late night talking
ft @Ruben Hartfield  

Les allers-retours incessants que Greta dessinait au milieu de son loft n’y changeaient rien et son téléphone restait désespérément silencieux. Cela faisait maintenant quelques semaines qu’elle ne l’avait plus entendu ou lu utiliser son surnom, qu’il ne lui avait plus proposé de l’accompagner pour sortir Jazz ou qu’il n’avait simplement plus pris de ses nouvelles. C’était ce qu’on lui avait inculqué depuis petite, que le mensonge se retournait toujours contre soi, et la situation actuelle donnait inévitablement tort à ses parents qu’elle n’écoutait peut-être que trop peu. Si taire certaines choses ne constituait pas réellement un mensonge, son silence avait eu le même résultat et Lucas était sorti de sa vie. Une absence qui devenait de plus en plus insupportable au fur et à mesure où elle s’allongeait. Luttant pour ne pas contacter Maze tout de suite ce qui viendrait valider qu’un problème existait, Greta s’évadait seule, ou plutôt accompagnée de quelques verres. Depuis son arrivée à Brisbane, la jeune femme avait pris l’habitude de sortir seule mais un cinéma ou un restaurant étaient bien plus inoffensifs qu’un bar. Alors elle prenait soin de s’éloigner du quartier de Spring Hill pour éviter d’y croiser ses voisins ou ces personnes qui fréquentaient les mêmes événements qu’elle et risquaient de pouvoir annoncer aux Sighbury à quelles activités s’adonner leur cadette. Dans son uber hors de prix pour s’assurer d’être en sécurité au moins le temps du trajet, Greta vérifiait à nouveau frénétiquement son téléphone qui venait lui confirmer qu’elle avait besoin de se changer les idées et de l’oublier comme il l’avait visiblement fait. En sortant du véhicule, l’auteure n’avait plus une once de culpabilité et s’était installée au bar pour commander son premier verre, puis son second. Ce n’était qu’au moment de commander le troisième qu’une conversation avait attiré son attention, alors qu’un groupe d’amis à ses côtés s'amusait à taquiner un certain… « Hartfield ? Un lien de parenté avec Rhett, peut-être ? » avait-elle demandé en se tournant vers eux avec bien peu de scrupule, les quelques verres suffisant à faire tomber les barrières normalement érigées entre une femme seule et un groupe de fêtards légèrement trop jeunes pour elle. En utilisant le surnom de la célébrité et non pas son prénom entier, peut-être s'assurait-elle de ne pas passer pour l’une de ses groupies. L’auteure le savait, très peu de monde finalement le connaissait sous le nom de Garrett Hartfield, mais l’idée de ne pas passer pour une simple fan lui éviter de regretter d’avoir accosté le jeune homme à ses côtés.

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ft @Ruben Hartfield  

Malgré les quelques verres déjà ingurgités, l’auteure avait gardé ses réflexes et à la seconde où le nom d’Hartfield avait été prononcé, elle savait qu’elle tenait là une manière simple de venir combler quelques points manquants du livre. Hartfield, elle le savait, désignait soit le frère ou la sœur du commentateur sportif, mais difficilement Rhett lui-même. Son rapport à l’alcool était une des questions en suspens pour une Greta qui partait du principe que chaque personne adulte savait savourer un bon verre de vin. Le trouver ici l’aurait étonnée, alors c’est sans grande surprise qu’un garçon qu’elle devinait être Ruben s’était tourné vers elle. « Bien joué. Rhett est mon grand frère, effectivement. » La jeune femme avait tenté de dissimuler son sourire pour ne pas effrayer Ruben en plus de le déranger mais le rencontrer, ici, par hasard, avait quelque chose d’amusant. L'ayant découvert à travers les mots de Rhett, il ne lui semblait pas totalement inconnu et sa moue tantôt intriguée tantôt agacée venait parfaire le portrait qu’elle avait pu se faire de lui. « Je vais me permettre de vous dire que vous m’avez l’air un peu jeune pour lui, si c’est ça votre idée. Et qu’il ne se déplacerait pas pour rencontrer des fans, surtout si c’est moi qui l’appelle. » avait-il annoncé, bien loin de prendre les mêmes pincettes que son frère avec les inconnus. Elle ne pouvait pas lui en vouloir, bien consciente de ce que signifiait avoir un grand frère célèbre et devoir batailler avec des personnes qui tentaient de l’atteindre par tous les moyens. « Merci du compliment, je ne suis pas beaucoup plus jeune que Rhett, mais je prends. » Six années. Greta se souvenait de la spirale dans laquelle elle avait été entraînée pendant ces six dernières années et son regard fuyant venait confirmer à quel point six années ne signifiaient pas grand-chose. L’âge n’était de toute façon pas le problème, Rhett avait officialisé son couple avec Evelyn et même une Greta fâchée avec l’amour s’accordait à dire qu’ils formaient un très joli couple. Non, le but de la blonde n’était pas de gagner le cœur du rugbyman comme cela devait être le cas pour de nombreuses personnes et elle se devait de lui expliquer les raisons de son intervention. « Ruben, c’est ça ? » avait-elle demandé et les sourcils du garçon s’étaient froncés encore un peu plus. Il était visiblement étonné, voire inquiet, de constater que celle qu’il prenait certainement pour une des fans de Rhett semblait bien renseignée sur sa personne. A vrai dire, de simples recherches sur internet donnaient quelques informations sur la famille de l’ancien joueur mais Greta en savait quelque chose, c’était rarement l'entourage de la personne célèbre qui intéressait alors elle comprenait son étonnement. « Je voulais pas t’interrompre, je suis pas une de ses groupies, je suis sa biographe, Greta. » Le sourire de la jeune femme se voulait plus confiant qu’elle ne l’était réellement alors qu’elle était déjà en train de se questionner sur la légitimité de ce qu’elle était en train de faire. Rhett lui avait donné une deadline pour sa biographie et si elle souhaitait s’y tenir, Greta devait progresser et obtenir quelques informations de la part du petit frère du rugbyman semblait être une bonne idée. Son souhait était de donner un peu plus de reliefs à certains événements, certains passages, qui semblaient simplement anecdotiques pour Rhett mais qui sauraient intéresser les lecteurs, elle en était convaincue. Greta connaissait la relation tendue des deux frères et Ruben n’était probablement même pas au courant du nouveau projet de Rhett mais ses mots s'enchaînaient sans qu’elle ne puisse prendre le temps de décider si son comportement était correct. Alors, elle continuait. « Je t’aurais bien proposé de te payer un verre pour pouvoir t’entendre parler de ton frère mais je vois que tu as déjà ce qu’il faut, alors… » avait-elle dit sans chercher à cacher sa réelle intention. Sans attendre sa réponse, Greta s’était adressée au barman pour commander son propre verre et retourner à sa propre soirée et le laisser à la sienne, lui qui semblait bien peu enclin à la discussion.

