Sans crier garde, c'est un fou rire qui franchit la barrière des lèvres de Leto. Son rire est telle une douce mélodie mais son origine m'interpelle, me vexerait presque, et seuls mes sourcils largement haussés l'accompagnent dans son expression hilare. Finalement, l'australienne indique : « Je pense pas qu'il y ait un code des monstres les forçant à ne sortir que la nuit » « C'est ça qui te fait si rire ? » Je fais, levant les yeux au Ciel. « En attendant, j'entends moins parler de monstres en plein jour que dans la pénombre... » J'argumente avant d'inviter la jeune femme à imposer davantage de distance entre nous et la cabine où nous avions découvert l'existence de l'énigmatique monstre doté de tentacules visqueuses et agressives. « Je crois qu'on est au milieu d'une hallucination bizarre. C'est la seule explication logique. Et ça explique aussi pourquoi j'ai l'impression que t'es sympa, maintenant. » Je lève de nouveau les yeux au Ciel, avant de commenter : « T'es tombée sur la tête dans ta chute, ouais. » Je hoche la tête en signe de dénégation. « Si tu me compares à cette bestiole, franchement, la compétition était pas très rude, » j'enchéris, sourire malicieux aux lèvres.

Je posais délicatement la bouteille d'eau fraîche sur la peau violacée de la cheville de Leto, m'inquiétant tout de même de la créature d'un autre monde qui s'était montrée plus qu'hostile avec nous. Devions-nous alerter les autorités ? Je n'étais pas enchanté par cette idée : j'étais loin d'être le genre de garçon à qui on donne le bon Dieu sans confession. Généralement, lorsque j'alertais contre un danger, on m'en pensait la cause. « Avant de prévenir les autorités, on devrait peut-être voir les autres passagers ? Histoire de savoir s'ils voient des tentacules eux aussi, ou pas. » Je considérais la Sinclair, peu convaincu. « Donc en gros, tu penses qu'on hallucine et qu'on devrait demander aux autres passagers si on est pas les seuls victimes de visions ? J'ai pas spécialement envie de passer pour un junkie, Sinclair, merci bien. » La jeune femme se lève et je pose un bras derrière elle sans réfléchir, craignant qu'elle bascule en arrière. « On devrait se lever et aller voir. » J'inspire profondément, peu emballé. « On devrait peut-être voir avant si y a des trucs qui peuvent servir d'armes ici ? » « Meilleure idée, » j'approuve. « Suis-moi, » je lui fais avant de bifurquer à un croisement et ouvrir une porte discrète. Un escalier étroit mène au fond de cale où reposent une partie des possessions des passagers de la Narelle.

« Bonne chance, » je souhaite avant de naviguer entre les malles, bagages et sacs de toutes sortes, à la recherche d'armes de défense. Je reviens une bonne dizaine de minutes plus tard vers Leto, muni d'une boîte d'allumettes et d'une hache de secours que j'ai décrochée du mur. « T'as trouvé de quoi ? » Je la questionne.

@Leto Sinclair

Je plisse les yeux, désapprobateur, lorsque Leto me qualifie de "collant" et "un peu casse-tête". Mes yeux se lèvent au Ciel en remarquant le sourire sur le portrait de l'australienne et je ne me prive pas de réfuter sa proposition qu'on interroge les passagers de la Narelle sur les phénomènes peu normaux dont nous venons d'être témoins. « J'ai pas dit qu'on devait aller les voir en mode "hey, vous voyez des tentacules qui essayent de vous tuer" ! Juste... Aller les voir, leur demander s'ils ont vu des choses étranges... » Je considère quelques instants la brune, peu convaincu, avant d'émettre, de mauvaise foi : « Mouais, sans moi. J'ai pas envie de finir interné. »

