Dans trois semaines, c’est Noël. Dans trois semaines, c’est Noël, et Mila n’arrive pas à y croire. Cette année, elle sera seule pour la première fois. Son colocataire, Elijah, lui a bien proposé de participer au traditionnel repas de famille des Walker, mais elle ne s’est toujours pas décidée. Elle n’a pas envie de s’imposer, n’a pas envie qu’on ait pitié d’elle. Et pourtant, tout a tellement changé en un an. La veille de Noël 2021, elle débarquait par surprise chez son père, Antone Sisco, après avoir placé sa mère en maison de repos. Mila ne pouvait plus s’occuper de cette dernière, elle ne pouvait plus laisser Caterina seule, toute la journée, trainer sa dépression dans les différentes pièces de leur petit appartement et menacer de le réduire en cendres par ses oublis incessants. Pour sa sécurité, l’italienne avait dû se résoudre à placer sa mère, y laissant presque la totalité du salaire qu’elle percevait au sein du Walker Group. Elle avait donc rendu le bail de son appartement et avait sonné chez son père, l’homme dont elle n’avait plus eu aucune nouvelle depuis ses trois ans. Et pourtant, le corse l’avait accueilli les bras ouverts, lui permettant de s’installer dans la grande maison qu’il occupait avec plusieurs autres membres de la famille. La cohabitation avait été difficile, le dialogue, compliqué, mais au fil des mois, Antone et Mila avaient appris à se connaître et avaient fini par comprendre les choix de vie de l’autre. Le corse n’avait en réalité jamais cessé de chercher à voir sa fille, tout au long de ces années, en étant empêché par son ex-femme. Et si Mila avait réussi à lui pardonner son départ, ils n’avaient pas eu le temps de rattraper le temps perdu, puisqu’Antone était décédé dans un accident de moto en juin dernier. Incapable de rester vivre dans la maison dans laquelle le souvenir de son père était omniprésent, l’italienne avait plié bagage.
Cette année, pour Noël, Mila sera donc seule pour la première fois. Son père est décédé. La dépression de sa mère est telle que celle-ci se mure dans le silence, fixant un point invisible sur le papier peint de sa petite chambre, incapable de bouger, incapable d’avancer. Mila n’a plus personne, et cette pensée ne la quitte pas depuis plusieurs mois. Alors, pour tromper la solitude, elle s’est inscrite à un speed-dating, suite à une annonce aperçue en flânant sur le marché de Noël de Brisbane. Avec un peu de chance, elle tombera sur un homme plein aux as, qui rêve d’épouser une belle jeune femme et qui n'en a que faire des sentiments. Cela permettrait à Mila de retrouver sa vie d’avant, le luxe dans lequel elle évoluait avant le divorce de sa mère, ces quinzaines d’années à profiter de l’argent de son beau-père.

La jeune femme déambulait entre les allées du marché de Noël, à la recherche d’un stand italien pour le cadeau qu’elle comptait offrir à son rendez-vous du jour. Quelques instants plus tard, elle pénétrait dans le café dans lequel se tenait le speed-dating, se dirigeant vers la table qu’on lui indiqua et à laquelle était installé un jeune homme. Elle s’assit en face de lui après avoir lissé sa robe rose pâle, affichant un grand sourire.

« Bonjour ! Mila Valentini, enchantée. »

Elle lui tendit la main, espérant secrètement que le nom qu’il lui donnerait serait connu ou éveillerait son intérêt. Mila déposa ensuite sur la table un petit sac rouge, blanc et vert, contenant des desserts traditionnellement dégustés à Noël en Italie.

« Je t’ai ramené un panettone et des cannoli siciliens, des douceurs qui me rappellent mon pays. »

Elle lui sourit, tentant de faire preuve d’optimisme, dissimulant derrière son air enjoué son humeur morose de ces derniers temps.

Quelle idée de merde.

Un autre Noël sans compagnie. Archie l’esseulé qui refuse de se montrer seul. Tictac, le pendule sonne, tictac une autre année se termine sans qu’il n’ait réussi à se prouver qu’il peut changer, que ce n’était qu’une passe, qu’il se soignera en invitant toutes les femmes du monde sous ses draps où des caresses artificielles seront échangées.