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ft @Ruben Hartfield  

Rhett avait ce quelque chose, ce côté chic et distingué et peut-être était-ce son séjour en Angleterre qui le rapprochait aux yeux de Greta d’un vrai dandy. Le contraste avec Ruben était saisissant et l’écrivaine avait naïvement cru que s’ils étaient totalement opposés, ils auraient au moins les traces d’une même éducation. Il n’en était rien et le cadet était loin de prendre les mêmes pincettes que son aîné. « Alors au cas où, parce-que je suis pas beaucoup plus jeune que Rhett non plus, je me permets: se rapprocher de moi et essayer de m’amadouer ne fonctionnera pas. Et moi je suis casé, en plus. » Greta affichait un sourire, tentant de ne pas se laisser destabiliser par un Ruben forcément plus intéressé par ses amis et leurs kilomètres de shots que par une blonde sortie de nul part. Qu’avait-elle en tête en l’accostant ? Ses actions étaient irréfléchies quand elle dépassait deux verres au compteur mais il aurait été encore plus étrange de partir sans s’expliquer. Ruben serait à un moment ou un autre au courant de la biographie et risquait d’entendre son nom ou reconnaître son visage, qu’il soit associé à celui de la fan hystérique de Rhett qui avait réussi à se rapprocher de son petit frère serait légèrement fâcheux. « En plein dans le mille. » Son ton restait linéaire et Greta y voyait plutôt un soulagement, une excuse pour se dérober, car elle s’aventurait probablement hors des limites que pourrait lui imposer Rhett. Devant tant d’aplomb, l’écrivaine sentait l’ivresse se dissiper plutôt que s’intensifier alors qu’elle tentait de se concentrer sur ce qui était en train de se passer. Elle venait de se présenter tout en dévoilant à ce frère que l’ancien sportif avait toujours autant de mal à apprivoiser qu’il se lançait dans une biographie. Son rire était venu contrarier une Greta qui, pouvant se vanter d’une relation en totale osmose avec son frère, avait toutes les peines du monde à comprendre qu’une fratrie puisse se déchirer. Elle s’était levée, prête à partir continuer une soirée qui ne serait pas différente des nombreuses sorties auxquelles elle s’adonnait depuis quelques semaines dans une tentative échouée d’accepter que Lucas l’ait chassée de sa vie.

« Greta, attends ! » Vacillant légèrement perchée sur ses stilettos, Greta s’était de nouveau retrouvée face à Ruben. « Je suis désolé, j’aurais pas du me mettre à rire. Juste… Je m’attendais à tout sauf à ça. » Le ton avait changé, le gamin moqueur venant finalement confirmer qu’il était bel et bien affilié à Rhett en prononçant des excuses dont Greta n’aurait même pas eu besoin. « Maintenant que tu sais qui je suis, tu te doutes que je suis pas étonnée. » avait-elle commencé en soulignant ne pas être étonnée de le voir rire devant un tel projet, tout en réalisant que ses mots pouvaient donner l’impression que Rhett se soit trop confié sur lui, ce qui n’était pas le cas. Il avait parlé de leur relation brièvement, sans tenter de minimiser leur mésentente et en soulignant les efforts faits aujourd’hui. Si elle le connaissait, c’était aussi au travers des journaux et Ruben ne serait sûrement pas surpris que l’écrivaine puisse déjà avoir quelques attentes concernant son caractère. Greta avait continué se refusant à anticiper les réactions d’une personne à qui elle parlait depuis seulement quelques minutes face à des mots confus par un verre qui se vidait machinalement au fur et à mesure de la discussion. « Je veux juste dire que je comprends ta réaction, si j’en crois ce que j’ai pu lire sur toi. Mais, tu sais, j’ai beaucoup de respect pour ton grand frère alors j’aurais tendance à ne pas te laisser te moquer. » Sous-entendu : Greta était loyale et défendait son entourage. Rhett était quelqu’un a qui elle s’était peut être trop vite attachée, quelqu’un à qui elle ne pouvait que s’attacher en l’écoutant faire le récit d’une vie bien moins dorée que ce que la vie de célébrité pouvait laisser penser. Son sourire chaleureux était cependant venu confirmer qu’il n’y avait rien de grave, la situation devait forcément prêter à rire pour un Ruben qui passait d’une soirée entre amis à un tête à tête avec la biographe de son frère. « J’espère que je t’ai pas vexée. C’était pas mon intention. D’habitude, les jeunes femmes de ton âge qui m’approchent pour parler de Rhett ont des intentions moins louables en tête. D’où ma réelle surprise. » Greta avait roulé les yeux d’un air dramatique dans un air qui se voulait faussement vexé. Elle comprenait, elle comprenait même très bien mais ne pouvait rien dire à Ruben tant sa couverture était de plus en plus fragile. Rhett savait, mais la trahir ne lui ressemblait pas et le mettrait lui-même dans une position difficile mais l’écrivaine, même après tant de verres, ne pouvait pas encore faire confiance au petit frère. « J’imagine ouais, t’en fais pas, je me vexe pas. De toute façon, c’était idiot de venir te voir, c’est moi qui m’excuse. » avait-elle dit dans un éclair de lucidité qui ne l’avait cependant pas empêché d’accepter l’offre de Ruben. « Laisse moi te payer ton verre plutôt que l’inverse. C’est le moins que je puisse faire pour avoir réagi comme un idiot. » Ruben la faisait rire, parce qu’il venait de lui montrer deux personnalités différentes en seulement quelques minutes et parce que le vin avait ce pouvoir de la rendre extrêmement enthousiaste.« Je t’en prie, tu peux aller t’installer si tu veux, je vais nous chercher des verres. Tu prendras quoi ? » Avant d’aller s’asseoir sur les confortables canapés d’une table un peu plus éloignée, Greta avait désigné son verre de Bordeaux à peine terminé, un vin français, bien trop chic pour l’endroit où elle avait trouvé refuge ce soir. Difficile de cacher son côté mondain même si elle tentait de vivre normalement depuis son arrivée ici. Normalement. Sans artifice, sans journaliste, sans subir des cris aigus quand elle se promenait avec son grand frère. Ruben et elle partageaient un point commun de taille. Il était revenu avec deux verres et la blonde continuait à s’étonner du retournement de situation depuis qu’elle avait révélé qui elle était. « T’es sûr que je te dérange pas ? Je voulais pas gâcher ta soirée, ni me lancer dans un travail d’investigation. Je trouvais juste la coïncidence trop belle. » La probabilité de tomber sur l’un des Hartfield en plein milieu de l’écriture de la biographie de l’aîné était faible. Alors elle avait sauté sur l’occasion sans penser aux conséquences mais sur la plus-value des mots qu’accepterait de lui livrer Ruben alors que le livre devait sortir dans seulement un ou deux mois. « Je pense qu’il ne t’en a pas parlé parce que ça s’est fait très vite. On s’est rencontrés et le lendemain on fixait déjà un rendez-vous pour commencer l’écriture. » Elle ne tentait pas de réparer une relation dans laquelle elle n’avait aucun rôle à jouer, ce qu’elle disait était simplement la vérité. « Le livre est bientôt bouclé, j’aimerais juste apporter une petite touche en plus en ayant autre chose que l’histoire de Rhett par Rhett. » Parce qu’une biographie ne se composait pas uniquement des mots de la célébrité mais aussi de quelques bribes de souvenirs et de points de vue de ses proches. Malgré leur relation compliquée, Ruben le connaissait probablement mieux que personne ou serait tout du moins capable d’apporter des subtilités que lui seul possédait. Le ton avait été donné dès le début de la conversation mais Greta souhaitait garder les choses fluides alors elle s’était intéressée à lui également. « Tu es médecin, c’est ça ? »  L’entrevue était particulière, parce qu’elle le connaissait un minimum alors que lui la rencontrait pour la toute première fois - à moins d’être un immense fan du monde de la mode.

