Un verre de whisky, un bar et un groupe de musique qui joue du smooth jazz en arrière fond musical. Voilà ce qu’il me fallait aujourd’hui. Ce soir, je suis sorti seul car je ressentais l’envie de me fondre un peu dans la masse Brisbanienne. En poussant les portes du club de jazz, j’ai accepté les risques qu’on me reconnaisse, mais il n’en est rien. Oh évidemment que je remarque ces regards plus ou moins appuyé en ma direction, mais personne ne vient jusqu’à ma table. Peut-être que les gens ont bien remarqué que je souhaitais rester tranquille aujourd’hui ? Ou alors est-ce le patron qui leur a glissé un mot ? Au final, ça m’est égal, le plus important étant que j’ai mon calme et mon sérénité ici, assit à cette table.

Malheureusement, cette paix n’est que de courte durée lorsque je remarque une silhouette féminine qui s’avance vers moi. J’avoue que, l’espace d’un instant j’étais tenté de ne pas me montrer accuillant de l’envoyer promener avant même qu’elle n’ouvre la bouche, mais ma conscience professionnelle et surtout humaine, m’oblige à me taire et à l’écouter. Et lorsqu’elle m’adresse la parole, c’est avec un timbre étonnement sensuelle. Sans me demander, elle tire une chaise et s’installe, expliquant qu’elle est de bonne compagnie et que, de toute manière, elle offre le premier verre.

« Dans ces cas-là, je ne peux qu’accepter votre compagnie» répondais-je, sourire en coin se dessinant sur mes lèvres alors que je fini mon verre de whisky. J’appelle ensuite le serveur et lui commande la même chose avant de reporter mon attention sur la jeune femme « Andrew » me présentais-je après que le serveur soit reparti «Vous êtes du coin ? Je ne vous ai jamais vu ici » Moi-même ne venant jamais ici, il est évident que je ne connaisse personne. Cela dit, la jeune inconnue n’est pas obligé de le savoir, ça.

Marley, donc. Voilà le doux nom de celle qui a décidé de me tenir compagnie ce soir. Me reconnait-elle ? Sait-elle qui je suis ? Est-elle ici en toute connaissance de cause ? Ou est-elle venue sans savoir à qui elle a affaire ? Peu m’importe en vrai. Même si la dernière option serait plus agréable à mes yeux, Marley dégage quelque chose de tellement incroyable que je ne me verrais pas le laisser repartir. C’est donc, avec un doux sourire que j’accepte qu’elle me paye un deuxième verre avant de souhaiter en savoir un peu plus sur la jeune femme.

Celle-ci m’avoue, le regard fuyant, que Brisbane a, pendant un temps, été sa maison mais qu’elle n’est de retour que depuis quelque temps après trois années loin de la ville. « Je vois …» dis-je en hochant la tête «Et où étiez-vous avant ? » demandais-je, curieux. Est-elle restée en Australie ? Est-elle partie plus loin ? Mon attention est finalement capté par son sac de sport alors qu’elle me demande pourquoi je suis ici, seul, précisant qu’elle a une excuse, elle, car elle sort tout juste de l’avion « A peine revenue à Brisbane et déjà vous avez trouvé le meilleur bar du quartier » dis-je, amusé, gratifiant le serveur d’un sourire lorsque celui-ci pose mon verre sur la table.

«J’avais envie d’être seul » répondais-je en haussant les épaules « Il y a des moments  comme ça où sa propre présence est ce dont on a le plus besoin » dis-je en m’adossant contre le dossier de ma chaise, jouant, en même temps, avec mon verre « Il n’y a personne qui m’attend à la maison en plus donc je n’ai de compte à rendre à personne  » je laisse tourner mon verre entre mes doigts «Mais je ne suis pas contre le fait de rencontrer de nouvelles personnes. Encore plus quand elles sont aussi charmantes que vous » reprenais-je, un demi sourire sur les lèvres «Vous faites quoi dans la vie, Marley ?» demandais-je en posant mon regard sur elle, bien décidé d’en apprendre plus sur elle.