Malade, malade, malade. Des parents à honorer, une parole, aussi. Des propos irréfléchis lancés à tout va, des insultes visant les autres, des insultes visant lui-même et sa cervelle en compote à force d’être noyée d’alcool et de tabac. Une autre année sans tomber en amour ni sans espérer devenir père un jour. Des millions accumulés, des biens, des toiles laides, des sculptures qui valent plus que leur apparence, une part investie à droite, l’autre à gauche, pour se multiplier à la fin, et pour se partager avec… personne.

Oh, Noël. Piqûre de rappel. Tu es seul, Archie. Même tes amis ne veulent plus de toi. Autumn avait raison. Jo avait raison. Tu vaux moins que le quart de ta fortune. Et si le cancer te happait pour débarrasser le monde de ta nuisible présence ? Tu vas mourir seul.

« Bonjour ! Mila Valentini, enchantée. »

Il lève un œil de la table décorée de nappes brodées or et rouge. Il croise le regard de l’étrangère qui lui tend la main, et il la fixe momentanément avant de lâcher un sourire bref, anecdotique. Il la serre, opine du chef, retient un soupir, marmonne son prénom à son tour. « Archie. » Parce que, aujourd’hui, il n’est pas un Kwanteen ; il ne se permettra pas de faire honte à sa famille. Il est là pour casser des trucs, des espoirs, des Noël, parce qu’il ne sera pas le seul à souffrir. Généreux seulement quand vient le temps de partager ses malheurs. Égoïstes quand l’or coule dans ses doigts et dérobe l’Enfer sous ses pieds. Les lumières brillent autour d’eux, dans le restaurant, mais ses prunelles sont mates. « Je t’ai ramené un panettone et des cannoli siciliens, des douceurs qui me rappellent mon pays. » Il observe le petit paquet, muet et impassible. C’est d’une voix terriblement crue qu’il dit : « Je ne crois pas que je vais aimer ça. » Il n’a pas la dent sucrée, Archie. Il prend son café noir et son alcool nu. « Je ne t’ai rien pris, perso. » L’idiot en pleine crise existentielle admet en regardant ailleurs. « Je trouve ça ridicule comme concept. Tu ne me connais pas, je ne connais pas tes goûts, tu ne connais pas les miens et - Il désigne le paquet de desserts sur la table d’un geste détaché voilà ce que ça fait. Du gaspillage. » Il ricane mollement. « Puis, après, on nous blâme de trop consommer. C’est une vraie blague. » Dit celui qui possède trois voitures et une maison pouvant abriter un zoo complet. « Enfin, bref, est-ce que tu comptais trouver l’amour en t’inscrivant à ce speed dating ? C’est bien un speed dating, non ? » Il n’a pas trop lu le pamphlet avant d’écrire son nom sur la feuille d’inscription. Il souhaitait simplement ruiner la journée d’une autre personne pour se venger des emmerdes qui lui tombent sur les épaules à grosses gouttes.  

@Mila Valentini

Mila ne s’est inscrite à ce speed dating que pour trouver la solitude des fêtes, et oublier le temps de quelques instants qu’elle passera pour la première fois Noël sans aucun parent. Son père est décédé cette année, et sa mère est placée en maison de repos pour dépression depuis plusieurs années, sans qu’aucune amélioration ne soit visible. Alors en venant ici, elle souhaite simplement oublier, le temps de quelques instants, et s’amuser. Et si, au passage, elle peut trouver un homme riche qui la couvrirait de cadeaux, le temps de quelques jours, ou même de quelques heures, elle était preneuse.

« Archie. »

Pourtant, le jeune homme en face de qui elle a pris place dans ce café ne lui indique pas son nom, ne lui permettant pas d’évaluer sa fortune. Elle a beau le détailler de la tête aux pieds, rien ne semble indiqué au premier coup d’œil s’il se déplace en bus ou en Porsche. La brunette dépose un joli petit sac aux couleurs de Noël sur la table, lui expliquant le cadeau qu’elle a rapporté à l’inconnu : des pâtisseries italiennes. Elle feint l’optimiste, affiche un sourire de façade, mais tout en œuvre pour ne pas se laisser happer par le désespoir, et pourtant, voilà que le jeune homme anéantit tous ses espoirs.

