Il ne se souvient pas comment il en est venu à participer à ce speed-dating couplé à un Père Noël secret. En réalité, il n’est pas même certain d’avoir cerné l’objectif de l’opération, incapable de savoir si le speed dating l’emporte sur le concept du Père Noël secret ou si l’effet inverse s’applique dans ce cas. Et ce qu’il en dit, pour une fois, c’est peu importe. Il ne cherche certainement pas à faire un date et autant dire qu’il a rigoureusement respecté la limite officieuse de prix du cadeau, non par preuve d’avarice, mais bien parce qu’il n’a de toute façon pas un rond. En réalité, il a cruellement besoin de se changer les idées et de voir des têtes nouvelles ; le genre de têtes envers qui il n’a jamais été attiré et qui ne viendra pas s’ajouter à sa longue liste faisant de lui un cœur perdu en plein océan, comme s’il était un adolescent à nouveau. Merde, il brigue un mandat politique, il ne peut pas être occupé à se demander s’il veut embrasser Zoya ou Millie - ou même Damon, le gars marié - une fois le soir venu. Il se passe une main dans les cheveux et nettoie ses chaussures rapidement à l’entrée du restaurant, sans doute bien plus stressé qu’il ne voudrait l’avouer. Il ne devrait pas, il n’a aucune raison de l’être, mais c’est bel et bien plus fort que lui. Pourtant, Ambrose finit par entrer à l’intérieur du restaurant et faire connaître sa réservation quelque peu particulière.

Ainsi, c’est avec un sourire sincère qu’il s’approche de la table désignée et découvre une femme qui y est déjà assise, un verre de vin rempli face à elle. « Excuse-moi, j'ai commencé sans toi. » - “Aucun souci.” Question d’affronts, il a sans nul doute dû faire face à bien pire en la matière durant sa courte vie, raison pour laquelle il passe rapidement outre ce dernier et commande à son tour le même verre au serveur qui repart déjà - après tout, c’est l’association qui paie le repas, pour le bien du speed dating. « Au fait, Marley, enchantée. » Il improvise une main tendue en sa direction, comme s’il s’agissait sincèrement d’un foutu dîner d’affaire. Rapidement, Ambrose ravale ses bonnes manières et s’assoit face à elle, déclinant à son tour son identité, parfaitement inconnue pour elle encore. “Ambrose. Enchanté.” Il garde sur lui sa petite veste, le Noël de Brisbane n’ayant rien de froid, et encore moins d’enneigé. “Alors si j’ai bien compris, c’est avec toi que je suis supposé me marier pour mieux raconter l’anecdote de notre première rencontre ensuite ?” Le retour du serveur le coupe dans son élan, il le remercie néanmoins pour le verre de vin et porte ses lèvres autour de ce dernier, après avoir brièvement proposé de trinquer à la jeune femme. “Histoire d’être sur que je suis à la bonne table.” Il se moque, invente des excuses, trouve de quoi briser la glace, sourit dans le vide. Il n’y a pas plus simple et plus naturel à ses yeux, bien qu’il soit encore éternellement perdu entre nature ouverte d’esprit et une certaine retenue naturelle. Sans doute qu’à son tour, Marley aidera à détendre l’atmosphère. Du moins, c’est ce qu’il se dit naturellement, parce qu’ils sont là pour ça, tous les deux: échapper un temps à leur quotidien.

« Si tu cherches la femme de ta vie, alors tu t'es trompé de table. » L’humour d’Ambrose ne semble pas fonctionner sur Marley, et il déglutit aussitôt, déjà certain que la suite de la conversation sera difficile à reprendre tant le ton de l’inconnue se veut froid et tranché. Non, de toute évidence elle n’est pas venue pour la partie “speed dating” de l’intitulé de leurs invitations, il s’en rend aisément compte. Il voudrait dire qu’il ne cherche pas nécessairement la femme de sa vie mais disons celle des cinq années à venir ; mais il n’est pas assez stupide ou naïf pour croire que cette surenchère de blague serait une bonne idée, raison pour laquelle il reste parfaitement muet en même temps qu’il aligne ses couverts, déjà parfaitement alignés sous ses yeux. Il fait ce qu’il peut pour occuper ses doigts, tout simplement. « Mais si tu cherches à partager un repas qui sort de l'ordinaire avec une inconnue, tu es au bon endroit. » Elle lui sourit et il répond par le même geste, avec un peu moins d’entrain seulement, comme s’il était un enfant à qui on venait de décrocher la lune et qui devait finalement se contenter d’un reste de gâteau. Ce n’est pas comme s’il avait réellement eu la moindre intention de la marier, en réalité, mais il ne sait faire autre chose que se retrouver offensé pour un rien. “Ca pourrait faire l’affaire, mais c’est bien parce qu’il y a l’esprit de Noël.” Il rétorque rapidement avec sa répartie retrouvée et un sourire plus assuré cette fois.

