What a surprise my old friend...

@Mabel Griffiths ft. Marley

C'était vêtue en toute élégance que Marley poussa les portes de la galerie d'arts. La jeune femme avait fait un effort vestimentaire. Elle avait cherché à s'habiller de façon classe et discrète. Elle savait que les lieux l'exigeaient et elle ne voulait pas trop attirer l'attention sur elle. Elle avait décroché un gros contrat et il n'était pas question qu'elle gâche tout. On l'avait contactée la semaine passée pour savoir si elle était intéressée pour maquiller des mannequins lors d'un défilé qui aurait lieu dans la prestigieuse galerie. La demoiselle n'avait pas hésité une seule seconde et avait accepté. Elle était donc arrivée sur place un peu plus tôt afin d'installer tout son matériel. Lorsqu'elle pénétra dans les lieux, elle se rendit compte que des machinistes s'activaient afin d'installer un podium au milieu de nombreuses statues. Des hommes s'occupaient de l'éclairage tandis que des assistances couraient un peu partout pour s'assurer que tout serait prêt dans les temps. L'une d'elle s'approcha et demanda : « Mademoiselle Lynch ? » Marley acquiesça et sans qu'elle n'ait le temps d'en dire plus on l'amena dans une succursale qui servait de loges pour les mannequins. Comme elle s'y attendait, il n'y avait encore personne. Elle en profita donc pour installer ses différentes palettes de maquillage et ses différents pinceaux. Le thème de ce soir était : « Éclatant. » Les mannequins allaient donc devoir briller de mille feux. La jeune Lynch avait déjà quelques idées. Il ne fallait pas ce que cela soit trop extravagant au risque de trop attirer les regards sur les visages et pas assez sur les tenues portées. Au bout de quelques minutes, Marley était fin prête.

Tandis qu'elle était assise dans la salle en train de pianoter sur son portable, la porte s'ouvrit. Marley releva la tête et reconnut l'assistante : « La mannequin dont vous devez vous occuper va arriver. C'est la star de la soirée, donc pas d'impair. » Marley se mordit la langue pour ne rien répondre. « La star de la soirée », comme si ça changeait quelque chose pour elle. Qu'est-ce qu'elle croyait l'autre ? Que Marley allait bâcler son travail si elle devait s'occuper d'une mannequin moins importante ? C'était vraiment n'importe quoi. Elle roula des yeux et quelques secondes plus tard, une jeune femme passa la porte. La maquilleuse se leva en souriant pour la saluer mais perdit instantanément son sourire lorsqu'elle reconnut Mabel. Il fallait que ce soit elle. Crispée la maquilleuse resta debout sans bouger. Son regard lançait des éclairs tandis qu'elle prenait sur elle pour ne pas se barrer. « Je comprends mieux... La star de la soirée. Elle voulait sans doute dire : votre mannequin fait sa star. » siffla-t-elle entre ses dents. Pas un bonjour, rien, juste cette remarque acerbe. De toutes les personnes avec qui Marley avait travaillé, Mabel était dans le top 3 de celles qu'elle ne supportait pas, elle était même sans doute numéro 1. Elle finit par soupirer et indiqua un fauteuil placé devant un grand miroir à Mabel. Elle fit une courbette ridicule et volontairement moqueuse et prenant une voix mielleuse poursuivit : « Si madame veut bien prendre place. » La soirée risquait d'être très longue. L'idée de défigurer la mannequin frappa subitement Marley qui se mordit l'intérieur de la joue pour ne plus y penser. Elle était une professionnelle. Voilà ce qu'elle se répétait en boucle. Voyant que Mabel ne bougeait pas, elle perdit patience et dit sèchement : « Bon tu comptes t'asseoir ou tu vas aller pleurnicher vers la direction pour avoir une autre maquilleuse ? Je n'ai pas tout mon temps. ». Les hostilités étaient ouvertes. Des années qu'elles ne s'étaient pas vues et pourtant Marley se souvenait comme si c'était la veille du comportement exécrable de la blonde. Pas question qu'elle agisse de la même manière ce soir.    

What a surprise my old friend... ft @Marley Lynch

I got a reputation girl, that don't precede me ; I'm one call away, whenever you need me ; I'm in a G5 ; come to the A side ∆ Taylor Swift ft. Ed Sheeran & Future, End Game

« Tu vas pouvoir aller au maquillage ! »

Mabel se contenta d'afficher un sourire rapide pour montrer qu'elle avait attendu, même si elle était pour le moment incapable de bouger. L'une des assistantes stylistes était en train de serrer le corser de sa robe, tandis que la coiffeuse essayait de boucler certaines de ses mèches, et le moindre mouvement serait très mal vu.

Elle finit par pouvoir se lever après s'être reçue ce qui lui semblait être la moitié de la bouteille de laque sur la tête. Elle faillit s'arrêter pour regarder son téléphone, mais elle se ravisa rapidement. Son ex-mari ne lui envoyait des messages que lorsqu'il avait des problèmes à s'occuper de leur fille - des problèmes qu'il n'aurait même pas eu s'il l'écoutait quand elle parlait des rituels de Rosie les trois quart du temps -, et la styliste de la soirée était suffisamment stressée pour que Mabel n'empire pas les choses en se perdant quelques minutes sur son téléphone.

Elle se dirigea donc vers le coin maquillage, essayant de savoir où s'installer. L'accueil glacial de Marley la remit immédiatement dans le bain des défilés "d'avant", quand elle n'était pas encore mère et était une boule de nerfs au milieu des cris et du mouvement incessant des coulisses.

« Bonsoir à toi aussi » dit-elle avant de s'asseoir dans la chaise que lui indiquait la jeune femme. « Je vois que ton amabilité est toujours sans égale. »

Elles avaient toujours eu une relation compliquée toutes les deux, ayant de forts caractères qui avaient tendance à s'opposer plutôt qu'à s'allier. Mais elle n'avait pas souvenir que Marley lui ait déjà si mal parlé - en toute honnêteté, elle était même plutôt celle qui agissait comme une garce que l'inverse.

« Mauvaise soirée ? Ou c'est juste ma tête qui te fait réagir comme ça ? »

Elle gardait un ton léger, essayant de rester professionnelle même quand Marley était presque agressive. De toute façon, le maquillage n'était pas sensé durer très longtemps, et la jeune femme n'avait pas intérêt à se déchaîner sur son visage, au risque de perdre des contrats et de la réputation.

« Je ne compte pas demander de changement. Tu n'es peut-être pas la plus agréable, mais je sais que tu as du talent dans ta partie » ajouta-t-elle, sérieuse.

Marley n'avait jamais été une amie, mais elle était une excellente maquilleuse, connaissant ses produits et sachant comment mettre ses clients en valeur. Elles se seraient mieux entendues que Mabel aurait pu lui demander de la maquiller pour son mariage ! Mais ça faisait des années qu'elles ne s'étaient pas croisées, les dernières fois devant dater de six ans plus tôt, au moment où Rhett avait rompu avec Mabel - et qu'elle était tout sauf sympathique et compliante dès qu'elle devait sortir de chez elle.

