C'était quand même le bon plan, la bonne affaire. Ouvrir un café juste en face d'un hôpital c'était presque une idée de génie, parce que tout le monde savait pertinemment que les distributeurs des hôpitaux servaient des mixtures qu'il fallait vraiment être désespéré pour avaler. Le café avait le goût de soupe, et Hassan s'était déjà demandé une ou deux fois si en suivant cette logique la soupe avait le goût de café, mais il n'avait jamais poussé le vice assez loin pour tester cela lui-même. Il préférait traverser l'avenue et boire quelque chose de décent, et c'était presque devenu un rituel lorsqu'il avait un rendez-vous à passer ou une ordonnance à faire renouveler, il envoyait un "café ?" par sms à Yasmine et si elle répondait "café !" il traversait, allait en chercher deux, et essayait de servir à chaque fois à la serveuse un sourire un peu moins crispé et un peu moins forcé que la fois précédente, parce que sourire il en avait un peu perdu l'habitude. Ça reviendrait, parait-il, mais comme tout ce qui sortait de la bouche de sa psy Hassan n'y accordait que peu de crédit alors il se contentait de faire comme si il y croyait, par principe. Un gobelet dans chaque main il avait appuyé sur le bouton de l'ascenseur du hall avec son coude, attendu quelques secondes, et finalement toujours aussi peu patient il avait tourné les talons pour rejoindre la cage d'escalier et la passerelle intérieure qui reliait le bâtiment nord au bâtiment sud, au troisième étage. C'est là qu'il attendait généralement, un peu mal à l'aise lorsqu'il mettait les pieds dans le service où travaillait son amie, parce qu'il se sentait comme un chien dans un jeu de quilles au milieu de ces couples et de ces femmes enceintes qui, pour un certain nombre, respiraient la joie de vivre. L'air un peu ailleurs il observait à travers la vitre les allers et venus dans le hall trois étages plus bas, toujours avec cette impression que les autres s'activaient à cent à l'heure autour de lui et qu'il avait raté le wagon. Alors il restait là sur le quai, il attendait le prochain train, sans être certain qu'il passe un jour.
Un café et une discussion plus tard, de nouveau seul, il avait jeté un coup d’œil à sa montre en soupirant légèrement ; Il était moins tard qu'il pensait, il donnait un cours dans deux heures et demi, trop peu pour qu'il n'ait vraiment le temps de rentrer chez lui, mais trop pour qu'il ne se rende directement à l'université sans y tourner en rond un moment. Il fallait vraiment qu'il se trouve un moyen durable d'occuper son temps libre, un truc qu'il pourrait faire tout seul, un truc qui lui permettrait de se changer les idées. Cherchant des yeux une poubelle dans laquelle jeter son gobelet il avait rejoint la cage d'escalier cette fois-ci sans même envisager l'ascenseur, et descendant les trois étages sans se presser il avait tourné à droite une fois la dernière marche atteinte et ... pilé violemment, avant de faire trois pas en arrière et de retourner se cacher derrière l'angle du mur. Parce que là-bas, postée devant les portes de l'ascenseur et se tenant entre lui et le hall il y avait quelqu'un. Il y avait Joanne. Et ça, ça ce n'était absolument pas prévu ou même envisageable. Il mentirait s'il disait qu'il ne pensait jamais à la revoir, il y pensait souvent, trop sans doute, et c'était toujours une vraie bataille contre lui-même lorsqu'il qu'il descendait jusqu'à son prénom dans le répertoire de son téléphone ... Mais il renonçait, à chaque fois. Par peur sans doute, et un peu par honte, aussi, parce qu'il se disait qu'il avait suffisamment fait de dégâts, et parce qu'elle avait eu le temps de l'oublier, peut-être. Parfois il essayait de se raisonner en se disant qu'on ne pouvait pas oublier en un claquement de doigts quelqu'un avec qui on avait passé presque dix ans, parfois au contraire il se disait que ce serait peut-être plus simple comme ça, mais dans les deux cas cela restait du domaine de l'hypothèse à laquelle il n'avait pas encore trouvé le courage de se confronter, et ce courage-là il ne le trouverait pas subitement aujourd'hui. Se décollant du mur contre lequel il s'était adossé tandis que son cœur cognait dans sa poitrine et que ses oreilles bourdonnaient un peu, il s'était penché pour observer de nouveau à la dérobée du côté de l'ascenseur. Y'avait du monde dans le hall, mais il ne voyait qu'elle, Joanne et rien d'autre, et l'image se télescopait avec celle de la dernière fois qu'il l'avait vue, quand après avoir finalisé les papiers du divorce chez l'avocat il lui avait hélé un taxi et lui avait dit de faire attention à elle, en se disant que c'était probablement la dernière fois qu'il la voyait.
Il avait été pris de panique en la voyant quitter l'ascenseur pour rejoindre les escaliers, reculant et regardant autour de lui seulement pour réaliser qu'il n'avait aucun endroit où se dérober. Il ne pouvait que remonter les escaliers et espérer disparaitre dans un des étages, avec la petite voix dans sa tête pour lui répéter d'un ton moqueur qu'il était vraiment un dégonflé et un froussard, mais avant qu'il ne puisse se décider à décoller ses pieds du sol il était trop tard. Elle était là, en face de lui, et il n'était plus capable de dire ou de faire quoi que ce soit, pareil à un lapin pris dans les phares d'une voiture. Si retrouvailles il y aurait du avoir il ne les aurait pas souhaité ainsi, et surtout pas dans cet endroit.
Dernière édition par Hassan Jaafari le Lun 5 Oct 2015 - 16:12, édité 1 fois
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie voulait à tout prix l'accompagner. Mais il ne s'agissait que d'aller récupérer quelques ordonnances. Elle lui avait annoncé sa grossesse il y a quelques jours de cela. Depuis, il était plus qu'un homme comblé. Cela faisait tellement plaisir à la jeune femme de le voir si enthousiaste, si heureux. Il y avait cette étincelle en plus dans son regard qui traduisait absolument tout. Cette nouvelle ensoleillait les journées de la jeune femme. Oui, il y avait encore la fatigue, les quelques nausées. Sur le plan clinique, cela n'avait rien changé. Mais le moral, lui, avait viré du tout au tout. Elle devait se rendre à l'hôpital et voir son médecin qui s'occupe d'elle depuis qu'elle avait fait son premier malaise et sa fausse-couche, le Dr. Winters. "Nerveuse pour l'échographie ?" lui demanda-t-il en tentant les prescriptions médicales. Il s'agissait principalement d'antalgiques et de traitements pour les nausées. Joanne acquiesçait d'un signe de tête discret en pliant les feuilles de papier et en les mettant avec précaution dans son sac à main. "Pour le moment, tout laisse à croire que ça va bien se passer, Joanne. Vous savez que tout ces examens sont prévus pour vous et le petit." Elle avait ses raisons de ne pas être sereine, après tout. "Attendons la première échographie avant de verser des larmes, d'accord ?" Nouvel hochement de tête. La jeune femme serra chaleureusement la main de son médecin en le remerciant avant qu'elle ne quitte son bureau de consultation. La belle blonde regagnait le hall afin de sortir de l'établissement et rentrer à la maison. Elle envoyait un message un Jamie pour l'en informer et ne se gênait pas d'y glisser également quelques mots d'amour. A peine arrivée devant les portes de sortie qu'elle stoppa net. Elle avait oublié de poser une question à son médecin. Ce n'était pas forcément existentiel, mais elle voulait avoir une réponse. C'était au sujet de sa grossesse, bien évidemment. Retournant les talons, elle se posta devant l'ascenseur. Il y avait bien d'autres personnes qui attendaient la même chose qu'elle. Constatant qu'elle était loin d'être la plus invalide de ceux qui attendaient, Joanne décida d'emprunter les escaliers. Et là. Oui juste là. La jeune femme ne bougeait, avec un visage exprimant à la fois la surprise et la stupéfaction. Au début, elle pensait que ça pouvait être quelqu'un d'autre, qu'il lui ressemblait étrangement. Mais elle connaissait pas coeur les traits de son visage et ce serait se mentir à elle-même si elle disait que ce n'était pas vraiment. Sans s'en rendre compte, elle fit un léger pas en arrière, quelque peu sur la réserve. Elle ne savait pas combien de temps de minutes ils étaient tous les deux restés plantés là, à se regarder. Plus d'un an et demi qu'ils ne s'étaient pas vus. Eux qui avaient toujours apprécié discuter ensemble, pendant près de dix ans de vie commune, voilà qu'ils étaient incapables de trouver leurs mots. Joanne pensait qu'elle ne le reverrait plus jamais, qu'il avait fait sa vie ailleurs. Rencontrer une autre femme, pourquoi pas se fiancer avec, avoir aussi un bébé en cours de route. C'était un bel homme, après tout. La surprise était qu'il se trouvait toujours à Brisbane. Que fallait-il dire pendant de telles retrouvailles ? Se comporter comme si de rien n'était ? Régler les comptes s'il y en avait ? Reconstruire une relation quelconque ? Joanne n'en savait fichtrement rien. "Hassan..." dit-elle à voix basse, comme si évoquer son nom lui permettait de réaliser qu'il était vraiment là, juste en face d'elle. "Je ne m'attendais pas à te voir ici." finit-elle par dire, d'une voix toute timide et douce. En disant ici, elle pensait surtout à Brisbane. Ce n'était qu'après qu'elle pensait à la singularité de leur lieu de rencontre. Il y avait certainement beaucoup de choses à se dire, l'un comme l'autre. Mais Joanne avait toujours horreur des confrontations, peu importe la manière dont elles se manifestaient. Sa panique lui serrait la gorge, faisait accélérer son rythme cardiaque. "Je... Je devrais peut-être y aller."
C'était bien un endroit qu'il finissait par connaître comme sa poche alors qu'il aurait préféré qu'il n'en soit jamais ainsi, cet hôpital. L'odeur aseptisée dans les couloirs ne le faisait même plus tiquer, certains visages lui était familiers, et il parvenait même à trouver les espaces verts apaisants à l'extérieur. Probablement parce qu'après avoir passé plusieurs semaines enfermé trois pauvres allées de gazon et quelques pissenlit ça suffisait à faire son bonheur. Mais là il arrivait à saturation maintenant, et il attendait avec impatience le jour où il n'aurait plus besoin de remettre les pieds ici ... pas demain la veille, probablement, mais ça ne l'empêchait pas de croiser les doigts derrière son dos comme un môme à chaque fois que le médecin fixait la date de leur prochain rendez-vous. En attendant de pouvoir s'en passer il n'était en tout cas pas assez kamikaze pour prendre le risque de louper un rendez-vous médical, à certains moments Hassan donnait peut-être l'impression de ne plus se préoccuper qu'en dilettante de sa santé, mais en réalité il restait un patient docile. Le genre qui gobait sans se poser de questions les cachets qu'on lui prescrivait, et qui venait quand on lui disait de venir sans discuter ou faire le difficile. Il avait l'habitude maintenant, c'était réglé comme du papier à musique, et pourtant lorsqu'il avait descendu l'escalier et posé les yeux sur Joanne la partition réglée au millimètre s'était transformée en grain de sable dans la machine. Il ne savait pas quand il se serait décidé à la chercher par lui-même, il ne savait même pas s'il aurait fini par trouver le courage suffisant, mais s'il en était arrivé à cette décision il aurait pris le temps de se faire à l'idée, de s'y préparer, de chercher quoi dire ... Là il ne trouvait rien. Il avait passé presque une décennie avec elle et il n'était même pas fichu de former une phrase. « Hassan ... » Il avait dégluti en silence, perturbé parce qu'elle avait toujours eu une façon bien à elle de prononcer son prénom, et qu'il avait toujours trouvé ça mignon. Sauf que cela avait une toute autre résonance maintenant, et tandis qu'elle avait ajouté « Je ne m'attendais pas à te voir ici. » il s'était entendu répondre sans prendre le temps de réfléchir à quelque chose de plus intelligent « Ouais, hm, je passais voir une amie. » Hassan n'avait jamais été doué pour le mensonge, à vrai dire il était plutôt le genre dont l'absence de sincérité se lisait presque toujours sur son visage, alors il évitait. Mais là ce n'était pas vraiment un mensonge, dans un sens, alors il parvenait à se donner bonne conscience. Mais vraiment, cela faisait un an et demi qu'ils ne s'étaient pas vu, et c'était tout ce qu'il trouvait à lui dire ? Elle-même devait trouver cela un peu pathétique, puisque d'un ton un peu plus précipité que la seconde d'avant voilà qu'elle avait repris « Je ... Je devrais peut-être y aller. » Il avait senti un léger pincement dans son abdomen, et sa gorge se serrer un peu tandis qu'il avait l'impression qu'elle lui échappait déjà. Comme le sable qui glissait entre les doigts, et d'ailleurs tandis qu'elle le contournait pour atteindre les premières marches de l'escalier il s'était exclamé sans réfléchir « Joanne attends ... ! » tendant une main vers la sienne comme pour l'attraper machinalement, mais se rétractant à peine avait-il frôlé ses doigts, se rendant compte de sa bêtise. Ou si l'on pouvait appeler cela ainsi. Plongeant la main dans la poche de son blouson pour tenter de se donner une contenance il avait repris de manière plus incertaine « Est-ce que ... tout va bien ? » La question n'était pas posée par hasard, dans un vague espoir d'essayer de faire la conversation, mais bien parce que tout comme il avait conclu qu'elle ne s'attendait pas à le voir ici, sous-entendu dans cet hôpital, ce n'était pas non plus là qu'il aurait imaginé retomber sur elle. Il ne s'imaginait pas poser la question clairement, bien sûr, mais cela n'empêchait pas la petite voix dans sa tête d'enclencher malgré lui le mode inquiétude. Et puis, après quelques secondes à se repasser sa propre question mentalement, il réalisait qu'elle était sans doute déplacée, peu importe qu'elle ne soit pas pavée de mauvaises intentions. « Désolé, je ... c'est juste pas ici que j'espérais te revoir. » Mais il espérait quand même que ce soit le cas à un moment ou un autre, donc, et de toute évidence son inconscient était plus à même que lui de l'avouer à voix haute.
