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@Marvin Clemens-Pearson (crédit gif/ssoveia)

19 novembre 2022.

Avery fit le tour de la voiture pour la prendre par les épaules, se mettant à ricaner doucement en lui frictionnant le bras comme le ferait un grand-frère farceur "J’ai pas envie de faire ça. Tu prendrais combien pour te faire passer pour moi ?" qu’elle murmura Evie en fronçant le nez, provoquant un nouveau rire de la part du jeune homme qui lui dit qu’il le savait, qu’il était trop costaud pour endosser son rôle, mais qu’elle avait accepté de jouer le jeu pour une fois, alors c’était la croix qu’elle devrait porter. Plus que quelques heures, qu’il lui souffla en montant les petites marches de la devanture du building où se trouvaient les locaux de La Fondation, la laissant seule à son sort le temps de quelques pas qu’elle fit en dégainant son téléphone portable pour faire savoir à Rhett qu’il y avait encore une infime possibilité qu’ils puissent filer en douce avant demain, même si elle avait mis des jours et des jours à peaufiner son discours ; elle pouvait à peu près se figurer de sa réponse raisonnable, aussi elle soupira, levant la tête pour regarder un instant la devanture de l’immeuble devant elle se trouvait et encaissa difficilement l’idée qu’il fallait des répétitions à ce genre de choses. Ce qui prouvait bien au fond que ce n’était que du spectacle, et qu’elle avait sciemment décidé d’y participer pour qu’on leur fiche la paix, à Rhett et à elle.

Glissant de nouveau son téléphone portable dans la poche de son manteau, Evie y ficha également ses mains, le temps de prendre le carousel en verre de la porte d’entrée pour se retrouver dans le lobby ou on l’accueillit avec déférence sans qu’elle ne s’en sente particulièrement flattée, remerciant simplement les présents avec des signes de tête polis et des sourires qui l’étaient tout autant. Lorsqu’une ombre la fit se retourner et lever la tête, ses grands yeux bruns trouvant ceux de son neveu à qui elle dit, la bouche grimaçant juste un peu "Toi aussi, on t’a réquisitionné pour la soirée ?" Marvin devait être le clou de la soirée de charité qui se déroulerait le lendemain, et qui partait de la célébration — seigneur, quelle horreur — de la date anniversaire de son père. C'était tellement cruel, d’imposer tout ça à une famille qui peinait à faire son deuil, ou du moins, à certains membres d’entre eux dont elle faisait clairement partie.
Se faisant montrer le chemin par Avery, Evie vérifia que Marvin la suivait quand ils entrèrent dans l’ascenseur qui devait les mener jusqu’au lieu dit ; elle voyait les choses d’ici, tout devait être absolument somptueux, la mère du jeune homme étant du genre à ne pas faire les choses à moitié quand il s’agissait d’organiser les plus grands galas de La Fondation. Doucement, des souvenirs remontèrent à la surface quand Evelyn se revit dans un passé pas si lointain, à se voir traîner à tout ça sans conviction, et ça lui fit redouter davantage l’exercice du discours qu’elle avait dans la tête, ses brouillons glissés dans son sac à main qu’elle remonta sur son épaule quand elle reprit la parole pour demander à Marvin, l’air de rien, son corps s’appuyant nonchalamment contre la paroi de l’ascenseur qui grimpait en silence "Elle t’a demandé de faire quoi à toi ?" Est-ce qu'il était là de son plein grés ou pas, la question aurait pu être posé de cette façon également, mais elle s’en abstint pour reporter son regard sur Avery qui gardait son attention dirigée vers le duo qu’il écoutait d’une oreille discrète, mais sûre. Rien ne lui échappait jamais, et si elle ne le soupçonnait pas de tout reporter à Celie, c’était bien parce qu’elle avait une confiance aveugle en lui qui, d’une nouvelle main posée sur son épaule, la rassura comme il l’avait toujours fait ; et l’ascenseur s’arrêta, Evie laissa Marvin passer avant elle, loin de se plier aux conventions sexistes de la bonne éducation qu’ils avaient reçu, et marcha à ses côtés pour enfin rejoindre l’endroit où on les attendait.

