que jamais.

Son arrivée à Brisbane, Greta l’avait imaginé durant de longs moments et tout ce qui était en train de se passer était en totale opposition avec ses rêves de jeune femme naïve. Ils auraient dû se chamailler, des files d’attente pour passer les portiques de sécurité jusqu’à dans l’avion où elle se serait endormie sur son épaule pour une courte nuit. Mais cela n’aurait pas eu d’importance, ils auraient passé le reste du temps à refaire le monde et à s’imaginer ce que serait leur nouvelle vie. Puis il l’aurait réveillée d’une nouvelle tentative de sommeil pour qu’elle puisse voir l’Australie se dessiner par le hublot… Arthur avait su lui faire croire qu’il serait cet homme là pour elle mais les désillusions s’enchaînaient depuis son départ. “C’est pas tous les jours que des amis arrivent depuis Londres.” Pourtant, si la réalité n’avait rien à voir avec ce scénario, son arrivée avait pu être un peu moins triste grâce à Swann. A ses côtés, Greta parvenait enfin à penser à autre chose qu’à lui et à s’imaginer ce à quoi allait ressembler son nouveau quotidien. A combien de temps elle mettrait à s’acclimater, combien de temps durerait le jet-lag. “Je vais te conduire dans ton nouveau chez toi.” Et après ces mots, l’écrivaine s’étonnait à sentir une minuscule pointe d’excitation à l’idée de découvrir un loft qu’elle savait grandiose, d’après les photos et la description de ses parents. Ils avaient tout prévu, eux et leurs contacts, et Greta n’avait eu à ne se soucier de rien à part arriver à l’heure à l’aéroport. Une étape difficile compte tenu d’un cerveau parasité, d’un esprit embué et d’une folle envie de renoncer.

“Il est cinq heures.” « Du matin ?! Je suis désolée, si j’avais su j’aurais pris un taxi… Oh je suis perdue. »  Dans l’espace-temps et de manière générale. Finalement, l’heure qu’il était importait peu, le décalage horaire étant une simple excuse pour justifier une hygiène de vie qui serait déplorable. Après la rupture, à Londres, Greta évitait de fermer les yeux pour que ne se dessine dans son esprit le tableau du couple idéal et le trou béant dans sa poitrine ne cessait de toute façon de la réveiller. Elle n’avait pas faim. Elle était vide. Une semaine s’était passée avant que la jeune femme ne prenne finalement la décision de fuir, dans une tentative de continuer à poursuivre ses rêves et une semaine de plus avait suffi à ce que tout soit prêt pour son départ. Pour une fois, Greta avait été ravie de porter le nom de Sighbury. “J’espère que t’as pas prévu autre chose que de regarder Doctor Who.” L’étonnement avait rapidement suivi le léger rictus d’une Greta qui ne savait plus cela possible. « Tu connais ma capacité à enchaîner les épisodes en temps normal, prépare toi au plus grand binge watch de ta vie, Swanny. » Et elle s’était engouffrée dans la voiture, ravie de redonner à son ami le sentiment de ne pas être que l’ombre d’elle-même mais de toujours réussir à être la Greta insupportable qui l’affublait de surnoms qui faisaient lever les yeux au ciel. Il était là pour elle et elle ferait en sorte que sa compagnie ait du sens aussi pour lui.

