and you can't fight the tears that ain't coming
Jo Carter & @Midas Sterling (crédit gif/harley)

J’ai dit la pire des salopes, mais la pire des connes, ça marche aussi, qu’elle pensa en dernier recours quand la rhétorique de Midas se perdit dans l’arrivée d’Ava qui, comme sa petite-fille, avait le don d’attirer tous les regards. Si la jeune femme ne savait pas tellement à quoi s’attendre, le discours de sa grand-mère la plaça dans une position assez délicate pour que, curieusement, elle se sente extrêmement mal à l’aise. Ça n’arrivait pas souvent, ça n’arrivait même jamais si elle était tout à fait honnête, ayant fait de sa faculté à n’être troublée par rien ni personne une force dont elle se servait pour sortir victorieuse de toutes les batailles qu’elle menait contre la terre entière. Sauf qu’ici, c’était différent. Devant ses grands yeux toujours un peu humides se confrontaient deux des personnes les plus importantes de sa vie — toutes les deux à des niveaux différents, elles avaient une influence notable sur sa façon d’envisager une situation donnée. Elles avaient toutes les deux exercées un point de bascule dans la vie de Jo à un moment précis, alors là, c’était comme assister à la réalisation de quelque chose à laquelle on a pensé très fort pour  mieux anticiper chacune de ses réactions, sans réussir pour autant à mettre le doigt sur la meilleure façon de gérer les émotions induites par tout ça. Et clairement, si la discussion qui prit forme à la table de la cuisine avait des allures de duel du siècle, Josephine n’en menait pas large pour une fois.
Relativement silencieuse, à suivre le regard de sa grand-mère qui était ancré dans celui de Midas, elle aurait eu le pouvoir de l’arrêter et de lui demander de tenir sa langue, se défendant de tout et son contraire en même temps juste pour sauver les apparences et taire un secret de polichinelle : si elle ne parlait pas souvent de Midas autour d’elle, elle le faisait pourtant avec Ava. Elle aurait dû lui demander de ménager son observation de sa petite-fille, de garder la considération qu’elle avait pour elle intacte en taisant son secret et en ne donnant aucune conclusion sur laquelle le jeune homme aurait pu méditer plus tard, seulement c’était trop lui demander quand elle avait la sensation de retrouver une version de sa grand-mère qui n’était pas toujours la même selon le jour qui se déroulait. A ses côtés, elle avait au moins la certitude que Midas resterait celui qu’il était, et si elle pouvait à peu près deviner ce qu’il répondrait à la maîtresse des lieux, l’entendre déployer tout un arsenal de délicatesse pour lui apporter une réponse qu’elle oublierait quelques instants après, ça fit remuer quelque chose en elle qui l’empêcha d’affronter ses yeux.

A ce moment-là, en tout cas. Ça faisait beaucoup trop de vulnérabilité à lui offrir pour ce soir. Ses larmes représentant le maximum de ce qu’elle pouvait laisser échapper, l’échange qui se déroulait désormais avait pourtant un effet différent sur sa sensibilité, et ça la toucha d’une façon qui l’aurait rendue coupable de gestes ou de paroles à l’encontre du jeune homme si seulement elle n’avait pas cherché à se retrancher un instant dans sa propre tête. Un courant chaud s’insinua en elle en l’entendant faire une promesse qu’elle aurait pu lui demander de ne pas faire parce que ce n’était pas comme ça entre eux, que ça devait rester tacite, et qu’user de la parole pour souligner des évidences, c’était mettre en exergue tout ce qu’elle avait envie de lui dire, mais qu’elle ne lui disait pas parce qu’elle ne savait pas comment faire, parce qu’elle avait peur que ça la rende plus stupide qu’elle ne se sentait déjà quand elle songeait au fait qu’elle n’attendait que ça dans le fond ; que tout se confirme, que tout s’éclaire, et qu’ils arrêtent d’éviter l’éléphant dans la pièce sous  de faux-prétextes.
Presque prudemment, elle tourna la tête vers lui juste pour lui adresser un léger sourire, et peut-être que le changement radical d’attitude d’Ava la sauva de rester un long moment encore accroché au regard qu’il lui renvoyait et qui représentait le genre de faiblesse à laquelle elle était partante pour céder. C’était difficile, mais elle ne comprenait pas tellement pourquoi. Jo, elle n’avait pas peur de Midas et de sa tendance à la rendre plus docile, ça avait même quelque chose de satisfaisant au final de le laisser avoir ce pouvoir-là sur elle ; mais elle avait peur de la sienne à détruire les certitudes des autres en se comportant comme la pire des salopes.
"Prends de l’avance, j’arrive tout de suite." dit-elle à sa grand-mère, la faisant faire un pas vers la porte et la dépasser sans accorder de nouveau un regard à Midas à qui Jo donna le droit de partir. Il discuterait ce choix qu’elle lui laissait, elle le savait tout aussi bien que dans le fond, elle avait envie qu’il reste encore un peu, et que ça devait se sentir ; dans sa façon de se tenir, dans sa façon de faire des pauses, et de  soudain ménager cette brusquerie qui la rendait maladroite parfois. Il pouvait rester, ne serait-ce que pour qu’elle lui montre la maison comme il le lui avait suggéré tout à l’heure, et peut-être que les choses retrouveraient une normalité certaine. Ils feraient semblant qu’aucune larmes n’avaient été versées, qu’aucune mise à en garde sûre n’avait été faite, et qu’aucune promesse non plus — c’était son filet de sécurité à Jo, de faire semblant. Mais ce n’était pas sain, de continuer à évoluer dans un entre-deux qui la rendait tributaire d’espoirs qu’elle essayait de rendre moins évidents comme six ans s’étaient écoulés durant lesquels elle avait taché de traficoter la réalité pour se demander ce qui se serait passé si…

