| | | (#)Mer 16 Nov 2022 - 21:52 | |
| Ophelia va bien. Parfaitement bien. Extrêmement à l’aise, exactement à sa place, elle se complait dans son confort et n’en changerait pour rien au monde. Elle est incapable de trouver quoi que ce soit à critiquer, de l’interview à l’interviewer, des questions déplacées aux allusions malpolies qui viennent s’infiltrer entre. Elle ne perd pas le souffle de devoir se justifier plus de fois qu’il n’en faut, elle avait justement besoin de ravaler sa salive au moment où elle s’est retenue de craquer, de lui dire que ça ne se fait pas, que ça ne se demande pas, qu’il n’est qu’un salaud et qu’elle se fera un plaisir de le traîner en justice pour cela et pour tout le reste.
Mais Ophelia ne pense pas à ça, pourquoi y penserait-elle, tant elle est dans son élément. Les caméras la scrutent et elle leur donne son meilleur profil. L’équipe au maquillage a fait un boulot remarquable, et son regard charbonneux la rend aussi mystérieuse que charmante. Elle reste tout de même aussi adorable qu’accessible, avec sa voix qu’elle maîtrise particulièrement bien, assez pour ne pas montrer le moindre changement de ton lorsqu’il insiste sur l’un des sujets qu’elle avait particulièrement listés comme des non-touchables. On ne parle pas de Reggie en ne le nommant pas. On ne le noie pas dans la vague des enfants disparus et malmenés en faisant de lui un anonyme. On ne parle pas de l’avant-kidnapping, on ne s’y attarde jamais. On ne parle que de la disparition, de l’après, et si l’avant est mentionné, on le fait comme si on parlait d'un détour avant la destination finale. Ophelia ne bouille pas. Ophelia n’est pas furieuse, n’est pas désagréable ni brusque. Elle est douce comme un long fleuve tranquille. Et elle a déjà assassiné de dix-huit façons différentes l’interviewer avant qu’il n’ait fini son premier segment et ait annoncé la première pause publicitaire.
Grâce à une force et un courage qu’elle ne se savait pas avoir, Ophelia a réussi à se sortir de l’entrevue indemne, a même pu arracher un grand sourire et plusieurs remerciements à l’équipe et au meneur de la pire entrevue qu’elle a eu le malheur de subir. Toujours dans le bonheur le plus faux et le plus naturel dont elle est capable, l’écrivaine a assuré qu’elle avait passé un bon moment, qu’elle reviendrait sur le plateau dès qu’ils l’inviteraient à le faire, qu’elle avait hâte que les tournages du film commencent pour avoir une occasion de repasser avant de devoir republier un quatrième livre. À l’intérieur, elle a vomi à trois reprises lorsque l’animateur lui a embrassé les joues, et une dernière lorsqu’il lui a confirmé à quel point il était fier du rendu et avait hâte que le segment soit diffusé.
C’est en sachant très bien à quoi elle s’attend qu’Ophelia ouvre la porte de sa loge, une bonne demie-heure plus tard. Matilda est installée dans le canapé qu’ils ont disposé pour la famille et les amis accompagnateurs, et Ophelia ne lui jette même pas un regard tant elle a peur d’éclater en larmes à force de les retenir, ses forces, depuis des heures maintenant. « Je ne veux pas en parler. » elle a la gorge sèche, les mains moites, le cœur en miettes et les yeux qui piquent, piquent, piquent. Doucement, comme si elle manipule du crystal, Ophelia entame de se démaquiller les yeux, millimètre par millimètre. Elle sent le regard de son amie sur sa nuque, sait très bien qu’elle n’échappera pas de sitôt au second interrogatoire du jour, beaucoup plus humain et beaucoup plus difficile à éviter. Pourtant, naïve jusqu’au bout des ongles, Ophelia demande à nouveau une trêve à celle à qui elle n’a jamais réussi à mentir. Peut-être même n’a-t-elle jamais vraiment essayé de le faire, vraiment voulu. « Pas aujourd’hui Mat. » la lingette qu’elle utilise pour calmement nettoyer son crayon khôl passe de blanc immaculé à gris, puis à noir. Et Ophelia est toujours chambranlante, même si immobile. Elle se sait prête à exploser en minuscules particules à tout moment, pour toutes les raisons du monde et pour aucune à la fois. « S’il-te-plaît. » c’est pour cela qu’elle supplie. Elle ne supplie jamais. |
| | | | (#)Dim 11 Déc 2022 - 11:57 | |
| the voices in my head telling me to run away La performance est irréprochable. Elle l’est chaque fois. Tu ne comprends pas toutefois, les sourires qui transparaissent sur les lèvres de la Butcher alors qu’elle raconte une histoire des plus horrifiques, tu ne comprends pas comment elle peut être assise face à cet interviewer qui pose des questions toutes plus indiscrètes les unes des autres tout en restant parfaitement calme. Tu ne comprends pas, mais tu es là quand même, dans les coulisses, à regarder le tout d’un œil hésitant. Tu voudrais la sauver Ophelia, la sortir de là, mais ce serait bien inutile quand tu sais qu’elle est la seule responsable de ce qui lui arrive. Pas le drame dont elle parle, non, ça, elle en subit les conséquences comme le reste de sa famille. Mais sa présence devant les caméras, cette espèce de besoin constant de se retrouver sous le feu des projecteurs, elle l’a choisi, la brune et aucun discours de ta part ne saurait l’en dissuader, même si comme toujours, tu ne comprends pas. Tu ne comprendras sans doute jamais, mais tu n’as pas besoin de tout comprendre pour appuyer, pour supporter, pour être présente. Ça ne t’empêchera pas de rouler des yeux à chaque fois que son rire résonne, bien trop faux à tes oreilles, ni même de serrer les poings contre tes hanches quand les lignes semblent être franchis constamment, mais tu n’agiras pas. Toi, la grande sauveuse, tu ne sauveras pas ton amie, parce que ce n’est pas ce qu’elle veut et que tu as fini par l’accepter, cette étrange réalité.