J’incline légèrement la tête sur le côté, montrant ainsi mon sincère intérêt envers les explications de la jeune femme.  Avant de revenir à Brisbane elle était à Melbourne et le At Nate’s faisait partit des bars qui étaient dans ses habitudes « Je comprends. En même temps il est tellement cool ce bar » dis-je en regardant autour de moi. C’est ensuite, avec un sourire, que j’évoque le fait de n’avoir personne qui m’attend à la maison, laissant échapper un doux rire lorsque Marley rétorque en me demandant si c’est une invitation   « ça dépend de beaucoup de facteurs » haussais-je les épaules   « Est-ce que vous avez l’habitude de rentrer avec la première personne que vous croisez à votre retour ?» demandais-je en me redressant, me penchant vers la métisse   « Si tel est le cas, est bien …  » j’écarte légèrement les bras pour affirmer que oui, ça peut être une invitation. Tout en lui laissant le choix de se rétracter si elle a en envie.

Afin de ne pas laisser de blanc et pour apprendre à la connaître, je lui demande ce qu’elle fait dans la vie et apprend, avec un certain étonnement qu’elle est maquilleuse professionnel et anciennement aussi strip teaseuse. « Intéressant » dis-je avec sincérité. Je ne parle pas forcément du côté charnel de la chose (même si, avouons-le, ce ne serait pas à me déplaire) mais bel et bien de son métier actuel. Lorsqu’elle me propose de me montrer des choses, je souffle, amusé et secoue la tête «J’ai toujours rêvé d’avoir du far à paupière bleu et du rouge à lèvre bordeau » je laisse échapper un rire, espérant quand même que mon ironie soit assez perceptible pour pas que la jeune femme ne me prenne trop au sérieux.

« Moi je suis acteur » répondais-je lorsqu’elle me retourne la question   « J’ai joué dernièrement dans a Fathers love qui est sorti en Août dernier, mais je crois que la plupart des fans me connaissent pour mon rôle de James dans la série A Christmas eve to remember qui est sorti sur netflix l’année dernière en décembre » je n’ai pas honte de parler de mon métier, d’autant plus que je suis reconnu tous les jours dans la rue et que je n’ai juste aucune raison de mentir à la jeune femme   «  Ah et je suis mannequin aussi. Je défile régulièrement pour Weathertons » je pose mon regard sur la jeune femme   « Je ne sais pas si tu t’intéresses un peu à tout ça, mais je fais partie des One legged male model  » sur ces paroles, je me déplace un peu et remonte mon pantalon pour montrer le métal de ma prothèse   « Voilà » je hausse les épaules en me redressant   « Des questions ?» car je suis persuadé qu’elle en a, des questions.

J’arque un sourcil, amusé, à la réponse de la jeune femme. Elle se prend totalement à mon jeu de séduction, disant qu’au final l’important n’est pas la ‘première’ personne mais la personne tout court. Aurais-je une chance de ne pas finir la soirée, seul ? Avec un peu de chance, oui. Marley semble pas mal réceptive au fait que je la drague ouvertement et ne donne pas l’impression d’être totalement fermée à l’idée de finir la nuit chez moi. « Passer la première nuit à Brisbane dans un lit king size plus confortable encore que ceux qu’on trouve dans les Hôtel Hilton … franchement, que demander de plus ?» demandais-je, innocent.

Nous parlons ensuite de nos métiers respectifs et, après avoir appris qu’elle était maquilleuse professionnel, je lui annonce que je suis acteur et il n’en faut pas plus pour qu’elle se rappelle m’avoir déjà vu dans un film, précisant que ce n’est toutefois pas pour cela qu’elle est venue à ma table. « T’inquiète » répondais-je en faisant un signe de main « Même si c’était la raison pour laquelle t’es venue me voir, je ne t’en voudrais pas car au final … t’es loin d’être une fan désagréable » je lui offre un sourire en coin, mon regard toujours poser sur elle avant de reprendre une gorgé de mon whisky.