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ft @Ruben Hartfield  

La relation entre Ruben et Rhett lui avait été révélée à demi-mots au travers d’un récit où tout semblait plus important que les liens familiaux. Une tension dans la fratrie Hartfield qui avait montré à Greta l’ampleur de la tâche que représentait l’écriture d’une biographie, alors elle écrivait ce qu’on lui expliquait en tentant de ne pas intervenir dans un sujet qui faisait forcément écho à sa relation avec son propre frère. Le problème était similaire, Carmine avait choisi de briller aux côtés de ses parents quand Greta avait préféré rester en retrait jusqu’à s’éloigner complètement de Londres et de la vie sous les projecteurs des Sighbury. Pourtant, leurs différences de choix et de caractère avaient justement permis de les souder jusqu’au point de faire de son grand frère le premier homme de sa vie. Difficile donc pour l’écrivaine de se retrouver plongée au milieu d’un schéma familial compliqué et d’écouter deux frères se déchirer. Elle n’avait pour l’instant que la version de Rhett mais, le hasard faisant parfois bien les choses et sa curiosité l’ayant amenée jusqu’à lui, peut-être aurait-elle bientôt également celle de Ruben.

« Disons que tu partais avec une longueur d’avance. » avait-il confirmé alors qu’elle n’avait montré aucun étonnement face à son animosité des débuts et son rire moqueur à l’annonce d’une biographie sur son grand frère. Mais elle avait voulu donner le ton, si elle devait prendre un parti ce soir, ce serait celui de Rhett. « Message reçu cinq sur cinq. » Il avait réussi à lui arracher un sourire, un vrai, pas un sourire forcé pour cacher sa gêne. L’alcool avait une place un peu trop importante dans sa vie actuellement mais l’avantage était qu’il permettait de délier les langues et de dire les choses comme elles venaient. Alors peut-être que sans cette aide supplémentaire Greta ne se serait pas entendue dire qu’elle respectait Rhett mais son sourcil arqué n’y changerait rien, les mots étaient dits et devaient probablement refléter sa façon de pensée. Ils étaient forts, mais il était vrai que Greta avait bien du mal à entendre moqueries ou critiques sur les personnes de son entourage et, qu’elle le veuille ou non, le garçon en faisant dorénavant partie. Si le doute persistait, la rencontre de l’auteure avec le petit frère était une pure coïncidence et elle avait au moins eu la décence de s’assurer qu’elle ne le dérangeait pas, même si le mal était déjà fait. « Regarde: personne à ma table d’origine s’est rendu compte que j’étais parti. Autant que je reste avec toi. » Peut-être. Ou peut-être aurait-il du refuser, partir, et éviter à Greta une situation extrêmement compliquée avec Rhett après leur entrevue. « Et puis, si c’est toi qui gère la rédaction de la biographie de Rhett, t’es la mieux placée pour savoir si une entrevue avec moi peut t’apporter quelque-chose. » A la différence près que Greta était loin d’être une biographe, et tout aussi loin de pouvoir prétendre au titre d’écrivaine à proprement parler. Mais elle avait acquiescé, tentant de montrer une certaine assurance. Tout en discutant de son projet en venant l’aborder, Greta s’était assurée de ne pas mettre d’huile sur le feu dans leur conflit. « Je suis pas sur que j’en aurais entendu parler plus tôt si tu étais pas venue m’accoster ce soir. »  « Dis-toi que je viens de te gâcher une sacrée surprise, alors. » avait été la seule réponse qu’elle avait trouvé, car, effectivement, la surprise aurait pu être de taille. Venait-elle de faire une grave erreur? L’avenir lui dirait.