« Sérieusement Ambrose, tu es venu dans l'espoir de rencontrer quelqu'un ? » Cette fois-ci, il rigole franchement de sa question, sans doute étonné qu’elle ose aborder le sujet alors qu’il l’avait déjà imaginé vouloir s’en départir le plus rapidement et simplement possible. “Seulement dans le but de faire des blagues apparemment pas très drôles.” Sa vie privée est un véritable et chaotique écosystème, il ne voudrait pas y ajouter une personne de plus, quand bien même il ne doute pas un seul instant qu’elle soit une bonne personne. Simplement, son coeur a déjà bien assez de choses à gérer et lui trop peur d’expériences en la matière pour le faire correctement. « Si c'est ça, je suis vraiment désolée... J'suis pas là dans cette optique... Je voulais juste me changer les idées. Si tu veux partir, je ne t'en voudrais pas. » Le dos droit et ses prunelles sombres ancrées dans celle de la jeune femme face à lui, il n’en démord pas et bien au contraire. Son sourire grandit en coin, simplement. Déjà, il a oublié toute once de malaise. “Non, je suis sérieux. Enfin, je le suis maintenant: je viens pas ici pour trouver quelqu’un.” Ses paroles pouvaient laisser planer le doute quant à leur interprétation, alors il fait au mieux pour toutes les chasser rapidement et simplement. “Je suis pas sûre que me “changer les idées” soit le terme adapté pour ma part, mais c’est l’idée.” Il a un peu trop l’impression que cela se résume à un one night stand, ce qui ne fait là non plus pas partie de ses idées, et c’est ce qu’il tente de déjà lui faire comprendre, sans doute avec bien trop de sous-entendus pour que cela soit compréhensible. “Généralement les gens qui veulent se “changer les idées” boivent comme des trous dans leur bar préféré. Je suis juste étonné que tu aies choisi cette option-ci à la place.” Et cette fois-ci, la question est bien plus sous-entendue, raison pour laquelle il espère qu’elle lui donnera quelques pistes de réponses sans qu’il n’ait à la confronter avec une question qui pourrait paraître offensante - il en a déjà assez fait à ce niveau là.

Pour se tirer des mauvais draps dans lesquels il a foncé seul comme un grand, Ambrose se voit obligé d’expliquer le tableau dans son ensemble et, avec lui, l’idée qu’il a de toute cette mise en scène. Il trouve l’idée attendrissante, cette volonté qu’a l’être humain de toujours rester proche de ses semblables, mais il cherche justement à rationaliser les choses dès le départ: il ne cherche personne. Il n’est pas dans une phase de sa vie où il souhaite se poser, ni même où il est capable de se poser. Son esprit est partout et nulle part, ses idées omniprésentes, son ambition dévorante. Il n’a pas le temps de penser à une vie de couple dans ces conditions. « J'ai déjà essayé la technique des bars. Disons que cela ne me réussit pas toujours. » Elle abaisse les barrières et comprend sans doute par la même occasion qu’ils sont sur la même longueur d’ondes, ce qui permet à Ambrose d’éliminer une certaine pression à son tour. Malgré un début difficile, il est désormais certain que la suite du repas sera bien plus calme. “C’est quitte ou double, les bars.” Il commente dans un sourire rassurant, lui-même bien plus habitué à les fréquenter lorsqu’il se produit sur scène que pour tout autre chose: il n’a pas le temps de prendre le temps, justement. Les verres entre les collègues, ce sont les cafés qu’ils ingurgitent au fil de la journée.