« J'imagine que ce n'est pas le moment de te demander comment tu vas depuis tout ce temps ? Quoi que je ne suis pas sûre que les stylistes apprécient si tu ruines leur soirée en ratant mon maquillage ! »

Elle fit le petit rappel sans trop insister, juste pour que Marley ait en tête qu'elles étaient avant tout là pour travailler. Il n'était pas question qu'elles se battent comme des chiffonniers au milieu de leur espace de travail juste parce qu'elles ne s'étaient jamais entendues.

What a surprise my old friend...

 @Mabel Griffiths   ft. Marley Lynch

« Je vois que ton amabilité est toujours sans égale. » Marley ne répondit rien mais roula les yeux au ciel. Elle ne pouvait pas nier qu'elle n'avait fait aucun effort pour la saluer. Elle n'en avait tout simplement pas envie. Cela l'agaçait de devoir faire des courbettes, de répondre à tous les caprices de tout le monde. La maquilleuse n'était pas connue pour sa patience et son hypocrisie. Elle savait rester professionnelle mais elle devait bien admettre qu'elle avait du mal à cacher ce qu'elle ressentait réellement. On disait souvent d'elle qu'elle était un livre ouvert. Toutes ses émotions étaient visibles sur son visage, qu'elles soient positives ou négatives. Elle avait un temps essayé de changer cet aspect de sa personnalité mais elle avait finalement fini par se résigner. Elle était ainsi et elle aimait celle qu'elle était. Sa franchise, bien que parfois blessante était – à ses yeux – l'une de ses plus belles qualités. Mabel prit place face à elle et continua la discussion. Elle ne pouvait pas se taire pour qu'elles en finissent toutes les deux ?! « Mauvaise soirée ? Ou c'est juste ma tête qui te fait réagir comme ça ? ». La mâchoire de Marley se crispa et elle prit le temps de la réflexion avant de répondre. « La star de la soirée » ces mots lui revenaient sans cesse en tête. Elle soupira puis répondit : « La soirée commençait bien, je t'avoue que l'ambiance a vite tourné. Pour ce qui est de ta tête, ça pourrait aller si tu gardais les lèvres closes. » Et elle lui fit un large sourire. Elle n'était plus la maquilleuse débutante que Mabel avait rencontré il y a quelques années. Elle était désormais plus sûre d'elle. Elle savait ce qu'elle faisait, elle était efficace dans son travail et elle refusait de se laisser marcher sur les pieds. C'était à prendre ou à laisser. Si l'autre n'était pas contente, elle n'avait qu'à aller se plaindre ailleurs. A sa grande surprise, l'inverse se produisit : « Je ne compte pas demander de changement. Tu n'es peut-être pas la plus agréable, mais je sais que tu as du talent dans ta partie » La métisse fronça les sourcils, prise au dépourvu par ce compliment – car oui c'en était bien un – elle cherchait dans le regard de Mabel une pointe de moquerie mais il n'y avait rien. Marley finit par détourner le regard et commença à observer ses palettes pour faire le fond du visage de Mabel. Il lui fallait une base avant de pouvoir vraiment la maquiller. « J'imagine que ce n'est pas le moment de te demander comment tu vas depuis tout ce temps ? Quoi que je ne suis pas sûre que les stylistes apprécient si tu ruines leur soirée en ratant mon maquillage ! » Un long soupir échappa des lèvres de Marley tandis qu'elle enchaînait : « Je suis peut-être une garce, mais tu sais très bien que je ne saboterai jamais ton maquillage » même s'il était vrai que l'idée lui avait traversé l'esprit.

La brune prit un pinceau et commença à déposer la base sur la mannequin. Ayant une bonne mémoire, elle retrouva du premier coup la teinte qui correspondait à sa couleur de peau. Elle commença par l'intérieur du visage tout en allant vers l'extérieur. Ce qui était agréable avec Mabel – même si Marley ne le reconnaîtrait jamais – c'était qu'elle avait une peau avec très peu de défauts. Elle n'avait pas besoin d'utiliser des tonnes de produits pour cacher les imperfections. Une fois que la base fut posée, elle demanda à Mabel : « Tu peux te lever, j'aimerais voir ta tenue en détails. » Le ton était sans doute un peu trop autoritaire donc elle ajouta : « S'il te plaît ». Plus vite elle se serait occupée de Mabel, plus vite celle-ci serait hors de sa vue. La mannequin s'exécuta et se mit à tourner sur elle-même. Sa tenue était sublime et lui allait à la perfection. Une fois qu'elle fut à nouveau installée, Marley réfléchit à voix haute sans même s'en rendre compte : « Bon d'accord, pas besoin d'en mettre des couches... » elle tourna le dos à Mabel tout en fouillant dans ses différentes palettes « la tenue est parfaite, on va faire simple. » Elle se figea lorsqu'elle se rendit compte que ses pensées lui avaient échappé. Finalement elle prit du fard à paupière doré et s'apprêta à l'appliquer sur les yeux de Mabel. Elle suspendit son geste en route et préféra s'assurer : « On est d'accord que t'as aucune allergie qui s'est déclenchée avec l'âge ? ». Cela aurait pu passer pour une attaque, et cela l'était sans doute un peu, mais en réalité Marley avait fait la désagréable expérience – quelques semaines plus tôt – de voir une figurante sur un clip se mettre à gonfler à cause d'un composant dans le rouge à lèvres utilisé. Il n'était pas question que cela se produise ce soir. Si cela venait à arriver, Mabel ne la croirait jamais si elle lui expliquait qu'il s'agissait d'un accident.

made by black arrow

What a surprise my old friend... ft @Marley Lynch

I got a reputation girl, that don't precede me ; I'm one call away, whenever you need me ; I'm in a G5 ; come to the A side ∆ Taylor Swift ft. Ed Sheeran & Future, End Game

Mabel savait qu'elle n'avait pas toujours été très agréable avec les maquilleuses, mais elle en avait rarement recroisé une si vindicative après des années sans se voir.

« Dois-je en conclure que je suis une peste, mais une jolie peste ? »

Après tout, si Marley pouvait la tolérer bouche fermée, c'était que Mabel avait au moins un physique avantageux. Ce dont elle ne doutait pas - plus -, sa carrière de mannequin étant encore florissante malgré le fait qu'elle ait plus de trente ans et vienne d'avoir un enfant.

Mabel resta de toute façon silencieuse alors que Marley commençait son maquillage posant avec application un fond de teint dont l'odeur lui chatouillait un peu le nez. Elle n'était plus habituée à porter autant de maquillage, ne le faisant plus que pour ses rôles et ses défilés. Alors que cinq ans plus tôt, elle se cachait sous des couches et de couches de maquillage, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, dès qu'elle posait un pied hors de chez elle.