« Je ne crois pas que je vais aimer ça. »

Un bref instant, le masque se fissure, et le sourire de l’italienne disparait : quel mufle. Rapidement, cependant, elle se recompose un visage avenant, tentant de sourire pour atténuer sa réponse.

« Si on ne goûte pas, on ne peut pas savoir … »

Elle a l’impression de parler à un enfant de trois ans, à qui elle tenterait d’expliquer qu’on ne peut pas se prononcer tant qu’on n’a pas essayé.

« Je ne t’ai rien pris, perso. »

Elle le dévisage, interloquée, sa bouche légèrement ouverte sous le coup de la surprise : quel goujat ! Elle s’était bien plantée en venant ici et en espérant qu’un homme riche lui fasse profiter de sa fortune le temps d’un dîner luxueux ou d’une nuit d’hôtel hors de prix. Et tant pis si le masque se fissure : elle est incapable de le maintenir en place face à tant d’impolitesse.

« Je trouve ça ridicule comme concept. Tu ne me connais pas, je ne connais pas tes goûts, tu ne connais pas les miens et voilà ce que ça fait. Du gaspillage. Puis, après, on nous blâme de trop consommer. C’est une vraie blague. »

L’italienne hausse un sourcil et attrape son petit sac contenant les desserts de Noël, le posant sur la chaise libre entre eux, avec son sac à mains. Elle n’a pas envie de courir le risque que le jeune homme en face d’elle le jette dans la poubelle la plus proche en affirmant ne pas aimer ça, gaspillant ainsi les précieuses pâtisseries.

« Ok, bas les pattes ! Je vais ramener les desserts chez moi, ce sera mon cadeau de moi à moi, et tant pis pour ton palais qui sera privé d’une pure merveille italienne ! »

Elle enchaîne, toujours perturbée par cette rencontre et la tournure inattendue de ce rendez-vous.

« Et puis, si le concept t’agace, pourquoi tu t’es inscris ? »

Quelqu’un l’avait-il forcé ? Avait-il perdu un pari ?

« Enfin, bref, est-ce que tu comptais trouver l’amour en t’inscrivant à ce speed dating ? C’est bien un speed dating, non ? »

C’est le tour de la brunette de rire spontanément, sans pouvoir dissimuler son expression. Elle n’espérait pas y trouver l’amour, non, simplement tromper la solitude, et elle était certaine qu’elle n’obtiendrait rien du tout de rendez-vous. Mais peut-être qu’ils pourraient s’amuser quelques heures, histoire de tuer le temps avant qu’elle ne rejoigne l’appartement d’Elijah.

« Je n’avais aucun espoir, et tu as tout de même réussi à placer la barre en dessous de mes attentes. »

Elle rit : au diable la politesse et les conventions, quand on était face à un tel mufle.

« On joue à un jeu ? »

Elle observe les participants autour d’elle, et repère un très bel homme, bien habillé, l’air classe et bien élevé, qui écoute une blonde lui parler de sa vie -ou de ses 15 chats et sa passion pour le tricot. Le regard bleuté de l’italienne s’illumine alors qu’elle désigne la blonde.

« Si tu la fais partir, je te paie un verre. »

Parce qu’elle avait besoin de s’amuser un peu, et parce qu’il était hors de question que quelqu’un d’autre ressorte comblé de ce speed dating si elle-même se voyait une nouvelle fois refuser le bonheur.