Ambrose n’accorde qu’une maigre importance au repas qui leur est servi mais il tente tout de même de faire au mieux, son esprit pourtant plus généralement occupé à écouter ce que Marley pourrait avoir à lui dire maintenant que tout malentendu a été levé. « Pour être honnête, c'est un de mes amis qui m'a mis un coup de pied au cul pour que je sorte. Il m'a dit que je n'étais pas capable de m'inscrire à ce genre d'activités. Apparemment il avait tort. » Sa répartie le fait sourire et il ne tarde pas à reprendre la parole. “Esprit de contradiction, alors ?” Elle lui fait penser à Zoya, ce qui équivaut à une qualité comme à un terrible défaut, selon le point de vue et selon le contexte. Pour l’heure, il voit les choses du bon côté et lui pose même la question avec un amusement non feint. « Mais toi du coup, pourquoi es-tu venu ? C'est pour avoir le super cadeau d'une inconnue ? » Il rigole par politesse bien avant tout le reste, sans doute, avant de rapidement faire de l’ordre dans son esprit pour trouver les mots justes. “J’aime pas vraiment la période des fêtes dans leur ensemble. Et j’avais envie de faire des efforts, cette année. De rencontrer un peu du monde.” Le bout de son nez se fronce légèrement, alors qu’il laisse comprendre qu’il n’en dira pas plus: après tout, ils ne se connaissent pas et il est largement sous-entendu que ce dîner n’a rien d’une session chez le psy. Il n’aime pas les fêtes parce que le huit janvier arrive bien trop rapidement ensuite et, avec cette date, l’anniversaire de la mort de sa mère. “Tu veux qu’on s’échange les cadeaux maintenant ? Tu seras un peu moins stressée comme ça. Je suis vraiment pas quelqu’un de difficile, tu sais.” Surtout qu’en retour, son cadeau n’a rien d’extravagant et c’est encore moins une assurance qu’elle puisse l’aimer, alors il souhaite d’ors et déjà souligner qu’elle n’a pas à s’en faire.

« J'ai mis toute mon énergie pour faire l'emballage. Comme tu remarqueras, c'est un désastre. » Il sourit parce que ce genre de remarque le touche toujours, et parce qu’il trouve toujours que c’est attendrissant d’imaginer autrui se débattre avec un papier cadeau pour, au final, ne jamais arriver à s’en sortir et tenter de trouver la façon la plus adaptée pour montrer la partie la moins pitoyable du tout. “Je pourrai t’apprendre, c’est pas immuable.” Il propose, pourtant bien conscient qu’il y a de grandes chances pour qu’ils ne se revoient plus jamais dans toute leur existence. Grandir auprès de Norman et de James au sein de Weatherton lui a appris la patience et la minutie du monde de la couture - bien qu’il soit parfaitement incapable de coudre, en réalité. Simplement, il sait se débrouiller, et il ne moque pas ceux qui n’y arrivent pas. Au contraire, il est déjà occupé à soigneusement ouvrir l’emballage, pour découvrir avec curiosité l’écharpe qu’il enreferme et qu’il laisse glisser sous ses doigts. « Si ça ne te plaît pas, je ne t'en voudrai pas ! Tu pourras toujours le revendre sur internet. » Il rigole simplement suite à sa remarque, sans plus la prendre en compte. Il est de ceux qui estiment qu’un cadeau est un cadeau et qu’il ne peut pas être revendu, cela coule de sens selon lui. “J’aime beaucoup, au contraire. Simplement… je crois bien qu’une écharpe est la dernière chose que je m’attendais à recevoir, en tant que bon Australien.” Et pour autant, ce n’est pas un reproche. Il saura l’utiliser le moment venu ; il aurait pu y trouver une immense utilité lorsqu’il s’est échappé à Toronto avec Damon, mais les choses ne se font toujours pas dans l’ordre, apparemment. “Elle est très belle, merci.” Il reprend en la regardant un instant dans les yeux, ses mains occupées à soigneusement plier ledit habit. “J’ai grandi au milieu des dessins de haute couture, des tissus et des discussions autour du monde de la morde, alors… c’est un joli clin d’oeil, sans le savoir.” Et son sourire grandit à nouveau, sincèrement touché. Elle est loin de tout ce que la maison Weatherton crée, et pourtant il ne l’aime pas moins.