Elle se leva quand Marley le lui demanda, toujours sur elle-même pour que sa robe capte les lumières et montre toutes ses nuances. Elle se doutait que la maquilleuse voulait voir les couleurs avec lesquelles elle devait travailler pour mettre en valeur le travail du styliste et des couturiers.

« Un maquillage simple, ça me va » accepta-t-elle avant de se rasseoir sur la chaise, levant le visage vers Marley.

Avant de grimacer devant la question suivante. Elle n'aimait pas trop le ton un peu intrusif de Marley, la façon dont elle avait tourné ses mots.

« J'ai l'air si vieille que ça ? » demanda-t-elle, retenant le ton revanchard qui lui venait immédiatement en réponse. « Mais non, pas d'allergies, pas de réactions ou quoi que ce soit. Je porte juste moins de maquillage, parce que j'ai plus autant le temps qu'avant de passer des heures à tester tous les produits et tout... »

Depuis qu'elle avait eu Rosalie, Mabel passait même parfois des journées entières en vieux vêtements pas très propres. Marley n'y croirait sans doute pas si elle le lui disait. Et il fallait avouer que ça arrivait de moins en moins souvent, notamment parce que Rosalie grandissait, jouait plus et pleurait moins.

« On peut vraiment déclencher des allergies au maquillage en vieillissant ? » demanda-t-elle avec inquiétude. « Je sais qu'on peut réagir au maquillage pendant la grossesse, mais c'est passager, et je pensais pas que ça pouvait arriver à d'autres moments de la vie. »

Pas qu'elle veuille remettre en questions le talent de Marley en insinuant que cette dernière avait des produits périmés, mais si on pouvait déclencher une allergie sur un produit qu'on utilisait depuis des années... Ce n'était pas très rassurant pour la suite ! Le temps de passer à des choses plus légères et écologiques peut-être, même si elle ne s'y connaissait pas assez pour savoir ce qui était bon ou pas pour sa peau.

What a surprise my old friend...

 @Mabel Griffiths   ft. Marley Lynch

« Dois-je en conclure que je suis une peste, mais une jolie peste ? » Marley s'était mordue la langue pour ne rien répondre. Elle avait failli lâcher un « garce serait plus approprié » mais elle s'était contentée d'ignorer la remarque de la mannequin. Le souvenir qu'elle gardait de Mabel n'avait rien de positif, bien au contraire. Leur première rencontre avait eu lieu bien des années auparavant certes, mais Lynch avait du mal à concevoir qu'on puisse changer radicalement dans sa façon d'agir. Il ne lui traversait donc pas l'esprit que la blonde qui se trouvait face à elle ait peu changer. Rancunière, la métisse ne laissait que très rarement une seconde chance. Elle le faisait très rarement dans sa vie privée alors quant à sa vie professionnelle il ne fallait même pas y compter.

« Un maquillage simple, ça me va » Marley fronça quelques peu les sourcils. Lui avait-elle demandé son avis ? Elle n'en avait pas le souvenir. C'était une réflexion qu'elle s'était faite à elle-même. Elle se fichait de l'opinion de Mabel. Il était évident que Marley ne ferait pas quelque chose dont la mannequin ne voulait pas. Si cette dernière n'était pas à l'aise dans son maquillage, cela serait un désastre. La brune en avait pleinement conscience. Sa main était tendue vers les joues de la mannequin lorsqu'elle l'entendit lui demander : « J'ai l'air si vieille que ça ? » Elle suspendit son geste, son regard planté dans le sien et finit par répondre : « Disons qu'on a tous pris une ou deux rides avec le temps. » Elle se radoucissait quelque peu, acceptant de mettre sa hargne de côté pour quelques instants. Cela aurait été mentir de lui dire qu'elle avait pris un coup de vieux. Le temps ne semblait en effet pas avoir eu d'effet sur la jeune femme, même si elle lui paraissait un peu plus fatiguée que dans ses souvenirs. « Mais non, pas d'allergies, pas de réactions ou quoi que ce soit. Je porte juste moins de maquillage, parce que j'ai plus autant le temps qu'avant de passer des heures à tester tous les produits et tout... » Les propos confirmaient la sensation de Marley, la mannequin semblait un peu plus débordée qu'auparavant. Elle avait failli lui demander ce qui se passait dans sa vie pour que la reine de beauté délaisse le maquillage et les paillettes mais se ravisa à la dernière seconde. A l'inverse elle hocha affirmativement la tête et répondit : « Parfait, ça m'arrange. » Au moins, elle n'aurait pas besoin de tester toute sorte de produits pour savoir lesquels correspondaient à Mabel. « Tu peux fermer les yeux ? » Son ton était moins autoritaire et abrupte qu'au début mais on sentait que Marley avait envie d'en finir avec cette histoire. La blonde s'exécuta et la mannequin commença à déposer avec délicatesse le fard à paupières. Elle devait faire attention à la couche qu'elle mettait. Il ne fallait pas qu'elle en mettre trop mais il fallait qu'elle en mette assez pour que son regard illumine la pièce.

Griffiths vint briser le silence qui s'était installé avec une autre question : « On peut vraiment déclencher des allergies au maquillage en vieillissant ? » Marley acquiesça du visage tout en se rendant compte que l'autre ne pouvait pas la voir puisqu'elle avait les yeux clos. Elle s'apprêtait à lui répondre mais n'en eut pas le temps. « Je sais qu'on peut réagir au maquillage pendant la grossesse, mais c'est passager, et je pensais pas que ça pouvait arriver à d'autres moments de la vie. » Marley fronça les sourcils se demandant comment elle pouvait être au courant pour cette histoire d'allergie pendant les grossesses. Son regard descendit jusqu'au ventre de la mannequin. Non, toujours aussi plat qu'avant. Elle répondit de manière neutre : « Le corps est surprenant. Avec l'âge on devient intolérant à certains aliments, il faut croire que c'est la même chose avec les produits pour le corps ». Elle finit d'appliquer le fard à paupières, et comme si Mabel avait compris, elle rouvrit les yeux. Un petit sourire en coin apparut sur le visage de la brune. Même après toutes ces années, chacune des deux femmes savait comment l'autre travaillait, il y avait toujours les mêmes réflexes, les mêmes anticipations. Même si elle ne l'admettrait pas, c'était plaisant. Elle prit un mascara couleur or et l'ouvrit. Mabel ouvrit les yeux de manière à ce que la maquilleuse puisse l'appliquer. Tandis qu'elle s'attaquait à son œil gauche, Marley ne put s'empêcher de demander : « Comment tu es au courant pour les allergies pendant la grossesse ? Ne me dis pas que t'es devenue maman ! » rit-elle doucement comme si cette idée était totalement farfelue. Le ton n'était pas moqueur mais la métisse avait du mal à imaginer Mabel s'occuper de quelqu'un d'autre qu'elle même. Cela lui paraissait même inconcevable.

made by black arrow

What a surprise my old friend... ft @Marley Lynch

I got a reputation girl, that don't precede me ; I'm one call away, whenever you need me ; I'm in a G5 ; come to the A side ∆ Taylor Swift ft. Ed Sheeran & Future, End Game

Un ou deux rides, et quelques kilos pour Mabel, gagnés avec sa grossesse. Elle n'était certainement plus la même que celle que Marley avait connu des années plus tôt, autant physiquement que mentalement. Une évolution difficile à évoquer et à mettre en mots, surtout face à quelqu'un avec qui elle s'entendait si mal.