« Intéressant. » Depuis le début de ce projet, Greta redoutait que celui-ci ne vienne lui créer des rides dont elle ne voulait pas. Elle fronçait les sourcils, écarquillait les yeux et c’était tout un panel d’émotions qu’affichait son visage en découvrant l’histoire qu’elle se devait de conter au monde, ou à l’Australie pour débuter.  « Et bah écoute, je suis à ta disposition. Jusque… On a quelques heures devant nous, je commence qu’à dix-heures demain matin. » Et sa façon de se comporter la faisait sourire mais n’enlevait rien à cette sorte de tension qu’elle ressentait. Comme si elle se regardait dans un miroir, la blonde sentait une certaine perplexité sur le visage de Ruben alors elle avait pris le temps d’expliquer. « La biographie, c’est la vie du sujet principal racontée par quelqu’un d’autre. Alors ouais, je trouve ça bien de pouvoir compter sur des avis extérieurs et puisqu’on était au même endroit au même moment… » Son sourire était venu terminer sa phrase alors qu’elle ne souhaitait pas lui faire un cours de littérature mais seulement tenter de récolter de nouvelles informations, ici et là. « Tu seras pas cité, je sais même pas si j’utiliserais ce qu’on se dira. C’est juste important que je cerne bien le personnage.  » Les rires que Ruben tentaient de dissimuler la confortait dans l’idée qu’elle avait pris une mauvaise décision, mais le vin faisait son effet et plus le temps avançait plus partir semblait compliqué. Puis, après tout, ce projet était également le sien et elle devait le mener comme elle l’entendait - ses recherches au sujet des biographies lui avaient montré l’importance des témoignages extérieurs et des citations. Bien sûr, sa mesquinerie n’irait pas jusqu’à citer le petit frère insolent de Rhett car son but n’était pas de créer un conflit inutile avec son collaborateur. « Chirurgien. » Et si elle n’était pas un peu plus attentive, c'était avec Ruben que Geta risquait de se retrouver en conflit. « Neurochirurgien, même. Je sais que ça fait prétentieux de le préciser, mais les douze années passées sur les bancs de l’école poussent à le faire. » « Oh. Et un peu pointilleux, donc ? » avait-elle répondu mais le sujet semblait bien trop important pour lui.  « Je plaisante, tu fais bien de préciser, tu fais un métier bien trop important pour minimiser. Elle l’avait laissé poursuivre venant calmer le jeu avec un sourire et elle l’écoutait, attentive, pour lui montrer un intérêt non feint - cette fois non pas au frère et à l’ajout pour le livre mais bel et bien pour son travail. « Je bosse au St Vincent, et je suis titulaire de mon poste. Ce qui est plutôt rare pour les jeunes recrues. » Impressionnant. L’agacement de Rhett face à la réussite de son frère pouvait se comprendre, mais en écoutant Ruben parler de son poste de neuro-chirurgien, la passion dans sa voix se ressentait et son avis sur lui se forgeait petit à petit. « Mais je pense que ce sont là des réponses que tu connais déjà ? Ou Garrett n’est pas capable seul de répondre à ce type de questions ? » Sans relever la pique gratuite envers Garrett, elle avait répondu simplement. « Je te pensais simple médecin, ça prouve que je n’ai pas toutes les informations. J’ajouterais neurochirurgien à ton paragraphe. » Parce que c’était le genre de détails qu’elle était venue chercher, pas forcément les plus croustillants, pas forcément ceux visant à raviver un conflit qui selon ses informations semblait endormi. Elle était peut-être passée à côté de cette précision, elle ne savait plus, les éléments s’étant tous accumulés pour former cette biographie qui devait voir le jour sous peu. Alors peut-être que, oui, certaines choses lui avaient échappé. Mais l’étonnement sur le visage de Ruben n’était selon elle pas dû à son manque d’information mais à un détail dans ce qu’elle venait de dire alors elle avait corrigé. « A ton chapitre ? C’est mieux ? » avait-elle ajouté en riant. Ils étaient ennemis, mais leur relation ferait vendre, alors un simple paragraphe ne suffirait pas, n’en déplaise au principal intéréssé. « C’est assez marrant, en fait. Que ce soit ton frère ou toi, on voit une certaine volonté de vous mettre en avant mais pas par prétention, plus comme si vous n’aviez pas d’autres choix. Je me trompe ? » Une guerre fraternelle, mais une guerre qui les dévorait de l’intérieur. C’était en tout cas le point de vue extérieur qu’elle était en train de bâtir et ces mots n’avaient aucune vocation à plaire. Alors en un sourire et une gorgée de vin, elle était venue apaiser l’atmosphère. « Pardon j’ai l’impression d’être une journaliste, déformation professionnelle. » avait-elle commencé. « Dis-moi si je vais trop loin parce que j’ai enchaîné les verres mais … vous avez quand même quelques points communs, Rhett et toi, non ? » Pour finalement mieux attaquer. Il s’accrochait à son verre comme s’il représentait un dernier refuge face à cette conversation compliquée. Il lui semblait agréable et elle tentait comme elle le pouvait de le voir avec son propre regard et pas celui du sportif. Pourtant, si elle donnait l’air de sympathiser, au final, l’écrivaine travaillait et surtout, elle le sondait.

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ft @Ruben Hartfield  

Le conflit des frères Hartfield était peut-être encore un peu plus complexe que ce qu’elle avait imaginé et la tournure que prenait la discussion lui permettait d’en prendre conscience. « Je feindrai la surprise lorsque j’ouvrirai mes cadeaux à Noël, t’en fais pas, personne n’y verra rien. » S’il pouvait également feindre la surprise assez bien pour que Rhett ne sache rien de leur entrevue, cela l’arrangerait. Mais le sportif verrait, au cours d’une énième relecture, que Greta avait ajouté des détails ici et là, concernant Ruben, concernant leur relation. Quoiqu’il arrive et même si elle partait maintenant, il serait probablement déjà trop tard pour éviter le sujet avec Rhett. Alors elle assumerait le moment venu, se disait-elle. De sourires en clin d’œil, Ruben avait ce quelque chose qui venait confirmer les dires d’un frère qui ne savait que trop bien la facilité avec laquelle son cadet pouvait parvenir à ses fins. Greta souriait mais tentait de rester lucide parce qu’elle s’adonnait là à un exercice périlleux :  interroger le petit frère du sujet de sa biographie pour donner de la consistance à son écrit tout en déjouant les pièges d’un garçon toujours empreint d’une certaine animosité à l’égard de son ainé. Tant de ficelles à tirer tout en s’évitant les foudres de Rhett, lui faire comprendre la nécessité d’un travail d’investigation pour parfaire le livre avant qu’il ne puisse proférer le moindre reproche. Que ce soit le plus jeune ou le protagoniste, les deux frères Hartfield arboraient la même moue vaguement intéressée lorsque l’auteure expliquait son travail. Un travail qui n’était pas le sien, qui plus est, ce qui pouvait peut-être justifier leurs airs faussement convaincus.

« C’est gentil de le remarquer, merci. » Sa moue à elle était bien sincère alors qu’elle écoutait le cadet se vanter d’une carrière pour laquelle il avait dû se battre, on ne devenait pas neurochirurgien par hasard. Réussir les études était une chose, se démarquer sur le terrain devait en être une autre. Alors, Greta, elle, se contenterait de rentrer seulement métaphoriquement dans la tête des Hartfield, ou plus précisément de Ruben ce soir. « Et je pense que un peu pointilleux c’est parce-que tu me connais pas et que t’es gentille avec moi en disant ça. » Elle hésitait, se demandant s’il disait ça pour souligner qu’il n’était pas simplement pointilleux mais méticuleux, un point essentiel à son métier, ou s’il venait simplement intensifier de ce trait de caractère. La seconde option semblait la plus juste selon les dires de son frère, le fait est qu’elle continuait d’enregistrer les bribes d’information laissées au hasard. Alors elle n’avait pas relevé, tentant de faire bonne figure. Elle ne s’attendait à rien venant du garçon pour la simple et bonne raison que le rencontrer n’était pas dans son projet. Mais si elle vaut dû y songer, alors elle n’aurait certainement pas anticipé une entente cordiale, allant même jusqu’à la plaisanterie. Alors oui, elle appréciait le moment mais c’était peut-être simplement le fait de se voir offrir un verre de vin qui la trompait. « A mon chapitre ? » avait-il dit presque en même temps et Greta devait donner l’impression de lire dans ses pensées. « A mon chapitre c’est mieux oui. » Ils échangeait pour le moment des éclats de rire plus que de réelles informations mais cette distraction était tout aussi bonne à prendre pour une Greta dont ce projet était finalement la seule chose qui l’empêchait de sombrer. Dans la nostalgie, dans la tristesse, elle n’en savait rien.