Super, les souvenirs d’enfance le submergent tandis que Mila le traite comme un gamin qui n’a pas le palet encore développé. Mais Archie est certain, bien trop certain, que ces pâtisseries ne seront pas à son goût. Le sucre ne fait pas partie de sa vie. Soda et desserts en tout genre ne passent pas aisément dans son gosier, lui filent rapidement la nausée. Il a été élevé avec les fruits et les légumes parce que ses parents voulaient faire de lui un bon p’tit gars en santé, meilleur que les autres, au calibre inébranlable et, surtout, un bon régime favorisait (selon eux) la croissance d’un système immunitaire équipé pour se battre contre les cellule cancérigènes qui nagent déjà dans ses veines. Le jour de la mort de sa grande sœur, les sucreries ont été abolies, remplacés par des noix et des pommes – oh, il en a mangé, des pommes, parce qu’elles tiennent les médecins loin de lui. « Je n’ai pas envie de goûter. » Archie répond donc sans considérer plus longtemps le cadeau de l’étrangère qui en restera certainement une puisqu’il ne fait aucun effort pour faire bonne impression. « Ok, bas les pattes ! Je vais ramener les desserts chez moi, ce sera mon cadeau de moi à moi, et tant pis pour ton palais qui sera privé d’une pure merveille italienne ! » La phrase le fait rire, un rire ironique et un peu mort qui réverbère à peine. Les yeux d’Archie ne prennent toujours pas la peine de détailler la jeune femme parce qu’il ne veut pas lui laisser le temps de lire dans les siens, de voir la mélancolie, la tristesse mélangée à l’échec, les regrets, et tout ce qui le colle au fond de sa chaise en cet instant alors qu’il aurait fui cette situation ridicule il y a de ça vingt minutes s’il était dans son état normal. En premiers lieux, il ne se serait pas inscrit à ce speed dating.

« Et puis, si le concept t’agace, pourquoi tu t’es inscris ? » Une question qui provoque d’abord un haussement d’épaules détaché, puis Archie prend une grande inspiration qui lui gonfle les poumons jusqu’aux alvéoles. « Comme la moitié des gens ici, j’ai du temps à perdre, je crois bien. » Ce qui n’est pas vraiment le cas puisqu’il pourrait facilement trouver un moyen de remplir encore plus son portefeuille, lui qui sait comment s’y prendre pour tuer le temps et occuper ses pensées pour ne jamais les laisser plonger dans les bas-fonds de ses complexes.

« Je n’avais aucun espoir, et tu as tout de même réussi à placer la barre en dessous de mes attentes. » Tant mieux. « C’est un honneur. » Il répond en la lorgnant, un sourire presque vrai soulevant la commissure de ses lèvres jusqu’à présent inertes. Il aura réussi à gâcher sa journée, ils sont deux à passer un mauvais vendredi. « On joue à un jeu ? » Non ? « Si tu la fais partir, je te paie un verre. » Elle arrive à faire naître un peu de curiosité en lui. Après avoir hésité une seconde, il pose ses yeux sur la jeune femme que Mila a désignée d’un signe de la tête. « Il y a des règlements, à ton jeu ? » Il demande de manière lunatique, analysant plus en profondeur l’homme qui accompagne sa proie afin de dénicher une faille qu’il pourrait utiliser à son avantage pour sortir vainqueur de cette partie improvisée. « Comme des limites à ne pas franchir ? Parce que, si ce n’était que de moi, il n’y en aurait aucune. » Il n’est pas un Kwanteen, aujourd’hui. Il ne porte pas son statut, ses poignets sont nus, ses chaussures sportives, ses jeans passent inaperçus. « Oh, et pour que ce soit un vrai jeu, il faut deux participants, non ? » Non, pas du tout. Le cube rubik est un jeu, le solitaire aussi, les fléchettes, et puis la liste pourrait s’étendre à l’infini. « Je ne suis pas le seul qui va se ridiculiser, rassure-moi ? » Et il repose ses yeux sur Mila, hausse un sourcil, attend sa réaction, le coin de ses lèvres retroussées en un sourire provocateur.    

@Mila Valentini  

Elle ne s’attendait à pas grand-chose en venant ici, juste à passer une heure ou deux en bonne compagnie. Bon, ok, elle espérait secrètement rencontrer un homme riche désespéré par les fêtes, qui serait à la recherche de l’amour autant que Mila est à la recherche d’un portefeuille. Et la voilà déstabilisée face à ce goujat qui refuse de goûter les délicieuses pâtisseries italiennes qu’elle lui apportées et qui, de son côté, ne lui a rien offert.

« Je n’ai pas envie de goûter. »

C’est qu’il s’obstine, le mufle, et Mila s’empresse de rapprocher le petit sac d’elle, avant qu’il ne décide de les jeter à la poubelle. Elle ne sait plus vraiment ce qu’elle fait là, et l’idée de trouver dans cet endroit un peu de réconfort semble soudain bien utopiste. Mais la présence de ce jeune homme lui semble aussi bien incongrue, et elle l’interroge sur les raisons de son inscription à ce speed dating.