Un coup d’œil à ton téléphone te témoigne de la réception d’un nouveau message texte de Cian qui t’annonce qu’il vient t’atterrir à Brisbane, ce qui veut inévitablement dire que des retrouvailles sont à l’horaire pour la fin de ta journée. Si cette nouvelle servirait normalement à faire naître un sourire sur tes lèvres, tu es bien trop préoccupée par tout ce qui continue de se passer à quelques mètres de toi, ton attention entièrement portée sur Ophelia qui est désormais occupée à saluer et remercier toute l’équipe autour d’elle. Tu quittes les coulisses pour retrouver la loge, lui donne le temps de faire ce qu’elle doit faire. Assise sur le canapé de la loge, tes doigts tapotent machinalement contre tes cuisses en attendant que sa silhouette apparaisse à son tour dans la petite pièce. Elle ne se tourne même pas dans ta direction avant de se diriger vers la vanité, son regard ayant perdu toute cette illumination qui l’habitait encore il y a quelques minutes à peine, illumination complètement fabriquée pour le bien des caméras. « Je ne veux pas en parler. » Cette réaction ne te surprend pas, mais ne t’arrête pas dans ton mouvement lorsque tu te lèves pour venir t’installer derrière elle. Tu cherches son regard dans le reflet de la glace devant vous, mais elle agit machinalement, la Butcher, le coton imbibé de démaquillant s’occupant déjà à faire disparaître les traces du maquillage bien trop prononcé autour de ses yeux soudainement vides. « Pas aujourd’hui Mat. » « Je suis là. » Ta main contre son épaule, les mots sont murmurés dans le seul et unique but de rassurer, même si ça ne risque pas de te faire oublier toutes les questions qui s’accumulent dans un coin de ta tête depuis le début de cette interview. « S’il-te-plaît. » « Ophe. » Son ton de voix est entièrement différent de ce qu’elle chantonnait il y a peu encore. Elle pourrait craquer d’une seconde à l’autre et ça te serre le cœur de la voir dans tous ses états. Sans lui donner le choix plus longuement, tu fais tourner sa chaise et tu t’agenouilles devant elle, histoire que ton visage se retrouve juste un peu plus bas que le sien, dans une proximité qu’elle ne risque pas d’apprécier mais que tu sens essentielle à cet instant précis. « Pourquoi est-ce que tu t’imposes ça? » Auras-tu droit à une réponse sincère, maintenant que les rambardes sont tombées, ou se perdra-t-elle à nouveau dans tous ces beaux discours? « T’es pas obligée de leur parler, de continuer de revivre ça constamment. » Ce n’est pas la première fois que tu lui sers ces arguments, mais tu continues d’espérer qu’un jour, ils pèseront suffisamment dans la balance pour qu’elle lance tomber ce rôle auquel elle semble désespérée de s’accrocher. |
| | | | (#)Mer 14 Déc 2022 - 1:27 | |
| « Je suis là. » Ophelia regrette que la sécurité de nos jours soit si criblée de relâchements et de bon vouloir. Dans un monde où elle se chargerait de monitorer ce qui se passe dans les salles en bordure des plateaux de tournage, en aucun cas aurait-elle laissé entrer qui que ce soit dans les loges des invités du show de ce soir. Elle n’en veut pas à Matilda pourtant, salue même sa persévérance et sa ruse pour s’être retrouvée ici, sur le canapé, avant elle. Mais ce serait mentir de dire qu’elle n’aurait pas préféré être seule le temps de se remettre de ses émotions. Émotions qu’elle ravale à grands coups de démaquillant et de regards vides, partagés avec la glace. La main de Matilda se pose, s’affaisse, joue les épées de Damocles sur l’épaule d’Ophelia. Lentement, l’écrivaine glisse le tampon de coton sur sa peau, millimètre par millimètre, semblant presque accepter le contact physique qui lui a envoyé une décharge électrique de la nuque jusqu’au bassin. Ophelia ne va pas bien. « Ophe. » ignorer Mat ne servira à rien d’autre qu’à sentir le mouvement de la chaise qui tourne sur elle-même. Prise au piège, Butcher redresse le menton comme elle le faisait déjà dans la cour de récréation, quand la même amie qui s’agenouille devant elle lui apprenait à ne jamais laisser le moindre bourreau de casiers la mettre en situation de faiblesse. Ophelia apprend vite et répète ensuite autant de fois qu’il le faudra avant qu’elle maîtrise le comportement. La scène est triste, lorsqu’on les connaît de l’intérieur. « Pourquoi est-ce que tu t’imposes ça? »
Silence, extinction des feux. Ophelia ne se pose pas ces questions-là. Rectification faite : Ophelia ne se pose jamais ces questions-là. Elle flotte autour de réponses toutes faites, suit le courant, se laisse guider par les chapitres à écrire et les entrevues à tenir comme si c’était ce qu’on attendait d’elle. Qu’ensuite on la laisserait vivre sa vie. Elle n’a pas vécu sa vie depuis dix ans, se contentant de vivre dans un passé qu’elle a d’abord raconté dans un bouquin best-sellers en croyant que cela suffirait à faire passer la pilule de culpabilité de ne pas avoir été là le jour où tout ça est arrivé. La suite n’est qu’un effet boule de neige à travers lequel elle est devenue maître pour donner l’impression qu’elle contrôlait le tout, en permanence. « T’es pas obligée de leur parler, de continuer de revivre ça constamment. » ses doigts s’acrocher aux bras de la chaise sur laquelle elle est assise pour les empêcher de trembler devant quelqu’un qui la connaît mieux que quiconque. L’expérience. « C’était facile, avant. » sa voix est rauque, Ophelia doit se racler la gorge pour retrouver le ton pimpant et la mélodie chantante qu’elle entretient d’habitude, lorsqu’on lui pose la moindre question en rapport avec Reggie. Avant, elle n’avait qu’à citer des passages du livre. À se cacher derrière les mots qu’elle avait écrits et qui faisaient office de parfaits petits boucliers pour l’empêcher de se sentir trop personnellement impliquée (dans une histoire qui l’implique personnellement, précisons). « Je pouvais dire n’importe quoi et ils me laissaient faire. Ils disaient que ça faisait partie du processus de deuil. » le mot deuil lui arrache la langue, Ophelia doit parler lentement et prendre tout le temps du monde pour se concentrer à ne pas laisser aller le moindre trémolo de plus.