Alors que l’alcool me monte doucement à la tête, je reprends en expliquant que je suis aussi mannequin, lui montrant, au passage, ma prothèse. Dans tous les cas elle aurait, tôt ou tard, remarqué mon handicap physique, donc autant prendre les devants tout en espérant que ça ne la fasse pas fuir. Mes doutes sont très rapidement balayer par les questions que Marley me pose et c’est un sourire entendu qui s’affiche maintenant sur mes lèvres « Pas d’accident et pas non plus de naissance » secouais-je la tête « En 2019 une radio de contrôle a montré une cellule cancéreuse dans mon pied et donc …voilà. J’avais le choix entre l’amputation ou la mort et le choix était, avouons-le, vite fait » dis-je comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Ce qui, en soit, l’est, même si ça peut en choquer plus d’un que j’en parle avec autant de détachement. Mais qu’est-ce que ça change si je ne suis pas sincère ? «Concrètement, ça change rien … et tout en même temps. Je peux quasiment tout faire, j’ai fait deux triathlons depuis mon amputation, et un marathon, je me suis essayé au tir à l’arc et j’ai même repris le surf il y a quelques mois » je hausse les épaules « Ce qui change c’est que j’ai des douleurs quasiment constante. Pas forcément très grave et souvent elles sont vraiment légères, mais il n’y a aucun jour où je n’ai pas une sensation bizarre dans la jambe. Parfois j’ai l’impression que mon pied est littéralement en feu, parfois j’ai l’impression qu’on donne des coup de pieds constant dans le mollet … mais en tout et pour tout j’ai pu reprendre ma vie comme avant …voire carrément mieux » je hausse les épaules « ça demande juste un peu plus d’organisation »

Je fini mon verre et le repose sur la table au moment où la jeune femme pose une troisième question, me faisant rire doucement et frissonner en même temps « c’est un test, pour savoir si les gens ne sont que intéressé par mon physique ou non » je plonge mon regard dans celui de Marley avant de secouer doucement la tête «Mais en vrai, je n’ai pas de raison de cacher cela, car tu l’auras bien découvert tôt ou tard … » sous-entendu : quand tu seras chez moi et qu’on fera l’amour.

Il était évident qu'à un moment ou un autre le sujet de discussion dévierait vers mon handicap. En même temps, je n'ai rien à cacher et je peux aisément parler de cela avec Marley, car j'ai, plus ou moins, l'habitude de parler devant tout un public d'inconnu et leur raconter mon histoire. Alors, certes, ils ne sont pas aussi charmant que la jeune femme et ils ne rentreront pas avec moi à la maison, mais c'est sans doute pour cela que je ne rechigne aucunement au fait de montrer ma prothèse. Car au final, l'Australienne aura, tôt ou tard, remarqué ma différence physique.

Elle se dit ensuite impressionnée lorsque j'évoque mes prouesses sportives, ce à quoi je me contente de hausser les épaules avant de sourire avec compréhension en entendant le terme médical bien trop connu : le membre fantôme. «He oui, aussi incroyable que ça puisse paraître, ça existe vraiment » expliquais-je en reprenant mon verre en main « En fait, c'est très simple : chaque partie de ton corps est reliée à ton cerveau et celui-ci envoie plusieurs fois par secondes des impulsions vers cette partie qui lui renvoie l'information que tout est ok.» Je pince les lèvres et lance un coup d'œil à mon verre avec lequel je joue un peu « Dans mon cas, je n'ai peut-être plus de pied ni de cheville, mais la partie de mon cerveau qui correspond à ça, est toujours allumée et ne cesse d'envoyer des messages. Sauf que, ben il reçoit pas d'information en retour, du coup ça dégénère » je souris doucement « Là, pendant que je te parle, je peux t'assurer que je suis en train de bouger mes doigts de pieds dans ma chaussure alors que Ben ...Non, en fait » je finis mon whisky « C'est terriblement frustrant en vrai, comme sensation. » Je hausse les épaules «M'enfin, c'est comme ça. Il existe des techniques particulières pour gérer tout ça et qui fonctionnent plutôt bien sur moi, mais c'est comme pour tout : par moments plus rien n'a d'effet et les douleurs arrivent et s'installent. Et une fois qu'elles sont installées, c'est une galère pas possible pour les faire repartir »