« Comme la moitié des gens ici, j’ai du temps à perdre, je crois bien. »

La jeune femme laisse son regard passer sur les différents participants qui sont installés autour d’eux. Elle tente de deviner qui ils sont, n’a aucun scrupule à les juger sur leur apparence, alors qu’elle est la première à savoir que l’on peut facilement d’où on vient. Sa robe est classe, sobre, pas donnée à première vue. Et elle est pourtant la reine des mensonges, alors qu’elle dissimule à tous être fauchée. Elle finit par hausser les épaules.

« Je sais pas. Je dirais que la moitié des gens présents espèrent réellement y trouver quelque chose. »

Elle esquisse un sourire moqueur avant de poursuivre.

« Quelle idée de croire encore aux miracles de Noël ! »

Et pourtant, au fond d’elle, l’italienne espérait également que sa situation allait s’arranger, et qu’elle rencontrerait peut-être le prince charmant, celui qui serait riche et … ultra riche ! Le reste importait peu. Elle n’est cependant pas assez honnête pour l’avouer à son interlocuteur, ni pour se l’avouer à elle-même, et la voilà qui prétend ne rien attendre et être tout de même surprise de ce Archie qui lui fait face.

« C’est un honneur. »

Elle ne peut s’empêcher de rire. Cet homme est un goujat et un mufle. Il n’est pas son prince charmant. Il n’est sans doute pas plein aux as. Il ne lui apportera pas ce qu’elle recherche. Alors une fois la surprise passée, autant se concentrer sur le deuxième espoir du jour : tromper la solitude des fêtes, rien que pour quelques heures. Et peut-être que, finalement, Archie pourrait être utile. Elle lance un jeu, le met au défi de faire partir une fille qui semble adorer son date du jour. Elle n’en a que faire de cette blonde, a juste besoin de s’amuser, et peu importe qui sera blessé dans l’histoire. Les états d’âmes des autres ne l’intéressent pas. Détruire le bonheur de cette fille pourrait cependant l’aider à aller mieux, d’autant plus que son partenaire semble avoir des goûts de luxe qui plaisent à l’italienne.

« Il y a des règlements, à ton jeu ? »

Elle hausse un sourcil.

« Des règles ? Pourquoi ? »

Il n’y en avait aucune, jamais. La seule chose qui comptait, c’était de réussir, et peu importe les moyens qui devraient être employés pour y arriver.

« Comme des limites à ne pas franchir ? Parce que, si ce n’était que de moi, il n’y en aurait aucune. »

Le visage de Mila s’éclaire d’un sourire amusé. Son air de peste est clairement visiblement sur ses traits fins.

« Voilà au moins un peu sur lequel nous serons d’accord. Aucune règle. »

Finalement, cet Archie avait l’air bien plus intéressant qu’au premier abord.

« Oh, et pour que ce soit un vrai jeu, il faut deux participants, non ? Je ne suis pas le seul qui va se ridiculiser, rassure-moi ? »

Elle hausse les sourcils en l’écoutant, attentive, avant de rire à la fin de sa phrase.

« Se ridiculiser ? Tu es incapable de faire ça avec classe et dignité ? »

Elle le taquine et son rire résonne à nouveau dans la pièce.

« Je suis toujours d’accord pour jouer. Je t’écoute, tu avais une idée ? »

Sinon, elle essaierait bien de rentrer avec le rencard de la blonde, celui à la montre de luxe, aux chaussures hors de prix et aux vêtements bien taillés. Même ses dents blanches, lorsqu’il sourit à sa partenaire, sentent le fric. Il serait parfait pour l’italienne, à n’en pas douter.