Elle se contenta donc de bien confirmer qu'elle n'avait pas d'allergies - du moins pas à sa connaissance. Mais elle avait défilé ces derniers mois et avait bien supporté le maquillage qu'on lui avait mis à l'occasion. Marley devait avoir des produits tout aussi qualitatifs que ceux des maquilleuses de défilés, et ils ne devraient donc pas poser problème à la mannequin.

Elle se laissa maquiller, détendue, les yeux fermés. Elle était tellement habituée à se retrouver dans cette position qu'elle savait ce que faisait Marley juste à l'entendre manipuler son matériel. Elle avait passé trop d'heures sur ces chaises, à se faire coiffer ou maquiller, qu'elle connaissait par cœur les bruits et leurs significations. Elle trouvait assez amusant que chaque professionnel ait sa manière de faire même si leurs étapes étaient généralement les mêmes.

« J'avoue, je n'y connais pas grand chose en allergie, vu que j'ai jamais eu de problèmes de ce côté-là. Mais je trouve ça fou de pouvoir devenir allergique d'un coup à quelque chose qu'on mange depuis des années, ou un produit qu'on utilise depuis longtemps... »

Heureusement qu'elle n'avait jamais eu de problèmes avec le maquillage - ou pire, le café, dont elle buvait des litres pour garder les yeux ouverts. A peine un masque de grossesse le dernier trimestre, mais elle avait juste arrêté de se maquiller, et restait déjà majoritairement chez elle à se reposer, son ventre imposant la fatigant trop pour rester longtemps hors de chez elle.

Mabel rouvrit les yeux, papillonnant un peu avant de les garder entrouverts pour que Marley puisse lui mettre le mascara. Elles ne s'étaient jamais vraiment entendues, mais elle connaissait les habitudes de la maquilleuse, lui faisant confiance pour le maquillage même si leurs discussions étaient souvent houleuses.

« Et si, je suis devenue maman ! Ma fille aura un an à Noël. »

Un bébé qui devait naître début janvier mais avait été trop pressé et était arrivé au petit matin le vingt-cinq. A croire qu'elle serait aussi impatiente que sa mère...

« Etonnant, n'est-ce pas ? » reprit-elle, ayant parfaitement perçu le doute dans la voix de la maquilleuse. « Même moi, je n'aurai pas pensé à devenir mère un jour. »

La grossesse avait été un heureux accident, finalement, même si la maternité la stressait beaucoup. La peur de mal faire, et que Rosie finisse par la détester comme elle-même détestait ses propres parents, était bien trop présente.

What a surprise my old friend...

 @Mabel Griffiths   ft. Marley Lynch

« J'avoue, je n'y connais pas grand chose en allergie, vu que j'ai jamais eu de problèmes de ce côté-là. Mais je trouve ça fou de pouvoir devenir allergique d'un coup à quelque chose qu'on mange depuis des années, ou un produit qu'on utilise depuis longtemps... » Marley acquiesça d'un signe de tête. Elle aussi trouvait ça fou. Elle savait de son côté qu'elle avait de plus en plus de mal à digérer les produits laitiers alors qu'elle avait toujours adoré ça. Au début elle avait lutté, et s'était dit que ce n'était pas un petit mal de ventre qui allait lui faire arrêter de manger des yaourts. Finalement elle s'était faite une raison et ne consommait des produits laitiers que lors de quelques occasions. Elle était toujours en train de maquiller Mabel lorsqu'elle se fit la réflexion que la jeune femme qui se tenait face à elle était bien différente de celle qu'elle avait auparavant connue. Elle était moins sèche, moins piquante, plus ouverte à la conversation. C'était étrange. Méfiante, Lynch restait sur ses gardes. Elle était persuadée qu'il ne s'agissait que d'un petit jeu et qu'à tout moment elle allait dévoiler son vrai visage.

Marley était en train de lui appliquer du mascara lorsque Mabel lui annonça : « Et si, je suis devenue maman ! Ma fille aura un an à Noël. » La surprise fut telle que la maquilleuse dérapa légèrement, mettant du mascara sur la paupière de la mannequin : « Merde ! » s'agaça-t-elle. Elle posa le pinceau sur la table et observa la jeune femme. Elle était stupéfaite par la nouvelle qu'elle venait d'apprendre. Ainsi elle était bel et bien mère. Marley n'aurait jamais misé une pièce là-dessus. Avoir des enfants n'avait jamais fait partie de ses priorités. Elle ne se sentait pas capable d'élever un être humain. Les souvenirs de son enfance lui revenaient au visage et savoir qu'elle avait été élevée dans l'amour puis lâchement reniée lui retournait toujours l'estomac. « Même moi, je n'aurai pas pensé à devenir mère un jour. » « Comme quoi tout arrive » souffla Marley avait un petit sourire. Pour la première fois depuis leurs retrouvailles, la métisse se détendait un peu. Elle prit un coton et dit d'une voix moins froide que d'ordinaire : « La prochaine fois que tu as une grande nouvelle de la sorte, attends que j'ai posé mon matériel. » Avec agilité et délicatesse, elle tapota la paupière de Mabel afin d'enlever les traces qui s'étaient installées. Elle finit par se reculer et constata avec satisfaction que tout avait disparu. Elle n'aurait pas besoin de faire mille retouches.

Elle prit un fauteuil et s'installa dessus. Elle l'approcha de celui de la mannequin afin d'être à la hauteur de ses lèvres. Un tube de rouge à lèvres dans la main, elle prévint la jeune femme : « Je vais te poser des questions parce que j'suis un peu curieuse, mais réponds moi quand j'aurai fini... » Et sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle appliqua une première couche sur l'intérieur des lèvres de la blonde : « Comment elle s'appelle ? ». Elle tapota doucement sur la bouche de Mabel et avec ses lèvres mima le geste que la mannequin devait reproduire. Une fois que ce fut fait, à l'aide d'un pinceau, elle déposa quelques paillettes discrètes sur ses lèvres rosées et poursuivit : « Je vois que tu arrives à concilier maternité et travail, impressionnant. » Il n'y avait aucune ironie, aucune attaque, c'était une simple constatation. La jeune Lynch était réellement impressionnée par Mabel et sans même s'en rendre compte baissait peu à peu sa garde. Sans doute finirait-elle par s'en mordre les doigts à un moment ou à un autre. Elle connaissait la capacité de la vipère qui lui faisait face à piquer à un moment où personne ne s'y attendait.  

made by black arrow

What a surprise my old friend... ft @Marley Lynch

I got a reputation girl, that don't precede me ; I'm one call away, whenever you need me ; I'm in a G5 ; come to the A side ∆ Taylor Swift ft. Ed Sheeran & Future, End Game

Mabel tressaillit en sentant la brosse du mascara effleurer sa paupière, avant de se forcer à rester immobile, les yeux fermés. Elle n'aurait pas eu Marley comme maquilleuse, elle aurait certainement réagi plus violemment. Mais elle imaginait facilement combien une telle annonce devait choquer Marley, qui l'avait rencontré quand elle était une jeune mannequin inconséquente et égoïste - et puis la jeune femme était assez douée pour savoir effacer ses erreurs.