« Non non, t’excuses pas. » Elle avait attaqué les choses sérieuses, boostée par l’ivresse qui pointaient le bout de son nez, un peu plus difficilement parce qu’elle s’était habituée à des degrés plus élevés que ceux de son verre actuel. Leurs regards s’étaient plongés l’un dans l’autre et soudain Ruben Hartfield lui apparaissait non plus comme un gamin fêtard et capricieux mais bel et bien comme un docteur sérieux et précis. Elle, elle se noyait dans son verre et aurait voulu y plonger tant elle s’étonnait elle-même de la direction qu’elle donnait à la discussion. « Je peux pas parler pour Garrett, parce-qu’on a chacun son avis sur ça, mais arriver dans une famille où t’as déjà tous frères et soeur au dessus de toi donne forcément envie de se mettre en avant, d’une certaine manière. Mais effectivement comme si y’avait pas trop le choix. » Greta le fixait pour signifier qu’elle était toute ouïe, captivée finalement par cette histoire fraternelle. Comme elle l’avait expliqué à Rhett, elle comprenait. « Ethel et les parents. Margot aussi. » Elle l’écoutait soigneusement évoquer sa famille comme simple point commun. Le sujet l’aurait fait sourire si elle ne pensait pas fermement à ce membre de la famille qui avait perdu la vie, la partie la plus douloureuse des confidences de Rhett. Greta ne l’évoquerait pas, ces lignes sensibles avaient été validées par un Rhett composé, maîtrisant parfaitement l’art de dissimuler ses émotions. « On aura beau ne pas être d’accord sur bien des choses, lorsque ça touche la famille on devient les mêmes: on veut leur bonheur et leur bien-être. » Elle acquiesçait, ne comprenant que trop bien ce qu’elle serait capable de faire pour son frère tant les liens familiaux lui étaient importants et ce malgré les tensions existantes avec ses parents. « Mais il est vrai sinon qu’on passe plus de temps à se tirer dans les patte qu’autre chose. » Sa question avait suivi après qu’elle ait pris le temps de la formuler dans son esprit avant de la dire tout haut et elle se félicitait de parvenir à encore autant de discernement. « Comment tu te situes toi chez les Hartfield ? » Elle ne s’était finalement pas comprise elle-même alors elle avait secoué légèrement la tête pour se reprendre. « Je veux dire, comment vos proches vivent ce conflit entre vous ? Il y a des prises de parti ? » Comme si la famille entière était en guerre, mais elle avançait ses pions comme elle le pouvait avec un Ruben qui semblait enclin à se confier. « Je sais pas, je me demande si tout le monde s’entend bien dans votre famille sauf vous, ça doit être… particulier. » Et c’était peut-être maintenant sa propre curiosité et pas celle de l’écrivaine qui l’animait. « On a grandi dans la même famille mais de façon bien différente lui et moi. Et surtout à des moments bien différents. » Elle s’était redressée, réalisant soudain qu’elle avait laissé ce détail de côté - dix ans les séparaient et ce n’était pas rien dans une fratrie. « Tu crois que c’est ce qui a joué, votre différence d’âge ? » Selon ses rapides calculs et son estimation sur l’âge de Ruben, Rhett avait déjà environ dix ans quand son petit frère était né et il avait donc était tout à fait capable de réaliser que son monde changeait. Mais il n’avait pas vécu l’expérience qu’une fois, alors, difficile d’imaginer qu’une rancoeur se soit crée à ce moment là. « Tu sais à partir de quel moment ça s’est compliqué entre vous deux ? » Si seulement l’écrivaine avait pensé à sortir avec un stylo ce soir-là pour coucher sur papier les réponses à des questions qui ne lui étaient pas venues quand elle discutait avec Rhett parce que le récit s’était concentré sur lui plus que sur son entourage. Surtout plus sur n’importe quoi autre que Ruben. Elle avait toujours mis un point d’honneur à se faire sa propre idée sur les personnes, sans écouter ce qui se disait d’eux, parce qu’elle avait été confrontée à la presse et ses mensonges et aussi à des personnes qui la montraient comme hautaine et prétentieuse simplement à cause de sa famille. « Pour l’instant en tout cas je saurais pas choisir de quel côté je me situe moi, je vous trouve tous les deux vraiment charmants. » Cet adjectif que les femmes devaient user auprès d’eux pour d’autres desseins n’avait ici que pour but de qualifier deux garçons aimables et courtois à qui on se liait facilement. « Un point commun de plus. » Sa dernière phrase avait été accompagnée d’un sourire et un regard malicieux, l’écrivaine ravie d’insister sur leurs similarités, comme si sa future mission consisterait à rabibocher ces deux-là. Leur affiliation était indéniable, quoiqu’ils en diraient.