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I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
La situation était véritablement étrange, Joanne ne se sentait vraiment pas à l'aise. Elle ne savait plus quoi penser. La dernière que leurs regards s'étaient croisés, c'était juste après avoir signé les derniers papiers du divorce. Elle n'avait jamais cherché à connaître les raisons qui avait poussé son ex-mari à en arriver là, elle ne savait pas vraiment si elle voulait le savoir. Dans tous les cas, Joanne se rejetait la faute, étant persuadée qu'elle ne lui suffisait pas, qu'elle n'en faisait pas assez, qu'elle ne lui correspondait plus. Elle n'irait jamais reprocher quoi que ce soit à Hassan. Parce que c'était Joanne, et qu'elle pensait de cette manière. Ca avait même fini par la ronger, la dévorer, au point de faire sa première année de célibat un véritable enfer. Elle avait perdu goût aux sorties, sa meilleure amie ou sa soeur devait l'y forcer. Elle s'isolait beaucoup, avait perdu toute estime et toute confiance en soi. L'arrivée inattendue de Jamie dans sa vie lui avait permis de sortir la tête de l'eau. Son fiancé la poussait énormément à se valoriser, lui faire rendre compte qu'elle était bien plus qu'elle ne l'imaginait. Il y travaillait encore, bien que les progrès avaient été plus que considérables en l'espace de quelques mois. Hassan disait qu'il avait voir une amie. Joanne sourit faiblement, se demandant si cette amie était en fait sa compagne. Il avait certainement reconstruit sa vie. Il avait tout pour plaire, ça ne devrait pas être difficile pour lui. Elle était tellement naïve qu'elle gobait absolument tout. "J'espère qu'elle va bien." dit-elle en toute politesse. Si elle était hospitalisée, on ne pouvait que lui souhaiter ceci. Le malaise grandissant, et ayant cette peur des confrontations et des aveux, Joanne préférait vite partir avant que tout ne devienne encore plus gênant. Elle engagea le pas, mais Hassan lui demandait de rester, frôlant à peine ses doigts. Il voulait certainement la retenir par la main. Il était encore un peu trop tôt pour n'importe quel type de contact physique. Joanne ne se retourna que d'un quart, avec un regard qui le suppliait presque de ne pas remuer le couteau dans la plaie. Est-ce que tout allait bien ? La question était on ne peut mieux choisi en sachant le lieu de leurs retrouvailles. Elle déglutit difficilement sa salive avant de sourire un peu plus franchement. "Ca va... mieux, oui." A peine la réponse dite, elle se maudissait d'avoir utilisé le mot mieux plutôt que bien. Elle ne cherchait pas à le faire culpabiliser, elle n'avait aucune mauvaise intention envers lui bien que ça aurait pu être un sentiment des plus légitimes. "Je...Je devais juste aller voir mon médecin pour quelques ordonnances." Elle n'allait pas déjà lui parler de sa grossesse. Sinon elle serait forcément contrainte de parler de leur enfant qui n'aura jamais vu le jour, perdu quelques jours après la signature des papiers. "J'ai... beaucoup de nausées ces derniers temps, c'est assez désagréable." L'explication lui semblait correcte. Les nausées voulaient tout ou rien dire, annoncer une bonne nouvelle comme une mauvaise. Mal à l'aise, Joanne glissait une mèche de cheveux derrière l'une de ses oreilles avec quelques doigts. Son ex-mari s'excusa, avouant être perturbé de se revoir dans un endroit pareil. Néanmoins, la tournure de la phrase qu'il avait choisi l'avait interpellé. De sa voix douce, sans un seul soupçon d'accusation et de reproche, elle lui demanda. "Tu espérais me revoir ?" Drôle de chose à dire alors qu'ils ne s'étaient pas vus depuis plus d'un an et demi. Ce n'était qu'à ce moment là que Joanne se rendait compte à quel point la plaie était encore bien fragile. Elle était si perturbée qu'elle n'avait même pas essayé de dissimuler sa bague de fiançailles -qui était hors de prix, elle n'avait même pas cherché à en deviner sa valeur. "Je suis désolée. J'avoue manquer de mots." dit-elle, toute gênée. Joanne avait cette soudaine idée en tête que ça devait être elle qui devait engager le pas, essayer de se rattraper, étant donné qu'elle s'accusait de tout ce qu'il s'était passé. Après quelques minutes d'hésitation, elle finit par lui proposer. "Est-ce que... ça te dit d'aller boire un café, juste à côté ?" Bien que Joanne ne buvait pas de café, c'était l'expression habituelle pour ce genre de choses. Elle bégayait beaucoup, se demandant si c'était vraiment la proposition la plus appropriée. "Ce sera peut-être moins embarrassant pour parler que... qu'ici." Près d'un escalier, dans un hôpital qui grouillait en permanence de tout type de personnes. Il y avait toujours des oreilles qui traînaient par là.
Les choses ne tenaient parfois vraiment à rien ou presque. Il aurait pu avoir cours ce matin et ne venir que demain, il aurait pu être pressé et ne pas prendre le temps de boire un café avec Yasmine, et il aurait même pu redescendre de la passerelle par l'autre bâtiment ... Et dans toutes ces éventualités là il ne serait pas tombé sur Joanne. Pendant une période de sa vie Hassan était persuadé que rien n'arrivait jamais par hasard, même la mort de ses parents il avait fini par y trouver un sens et par se dire que c'était ce qui avait forgé la relation qu'il avait avec son frère. Mais sa leucémie il n'avait pas réussi à y trouver un sens, il n'y avait vu qu'un immense pied de nez du karma qui l'avait d'abord mis six pieds sous terre quand il essayait de garder la tête hors de l'eau, avant de le faire aller mieux juste au moment où il commençait à accepter son sort et à envisager sa mort avec philosophie. Et ça non plus il ne comprenait plus, sa guérison, cette décision quelque part là-haut de lui donner une occasion de vivre encore un peu quand enfin il avait accepté le fait de s'être délesté de tout ce qui donnait un sens à sa vie. A commencer par Joanne, qui si depuis qu'il la connaissait provoquait un sourire chaque fois qu'il posait les yeux sur elle, ne lui donnait aujourd'hui que ce mélange d'amertume et de désillusion qu'il n'aurait jamais imaginé ressentir un jour en la regardant. Et ce qui le rendait le plus amer dans tout ça, c'était de se dire qu'il était le seul responsable, et qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. C'était douloureux, pour lui assurément, pour elle il ne saurait le dire, et c'était d'autant plus déroutant que ce n'était pas dans cet hôpital qu'il s'attendait à la revoir. Arrangeant d'ailleurs la vérité quant à la raison de sa propre présence ici, il s'était senti malgré tout un peu gêné lorsqu'elle avait répondu « J'espère qu'elle va bien. » et n'avait pu que se contenter de secouer la tête de manière affirmative sans oser rien répondre. Et du coup il ne savait pas si c'était elle qui fuyait, ou bien si c'était lui qui en se montrant si peu loquace la faisait fuir.
Il avait tenté de la retenir, un peu maladroitement, partagé entre l'angoisse irraisonnée de la voir lui glisser entre les doigts à nouveau, et le fait que si lui avait ses propres raisons d'être dans cet hôpital probablement qu'elle aussi. « Ça va... mieux, oui. » Mieux ? « Je ... Je devais juste aller voir mon médecin pour quelques ordonnances. J'ai ... beaucoup de nausées ces derniers temps, c'est assez désagréable. » Il ne savait pas si c'était supposé le rassurer, mais en vérité cela donnait plutôt l'effet inverse. Et en même temps il ne se sentait pas le droit de poser la moindre question supplémentaire, surtout compte tenu de l'énorme mensonge par omission dont il s'était lui-même rendu coupable en terme de santé. « Oh, d'accord ... enfin l'important c'est que tu ailles bien. Mieux. » Il se sentait tellement stupide qu'il ne lui manquait plus que la pelle pour creuser et pouvoir s'enterrer. Comment pouvait-il en arriver à être aussi gauche face à quelqu'un avec qui il avait autant partagé ? Est-ce qu'il avait changé à ce point-là ? Ou bien c'était elle qui avait changé. Il ne savait pas trop, il n'était même pas certain de vouloir savoir, et puis s'il avait fini par trouver le courage de la recontacter ça n'aurait pas été ici, pas en coup de vent et dans un tel endroit ... ce n'était pas ça, les nouveaux souvenirs qu'il voulait avoir d'elle. « Tu espérais me revoir ? » Il avait dégluti lentement, un peu pris au dépourvu par la question parce que la réponse lui semblait couler de source, évidemment qu'il espérait la revoir. Il n'était pas stupide, il savait qu'il avait tout gâché et qu'il ne reviendrait pas en arrière, jamais ... mais il pensait à elle tous les jours, malgré tout. Il ne pouvait pas s'en empêcher. « Oui. » avait-il donc fini par avouer, à voix basse, détournant un peu les yeux parce qu'il se sentait un peu bête. « Je savais juste pas comment te ... c'était compliqué. Ça faisait longtemps. Je savais même pas si tu serais encore à Brisbane. » Et il ne savait pas non plus si il serait le bienvenu, surtout, dans une vie qu'elle avait probablement eu le temps de refaire. Du moins une partie de lui l'espérait, qu'elle n'avait pas passé un an et demi à être malheureuse à cause de lui. « Je suis désolée. J'avoue manquer de mots. » Il avait fini par relever les yeux vers elle, et par croiser son regard gêné tandis qu'il secouait légèrement la tête « Le soit pas, c'est moi qui suis désolé. » Et désolé de beaucoup de choses, bien plus qu'il n'avait la possibilité de le dire. Mais dans l'immédiat il était désolé de la mettre mal à l'aise, désolé de se montrer si gauche avec elle.
Après un nouveau silence qui aurait pu durer trois secondes comme une éternité, pour autant qu'il sache, et durant lequel il était à deux doigts de s'insulter mentalement tant cette tendance au silence et au manque de conversation ne lui ressemblait pas, ce fut Joanne qui finalement pris la parole à nouveau. « Est-ce que ... ça te dit d'aller boire un café, juste à côté ? » Il s'en voulait un peu que ce soit elle qui trouve le courage de faire le premier pas, de proposer, de faire de véritables phrases, alors que le responsable de cette situation c'était lui. Elle était plus courageuse que lui, en fin de compte, mais ça il avait déjà eu une année et demi pour le réaliser et pour cogiter dessus, alors il le savait. « Ce sera peut-être moins embarrassant pour parler que ... qu'ici. » Il s'apprêtait déjà à acquiescer, sans avoir besoin de réfléchir plus longuement à la proposition, et seulement à cet instant son regard avait été attiré par la lueur qui brillait au doigt de Joanne. Sans mentir, il était persuadé d'avoir sentir son cœur louper un battement avant de se serrer dans sa poitrine ... Mais en même temps à quoi s'attendait-il ? Y'avait toujours la partie raisonnable de son cerveau pour lui répéter qu'au fond il le savait, et que c'était mieux comme ça parce qu'une femme comme Joanne ne méritait pas de rester toute seule. Mais la petite voix dans un coin de sa tête, celle toujours prompte à l'enfoncer et à verser du sel sur ses plaies, riait bien en sentant l'amertume et le goût de la déception dans sa bouche. « Écoute, je ... tu as sans doute des choses à faire là-haut, je veux pas te mettre en retard. » Il essayait de prendre un peu sur lui, de se secouer pour arrêter d'avoir l'air un ado qui bégayait devant son premier crush, il avait conscience d'être totalement ridicule, encore plus maintenant. « Je vais aller me poser au café et commander un truc. Si tu me rejoins ça me fera plaisir, et si tu ne viens pas ... c'est pas grave. Je t'en voudrais pas. » Il avait pincé ses lèvres l'une contre l'autre avec hésitation. C'était difficile à expliquer, mais il essayait de lui donner une porte de sortie, un moyen de se défiler si une fois qu'il avait le dos tourné elle regrettait d'avoir fait cette proposition simplement pour se montrer polie. « Promets-moi juste de ne pas venir si tu n'en as pas envie. » Il avait esquissé un vague sourire, sans qu'on puisse trop décider s'il était plutôt triste ou simplement résigné, et à défaut de se permettre le moindre geste d'affection même anodin à son égard il lui avait adressé un signe de tête comme pour la saluer, avant de tourner les talons et de quitter la cage d'escalier.