“Il sait que tu es partie ? Et que tu es ici ?” La jeune femme avait retenu un rire, loin d’elle l’idée de se moquer de la question, mais la réponse était pourtant évidente. Swann tentait peut-être de trouver un semblant d’humanité chez son ami mais Arthur avait été loin de s’enquérir du futur de l’écrivaine. « Non. Tu sais, je pense que je peux déjà m’estimer heureuse qu’il ait pris le temps de me dire que c’était fini et qu’il ait pas juste plus donné de nouvelles du tout. » avait-elle répondu en jouant avec son foulard pour éviter que ces mots n’aient trop d’impact sur elle. Swann avait évidemment des questions, il était lié à l’un et l’autre. Mais il avait également conscience que cela lui coûtait et avait enchaîné, naturellement doué avec les gens. “Moi je suis heureux que tu aies choisi cette destination, tu sais, pour ce que ça vaut.” Il la faisait rire, la faisait sourire. Il l’apaisait mais les doutes sur sa décision persistaient. « Je sais même pas pourquoi je suis quand même venue, j’ai réagi sur un coup de tête. Mais tu me fais penser que c’était la bonne décision. » Sa tête voulait gagner son épaule mais sa fierté voulait donner le change. Alors elle fixait le paysage qui se dessinait devant elle en se concentrant sur le dépaysement plutôt que sur les regrets. Swann roulait sans GPS, comme s'il avait en tête la cartographie complète de Brisbane, une ville qu'il devait maintenant connaître comme sa poche. “Je pourrai te présenter à mes amis. Si tu parles barbecue avec les australiens, tu deviens automatiquement leur ami.” Les végétariens et les barbecues étaient un duo aussi improbable que l'ananas et la pizza mais toute tentative pour refaire surface était bonne à prendre. «  Je sais pas si je vais faire fureur avec mes poivrons, mais ça me dit bien. J’ai besoin de sortir, de voir du monde. » C’était après tout les premiers conseils que l’on donnait à quelqu’un qui venait de se faire briser le coeur et Greta comptait appliquer le conseil. Pas de suite. Mais elle en était convaincue, le nombre de larmes qui couleraient pour Arthur était limité. « Les excès en moins. » avait-elle ajouté timidement, venant chercher le regard de Swann dans le rétroviseur alors qu’il se concentrait sur la route et sur son nouveau rôle de pilier. Son regard brillait et se replonger dans les souvenirs des soirées de débauche où elle pensait être à sa place la faisait souffrir presque autant que la rupture. C’était sa façon de s’excuser pour ces fois où il l’avait vu dans des états pitoyables, pour ces fois où il lui avait demandé subtilement de réfléchir à sa relation et à ce qu’elle était en train de devenir. C’était sa façon de s’excuser de ne pas avoir écouté celui qui avait toujours été la bonne conscience face à un monde impitoyable. « Comment va Rory ? J’ai hâte de le rencontrer ! » Parce que Greta allait probablement bien trop parler d'elle et que prouver à Swann qu'elle s'intéressait à lui était important, alors elle avait sorti le premier prénom de sa nouvelle bande d'amis qui lui était venue en tête.

« Du matin ?! Je suis désolée, si j’avais su j’aurais pris un taxi… Oh je suis perdue. » Elle s’excusse, son visage baigné par la lumière du soleil lui prouvant bien qu’il est loin d’être cinq heures du matin. Cela fait rire l’anglais sans qu’il ne cherche à se moquer. Après tout, il est lui aussi passé par là et il sait à quel point le décalage horaire peut parfois être difficile à gérer, pas seulement pour le rythme de vie, mais aussi et surtout lorsqu’il est question de tenter de garder contact avec sa famille et ses proches encore au pays. « Tu connais ma capacité à enchaîner les épisodes en temps normal, prépare toi au plus grand binge watch de ta vie, Swanny. » - “J’accepte volontiers la sentence.” Il laisse échapper un sourire en sa direction, une excuse comme une autre pour poser un regard sur elle et s’assurer qu’elle ne devient pas encore plus pâle qu’elle l’est déjà. L’Australie lui ira parfaitement au teint, quand elle ira un peu mieux et quand elle aura pleinement accepté sa vie sur ce nouveau continent. La seconde suivante, ce n’est plus que sur la route qu’il repose les yeux, soucieux de rapidement l’amener dans son nouveau chez elle pour qu’elle commence à s’y adapter.

Ce n’est que du bout des lèvres qu’il aborde le sujet Arthur, non par curiosité mais bien pour savoir comment se positionner et, surtout, quoi dire ou ne pas dire. « Non. Tu sais, je pense que je peux déjà m’estimer heureuse qu’il ait pris le temps de me dire que c’était fini et qu’il ait pas juste plus donné de nouvelles du tout. » Il ne lui dira pas qu’elle doit effectivement s’estimer heureuse, mais cela ne l’empêche pas de le penser, parce que Arthur reste Arthur et que la bienséance n’est pas réellement son fort. Il agit à l’instinct et selon ses envies, même lorsqu’il s’agit de mettre fin à une belle relation (surtout lorsqu’il s’agit de mettre fin à une relation, en réalité). “J’ose encore penser qu’il s’assagira plus tard.” Qu’il se rendra compte qu’il fait des erreurs avant de les mener à terme, surtout, voilà ce que Swann espère pour son ami et, par extension, pour Greta. Parce que vouloir mettre un terme à leur relation est effectivement une erreur, et il continue de le penser même sans vouloir imposer son avis dans leur couple alors que cela ne le regarde pas plus que qui que ce soit. « Je sais même pas pourquoi je suis quand même venue, j’ai réagi sur un coup de tête. Mais tu me fais penser que c’était la bonne décision. » Il lui offre un sourire empathique, tournant son visage en sa direction une seule seconde. S’il restera toujours désolé de la raison première l’ayant menée jusqu’en Australie, il est pourtant certain qu’elle saura se faire une place dans ce nouveau pays et, surtout, qu’elle s’y sentira à sa place. L’Australie en vaut la peine et toutes les personnes qui y vivent encore plus, mais il sait ne pas pouvoir témoigner de la moindre once d’objectivité sur le sujet. “Toutes choses considérées, ça l’est.” Il est heureux de la retrouver à ses côtés, maintenant.