La discussion devient plus légère par la suite lorsque j'avoue, avec un très joli sous-entendu, à Marley que je n'avais aucune raison de lui cacher mon handicap, car tôt ou tard elle l'aurait découvert. Son regard change un instant, avant qu'elle ne s'étire, faignant le fait d'être subitement fatiguée et ayant envie de découvrir mon lit. Je laisse échapper un rire amusé et me lève en même temps qu'elle alors qu'elle attrape ma main pour me tirer derrière elle. Il nous reste quelques pas jusqu'à la porte lorsque Marley s'arrête subitement et, sans crier gare, me plaque contre le mur pour me surprendre avec un baiser fougueux.

J'avoue avoir besoin d'une demi seconde avant de comprendre ce qui m'arrive, mais fini par répondre à ce baiser. Passant une main sur ses hanches, je l'attire contre moi afin de faire durer l'échange quelques instants de plus avant de la laisser s'éloigner pour qu'elle reprenne sa respiration, souriant lorsqu'elle me dit qu'elle ne pouvait plus résister « Merci pour ce petit avant goût» soufflais-je à mon tour, ma main toujours sur sa hanche « Maintenant je ne sais pas si je vais pouvoir résister jusqu'à chez moi » mon autre main vient se poser sur la joue de la métisse tandis que mes lèvres, elles, retrouvent les siennes «Ne tardons plus maintenant » que je déclare en me décalant.

Me baissant pour récupérer son sac de sport, lui faisant ainsi comprendre qu'elle est obligé de me suivre si elle veut revoir ses affaires, je sors du bar et me dirige vers la voiture qui nous attend déjà sur le trottoir. Ouvrant la porte, je laisse Marley entrer puis m'installe à mon tour et indique au chauffeur de nous ramener chez moi. Je vois, dans son regard, qu'il n'approuve pas que je ne rentre pas seul, mais il n'a pas son mot à dire. Lui, son job, c'est de me conduire là où je veux sans jugement et sans poser de questions.

Sortir c'est bien. Rentrer accompagné, c'est encore mieux ! Alors, lorsque Marley et moi passons la porte de la maison, je n'attends plus longtemps et lui montre où se trouve ce magnifique lit dont je n'ai dit que du bien. Il ne nous fallait pas longtemps avant que nos vêtements volent dans les quatre coin de la pièce et, une fois ma prothèse retiré -car il n'y a rien de plus tue l'amour qu'une tige de métal froid qui rappe sur la peau- je rejoins Marley sous la couverture. L'osmose de nos corps est en parfaite synchronisation et je dois avouer ne pas être certain d'avoir un jour eu tellement de d'extase lorsque je faisais l'amour avec une autre personne. La métisse s'y connaît, elle sait s'y prendre pour m'emmener au septième ciel et j'ose espéré qu'elle n'est pas en reste elle non plus.

Lorsque j'ouvre les yeux, je remarque que le jour n'est pas encore lever, mais surtout je ressens encore la présence de Marley à mes côtés. La jeune femme se tourne vers moi et, dans un souffle, m'explique qu'elle peut très bien partir maintenant encore si je préfère dormir seul  «Pour aller où ? » demandais-je en me redressant. Me détournant un instant de Marley, j'attrape mon téléphone posé sur la table de chevet qui indique l'heure  «Il n'est que 4h … a cette heure-ci tu ne trouveras pas de transports pour retourner à Brisbane... autant donc rester encore un peu » je me passe une main sur le visage  «Je dois être à 10h en ville de nouveau, je peux te déposer quelque part si tu veux » proposais-je, la voix encore à moitié endormie.