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Le stress n’était pas une variable à prendre en compte dans la mécanique si bien huilée d’Evelyn Frances Pearson : c’était son métier, elle savait bien le gérer. De fait, elle ne répondit pas vraiment à son neveu quand il lui posa la question pour savoir si elle était stressée ou pas, se contentant de suivre les directives d’Avery pour se rendre là où on les attendait tous les trois. C’était plus facile comme ça, de faire ce qu’on voulait qu’elle fasse que de lutter, et elle se rendit compte, avec bien des années de retard, que c’était ce qu’elle aurait dû faire dans le passé ; rentrer dans le rang sans broncher histoire qu’on lui fiche relativement la paix. Il était trop tard pour revenir en arrière, c’était une certitude qui l’ancra dans le sol tout comme la main que Marvin posa sur son épaule pour la rassurer. Enfin, c’est de cette manière qu’elle prit son geste qui la surprit, mais pas assez pour qu’elle le lui rende, lui adressant seulement un petit sourire qui passa bien vite pour l’interroger à son tour, et accueillir sa réponse avec le genre d’intérêt sincère qui faisait qu’on savait que son attention était toute dirigée vers quelqu’un.

"Elle t’a laissé le privilège d’écrire ton discours toi-même, ou on s’en est chargé à ta place ?" lui demanda-t-elle de nouveau, quand ce qu’il lui rétorqua ensuite lui donna une partie de la réponse qu’elle attendait. Bien sûr que Marvin ne pourrait s’exprimer selon ses propres termes, c’était le propre des Pearson après tout — répandre la parole de la matriarche sans y dénoter au point que, parfois, même les virgules semblaient avoir été posées par Celie elle-même. Est-ce que ça la rendait spéciale, du coup, d’être la seule à avoir écrit son discours elle-même ? Evie se posa brièvement la question, perdant un court instant le fil de la conversation avec son neveu pour statuer que non : c’était une condition, pas un privilège. Celie n’était pas sotte, elle savait comment fonctionnait la presse. Si elle s’apercevait que ses mots avaient été dictés, l’intérêt autour du discours d’Evelyn s’étiolerait, et tout le faste mis dans cette célébration serait vain. Il fallait que ce soit authentique, il fallait aussi qu’elle y mette assez de sensiblerie pour faire mouche, et c’était là que le bât blessait : elle estimait que tout ce qu’elle ressentait vis-à-vis de son père la regardait, aussi le partager avec la cantonade, ce serait très compliqué.
C’était pourquoi elle avait su doser les souvenirs qu’elle avait utilisé pour parfaire son petit speech. Lara avait validé le tout sans verser dans l’émotion exacerbé, l’encourageant comme elle savait si bien le faire, et Rhett lui avait assuré que ça toucherait même les plus costauds ; c’était à peu près tout ce qui lui avait fallu pour se dire qu’elle avait bien géré les choses. Elle l’espérait, en tout cas, et tandis qu’elle revenait sur Terre, la question de Marvin la fit sourire "J’y ai passé un temps fou si tu veux tout savoir. C’était plus ou moins la condition à ma participation tu sais, de l’écrire moi-même, alors j’y ai mis du coeur." lui fit-elle savoir, et ils quittèrent l’ascenseur de concert, suivis par Avery qui les guida comme il savait si bien le faire "Ta mère s’est surpassée, c’est vraiment somptueux." glissa-t-elle à son neveu, reconnaissant le talent d’Enola à sa juste valeur. Elles avaient le même attrait pour l’organisation d’évènement, ce qui lui insufflait un semblant de quelque chose d’agréable sans qu’elle ne sache quoi exactement, lui retirant momentanément l’idée qu’elle n’était pas faite du même matériau que ses soeurs — elles avaient pourtant quelques points en commun, la preuve en était. Un léger sourire plus tard, et elle s’intéressa de nouveau à ce que lui dit le jeune homme à ses côtés "Un an, exactement. Je connais la date anniversaire de la mort de mon père, Marvin." J’y ai assisté, aurait-elle pu ajouter, mais elle ne le fait pas, rongeant son frein à ce sujet. Toujours est-il que cette date en particulier, elle représentait l’apothéose de chaque année vécue par La Fondation. Une occasion spéciale à célébrer ; et ça lui donnait toujours l’impression de danser sur la tombe de son père, ces soirées. Comme toutes les autres en réalité.
Elle avait peut-être un peu de mal à se détendre, c’était un fait qu’elle attribuait au poids des brouillons de son discours qu’elle avait dans son sac qu’elle remonta de nouveau sur son épaule, ayant un autre sourire pour son neveu lorsqu’il murmura à son encontre. L’expression d’Evie se para d’un voile de surprise lorsqu’elle se tourna dans sa direction "Ne me fais pas croire qu’elle ne s'est pas vantée de son chantage auprès des autres membres de la famille ?" Elle eut un mouvement de sourcils "Oui, désolée d'officiellement briser tous tes espoirs : je suis pas là de mon propre chef." Comme si ce n’était pas assez évident "On a passé un marché, tu sais comment elle est — désolée pour le retard." fit-elle rapidement, se détournant de son neveu pour saluer en leur présentant sa main droite les assistants d’Enola qui s’occupaient d’organiser les répétitions de ce soir.

