Se glisser derrière un livreur, tout le monde sait le faire. Murphy n'a pas enfilé une habituelle tenue aux couleurs tapageuses. Elle est habillée en elle, aujourd'hui. Son visage porte les marques de l'angoisse qui la tenaille depuis qu'elle a quitté son logement. Depuis qu'elle a quitté Seth. Dormir chez Carl a apporté un peu de paix à la blonde, mais Megan a détruit les fondations de sa tranquillité avec un message aux conséquences ravageuses. Murphy est sobre, plus lucide que jamais. Elle compte les jours qui se ressemblent, depuis qu'elle crèche chez son ami et qu'elle ne peut donc pas ramener n'importe quoi sous un toit qui n'est pas le sien. D'habitude, cela ne l'aurait franchement pas dérangé. Mais Carl, c'est Carl. Carl, c'est différent. Carl, elle n'a pas envie de le mettre dans l'embarras. Carl, elle n'a pas envie de le confronter aux vrais écarts. Alors, Murphy se glisse dans sa chambre tous les soirs, avec toute la discrétion dont elle sait faire preuve. Elle oublie son pyjama sous l'oreiller du brun, convaincue qu'elle y posera sa tête la nuit suivante.

Mais pour l'heure, Murphy se glisse derrière un livreur. Elle a attrapé un couteau de cuisine en partant, le même qu'elle utilise dès que quelque sonne à sa porte. Depuis que Seth est derrière les barreaux, la blonde se méfie de tout. Elle a soufflé sur sa dernière ligne de cocaïne le jour où Maisie est venue supplier pour le pardon de son frère. Rien depuis. Si le manque l'a tenaillée pendant plus d'une semaine, la clouant au lit et lui donnant des sueurs froides, Murphy ne ressent plus le manque au point de le conscientiser. Ses doigts ne tremblent plus. Elle n'a plus envie de pleurer toutes les dix secondes. En vérité, le message de Megan a sans doute achevé sa redescente sur Terre... jusqu'à la prochaine trace.

Il ne lui faut pas longtemps, à Murphy, pour trouver la porte derrière laquelle Megan s'est certainement enfermée avec son mari parfait. Couteau de boucher planqué contre la peau de son dos, Murphy frappe à la porte. Elle présente patte blanche sous l'œilleton, le visage absolument fermé mais d'un calme olympien. « Ouvre, Megan Monroe. Ouvre à ta sœur orpheline de mère. » qu'elle ricane sur la fin. Oh, elle a songé à venir planter des couteaux dans la porte, mais Megan n'aurait jamais ouvert. Elle aurait appelé les flics. Non, son idée est meilleure. Son idée nécessite qu'elle maîtrise le feu qui gronde sous sa gorge et couve sous la lame du couteau qu'elle a caché avec sa ceinture.

@megan williams du sang, du sang, du sang

blitzkrieg !
Megan Williams & @Murphy Rowe

La décision de ne pas prévenir Murphy de la mort de ma mère - et sa génitrice - était peut-être égoïste, mais elle était aussi parfaitement réfléchie. Peut-être prise sous le coup de l’émotion, mais pas irrationnelle pour autant. Murphy n’a que du mépris pour moi sans que je ne lui ai jamais rien fait. Lorsqu’elle est arrivée dans ma vie à la façon d’un chien errant, je ne lui ai pas fermé la porte au nez. Je l’ai accueillie, je lui ai mis un toit au-dessus de la tête puisque, soit-disant, elle n’avait personne d’autre et, pire, j’ai espéré. J’ai espéré que même si elle était particulière, elle puisse représenter cette famille que je n’ai jamais eue. Je me suis dit que nous avions perdu vingt-trois ans, qu’elle était particulière, que j’étais fermée, mais que nous pouvions peut-être devenir ça, l’une pour l’autre. Sauf que Murphy n’en a jamais l’intention. J’ignore ce qui a poussé la jeune femme à venir frapper à ma porte, ce que je sais, c’est qu’elle n’a fait que nous utiliser, Damon et moi. Nous ne lui avons jamais demandé le moindre centime alors qu’elle logeait chez nous, était nourrie sans participer une seule seconde aux frais engendrés, volait dans mes placards - je l’ai découvert après au fil des découvertes de bijoux ou de vêtements manquants, le tout en passant le plus clair de son temps vautrée sur notre canapé sans la moindre intention visible de trouver un boulot, une façon de se rendre utile. Elle s’est droguée sous mon toit. Lorsque j’ai accepté sa main tendue en espérant que les choses puissent changer, il s’est révélé qu’elle ne cherchait qu’une opportunité pour m’humilier, pour nous humilier Damon et moi. Que croyait-elle ? Que j’allais être jalouse de sa pseudo réussite qui s’écroulera comme un château de cartes quand elle gâchera tout, puisqu’elle finira bien par le faire ? Je n’étais là que pour essayer de réparer quelque chose qui ne l’était pas, réparable, parce qu’elle n’en avait pas la moindre envie.