Il avait suivi à la lettre ce qu'il venait de dire, et quittant finalement le hall de l'hôpital il avait traversé la rue et était allé s'installer à une table au café d'en face. Il faisait beau, et parce que la sensation somme toute banale du soleil contre sa peau faisait partie de ces petits plaisirs qu'Hassan ne prenait plus à la légère, il avait décidé de s'installer en terrasse plutôt qu'à l'intérieur. Plutôt qu'un café il avait commandé un thé, parce que même s'il se laissait tenter par un café une fois de temps en temps, comme tout à l'heure, sa préférence avait toujours été pour le thé. Il tenait cela de ses parents, assurément, en grands consommateurs de thé qu'ils étaient comme une majorité des iraniens. Il n'y avait pas touché cette fois-ci pourtant, il laissait l'eau bouillante fumer dans la théière posée devant lui sans y prêter trop attention ; Sans doute parce qu'il était trop occupé à suivre des yeux chaque silhouette qui traversait sur le passage piéton en cherchant la cascade de cheveux blonds qu'il attendait. Il n'osait pas regarder sa montre pour voir depuis combien de temps il attendait, peut-être que cela faisait cinq minutes, peut-être que cela faisait trois quarts d'heure, et même s'il n'en voudrait pas une seconde à Joanne de ne finalement pas venir il ne pourrait pas s'empêcher d'être déçu. Parce que si elle ne venait pas ce serait terminé pour de bon, il ne trouverait jamais plus le courage de chercher à la recontacter et il resterait avec ce sentiment d'avoir gâché une relation dans laquelle il avaient beaucoup donné, tous les deux.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
C'était comme s'ils ne s'étaient jamais connus. Comme s'ils ne se connaissaient plus. Pourtant, chacun connaissait les habitudes de l'autres. Sa couleur préférée, ses péchés mignon, ses centres d'intérêts, ses valeurs, ses goûts. Leurs longues années passées ensemble les avaient permis de se connaître pratiquement sur le bout des doigts. Mais tout ceci n'avait pas suffi à éloigner le divorce de leur couple. Joanne se demandait encore à ce moment là ce qu'elle avait pu faire de mal pour qu'Hassan ne veuille plus être son mari. Bien que depuis le début de sa relation avec Jamie, elle ne le faisait plus, elle ressassait très souvent tous les moments de leur vie de jeunes mariés, à se demander où elle avait tout ruiner. Elle avait fondé plusieurs théories farfelues qui étaient claires pour elle. Pour d'autres, cela n'avait ni queue ni tête, et c'était le cas. Une sorte de paranoïa mêlé à l'angoisse s'était profondément inscrite depuis les signatures de papier. Un mélange qui lui faisait faire souvent des crises de panique, qui lui faisait douter d'absolument tout, qui l'empêchait de faire confiance à qui que ce soit. Hassan disait qu'il voulait la revoir. Un oui qui touchait Joanne. Il ne savait pas comment s'y prendre, ni même si elle était restée dans les parages. "J'ai... J'ai toute ma vie, ici. Je ne pense pas que j'aurai été capable de reconstruire toute une vie ailleurs." Elle n'y serait certainement jamais parvenue. Joanne, au milieu d'une ville entière qu'elle ne connaissait pas, seule. Elle n'aurait pas tenu le choc, pas dans l'état dans lequel elle était depuis le divorce. La jeune femme était et resterait toujours quelqu'un de très fragile. Joanne avait pris l'initiative de faire avancer la conversation, qu'elle serve à quelque chose. La situation était plus qu'inconfortable pour elle, son rythme cardiaque le lui faisait clairement comprendre. Joanne s'attendait à un refus ou une affirmation, pas à ce qu'il lui laisse finalement le choix de le rejoindre ou non. C'était gentil de sa part. "Je te le promets." dit-elle doucement, le regardant avec un très faible de sourire. Après un simple signe de tête, il fit demi-tour et se rendit au lieu de rendez-vous prévu. Joanne expira profondément, relâchant le surplus de pression et d'angoisse qu'elle avait accumulé en elle. Une surprise de bien mauvais goût, quoi qu'elle était contente de savoir qu'il se portait bien. Elle se prit quelques secondes afin de se détendre un peu, d'inspirer et d'expirer lentement. Réengageant le pas, elle retourna donc voir son médecin pour aller lui demander une information. Ca ne prenait que quelques minutes. Elle salua le Dr. Winters et descendit d'un étage, à pied. Là, dans l'un des couloirs, Joanne ressentait le besoin de s'asseoir, sentant ses jambes faiblir. Il fallait bien qu'elle retourne le voir, elle s'y sentait obligée. Hassan avait dit qu'il ne lui en voudrait pas , mais si elle lui posait un lapin, elle s'en voudrait à elle. Qu'allait-elle dire à Jamie ? Cette question là lui hantait aussi. Il réagirait mal, forcément. Rien que le fait de savoir qu'il était involontairement revenu dans la vie le mettrait hors de lui. Et Joanne serait incapable de lui cacher quoi que ce soit à ce sujet. Mais, il y avait des choses qui devaient être réglées avec Hassan, elle ne savait pas encore tout à fait quoi. Au bout d'une dizaine de minutes, prenant son courage à deux mains, elle se leva et descendit afin de sortir de l'hôpital. Elle marchait dans la rue, jusqu'à arriver au café où ils devaient se retrouver. Sans surprise, Hassan était à l'extérieur, son thé déjà servi. Il avait toujours eu un goût prononcé pour cette boisson chaude. Joanne avait la gorge serrée, elle était terriblement nerveuse. Attendant quelques secondes debout, elle lui sourit faiblement. Un serveur l'invita ensuite très rapidement à s'installer, ce qui la dérouta un peu. On lui demandait ce qu'elle désirait boire. v"Un chocolat chaud, s'il vous plaît."[/color] dit-elle avant que l'employé n'aille le préparer à l'intérieur. Joanne déposa son sac à ses pieds. Que dire ? Que faire ? Elle jouait nerveusement avec ses doigts, comme elle le faisait systématiquement lorsqu'une situation la mettait mal à l'aise, lorsqu'elle commençait à paniquer ou à stresser. Autant tourner autour du pot, parler de sujets courants et pas trop embarrassants. Bien qu'au fond, Joanne savait qu'ils allaient finir par y arriver. "Je travaille toujours au même musée." commença-t-elle timidement. "Il... Il est même en train d'être agrandi, une nouvelle salle va ouvrir, pour pouvoir exposer davantage d'oeuvres et d'expositions." Le serveur vint ramener la tasse commandée à la jeune femme, qui le remercia. "Nous sommes loin des journées calmes et silencieuses à cause des marteaux-piqueurs, mais..." Joanne s'arrêta soudainement, se sentant bien stupide de commencer à se plonger là-dedans alors que ce n'était pas le genre de conversation avait lieu d'être. Son visage semblait progressivement plus perdu, plus triste, elle n'osait pas le regarder. "Qu'est-ce que nous sommes censés faire, Hassan ?" demanda-t-elle, d'un ton plus qu'hésitant. "Que suis-je censée te dire ?" Rien ne les avait préparé à de telles retrouvailles. Ils devaient être tout aussi perdus l'un que l'autre.
C'était une question qu'il s'était déjà souvent posé, ou plutôt une solution qu'il avait souvent envisagé, le fait que Joanne ait pu déménager ailleurs. Peut-être pour rejoindre son frère, par exemple, il ne savait pas trop ... Au fond c'était peut-être juste une éventualité qu'il gardait dans un coin de sa tête comme une façon de se rassurer et de se dire que s'il n'avait pas le courage de découvrir lui-même ce qu'elle était devenue c'était peut-être parce qu'elle était maintenant trop loin pour que cela ait une quelconque importance. Mais tout ça n'était qu'une énième manière irrationnelle de se rassurer, et en fin de compte il n'était pas étonné qu'elle lui réponde « J'ai ... J'ai toute ma vie, ici. Je ne pense pas que j'aurai été capable de reconstruire toute une vie ailleurs. » Il comprenait aisément le raisonnement, pour la simple et bonne raison qu'il ne s'en sentirait probablement pas capable lui non plus. Il y avait songé pourtant, quand le médecin lui avait confirmé officiellement sa rémission c'était même une des premières éventualités qu'il avait envisagé : quitter Brisbane, et repartir du bon pied ailleurs. Pourquoi pas à Sydney, pour se rapprocher de Qasim et voir son neveu et sa nièce un peu plus souvent ? Il avait même songé à l'Iran, à postuler à la Tehran International School ... et puis finalement il était toujours là. Avec la sensation que quelque chose le retenait malgré tout à Brisbane et qu'il ne pouvait simplement pas s'en détacher, sans doute parce que de nature trop nostalgique Hassan ne parviendrait pas à se séparer d'un endroit dans lequel il comptait autant de souvenirs, qu'ils soient bons ou moins bons.
C'était même pratiquement tout ce qui lui restait, des souvenirs, particulièrement lorsqu'il regardait Joanne et qu'il se rendait compte qu'elle était monté dans un train pendant que lui était resté sur le quai. Elle avait avancé, comme en témoignait la bague qui brillait à son doigt, pendant que lui s'était contenté de faire du surplace pendant un an et demi et maintenant ils en étaient là, à se regarder en chien de faïence sans savoir quoi se dire parce qu'ils savaient qu'ils n'étaient plus en adéquation. Il s'attendait presque à ce qu'elle le plante là, lui murmure un bonne continuation ou un à un de ces jours et tourne les talons sans remord ni regret ; Il ne lui en aurait même pas voulu. Il en aurait été blessé, meurtri assurément, mais il n'aurait pas pu l'en blâmer parce qu'il n'oubliait pas que cette situation c'était lui et lui seul qui l'avait provoquée. Alors il avait été surpris qu'elle lui propose d'aller s'installer au café d'en face, et une partie de lui continuait de croire que c'était simplement sa gentillesse exacerbée et sa manie de ne pas vouloir vexer qui que ce soit qui la poussait à le faire. Et il ne voulait pas de ça, ils se connaissaient trop bien pour céder à ce genre d'hypocrisie ; Il l'attendrait lui, parce qu'il avait la faiblesse de vouloir s'accrocher à la moindre petite chose encore à sa portée, mais il ne voulait pas la voir venir simplement parce qu'elle s'y sentait obligée. « Je te le promets. » qu'elle lui avait pourtant assuré, et quelque part cela lui suffisait parce que le temps qui avait passé ne changeait rien à la confiance aveugle qu'il pouvait avoir en elle. Mais c'était aussi un risque plus grand qu'elle ne vienne pas, au fond, et tandis qu'il la détaillait une dernière fois du regard tout en évitant soigneusement de poser les yeux sur la main à laquelle brillait la preuve d'une promesse qu'elle avait fait à un autre, il ne pouvait pas s'empêcher de vouloir imprimer l'image dans son esprit au cas où il ne la verrait pas.