À Matilda qui lui demande des comptes, elle est capable de tenir tête, même si elle est épuisée. Ophelia n’a pas dormi la veille, incapable de penser à autre chose qu’à l’entrevue qu’elle allait donner et devoir mener de front. Mais même exténuée, elle ne cherche pas d’occasion pour gratter des mensonges qui lanceraient Matilda sur une quête de la vérité contre laquelle jamais Ophelia ne pourrait jamais gagner. « Je peux pas arrêter du jour au lendemain. » elle est consciente, l’écrivaine, qu’elle a creusé elle-même sa tombe et qu’elle doit désormais arroser les fleurs qu’ils sont des dizaines à y planter. « Il y a des carrières qui dépendent de moi. » ça, c’est l’argument qu’elle utilise à la corde. C’est la carte en laquelle elle croit aussi le plus : Ophelia vit pour se sentir utile. Elle l’est pour tous ceux et toutes celles qui, grâce à elle, sont payés pour organiser ce genre d'interviews, pour les publiciser, pour les scripter. Elle n’est plus maintenant qu’une auteure mais elle est également scénariste, et si elle abandonne demain, ce seront deux milieux de travail qui devront se chercher une nouvelle vache à lait consentante. Ophelia inspire, ferme les yeux, baisse ses gardes qui n’ont jamais vraiment été montées face à Matilda de toute façon. « Tout le monde dépend de ce que je vais répondre quand ils me demandent si je crois encore, 10 ans plus tard, qu’il va revenir. » le il lui fait mal, elle encaisse difficilement le coup. Bien sûr qu’il va revenir. Rien que le penser déclenche pourtant un acouphène de gens qui ont des dizaines de milliers d’arguments pour tenter de la contredire.
« C’était vrai, ça. » qu’elle y croit encore, au retour de Reggie. Pour ce que ça vaut. |
| | | | (#)Ven 6 Jan 2023 - 12:08 | |
| the voices in my head telling me to run away Le silence persiste et tu te demandes si Ophelia osera répondre à ta question. Ta question qui demande une vérité qu’elle n’est peut-être pas prête à avouer. Une vérité qui la forcerait à aller à l’extrême opposé d’où elle se trouvait il y a quelques minutes à peine encore, devant les caméras. Il n’y a plus de sourire. Il n’y a plus de brillant dans le fond de ses prunelles claires. Tu te confrontes à un vide sidéral et tu ne sais plus vraiment comment aller la chercher. Tu n’aimes pas ce que tu vois, ce n’est pas la première fois que tu lui dis, mais tu pousses plus loin cette fois parce que tu as mal pour elle. Tu as mal pour la fille que tu connais, celle que tu as vu grandir et celle que sait tout de toi, mais tu n'as jamais été une grande fan de la fille qui s’étend dans les médias comme si c’était un jeu. Est-ce que c’est ça, Ophelia? Un jeu pour toi? Tu voudrais le lui demander, mais tu ne veux pas lui faire mal. Ni comme ça, ni autrement. Tu te retrouves coincée, entre ce que tu veux dire et ce que tu dis réellement, entre ce que tu veux faire et puis ce que tu peux faire pour elle. Pousser sans aller trop loin. Demander sans blesser. Une balance que tu essayes très fort de maîtriser dans plusieurs aspects de ta vie, une seconde nature chez toi, mais qui te demande bien plus de doigté qu’à l’ordinaire dans cette situation bien précise. « C’était facile, avant. » Avant? Tu ne sais pas à quel moment l’avant a laissé place au maintenant, est-ce qu’elle-même le sait? Tu ne bouges pas. Tu attends, ton regard posé sur elle avec une tendresse que tu lui as toujours accordée, que tu lui accorderas toujours, qu’importe l’opinion que tu peux avoir de ces performances qu’elle persiste à donner. « Je pouvais dire n’importe quoi et ils me laissaient faire. Ils disaient que ça faisait partie du processus du deuil. » « C’est quand la dernière fois que tu pouvais dire ce que tu voulais? » Parce que ce à quoi tu viens d’assister ne semblait pas du tout être contrôlé par ton amie. Parce que les questions étaient bien trop personnelles, des sujets bien trop sensibles que vous n’abordez jamais, qui sont interdits, sauf quand elle monte sur une scène, qu’elle se retrouve devant une caméra, qu’elle a un micro entre les mains.