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ft @Ruben Hartfield  

« Oh. » avait-il commencé pour répondre à des questions qu’il aurait pu balayer et auxquelles il aurait pu refuser de répondre parce qu’elles dépassaient peut-être le simple travail de biographe. « Notre mère râle dès qu’elle nous attend hausser le ton, notre père marmonne quelque-chose à ce moment là qui doit s’apparenter à en Les garçons, s’il vous plait - mais ça fait longtemps qu’il essaie plus vraiment en réalité. » En écoutant Ruben parler, Greta souriait parce que de ce point de vue, cela ressemblait à des broutilles et à des querelles insignifiantes dont tout le monde faisait l'objet au milieu des fratries. Pourtant, après avoir côtoyé Rhett, le problème semblait un peu plus enraciné et un peu plus complexe qu’une simple dispute pour savoir qui des deux aurait la chambre la plus grande. Si la rivalité entre les deux frères semblait être sérieuse et faire partie de leur histoire, la famille Hartfield semblait le vivre plutôt bien. « Ethel a envie d’en prendre un pour frapper sur autre, je dirais à peu près quatre-vingt pourcent du temps environ. » La famille, sauf Ethel. Rhett lui avait dit à demi-mots combien sa cadette tentait de renouer les liens de ses deux frères mais ce passage avait vite été écourté, comme si quelque chose ne devait pas se dire. « Oh, Ethel. Je n’en ai pas beaucoup entendu parler … » avait-elle simplement ajouté sans chercher de réponse. C’était un des points d’ombre encore à éclaircir avant la publication sauf s’il n’y avait vraiment rien d’autre à dire, si tout ce qui la concernait pouvait tenir en un seul paragraphe. « Et à travers tout ça, je sais exactement où je me trouve et c’est un point qui énerve Rhett, d’ailleurs: je suis le favori. » Et en une seule phrase l’écrivaine avait enfin décelé ce côté si assuré qu’il paraissait déplacé, venant même lui faire arquer un sourcil à elle dont ce constat avait pris au dépourvu. « De notre père ET de notre mère. Véridique, promis. » Il ne plaisantait pas, en témoignant son visage dont les traits ne changeaient pas et à y réfléchir, cela n’était pas si étonnant. Si les Sighbury avaient dû choisir entre leurs deux enfants, faire le choix entre le fils prodige qui avait toujours su rentrer dans le moule et qui, par sa carrure, sa prestance et son charisme venait faire gonfler le chiffre d’affaire et la fille qui les avait abandonnés pour se concentrer sur sa propre carrière n’ayant aucun lien avec le milieu de la mode… Le choix aurait pris aussi peu de temps qu’il leur en fallait pour éliminer d’un revers de main une idée médiocre de leurs assistants. « Je le sais, Rhett le sait, tout le monde le sait. Et c’est depuis que je suis petit, ça. » « J’apprécie ta modestie, en tout cas. » avait-elle terminé en lui lançant un regard malicieux par-dessus son verre de vin. Les mots durs de Rhett envers son petit frère semblaient maintenant un peu plus légitimes alors que lui-même venait lui confirmer que la rivalité ne pouvait même pas exister dans une famille où le choix du fils favori avait déjà été fait. Peut-être alors que les deux frères ne bataillaient pas contre le bon adversaire, les parents semblant être la réelle source du problème. Encore une fois, la ligne entre le travail de biographe et celui de psychologue se faisait très fine et pourtant, Greta avait reporté son attention sur Ruben alors qu’il continuait à répondre à ses questions sans la moindre réticence. « Je pense que ça a joué, oui. Ca a pas été la seule raison, mais pour sur ça a joué. » Greta hochait la tête, essayant seulement d’imaginer un écart d’âge aussi important, surtout à l’enfance. « J’étais trop petit à l’époque pour comprendre les enjeux de la vie de Rhett, et il ne se rendait plus compte qu’il était un modèle pour nous. » A le voir répondre ainsi, elle semblait déceler une sorte de sourire nostalgique, comme si finalement cette thérapie improvisée avait un infime impact. « Quand il est parti à l’international. C’était déjà pas au beau fixe avant, mais… J’ai jamais vraiment réussi à le digérer. » Évidemment, l’écrivaine connaissait les différentes étapes de la vie de Rhett mais si celui-ci avait évoqué que tout laisser derrière lui avait été compliqué, son assurance ne l’avait pas laissé entrer dans les détails qu’était en train de lui livrer Ruben. « J’étais jeune, je voulais pas voir mon grand frère sortir de nos vies comme ça. Et par la suite, il a pas trop fait d’efforts pour se rappeler qu’il avait une famille qui l’attendait, de l’autre côté du globe. » Et si Carmine était parti comme l’avait fait Rhett ? Et si, en partant, Greta avait reproduit le même scénario et gâché sa relation avec son frère ? La seconde option était peu probable mais le récit du garçon mêlé aux degrés d’alcool la faisait faire un parallèle inévitable. « C’est glamour, les grandes carrières comme ça, mais il existe forcément des laissés pour compte sur le bas-côté en cours de route. » avait-il conclu avec une certaine amertume dans la voix. « C’est triste, cette histoire, finalement. Mais tu devrais pas lui en vouloir d’avoir voulu vivre sa vie… » avait-elle commencé. « Avec le recul, tu dois savoir qu’on vit avant tout pour soi. » Et encore une fois, ses propres réponses constituaient son propre mea culpa à tout ce qu’elle avait laissé derrière elle, en pensant d’abord à sa propre personne. Au fond d’elle, Greta ne pouvait pas s’empêcher de s’imaginer qu’un dénouement heureux était encore possible pour les frères parce que les rancœurs de Ruben étaient légitimes et que ce qu’il disait montrer qu’il tenait à Rhett, même si ses sentiments étaient enfouis peut-être un peu trop loin maintenant. « Je suis pas autant bavard d’habitude, pardon. » Greta avait souri, prenant finalement beaucoup de plaisir dans l’exercice. Non pas à cause d’une curiosité mal placée, mais parce qu’elle avait l’impression de faire connaissance avec quelqu’un, réellement, sans arrière-pensées, ce qui devenait rare lors de ses sorties. « C’est plutôt bon signe, on va peut-être pouvoir finir la soirée ensemble. » Greta avait parlé trop vite sans réfléchir à la portée de ses mots et elle s’était heureusement vite reprise. « Enfin, tu vois ce que je veux dire. Discuter. » De Rhett, des relations entre frères et sœurs, ou de tout autre chose.« C’est une marque de fabrication Hartfield, ça. » avait-il répondu à son compliment et pour prouver sa bonne foi et qu’elle n’était pas en train de lui faire du rentre-dedans, Greta avait fait un rapide geste avec les mains pour lui indiquer qu’il avait raison, les Hartfield avaient ce petit quelque chose.

« Vous vous êtes rencontrés comment, Rhett et toi ? » « A… un gala de charité. » L’hésitation pour prononcer ses mots faisait suite à cette identité qu’elle s’efforçait de masquer et à ce sentiment de ne pas avoir sa place dans cette vie mondaine. « Je viens de Londres et on a un ami rugbyman commun, c’est assez étrange comme le monde peut paraître petit parfois mais, à croire que mon destin voulait que j’écrive ce livre. » Là dernière partie de sa phrase était prononcée plus pour elle-même que pour lui dont elle avait une nouvelle fois ignoré le rictus moqueur - elle savait maintenant pertinemment qu’il enchérirait sur une moquerie ou une pique sur le peu d’intérêt qu’il trouvait à cet ouvrage. « Vous vous connaissiez avant ou vos chemins se sont croisés pour son livre ? »Elle avait une nouvelle fois presque anticipé sa question en commençant même à y répondre avec un peu d’avance. « Je le connaissais de par sa notoriété, pas personnellement. Lui avait appris qui j’étais, enfin ce que je faisais dans la vie du moins, quelques minutes avant de me proposer le projet. » Elle lisait la presse comme tout le monde et ses petites connaissances en rugby lui avaient permis de déjà voir passer le nom du sportif ici et là. Conrad avait ensuite fait le lien entre lui et son amie écrivaine, et ils ne s’étaient pas posés plus de questions que cela. « Je lui ai vite fait confiance, quand j’y pense. » avait-elle lancé nonchalamment pour continuer sur sa lancée et venir s’assurer d’une chose. « Je sais pas si c’est un autre point commun que vous partagez. Je veux dire, est-ce qu’à toi aussi, je peux faire confiance ? Tu ne lui diras rien de cette entrevue ? » La confiance était une chose mais Greta ne pouvait pas se vanter de pouvoir faire tout accepter à Rhett sous couvert de l’écriture. Il était clair que la relation des deux garçons ne laissait pas envisager qu’ils se racontent leur week-end, mais le cadet semblait si enclin à provoquer l’aîné qu’il pourrait utiliser ce point à cette fin, alors elle préférait s’assurer maladroitement que ce ne serait pas le cas. « J’imagine assez que je peux compter sur toi pour ne pas lui parler, mais, on sait jamais… Je lui dirais moi-même, je pense. Sinon il ne comprendra pas certaines parties. » Par exemple ce point d’insistance sur le métier de Ruben ou les détails ajoutés à cette guerre de famille. Des points importants, nécessaires, mais qui n’auraient pas été couchés sur papier sans l’aide de Ruben. « Tu veux recommander un truc ? Je sais que j’ai assez bu parce que je commence à dire n’importe quoi, mais bon. » avait-elle demandé avec un tout petit peu plus de décence qu’auparavant et en venant se justifier. Mais la proposition était là parce qu’à bien y réfléchir, cette rencontre avait évité à sa soirée d’être ennuyeuse et de se terminer, dans le meilleur des cas, avec une compagnie douteuse.