« Tu préfères que j'annonce mes grandes nouvelles avant que tu commences ton maquillage ? Ou après, histoire que tes mains ne tremblent pas pendant que tu travailles sur mon visage ? » demanda-t-elle, un brin taquine.

Elle ne s'attendait pas à des félicitations de la part de Marley, étant donnée leur relation en dents de scie. Elle était en revanche ravie d'avoir pu la surprendre à ce point, et d'avoir même réussi à briser sa façade froide et un peu hargneuse.

La maquilleuse prit le temps de faire ses lèvres. Le pot de paillettes la fit grimacer discrètement - Mabel avait toujours détesté les paillettes dans les maquillages, ayant toujours l'impression d'avoir du mal à bien les enlever, et d'en retrouver partout sur son sillage pendant plusieurs heures.

« Elle s'appelle Rosalie » reprit-elle quand Marley lui indiqua qu'elle en avait fini avec le maquillage des lèvres. « Je peux même te montrer des photos si tu es si curieuse que ça ! »

Mabel n'avait jamais été attirée par la maternité, mais son bébé était rapidement devenu sa priorité. Et comme toute mère un peu gaga de son rejeton, elle avait des centaines de photos ou de vidéos de sa fille, dans les activités les plus simples de la vie quotidienne - à dormir ou jouer, ou même essayé de tenir debout et de faire quelques pas pour les plus récentes.

« J'ai la chance que la maison de couture avec laquelle je travaille principalement ait un système de garderie ouvert à tous les employés. Avec mes horaires aléatoires, ce serait compliqué d'avoir une nourrice ou une crèche... Et puis je peux passer la voir quand je travaille. »

Elle était peut-être un peu trop mère poule... Mais elle avait grandi avec des parents distants, qui ne s'occupaient de leurs filles que devant les caméras. Elle avait été élevée par une armée de nourrices qui ne restaient pas assez longtemps pour être vraiment proches des deux petites Griffiths. Elle essayait de corriger ça avec Rosalie, d'être là pour la voir grandir, d'être là pour la consoler et pour jouer avec elle. C'était difficile de bien juger si ce qu'elle faisait était bien ou non, quand elle n'avait pas de repères fiables auxquels se référer.

« Et toi, de grands changements depuis la dernière fois qu'on s'est vues ? »

Marley n'avait sans doute pas envie de l'entendre parler de sa fille pendant des heures et des heures... Elles ne s'étaient jamais vraiment entendues, alors devoir l'écouter papoter de Rosie et de tout ce qu'elle savait déjà faire n'était sans doute pas dans ses envies du moment.

What a surprise my old friend...

 @Mabel Griffiths   ft. Marley Lynch

« Tu préfères que j'annonce mes grandes nouvelles avant que tu commences ton maquillage ? Ou après, histoire que tes mains ne tremblent pas pendant que tu travailles sur mon visage ? » Marley avait levé les yeux au ciel sans rien dire, incapable de déterminer s'il s'agissait d'une plaisanterie ou d'une attaque directe. Quelques années auparavant aucun doute n'aurait plané, elle aurait instantanément su que la mannequin essayait de la piquer, mais aujourd'hui tout semblait différent. Mabel semblait assagie et d'humeur plutôt conciliante. Peu habituée à cette attitude, Marley préférait marcher sur des œufs. Il n'était pas question qu'elle soit prise à défaut ou prise en traître. Elle aurait pu répliquer sèchement comme à son habitude mais décidée à apaiser les tensions et à ne pas envenimer une situation qui était pour une fois calme et presque détendue, elle choisit le silence.

Un petit rictus glissa sur les lèvres de la maquilleuse lorsqu'elle vit la blonde grimacer au contact des paillettes. Elle savait que Mabel détestait ça. Par le passé la métisse prenait un malin plaisir à lui en coller partout histoire de la faire enrager mais cette fois-ci les paillettes étaient vraiment là pour rehausser sa tenue et son maquillage. Elle souffla avec gentillesse : « Promis, celles-ci s'enlèvent facilement. ». Elle continua de perfectionner les lèvres de la jeune femme, souriant au prénom de l'enfant et acquiesçant d'un signe de tête lorsqu'elle lui proposa de voir des photos. Lorsqu'elle acquiesça, elle fronça les sourcils en se rendant compte de l'étrangeté de la situation. Que s'était-il passé ? Comment avaient-elles pu basculer d'une haine viscérale, à une conversation plutôt cordiale à une divulgation de photos personnelles ?

Mabel expliqua par la suite à la brune comment elle faisait pour s'organiser dans sa vie personnelle et professionnelle. Marley comprenait mieux comment tout cela était possible. Elle se fit la réflexion qu'elle ne se sentait absolument pas prête pour tout ça et se demandait sincèrement si elle le serait un jour ou non. Faire passer la vie d'un être innocent qui n'avait pas demandé à voir le jour avant la sienne lui paraissait impossible pour le moment. Sans doute était-ce son instabilité qui la poussait à réfléchir ainsi. Quoi qu'il en soit ce n'était pas demain qu'elle deviendrait mère. Elle se recula, replaça quelques mèches derrière les oreilles de la mannequin et sourit satisfaite du résultat. C'était parfait. Marley devait bien l'admettre, Mabel était sublime. « Et toi, de grands changements depuis la dernière fois qu'on s'est vues ? » Le sourire de Marley se crispa tandis qu'elle se figeait face à cette question qui la déstabilisait. Oui du changement : des échecs sentimentaux cuisants, des fuites en avant, une instabilité chronique. Que dire ? Avec quelqu'un d'autre, la brune aurait sans doute répondu avec sarcasme mais en disant la vérité, avec la blonde s'était une autre histoire. Ce n'était pas parce qu'elle était plutôt agréable que Marley lui faisait confiance. Elle se méfiait toujours de l'eau qui dormait et les souvenirs qu'elle avait de Mabel lui intimaient de faire attention à ce qu'elle allait dire. Elle finit par hausser les épaules et répondit : « Pas grand chose, je suis partie un temps à Melbourne et me voilà de retour. Je me suis un peu diversifiée, en plus de bosser pour des événements de mode, je travaille aussi pour une compagnie de danse et pour des projets télévisuels. » Elle n'avait pas menti sur son travail, elle avait juste esquiver toute la partie vie personnelle.