En revanche, lorsqu'il est question d'être armé, je suis derechef partant. Nous nous enfonçons dans le fond de la cale où sont stockés les malles et sacs de voyage des individus à bord. Nous entamons une recherche des possessions et je reviens une dizaine de minutes plus tard aux côtés de Leto, muni d'une hache de secours et d'une boîte d'allumettes. « J'ai un sabre » m'annonce-t-elle en testant la lame de l'arme. J'offre un rictus quelque peu impressionné. « Vintage, » je commente, tout en nous sentant toujours assez démunis face au monstre tentaculaire précédemment rencontré. « Tu crois que les gens ont laissé des armes dans leurs affaires ? Ou tout est caché dans leurs cabines ? » J'inspire profondément, grimace sous la réflexion. « J'me dis que les gens qui se sentent vraiment menacés doivent avoir leurs armes proches d'eux, » je conjecture. « Le capitaine doit être armé, non ? Question de pouvoir riposter et de ne pas perdre le contrôle du bateau en cas d'embuscade ? » Le sentiment de fabuler m'étreint mais je m'autorise à formuler ces pensées saugrenues après l'attaque que nous avions essuyée. « Ou alors, les gens très riches qui font le voyage. Les friqués ont souvent des ennemis et/ou du sang sur les mains, non ? » Je poursuis dans mes hypothèses. La Narelle abritait bon nombre de profils différents. Peut-être que se servir dans les cabines constituait une meilleure stratégie que celle de se rendre dans cette cale. Je tente de relativiser : « Bon, on a déjà ça, » je qualifie alors que Sinclair attache son sabre à sa ceinture. « Est-ce qu'on retourne dans ta cabine et on essaie de neutraliser la bête ? » Je propose, mes doigts caressant le manche de ma hache. « On aurait une idée de ce que c'est, comme ça, » je présente.

Après une inspection des différentes malles et valises entreposées dans la cale de la Narelle, Leto et moi nous retrouvâmes avec nos armes de fortune dérobées. Je grimace doucement lorsque l'australienne me demande si les passagers ne garderaient-ils pas plutôt leurs outils de défense dans leur cabine, ce qui me semble, après réflexion, plutôt logique. Je m'imagine aisément que le danger réside sur le bateau de croisière et ainsi, il serait plus avantageux à un individu d'avoir son arme à portée de main plutôt que parmi ses affaires dans les fins fonds du navire.

« Tu penses que des gens qui viennent faire une croisière peuvent se sentir menacés ? » Je considère quelques instants Leto, répliquant avec évidence : « Bien sûr. » « Parce que même s'ils sont riches, on est sur un bateau. Tous leurs ennemis vont pas embarquer là-dessus. » Je marque une pause, explicitant ma pensée : « Tout le monde a des ennemis et on a tous les profils de gens sur ce navire. Les revanchards et les mafieux ne pensent pas comme le commun des mortels. Sans compter que le monde est petit, même sur un bateau. » Le hasard qui faisait parfois un peu trop bien les choses et plaçait sur la route de l'un des opposants de calibre périlleux.

Leto noue le sabre à sa ceinture et je suis prêt à découdre avec la bête hostile ayant élu domicile dans sa cabine. « T'as vraiment envie d'y retourner ? » Je lève les sourcils, surpris par sa question. J'ambitionne à une vengeance ainsi qu'à percer le mystère de cette bestiole odieuse et aggressive. « Je suis même pas sûre de pouvoir bouger assez vite pour éviter de me faire de nouveau attraper. Je te serai pas d'une grande aide. » « Mais on est armé maintenant et on connaît le danger, » j'argumente. « Qu'est-ce que tu proposes ? De laisser le soin à tes colocataires de s'en occuper ? » Je demande, un peu déçu que Sinclair batte en retraite. Je la scrute quelques instants, jusqu'à ce que la brune baisse le nez, voilant son minois. « J'ai trop peur pour y retourner, » elle confesse et mes épaules s'affaissent à mesure que mon empathie assimile son point de vue. J'avais fait fi des blessures de la jeune femme et je n'avais pas pris en compte qu'elle avait été la victime du monstre présent sur le bateau. Une pointe de culpabilité m'étreignait et je posais ma hache sur un bagage à ma gauche. « Okay, Sinclair, » je formulais dans un soupire. « Met tes bras autour de mon cou, » je lui faisais sur un ton sans appel. « On va aller dans ma cabine, ça sera toujours mieux qu'ici et tu pourras te poser, je pourrais te soigner, » j'expliquais, glissant une main sous les genoux de la vingtenaire pour la hisser précautionneusement dans mes bras. « Prends ma hache par contre, » je sollicitais. « On sait jamais. »

La déception se lisait aisément sur mes traits lorsque Sinclair m'ouvrait les yeux sur son état de santé et le caractère peu judicieux qu'elle soit confrontée de nouveau au monstre tentaculaire ayant élu domicile dans sa cabine, et ceci autant désirais-je en découdre avec cette intrigante ignominie. « Etre armé ne m'aide pas à bouger plus vite... » argumentait-elle et je soupirais, mes épaules s'affaissant dans un signe de résignation. Je déposais la hache récupérée sur des bagages à ma gauche et ambitionnais un nouveau plan que je formulais à voix haute : nous nous rendrions dans ma cabine où la jeune femme pourrait se reposer et être soignée.