Pour toutes ces raisons et parce que Billie n’était pas sa mère mais la mienne, uniquement la mienne, je ne voulais pas d’elle à l’enterrement. Quatre jours après sa mort, ma mère était mise en terre avec pour seuls témoins, Damon et moi-même. Je n’ai prévenu Murphy que par décence, pas par envie. Bien sûr, elle m’a copieusement insultée en retour et je n’ai pas pris la peine de répondre. Quand j’aurais réussi à gérer mes propres sentiments, je lui enverrai l’adresse de l’endroit où elle peut se recueillir si elle le souhaite. Mais l’enterrement m’appartenait à moi, seule personne à avoir jamais tenté de soutenir notre toxicomane de mère à ma façon. Je ne voulais pas y voir la gorgone qui me sert de sœur jumelle - biologiquement parlant, en tout cas.

« Ouvre, Megan Monroe. Ouvre à ta sœur orpheline de mère. » La façon dont Murphy frappe à la porte est bien trop douce. Après ses messages, je ne me fais pas d’illusion sur la colère qui doit l’habiter. Mais les personnes désireuses de me refaire le portrait se sont succédées ces derniers mois, me poussant à devenir assez courageuse et fière - ou assez stupide - pour me diriger vers la porte et l’ouvrir. Derrière moi, Bowie aboie comme il le fait à chaque fois qu’on frappe à la porte. En revanche, en piètre chien de garde, il partira certainement se cacher dans mon dressing si l’échange devient violent. Mon seul espoir, c’est qu’elle ne le sait pas et que, peut-être la présence du staff lui fera assez peur pour se contenir. Il est mince, cependant. Toujours engourdie, paralysée, coincée dans un état étrange où j'ai l’impression de ne plus rien ressentir, je relève mes yeux dans les siens, avant de soupirer. « Qu’est ce que tu fais là Murphy ? On a plus rien à se dire. » Depuis le restaurant, et encore plus depuis que Billie est morte. Nous ne partageons plus rien d’autre qu’un génome. « T’es là pour l’héritage ? Parce que tout ce qu’elle a laissé ce sont des dettes, mais t’es la bienvenue si tu veux payer la moitié avec moi. » L’argent, n’est-ce pas la seule chose qui l’intéresse ? « Et c’est Williams. Megan Williams. » Monroe, ça ne veut plus rien dire du tout.

tw: insultes, violence physique et verbale.

Murphy frappe, discrètement. Enfin, discrètement, c'est le terme qu'elle aurait employé si on lui demandait de décrire ce qu'elle s'apprête à faire. Le plan est prêt depuis peu et la blonde a tout en tête. Ce n'est pas bien compliqué à mettre en œuvre. Quand on s'appelle Murphy Rowe, rien n'est compliqué à mettre en œuvre. Elle s'est débrouillée depuis toujours, Murphy. C'est presque idiot à préciser. C'est écrit sur la gueule qu'elle tire, sous l'œilleton, devant la porte de chez sa sœur jumelle. Elles n'ont rien en commun, même pas le physique. Elles avaient des parents en commun. Hal est on ne sait où en ville. Murphy n'a pas eu de ses nouvelles depuis un moment. Et la mère, elle, s'en est allé rejoindre un dieu auquel elle n'a jamais cru. Son dieu, c'était certainement la merde qu'elle s'enfilait à longueur de journée. Murphy ne pense pas à elle quand elle frappe chez sa sœur. Elle ne songe pas à sa génitrice quand elle cogne contre le bois et place ses hanches de façon à ce que le couteau divulgué contre son bassin ne lui coupe pas la peau. Non, Murphy ne songe pas à grand chose.

