S’il y avait bien une chose que l’on avait inculquée à Arthur, c’était qu’il ne fallait jamais prendre la concurrence à la légère, qu’importe la force de frappe que l’on pensait à voir. Il n’avait pas pour habitude de se rendre aux visites de chantier, laissant cela volontiers aux larbins prêt à se salir comme l’était Sebastian, mais pas sur cette nouvelle affaire. Arthur avait conscience que sa place confortable était installée sur un siège éjectable qui tendait de plus en plus à le rejeter vers l’extérieur. Le Coventry avait eu vent de ce projet proposé par la ville et il voulait en être, dès le départ, parce qu’il avait flairé l’opportunité unique de se fondre une image dorée auprès de son paternel. Cette affaire, c’était la sienne, mais il fallait aller observer la concurrence, jugé par lui-même contre ceux qui allait chercher à lui faire de l’ombre.

Le costume était parfait, probablement hors de prix pour une simple visite de chantier, mais il fallait se montrer de toutes les manières possibles et s’il y a bien un sujet qu’Arthur maîtrise à la perfection, c’est bien sur le fait d’attirer l’attention sur sa personne. Il avait choisi de se faire discret pour la première partie de la journée, accompagné par son assistante, il a délibérément choisi le retrait afin d’absorber en masse toutes les informations divulguées par le responsable. Son père lui avait appris à prendre de la distance pour avoir une vue d’ensemble et Arthur avait passé son enfance toute entière à décrypter l’attitude des grands qui l’entourait. Il revenait sur sa cours d’école en fin observateur, près à fouiner sur le passé de tous ses adversaires pour tourner la moindre faiblesse en son avantage. Il recherchait cette longueur d’avance, ce petit plus qui pourrait lui donner assez de levier pour faire la différence.

Dans toute cette étiquette, Arthur restait mille fois plus à l’aise dès qu’il s’agissait de converser au cours de la réception organisée par la ville. Une nouvelle fois, il se retrouvait dans son élément, tel un poisson dans l’eau. Il savait engager la plus insignifiante des conversations pour simplement se présenter et laisser à ses concurrents, un visage duquel se rappeler à l’avenir. Son nom avait toujours été sa meilleure arme et cela n’était pas près de changer. « Arthur Coventry. » C’est pour cela, qu’il s’arma de son meilleur sourire dès l’instant où un grand brun s’adressa à lui. « Nous n'avons pas encore eu l'occasion de nous rencontrer. » Non clairement, il n’avait aucune idée de qui pouvait bien être ce garçon, mais il ne fallait jamais altérer son sourire. « Effectivement. » Discrètement, il jeta un œil à son assistante, elle pourrait peut-être lui donner un coup de main en murmurant un nom, mais la demoiselle semblait absorber par un coup de téléphone. Fait chier. « Channing Walker. » Sans perdre son professionnalisme, Arthur tendit une main vers le brun. « Enchanté. » Il détestait que l’on puisse avoir de l’avance sur lui. Ce garçon connaissait son nom et probablement sa réputation, mais il n’avait aucune réelle idée de qui pouvait bien être ce Walker. On ne lui avait parlé que d’un certain Elijah. « Puisque nous allons être amenés à fréquenter les mêmes réceptions, autant faire connaissance. » Il hoche la tête sans être persuadé que cela soit pleinement nécessaire, mais puisque ce fameux Channing semble prêt à converser, autant en profiter. « Vous trouvez vos repères ? Ne vous inquiétez pas, vous vous y ferez vite. » Jusqu’à cet instant où l’intérêt d’Arthur sembla dégringoler en flèche. « Ce n’est pas mon premier rodéo. » Le prendrait-il pour un débutant complètement paumé ? « Ne vous fiez pas à l’accent, je ne connais peut-être pas encore Brisbane comme ma poche, mais ce genre de chose… » Arthur agite une main pour désigner l’ensemble de la salle. « J’ai passé toute ma vie à faire ça. » Il était présent à l’un de ces galas avant même de naître et il en a vécu des milliers depuis sa naissance. « Par contre, Walker… Cela ne me dit rien. » Il a besoin de mesurer le rayonnement de ce fameux Walker. « On m’avait vaguement mentionné un certain Elijah ? » Il hoche un sourcil, curieux de connaître la réponse de ce jeune premier.