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Evelyn eut un léger rire en entendant Marvin mettre un terme au suspens. Non, il n’avait pas écrit son discours pour la soirée, et elle n’en était pas étonnée. Seulement, elle devait admettre que ça l’amusa de le voir prendre les choses de cette façon — peut-être avait-elle été idiote à l’époque de considérer tout ça comme une corvée, et peut-être qu’elle aurait dû suivre la ligne de conduite de son neveu qui semblait si à l’aise avec l’idée de se faire dicter ses mots qu’il en devenait comique. Cependant, c’était une façon de voir les choses dont il pouvait jouir uniquement parce qu’il n’était pas le fils de Kai. S’il l’avait été, il aurait trouvé tout de suite tout ça bien moins facile à envisager.
"T’es pas obligé de me caresser dans le sens du poil tu sais. Je sais reconnaître quand on le fait, et je n’en ai pas besoin." lui lança-t-elle avec humour lorsqu’il prétendit avoir hâte d’entendre son discours, et le chemin qu’ils prirent jusqu’à l’endroit où ils étaient attendus, elle le combla avec un sourire en demi-teinte, s’arrêtant sur ce qui les entourait pour reconnaître le talent d’organisatrice de sa soeur "Je sais. Je crois qu’elle lui fait chaque année un peu plus honneur, elle est vraiment douée." ajouta-t-elle à la suite de son neveu qui soulignait les bonnes intentions de sa mère pendant qu’Avery leur faussait compagnie. Si Evie trouvait rarement quoi dire de positif à propos d’Ester, à propos d’Enola, c’était bien différent ; parce qu’elle était neutre et qu’elle ne l’avait jamais traitée comme une pestiférée, un fait qui mettait l’exergue sur l’idée que, dans d’autres circonstances, leur sororité aurait été solide. Sauf que ce n’était pas le cas, ça ne l’avait jamais été, et ce n’était pas grave, quand bien même ça la chagrinait parfois de devoir se rappeler qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même, elle avait au moins la satisfaction de pas être entièrement détestée par toute sa famille et c’était un réconfort sur lequel elle ne comptait pas trop, c’était vrai, aussi à certains moments, ça lui faisait du bien de se le rappeler.

"C’est vrai que tu es un jeune homme très occupé, mon très cher neveu." lui rétorqua-t-elle avec un léger sourire, se calant sur sa politesse feinte, lorsqu’il se lança dans un laïus guindé à propos du fait qu’il ne savait rien des machinations de sa grand-mère "Et qu’est-ce que tu faisais en France, qu’est-ce que tu vas faire en Italie ?" lui demanda-t-elle avec intérêt, encore qu’elle se doutait que ça avait à voir avec son statut d’espoir du rugby et qu’elle se lasserait vite de ses explications, mais si elles pouvaient lui éviter de mettre en avant le marché qu’elle avait passé avec Celie en le lui expliquant par le menue, ça l’arrangerait au final. Elle eut un nouveau sourire, tous les deux s’approchant des assistants d’Enola "Tu sais quoi, profites-en. Plus loin tu es, mieux tu te porteras, mais on ne va pas revenir sur ça, tu sais déjà ce que j’en pense." Du poids de la corporation qui pesait sur leur nom et sur les rapports que chacun entretenait au sein de leur famille.
"Il en donne pas l’air, mais qu’est-ce qu’il est bien élevé, ton fils." fit Evelyn en s’approchant finalement d’Enola, laissant ses assistants vaquer à leur tache tandis que cette dernière s’ajoutait à la liste de ceux qui avaient hâte d’entendre son discours. Un hochement de tête vint précéder les paroles d’Evie à ce sujet "Tout le monde a l’air très enthousiasmé par ce que j’ai à dire, j’espère être à la hauteur." "Tu le seras. En tout cas moi, j’en suis convaincue, et pas uniquement parce que ça fait un moment que j’attends que tu te décides enfin à prendre la parole. Tout ce qu’on dit sur lui, ça commence à être du réchauffé, ça va nous faire du bien d’entendre autre chose à son sujet." lui rétorqua sa soeur après avoir remis en place le col de son fils. A ses mots, Evie posa sur elle un regard reconnaissant sans pour autant faire ce qu’aurait fait des soeurs à ce moment-là — se prendre dans les bras pour se remercier et s’encourager. Evelyn eut à peine un geste à son encontre, une main qu’elle posa sur son épaule pour la remercier tandis qu’elle lui demandait dans la foulée, un gros soupir s’échappant de sa bouche quand, remontant son sac sur son épaule pour la énième fois, son attention fût attirée par l’ensemble de ce qui les entourait "Bon, à quelle sauce je vais être mangée exactement ? On m’a fait venir pour répéter, je suppose que ça a voir avec des déplacements et des jeux de lumières ?" "L’avantage de ta présence ici, c’est que tu sais de quoi tu parles toi, au moins. Mais patience ; Marvin, c’est toi qui vas commencer, mon grand." dit Enola à son fils en se retournant vers lui. La tête penchée, le sourire d’Evelyn se déplaça doucement en biais pour demander à son neveu, lui empruntant la question qu’il lui avait posé tout à l’heure dans l’ascenseur alors que l’imminence de sa montée sur scène approchait ; on ne s’appesantissait pas, chez les Pearson "Stressé ?"