« Je peux pas arrêter du jour au lendemain. » L’expression sur ton visage pose la question pour toi : pourquoi pas? « Il y a des carrières qui dépendent de moi. » Tu ne peux t’empêcher de rouler des yeux. C’est une excuse facile, une excuse que tu peux défaire en quelques mots à peine. « Ils n’ont pas besoin de toi personnellement, Ophe. Des histoires tristes à raconter, ils peuvent en trouver à tous les coins de rue. » Et tu n’essayes pas de diminuer l’impact de la disparition de Reggie sur sa vie, ni sur la vie de sa famille. Mais est-ce que ça lui apporte vraiment quelque chose de bien, de replonger constamment dans les pires moments de son existence, dans sa peine à son apogée, dans les jours les plus horribles qu’elle a jamais vécu? « Tout le monde dépend de ce que je vais répondre quand ils me demandent si je crois encore, 10 ans plus tard, qu’il va revenir. » Ce n’est pas que tu ne veux pas croire qu’il ne reviendra pas. Ce n’est même pas non plus que tu ne veux plus qu’on parle de Reggie, ou que tu crois qu’Ophelia devrait tout arrêter. Ce n’est pas ça, non. Tu n’es simplement pas certaine que ça lui fasse du bien à elle, de vivre entourée de fantômes qu’elle s’assure d’attacher à elle en toute circonstance. « C’était vrai, ça. » « Je sais. » Elle n’a pas perdu espoir. Tu as bien fini par croire qu’elle ne perdra jamais espoir et tu ne sais pas si c’est de l’optimisme ou un brin de désillusion, mais tu n’es certainement pas prête à lui arracher ça. « Mais t’es pas toi, quand tu fais ça. » Est-ce qu’elle s’en rend compte ou est-ce qu’elle préfère se mettre la tête dans le sable, comme elle semble faire chaque fois qu’elle prend la parole en public? « J’ai l’impression que tu dis ce qu’ils veulent entendre, mais ça t’apporte quoi, à toi? » Sincèrement. Tu n'as toujours pas bougé, agenouillée devant elle, une main posée sur sa cuisse. Ta voix n’est que patience et compréhension, même si tes questions sont difficiles, voire impossibles. |
| | | | (#)Mer 18 Jan 2023 - 23:01 | |
| Ce mascara ne sera pas ce qui aura raison d’Ophelia, quand elle prendra tout le temps qu’il faudra pour le retirer de ses cils. Si elle doit y aller au ralenti, si elle doit y passer des heures, alors elle ne bougera pas de cette loge et ne laissera pas ni à Matilda ni à personne l’occasion de la sortir d’ici. Extrémiste, Butcher ? À peine. « C’est quand la dernière fois que tu pouvais dire ce que tu voulais? » une réponse aussi honnête que triste serait jamais. Ophelia n’est pas assez stupide pour remonter dans ses souvenirs et chercher le dernier moment où elle a pu dire quelque chose qui n’était pas passé par des dizaines de filtres et de tordeurs pour être livré avec un effet absolument prévu et orchestré. Elle manipule tout, à commencer par ses goûts, ses opinions, ses réactions. Ses sourires, ses soupirs, tout ce qui sort de sa bouche a été pensé, planifié, mesuré et réalisé avec une parfaite précision. Elle serait bien déçue, l’auteure, si elle réalisait à quel point Matilda a probablement un compteur mental de toutes les fois où elle pourrait pointer le mensonge et les supercheries d’Ophelia. Elle serait horrifiée, aussi, si elle avait sous les yeux tous les moments où elle se croyait en contrôle à mentir, mais où elle était on ne peut plus véridique. Ce sont probablement ces moments qui sont à la base de l’amitié entre elles. « Quand je pouvais, je parlais pas. » ce n’est pas totalement un mensonge. Ophelia n’avait rien à gagner d’apprendre le pouvoir de la rhétorique avant, quand les regards n’étaient pas rivés sur elle. C’est quand elle aurait bien pu raconter sa vie qu’elle n’avait pas grandes oreilles pour l’écouter. À l’époque, elle parlait peu, jugeant ne pas avoir grand chose d’intéressant à dire. Comme ça change. « Ils n’ont pas besoin de toi personnellement, Ophe. Des histoires tristes à raconter, ils peuvent en trouver à tous les coins de rue. » « Ouch. » la brune avait sa garde bien basse, elle a laissé le coup de Matilda la poignarder profondément, d’un bord à l’autre du cœur.