late night talking
ft @Ruben Hartfield  

Et au fur et à mesure des mots, des gestes et des mimiques de Ruben, Greta parvenait à dresser un portrait précis et à peu près juste du garçon. Le travail d’enquête était venu s’ajouter à l’écriture et c’était en ce sens que le travail de biographe lui seyait parfaitement parce qu’il était évident qu’elle prenait énormément de plaisir à la tâche. Par intérêt pour les sujets et pour son projet ou par simple soucis de combler la solitude - elle n’en était même pas sûre elle-même. La blonde s’était même retrouvée, sans réellement s’en rendre compte, à se permettre de faire une leçon de morale au petit frère Hartfield et le lieu intimiste et l’acool l’empêchaient d’y voir un soucis. « Avec le recul, je me rends surtout compte que les apparences sont ce qui comptent le plus. » Les paroles étaient adressées à Rhett et Ruben ne faisait que partager son point de vue sur la situation, pourtant, elles étaient venues la déstabiliser un temps et elle s’était adossée dans le fond de sa chaise pour réduire au plus la proximité avec son interlocuteur. Après tout, c’était là le grand problème de sa vie, les apparences, la peur de décevoir ses proches et les autres, l’envie d’être reconnue pour qui l’on est et de sortir de l’ombre de sa famille. « J’avais saisi l’idée, t’en fais pas. » Greta avait donné écho au rire de Ruben, laissant la gêne remplacer cet étrange sentiment qu’elle était un peu sondée elle aussi. Il avait à son tour posé une question pertinente parce qu’il devait en effet avoir besoin d’un peu plus de contexte. La blonde avait surgi dans sa vie au moment le moins probable, au détour d’un bar lors d’une soirée avec des amis, pour venir lui parler de son frère. Elle lui avait donc donné les explications qu’il demandait parce qu’il était en droit de le faire. Ce serait de toutes façons une discussion qu’elle devrait avoir régulièrement, avec son agent, son éditeur, et lors de la promotion du livre car rien ne laissait à penser que ces deux-là puissent être mis sur le même chemin. Et pourtant, le duo avait avancé ses pions rapidement pour en arriver jusqu’ici. « De maigres bases communes, alors. » « Juste assez pour que j’arrive à le comprendre et à me retrouver un peu en lui. » La phrase était cliché mais terriblement sincère - la célébrité, le feu des projecteurs, Greta partageait juste assez de points communs pour créer cette empathie qui lui avait permis de coucher les mots de Rhett sur papier avec le plus de justesse possible.

Les détails qui manquaient, c’était ici, par des recours improbables, que la jeune écrivaine était venue les chercher et c’était aussi une partie de la composition de la biographie qu’elle aurait préféré taire. « Ce serait me faire confiance trop rapidement. » Le sourcil de la blonde s’était arqué à la surprise de tant d’honnêteté, sans que cela ne la perturbe pour autant. Après tout, il avait raison, elle qui avait tendance ces jours-ci à tout faire trop vite, à penser qu’il y avait du bon chez chaque personne qu’elle rencontrait. Alors elle avait haussé les épaules, prête à assumer les conséquences de ses actes. « J’aurais aimé te dire que je garderai cette conversation pour nous, mais ce serait mentir et c’est pas dans mes habitudes. » Il semblait étonné de la voir ainsi sourire, mais cette personnalité qu’il montrait était rare et Greta y voyait ici une grande qualité, alors elle le laissait poursuivre ses explications en jouant avec son verre. « Tu peux faire confiance à Rhett facilement, malgré tout c’est un bon gars. On me trompe moins facilement, et j’ai appris à être moins naïf que lui aussi. » « Naïf ? Qu’est ce que qui te fait le décrire comme ça ? » Et ses doigts s’étaient instinctivement enroulés de nouveau autour de son stylo, parce qu’elle avait le sentiment qu’ils pouvaient encore creuser ensemble. « Je serais ravi de reprendre un verre, mais est-ce que tu veux toujours en reprendre un de ton côté maintenant ? » Il s’inquiétait probablement que Greta se vexe, qu’elle ne sache pas gérer une honnêteté aussi brûlante et pourtant, elle n’avait absolument rien à attendre de lui et la simple facilité de leurs échanges était déjà un service qu’il lui rendait. « Au delà du fait que tu penses avoir déjà trop bu, je veux dire. Je te commanderai un taxi pour que tu rentres sans encombres dans tous les cas après, si cette partie là peut te rassurer. » « T’es réellement en train de penser que je vais me vexer parce que tu m’as dit que je ne pouvais pas te faire confiance ?  » Et son sourire s’était accompagné d’un regard planté dans le sien. « Pas le moins du monde, je te remercie même d’être honnête, c’est pas une qualité courante de nos jours malheureusement. » Loin d’elle l’idée de se replonger dans ses soucis londoniens, même si l’alcool avait tendance à la rendre nostalgique, elle voulait rester focalisée sur une unique chose, la biographie. « On peut continuer sur des mocktails, mais je sais très bien me gérer, t’en fais pas pour le taxi. » avait-elle poursuivi en penchant la tête sur le côté alors que ce côté petit frère inquiet pour son aîné que lui montrait Ruben avait ce quelque chose d’attendrissant - il semblait poli, courtois et agréable si l’on mettait l’arrogance de côté. Ce n’était pas un trait de personnalité qui importunait une Greta qui avait côtoyé bien pire. « Je suis sûre que t’as encore pas mal de chose à me dire. Mais tu décides, je ne veux pas donner l’impression de te tenir en otage. » Et elle avait éclaté de rire en laissant sa tête basculer en arrière, venant signifier que l’alcool l’avait bel et bien gagné, mais, malgré tout, elle restait consciente que certaines mentions étaient à peaufiner, comme l’idée d’un Rhett naïf.