Il avait attendu patiemment pendant ce qui lui avait semblé être une éternité, ses émotions jouant au yoyo et alternant entre espoir et résignation à une vitesse déraisonnable jusqu'à ce qu'il la voit traverser la route. Certaines habitudes ne l'avaient pas quitté, à commencer par le fait qu'il peinait à détacher ses yeux d'elle dès qu'elle apparaissait son champ de vision, mais réalisant que la fixer ainsi pouvait maintenant paraitre déplacé il avait secoué vaguement la tête pour tenter de retrouver un semblant de contenance, tandis qu'elle prenait place à côté de lui et commandant un chocolat. Et maintenant ? Ils n'étaient pas plus avancés, il n'y avait pas de manuel pour ça, pour savoir comment se comporter avec la personne qu'on avait aimé avant de devoir tirer un trait sur elle. Et en même temps il la voyait s'agiter à côté de lui, faire ce truc qu'elle faisait avec ses doigts lorsqu'elle était nerveuse, et finalement prendre la parole avec une incertitude difficile à ignorer. « Je travaille toujours au même musée. Il ... Il est même en train d'être agrandi, une nouvelle salle va ouvrir, pour pouvoir exposer davantage d'oeuvres et d'expositions. Nous sommes loin des journées calmes et silencieuses à cause des marteaux-piqueurs, mais ... » Il le savait déjà tout ça, ou du moins vaguement, il avait lu un article à ce sujet dans le journal le mois dernier. Il se souvenait même avoir imaginé l'excitation probable de Joanne à ce sujet et l'enthousiasme avec lequel elle lui en aurait parlé s'ils avaient toujours été mariés. « Certains soirs ça m'arrive encore, quand je rentre de l'université. Je fais un détour et je passe devant le musée, sans réfléchir. Je te cherche des yeux, dans ce trench bleu que tu avais à une époque, comme si ... » Il n'avait pas terminé sa phrase, finalement, et s'était contenté de baisser les yeux d'un air penaud sur sa tasse de thé. Il ne savait même pas pourquoi il lui disait ça, cela n'avait aucun sens « Je sais pas. C'est stupide. » avait-il même fini par conclure à voix basse avant de porter sa tasse à ses lèvres et de remarquer que sa boisson était maintenant tiède, à force qu'il la fixa sans la boire.
Il avait l'impression d'une discussion qui sonnait creux, parce que pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient ils étaient sur deux longueurs d'ondes totalement différentes. Elle avait évolué et lui non, elle avait avancé et lui n'avait fait que du surplace ... et puis ils avaient changé, tous les deux. Il le voyait quand il la regardait, il ne saurait pas dire quoi précisément mais quelque chose chez elle avait changé, à moins que ce ne soit ses souvenirs qui lui jouent des tours. Lui aussi avait changé indéniablement, il avait perdu cette lueur insouciante qui donnait parfois l'impression d'avoir affaire à un môme dans un corps d'adulte, et discrètement autour de ses tempes quelques cheveux avaient commencé à grisonner un peu. « Qu'est-ce que nous sommes censés faire, Hassan ? » Il avait relevé les yeux vers elle en silence, ne sachant pas si elle attendait véritablement une réponse à cette question « Que suis-je censée te dire ? » Il la fixait sans rien dire, se sentant comme le gamin à qui on demandait d'expliquer une bêtise mais qui n'avait aucune excuse ou justification valable à donner. Reposant sa tasse sur la table il avait haussé vaguement les épaules « Je ne sais pas. » C'était ça la vérité, elle ne savait pas mais lui non plus. « Certains jours j'ai l'impression qu'on était encore mariés il y a une semaine ... » Comme s'il n'avait pas vécu, depuis cette époque, et métaphoriquement c'était pratiquement le cas. Il n'avait pas eu le temps d'avancer dans sa vie, déjà trop occupé à tenter de rester en vie, justement. « Et puis y'a d'autres jours où j'ai l'impression de ne plus avoir été le Hassan de cette époque-là depuis une éternité. » Il ne l'était plus, de toute façon, ça c'était une certitude. Et cela faisait partie des choses dont il n'avait probablement pas encore fait le deuil ; Il n'avait pas fait le deuil de son divorce, c'était déjà une certitude, mais il n'avait pas non plus fait le deuil de la personne qu'il était à l'époque, celle qu'il aimait être, et qu'il ne serait plus. Du moins c'était l'interprétation de sa psy, et Hassan avait beau ne pas vraiment l'apprécier il ne pouvait pas nier que ses analyses se révélaient souvent plus justes qu'il ne le souhaiterait. « Tu es heureuse ? » Il ne savait pas vraiment si la question lui avait échappée ou bien s'il avait véritablement eu l'intention de la poser, mais plus que n'importe quelle autre interrogation qu'il pouvait avoir à propos d'elle et de la vie qu'elle avait actuellement c'était cette question là qui lui tenait à cœur.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Tout semblait si étrange. Comme s'il y avait un décalage spatial ou temporal quelque part. Quelque chose qui ne tournait pas rond, qui rendait le moindre détail de cette situation anormal. Mais c'était une sensation différente d'un rêve. Il était certain que c'était bien le malaise qui régnait autour d'eux. Hassan se perdait autant qu'elle dans un récit qui racontait son vécu de ces derniers temps. A l'entendre, Joanne avait l'impression qu'il n'avait pas eu de vie depuis leur divorce, qu'il y avait eu un temps de latence. Le fameux trench bleu. Elle l'adorait, mais chaque vêtement avait fait son temps et celui-ci était terriblement usé, elle avait du s'en séparer à contre coeur. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il reste accroché de tels souvenirs. C'était aussi pour ça que la jeune femme en était venue à poser ces questions, sur ce qu'ils devaient faire ou dire. Il semblait tout aussi perdu qu'elle. Et il le dit clairement. Il ne le savait pas. Ils étaient dans une situation, avec quelques éléments en main, mais ne sachant pas quoi en faire. Hassan parlait étrangement, donnant toujours cette sensation qu'il n'avait rien fait depuis leur divorce. Il avait l'impression parfois qu'ils étaient encore mariés. Des mots qui firent manquer quelques battements de coeur à la jeune femme. Elle sentait qu'il n'avait rien trouvé qui puisse l'apaiser durant tout ce temps. Qu'il en était resté au même point, bien que ce soit lui qui avait demandé la séparation. Il n'était pas dans son état normal, il y avait quelque chose de très différent en lui. Comme s'il avait tout vécu et rien vu à la fois. Perplexe, Joanne le regardait. Elle cherchait un détail qui le trahirait, quelque chose, bien que d'origine, elle n'était vraiment pas douée pour cerner ces petites particules qui le tromperaient. "Qu'est-ce qu'il y a, Hassan ?" finit-elle par demander, soucieuse. "Quelque chose ne va pas, ou... quelque chose n'allait pas." Elle le connaissait tout de même suffisamment pour apercevoir ces détails. "A t'entendre, j'ai l'impression que tu n'as pas avancé, je..." Elle s'éclaircit la gorge, ayant énormément de mal à placer des mots sur ses pensées, à les décrire comme elle les entendait. "D'un côté, tu es le même, mais de l'autre..." Il était bien différent. Elle l'était très certainement aussi, beaucoup de choses s'étaient passées dans leur vie. Son coeur battait à tout rompre, songeant à la question qu'elle voulait lui poser depuis longtemps. Qu'elle aurait du poser le jour où il avait demandé le divorce. Mais elle ne voulait pas d'histoire, elle ne voulait pas se montrer insistante, ni désobligeante. "Pourquoi voulais-tu divorcer de moi ?" Cette question lui brisait le coeur, une nouvelle fois. Jamie avait réussi à coller les morceaux, à augmenter un peu son estime, en lui disant tous les jours à quel point elle était belle, gentille. Son fiancé ne se lassait pas de ces mots là. Ses yeux se baissaient, l'air désolé. "Je préférerais que tu me dises si j'ai fait quelque chose de mal, ou... si je n'étais tout simplement pas assez." Parce que c'était exactement ainsi qu'elle se voyait. Son estime et sa confiance en soi en avait pris un sacré coup après le diversion, elle ne croyait plus du tout en elle-même et se trouvait être une personne bien dérisoire dans ce si grand monde. Elle se demandait beaucoup, au début de sa relation avec Jamie, ce qu'il pouvait lui trouver de tellement incroyable chez elle. Il la couvrait sans arrêt de compliments, déterminé à ce que ça finisse par rentrer dans sa petite tête blonde. Hassan finit par lui demander si elle était heureuse. Bien sûr qu'elle l'était. Mais elle n'était pas certaine de ce qu'il voulait entendre. La question était piège. Soit il débordait de bienveillance - ce qui était le cas- et il espérait vraiment pour elle qu'elle ait pu se reconstruire, soit, il était quelque peu désireux d'être à nouveau cette personne capable de lui procurer un tel bonheur. Mais Joanne restait une très mauvaise menteuse et on pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. Elle le savait elle-même et n'essayait même plus de construire un quelconque mensonge. Elle lui sourit, et lui répondit en toute franchise. "Oui, je suis heureuse." Sa voix restait douce, agréable. Elle ne cherchait absolument pas à lui faire regretter quoi que ce soit, ce n'était pas son genre. "J'ai rencontré quelque et... nous somme fiancés depuis peu." lui raconta-t-elle. Ca ne devait pas être facile pour lui. Joanne ne voulait pas lui dire qu'elle était enceinte, cela la mènerait à lui faire bien d'autres explications. "Mais les nombreux mois qui ont suivi notre divorce ont été difficiles. J'ai eu quelques soucis, et... C'était une période vraiment dure pour moi." Elle avait failli se faire griller. Lui annoncer sa fausse-couche était loin d'être une bonne idée, elle ne parvenait pas trop à se l'expliquer. Heureusement qu'il y avait Sophia, heureusement qu'il y avait son frère et sa soeur. "Mais depuis que Jamie est là, je... j'y vois plus clair. C'est vraiment quelqu'un de bien." Elle haussa les épaules, se doutant que son ex-mari ne voudrait certainement pas en entendre davantage sur lui. "Et toi ?" Il fallait bien lui retourner la question. Il lui arrivait de se demander ce qu'il avait pu faire de sa vie, s'il s'était reconstruit, peut-être avait-il même déjà une famille. Tout était possible.
Il ressentait des choses tellement contradictoires maintenant qu'il se retrouvait en face de Joanne, qu'il avait du mal à faire du tri dans ses émotions. Une partie de lui n'était toujours pas persuadée que la revoir était une bonne idée, qu'au mieux cela ne leur apporterait rien de bon ni à l'un ni à l'autre, et qu'au pire cela aggraverait peut-être une situation déjà peu glorieuse, dans le cas d'Hassan tout du moins. Et pourtant c'était lui, là, qui remuait des souvenirs qui n'avaient pas besoin de l'être et qui versait du sel sur leurs plaies comme s'ils n'en avaient pas assez bavé. Mais Hassan était comme ça, incapable d'hypocrisie et très peu calé en mensonges, trop peu en tout cas pour tenter de jouer au mec détaché qui n'en avait plus rien à foutre et qui était passé à autre chose. Il n'en avait pas rien à foutre, et force était de constater qu'il n'était pas passé à autre chose, contrairement à elle. Il ne lui reprochait pas, il aurait même sans doute était encore plus peiné d'apprendre qu'elle avait attendu indéfiniment après un Hassan qui n'existait plus, mais il n'allait pas non plus essayer de faire croire que ça ne lui fendait pas le coeur de voir enfin en face le fait que pour elle aussi le monde avait continué de tourner et qu'il était bien le seul à être resté en stand-by, sur le bord de la route. « Qu'est-ce qu'il y a, Hassan ? » Il avait relevé les yeux vers elle, ne sachant pas trop comment prendre sa question « Quelque chose ne va pas, ou ... quelque chose n'allait pas. A t'entendre, j'ai l'impression que tu n'as pas avancé, je ... » Il avait baissé la tête à nouveau, honteux de lui renvoyer cette image et en même temps conscient que ce n'était que la stricte vérité « D'un côté, tu es le même, mais de l'autre ... » De l'autre il n'était plus le même du tout, c'était ça la réalité. Il ressemblait au mec qu'il était encore il y a deux ans, ils avaient la même tête, ils ressemblaient à leur père tous les deux, ils avaient les mêmes traits, les mêmes expressions, la même démarche ... La même enveloppe, en somme. Mais l'intérieur, lui, n'avait plus rien à voir et quelque part cela se voyait malgré tout. « C'est plus le cas. » avait-il finalement répondu d'un ton neutre, coupant court au questionnement et à ce qu'elle semblait essayer de déterminer. Ce n'était plus le cas, il n'était plus le même, et à priori elle non plus alors au fond ils étaient à égalité.