Elle jeta un coup d'oeil à sa montre, réfléchit quelques secondes et lui dit : « Bon, il te reste une bonne vingtaine de minutes avant de défiler. Si tu veux boire un peu d'eau tu as encore le temps, je pourrai faire les dernières retouches cinq minutes avant que tu défiles. » Elle posa ensuite une bouteille d'eau devant elle. Bien consciente qu'il restait du temps à tuer elle lui dit : « Alors ? Tu me les montres ces photos ? » Même si elle ne désirait pas d'enfant pour le moment, Marley aimait beaucoup ceux des autres – même si elle n'aimait pas spécialement les parents. A cette réflexion elle fronça les sourcils et sans même se dire que sa question pouvait être déplacée, elle interrogea : « Mais j'y pense, il n'y a pas de père dans l'équation ? ». A aucun moment Mabel n'en avait fait allusion.   

made by black arrow

What a surprise my old friend... ft @Marley Lynch

I got a reputation girl, that don't precede me ; I'm one call away, whenever you need me ; I'm in a G5 ; come to the A side ∆ Taylor Swift ft. Ed Sheeran & Future, End Game

Des paillettes s'enlevant facilement et sans laisser de traces partout ? Mabel demandait à voir. Surtout qu'elle allait devoir se démaquiller et se doucher avant de récupérer sa fille, ne voulant pas risquer de mettre ce genre de produits sur la beau de bébé de Rosalie. Voir sa toute petite couverte de paillettes n'était pas quelque chose qui l'intéressait, surtout si ça faisait réagir sa peau encore fragile.

Parler de Rosalie lui faisait se rendre compte comme elle menait une vie bien différente de celle qu'elle vivait quand elle avait rencontré Marley. A l'époque, Mabel vivait seule et de façon assez égoïste, assez peu concernée par les autres, persuadée qu'il ne faisait que passer dans sa vie. La maternité avait changé ce point de vue, aidée par le fait qu'elle semblait recroiser tout son passé en revenant dans sa ville natale. Comme Marley, qu'elle n'aurait pas pensé revoir, surtout en participant bénévolement à ce défilé.

« C'est toujours une bonne idée d'apprendre de nouvelles techniques et de se diversifier. Ça t'apporte encore plus de valeurs. »

Elle n'oubliait pas que Marley avait toujours été une très bonne maquilleuse, même à l'époque où elles s'envoyaient des piques dès qu'elles devaient travailler ensemble. Avoir ajouté d'autres cordes à son arc ne pouvait que l'aider à avoir de nouveaux contrats, surtout dans un milieu si compétitif.

C'était peut-être la raison pour laquelle son maquillage était fini si longtemps avant le début du défilé. Habituellement, c'était plutôt la course, le rouge à lèvres posé directement au pied du podium avant de devoir y grimper précipitamment. Ça ou les organisateurs avaient prévu trop large, pas encore habitués à ce genre d'événements. Mabel accepta la bouteille offerte par Marley, faisant de son mieux pour ne pas abîmer son rouge à lèvre, quand bien même la maquilleuse ferait des retouches avant qu'elle n'aille défiler.

Elle reposa ensuite la bouteille pour attraper son téléphone, toujours ravie de montrer quelques photographies de la prunelle de ses yeux. Elle essaya de les sélectionner, se doutant que voir des enfants inconnus n'étaient pas toujours des plus intéressants, surtout pour des gens n'étant pas eux-même parents. Elle choisit quelques unes des dernières qu'elle avait prises : Rosalie debout, appuyée sur la table basse pour essayer d'attraper un des médiators de sa mère ; ou affalée sur la grosse peluche d'ours offerte par Carmine, riant même si elle était presque engloutie dans son ventre énorme ; et une, plus mignonne, où elle était assise, essayant de partager ses jeux avec sa cousine Paola, qui tenait à peine assise.

« On a divorcé quand elle n'avait que quelques mois. Pas la même vision de la parentalité » résuma-t-elle pour répondre à la question de Marley. « Il ne la prend que quand il est disponible, et oublie souvent qu'elle a besoin de repères et de choses régulières... »

Un brin d'amertume dans sa voix, surtout parce qu'il avait été le plus enthousiasmé par la grossesse. Un accident, que Mabel avait assez mal vécu puisque ça avait réveillé ses troubles alimentaires. Et ses propres problèmes liés à la parentalité et à l'éducation qu'elle avait reçue de ses parents.

« Du coup, on est surtout toutes les deux, mais ça nous va très bien. »

Et puis, il y avait Aiden, leur fausse relation au yeux des médias, et l'amitié qu'ils construisaient en toute intimité. Il était un oncle un peu drôle pour Rosalie, qui aimait bien cet adulte qui adorait s'asseoir par terre pour jouer avec elle. Mais Mabel n'allait certainement pas aborder tout ça avec Marley.

« T'as déjà pensé à devenir mère ? »

Après tout, si Marley posait des questions personnelles, Mabel pouvait bien elle aussi poser les siennes !

What a surprise my old friend...

 @Mabel Griffiths   ft. Marley Lynch

« C'est toujours une bonne idée d'apprendre de nouvelles techniques et de se diversifier. Ça t'apporte encore plus de valeurs. » Marley hocha affirmativement la tête. Mabel ne pensait pas si bien dire. Si la métisse s'était cantonné à seulement danser et se dévêtir sur scène, à l'heure actuelle, elle serait sans doute encore en train de s'exhiber autour d'une barre de pôle dance. C'était parce qu'elle s'était amusée à maquiller ses autres amies danseuses qu'elle avait pris goût à cela. Elle avait d'abord commencé par des maquillages simples et puis elle s'était diversifiée, elle était sortie de sa zone de confort en maquillant des filles pour des anniversaires, pour des soirées, des galas. C'était comme ça qu'elle s'était rendue compte qu'elle n'en pouvait plus d'enlever ses vêtements et de se faire reluquer à tout va. Elle en avait parlé à Jackson. L'agent avait été plus que ravi d'apprendre qu'elle voulait arrêter son job de strip-teaseuse. Il ne l'avait jamais jugée pour ce qu'elle faisait, après tout c'était ainsi qu'il était tombé amoureux d'elle. Lorsqu'elle lui avait dit – gênée – qu'elle aimerait se lancer dans une carrière de maquilleuse, il l'avait encouragée, poussée, motivée. C'était lui qui lui avait donné la force et le courage de se lancer. La jeune femme jeta un coup d'oeil nostalgique à la mallette qu'il lui avait offerte et chassa ses souvenirs de son esprit. Ce n'était pas le moment de s'égarer ou encore de se montrer fragile devant Mabel. A tout moment cette dernière pouvait attaquer par surprise.