Ainsi, c’est pour tenter de noyer le poisson dans l’eau autant que pour l’aider à déjà s’acclimater à son nouvelle vie, il lance à la volée une invitation à un dimanche entre amis, et surtout autour d’un barbecue. « Je sais pas si je vais faire fureur avec mes poivrons, mais ça me dit bien. J’ai besoin de sortir, de voir du monde. » Ce n’est pas un non et c’est même un oui qu’elle n’ose sûrement pas prononcer tel quel, alors il estime que sa tentative est un franc succès. “Je serai le premier à vendre tes poivrons et leurs mérites.” Elle est une bonne amie, drôle, présente, avenante. Elle a de la discussion, elle est agréable. Elle saura se faire une place et se trouver rapidement ses propres amis, il n’en doute pas un seul instant. Greta mérite de rebondir et d’être heureuse et même s’il n’a aucune idée des ravages que peuvent avoir une rupture sur une personne, pour ne jamais l’avoir expérimenté à un tel niveau, il ne peut cependant que tenter de le comprendre, et l’idée même lui brise le coeur et le rend malade. Quand bien même sa relation avec Rory est vécue dans le secret le plus total, il sent une véritable pression contre son cœur à l’idée que cette dernière puisse s’arrêter, et pourtant ils soufflent à peine leur première bougie et année ensemble.

« Les excès en moins. »
“Les excès en moins.”

Il répète à son tour sur le même ton bas, ne voulant certainement pas l’encourager à aller contre cette idée. Londres a été synonyme de bien des choses, de bonnes comme de moins bonnes, et il espère sincèrement qu’elle ne retrouvera pas certaines de ses habitudes ici. L’absence d’Arthur à ses côtés devrait aider en ce sens. « Comment va Rory ? J’ai hâte de le rencontrer ! » Cette fois-ci, il ne contrôle pas son réflexe lorsqu’il vrille aussitôt sa tête en sa direction, ses yeux sans doute bien trop arrondis pour la question, simple et naturelle, qu’elle vient de lui poser. “Rory ?” Il répète, comme pour donner à Greta une chance de choisir un autre prénom et, avec ça, de focaliser son attention ailleurs, sur un sujet sûrement infiniment moins sensible que celui de l’australien. Il sait qu’il a eu tendance à parler de son ami plus que de raison, mais sans doute qu’il ne le pensait pas au point qu’elle en fasse une de ses premières questions en arrivant. Il l’aime, sincèrement, et il ne manque pas de lui dire une fois les portes closes et les regards posés partout sauf sur eux, mais Swann est incapable de prononcer des mots semblables face à qui que ce soit d’autre, même à Greta qui a pourtant toute sa confiance. Ce n’est pas une question de confiance, justement. Cela n’a même rien à voir. “Il va bien. Ils vont tous bien. Je leur ai déjà dit que tu viendrais au prochain barbecue, de toute façon, ils ont hâte de te rencontrer.” Il fait de la question de son petit-ami un sujet plus général, soucieux de ne pas se trahir et soucieux, aussi, de ne pas remuer le couteau dans la plaie alors qu’il est le premier désolé d’imposer un tel mensonge. Et, pour se sauver d’une mauvaise passe dans laquelle il s’est sûrement mis lui-même, Swann choisit l’option la plus sûre: changer de sujet. “Tu connais d’autres personnes dans le coin ? Parce que je peux devenir ton guide attitré, tu sais, si c’est que ça.” Il comprend sans doute mieux que personne ce par quoi elle va passer, lui et son accent lointain, elle qui porte le même.