« Qu’est ce que tu fais là Murphy ? On a plus rien à se dire. » Derrière Megan, un chien aboie. C'est emmerdant, ça, un chien. Ca mord. Ca se jette à la gorge des gens. Ca détruit des visages et Murphy veut bien périr pour la cause, mais pas être défigurée. L'ordre des priorités n'a jamais été l'apanage des sœurs Mon-Rowe. « T’es là pour l’héritage ? Parce que tout ce qu’elle a laissé ce sont des dettes, mais t’es la bienvenue si tu veux payer la moitié avec moi. » C'est pénible, un chien, mais Murphy n'en a jamais eu peur. Non, elle n'écoute pas ce dont parle Megan. Elle s'en cogne éperdument d'ailleurs. Elle ne payera pas avec Megan. Revenons au chien. Il y a eu des types comme ce cabot. Des types baveux, bruyants, colériques. Il y a eu Seth. Non, Murphy n'a pas peur des chiens. Elle n'en a jamais tué. « Et c’est Williams. Megan Williams. » Alors Megan Williams prendra pour le reste. Pourtant, le ton de Megan n'était pas condescendant. La blonde a plutôt l'air épuisée, à dire vrai. Murphy n'en a cure : elle bondit soudain, toute rage dehors, c'est le branle-bas de combat. Soudain, Murphy est chez Megan, un couteau en main. Le chien aboie, mais pas plus. Et Murphy est penchée sur sa sœur, un long couteau de boucher brandit pour seule menace.

Murphy n'a jamais fait peur à personne, enfin pas à sa connaissance. Ce petit salaud de Damon n'est pas à la maison est c'est tant mieux. Murphy n'a même pas songé à cette éventualité. Elle menace sa sœur du couteau, qu'elle maintient à fleur de la peau fine de sa jumelle. « Tu crois que je vais payer avec toi, sale pute bourge ? TU CROIS ? » Elle hurle déjà, rouge de colère. La sobriété ne l'a rendue que plus irritable. Oh d'accord, revenons sur le propos : Murphy a déjà fait peur à Seth une fois, en le menaçant d'une fourchette. C'est facile à reproduire et cette fois-ci, le couteau est le personnage principal. Revenons à nos moutons. « Tu vis dans un putain de palace avec ton mari de merde qui chie de l'or et tu crois que je vais payer les dettes de notre salope de mère ? HEIN ?! » Le couteau tremble. Bientôt, un voisin viendra vérifier que "tout va bien ?" et Murphy ne pourra que fuir, encore. La fenêtre d'action est courte. « Tu m'appelles même pas pour me dire qu'elle a crevé. Tu m'envoies un putain de message pour m'informer comme si j'étais ta chienne, ta salope ou la pétasse de maîtresse qui suce la queue de ton mari quand tu te fais sauter par le voisin. Tu te prends pour qui ? TU ME PRENDS POUR QUI ?! » Non, effectivement, elles n'avaient rien à se dire.