Laissant ses doigts glisser autour de sa tasse de thé il l'avait porté à ses lèvres pour se donner une contenance, compenser le fait qu'il ne voyait pas quoi dire de plus, et finalement la question lui était tombée dessus sans qu'il s'y attende « Pourquoi voulais-tu divorcer de moi ? » C'était égoïste, et sans doute un peu lâche, mais il avait été arrangé par le fait qu'elle ne pose pas cette question à l'époque, par le fait qu'elle se contente d'accepter sans discuter avec son incapacité habituelle à gérer les conflits et les situations de crise. Et il n'était pas plus prêt maintenant qu'il y a un an et demi à répondre à cette question ; Il n'était pas prêt à avouer la vérité, pas plus qu'il n'était prêt à devoir mentir. « Je préférerais que tu me dises si j'ai fait quelque chose de mal, ou ... si je n'étais tout simplement pas assez. » Sa tasse avait fait du bruit en cognant contre sa coupelle lorsqu'il l'avait reposée, de façon un peu brusque. Cela pouvait sembler totalement invraisemblable mais pas une seule seconde il n'était venu à l'esprit d'Hassan le fait que Joanne puisse se blâmer de quoi que ce soit. Il ne lui avait rien reproché, il n'avait pas dit ni même sous-entendu à un seul instant qu'elle puisse avoir une quelconque responsabilité dans sa décision ... et un peu bêtement il avait pensé que cela coulait de source, qu'elle ne penserait pas autrement. « Attends c'est ... c'est ce que tu penses ? Que t'étais pas assez ? » Il était resté un instant interloqué, tant l'idée lui paraissait à lui totalement farfelue et à des kilomètres de la vérité. « Arrête Joanne tu ... t'étais parfaite. T'as rien fait de mal, jamais, c'était ... y'a pas un seul jour où j'ai regretté de t'avoir épousée. » Et il ne comprenait même pas que cela puisse être l'objet d'un quelconque doute ... Ils étaient heureux, tous les deux. Du moins Hassan ne pensait pas qu'ils aient été malheureux, Joanne restait la meilleure chose qui lui soit arrivée, même encore maintenant ... peut-être même surtout maintenant, quand il avait goûté au pire. « Sérieusement Jo' ... c'était pas ta faute. T'as rien fait de mal, crois pas ça. » Ça lui faisait plus de mal que le reste, de s'imaginer qu'elle puisse avoir porté la responsabilité de quoi que ce soit concernant une décision que lui avait pris, relative à une situation qui ne concernait que lui aussi.
Il avait dégluti avec difficulté, honteux de l'avoir laissée dans le flou à propos de quelque chose qui lui semblait pourtant couler de source. Joanne c'était ce genre de femme qui vous collait des papillons dans le ventre juste en vous regardant, qui vous souriait avec bienveillance et qui vous donnait envie de tout faire pour être un mec bien même quand de base ce n'était pas gagné d'avance. Joanne c'était celle qui avait transformé Hassan pour en faire un homme, et plus uniquement un adolescent attardé qui compensait au début de sa vie d'adulte l'insouciance dont il n'avait pas profité durant ses années d'ado, trop occupé à faciliter la vie d'un frère aîné qui s'était retrouvé à devoir s'occuper de tout à la mort de leurs parents. Tout ça c'était l'oeuvre de Joanne, et il tombait des nues en réalisant qu'il avait fait voler toutes ces certitudes en éclat en la quittant. Est-ce qu'elle était au moins heureuse, maintenant ? Ou bien est-ce qu'il allait devoir vivre avec les dégâts irréversibles qu'il aurait causé ? « Oui, je suis heureuse. » Soupir de soulagement imperceptible, et appréhension malgré tout tandis qu'elle reprenait « J'ai rencontré quelqu'un et ... nous somme fiancés depuis peu. » Il avait gardé le silence, tentant de digérer la nouvelle. Ce n'était pas la même chose de le deviner et de l'entendre dire, et même s'il ne s'était pas vraiment fait d'illusion ... il fallait qu'il se fasse à l'idée d'avoir été remplacé. Au fait que ce n'était plus lui, l'homme de sa vie. « Mais les nombreux mois qui ont suivi notre divorce ont été difficiles. J'ai eu quelques soucis, et ... C'était une période vraiment dure pour moi. » Il avait pincé ses lèvres l'une contre l'autre, agitant légèrement la tête comme s'il espérait de chasser cette vérité, et finalement ce n'était qu'un « Je suis tellement désolé ... je t'assure. C'était pas ce que je voulais pour nous. » Bien sûr que ce n'était pas ce qu'il avait voulu, ce n'était pas ce qu'on voulait quand on épousait quelqu'un, ce n'était pas ce qu'il avait en tête le jour où il avait pris son courage à deux mains et posé un genou à terre pour lui demander sa main. Ce n'était pas ce qu'il voulait mais c'est ce qui s'était passé, parce que la vie n'était pas toujours bien faite. « Mais depuis que Jamie est là, je ... j'y vois plus clair. C'est vraiment quelqu'un de bien. » Il avait un nom maintenant, ce type. Jamie. Et c'était un gars bien. Alors probablement que c'était tout ce qu'Hassan pouvait espérer, sans doute qu'il devrait estimer que c'était pour le mieux ... Sans doute. Et pourtant y'avait cette infime partie de lui qui détestait ce mec, maintenant qu'il avait un nom.
Alors qu'y avait-il de plus à dire, maintenant ? Elle n'avait plus besoin de lui, et il n'avait plus de place nul part, ou pas dans sa vie en tout cas. Au fond ça ne changeait rien pour lui, on ne rendait pas quelqu'un heureux tant qu'on ne l'était pas soi-même, et en ça Hassan ne le serait peut-être jamais plus peu importe le répit que lui laisserait sa santé ... Mais ça faisait mal, malgré tout. Et qu'est-ce qu'il était censé répondre, quand elle lui demandait « Et toi ? » ? Est-ce qu'elle avait vraiment envie de savoir la vérité ? Et est-ce que lui avait vraiment envie d'avouer que non, non il n'était pas heureux. Parce qu'il l'avait perdue, et pour tout un tas d'autres raisons. Il avait haussé les épaules « Si toi tu l'es ça me suffit. » du moins un peu. Il n'aurait au moins plus cela sur la conscience, même si cela voulait dire imaginer Joanne avec un autre, et savoir qu'elle l'avait oublié quand lui ne l'oublierait probablement jamais.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Il le disait lui-même, qu'il avait changé. Il le reconnaissait d'une bien triste façon. Ce n'était pas sur le plan physique, mais à l'intérieur. Dans son comportement, sa manière d'agir, de penser, de parler. Joanne sentait qu'il s'était passé quelque chose que son ex-mari semblait déterminé de ne pas lui en dire un traître mot. Tout ce dont elle espérait, c'est que ce ne soit pas trop grave. Bien que son ton avait été des plus neutres, aux oreilles de la jeune femme, c'était assez sec. Il faisait clairement comprendre qu'il ne voulait pas s'étendre sur le sujet. L'air désolé, Joanne baissa les yeux, et n'osait plus rien dire, jusqu'à ce que cette question, qui lui brûlait la langue depuis qu'il avait demandé à divorcé, finit par sortir. D'un côté, elle voulait le savoir, mais de l'autre, elle préférait rester dans l'ignorance, sachant pertinemment que ce qu'elle pourrait entendre pourrait lui être peu supportable. Joanne se rejetait entièrement la faute des causes de leur séparation, n'ayant que ça à penser. Il ne lui viendrait jamais à l'idée de reprocher à Hassan quoi que ce soit. Pour elle, il ne voulait plus d'elle parce qu'elle n'était pas assez, qu'elle ne faisait pas assez, qu'elle n'était pas digne. Il était surpris qu'elle pense de cette façon. Elle acquiesça d'un simple signe de tête lorsqu'il lui demandait si ses impressions étaient vraies. Perplexe, il tenta de rattraper la casse en la décrivant comme parfaite, qu'il ne regrettait aucun jour de leur mariage. Ils s'entendaient bien, à l'époque. Ils étaient, en plus d'être mari et femme, des meilleurs amis, ils savaient toujours qu'ils pouvaient compter sur l'un comme sur l'autre. Hassan lui assurait encore et encore qu'elle n'avait rien fait de mal. Elle fit un léger sourire triste, avant de dire, d'un ton tout aussi peiné. "Alors pourquoi ?" Elle sirotait son chocolat chaud, tentant de s'occuper l'esprit comme elle le pouvait - c'était peine perdue. Le beau brun restait tout aussi silencieux après que Joanne lui ait avoué qu'elle était heureuse. Grâce à Jamie, Sophia, James... Elle était parvenue à remonter la pente non sans difficulté. Ca arrangeait Joanne qu'il n'ait pas réagi plus que ça lorsqu'elle parlait de soucis. Elle ne savait s'il était vraiment judicieux de parler de sa fausse-couche. Ca ne le ferait que culpabiliser davantage, et même si le petit n'avait pas encore tout à fait forme humaine et qu'il n'avait jamais pu voir le jour, il restait quand même un enfant qu'ils auraient pu avoir. Mais, ne pas lui en avoir parler lui restait sur la conscience. Il ne disait rien lorsqu'elle mentionna Jamie, il semblait même un petit peu contrarié. La jeune femme voulait s'assurer que lui aussi assez bien, qu'il avait retrouvé le bonheur d'une manière ou d'une autre. Mais il ne se souciait que d'elle, disant que ça lui suffisait, que son ex-femme soit heureuse. "Arrête de faire ça." lui dit-elle, doucement malgré tout. "De ne te soucier que de moi, que tout ne dépend que de moi." Parce que c'était ce qu'il faisait, et ce qu'il avait toujours un peu fait. Ca ne le rendait que plus adorable - et c'était bien un point commun que Jamie et lui avaient. Son fiancé serait prêt à dépenser des mille et des cents pour rendre le sourire à sa belle, à faire tout ce qu'elle pourrait lui demander. Sauf qu'elle ne réclamait que très peu de choses, elle n'osait. Mais sur le principe, le gentleman était véritablement prêt à tout pour la rendre heureuse, même à changer radicalement sa manière de vivre ou de penser. Initialement, Jamie ne voulait absolument pas de descendance, ça avait été le sujet de l'une de leurs disputes. Et son avortement l'avait fait changé du tout au tout, étant désormais des plus désireux d'avoir un enfant, même plusieurs. "Parle-moi aussi un peu de toi." Joanne haussa les épaules. "Si tu veux bien." Elle ne voulait pas lui forcer la main, mais elle se faisait un peu de soucis pour lui, elle était curieuse de savoir s'il avait avancé, rencontré quelqu'un. "Dis moi si tu as des projets, ce que tu fais... si.... si tu as aussi rencontré quelqu'un qui te plaît." D'une certaine façon, elle s'en voudrait d'avoir trouvé quelqu'un, alors que lui était toujours seul. Elle ne parvenait pas à se l'expliquer. La belle blonde but enfin une gorgée de son chocolat chaud, qui avait déjà bien refroidi. "Je me fais du souci pour toi." Au fond, elle tenait encore un peu à lui, cela ne signifiait en rien qu'elle l'aimait encore. Elle aimait Jamie.
Elle posait ses questions et lui essayait de slalomer entre les réponses, de fournir le minimum en priant silencieusement pour qu'elle ne demande pas le maximum et pour qu'il n'ait pas à revenir à nouveau sur ce choix cornélien qui consistait à mentir en la regardant dans les yeux ou à avouer une vérité qu'il n'était pas prêt à partager. Pas avec elle, pas avec d'autres, une vérité qu'il aurait voulu garder exclusivement pour lui et que trop de gens connaissaient déjà à son goût. Mais à aucun moment elle n'avait eu la responsabilité de quoi que ce soit dans sa décision à lui de demander le divorce, c'était un choix qu'il avait fait seul, après avoir longuement réfléchi à ses options et décidé d'une solution ... Pas la meilleure, pas la pire, mais la seule qui lui semblait convenir. La plus égoïste et en même temps celle qu'il pensait le mieux pour elle également, même s'il était probablement le seul à voir les choses sous un tel angle. Elle n'y était pour rien, elle n'avait rien à se reprocher et si c'était à refaire il l'épouserait de nouveau sans l'ombre d'un doute parce qu'il n'avait jamais été aussi sûr de ce qu'il voulait que le jour où il lui avait demandé sa main. « Alors pourquoi ? » Elle insistait. Elle ne se contentait plus des faits sans leur chercher une cause, désormais, et Hassan lui n'avait toujours pas de réponse ferme et résolue à apporter à cette question. Sa question à lui c'était aussi pourquoi, pourquoi tenait-elle tant à le savoir maintenant qu'il lui avait assuré qu'elle n'y était pour rien ? « Est-ce que c'est vraiment important ? » s'était-il finalement entendu demander à voix basse, avant de relever les yeux vers elle et de lui adresser un regard fataliste. Mais probablement que ça l'était, oui, parce que leur mariage avait été important ... C'était sa question à lui qui n'avait aucun sens, tout comme le fait qu'il ne soit pas en mesure de répondre devait n'avoir aucun sens pour Joanne. « C'est juste ... compliqué. » Est-ce qu'il ne pouvait pas faire mieux, est-ce que c'était tout ce qu'il avait en stock ? « Ça serait trop long à expliquer. » De toute évidence il ne pouvait pas faire mieux, non, mais à faire pire par contre il avait moins de mal. C'était le genre de réponses qui ne voulaient rien dire, le genre d'excuses bateau que l'on sortait quand on ne savait pas quoi répondre de mieux. Et Joanne méritait mieux que ça au fond, Hassan le savait, raison pour laquelle il avait à nouveau baissé les yeux vers sa tasse de thé d'un air penaud. « Fallait que je règle certains trucs. Tout seul. » Et fatalement, tout seul cela voulait aussi dire sans elle. Ce n'était pas de gaité de cœur qu'il manquait d'honnêteté, mais il ne voyait pas quel bien pourrait apporter la vérité dans le cas présent ... Qasim, Noah, ça ne leur avait rien apporté d'autre que de l'inquiétude et de l'angoisse, et pourtant ils étaient bien moins impressionnables que Joanne.