« Je peux marcher, » l'australienne laissa entendre alors que je la hissais dans mes bras. « Dommage que je te laisse pas le choix, alors, » je rétorquais, l'orientant vers mon arme pour qu'elle récupère l'outil tranchant. La hache sur les genoux de Leto, je sentais ses bras se serrer davantage à mon cou pendant que je m'avançais vers la sortie de la cale. « J'espère qu'il n'y a rien dans ta cabine. Imagine si le monstre réussit à se déplacer dans les cabines ! » « Je ferai une inspection, » je promettais tout en baissant le ton, analysant la voie dans l'objectif de ne croiser personne.

« Okay, on se dépêche, » j'annonçais en pressant le pas jusqu'à ma cabine. « Prends le trousseau autour de mon cou et déverrouille la porte, c'est la clef la plus rectangulaire avec un bout noir » je la conviais une fois que nous étions face à la surface boisée. Je penchais Leto vers la poignée et la déposais prudemment sur le matelas après avoir fermé la porte derrière nous d'un mouvement de jambe. « Ca va aller ? » Je questionnais, recherchant le regard de la brune pour y lire les potentielles informations que ses mots n'exprimeraient peut-être pas. « Tiens, ça te requinquera un peu, » je lui tendais l'orange qui reposait sur ma table de chevet. Je saisis le manche de la hache et entreprenais d'ouvrir les placards ainsi que de vérifier sous le lit qu'aucun être indésirable ne rampait entre les murs de la petite pièce. « Apparemment, il n'y a que deux monstres ici, » j'annonçais avec un sourire narquois. « Tu me montres où t'as mal ? » Je proposais. « J'ai quelques remèdes. »

Désormais que Leto m'avait ouvert les yeux sur son état physique, je ne pouvais m'empêcher de la décrire, à la fois conciliant et incrédule. Soit la jeune femme était bonne comédienne, soit le monstre tentaculaire qui avait élu domicile dans sa couchette n'avait pas été de main morte avec elle. Avait-il injecté en la Sinclair un poison par ailleurs pour la rendre si mal en point ? Je considérais la brune s'étendre lentement sur le matelas, envisageant sérieusement d'aller chercher le médecin du navire, puis vérifiais que nous étions bien seuls dans la pièce après avoir offert mon orange à l'australienne.

L'inspection terminée, je l'invitais à me révéler où elle souffrait majoritairement, déterminé à l'aider. D'autre part, cette option évitait que l'on communique l'événement agressif de tout à l'heure auquel j'avais encore moi-même du mal à croire. La dernière chose que je souhaitais été d'être enfermé dans la cale avec un diagnostic erroné de fou. « Tu caches des onguents dans ta cabine ? » « Plutôt des ingrédients, » je présentais en tirant une boîte en bois âgé qui exhibait avoir connu multiples mésaventures. « J'ai surtout mal à la jambe droite et au dos, » Leto m'indiqua et je m'asseyais sur le matelas, positionnant délicatement la jambe désignée sur mes cuisses. J'attrapais ensuite l'oreiller pour le caler dans son dos. « Tu t'entends bien avec tes colocataires ? Tu crois qu'ils pourraient nous aider ? Parce qu'à moins que tu pratiques la magie, je suis pas sûre d'être d'une grande aide pour quoi que ce soit, là. » « Je crois qu'ils nous demanderaient ce qu'on a consommé, oui, » je faisais, persistant dans l'idée que personne ne pouvait avaler l'existence de l'hideuse bête. Je levais doucement la toile du pantalon de Leto pour prendre connaissance de ses maux. Les points d'impact n'étaient pas des plus beaux : enflés, écarlates, suintants. « Tu vas p'tet te transformer en elle, » je plaisantais. Je me relevais afin d'humidifier un mouchoir que je savonnais puis je reprenais ma place initiale sur le matelas pour nettoyer doucement les plaies. Ensuite, je tirais quelques baies jaunes et de fines feuilles acutilobées  vert foncé que j'écrasais avant d'appliquer sur la peau de Leto. « Butterdale et sorcière Phygg. Je sais les noms font sourciller mais ça va te faire du bien. » Je promettais. Je tendais ensuite une des fleurs violettes vers la brune. « Sens, elle sent le beurre. » Je me concentrais à couvrir les zones heurtées tout en ajoutant : « J'ai jamais vraiment eu les moyens d'acheter des médocs et autres alors j'me suis toujours soigné comme ça. Ca m'a sauvé plus d'une fois. »