blitzkrieg !
Megan Williams & @Murphy Rowe

Murphy est dangereuse. J’ai vécu avec une mère toxicomane, je sais qu’ils sont imprévisibles et que même quelqu’un qui vous aime du fond du coup peut vous agresser parce que, dans son délire, il croit que vous êtes son ennemi. Murphy ne m’aime pas, elle. Je suis certainement déjà l’ennemie pour elle alors que je l’ai logée, blanchie et nourrie pendant plusieurs semaines, pendant plusieurs mois. C’est une ingrate, comme tous les ratés dans son genre. Je crois que, au fond, je sais que de ne pas la prévenir était un acte égoïste. Je sais qu’elle aurait mérité un peu plus de considération simplement parce que, génétiquement, elle était la fille de Billie, mais je n’ai pas envie de partager le décès de ma mère avec cette sœur qui ne fait pas vraiment partie de la famille. Est-ce qu’elle a pleuré elle, toutes ces fois où les services sociaux l’emmenaient ? Est-ce qu’elle a pleuré en épongeant du vomi et en se faisant réchauffer des plats surgelés à douze ans parce que personne dans la maison n’était capable d’être une adulte. Si je l’avais prévenue et conviée à l’enterrement, Murphy aurait tout gâché parce que c’est ce que Murphy fait, quelles que soient les circonstances. Même lorsqu’elle vous invite au restaurant pour faire la paix, c’est toujours avec une idée derrière la tête.

Alors, je n’ai pour elle que du mépris et des paroles dures. Des paroles qui la touchent au point qu’elle sorte son couteau pour me pousser contre le mur et le plaquer contre ma gorge. Saül. Lawrence. Et maintenant Murphy. Mon esprit, encore traumatisé par les dernières agressions, se paralyse face à cette attaque. Bowie aboie mais n’a pas le courage de quitter son canapé. C’est tant mieux, cette cinglé aurait été capable de tuer mon chien. « Tu crois que je vais payer avec toi, sale pute bourge ? TU CROIS ? » Ce n’est pas ce que je lui ai demandé. Je l’ai évoqué, mais pour me foutre de sa gueule, alors je suppose que je récolte ce que je sème. Mes yeux s’écarquillent. Faut croire que les cours d'autodéfense, ça ne prépare pas pour de vrai à la panique. Réfléchis Megan, qu’est ce que l'instructeur à dit pour ce genre de cas de figure ? « Tu vis dans un putain de palace avec ton mari de merde qui chie de l'or et tu crois que je vais payer les dettes de notre salope de mère ? HEIN ?! » - « Qu’est ce que tu fous là alors ? Si tu veux l’adresse de sa tombe, j’allais te l’envoyer. Mais me fait pas croire que tu vas aller te recueillir dessus, tu penses qu’à ta gueule d’égoïste. » Voilà pourquoi je ne voulais pas d’elle. Parce qu’elle serait venue et aurait cherché à me piquer et à provoquer une dispute à quelques mètres du corps de ma mère. Billie a jamais eu grand chose, alors je voulais au moins lui offrir un enterrement digne. « Tu m'appelles même pas pour me dire qu'elle a crevé. Tu m'envoies un putain de message pour m'informer comme si j'étais ta chienne, ta salope ou la pétasse de maîtresse qui suce la queue de ton mari quand tu te fais sauter par le voisin. Tu te prends pour qui ? TU ME PRENDS POUR QUI ?! » - « T’étais personne pour elle. C’était moi sa fille t’entends ? Moi et personne d’autre. T’as pas le droit de débarquer comme une fleur à vingt-trois ans et de nous mettre sur un putain de pied d’égalité alors que tu sais rien de ce que c’était de grandir avec elle. » Je suis méchante, je suis mauvaise, mais je m’en moque. J’ai ouvert mon cœur à Murphy la première fois. Elle m’a prouvé qu’elle préférait cracher dessus. « T’es une sangsue, voilà ce que t’es. Tu suces les gens jusqu’à ce qu’ils aient plus rien à t’offrir où jusqu’à ce que tu trouves mieux. C’est bon, t’as fini de le sucer, l’autre con que t’as ramené au restaurant ? » Je ne le vois pas ici, avec elle, pour l’aider à me casser la gueule. Les cours d’autodéfense me reviennent en tête. Mes mains sont libres, et je les utilise pour appuyer mes pouces contre les globes oculaires de Murphy en espérant qu’elle aura assez mal et qu’elle sera assez surprise pour lâcher la prise.