Et puis la question du pourquoi n'avait plus guère d'importance maintenant, on ne refaisait pas le passé, aussi triste ou douloureux avait-il pu être. Il avait assez ressassé, Hassan, pendant des mois il n'avait même rien eu d'autre à faire que cela pour occuper ses journées, alors maintenant il avait cessé de retourner le problème dans tous les sens et de faire des plans sur la comète sur ce qui se serait passé s'il n'était pas tombé malade et s'il n'avait pas quitté Joanne ... Parce que ce n'était pas ce qui s'était passé, ce n'était pas la vérité. Et si lui n'avait pas les cartes en main pour être de nouveau heureux, dans l'état actuel des choses, c'était déjà une consolation pour lui de savoir que son ex-femme l'était, même si ce n'était plus grâce à lui. « Arrête de faire ça. » Il avait froncé les sourcils, la questionnant du regard « De ne te soucier que de moi, que tout ne dépend que de moi. » Il avait terminé sa tasse de thé et l'avait reposée sur la table sans quitter Joanne des yeux, cherchant dans sa façon de le regarder si elle était en train de lui faire un reproche véritable ou si ce n'était qu'une façon de parler. « C'est pas ce que j'ai toujours fait ? » Elle savait bien que si. La seule différence c'est qu'avant cela ne prenait pas de telles proportions parce qu'ils n'avaient de réelles raisons de s'en faire, pas de vrais accros dans la vie qu'ils avaient choisi de vivre tous les deux. « Parle-moi aussi un peu de toi. Si tu veux bien. » Elle n'avait toujours pas compris ? Elle n'avait toujours pas réalisé que s'il n'avait rien à dire à propos de lui c'était justement parce qu'il n'y avait rien à en dire, rien qui ne mérite qu'on en parle ? « Dis moi si tu as des projets, ce que tu fais ... si ... si tu as aussi rencontré quelqu'un qui te plaît. » Non, elle n'avait pas compris. Elle le pensait encore sur un pied d'égalité, la rencontre fortuite de deux personnes qui avaient pris des chemins séparés mais qui chacun de leur côté en seraient arrivés au même point ... Mais non. « Je me fais du souci pour toi. » Un sourire amer s'était dessiné sur ses lèvres tandis qu'il secouait vaguement la tête et se reculait légèrement pour s'appuyer sur le dossier de sa chaise, ses doigts jouant machinalement avec sa cuillère « Il faut pas. Je t'assure que ça va. » Et objectivement c'est vrai que ça allait, sa santé n'avait pas été aussi vaillante depuis un bon moment et parait-il que c'était tout ce qui importait. « J'ai repris mon boulot, j'ai déménagé, j'ai ... ça va. » Il avait repris son boulot, il avait déménage, et c'était tout. En fait il n'en avait pas entièrement conscience avant d'avoir du l'énumérer à voix haute mais il n'y avait rien d'autre, il n'avait pas encore eu le temps de remplir sa vie de quoi que ce soit de supplémentaire et il galérait déjà à ré-apprivoiser le peu qui faisait ses journées. « Mais non j'ai pas ... rencontré quelqu'un. J'ai pas vraiment cherché. » Pas du tout, en réalité, parce qu'il avait eu la tête à bien autre chose et que dans un sens si elle avait eu un an et demi pour faire le deuil de leur mariage, lui n'en était encore qu'au tout début.
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Hassan ne semblait vraiment pas vouloir répondre à sa question. La jeune femme estimait qu'elle avait droit à quelques explications, pas juste quelque chose de vague, de flou. Son ex-mari restait quand même sur sa position, répondant de lui-même par une autre question. Il fallait avouer qu'à ce moment là, Joanne ressentait une certaine rancoeur, un gros sentiment d'injustice qu'elle ne gardait que pour elle. Elle baissa les yeux, sans dire mot, se disant qu'il était bien inutile d'insister davantage. Ils ne feraient que tourner en rond, une nouvelle fois. Il tentant tant bien que mal de se rattraper ou de se justifier, disant que c'était trop compliqué et trop long à expliquer. Serait-il trop long pour Joanne de raconter sa fausse-couche, ses soucis de santé ? Le récit serait loin d'être court, c'était certain. Et aussi difficile l'épreuve pouvait-elle être, Joanne l'aurait fait. Mais le fait que sone ex-mari ne veuille pas lui divulguer un minimum d'informations concernant les raisons de son divorce la poussait à en faire de même, et à garder certains détails, bien qu'énormes, pour elle. Il disait qu'il devait régler quelques trucs seul. Joanne se demandait ce dont il pouvait s'agir pour qu'il en vienne à demander le divorce. Mais elle avait la sensation de parler à un mur et elle abandonna très rapidement d'avoir des explications de sa part. Ce n'était pas quelque chose qu'elle allait oublier. Elle préférait alors se concentrer sur les temps actuels, s'il avait changé quelque chose de ses habitudes. Elle lui avait supplié d'arrêter de ne penser qu'à elle, qu'il lui raconte ses derniers mois à lui. Il ne fallait pas lui poser de questions, il ne fallait pas se faire de soucis pour lui. La jeune femme avait l'impression qu'il la rejetait de plein fouet. Hassan voulait qu'elle reste, mais d'autre part, il ne faisait rien qui lui donner raison de rester. Hassan disait qu'il avait repris son travail. Signifiant qu'il l'avait arrêté pour une raison, ou plusieurs. Ca l'avait interpellé, mais elle savait qu'il n'était pas nécessaire de relancer le sujet. Elle espérait simplement que ce ne soit pas trop grave. Les choses devaient forcément aller mieux s'il avait repris son emploi. Elle culpabilisait beaucoup lorsqu'il avouait qu'il n'y avait personne dans sa vie, qu'il n'avait vraiment pas cherché. Joanne était un peu gênée. Il fallait dire qu'elle avait été un peu pareil. "C'était surtout ma soeur qui voulait que je sorte, que je rencontre de nouvelles personnes." commença-t-elle. "Si elle ne m'y avait pas forcé, je serai certainement restée dans mon coin, je m'y sentais bien." La solitude était devenue à la fois un ami et un ennemi. Depuis qu'elle avait rencontré Jamie, elle le vivait très mal, bien qu'elle parvenait toujours à s'occuper l'esprit afin de ne pas y penser. "Mais elle voulait que je me fasse à l'idée et que j'avance." Elle haussa les épaules. Bien sûr que tout ceci partait d'une très bonne intention. "C'était bien au moment où je m'y attendais le moins que Jamie est apparu." Elle se passera bien de dire leur toute première rencontre, qui fut des plus désastreuses. Et puis, Joanne ne se sentait pas obligée à lui partager ce genre de choses. Il ne voulait certainement en entendre trop sur le nouveau fiancé de son ex. "Est-ce que... tu as envie de chercher, au moins ?" demanda-t-elle par curiosité. Peut-être qu'il n'en avait pas envie, peut-être qu'il ne voulait pas se relancer dans une relation sérieuse. Hassan était un homme bien. Il avait énormément de qualités, était tout aussi beau physiquement que moralement. Il ne manquait pas de culture, ni de charme. Il avait toujours été très aimant et attentionné envers Joanne, d'une tendresse rare. Il était évident aux yeux de Joanne qu'il pouvait plaire à beaucoup de femmes. La jeune femme ne pouvait pas dire qu'elle était attirée par lui, mais elle avait rapidement retrouvé ses innombrables qualités, même s'il avait changé, tout comme elle. Il restait assez sur la réserve, la défensive. Joanne le prenait beaucoup pour elle. Elle finissait son chocolat chaud silencieusement. Elle avait l'impression d'avoir fait le tour de ses question. La plus importante d'entre elles restait sans réponse. "Je ne sais pas ce que je suis sensée dire, maintenant." dit-elle à voix basse, songeuse. Elle redressa sa tête, regarda Hassan avec un sourire tendre. "Je devrais peut-être y aller." dit-elle en réajustant sa veste. "Peut-être que tu voudrais encore voir ton amie, que je t'ai interrompu dans quelque chose." Elle avait avalé si facilement ce mensonge. Elle ne fit aucun lien entre sa présence à l'hôpital et l'indice qu'il avait laissé en disant qu'il avait repris son travail. "Je ne voudrais pas te déranger davantage."
Il voyait bien à l'expression sur son visage et à sa gestuelle que Joanne était agacée par le fait qu'il soit si peu loquace pour ce qui était des raisons de leur divorce. Il le serait sans doute aussi à sa place, parce que de la même manière qu'un mariage se construisait à deux il était supposé se défaire pareillement, d'un commun accord, et dans leur cas à tous les deux c'était surtout lui qui avait imposé sa décision, et elle qui l'avait subie. Sans broncher ou presque, parce que Joanne était du genre à fuir les conflits quand elle le pouvait, et Hassan ne pouvait pas nier en avoir profité un peu à cette occasion. Mais à cet instant précis il ne voyait pas d'autre solution, il n'avait pas envie de se rendre coupable d'un mensonge encore plus gros en lui disant qu'il ne l'aimait plus, qu'il avait rencontré quelqu'un d'autre ou qu'il avait simplement regretté de l'épouser pour expliquer sa décision de demander le divorce, mais il n'avait pas non plus envie d'avouer la vérité. Parce que cela allait bien plus loin que le fait d'avouer que sa santé lui avait fait défaut, c'était devoir potentiellement admettre qu'il ne pensait pas vivre assez longtemps pour la croiser à nouveau et qu'il n'aurait donc jamais à expliquer ni à justifier son geste. Cela reviendrait à avouer à voix haute qu'il avait fait preuve d'égoïsme, en plus d'être le dernier des froussards, et il n'était pas certain de vouloir rajouter cela sur la table alors qu'elle venait déjà de lui annoncer de but en blanc qu'elle avait tiré un trait sur lui. Il savait que c'était inévitable, et que c'était pour le mieux, mais cela ne voulait pas dire pour autant que cela ne lui faisait rien ... c'était une preuve supplémentaire au fait qu'il avait perdu Joanne, et ça faisait mal. Ça faisait atrocement mal.
Mais non, il n'avait pas cherché à rencontrer quelqu'un d'autre. Parce que sa priorité se situait ailleurs tout d'abord, sur sa santé, et finalement parce qu'il n'en avait aucune envie. Il était certain qu'il n'y parviendrait pas de toute façon, qu'il ne pourrait pas poser les yeux sur une autre femme sans automatiquement la comparer à Joanne, et sans se dire que c'était peine perdue et qu'il ne pourrait jamais l'aimer autant qu'il aimait Joanne. « C'était surtout ma sœur qui voulait que je sorte, que je rencontre de nouvelles personnes. Si elle ne m'y avait pas forcé, je serai certainement restée dans mon coin, je m'y sentais bien. » lui avait-elle finalement avoué de son côté, arrachant à Hassan un vague sourire, un peu triste, parce qu'il savait très bien que la jeune femme ne se contentait de sa solitude que lorsqu'elle était malheureuse, tout comme lui. « Mais elle voulait que je me fasse à l'idée et que j'avance. C'était bien au moment où je m'y attendais le moins que Jamie est apparu. » Il avait acquiescé d'un léger signe de tête, n'ayant pas vraiment le cœur ni la force de lui demander le moindre détail supplémentaire à propos de cet homme. Pouvoir mettre un nom dessus c'était déjà beaucoup à digérer pour lui. Le comportement de la sœur de Joanne en revanche n'en était pas moins louable, au contraire. « Je savais que tu serais bien entourée, entre elle et Sophia. » C'était forcément une maigre consolation pour lui à l'époque, mais c'était une consolation malgré tout, il savait que si lui n'était plus là cela ne changeait pas le fait que son ex-femme était entre de bonnes mains. « Elle va bien ? Sophia. » Il se sentait un peu honteux de la façon dont il s'était débarrassé de la jeune femme, de la manière presque odieuse avec laquelle il s'était adressé à elle juste pour être certain qu'elle lâche l'affaire, qu'elle lui foute la paix et qu'elle ne cherche pas à l'obliger à se justifier. Il avait assurément perdu une amie ce jour-là, en plus d'avoir perdu la femme de sa vie.