A son tour, il dégage le papier cadeau de son sac pour le glisser à la jeune femme, une simple petite boîte contenant une clé usb, dont il lui explique rapidement le contenu après qu’elle l’ait ouverte. “C’est… C’est cent chansons, genre les meilleures chansons de tous les temps, et aussi les moins connues. Je te donne mon numéro et t’as le droit de m’envoyer un message de réclamation si t’en connais ne serait-ce une seule dans le lot.” C’est un cadeau quitte ou double, parce qu’elle n’en fera rien, parce qu’il n’est pas ultime, parce qu’il a coûté quelques maigres dollars à peine (le prix de la clé usb seulement). Mais il a demandé à Ambrose des centaines d’heures de recherche et de discussion avec soi-même, un temps infiniment précieux qu’il rentabilise toujours de façon militaire, et c’est ce qui à ses yeux fait toute la richesse de ce cadeau, sans qu’il ne puisse être capable d’en faire part à Marley, parce qu’elle s’en moque sûrement. “C’est pas grand chose, mais je me dis au moins, personne ne risquait de t’avoir offert la même chose une fois dans ta vie.” Il veut toujours être le meilleur en temps normal mais ce soir, il sera déjà bien heureux si elle se souvient de son prénom d’ici quelques jours.

« Dans ce cas j'espère que tu es quelqu'un de patient... » - “Très.” Il répond sans y réfléchir davantage, un sourire toujours affiché sur son visage. Il n’est pas la personne la plus patiente qui soit, mais pour le cas présent, il n’a pas le moindre doute quant à sa capacité à rester patient. « Mais qu'est-ce qui m'a pris ?! » Elle s’effare de son cadeau suite à la remarque du brun, ce qui fait à nouveau rire ce dernier. C’est comme si Marley tombait des nu, et cela a tout pour l’amuser, parce qu’il ne pense certainement pas lui apprendre qu’il fait une terrible chaleur dans ce pays. “Dis moi que tu n’as pas toujours vécu ici, au moins.” Il reprend, déjà prêt à rire de nouveau si jamais elle lui apprend être une parfaite australienne au vocabulaire incompréhension et qui a les barbecues dans le sang.

C’est presque honteusement qu’il offre à son tour son cadeau, lui expliquant tel un enfant ce que contient cette clé USB. Quelques musiques, pas même les siennes ; il n’y a rien d’incroyable et il le sait lui-même, raison pour laquelle il le lui précise directement. C’est l’intention qui compte, dira-t-on. « Pas grand chose ? Tu plaisantes ? C'est parfait Ambrose ! Je n'aurais pas pu rêver mieux, sincèrement. » Elle le rassure et il sourit, n’ayant pas besoin de plus. Quelques mots et le voilà heureux, Ambrose, comme quoi il arrive parfois à se contenter de peu. Savoir que son cadeau plaît est tout ce qu’il voulait savoir pour l’heure et, à en juger par la réaction sans retenue de Marley, c’est bel et bien le cas. « J'me sens encore plus ridicule avec mon écharpe... » - “Et moi je l’aime vraiment ton écharpe, je t’assure.” Il lui trouvera une utilité, et à défaut il en prendra soin, même s’il n’aura pas beaucoup d’occasions de la porte autour du cou. Un cadeau reste précieux, quel qu’il soit. « J'ai face à moi un artiste dans l'âme non ? La mode, la musique... » Il sourit en coin par simple politesse. Aimer la musique et chanter ne fait pas de lui un artiste pour autant. James est un artiste, il crée des choses, il est à la tête d’une prestigieuse maison de haute coûture. Ambrose, lui, il se contente d’allumer un micro de temps à autres. Ce n’est pas comparable. “Non, pas vraiment. C’est ma famille qui travaille dans la mode, pas moi. Et pour la musique… je chante de temps en temps, mais c’est loin d’être mon métier.” Et est-ce qu’il y aurait plus éloigné de la vie d’artiste que celle de politicien ?

« Oh et avant d'oublier, il me faut ton numéro. Pour les musiques mais surtout pour les emballages cadeaux ! » Il joue le jeu rapidement, lui demandant son téléphone d’un signe de la main pour s’y enregistrer comme contact à l’intérieur. “Maintenant qu’on a échangé les cadeaux sans catastrophe à l’horizon, c’est le moment où je t’avoue que je meures de faim.” Et, au lieu de continuer à sourire bêtement, c’est plutôt à la soupe encore brûlante qu’il s’attaque, non sans continuer à parler de la pluie et du beau temps pour la suite de leur dîner, qu’il juge agréable et nécessaire, pour sortir le nez de ses dossiers au moins une fois de temps en temps.