“J’accepte volontiers la sentence.” Le ton des prochains jours était donné, Swann se plierait volontiers à chacune des activités qui permettrait de redonner le sourire à son amie fortement amochée. Pour le moment, rester allongée dans le noir en regardant des séries semblait l’option la plus envisageable. “J’ose encore penser qu’il s’assagira plus tard.” Si ces paroles étaient sorties de la bouche de quelqu’un d’autre que Swann, Greta aurait probablement explosé en questionnant comment il était possible de penser ça d’une telle personne. Mais Swann incarnait la bienveillance et la blonde pouvait facilement le classer en haut de sa liste des amis les plus gentils. Ce geste qu’il venait de faire pour elle le propulsait de toute façon au sommet de toutes les listes imaginables. Greta avait haussé les épaules en tournant son visage vers la vitre pour qu’il ne constate pas sa moue boudeuse jusqu’à ce qu’elle se questionne sur le bien fondé de sa venue. “Toutes choses considérées, ça l’est.” Cette phrase était venue lui faire de nouveau tourner la tête vers lui parce qu’elle appréciait sa bienveillance plus que jamais, parce qu’elle en avait besoin à ce moment précis. “Je serai le premier à vendre tes poivrons et leurs mérites.” Swann laissait sous-entendre qu’il ne la laisserait pas de côté et elle savait combien elle pouvait lui faire confiance, alors elle le laissait déjà s’imaginer l’intégrer auprès des siens avec un maigre sourire. “Les excès en moins.” Son avis était posé là, tout en subtilité, sans animosité, sans “je te l’avais bien dit”, avec tout le tact dont Swann faisait preuve et Greta avait baissé la tête comme une enfant qu’on venait de réprimander, ravie que le sujet change rapidement même si elle en avait été à l’initiative : elle devait lui faire comprendre qu’elle était consciente de ses erreurs, il devait lui faire comprendre qu’il en était de même pour lui même s’il ne lui en tiendrait pas rigueur.

“Rory ?” « Ouais je dois t’avouer que je n’ai retenu que ce prénom là… » avait-elle ajouté devant son étonnement, comme pour éviter qu’il ne pense qu’elle ait eu des pensées impures devant les photos reçues pour en venir à n’évoquer que lui. Elle était de toute façon bien loin de tout ça parce que depuis sa rupture, même penser à Alfie ne la consolait pas. “Il va bien. Ils vont tous bien. Je leur ai déjà dit que tu viendrais au prochain barbecue, de toute façon, ils ont hâte de te rencontrer.” La saison des barbecues se terminaient en Angleterre et voir Swann aussi enthousiaste à l’idée de la convier à un tel événement ici lui donnait l’impression d’avoir traversé une faille temporelle. “Tu connais d’autres personnes dans le coin ? Parce que je peux devenir ton guide attitré, tu sais, si c’est que ça.” La réponse serait rapide car le nombre de personnes qu’elle connaissait ici se comptait sur les doigts de la main. Swann savait qu’ils envisageaient tous de quitter le Royaume-Uni pour Brisbane à l’époque de leurs études et Greta avait simplement suivi le mouvement, en comptant surtout sur la présence de ce dernier. Il ne la décevait pour le moment pas, près à l’aider à s’intégrer et surtout, supportant son air larmoyant sans broncher et acceptant de venir en aide à l’ex petite amie d’Arthur là où beaucoup d’hommes auraient choisi la solidarité masculine. « Plus ou moins, ma mère a de la famille ici et je sais que Maze vient d’arriver dans le coin aussi. » Swann avait probablement déjà croisé Maze, elle ne savait plus, son amie d’enfance ayant bien du mal à suivre la blonde dans les soirées où elle se rendait à Londres. Si Greta se persuadait d’avoir tout quitté et de s’être lancée seule dans cette aventure, elle n’était pas totalement livrée à elle-même, sachant au fond qu’elle aurait bien plus difficilement pris la décision dans ce cas. « Et puis t’es là, toi, je pouvais pas rêver meilleur guide. » avait-elle finalement terminé, aimant à souligner qu’il était présent pour elle parce que c’était bien là la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher pour le moment. « Tu pourras aussi me dire comment tu t’es fait au choc culturel, du genre fêter Noël sous le soleil et pas sous un plaid avec un chocolat chaud. » L’Australie était éloignée de l’Angleterre géographiquement mais aussi culturellement et la façon dont Greta était déstabilisée en disait long sur le temps d’adaptation dont elle aurait besoin pour s’acclimater.