Et il n'était pas naïf au point de ne pas avoir compris ce qu'essayait de faire Joanne en lui affirmant l'air de rien que ça, rencontrer quelqu'un d'autre et se donner une autre chance, ça vous tombait dessus quand on ne s'y attendait pas. C'était valable pour elle de toute évidence, mais il doutait que ça le soit pour lui en revanche. « Est-ce que ... tu as envie de chercher, au moins ? » Il devait avoir eu l'air amusé, l'espace d'un quart de seconde. Pas par la situation mais par le fait que même après tout ce temps elle semblait encore le connaître trop bien. « Non, pas vraiment. » avait-il donc fini par avouer. Il n'avait pas envie de chercher et il avait encore moins envie de trouver, probablement. « Mais y'a jamais été question que je trouve quelqu'un d'autre, ça a jamais fait partie de mes plans ... J'veux dire, si j'avais du rester avec quelqu'un ça aurait été toi, je serais pas parti. » Autrement dit à aucun moment en demandant le divorce il ne s'était consolé en essayant de se dire qu'il trouverait quelqu'un d'autre, ou que la fin d'un mariage n'était pas une fatalité en soi. D'autant plus que ce qu'il n'avait pas voulu imposer à Joanne il n'était en toute logique pas plus disposé à l'imposer à une autre.
Et le silence à nouveau, qui s'installait entre eux pavé par les choses qu'ils n'osaient pas dire ni l'un ni l'autre. Il gardait tellement pour lui ses soucis et ses pensées qu'il ne s'imaginait pas que de son côté Joanne aussi puisse garder pour elles certaines informations, sans doute en se disant que si lui ne faisait pas d'effort de sincérité avec elle elle n'avait aucune raison de le faire de son côté. « Je ne sais pas ce que je suis sensée dire, maintenant. » Y'avait rien qu'elle était sensée dire, parce que ce n'était pas le genre de situation auxquelles on pouvait se préparer à l'avance, particulièrement face à quelqu'un que l'on ne s'attendait pas à revoir de sitôt. Et puis elle ne lui devait rien, surtout. « Je devrais peut-être y aller. » Il avait pris sur lui de ne pas protester. Même si pour elle ça ne rimait peut-être plus à rien, la revoir représentait beaucoup pour Hassan, quand bien même s'il s'agissait de l’œuvre du hasard ... Mais quel droit avait-il de lui demander de rester, alors qu'il refusait de répondre à la seule question vraiment sérieuse qu'elle lui avait posé ? « Peut-être que tu voudrais encore voir ton amie, que je t'ai interrompu dans quelque chose. Je ne voudrais pas te déranger davantage. » La vérité ? L'espace d'un instant Yasmine lui était totalement sortie de la tête ; D'autant plus qu'elle était l'excuse facile, celle qui lui permettait de ne pas avoir à donner d'autre explication sur sa présence dans cet hôpital. « Oh, non elle ... C'est juste qu'elle travaille à l'hôpital, alors je passe dire bonjour de temps en temps ... quand je suis dans le coin. » Et béni soit celui qui avait décidé que l'université et l'hôpital soient dans le même quartier, lui donnant ainsi une excuse supplémentaire. « C'est la sœur de Noah. » qu'il s'était alors entendu préciser sans trop savoir pourquoi, si ce n'était pour chasser toute ambiguïté éventuelle.
Il avait conscience de faire pâle figure, d'être moins bavard, moins loquace et moins enjoué que le Hassan qu'elle avait épousé, et même s'il avait changé de manière indéniable la vérité c'est qu'il se bridait un peu aussi. Il y avait des tas de choses qu'il aurait voulu dire ou faire, mais il ne s'en sentait plus le droit et ce n'étaient ni son aveu d'avoir morflé après leur divorce ni l'existence du nouvel homme dans sa vie qui allaient arranger les choses. Il n'avait plus aucun droit envers elle, si ce n'était celui de la laisser filer, et pourtant il ne parvenait pas à accepter l'idée qu'elle s'en aille en pensant qu'il se comportait ainsi avec elle parce qu'il avait quelque chose à lui reprocher, ou pire parce qu'il ne lui faisait plus confiance. « Écoute Joanne, je ... C'est pas contre toi. » Il était hésitant, à nouveau « Parfois il vaut mieux ne pas savoir, tu vois ? » Il n'était pas sûr qu'elle voyait, non, mais il essayait tant bien que mal de la persuader que son refus d'être plus explicite ne partait pas d'une mauvaise intention de sa part, au contraire. « T'es passée à autre chose, t'as rencontré quelqu'un d'autre, t'as l'air heureuse ... à quoi ça sert de remuer le couteau dans la plaie ? » Il avait soupiré doucement, cachant mal la tristesse que lui inspirait cette remarque. Il avait déjà tout gâché une première fois, et tentait de se donner bonne conscience en se disant qu'il avait agi pour le mieux, alors il ne voulait pas faire de nouveaux dégâts alors que Joanne semblait avoir remis sa vie sur les rails. « Ça nous fera pas nous sentir mieux, ni toi ni moi ... je t'assure. Et c'est pas ce que je veux. » Il avait pincé ses lèvres l'une contre l'autre, frustré de ne pas parvenir à mettre les mots exacts sur son ressenti et la gorge un peu serrée. « Et je sais que c'est facile à dire maintenant mais ... je suis désolé. De t'avoir fait du mal, et de pas avoir été le mari que j'avais promis que je serais. » Celui du pour le meilleur et pour le pire, celui du jusqu'à ce que la mort nous sépare ... Celui qui n'aurait jamais imaginé un seul instant que quoi que ce soit puisse le séparer de Joanne, surtout pas par un divorce.
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Bien entourée était peut-être un peu gros. Il était clair qu'elles ne l'auraient jamais laissé seules, mais Joanne leur avait caché une partie de ce qu'il s'était passé, et elles ne pouvaient malheureusement pas la comprendre complètement. Mais cela lui avait causé beaucoup de tort par la suite. Hassan venait à demander des nouvelles de Sophia. Son ex-femme lui sourit, un peu, et lui répondit. "Oui, elle va bien. Nous travaillons toujours ensemble." Elle ne savait pas quoi dire de plus, vraiment. Elle haussa les épaules. "Toujours là pour me pousser à l'avant quand je n'ose pas." ajouta-t-elle, amusée. C'était bien une des choses qui n'avaient aucunement changé depuis le début de leur amitié. Sophia débordait de joie de vivre et d'optimisme, préférant d'abord s'occuper de Joanne avant de s'occuper d'elle-même. La petite blonde faisait de son mieux pour lui rendre la pareille. Ils en étaient venus à parler de rencontres, savoir si l'on avait trouvé quelqu'un d'autre avec qui partager notre vie. Conversation des plus étranges lorsqu'il s'agissait d'un couple divorcé, qui s'était fait bien des promesses le jour de leur mariage, et qui furent briser en l'espace de quelques secondes, deux ou trois coups de stylo pour signer la paperasse. Elle se sentait gênée de lui poser cette question, mais elle serait sincèrement ravie d'entendre qu'il voyait le bout, qu'il avait trouvé quelqu'un qui pourrait à nouveau le combler comme il avait pu l'être. Puis Hassan se lançait dans des explications qui n'avaient ni queue ni tête pour Joanne. Il ne chercherait pas à trouver quelqu'un d'autre, il serait resté avec la belle blonde s'il avait pu. Comme si quelque chose l'avait forcé à la quitter, mais quoi ? Elle fronça légèrement les sourcils, perplexe. Elle en perdait ses mots, ne sachant que répondre, que dire. Il finit par lui faire comprendre que ce n'était pas une personne hospitalisée qu'il était allé voir, mais la soeur d'une amie qui y travaillait. Joanne hocha d'un simple de signe de tête afin d'acquiescer. Ne voyant pas ce qu'ils pouvaient se dire d'autre, la jeune femme préférait certainement rentrer chez elle, sans avoir de réponses à ses questions. Il n'y aurait que son esprit qui serait perturbé au possible. Revoir son ex-mari après un an et demi sans nouvelles, sans signe de vie. Elle voulait partir, mais Hassan la retint par encore quelques mots supplémentaires. Disant qu'elle ne doit rien prendre contre elle, qu'il valait mieux qu'elle reste dans une certaine ignorance. Joanne l'écoutait, à moitié abasourdie par tout ce qu'il racontait, utilisant n'importe quel prétexte pour justifier le secret qu'il gardait si bien pour lui. Une phrase la fit légèrement rire jaune. Que cela ne les ferait pas sentir mieux. Elle baissa les yeux et haussa les épaules, heurtée par ses moindre mots. Il tenait à s'excuser, malgré tous les mois passés. Joanne restait longuement silencieuse. Elle hocha négativement la tête, refusant une grande partie de ce qu'il voulait dire. "Crois-moi, le jour où ça te retombera dessus et aussi sur les personnes qui auraient pu être concernées, ce sera pire que si tu n'avais rien. Bien pire." Et Joanne savait parfaitement de quoi elle parlait, si bien que cela avait failli briser son couple. "Pourtant, on pense que c'est la meilleure solution, que c'est ce qu'il y a de mieux pour protéger les personnes que l'on aime." Ses yeux se bordaient doucement de larmes, sans le regarder. "Ce n'est plus une histoire de se sentir mieux ou non, c'est de savoir si on a envie d'être honnête avec les personnes qui nous sont chers." Joanne ne savait pas mentir, mais savait cacher des choses. Surtout une, et ça lui était revenu de plein fouet. "Je n'aimerais pas que tu me dises que je ne sais pas de quoi je parle, parce que j'ai fini à l'hôpital il y a quelques mois et j'ai failli absolument tout perdre." Elle s'abstenait de dire que c'était aussi ce qui avait en quelque sorte ramené les violences de Jamie, une rage qui l'avait aveuglé un soir et qui l'avait fait lever la main sur la femme qu'il aimait le plus au monde. "Si tu avais encore un minimum d'affection pour moi, Hassan, tu me le dirais." dit-elle en mettant son sac sur ses épaules, et se relevant de ta chaise. Elle se sentait un peu rancunière. Ses larmes s'étaient déversées d'elles-mêmes. "Chacun ses secrets, je suppose, pas vrai ?" Elle sortit un billet afin de régler leur consommation, sourit tristement à son ancien mari avant de tournée les talons. Elle était blessée. Mais Joanne revint rapidement sur ses pas. "Parce que pendant longtemps, je m'étais faite du soucis pour toi, Hassan. Je me demandais si tu allais bien, si tu aimais peut-être quelqu'un d'autre, si tu t'étais trouvé une plus belle vie. Tu n'as beau plus être mon mari -et je compte bien me marier à Jamie-, mais cela ne change rien au fait que même si j'essayais de t'en vouloir jusqu'à te haïr, j'aurai toujours d'une manière ou d'une autre de l'affection pour toi. En plus d'avoir été mon époux, tu as été un de mes meilleurs amis, et ce n'est pas en un an demi et des vies bien différentes que l'on peut oublier si facilement tant d'années passées ensemble." Sa voix n'était pas nécessairement forte, mais son ton laissait aisément deviner à quel point elle était blessée. Elle lui sourit tendrement, et tristement à la fois. "Je crois qu'il est un peu tard pour les excuses, Hassan." dit-elle de sa voix douce.