Parfois, Archie fait des efforts. D’autres jours, il s’en bat les reins de bien paraître, surtout quand il n’est entouré que de personnes qui ne pourraient rien lui apporter. Aujourd’hui, il ne travaille pas et, pour combler sa solitude, il a décidé de se joindre à un groupe de gens normaux pour leur pourrir la vie, faute de savoir se divertir autrement. Il n’a pas particulièrement envie de ramener une femme chez lui, notamment parce que ses crises existentielles du moment commencent à endommager sa libido. Chaque regard qu’il croise lui rappelle qu’il a des défauts lui aussi, qu’il n’est pas infaillible et qu’un jour il tombera de bien haut et ne saura pas se relever immédiatement. S’il regarde la jeune femme attablée devant lui, c’est pour mieux la dévisager ainsi que la boîte de confiseries qu’elle lui tend comme si Noël signifiait les échanges et les cadeaux (quoi, c’est le cas ?). Archie, il n’offre qu’à la petite poignée de personne qui tient dans son cœur, et à celles qu’il veut rencontrer plus en profondeur. Malheureusement (ou heureusement) pour Mila, le garçon n’a pas la tête à jouer son petit numéro pour la mettre dans sa poche et, même s’il conçoit qu’elle est une femme magnifique, ça ne changera pas son avis sur la question. C’est une journée de merde, et ça le restera. « Je sais pas. Je dirais que la moitié des gens présents espèrent réellement y trouver quelque chose. » Il l’analyse ainsi que ses paroles, perçoit la courbe ironique de ses lèvres, réalise qu’il s’agissait d’une sorte de mépris qu’elle tentait d’évacuer. Sont-ils du même avis, alors ? « Quelle idée de croire encore aux miracles de Noël ! » S’il hésitait encore jusqu’à cette répartie, maintenant ses idées sont bien rangées : elle n’a pas l’intention de le traiter comme son futur prince, et la réciproque s’appliquera. Tant mieux. Il ne brisera pas complètement ses attentes puisqu’elles étaient aussi basses que les siennes. Ils pourront insulter le reste du monde ensemble. « Les gens confondent les films et la réalité. » Qu’il appuie en lâchant un profond sourire, croisant ses bras sur sa poitrine afin d’affaler sa posture sur la chaise qui le soutient déjà qu’à moitié. Quelle classe.

Mais il est rapidement question d’un jeu qui a le mérite de titiller l’intérêt d’Archie. D’abord, il s’assure qu’il n’y a pas trop de règlements qui viennent avec ce dit jeu, et la réaction de Mila allume enfin la petite lumière sadique qui caractérise si bien son iris malpolie. « Voilà au moins un peu sur lequel nous serons d’accord. Aucune règle. » Il peut tirer une conclusion : « Tant qu’aucun de nous deux ne se fait arrêter, ça me va. » Il fredonne du bout des lèvres, laissant ses yeux détailler une seconde fois sa future victime. L’homme installé à leur table voisine ressemble à lui-même quand il fait l’effort de bien paraître. Il connait par cœur ce type de personnalité car elle est la sienne. Il veut impressionner, porte à ses pieds le salaire d’un infirmier et à son poignet celui d’un enseignant. Quand tu es riche, tu n’as pas besoin de personnalité pour attirer les croqueuses d’or. « Se ridiculiser ? Tu es incapable de faire ça avec classe et dignité ? » « Oh, je pourrais, mais de faire dans la subtilité l’envie me manque. » Qu’il reprend en frottant ses mains ensemble, planifiant sa stratégie, son imagination fertile gonflée d’idées plus indécentes les unes que les autres. « Je suis toujours d’accord pour jouer. Je t’écoute, tu avais une idée ? » Il sourit, se mord le bout de la langue en lorgnant une dernière fois sa cible, et souffle enfin : « Tu n’as qu’à me suivre dans le délire. » Et, sans donner plus d’informations, il fait une petite boule avec sa serviette de table et l’envoie sur l’homme pour attirer son attention. Quand il relève les yeux vers lui, l’air abasourdi, Archie s’exclame : « Tu viens te taper des inconnues après t’être tapé ma femme, c’est ça ? » Bon acteur qu’il est, son ton est convainquant, et plusieurs têtes se tournent vers eux pour assister à la lapidation. Il regarde ensuite Mila, toujours en pointant du doigt l’homme qui n’a rien demandé : « Ce sont les mecs comme ça qu’il faut éviter. Je n’arrive pas à croire qu’ils laissent ce genre de connard s’inscrire au speed dating. Il faudrait remplir quelques questionnaires afin de participer, ça éviterait aux gens de tomber sur des animaux comme lui. » Déjà, le regard de sa partenaire de table s’assombrit, sa posture se tend et sa main se serre autour de son sac à main.