Le pire qu’on puisse lui dire est qu’elle est inutile. Qu’elle ne sert à rien, qu’elle gaspille de la place et de l’oxygène. Si elle n’écrit pas, si elle ne passe pas à la télévision quelques fois par mois pour soutenir ses romans et ses discours de charlatans variés, on l’oubliera. Il n’y a pas plus logique et plus simple équation que cela, dans la tête d’Ophelia. Mais elle n’a bizarrement pas envie de se fermer. Ne se voit pas sceller les lèvres et refuser toutes les tentatives de craquer sa coquille que Matilda songe à mettre en place. Elle parle de Reggie. Peu importe à quoi elle pense et face à quoi elle est confrontée, Ophelia revient toujours à son neveu. « Je sais. » la voix de l’amie d’enfance baisse d’un cran, est beaucoup plus douce. Ophelia respire un peu mieux, s’en rend totalement compte. « Mais t’es pas toi, quand tu fais ça. » l’idée est presque un soulagement. Bien sûr qu'Ophelia est un caméléon. Elle se forme et se module, elle a passé des années à travailler sa flexibilité psychologique, être capable de personnifier tout et son contraire est un véritable art. « J’ai l’impression que tu dis ce qu’ils veulent entendre, mais ça t’apporte quoi, à toi? » mais Matilda a raison. Ça ne lui apporte rien, rien du tout, sauf l’impression de servir à autre chose qu’à fixer son plafond, impuissante, jusqu’à avoir les yeux qui piquent par les larmes qu’elle ne laisserait pas couler parce qu’elle n’aurait aucun public pour les voir tomber. « Il y en a plusieurs, des Ophelia. » et aucune d’entre elles ne se sent assez solide pour ajouter qu’elle n’a aucun raison valable autre qu’un besoin intense, suffoquant et constant de se sentir aimée, regardée, protégée même, s’il le faut. « Tu n'es pas obligée de toutes les aimer. » Ophelia elle-même en déteste une bonne partie, de ses alter-egos. Mais elle a appris à les compter une par une, les répertorier dans des cahiers parfois en papier, parfois mentaux, au cas où elle aurait besoin de se mettre en scène dans un autre de ses romans. « Ni de toutes les connaître. » probablement que Matilda sait déjà tout ça, et qu’elle préférait lorsque Ophelia ne parlait pas de ses quarante visages différents comme s’il faisait partie du deal d’être son amie. Elle est épuisée, elle parle pour le simple fait de la faire.
« Je te demande juste d’aimer celle qui en a le plus besoin. » son pied redonne un élan à la chaise qu’elle avait détournée de Matilda un peu avant de revenir planter son regard dans celui de son amie. « De l’aimer malgré ça. » le “ça” est large et Ophelia se dit que ça lui achètera peut-être du temps, de la compassion, ou au moins un sac assez grand pour y mettre tous les reproches, tous les jugements, toutes les critiques, que Matilda mais surtout que le monde entier peut bien lui faire. « Est-ce que t’en es capable ? » cette question, elle devrait la poser à Matilda à tous les jours mais ne le fait qu’une fois tous les dix ans. Elle change les mots, l’angle et l’intonation, mais le fond reste le même. Si elle reste dans les parages, c’est que la réponse doit être un minimum positive. |
| | | | (#)Sam 28 Jan 2023 - 12:22 | |
| the voices in my head telling me to run away « Quand je pouvais, je parlais pas. » Ton regard analyse son visage, chaque micro-émotion qu’elle t’offre sans son consentement. Et même si tu la connais, même si tu la connais très bien, tu ne comprends pas tout et ça te rend complètement folle. Et plus tu cherches à comprendre, plus tu cherches à trouver des réponses à tes questions, plus ça t’échappe. Et tu ne cherches pas à lui faire du mal, ni à la brusquer quand les mots quittent tes lèvres et que tu mentionnes qu’elle n’a pas besoin d’être celle qui se met à nue devant les caméras pour le nécessaire des gens qui ont des jobs à faire et des factures à payer. Mais la remarque l’atteint, bien plus profondément que tu ne l’aurais voulu, et quand le regard de la Butcher se baisse, tu pinces les lèvres, vague de culpabilité qui t’envahit. « Ouch. » « Ophe. » que tu reprends, ne sachant toutefois pas comment reprendre le tout. Il y a tant de non-dits qui existe présentement entre vous, une tout autre conversation qui existe entre les quelques échanges toujours trop vagues qui font mal. « Il y en a plusieurs, des Ophelia. » Tu soupires une fois de plus parce qu’elle ne t’apprend rien, la brune. Bien sûr que tu le sais, que la version qu’elle montre lorsqu’elle est devant les caméras est loin d’être la même version que celle que tu connais depuis que tu es haute comme trois pommes. Que celle que tu connais par cœur n’a rien à voir à celle qui offre sourire et attention à tout ceux qui lui en demande. « Tu n’es pas obligée de toutes les aimer. Ni de toutes les connaître. » Tu penches légèrement la tête, l’air de lui dire qu’elle se fait complètement des idées, si elle pense qu’une autre version d’elle-même pourrait changer l’affection que tu éprouves pour elle. « Et si j’ai envie? » De toutes les connaître. Mais surtout de toutes les comprendre. Et si tu as envie qu’elle laisse tomber cette carapace qu’elle s’est construite avec le reste du monde, parce que ça ne fait que brouiller ce qu’elle vaut et qui elle est vraiment. « Je te demande juste d’aimer celle qui en a le plus besoin. De l’aimer malgré ça. » Elle se retourne à nouveau vers toi et ça te fait mal, qu’elle puisse seulement sous-entendre que c’est quelque chose qui pourrait changer. Il n’y a rien qu’elle pourrait dire ou faire pour te chasser, pour te faire disparaître