Cela avait peut-être un peu facilité les choses, c'est vrai, de savoir qu'avec ou sans lui Joanne resterait bien entourée. Ils étaient restés ensemble assez longtemps pour qu'il ne doute pas un instant du mal qu'il lui ferait en demandant le divorce, le regard meurtri et atrocement déçu qu'elle lui avait adressé lorsqu'il avait lâché cette bombe restait d'ailleurs une image indélébile dans son esprit, un souvenir qui bientôt deux ans plus tard continuait de le meurtrir. Mais ils étaient aussi restés ensemble assez longtemps pour qu'il ne doute pas de l'entourage de Joanne et du fait qu'entre ses parents, sa soeur, Sophia, elle trouverait le soutien nécessaire pour laisser tout cela derrière elle et avancer. Un peu maladroitement d'ailleurs Hassan avait fini par demander des nouvelles de la dernière, malgré tout honteux de la manière dont il avait tout fait pour se débarrasser d'elle et de ses questions. Parce que Sophia avait fait ce que Joanne n'avait pas osé faire, demandé des explications, posé des questions, autant de choses qui avaient poussé Hassan à se montrer vindicatif dans le simple but de la dissuader d'insister. « Oui, elle va bien. Nous travaillons toujours ensemble. Toujours là pour me pousser à l'avant quand je n'ose pas. » Il avait esquissé un vague sourire, heureux de voir que ce point là au moins n'avait pas changé. Il n'avait pour ainsi dire jamais connu les choses autrement, Joanne sans Sophia, parce que même lors de cette soirée étudiante où ils s'étaient rencontrés la première fois Joanne était déjà venue avec son amie. « C'est bien. Vous avez de la chance de vous avoir. » Et même si Hassan avait lui choisi de faire le vide autour de lui, avec le résultat et les conséquences qu'on connaissait aujourd'hui, il ne pouvait pas nier que d'avoir gardé autour de lui non seulement Qasim mais aussi Noah avait eu un impact indéniable dans sa capacité à aller vers la guérison. Bien qu'il en soit aujourd'hui à se demander à quoi bon, mais ça c'était un autre débat, et une conversation qu'il n'avait assurément pas envie d'avoir avec qui que ce soit en dehors de sa psy. Parce qu'elle ne lui laissait pas le choix, à vrai dire.
La conversation commençait à tourner en rond, la faute aux choses qu'Hassan voulait garder pour lui et au fait que, sans doute refroidie par cela, Joanne devenait elle aussi de moins en moins loquace. Le brun avait l'impression de se noyer entre les choses qu'il ne voulait pas avouer, celles qu'il voulait dire sans en trouver le courage, et celles qu'il s'interdisait de dire parce qu'il ne s'en sentait pas le droit. Pourtant son ex-femme s'en allait et il n'admettait pas que cela puisse juste se terminer comme ça ; S'échanger quelques banalités, se faire un signe de la main et reprendre chacun sa route comme s'ils n'étaient rien de plus que de vagues connaissances, comme s'ils n'avaient pas passé presque une décennie ensemble, comme s'ils n'en connaissaient pas plus l'un sur l'autre que n'importe qui. Alors il avait tenté de la retenir, de trouver un compromis entre ce qu'il se refusait à dévoiler et ce qu'il pouvait dire pour tenter de lui faire comprendre qu'il pensait agir pour le mieux. Ce n'était pas qu'il ne lui faisait pas confiance, ou qu'il estimait qu'elle ne méritait pas de savoir, c'était simplement qu'il ne pensait pas que cela changerait quoi que ce soit ; Ils ne se sentiraient pas mieux ni elle ni lui, il en était certain. Et pourtant Joanne continuait de nier, secouant la tête « Crois-moi, le jour où ça te retombera dessus et aussi sur les personnes qui auraient pu être concernées, ce sera pire que si tu n'avais rien dit. Bien pire. » Pire ? Mais pire pour qui au juste, pour elle, ou pour lui ? Et puis il était le seul concerné, c'était son problème, sa responsabilité, et par conséquent son seul choix de ne pas vouloir l'imposer à qui que ce soit d'autre. « Pourtant, on pense que c'est la meilleure solution, que c'est ce qu'il y a de mieux pour protéger les personnes que l'on aime. » Si elle arrivait à comprendre ça alors pourquoi au juste n'était-elle pas capable de comprendre ses motivations ? Évidemment qu'il faisait ça pour la protéger, que c'était le nœud du problème « Alors qu'est-ce que tu attends de moi, Joanne ? Que je m'excuse de pas vouloir faire profiter les autres de mes problèmes ? » Ça ne changerait rien au fait qu'il ne le ferait pas, parce qu'il se l'était promis et aussi parce qu'il n'aimait pas le changement d'attitude que pouvaient avoir les gens une fois qu'ils savaient. Qasim continuait de le couver sans raison même au téléphone, Noah se sentait obligé de veiller sur lui comme une mère poule alors que ce n'était clairement pas sa nature, et même Ella le regardait comme s'il était en sucre ... Il savait que cela partait d'une bonne intention, qu'ils s'en faisaient simplement pour lui, mais c'était lourd à assumer pour Hassan, qui ne supportait pas d'être la source du moindre embêtement pour qui que ce soit.
Joanne pouvait penser ce qu'elle voulait, Hassan lui savait que la vérité n'apporterait rien de positif, ça ne ferait que verser du sel sur leurs plaies et quelque part il se disait que celui qui morflerait le plus ce serait lui. Parce que ses plaies à lui étaient plus fraiches, Joanne avait eu le temps de tourner la page, de passer à autre chose, de cicatriser ... Hassan, lui, avait toujours ce trou béant dans sa poitrine maintenant que la jeune femme n'y avait plus la place qu'il avait toujours voulu qu'elle ait. « Ce n'est plus une histoire de se sentir mieux ou non, c'est de savoir si on a envie d'être honnête avec les personnes qui nous sont chères. Je n'aimerais pas que tu me dises que je ne sais pas de quoi je parle, parce que j'ai fini à l'hôpital il y a quelques mois et j'ai failli absolument tout perdre. » Son cœur lui avait semblé rater un battement, et le regard qu'il lui avait lancé oscillait entre l'inquiétude forcément conséquente que lui inspirait cette révélation, et la rancune tenant au fait qu'elle semblait lui balancer ça comme ça, uniquement parce qu'elle savait qu'il n'était pas en position de poser la moindre question à ce sujet. Et puis finalement elle l'avait achevé, lorsqu'elle avait ajouté « Si tu avais encore un minimum d'affection pour moi, Hassan, tu me le dirais. » et les larmes qu'elle laissait échapper sur ses joues semblaient se mélanger à la colère qui s'insinuaient dans ses veines à lui. Parce qu'elle n'avait pas le droit, elle n'avait pas le droit de sous-entendre une chose pareille, elle n'avait même pas le droit d'en douter. Il était resté tellement choqué par cette phrase qu'il n'avait pas réagi tout de suite lorsqu'elle avait récupéré son sac, déposé un billet sur la table et tourné les talons en ajoutant avec un ton qu'il prenait pour de l'acidité « Chacun ses secrets, je suppose, pas vrai ? » Sans doute, oui, et de toute évidence elle avait suffisamment oublié Hassan pour le penser capable de garder les siens dans le simple but de la contrarier ou de lui faire du mal. Elle l'avait même suffisamment oublié pour insinuer qu'il n'avait plus d'affection pour elle, et ça lui faisait tellement de mal qu'elle puisse sérieusement croire une connerie pareille qu'il avait été tenté de tourner les talons à son tour et de la planter là, comme le connard qu'elle s'imaginait visiblement qu'il était devenu.
Il n'en avait pas eu le temps finalement, sans doute trop abasourdi et trop long à la détente pour parvenir à décoller ses pieds du sol, et contre toute attente et alors que Joanne s'éloignait c'était finalement elle qui avait fait volte-face, lui offrant sa colère en même temps que les larmes qui mouillaient ses joues. « Parce que pendant longtemps, je m'étais faite du soucis pour toi, Hassan. Je me demandais si tu allais bien, si tu aimais peut-être quelqu'un d'autre, si tu t'étais trouvé une plus belle vie. Tu n'as beau plus être mon mari -et je compte bien me marier à Jamie-, mais cela ne change rien au fait que même si j'essayais de t'en vouloir jusqu'à te haïr, j'aurai toujours d'une manière ou d'une autre de l'affection pour toi. En plus d'avoir été mon époux, tu as été un de mes meilleurs amis, et ce n'est pas en un an demi et des vies bien différentes que l'on peut oublier si facilement tant d'années passées ensemble. » Comment arrivait-elle à faire ça, à lui jeter à la figure à la fois ce qu'il avait été pour elle, et malgré tout ce type qu'elle allait épouser comme pour remuer le couteau dans la plaie plusieurs fois d'affilée, comme pour lui cracher à la gueule qu'elle l'avait oublié et qu'il ne méritait que ça ? « Je crois qu'il est un peu tard pour les excuses, Hassan. » avait-elle finalement asséné, et si son ton n'avait rien d'agressif aux yeux d'Hassan il était aussi tranchant qu'une lame de rasoir. Elle n'avait aucune idée de ce que ces excuses lui coûtaient, elle n'avait aucune idée de ce que ça impliquait pour lui de la revoir après avoir passé des mois entiers à tenter de se convaincre que c'était mieux comme ça, et qu'il pourrait partir en gardant le souvenir qu'il avait d'elle comme son bien le plus précieux. « Mais c'est tout ce que j'ai à te proposer, Joanne. Des excuses tardives, et si tu as besoin de croire qu'elles manquent de sincérité pour t'aider à mieux dormir la nuit alors va, fais comme tu veux. » Lui non plus n'élevait pas la voix, parce que le lieu ne s'y prêtait pas tout d'abord, mais aussi et surtout parce que ce n'était pas dans sa nature et que cela faisait partie des rares choses chez lui qui n'avaient pas changées. Pourtant cela n'enlevait rien à la froideur de ses mots, et au visage glacial que les accusations de la jeune femme avaient provoqué chez Hassan. « Mais je te défends de m'accuser de ne pas me soucier de toi, ou de ne pas avoir "un minimum d'affection" à ton égard, parce que tu es très loin de la vérité. Et très sincèrement au bout de dix ans j'aurais pensé que tu me connaîtrais assez pour réaliser la bêtise de ce que tu viens de dire. » Et ça le blessait sans doute plus que tout le reste, qu'elle en vienne à douter de ça. C'était comme si malgré ses belles paroles cette toute petite phrase avait suffit à éclipser tout le reste, comme si en doutant de ses sentiments présents à son égard elle doutait aussi de ses sentiments passés, et ça c'était tout bonnement insupportable pour lui.
Mais il était "un peu tard", il avait saisi le message, et puisqu'avec son sac serré contre elle et son air fuyant elle donnait l'impression de vouloir déguerpir le plus vite possible il n'allait pas la retenir plus longtemps. Il en était déjà arrivé à ce qu'il souhaitait éviter la dernière fois, quitter Joanne sur des mots trop durs et des larmes trop abondantes, et garder cette image en guise de dernier souvenir alors qu'il préférait mille fois se rappeler des moments où elle lui souriait en lui donnant l'impression d'etre le mec le plus chanceux de la planète. Maintenant il n'était plus que le mec à qui elle se sentait obligé de répéter plusieurs fois qu'elle l'avait remplacé par un autre, au cas où ne le dire qu'une fois n'aurait pas fait suffisamment mal.« Et puis ça rime à quoi au juste, de te sentir obligée d'insister sur ce type et de bien souligner le fait que tu comptes l'épouser ? Tu as peur que j'ai pas bien saisi la première fois ? Ou que je te ramène chez moi de force et que je te séquestre jusqu'à ce que tu changes d'avis ? » Sa question était plus ou moins rhétorique, au fond il s'était persuadé qu'il y avait un peu de ça, à moins qu'elle ne cherche simplement à lui jeter son bonheur à la gueule pour lui prouver qu'elle n'avait pas besoin de lui. Il ne savait pas trop lequel était le pire, et quoi qu'il en soit ça ne l'avait pas empêché d'ajouter « Je vois qu'elle est belle, la nouvelle vision que tu t'es fait de moi. » Sans faire le moindre effort pour tenter de cacher son amertume. Bien sûr qu'il était amer, peut-être même encore plus qu'il ne l'avait jamais été jusqu'à présent. Fouillant dans la poche de son jean il avait balancé un peu de monnaie par dessus le billet de Joanne pour payer son thé, il se passerait de lui devoir quoi que ce soit cette fois-ci, et récupérant la besace posée au pied de sa chaise il avait malgré tout relevé les yeux vers son ex-femme une dernière fois pour faire remarquer « Et pour ce que ça vaut, moi non plus j'ai pas passé une journée sans m'inquiéter pour toi, ou me demander si tu étais heureuse. Certains jours c'était même pratiquement la seule chose que j'avais la force de faire. Mais je suppose que pour ça aussi, il est un peu tard. » Aussi tard que pour les excuses dont elle n'avait pas voulu, probablement. La prenant de court c'était finalement lui qui avait tourné les talons, ne sachant pas encore vraiment comment il était supposé ravaler tout ça et tenter d'assurer son cours dans une heure comme si de rien n'était. La seule chose dont il avait envie, c'était d'aller s'enterrer quelque part.