late night talking
ft @Ruben Hartfield  

Greta n’aurait probablement jamais pris le temps de discuter avec Ruben dans d’autres circonstances, ils se seraient certes sûrement croisés un jour mais il n’aurait été qu’un garçon parmi tant d’autres, parmi plus de deux millions. Ce soir, en revanche, non seulement ils s’étaient retrouvés au même endroit au même moment malgré la grandeur de la ville et la blonde avait en plus eu le courage de l’aborder et la discussion avait duré même si celle-ci avait presque instantanément regretté son geste. Quelque chose au fond d’elle la laissait convaincue que Rhett n’apprécierait pas - peut-être le fait d’avoir eu vent de certaines de ses réactions concernant certains sujets. Plus ils entraient dans les détails d’une discussion qui n’aurait sûrement pas dû avoir lieu, plus Greta réussissait à trouver des points communs avec les frères Hartfield, taisant pourtant la remarque pour ne pas mettre en colère un Ruben qui apportait de l’eau à son moulin. « Voyons. T’as rencontré Rhett, je pense que c’est plutôt facile de voir pourquoi je le décris comme naïf. » Ils ne se connaissaient que depuis quelques heures tout au plus et pourtant, l’écrivaine voyait déjà en Ruben ce même comportement qu’avait Rhett parfois avec elle, un côté un brin paternaliste qui la plaçait au rang d’enfant devant suivre des directives. Bien sûr qu’elle avait rencontré Rhett et qu’elle en avait vu toutes les facettes, pourtant, la naïveté n’était pas ce qui lui avait sauté aux yeux ni à leur rencontre, ni à leur rendez-vous professionnels. Il savait où il allait, menait la blonde à la baguette sans que celle-ci ne s’en plaigne réellement. « Il lui arrive d’avoir une vision sur le monde d’un enfant de cinq ans. Il voit le bien chez les autres, tellement que certains pourraient profiter de lui qu’il ne s’en rendrait pas compte. Ou même, c’est pas qu’il voit le bien: il voit pas le mal. » Greta n’avait pas su dissimuler son rire. « C’est pas du tout une facette de lui que j’ai vu. Mais faire confiance à une inconnue juste parce qu’elle lui a été recommandée par un ami commun, c’est peut-être de la naïveté. » Même si au fond d’elle, l’écrivaine savait qu’elle remplirait la mission parce qu’elle n’avait pas d’autres choix et qu’elle s’interdisait de rater cette occasion là, elle n’avait finalement rien d’une biographe et pourrait mener le projet à un échec certain. Cette simple pensée l’avait faite se redresser sur sa chaise.

Le cadet lui-même avait remis les bases de ce monde, ne pas faire confiance aux inconnus. Il n’était pas sûr de cacher la vérité à son frère et Greta devrait donc être plus rapide que lui pour évoquer cet entretien et cela serait sûrement assez simple étant donné la relation des frères. « Certains se vexent pour bien moins que ça. »  Elle avait hoché la tête, n’attendant de son côté absolument rien de Ruben si ce n’est quelques confidences ici et là, un exercice auquel il excellait. « Je note que tu es pleine de surprises alors. » Greta avait arqué un sourcil, légèrement surprise par ce soudain compliment venant de quelqu’un qui en semblait si avare, à moins que cela ne soit également l’image biaisée que dressait Rhett de son frère. Après tout, elle avait à l’inverse également du mal à reconnaître l’ainê dans les propos de Ruben, la laissant pensive alors qu’elle connaissait Carmine mieux que personne. « Je pensais pas t’étonner avec si peu. » Greta n’avait pas pour ambition ce soir de jouer un rôle parce que son seul but était de faire avancer la biographie. Avec une vie entière passée à voir tout et n’importe quoi à son sujet et celui de sa famille dans la presse ou à lire les commentaires sur les réseaux sociaux sur son rouge à lèvre ou le modèle de son téléphone, elle avait appris à ne plus se briser à la moindre remarque. Ruben pouvait être tranquille, son honnêteté ne faisait que redorer une image un peu amôchée par celle qu’en avait son frère.

Ils pouvaient continuer à parler parce que l’exercice était bien plus simple que prévu, l’interview étant devenue une simple discussion entre deux amis - ils ne l’étaient pas, pourtant, c’était probablement l’image qu’ils renvoyaient aux autres clients du bar. « J’ai vraiment l’air d’être un otage c’est vrai. » Ses yeux s’étaient levés vers le ciel. « Ou est-ce que je dois m’inquiéter et crier au secours car c’est ta façon de me prévenir que je vais en devenir un ? » Etait-il toujours aussi extrême ?  « J’arrête, promis. » « Je t’en prie, ça va sûrement t’étonner aussi mais… j’ai un peu d’humour. » Ce qui était plutôt rare pour une personne anglaise, il fallait l’admettre. Le ton était bienveillant et l’unique tension qui avait résidé dans l’incompréhension de Ruben lorsqu’elle l’avait approché était rapidement retombée. « Tu veux des informations intéressantes pour mettre dans le livre plutôt je pense. » C’était l’idée, pourtant, l’écrivaine devait avouer qu’elle appréciait également la compagnie de quelqu’un de simple et avec qui elle pouvait rire. « J’ai prévu de reprendre un verre d’alcool, tu peux prendre ce que tu veux comme boisson, c’est moi qui paie la tournée. » Sa moue signifiait merci et elle avait repris une verre de vin, ceux d’avant s’étant pratiquement évaporés depuis le début de leur discussion, laissant imaginer le temps depuis lequel ils s’étaient installés ensemble. « Si tu veux une information plutôt attendrissante à mettre dans le livre… Je sais pas s’il te l’a déjà mentionné, mais sais-tu pourquoi Garrett est devenu Rhett au fil du temps ? » Greta s’était approchée un peu plus de lui en se penchant sur la table et elle avait secoué la tête pour indiquer qu’elle n’avait pas eu cette information. Pourtant, elle semblait capitale, l’intégralité des fans sachant pertinemment que Rhett n’était qu’un diminutif, la page wikipédia du sportif le présentant d’ailleurs comme Garrett “Rhett” Hartfield. « Quand j’étais petit, je savais pas dire Garrett, je me contentais de l’appeler Rhett. Apparemment, il a du trouver ça mignon à un moment donné, et il a laissé son côté attendri de grand frère en faire le prénom par lequel il se fait appeler dans le monde entier maintenant. » Sa tête s’étaient penchée sur le côté et sa mine ressemblait probablement à celle d’un chiot et elle s’était retenue juste à temps de ne pas lancer un awww attendri. C’était exactement l’effet que cette anecdote aurait sur les lecteurs et c’était de l’or brut. A bien y réfléchir, c’était peut-être la raison pour laquelle Rhett n’avait rien dit - parce que cela aurait remis l’accent sur cette relation qu’ils entretenaient quand ils étaient petits. « Toi aussi, t’es plein de surprises. » A son tour, il avait arqué un sourcil interrogateur. « Je veux dire, je m’attendais à ce que tu me confies un truc qui ne le mettrait pas en valeur. » Et cette histoire là était adorable, si bien que Greta s’était empressée de l’écrire sur son carnet sachant déjà pertinemment comment l’écrire et à quel endroit du livre. En relevant son visage vers Ruben, son sourire si récurrent commençait à trahir ses pensées. « Je vois. C’est pour te mettre en valeur toi, pas vrai ? » Et elle avait ajouté un rire à ses propos parce qu’elle n’était pas dans le jugement, elle cherchait plutôt à comprendre pourquoi cet homme que le grand frère avait tant déçu se retrouvait à lui confier des histoires attendrissantes de leur enfance alors que tout le début de la conversation avait eu un ton bien différent. « Ca rend votre mésentente encore plus triste, si tu veux mon avis. » Elle avait haussé les épaules, indiquant que cette phrase se voulait simplement rhétorique. Récupérant son verre, elle en avait pris une gorgée avant de tapoter ses ongles dessus. « C’est quoi, ton meilleur souvenir avec Rhett ? » La blonde profitait de ce moment léger pour continuer à exploiter cette relation compliquée qui avait, un temps, était celle de n’importe quelle fratrie.