Malgré une atmosphère pesante qui décrivait bien mal leur amitié, le trajet était passé rapidement et Greta s’était vite retrouvée devant le numéro dix-sept, levant presque un sourcil étonné en insérant la clé dans la serrure. Elle était bel et bien chez elle. « Je vais peut-être m’y faire, finalement. » Son regard parcourait l’immense pièce dans laquelle ils étaient rentrés et même si elle avait été habituée au luxe et la démesure depuis toute petite, elle devait admettre que la taille du loft lui donnait le tournis. Ce n’était peut-être pas les mètres carrés qui la déstabilisaient et elle s’était laissée tomber sur le canapé pour cacher son visage dans ses mains en le réalisant. « Excuse-moi. Je suis juste en train de réaliser qu’on aurait pu vivre ça à deux. » Des projets, ils en avaient plusieurs et Greta avait eu le temps du vol pour se refaire les scènes dans la tête et tenter de trouver à quel moment elle avait gâché leur histoire. Ses défauts, son côté excessif et cette façon de ne jamais dévoiler ses sentiments, elle s’y était faite pour ne garder en tête que son sourire et la façon dont il la faisait rire. Alors, oui, Greta culpabiliser parce qu’en y repensant, elle avait peut-être un peu trop insisté sur des projets d’adultes quand ils avaient encore tant d’années desquelles profiter avant de se poser définitivement. « Tu crois que j’ai été stupide d’y croire ? » Son regard larmoyant s’était posé sur lui et elle culpabilisait encore un peu plus parce qu’elle était en train de lui infliger ça. Se levant d’un bond, pleinement consciente que son comportement était loin d’étre cohérent et que ses actions se suivaient sans vraiment de sens, Greta était allée fouiller dans la cuisine. « Ils ont même réussi à faire en sorte que le frigo et les placards soient pleins… Tu veux boire quelque chose ? Ou on visite avant ?  » Un regard entendu, un hochement de tête et ils s’étaient compris, courant presque dans des directions opposés pour parcourir le loft - comme des enfants. A ce moment, Greta en était convaincue, elle réussirait à se reconstruire.

« Ouais je dois t’avouer que je n’ai retenu que ce prénom là… »
“C’est un de mes meilleurs amis ici, ce n’est pas étonnant.”

Il déteste avoir à lui mentir, mais il ne peut pas faire autrement. Il n’est tout simplement pas capable d’avouer la véritable nature de sa relation avec Rory, et ce n’est pas seulement une question de confiance. Greta a la sienne toute entière, et pourtant même face à elle il garde le silence, la peur le prenant aux tripes et agissant comme un véritable bâillon sur son visage. Il lui sert un sourire pour s’excuser, il avance ses propres arguments pour expliquer qu’elle ne parle que de lui et pas de n’importe quel autre de ses amis, dont il a aussi parlé. Avec un peu moins d’yeux brillants et un cœur plus assagi, sans doute. Rien qu’elle n’ait pu voir au travers des sms échangés, cependant. « Plus ou moins, ma mère a de la famille ici et je sais que Maze vient d’arriver dans le coin aussi. » Il hoche la tête, soucieux de prendre note des nouveaux morceaux de puzzle qu’elle le laisse entrevoir avec ses explications. Une part de lui est soulagée qu’il ne soit pas le seul qu’elle connaisse, parce que cela signifie qu’elle a plusieurs personnes sur qui compter et que tout ne repose pas sur ses seules épaules. La pensée est aussi égoïste qu’humaniste, en réalité. “Tu ne l’avais pas vu depuis un moment ?” Il ne savait pas son amie à Brisbane, à croire que Londres tout entier souhaite changer d’horizon. Néanmoins, il est heureux de l’information, encore une fois. « Et puis t’es là, toi, je pouvais pas rêver meilleur guide. » - “J’espère être à la hauteur.” Ce n’est qu’à moitié une blague, en réalité, mais il le prononce avec l’éternel même sourire, soucieux de ne pas partager ses soucis et craintes.