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"Aw, c’est adorable, Marvin." Le manque d’objectivité du grand garçon à qui elle s’adressait à l’encontre de sa propre mère. Evie admirait beaucoup la manière dont ses soeurs élevaient leurs enfants, n’étant pas de celle à alimenter le désir de maternité par peur de reproduire ce qu’elle avait vécu. Elle aurait pu s’en remettre à l’exemple de ses soeurs, constater que les schémas n’étaient pas toujours voués à être reproduits, mais elle se savait aussi différente de ses soeurs que le jour l’était de la nuit ; et elle ne voulait pas prendre de risques "C’est grâce à ta grand-mère. On peut remettre beaucoup de choses en doute à son sujet, mais on ne peut pas lui enlever la force qu’elle nous a légué en tant que femme. Elle a été féministe avant que ça devienne tendance de le devenir." L’entendre complimenter Celie, c’était assez rare. Mais sur ce point, Evelyn savait rester pragmatique. Avoir été élevée entourée par des femmes, ça avait fait son petit effet sur sa perception de la société. Marvin avait raison, elles étaient déterminées et volontaires, c’était une certitude.
"C’est un programme chargé. Comment tu te débrouilles aux entraînements ?" Cette question qu’elle lui posa, elle la surprit elle-même. Elle qui était du genre à éviter le sujet du rugby, elle se surprenait à s’y intéresser très vaguement alors que son neveu lui déroulait les entrées de son planning chargé. Peut-être était-ce l’inquiétude de le voir enchaîner les matches alors qu’il venait à peine de rejoindre l’équipe nationale, peut-être était autre chose, dans tous les cas elle ajouta avec sérieux "Je me passerais du petit souvenir, merci. En revanche, tu veux vraiment me faire plaisir ? Lève le pied." lui dit-elle, opinant doucement du chef en poursuivant sur sa lancée "Ne te sens pas obligé de prouver que tu mérites ta place." Quoi qu’il ferait, on finirait toujours par le critiquer. Ils avaient déjà eu cette conversation, elle n’allait pas endosser le rôle de la tantine qui radote.