@Mila Valentini

Rien ne se déroule comme prévu. L’homme en face de Mila ne semble pas plein aux as et, surtout, il n’est pas venu chercher l’amour. Ce n’est pas lui qu’elle arrivera à faire tomber dans ses filets, c’est certain. Et même si elle le pouvait, elle n’est pas sûre qu’elle le ferait, quand elle n’est pas certaine qu’il pourrait lui payer un dîner dans un restaurant étoilé. Elle a joué, elle a perdu, et le portefeuille de cet homme ne viendra jamais combler la dette astronomique qu’elle traîne depuis maintenant plusieurs années. Et si elle a perdu l’opportunité de trouver aujourd’hui son prince charmant, celui riche à souhait, elle espère au moins ne pas avoir perdu son temps. Elle propose alors un jeu à Archie, une distraction qui pourrait l’amuser pour quelques heures, et lui permettre d’oublier la solitude des fêtes. Et si le pauvre en face d’elle ressemble à un vrai goujat, il semble au moins savoir s’amuser. Il n’hésite pas longtemps avant de poser des questions sur le jeu, et Mila voit bien qu’elle a attiré son attention, enfin. Peut-être qu’après tout, cette après-midi ne sera pas un fiasco total. Et lui aussi capte finalement l’intérêt de la brunette quand il la questionne sur les règles, espérant qu’il n’y en ait aucune.

« Tant qu’aucun de nous deux ne se fait arrêter, ça me va. »

Elle hausse un sourcil, surprise, alors qu’un air amusé prend place sur ses traits.

« Ca, ça ne dépendra que de toi. »

Elle hausse les épaules d’un air innocent : elle ne l’enverra pas en prison, et n’a aucune envie d’y finir. Mais elle commence à s’interroger sur les plans d’Archie pour parvenir à ses fins. Déjà, il souhaite l’entrainer avec elle et, si elle aime s’amuser, elle aurait également aimé pouvoir consoler leur victime, cet homme riche qui aurait été délaissé par sa conquête du jour.

« Oh, je pourrais, mais de faire dans la subtilité l’envie me manque. »

Elle secoue la tête : elle aimait la subtilité et la classe. Elle était une garce, une véritable peste, mais elle savait pertinent bien cacher son jeu. Si elle ne voulait pas dévoiler son vrai visage, elle savait faire dans la dentelle, prendre des pincettes. Elle était d’ailleurs très aimée, avait beaucoup d’amis, et était toujours très entourée. Elle est à deux doigts d’arrêter son nouveau partenaire de crime pour lui expliquer les bases de la subtilité quand déjà il se lève.

« Tu n’as qu’à me suivre dans le délire. »

Dubitative, elle l’observe rejoindre l’homme qui accompagne leur victime. Car c’était elle, la cible : la blonde. L’homme riche devait simplement se retrouver sans cavalière, afin que Mila puisse remplacer la fuyarde. Les plans d’Archie semblent cependant différents quand il lance.

« Tu viens te taper des inconnues après t’être tapé ma femme, c’est ça ? »

Déjà, son regard se tourne vers Mila, et plusieurs clients la dévisagent à leur tour. Misère. Adieu bel Apollon au portefeuille bien fourni. Rougissant légèrement, l’italienne reporte son attention sur son partenaire de crime qui poursuit.

« Ce sont les mecs comme ça qu’il faut éviter … »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa stratégie fonctionne. La blonde semble à deux doigts de quitter les lieux. Avec un coup de pouce de Mila, elle détalerait illico presto, à n’en pas douter. Alors la brunette se lève, prend un air implorant, et vient se placer entre l’homme riche et Archie, saisissant la main de se dernier.

« Amore mio, allons, tu as dit que tu me pardonnais ! Et puis, est-ce vraiment tromper, quand on n’a pas joui ?! »

Elle prend un ton de conspiratrice et se penche vers la blonde, indiquant d’un ton faussement chuchoté que tout le monde peut distinctement entendre.

« Il a un micropénis. »

Elle hausse les épaules d’un air désolé alors que son regard se porte vers l’homme riche et esquisse une moue quand ses yeux bleutés dévient vers son pantalon, là où se trouve l’engin accusé. Outré, le voilà qui proteste, se levant avec tant de véhémence qu’il en renverse sa chaise.