Si Leto restait déterminée à rechercher de l'aide auprès de tierces personnes, il m'était pour ma part inconcevable que l'on puisse relater le récit de cette mésaventure à d'autres passagers du navire. En effet, à mes yeux, cela m'attirerait uniquement de nouvelles problématiques. Si l'on ne venait pas à penser que j'avais moi-même attaqué Sinclair, je serais pris pour un halluciné ou un addict, des rôles que je préférais ne pas arborer en addition des étiquettes que je me traînais. « Donc tu penses qu'on a halluciné le monstre dans ma cabine ? » Je soupire, revenant sur la couchette auprès de Leto, muni de ma boîte boisée contenant plusieurs plantes et racines. « Je pense que personne ne croirait qu'une sorte de gros poulpe visqueux t'a pris pour son déjeuner, » j'explique tout en soulevant le tissu de la jambe du pantalon de la brune pour étudier ses plaies, soupçonnant que ce geste ferait taire toute envie de me contredire de suite de l'australienne. « Et vu qu'on ne l'a pas chopé non plus pour le montrer... »

« Tu les trouves où tes plantes ? » Je levais les yeux sur le minois tendu de la jeune femme dont la douleur était aisément lisible. « Tu les achètes quand on débarque quelque part ? » « Pas vraiment, » je formule, poursuivant l'énigme : « je les trouve juste. » L'argent était une denrée rare dans mes poches et de toute façon, je préférais voler ou les dénicher sur les terres que je connaissais, conservant mes quelques pièces en cas d'urgence. « Je suis pas sûr qu'il y ait un commerce à faire avec celles que j'ai, » j'ajoutais dans un mensonge, envisageant soudainement que Leto puisse tenter de me voler pour son propre marché.

« Pourquoi tu tiens tant à tout garder secret ? Plutôt que de m'emmener voir le médecin du vaisseau, ou prévenir le reste de l'équipage? Si ça se trouve, il y a d'autres monstres cachés sur le bateau... » « T'es une vraie tête de cochon, » je rétorquais sans cacher mon exaspération. « Si tu veux prévenir des gens sur le navire, je te retiens pas, mais ce sera sans moi, » je tranchais. « J'ai déjà assez de problèmes ici, je me passerais très bien de nouveaux, » j'annonçais. « Le monstre attaquera sans doute quelqu'un d'autre, cette personne pourra aller alerter aussi, » j'ajoutais, sans aucune envie d'être un héros et de protéger les passagers de la Narelle. Puis quelles étaient les chances que la bête se trouve toujours au même endroit ? Comment prouveraient-ils son existence auprès des sceptiques sans la démontrer ? De plus, avec un peu de chance, quelqu'un que j'appréciais guère se ferait agresser par cette ignominie et traiterait ce dossier à notre place.

A défaut de connaître la meilleure stratégie pour traiter le dossier du poulpe géant qui avait attaqué plus tôt Leto, je m'appliquais à panser ses blessures de mes compétences en botanique. Cela pouvait probablement paraître saugrenu, voire s'apparenter totalement à un subterfuge, néanmoins, je croyais en le pouvoir des plantes et j'étais intimement convaincu que le cataplasme que je posais sur l'épiderme maltraitée de la Sinclair lui ferait le plus grand bien - quitte à ce que ce soit que psychologique. De plus, cela lui permettait dans l'immédiat de récupérer et idéalement, ses maux seraient apaisés avant qu'elle aille consulter le médecin du navire, si elle le souhaitait.