Le maquillage était terminé et il leur restait encore du temps – beaucoup trop – à tuer. L'ambiance était moins pesante et tendue que Lynch l'avait imaginée. Elle sourit discrètement lorsqu'elle se rendit compte que la mannequin prenait grand soin à ne pas abîmer son maquillage. Elle trouvait cette attitude mature et professionnelle. D'autres mannequins ne se seraient pas priées pour n'en fait qu'à leur tête. Après tout, Marley avait bien dit qu'elle ferait quelques retouches. La brune observa la jeune femme chercher dans son téléphone quelques photos de sa fille. Elle attendit avec patience, priant intérieurement pour que Rosalie soit jolie. Elle n'avait pas envie de mentir ou d'afficher une mine dégoûtée devant la photographie d'un bébé. Lorsqu'elle lui tendit le portable, un large sourire apparut sur le visage de Marley. La petite était magnifique. Elle était adorable dans son énorme ours en peluche. Elle nota aussi qu'elle se tenait déjà debout et trouvait ça vraiment attendrissant. Sincèrement et avec gentillesse, elle dit alors à Mabel : « Félicitations Mabel, elle est splendide. » C'était peut-être la première fois qu'elle l'appelait par son prénom sans user d'ironie ou de perfidie. Elle rendit l'appareil à la nouvelle mère de famille et écouta attentivement son histoire concernant le père de l'enfant. Elle s'en voulait un peu d'avoir abordé le sujet mais voyait désormais la mannequin sous un nouveau jour. Elle était amère et Marley pouvait le comprendre. Elever un enfant ne devait pas être une chose aisée et encore moins lorsqu'on se retrouvait seul. « Du coup, on est surtout toutes les deux, mais ça nous va très bien. » La maquilleuse fit un sourire compréhensif à celle qui venait de se livrer sans retenue aucune. « Pour ce que ça vaut, tu as l'air de t'en sortir parfaitement. Et puis... Ta fille, elle respire le bonheur sur les photos. » Elle ne savait pas pourquoi elle se sentait obligée de lui dire cela. Bien sûr elle pensait chacune de ses paroles mais les énoncer à voix haute était toujours un peu difficile.

Comme elle s'y attendait, la conversation dévia sur elle et Marley n'eut d'autre choix que de répondre. Mabel avait joué franc jeu avec elle et avait accepté de répondre à ses questions. Il n'était donc pas question d'esquiver. A la question de la blonde elle avait haussé les épaules et poussé un petit sourire. « Je me suis déjà demandée si je serais une bonne mère... » Et elle en doutait sincèrement. Elle avait eu une enfance joyeuse dans l'ensemble, mais même si elle avait eu des parents aimants, ils n'étaient pas forcément un exemple à suivre en terme de parentalité. Elle poursuivit : « Je... Je ne suis pas sûre de vouloir des enfants. » Elle baissa la tête un peu honteuse face à cette confession. Elle se sentait parfaitement ridicule et se maudissait d'avoir donné des balles dans l'arme que Mabel se ferait sans doute un plaisir de pointer sur elle à un moment ou à un autre. « En tout cas ce qui est sûr c'est qu'aujourd'hui je ne me sens pas prête. » Le chaos de sa vie sentimentale n'aidait en rien. Célibataire depuis qu'elle avait fui une demande en mariage, Marley stagnait dans sa vie et ne parvenait pas à se projeter très loin. Elle prenait les jours les uns après les autres. Elle releva le visage et dans un sourire acheva : « Ca changera peut-être un jour, qui sait ? » 

made by black arrow

What a surprise my old friend... ft @Marley Lynch

I got a reputation girl, that don't precede me ; I'm one call away, whenever you need me ; I'm in a G5 ; come to the A side ∆ Taylor Swift ft. Ed Sheeran & Future, End Game

Mabel ne put s'empêcher de laisser passer un sourire fier devant le compliment de Marley. Même si elle n'y était pas pour grand chose dans le jeu de loterie de la génétique, et que malgré son travail de mannequin, elle voulait apprendre à Rosie de vivre de autre chose que de sa beauté. Mais elle aussi, elle trouvait que son bébé était le plus mignon de tous les bébés.

« J'espère qu'elle est heureuse. C'est compliqué d'avoir la responsabilité d'un autre être humain. »

Peut-être parce qu'elle avait déjà du mal à assurer son propre bonheur ou sa propre sécurité - quoi qu'elle avait fait des efforts sur sa consommation d'alcool, et que si ses troubles alimentaires avaient connu un pic après son accouchement et pendant son divorce, elle allait dorénavant mieux.

Du coup, elle se reconnaissait un peu dans les questionnements de Marley. Elle avait longtemps été persuadée qu'elle serait une mère affreuse, n'ayant pas de repères sur lesquels s'appuyer, puisque ses parents l'avaient laissée aux mains de nourrices changeants trop souvent. Même maintenant, alors que Rosalie approchait de son premier anniversaire, Mabel n'était toujours pas persuadée de faire les bons choix.

« Ma grossesse était un accident, mais avant d'avoir mon bébé dans les bras, je me posais les mêmes questions que toi » avoua-t-elle, un peu timidement.

Elle avait l'impression de soudainement trop en partager avec Marley. Elles avaient passé des années à se lancer des piques chaque fois qu'elles se voyaient, et voilà qu'elles partageaient leurs réflexions intimes autour d'une bouteille d'eau, et Mabel se trouvait perturbée par ce changement étrange.

« J'étais persuadée que je n'aurai jamais d'enfants, et que ça valait mieux parce que j'arrivais déjà à peine à m'occuper de moi » continua-t-elle quand même.

Parce que Marley était certainement d'accord avec ce simple fait. Elle avait connu une Mabel buvant trop, et se révélant impertinente, voire insolente, même sur son lieu de travail. Une enfant qui cherchait par tous les moyens à attirer l'attention sur elle, en bien ou en mal.

« Rosie a changé ma vision des choses. Mais j'ai passé trop d'années à me dire que je ne devais pas être mère pour juger tes propres ressentis et tes propres choix. »

Quoi qu'elle était passée de "je n'aurai jamais d'enfants" à "aucun autre enfant que Rosie". Voir son corps changer avait été une épreuve, qui avait aussi et surtout révélé l'instabilité de son couple. Sans compter ses souvenirs d'enfance, et les comparaisons incessantes à Maddy, sa sœur aînée, enfant parfaite mise sur un piédestal, quand Mabel était considérée comme le vilain petit canard...

« Tu as le droit de changer d'avis. Ou pas. Tout ce que je te souhaite, c'est de ne jamais regretter le choix que tu auras fait. »

Que Marley choisisse de vieillir seule ou de fonder une famille nombreuse... Ça restait ses décisions, et Mabel s'en fichait. Elle lui souhaitait juste de faire ce qu'elle voulait et de ne pas se réveiller un jour en regrettant l'endroit où ses choix l'auraient menée.

What a surprise my old friend...