de sa vie. « Est-ce que t’en es capable? » « Est-ce que t’en doutes? » Tu te relèves légèrement pour lui offrir de l’espace, pour lui offrir un peu de temps, même si quelque chose te dit que c’est exactement ce qu’elle cherche à gagner : du temps et de l’espace. Maître de la situation, c’est ce qu’Ophelia sait faire de mieux, même quand tu essayes de la déjouer. « Tu peux pas m’en vouloir d’avoir une préférence sur les différentes versions de toi-même que tu offres au monde, que tu m’offres à moi. » Tu commences, un léger sourire au coin des lèvres parce que tu refuses de lui faire mal à nouveau, autant que tu refuses de la combler dans son déni. « Et tu peux pas m’en vouloir de croire, de savoir même, que toutes les versions d’Ophelia ne sont pas exactement saines. » Non, il n’y a rien de sain devant la parade qu’elle s’efforce à jouer, devant l’attention qu’elle continue de chercher, dans ce besoin constant de vivre dans un passé qui continue de l’écorcher vif dans le présent. Tu as de la peine pour ton amie, oui. Tu connais sa douleur pour l’avoir vu sous tes yeux depuis le tout début, se métamorphoser au fil des années qui ont filé depuis la disparition de Reggie. Tu ne veux pas juger ton amie sur la manière dont elle vit ce vide, cette absence, mais tu ne peux pas t’empêcher de vouloir la protéger de ce fil de fer de laquelle elle semble s’être emprisonnée depuis. Tu te rapproches d’elle, poses tes mains sur ses épaules cette fois-ci alors que ton regard trouve le bleu de ses yeux. « J’aime et j’aimerai toujours toutes les versions de toi, ok? Remet pas ça en doute s’il-te-plaît. » que tu lui demandes finalement, ton front venant se poser naturellement contre le sien, dans une proximité tout ce qu’il y a de plus naturelle entre vous deux. |
| | | | (#)Dim 12 Fév 2023 - 17:17 | |
| « Ophe. » la tentative de faire de l’humour est basse, risible, ridicule. Ophelia en est consciente, encore plus lorsqu’on sait à quel point Matilda est habituée de compter sur ses doigts le nombre d’esquives qu’elle peut bien faire avant de lui renvoyer une véritable réponse honnête. « Et si j’ai envie? » c’était une possibilité, en effet. À force de lui parler des autres, Ophelia se doutait bien qu’elle ne faisait qu’agiter sous le nez de son amie une nouvelle raison de creuser. Elles sont là, toutes celles que je ne suis pas quand tu es là, je t’en prie fouille et déniche celle dont tu as envie de parler. Erreur de rookie ou plan totalement assumé : Ophelia ne saurait dire. Elle est faitguée, tellement épuisée. Elle a les omoplates qui creusent ses épaules, et les mains de Matilda sur elle ne font qu’accentuer la lourdeur qui prend vie dans sa colonne vertébrale. Ophelia a du mal avec les doubles fréquences ce soir. Elle aurait besoin d’un café, puis d’une dose d’électro-chocs. Elle est fragile. « Est-ce que t’en doutes? » « C’est pas contre toi, tu sais. Mais je doute de tout, tout le temps. » si elle se laisse observer par Matilda, alors qu’elle le fasse bien. Tant qu’à la laisser creuser dans les coins les plus sombres de son esprit, ça ne sert plus à grand chose d’entretenir les différents voiles qui pourraient les cacher. Elle est un paquet de doutes et de regrets.
Ophelia se questionne constamment, a la tête qui foisonne de scénarios et de possibilités. Elle doute de toute le monde et doute encore plus d’elle-même. Se remet constamment en question, s’assomme et s’empêche de se sortir du propre trou qu’elle a elle-même creusé, au fin fond d’un puits qu’elle a pris le temps d’aménager en se bouchant les yeux lorsqu’elle construisait les sorties. « Tu peux pas m’en vouloir d’avoir une préférence sur les différentes versions de toi-même que tu offres au monde, que tu m’offres à moi. » le sourire de Matilda lui fait le même effet qu’un long bain chaud, après une journée éreintante et une température glaciale dehors. Ophelia va mieux, temporairement. Elle prend ce qu’elle peut. « Et tu peux pas m’en vouloir de croire, de savoir même, que toutes les versions d’Ophelia ne sont pas exactement saines. » elle fait bien les choses par contre, Butcher, non ? Elle met de la distance, elle fait des dizaines de pas en arrière quand elle se rapproche trop des gens, de ceux qui ne sont pas Matilda et Ezra. Eux sont là depuis assez longtemps pour savoir éviter les obus. « J’aime et j’aimerai toujours toutes les versions de toi, ok? Remet pas ça en doute s’il-te-plaît. »
Ophelia joue un jeu dangereux, mais on lui a donné la scène en entier et elle ne veut pas ne pas être saine pour quelqu’un qui à ses yeux l’est suffisamment pour racheter tous les maux du monde. « Même celles qui planifient tout au millimètre près ? » Matilda est tout ce qu’Ophelia ne sera jamais. Elle est naturelle, elle est d’une bonté et d’un courage sans fin. Et sa force, sa puissance qui la relève coup après coup. Si Ophelia la regarde avec des yeux brillants, c’est qu’elle aspire à être comme elle depuis si longtemps qu’elle a oublié à quel point Matilda est différente d’elle. « Et celles qui savent dire exactement ce qu’il faut pour entendre ce qu’elles veulent ? » encore un peu Ophelia, tu peux encore aller plus loin si Matilda a dit qu’elle les aimait toutes. « Et celles qui ne savent rien sur elles tellement elles se sont moulées sur les autres ? » surtout celles-là, en fait. Celles qui ignorent leur couleur préféré, leur plus grande valeur, leur passion, leur pourquoi. Celles qui ne sont que des coquilles vides mais qui s'alignent les unes à côté des autres en se tenant si fort les mains qu'elles deviennent ensemble une Ophelia floue mais satisfaisante pour tous ceux qui ne scrutent pas plus loin que la surface. Matilda serait étonnée de voir à quel point la grande majorité s'arrête à la pointe de l'iceberg. Matilda serait déçue de savoir qu'Ophelia s'en réjouit. |