« Mais enfin, c’est quoi ce bordel ?! J’vous connais même pas ! »

Mila fait la moue et, tout en venant se blottir contre Archie, répond à l’homme agacé.

« Voyons … »

Son regard bleuté suit la blonde qui détale, quittant les lieux. Une lueur amusée danse dans ses iris quand elle les plonge dans celles d’Archie.

« On ferait mieux d’y aller, amore mio, il n’en vaut clairement pas la peine ! »

Et passant son bras sous celui d’Archie, elle l’entraine à l’extérieur. Une fois dehors, elle le lâche et éclate de rire.

« C’était fun ! Mais avoue que je t'ai bien aidé ! »

Elle avait presque fait tout le travail, oui !

L’amour se transforme en défi ; une métaphore qui résume bien la vie d’Archie. Il n’avait pas prévu de trouver la femme de sa vie en s’inscrivant à ce speed dating mais il se doute bien qu’elle n’existe pas, la femme de sa vie. Il ne croit pas être cassé ; du moins, pas à ce niveau-là. S’il tombe en amour, ce ne sera pas avec Matilda ou Eloise, ni avec Vicky ou Mila. Il ne peut plus se convaincre du contraire. Seulement, il n’est pas prêt à faire un trait sur cette vie qu’il s’obstine à faire perdurer, alors plutôt transformer ce moment en jeu pour se changer les idées. C’est sa compagne qui annonce l’absence de règlements, et la partie peut commencer. La victime est un garçon qui n’a absolument rien demandé et qui est probablement innocent alors il n’est que dommage collatéral à une tablée qui s’ennuie.

Et quelle tablée ! La comédie prend feu, le jeu d’acteur est pourri mais ils ne sont pas là pour performer, mais bien pour faire passer le temps. « Amore mio, allons, tu as dit que tu me pardonnais ! Et puis, est-ce vraiment tromper, quand on n’a pas joui ?! » Archie arrive de justesse à retenir un rire, serrant la mâchoire à s’en fissurer les dents. Il serre la main que Mila lui tend, croise son regard à peine une seconde avant que cette dernière n’annonce un autre fait plutôt gênant pour l’homme qui, encore une fois, est seulement atterri ici au mauvais moment. Enfin, il s’indigne, se redresse sur sa chaise pour enfin porter ses couilles, mais c’est déjà trop tard ; sa compagne décide de lever les voiles et de l’esseuler dans sa gêne. D’un sourire qu’il n’étouffe plus, Archie repose son regard vainqueur sur l’homme qui lui envoie son majeur et il hausse innocemment les épaules en serrant Mila dans ses bras. Le défi est réalisé, les preuves sont faites : ils peuvent maintenant décamper et quitter ce misérable événement. « On ferait mieux d’y aller, amore mio, il n’en vaut clairement pas la peine ! » « Tu as raison. » Qu’il murmure en replaçant affectueusement les cheveux de la brune. Il couvre la salle d’un regard amusé alors qu’ils prennent la direction de la sortie et, une fois à l’extérieur, il joint son rire à celui de Mila. Il opine du chef alors qu’elle vante son mérite, se passe la langue sur ses lèvres et laisse flotter un petit silence avant d’annoncer : « Tu as oublié tes pâtisseries sur la table, au fait. » Personne ne les goûtera, à la fin de la journée. Ce speed dating aura été un véritable échec. « Je ne crois pas qu’ils accepteront notre inscription pour les prochaines années ! » Le garçon s’exclame dans un soupir aussi faux que la tête déçue qu’il tire. « Tu devras trouver l’homme de ta vie autrement. » Il l’observe de haut en bas et hausse les épaules : « Tu n’as pas eu de chance en tombant sur moi, j'avais juste envie de briser des trucs aujourd'hui. » Mais, au moins, il a le mérite de ne pas lui avoir donné de faux espoirs dès le début. Il se doute qu’elle trouvera quelqu’un rapidement si c’est ce qu’elle souhaite. Elle a du charisme et il lui proposerait de se rencontrer au bar le soir venu s’il n’avait pas la tête ailleurs en ce moment. Un an plus tôt, ils auraient pu passer la nuit sous les mêmes draps.

@Mila Salvatori