« Je te volerai pas tes plantes, » affirma la brune alors que je me montrais très vague quant à ses questions, n'ayant aucune envie que l'australienne mette son nez dans mes affaires et ayant sincèrement pensé qu'elle puisse, en effet, me dérober. « Dit l'une des plus grandes pickpockets à bord, » je rétorquais néanmoins avec insolence, levant un œil vif vers mon interlocutrice qui ne tarda pas à enchérir sur le débat d'alerter l'équipage sur la présence d'au moins une monstruosité à multiples tentacules parmi nous. Catégorique, je rejetais en bloc ma transmission de ce récit, ne privant toutefois pas Leto de s'éprendre de cette mission seule si le cœur l'en disait tant. « T'as peur de passer pour un fou ? Ou tu devrais pas être ici et devoir aller alerter pour cette foutue bestiole gâcherait ta couverture ? » Un rire fila entre mes lèvres. « D'où venez-vous, Kai Luz ? » « J'ai bien peur que ce ne soit pas de vos oignons, Leto Sinclair. » Je lui offrais un rictus taquin. « Je sais comment ça se passe, je le vois d'ici : je vais finir accusé d'avoir amené ce glouton à bord alors que j'y suis pour rien. Ou alors, on va m'accuser d'être la bête qui t'a fait tout ça. Franchement, ça me dit rien d'être le pouilleux à qui on donne le mauvais rôle parce que je n'ai pas autant d'influence que d'autres sur ce bateau, » j'annonçais avec un haussement d'épaule. « Puis vraiment, qui sait quelle mafia a pu amener cette ignominie ici. On aurait dit une expérience scientifique qui a mal tourné, je suis sûr qu'il y a de la politique derrière tout ça. » Impossible que ce poulpe ait divagué de l'océan selon moi et je ne l'imaginais pas être apparu comme par magie non plus. « Tu veux passer la nuit ici ? » Je proposais d'une façon aussi soudaine qu'inusitée.

« C'est pas toi qu'on accusera d'avoir gardé un animal clandestin à bord. Ce truc était dans ma cabine je te rappelle. » Mon regard passa de la jambe de Leto que je pansais à son minois tiré par la douleur. « Et ? » Je m'enquérais, levant des sourcils incrédule. « T'es en train de me dire que tu ne serais pas capable de m'accuser si ça en venait à ta parole contre la mienne ? » Je lâchais, ma méfiance assurément pas dissimulée. « Tu penses que quelqu'un a relâché volontairement ce monstre ? Mais pourquoi dans les cabines des employés ? On est payé un salaire de misère, et on ne va certainement pas changer le monde. » Je haussais les épaules. « Dommages collatéraux ? » Je suggérais. Les petites gens suscitaient rarement les remords, ils composaient de ma compréhension plutôt des vecteurs pour atteindre les plus hauts placés. De vulgaires pions sur l'échiquier précédant les tours et cavaliers. « Ca n'a pas l'air d'être un animal naturel qui se serait infiltré à bord par mégarde, » j'ajoutais, songeur. Pour ce qui était des phénomènes paranormaux, j'avais tendance à ne pas y croire.

J'étais également tranché sur le fait que je refusais d'alerter qui que ce soit sur l'abominable découverte que nous avions faite dans la cabine de Leto. En aucun cas ne voulais-je être associé à ce monstre, quitte à ne prévenir personne de sa présence et risquer de nouveaux et innocents blessés. Ma philosophie était d'adopter un profil bas sur ce navire et de ne pas prendre partie dans quelconque affaire, aussi saugrenue soit-elle. Si Sinclair voyait tout le bien que pouvait permettre une telle alarme produite auprès du capitaine du Narelle, je n'imaginais que les problèmes et accusations éventuelles qui pourraient en découler, que je ne tardais pas à partager à mon interlocutrice, avant de lui proposer soudainement si elle souhaitait dormir sur mon lit cette nuit, dans une tentative brusque de conclure sur notre différend. J'avais beau être buté et être en désaccord avec elle, il s'avérait que je n'étais pas entièrement cruel et égoïste non plus. « Ça te dérange pas ? » fit-elle, somnolente. Je hochais la tête en signe de dénégation pour toute réponse et me redressais du lit afin de ranger précautionneusement la boîte boisée refermant mes plantes dans mes affaires. « Attends, je vais t'aider, » j'annonçais en tirant les couvertures afin de l'en recouvrir. J'ajustais ensuite l'oreiller derrière sa tête pendant que l'australienne se mouvait de peine et de misère sur le matelas. « Ça ira mieux demain. » Je promettais sur l'état de sa jambe, à défaut de connaître quels prochains remoux saisiront le bateau de croisière, désormais habité d'une infamie vorace.