| | | | (#)Mar 7 Mar 2023 - 11:50 | |
| the voices in my head telling me to run away « C’est pas contre toi, tu sais. Je doute de tout, tout le temps. » Même de toi. Ça pince, de l’entendre mais tu connais assez Ophelia pour savoir que non, elle ne dit pas ça pour te blesser. Elle se protège, elle se protège tout le temps et tu voudrais qu’elle laisse tomber le mur et qu’elle s’affiche pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle vaut, mais tu crains qu’elle soit tellement prise dans les milles différentes versions d’elle-même qu’elle a oublié sa valeur. Les échanges sont équilibrés, doux, tu calcules parfaitement chaque mot qui glisse entre tes lèvres pour ne pas risquer qu’elle se refroidisse, la Butcher, pour qu’elle ne prenne pas peur, qu’elle se referme et qu’elle te laisse avec les miettes d’elle, ce qu’elle offre au reste du monde quand toi, tu en sais tellement plus que ce qu’elle offre quand elle se retrouve devant une caméra. « Même celles qui planifient tout au millimètre près? » Tu hoches doucement la tête, silencieuse. Oui, même celle-là. Celle-là qui calcule trop, celle-là qui ne laisse pas place à l’imprévu, celle qui n’apprécie sûrement pas la conversation que tu as forcé ce soir, celle qui aurait préféré ne pas avoir à faire face à une réalité qu’elle sait normalement ranger à la perfection après une performance digne de ce nom. « Et celles qui savent exactement dire exactement ce qu’il faut pour entendre ce qu’elles veulent? » « J’ai pas souvent à faire avec celles-là. » que tu avoues avec un sourire. Du moins, tu l’espères. Votre amitié ne te paraît pas forcé, elle ne te paraît pas non plus être quelque chose derrière laquelle Ophelia se cache pour obtenir quelque chose de ta part. Dans un tout autre moment, tu n’en douterais même pas et tu la détestes, la petite voix qui a implanté un soupçon de doute dans ta tête. Celle qui te murmure à l’oreille que tu connais peut-être plus rien de la fille qui te fait face. Non, tu refuses de croire ça. Ophelia n’est pas avec toi ce qu’elle était il y a quelques minutes à peine, sur le plateau de cette émission que tu n’écouteras pas, que tu refuses de revivre par peur de l’analyser et de prendre peur face à ce que tu pourrais découvrir sur celle que tu considères comme l’une de tes plus proches amies. « Et celles qui ne savent rien sur elles tellement elles se sont moulées sur les autres? » « C’est celles que je cherche à comprendre le plus. Celles qui m’inquiètent le plus. » Celles que tu veux démêler, celles que tu veux retrouver, celles que tu veux aider sans réellement savoir comment tu peux t’y prendre. « Celles avec qui je suis prête à tout démêler, s’il le faut. » À t’asseoir et tout lui remémorer, lui rappeler tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle a toujours été et plus encore à tes yeux. Pour la ramener à toi et peut-être enfin lui enlever un poids qu’elle porte sur ses épaules depuis bien trop longtemps. |
| | | | (#)Dim 19 Mar 2023 - 16:00 | |
| Sans le réaliser, Ophelia a baissé la voix. Comme si elle devait absolument parler d’elles sur un ton qui l’empêcherait d’être repérée. Comme si quelqu’un pouvait entrer à tout moment dans la pièce, ou les écouter de l’autre côté du mur. D’être constamment en combat contre le monde entier l’a rendue désillusionnée, elle ne le montre que très rarement et encore moins en public. Devant Matilda, Ophelia réalise que couche après couche elle cesse d’être toutes les autres. Le sachant déjà, jonglant avec la réalisation dans ses bons jours, l’entrevue l’a tellement secouée qu’Ophelia a oublié ce qui est vrai ou a le potentiel de l’être. Elle mise donc sur tout ce qui est faux, beaucoup plus consciente que le sac soit rempli à rebord.
« J’ai pas souvent à faire avec celles-là. » « Ça vient avec l’ancienneté. Tu as gagné un peu d’honnêteté. » elle a gagné ce que beaucoup n’auront jamais même conscience de savoir exister. Ophelia ment comme elle respire et elle inspire profondément, entre une blague qui ne lève pas et un sourire qu’elle perd entre les larmes qu’elle ravale durement. L’énumération aurait dû faire peur à Matilda. Elle aurait dû l’encaisser de la pire des manières, mépriser Ophelia, la quitter une bonne fois pour toutes. Pour une fois, Butcher ne pense pas à elle et pense aux autres, pense à cette amie qui est là depuis tellement longtemps et pour tellement de bonnes raisons que son hypocrisie ne peut plus servir de bouclier. Ophelia sait pertinemment qu’elle n’est pas bonne pour Matilda. Elle fait bien avec ce constat au quotidien, elle fait très mal avec ce constat ce soir. Sauve qui peut. « C’est celles que je cherche à comprendre le plus. Celles qui m’inquiètent le plus. » pourtant, Matilda reste. S’avance, parle au même ton que l’écrivaine, se penche à sa hauteur, regarde dans ses yeux. Ophelia est inconfortable, se découvre des douleurs qu’elle ne savait même pas pouvoir avoir. Le chaise lui rentre dans les côtes sans même la toucher, ses mains l'élancent, elle voudrait se lever mais ses jambes sont lourdes et enflammées. « Celles avec qui je suis prête à tout démêler, s’il le faut. » sans crier gare, Ophelia relâche tout.