« Tu pourras aussi me dire comment tu t’es fait au choc culturel, du genre fêter Noël sous le soleil et pas sous un plaid avec un chocolat chaud. » Cette fois-ci, il rigole avec bien plus de sincérité. C’est le genre de problème qui se pose uniquement une fois arrivé dans le nouveau pays, ça, mais tout expatrié se reconnaîtrait dans cette interrogation. “Tu t’y feras, à force. On perd vite nos habitudes.” Il est bien trop heureux de la vie qu’il mène ici pour vouloir lui assimiler le moindre point négatif, même si cela n’aurait rien d’une trahison. Il refuse tout simplement de critiquer sa terre d’accueil, parce qu’elle le rend chaque jour un peu plus heureux et que c’est une force précieuse qu’il ne veut pas mettre en péril.

L’euphorie de la découverte de l’appartement n’est que de courte durée en comparaison de l’émotion qui semble presque aussi rapidement submerger Greta, au point où elle trouve refuge sur le canapé, son visage entre ses mains. « Excuse-moi. Je suis juste en train de réaliser qu’on aurait pu vivre ça à deux. » Sans la juger ni même commenter son geste, il prend place à ses côtés et pose une main contre son dos pour le caresser doucement. Il ne sait pas exactement comment il peut l’aider, mais il tente au moins de le faire. “C’est pas la fin de quoi que ce soit, Greta.” De leur histoire, pour le moment, oui. Mais rien ne dit qu’elle ne retrouvera pas l’amour auprès d’un autre, rien ne dit non plus qu’un jour Arthur n’apprendra pas à s’assagir suffisamment pour être capable d’avoir une relation stable, aussi. Rien ne le dit, mais rien ne tend vers cette idée non plus, alors Swann ne la formule pas avec trop de conviction. « Tu crois que j’ai été stupide d’y croire ? » - “Non, bien sûr que non. On veut toujours croire en nos relations.” Il parle pour Greta et Arthur, il parle pour lui et Rory. Il veut y croire, malgré tous les obstacles, et il veut croire qu’un jour tout s’arrangera pour ses deux amis et qu’ils arriveront à se rendre heureux l’un l’autre, enfin, sans le moindre compromis.

Déjà, Greta ne veut pas approfondir la discussion et elle se dirige vers le frigo, l’ouvrant telle une enfant à la recherche de ses biscuits préférés que ses parents n’oublient jamais de lui acheter. La scène lui arrache un sourire tendre alors qu’il reste pour sa part au fond du canapé, gardant sur elle un œil fraternel. « Ils ont même réussi à faire en sorte que le frigo et les placards soient pleins… Tu veux boire quelque chose ? Ou on visite avant ? » - “Tu es toujours aussi douée pour improviser des cocktails ?” Il doute qu’ajouter de l’alcool à autant d’émotions soit nécessairement une bonne idée, mais il se promet de veiller sur elle et sur sa consommation. “Donne toi le temps de peser les choses, pour Arthur. Je veux dire, c’est peut-être pas la meilleure chose à faire de vouloir totalement l’oublier.” Il pourrait lui dire que son groupe d’amis se compose de célibataires de son âge, parfaitement gentils, parfaitement beaux, parfaitement potentiellement de futurs petits amis pour elle ; mais il ne le fera pas, parce qu’au fond de lui il pense que ce serait une terrible idée que de vouloir tourner la page de cette manière.

Greta tentait d’orienter la conversation vers un autre sujet que sa petite personne mais la maladresse prenait le dessus. “C’est un de mes meilleurs amis ici, ce n’est pas étonnant.” Swann avait balayé les doutes de la jeune femme en confirmant qu’il était logique que ce prénom l’ait marquée et elle avait souri, se laissant mener jusqu’à son futur logement en continuant à tenter de suivre le fil de la conversation. “Tu ne l’avais pas vu depuis un moment ?”  « Si, si. On se voyait encore régulièrement à Londres, elle n’est arrivée que cet été. Enfin cet hiver. » Et elle s’était mis les mains sur le visage. « En Juillet? » avait-elle conclu dans un rire alors même qu’elle savait bien que Swann saisissait ce qu’elle voulait dire. Ces courts moments de complicité, cette façon de se parler simplement et d’être elle-même suffisaient déjà à apaiser un peu ses maux alors elle tâchait de les faire durer. Évidemment, il aurait été mentir de dire que Maze et elle se voyaient toujours autant depuis que Greta avait officialisé sa relation avec Arthur et qu’elle était en sa compagnie la plupart du temps. La brune, comme beaucoup, avait su déceler la mauvaise idée que représentait leur couple et se tenait à l’écart du mieux qu’elle pouvait d’un petit-ami qu’elle n’approuvait pas. Tout semblait lui rappeler cette personne qu’elle s’efforçait d’oublier alors elle se concentrait sur le seul présent pour elle à cet instant précis. “J’espère être à la hauteur.” La remarque l’avait bien sûr fait sourire, comme s’il avait encore besoin de prouver quoique ce soit à la blonde. “Tu t’y feras, à force. On perd vite nos habitudes.” Et l’affirmation pouvait aussi bien concerner l’environnement que son ancienne vie de couple.[/size][/justify]