Dès qu’il fut en âge de comprendre, et surtout d’imiter, Arthur avait été formé à la conversation entre membres de la haute société. Il savait feindre l’intérêt pour à peu près n’importe quel type de sujet, il en connaissait assez pour toujours avoir une réponse à dégainer sans jamais passer pour un idiot ignorant. Les galas ont toujours été sa cour de récréation, l’endroit dans lequel il pouvait laisser champ libre à ce guépard que son père avait cherché à apprivoiser depuis la naissance. Il savait se glisser auprès des femmes afin de leur glisser un compliment qui viendrait leur faire tourner la tête sans jamais offenser les maris. Il maîtrisait à la perfection se mépris que seuls les riches pouvaient s’envoyer en pleine tête tout en gardant un sourire de circonstances. Il avait l’habitude de tout cela, qu’importent ses écarts et ce qui avait pu le tenir un peu éloigné de ce cercle depuis son arrivée à l’autre bout du monde. Personne n’allait lui apprendre les rouages d’un tel exercice encore moins un parfait inconnu, mais Arthur ne voulait perdre son sourire face au brun qui venait de s’adresser à lui. « Je vous donnais pourtant la trentaine. » Fronçant les sourcils, Arthur se tourna vers son interlocuteur sans réellement comprendre la pertinence d’une telle remarque. Le prenait-il pour un bambin venu tester ses forces dans la cour des grands ? « Il n'est jamais trop tard pour en apprendre davantage sur ceux qui nous entourent. » Arthur fut pris dans un léger éclat de rire. D’accord. Il semblerait que le Walker jouât à son niveau, à l’aise dans le milieu, capable de laisser sous-entendre qu’il serait le meilleur à ce jeu-là. Oh, Arthur allait adorer cet échange. « Je vous en prie éclairez moi. » Toujours laisser l’avantage, donner l’impression que l’autre peut être indispensable avant de prendre le tournant. « Elijah est mon frère. Il m'a provisoirement remplacé au siège du Walker Group suite à un malencontreux accident de la route - maintenant derrière moi, soyez tranquille. » Ce n’est pas qu’Arthur se souciait des détails, mais il prit l’information, l’enregistrant dans un coin de son esprit par un simple hochement de tête. Ce Walker là était donc à la tête de l’entreprise familiale, un véritable concurrent, un de ceux qui pouvait se battre à armes égales. « Ravi de vous savoir remis. » Lui aussi savait utiliser la pommade pour brosser l’animal dans le sens du poil. Il prenait un malin plaisir à suivre la danse imposée par Channing, gardant son propre jeu près de la poitrine. Une carte à la fois.

« J'imagine que, même si vous êtes né dans le milieu, vous avez encore beaucoup à apprendre sur Brisbane et ses habitants. » Arthur était prêt à lui donner ce point. « Probablement. » Il savait par avance que Channing s’apprêtait à lui offrir un peu de renseignements. Le Coventry avait vu juste lorsque son interlocuteur vint à pointer du doigt un couple qui conversait un peu plus loin. « Monsieur et madame Cricks, par exemple. Ils jouissent de tickets d'entrée à tous les galas du pays, mais croulent sous leurs dettes - ne cherchez pas à les débaucher pour un projet. La jeune femme en robe rouge à leurs côtés est une architecte d'intérieur de Sydney - j'ai entendu dire que son cabinet était sur le point de les attaquer en justice pour impayés. » Véritablement curieux, Arthur pris le temps d’observer la scène qui se déroulait sous ses yeux. Comment le couple se tenait à plusieurs centimètres l’un de l’autre, a quel point la demoiselle venait détonner dans le groupe de par sa robe couleur rubis. Il prit le temps d’observer les gestes, les tics de gestes et les postures. Son jeu favori. « Choisissez prudemment vos alliés et concurrents, Arthur. » Un sourire vicieux vint se dessiner sur les lèvres d’Arthur tandis que son acolyte semblait prêt à passer aux menaces. Il cherchait à avancer ses pions bien trop rapidement le Walker, il ne prenait pas le temps de tout observer et ne basait son jugement que sur les rumeurs de couloirs. « On ne vous a jamais appris à observer Monsieur Walker ? » Pas une seule seconde Arthur n’avait décollé son regard de la scène qui se jouait à quelques mètres d’eux. « Ne voyez vous pas à quel point Madame… Cricks, c’est cela ? » Il releva le regard un instant, juste une seconde, pour croiser celui de son interlocuteur qui hocha brièvement la tête. « Madame Cricks donc… Qui semble vouloir échapper à cette conversation par tous les moyens sans que son mari ne la touche. » Il pointa du menton, les tensions qui se dégageaient du trio. « Quant à la jeune femme, le choix de la robe n’est pas anodin. » Cela ressemblait en tout point à une revenge dress, pour rappeler à son amant les atouts qu’il venait de perdre ? « J’aurais fort à parier que Monsieur Cricks a eu quelques écarts avec la demoiselle, qui désormais cherche à se venger, probablement en dévoilant l’adultère et au passage leurs problèmes d’argent. Probablement, que Monsieur Cricks a été trop bavard sur l’oreiller, ils le sont tous. » Oh, c’était son trio favori celui-là, celui qui créait toujours le plus de scandale. « Les rumeurs sont une chose Monsieur Walker, mais les secrets ne s’apprennent pas dans les couloirs, il faut savoir observer. » Prendre le temps, tel un loup qui renifle sa proie. « Et tout me laisse à croire que vous chercher à être un adversaire redoutable. » Et pour la première fois depuis plusieurs minutes, Arthur se tourna enfin vers le brun pour lui accorder son attention toute entière. « Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans cette nouvelle affaire ? » Le jeu était en route et désormais, Arthur allait jouer ses cartes avec précision, il savait faire tout cela. Il ne maîtrisait peut-être pas encore pleinement la conception d’un chantier, mais il savait gérer les conversations mondaines.