Ses joues sont trempées des larmes qu’elle pleure de l’intérieur depuis dix ans, et maintenant depuis dix secondes. Ophelia n’a rien à dire, elle qui a toujours le mot pour tout. Elle qui a fait carrière d’avoir de la facilité à parler se retrouve muette et sanglotante, ses épaules tremblent et sa respiration est haletante. Elle se sait hideuse, se trouve pathétique, mais est tellement faible qu’elle n’a pas de force pour s’empêcher de pleurer, pas de force pour pleurer tout court. Pourtant, elle n’arrête que lorsque ses yeux sont bouillants, qu’ils la démangent, qu’ils la distraient pour un bref moment. « C’est ridicule. » elle ignore sur quel nerf Matilda a tiré mais elle l’a fait avec tellement de bonnes intentions et si fort qu’Ophelia n’a pas réussi à résister. « Je connais même pas ma couleur préférée. » et Matilda n’a aucune mauvaise intention. Elle n’est pas mauvaise, elle n’est pas intéressée, elle ne lui veut pas de mal. Ophelia est vide, de bon comme de mauvais. Elle ne sait pas de quoi elle est remplie. Après tout, elle n’est qu’un panier percé. « Mat, je sais rien de moi. Rien du tout. » peut-être que c’est cette réalisation enfin prête à être dite à voix haute qui l’a fait pleurer. « Je suis tellement fatiguée. » peut-être que c’est le regard avenant de Matilda. Peut-être que c'est quelque chose d’autre, qu’Ophelia déteste déjà. Déteste à peine plus qu’elle se déteste elle-même. |
| | | | (#)Mer 12 Avr 2023 - 14:15 | |
| the voices in my head telling me to run away « Ça vient avec l’ancienneté. Tu as gagné un peu d’honnêteté. » Du moins, autant d’honnêteté que semble être capable d’offrir Ophelia, et tu n’as pas l’impression que ce soit une grande dose dernièrement. Parce qu’elle est prise dans un tourbillon de faux-semblants, perdue quelque part entre les différentes façades qu’elle offre au reste du monde pour que sa voix continue de se faire entendre. Elle est beaucoup de choses, Ophelia, mais alors que tu l’observes silencieusement, tu as l’impression de faire face à une carcasse vide, un costume parfait qui tombe peu à peu pour laisser entrevoir qu’au fond, il n’y a plus grand-chose qui l’a rempli et ça te rend d’une tristesse infinie. D’une tristesse que tu essayes de lui partager, sans vouloir la brusquer, sans vouloir lui faire du mal. Parce que tu ne veux qu’une chose au bout du compte : lui rappeler qui elle est. Lui rappeler qu’il y a plus que la carcasse et le vide et les fausses apparences et tout ce qu’elle pense devoir à tout le monde. Tu cherches la porte d’accès, le meilleur moyen de faire passer ton message tout en douceur, mais il semblerait que même la secousse la plus légère qui soit suffise à faire craquer les parois de ton amie. Ton cœur se serre lorsqu’elle s’effondre, lorsque le château de cartes s’échoue à tes pieds et qu’il n’y a plus qu’un tas de larmes sur son visage. De celles qui coulent trop vite que tu ne peux pas les effacer au fur et à mesure, même si tu le voudrais. Alors à défaut de pouvoir tout réparer en quelques mots et un coup de baguette magique, tu attends et tu réconfortes. D’une main sur sa cuisse, de ton regard qui ne se détourne jamais pour qu’elle sache que tu la vois Ophelia, pour tout ce qu’elle est, imperfection et doutes inclus, mais surtout pour cette beauté et cette force qu’elle semble avoir oublier en cours de chemin. Tu voudrais pleurer avec elle, pour elle, mais tu n’en fais rien. Tu encaisses pour vous deux et tu demeures de roche, pour être l’ancrage dont elle aura de besoin lorsqu’il faudra revenir pour prendre son souffle. « C’est ridicule. » Tu secoues la tête. Ça n’a rien de ridicule, bien au contraire. « Je pense que t’en avais besoin. » Du rappel autant que de la crise de larmes. Parfois, pleurer est la seule chose qu’il reste à faire. Un mal nécessaire. « Je connais même pas ma couleur préférée. » « Alors on ira voir des cannes de peinture jusqu’à ce que tu trouves. » C’est une solution idiote, mais c’est dit avec tellement d’humour que tu espères que cela parviendra à étirer un sourire sur les lèvres de ton amie, malgré les larmes qui continuent d’envahir ses joues. « Mat, je sais rien de moi. Rien du tout. » Tu secoues la tête une nouvelle fois, la pression de ta main sur sa cuisse s’intensifie pour lui rappeler que tu es là. Que tu ne la laisses pas tomber. Que tu comptes bien l’aider à se souvenir. « Je suis tellement fatiguée. » « Allez viens. On a aucune de raison de rester ici. » Dans cette pièce qui ne fait que lui rappeler encore et encore tout ce qu’elle a perdu. « Je pense que c’est l’heure d’aller chercher c’est quoi ta bouffe préférée. Qu’importe s’il faut faire tous les restaurants de la ville pour y arriver. » Une autre blague, un autre sourire rassurant. Vous ne pouvez pas tout démêler d’un coup, mais le simple fait qu’Ophelia l’admette aujourd’hui semble déjà être un pas de géant. « T’es pas toute seule, d’accord? » C’est une promesse que tu es prête à lui faire, encore et encore. |
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