Ils avaient mieux à faire sur l’instant. Evie rit doucement, confrontée à la complicité qu’il y avait entre Marvin et Enola "Lui ne tarit pas d’éloges à ton sujet, mais je dis ça." Elle leva les mains devant elle pour se constituer prisonnière d’une faute qu’elle venait de commettre, celle d’asticoter un peu sa soeur sans en avoir l’air, alors qu’il paraissait évident que personne n’était là pour plaisanter ce soir. D’ailleurs, l’imminence de la montée de scène de Marvin pointa, et Evie s’enquit avec malice de l’état des nerfs de son neveu qu’elle regarda la tête penchée lorsqu’il lui rappela quel était son métier "C’est justement pour ça que je suis inquiète, tout ne doit plus être à sa place là-haut." Et son index vint tapoter sa tempe pour illustrer son propos, son nez se fronçant comme elle lui démontrait par son expression qu’elle ne faisait que plaisanter, bien sûr qu’elle ne faisait que plaisanter.
Lorsqu’il monta sur scène, Enola et Evie restèrent en bas à le regarder "Tu n’es pas obligée de dire tout ton discours ce soir. On va se contenter de marquer tes déplacements et de tester le micro." murmura Enola à sa soeur, son regard posé sur son fils qui lui en revanche se lançait dans la déclamation des mots rédigés par les scribes de Celie "Tu veux garder l’effet de surprise jusqu’à la fin, c’est ça ?" lui demanda l’organisatrice de mariage, échangeant un regard avec elle tandis qu’un léger sourire redessinait ses pommettes "C’est ça." lui répondit sa soeur, désignant son fils du menton pour que sa cadette se concentre sur lui.
La portée de ses mots, elle fit cligner des yeux à Evie tant elle prenait conscience du genre de souvenirs qui se soumettaient soudainement à elle. Enola dut le sentir puisque sa main se posa sur son épaule "Il a l’éloquence de papa. Ça m’a toujours beaucoup surprise, je pensais que c’était le genre de chose qui n’est réservée qu’aux descendants directs, et j’ai toujours pensé que c'était toi qui en avais hérité." Evelyn la regarda, ne sachant quoi lui répondre alors qu’elle continuait à écouter Marvin. Sans y penser sur le moment, elle se défit du contact de la main de sa soeur pour s’approcher du bord de scène et dire à son neveu qui la surplombait "Ne récite pas ton texte, sois plus naturel. Relâche tes épaules, t’es pas sur le terrain." lui dit-elle doucement parce qu’elle avait beau trouver les mots choisis par Celie bien écrits, ça se sentait que le tout ne sortait pas de la propre bouche de son neveu. Occuper brièvement le rôle de coach d’éloquence, ça lui permit surtout d’échapper à ses pensées et à ses souvenirs, et alors qu’il terminait son discours, elle abandonna pour de bons ses petites affaires pour rapidement le rejoindre sur scène et fausser compagnie à sa soeur qui posa sur eux un oeil attendrit "OK, avant de faire ce pourquoi je suis venue, on va revoir deux-trois choses, tu veux bien ?" Il était impensable à ses yeux qu’un hommage à son père soit récité sur un ton aussi robotique. Evie se plaça derrière le pupitre sur lequel Marvin avait posé son discours — discours qu’il avait entre les mains et qu’elle lui subtilisa pour lui demander, le glissant dans la poche arrière de son pantalon "Oublie ce que tu viens de lire, d’accord ? Qu’est-ce que toi tu penses de tout ça ?" Et par tout ça, elle désignait La Fondation. Mais pas uniquement. Evelyn reprit "T’as pas connu ton grand-père, c’est vrai, personne ne t’en voudras de te référer aux souvenirs qu’on a voulu partager avec toi… mais t’en tires quoi d’eux, quel genre de relation t’aurais aimé avoir avec lui s'il était en vie, qu’est-ce qu’il t’inspire ? Ne regarde pas ta mère, regarde-moi." lui fit-elle, faisant dévier son menton du bout de ses doigts le temps d’un instant pour qu’il continue à la regarder elle, et pas ceux qui avaient durant toute sa vie dicté ce qu’il devait dire.

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@Marvin Clemens-Pearson (crédit gif/ssoveia)

Elle savait, pour les hivers en Europe. Elle avait vécu quinze ans à Londres, elle avait eu le temps de s’acclimater au changement de saisons dans les règles de l’art, chose qu’elle avait mal supporté au début. Maintenant, c’était le contraire. Elle se languissait des longs hivers, des fois où il neigeait sans qu’on ne s’y attende. C’était différent en Australie, tout était différent en Australie, et ça ne partait pas d’un constat positif au demeurant, mais bien loin d’elle l’idée de s’épancher sur ses états d’âme. Marvin finirait pas s’y faire aussi, aux joies des particularités des pays dans lesquels il jouerait. Si ce n’était que ça qui le chagrinait, ce n’était pas si pire finalement.
Pas comme son discours qu’Evie trouvait trop impersonnel malgré la patte que Celie avait voulu y ajouter en avisant ses petites mains de l’écrire de façon à ce qu’on pense que ce soit Marvin qui avait passé du temps dessus. Ça n’était pas le cas, ça ne faisait pas illusion, et ça se sentait. Evelyn n’avait pas vraiment son mot à dire et pourtant, elle se risqua à prendre les choses en mains parce que les hommages qu’on faisait à son père, elle en avait assez qu’ils soient aussi dénués d’âme. Il méritait qu’on y mette du sien "T’en fais pas, on va arranger ça." Ce n’était pas que ce n’était pas bon, c’est que c’était trop téléphoné : un script qu’on lui avait remis entre les mains et qu’il fallait qu’il déclame en donnant l’impression qu’il pensait ce qu’il disait. Marvin était peut-être un bon joueur de rugby, il n’était pas un bon acteur, quand bien même il avait le physique pour faire chavirer les coeurs. Ce n’était pas possible pour Evelyn qui monta sur ses scènes, laissant sa soeur et ses émotions derrière elle pour coacher son neveu qu’elle regarda devenir nerveux.