[justify][size=15]Ils étaient arrivés et leur présence dans son nouveau cocon lui permettait de se livrer et de s’effondrer à l’abri des regards. Alors elle l’avait questionné, cherchant à comprendre ou à se rassurer. “C’est pas la fin de quoi que ce soit, Greta.” Pourtant tout cela lui semblait bien être le point final de quelque chose, un trait tiré sur un avenir à deux. Haussant les épaules, elle laissait pourtant Swann tenter de la rassurer .“Non, bien sûr que non. On veut toujours croire en nos relations.” Evidemment qu’il ne pouvait pas lui dire qu’elle était stupide alors qu’elle se trouvait déjà au plus bas mais l’entendre la rassurer lui faisait du bien. Changer de direction, partir à la découverte de son nouvel environnement lui en procurait encore bien plus. “Tu es toujours aussi douée pour improviser des cocktails ?” « Toujours ! » avait-elle dit avec un air faussement assuré, se refusant de montrer au grand jour combien il avait ébranlé sa confiance en elle. Greta connaissait plus ou moins les goûts de Swann alors elle avait sorti deux verres et quelques ingrédients après de longues minutes de recherche dans la cuisine bien trop grande pour elle seule. Lui faisait comme chez lui et elle aurait détesté qu’il en soit autrement. Les excès avaient laissé quelques traces, évidemment. Greta était parfois agitée, nerveuse, et bien loin de qui elle était avant et elle se félicitait d’avoir su renoncer à la drogue aussi facilement et c’était peut-être parce qu’elle avait réussi à ne prendre cela que comme un jeu, pas comme une addiction. Par précaution et parce que sombrer à peine arrivée sur le sol australien aurait signé un nouveau départ raté, son cocktail était resté sans alcool. “Donne toi le temps de peser les choses, pour Arthur. Je veux dire, c’est peut-être pas la meilleure chose à faire de vouloir totalement l’oublier.” Il aurait pu la laisser sans réponse et continuer à faire semblant que tout allait bien, mimant ainsi le comportement de son amie. Mais les non-dits finiraient par la ronger alors il avait enchaîné. « Je sais bien que c’est ton ami et malgré tout j’ai pas envie de me plaindre de lui auprès de toi. » Parce que cela signifierait se rabaisser à son niveau et que Greta n’avait pas pour projet de briser l’image d’un garçon qui savait si bien le faire seul. Swann était de toute façon certes extrêmement gentil mais loin d’être naïf et manipulable, alors ses tentatives resteraient vaines. « Mais la façon dont tout ça s’est terminé… Ce serait une erreur que de lui redonner une chance. » Une erreur qu’elle s’empresserait probablement de commettre si une affreuse coïncidence le remettait sur son chemin mais la question ne se posait pas, alors elle irait de l’avant. Elle savait qu’elle devrait maintenant conjuguer avec cet ami devenu bien trop proche à présent qui était aussi celui de son ex car elle n’était pas prête à le perdre. Surtout pas à cause de lui. Un maigre sourire s’était dessiné sur son visage et elle avait baissé un instant la tête vers les verres pour reprendre ses esprits. « Je l’ai vraiment aimé, j’aurais jamais pensé dire ça la première fois que je l’ai rencontré mais c’est vrai. La question n’est même pas de savoir si je dois l’oublier ou pas, c’est de savoir si je pourrais l’oublier. » Peut-être qu’il était étrange pour Swann qui connaissait par coeur les travers d’Arthur d’entendre Greta en parler ainsi. Les deux étaient restés discrets parce qu’ils savaient que personne ne soutenait réellement leur couple et  « Ce genre de discours change de tout ce que les filles peuvent dire de lui normalement, hin ? » avait-elle ajouté en riant doucement, parce qu’ils étaient tous les deux bien au fait des déboires du garçon avec la gente féminine. Innocemment et pendant ces années, il avait réussi à lui faire croire qu’il était différent avec elle et qu’elle était une exception alors le retour à la réalité était difficile. « Allez, on la regarde cette série ? » C’était sa conclusion à ces quelques confidences qui lui avaient finalement fait du bien. Portant le cocktail à ses lèvres, elle avait lancé un regard complice à Swann avant de démarrer la télévision après de savantes recherches pour comprendre comment elle fonctionnait. Oui, Greta mettrait du temps à s’adapter, mais si elle restait aussi bien entourée, elle y arriverait.