Midas se mut jusqu’à elle et ses doigts trouvèrent son avant-bras avant qu’elle ne puisse prévoir de faire un pas en arrière ; et les siens, tenant le dossier de la chaise que sa grand-mère avait quittée, se tendirent imperceptiblement alors qu’elle restait immobile le temps d’un instant, celui dont elle eut besoin pour lever la tête et pour enfin de nouveau affronter son regard en prenant sens de sa proposition. En lui disant rien qu’un mot, en lui disant reste, elle aurait pu couper court à ce qu’il ajouta ensuite, mais son esprit de contradiction était assez ancré pour que ses propres désirs soient tués dans l’œuf avant même qu’elle ne réalise vraiment ce qu’elle voulait. Fatalement, elle se retrouva à ne pas comprendre ce ce qu’il lui disait maintenant, affirmant cette impression qu’elle avait souvent d’être une débile profonde, alors qu’il lui parlait de prendre soin d’elle, se proposant comme la personne la plus adéquate pour le faire. Et d’ordinaire, elle se serait payé sa tête en le traitant de macho… mais maintenant, elle garda le silence.
Elle le regarda longtemps, sans doute trop en essayant de savoir ce que ça voulait dire vraiment, s’il n’y avait pas de message sous-jacent à quelque chose de relativement simple à saisir au fond… et dans la foulée, elle sentit son coeur se mettre à battre si fort qu’elle sut qu’elle était morte de trouille. Très doucement, très brusquement aussi, ça la fit rire ; mais juste un peu, le genre de rire gêné qui fait baisser la tête et prendre un temps supplémentaire pour parler quand il n’y avait pas besoin de réfléchir davantage à tout ça, et ses doigts se tendirent davantage sur le dossier de la chaise qu’elle finit par lâcher pour glisser une mèche de cheveux derrière son oreille — sauf qu’ils étaient attachés, et que ses doigts se refermèrent sur du vide quand elle lui dit dans une légère secousse de la tête :
"T’es pas obligé de prendre les choses autant au sérieux. Je suis pas sûre qu’elle pense toujours ce qu’elle dit." Le regard qu’elle lui accorda de nouveau, il se fit plus hésitant tandis qu’elle se rendait compte que ça aurait été plus simple de lui demander ce qu’il voulait dire exactement, quand il se proposait pour tenir le rôle de cette personne dont avait parlé sa grand-mère ; mais ça commençait à être douloureux dans sa poitrine, et le poinçon laissé par les doigts de Midas sur sa peau lui rappela qu’elle aimait un peu trop jouer avec le feu pour qu’elle ne s’en sorte indemne, si, là encore, elle se laissait tenter par le goût du risque. Elle bougea son bras doucement pour que ça ne lui donne pas l’impression qu’il dépassait une barrière, ses lèvres se pinçant brièvement quand, après un nouveau silence et une nouvelle tentative d’éviter son regard, elle lui dit enfin "Rentre. Ça va aller." Reste. Ça ira encore mieux, qu’elle pensa en simultané, et son sourire se creusa quand elle ajouta pour la forme "Je t’appelle quand j’ai du nouveau pour la reprogrammation du tournage." lui assura-t-elle après un instant, sa tête s’inclinant pour mieux trouver son regard, et ajouter avec le désir profond de chasser ce qui planait au-dessus de leur tête, et qui la rendait soudain si réfractaire à s’approcher de lui "Tu pourras venir un peu avant, je te ferais visiter la maison."

rp terminé.