"On a tout le temps." En fait, non, le temps leur était compté comme il y avait tant de choses à mettre en place, mais à ce stade, Evelyn ne s’en souciait pas. Du coin de l’oeil, elle vit Enola leur fausser compagnie pour les laisser tous les deux. Si Ester avait été présente, elle aurait sans doute fait tout son possible pour que Marvin échappe aux bonnes intentions d’Evie, mettant en exergue le culot qu’elle avait de vouloir régenter les choses quand chacun devait se plier à un cahier des charges précis, rédigés par leur mère. Mais Enola connaissait sa soeur, elle avait assez confiance en elle pour comprendre sans réfléchir davantage à ce qu’elle cherchait à faire, c’est pourquoi elle laissa son fils entre ses mains en ne doutant pas quant à la certitude qu’elle avait que ce qui ressortirait de ce petit aparté qu’ils avaient serait bon.
D’un regard, Evie encouragea Marvin à s’exprimer, et quand il reprit la parole, elle sortit son discours de la poche arrière de son pantalon et demanda à l’assemblée qu’on lui apporte un stylo ; en l’espace d’une seconde, on lui en tendit un qu’elle vint cueillir en s’inclinant brièvement au bord de la scène. Maintenant cette position, accroupie près du pupitre, elle fixa son neveu avant de se relever pour pouvoir rédiger, de son écriture élégante et soignée, les quelques mots qu’il lui disait — et qui la touchèrent, tant est si bien que marquant une pause, elle le pointa avec le bout de son stylo "T’as totalement raison sur l’idée qu’il n’aurait jamais cherché à faire de toi quelqu'un qui lui ressemble, qu’il aurait apprécié que vous soyez différents. Je ne parle pas uniquement de ton jeu, je parle aussi de l’homme que tu es. Je sais ce que ça signifie pour toi de vouloir lui ressembler, mais on gagne plus à vouloir se différencier de nos aînés. Sois toi-même, c’est ce qu’il t’aurait conseillé de faire." lui confirma-t-elle sans ciller, sûre de sa rhétorique pour la déverser sans craindre de se tromper tandis qu’elle terminait de retranscrire les mots de son neveu sur l’arrière du discours qu’on lui avait donné à réciter.
Il n’en aurait plus besoin, ils étaient en train d’en écrire un nouveau dont les mots s’enchainèrent de la bouche de Marvin qu’Evie regarda de nouveau, son coude trouvant le bord du pupitre, ses sourcils se fronçant pour mieux se concentrer sur ses propres émotions qu’elle sentit se bousculer lorsqu’il sonna le glas de l’injustice relative au décès prématuré de Kai. Les mâchoires d’Evelyn se carrèrent, sa gorge se serra en même temps, et un sourire de composition remonta ses pommettes quand, relevant enfin la tête après s’être précipitée pour écrire les derniers mots de son neveu histoire de conserver une bonne composition, elle lui dit "Je sais que c’est parler au nom de quelqu’un qui n’est plus là, et que c’est quelque chose qu'on fait assez dans la famille pour que ça ne veuille plus dire grand-chose finalement, mais je suis sûre qu'il aurait été très fier de toi — et tu vois, c’était pas si terrible que ça. Tu vas réussir à tirer des larmes à toute la cantonade en plus de ça, ça va beaucoup plaire à ta grand-mère." lui assura-t-elle pour la forme, sentant les siennes, de larmes gonfler au raz de ses cils qu’elle battit lorsqu’elle détourna les yeux pour de nouveau les poser sur la feuille de papier qu’elle venait de noircir des mots de son neveu.