 @Mabel Griffiths   ft. Marley Lynch

« J'espère qu'elle est heureuse. C'est compliqué d'avoir la responsabilité d'un autre être humain. » A ces mots, un frisson parcourut l'échine de Marley qui se rendait compte que cette histoire de grossesse l'angoissait plus qu'autre chose. Elle avait déjà du mal à être responsable d'elle-même alors d'un être innocent qui n'avait pas demandé à naître ? Ca lui paraissait inconcevable. « Ma grossesse était un accident, mais avant d'avoir mon bébé dans les bras, je me posais les mêmes questions que toi » La rancoeur et la haine que portait la maquilleuse envers la mannequin disparaissaient progressivement. La brune écoutait avec une attention non dissimulée ce que Mabel acceptait de lui confier. Un accident. Un nouveau frisson la parcourut tandis qu'elle se faisait la réflexion qu'elle était bien chanceuse qu'une telle chose ne lui soit jamais arrivée. Elle prenait certes la pilule mais il lui était arrivé à quelques reprises de l'oublier. Les relations d'un soir qu'elle avait pu avoir par le passé – ou comme depuis son retour à Brisbane – auraient très bien pu déboucher sur une grossesse non désirée. Elle se sentit pâlir face à cette pensée et but une longue gorgée d'eau avait de se remettre les idées en place. Cela ne lui était pas arrivé, cela ne servait donc à rien de s'angoisser ou d'imaginer le pire. Savoir néanmoins que Mabel avait dépassé ses craintes et changé son point de vue en portant Rosalie dans ses bras avait tout de même un côté rassurant. « J'étais persuadée que je n'aurai jamais d'enfants, et que ça valait mieux parce que j'arrivais déjà à peine à m'occuper de moi ». Un petit rire échappa à la métisse qui tout en levant les yeux au ciel ne put s'empêcher de répliquer : « Oh pourtant j'avais l'impression que tu te gérais à merveilles... » L'ironie était bien présente dans le ton de sa voix mais le regard amusé qu'elle portait sur la blonde indiquait que cette fois-ci il ne s'agissait pas d'une attaque frontale mais simplement d'une taquinerie. Par le passé la mannequin s'était montrée exécrable à de nombreuses reprises. Elle avait souvent pété des câbles, fait des scandales et autres crises ingérables. Marley avait toujours eu assez de caractère pour ne pas se laisser marcher dessus et pour ne pas craquer devant un tel comportement. C'était sans doute sa capacité à supporter le tempérament de Mabel qui lui avait permis d'être embauchée sur de nombreux contrats qui concernaient la blonde. De nombreuses maquilleuses avaient jeté l'éponge avant elle.

« Rosie a changé ma vision des choses. Mais j'ai passé trop d'années à me dire que je ne devais pas être mère pour juger tes propres ressentis et tes propres choix. » Marley baissa la tête et fixa ses chaussures, réfléchissant aux propos de la jeune femme. Fallait-il qu'elle ait un enfant pour pouvoir réellement changer et évoluer ? Cette idée ne lui plaisait pas du tout mais en même temps elle savait qu'actuellement elle n'était pas prête à avoir un enfant. « Tu as le droit de changer d'avis. Ou pas. Tout ce que je te souhaite, c'est de ne jamais regretter le choix que tu auras fait. » Elle releva le visage et acquiesça en silence, incapable de répondre quoi que ce soit. Des regrets, elle en avait déjà tellement dans sa vie. Celui d'avoir des enfants ou non serait sans doute le plus lourd à porter si regret il devait y avoir. Mal à l'aise face à ces questions qu'elle se posait et auxquelles elle n'avait aucune réponse, elle se racla la gorge et jeta un coup d'oeil à sa montre : « C'est bientôt ton tour. Je vais faire les dernières retouches. » Elle attendit que Mabel boive une dernière gorgée et s'occupa de fixer à nouveau le maquillage qu'elle avait au préalable déposé sur ses lèvres. Moins de cinq minutes lui suffirent et satisfaite du rendu final elle dit à la demoiselle : « Ca y est, tu es prête à les éblouir. » Elle se releva et commença à ranger tout son matériel. Dos tourné à Mabel elle ajouta : « Et Mabel... Ne sois pas trop gentille comme ça, je pourrais finir par m'habituer... » Un petit sourire orna son visage tandis qu'elle gardait dans un coin de sa tête une part de méfiance. Il ne fallait jamais baisser les armes trop vite, après tout, un revirement de situation pouvait si vite arriver... 

made by black arrow

What a surprise my old friend... ft @Marley Lynch

I got a reputation girl, that don't precede me ; I'm one call away, whenever you need me ; I'm in a G5 ; come to the A side ∆ Taylor Swift ft. Ed Sheeran & Future, End Game

Mabel se figea un peu devant la remarque de la maquilleuse, avant de reconnaître le ton un peu taquin et de se détendre de nouveau. (Il y a quelques années, elle aurait foncé dans le tas sans prendre le temps d'y réfléchir, et elle était un peu fière de ne plus être celle qui chargeait sans essayer de comprendre). Surtout que la remarque de Marley était justifiée... A vingt ans, elle avait été persuadée de tout savoir mieux que tout le monde, et elle avait pris des décisions qu'elle regrettait maintenant. Elle avait été une enfant perdue qui jouait les adultes, et qui n'avait personne pour la recadrée quand ça n'allait pas.

Son mariage avait amorcé un changement, la maternité et le divorce avaient fini de la rendre adulte. A trente ans passés, il était bien temps qu'elle soit responsable, et réfléchie. Même si elle ne savait toujours pas vers où elle allait, mais elle apprenait doucement que la plupart des adultes étaient dans le même cas qu'elle, un peu perdus quant à leur avenir mais se laissant porter par les expériences que la vie leur offrait.

Mabel but une dernière gorgée d'eau avant que Marley ne fasse les dernières retouches. Elle avait tentée de ne pas trop abîmer le travail de la jeune femme, qui n'eut du coup pas grand chose à faire pour finir de la magnifier.

« Hey, Marley... Je suis désolée de la personne que j'étais quand on s'est rencontrés. Je m'excuse de ce que j'ai pu te dire ou te faire pour te mettre en difficulté. »

Elle était sincère. Marley méritait ce mea culpa, même si Mabel n'était pas assez à l'aise avec elle pour avouer ce qui l'avait poussée à être si affreuse avec tout le monde. Elle se demandait pourtant ce qui avait poussé la maquilleuse à rester contre vents et marées - peut-être un caractère aussi affirmé que le sien. Ou, comme Carmine, elle avait su toucher du doigt la vulnérabilité que la mannequin cachait derrière ses prises de position bien arrêtés et ses piques mauvaises.

« Je suis contente de t'avoir recroisée. C'est toujours un plaisir de travailler avec quelqu'un de si compétent que toi ! »

Malgré tout ce qu'elle avait pu dire de Marley, elle avait vite arrêté d'insulter son travail. La jeune femme avait un talent indéniable et savait comment mettre en valeurs les gens qui passaient sous ses doigts et sous ses pinceaux. Mabel avait appris nombre d'astuces en l'observant travailler, des petits gestes qu'elle reproduisait toujours quand elle se maquillait seule.