Dans une tentative de calmer les tensions, Swann se contente de docilement proposer à ce qu’elle leur prépare des cocktails. Cela lui occupera l’esprit et les mains pendant un temps au moins, et c’est tout ce à quoi il aspire, parce que l’anglais estime que sa compatriote en a grandement besoin. Il ne reniera jamais l’amitié qu’il a nouée avec Arthur, mais c’est cette dernière qui lui permet au moins d’être bien placé, au point où il sait à quel point son ami peut parfois détruire beaucoup de choses chez autrui. Il est comme ça, même sans le vouloir. « Je sais bien que c’est ton ami et malgré tout j’ai pas envie de me plaindre de lui auprès de toi. » Son regard se dépose sur celui de Greta, à qui il dédie une moue désolée. “C’est justement parce qu’il est mon ami que je sais comment il réagit.” Pour les bonnes, comme pour les mauvaises choses. Il continuera toujours de l’apprécier, mais il sait que se tenir près d’Arthur signifie invariablement se retrouver blessé, pour une raison ou pour une autre.

« Mais la façon dont tout ça s’est terminé… Ce serait une erreur que de lui redonner une chance. » Elle le pense pour le moment, parce que les blessures parlent bien plus que tout le reste, mais Swann envisage déjà ce moment où, à l’avenir, elle remettra finalement en question ces quelques mots. Arthur a toujours des secondes, troisièmes, quatrièmes chances. Il obtient toujours ce qu’il veut, parce qu’il est doué pour ça, autant que parce qu’il en a besoin, parce qu’il est le premier à faire du mal à ceux qu’il aime le plus. Greta était en première ligne. « Je l’ai vraiment aimé, j’aurais jamais pensé dire ça la première fois que je l’ai rencontré mais c’est vrai. La question n’est même pas de savoir si je dois l’oublier ou pas, c’est de savoir si je pourrais l’oublier. » Il se racle la gorge et comprend enfin mieux que jamais ce qu’elle peut lui raconter: il n’aurait jamais pensé aimer Rory la première fois qu’il l’a rencontré, jamais plus que le façon dont on aime ses amis, et aujourd’hui l’idée de le perdre le rend malade. Il ne s’imagine pas une vie sans lui, et il comprend parfaitement que Greta peut avoir du mal à jongler avec un quotidien désormais dénué de toute trace d’Arthur. “Tu le peux, mais je vais pas te mentir: ça sera difficile et ça prendra du temps.” Il aurait été le premier à vouloir lui dire le contraire et à la rassurer, mais Swann est certain qu’il ne sert parfois à rien de mentir. Surtout alors qu’elle sera la seule à faire face à la réalité des choses, finalement. “Mais je suis là, maintenant.” Et elle sait qu’elle peut toujours faire appel à lui, pour quoi que ce soit, à toute heure du jour ou de la nuit. Désormais, il est là pour elle, à la hauteur dont elle en aura besoin.

Face à la dernière remarque de son amie, Swann ajoute un rire franc. « Ce genre de discours change de tout ce que les filles peuvent dire de lui normalement, hin ? » Pris de court, il ne sait faire autrement, mais il a au moins le mérite de lui répondre rapidement. “D’habitude, les gens passent directement aux insultes à son égard.” Il rétorque avec un sourire en coin, dans l’objectif de lui en décocher un à son tour, bien que ses mots n’en soient pas moins la vérité la plus pure et entière qui soit. « Allez, on la regarde cette série ? » Elle boit une première gorgée du cocktail et, à son tour silencieux, il en fait de même. Arthur sera toujours un poignard dans son cœur demain, elle pourra toujours lui parler à nouveau de lui quand elle en ressentira le besoin. Pour l’heure, il vaut mieux pour tout le monde de tenter de souffler un peu.