Il l’a prévenue. Il lui a dit, qu’il ne voulait pas parler, qu’il ne voulait voir personne, qu’il n’allait certainement pas faire la moindre blague pour détendre l’atmosphère non plus. Elle sait à quoi s’attendre, Mabel, à commencer par le fait qu’elle le connaît un minimum pour deviner quelle est son attitude de l’instant. Elle ne peut que le deviner, parce qu’à Londres ils côtoyaient les sommets et qu’il n’y a rien de comparable avec ce qu’est la vie du Hartfield en cet instant bien présent, mais il a aussi connu quelques bas. Il ne faut que les multiplier par mille deux ou trois fois, et cela donne une idée de son état actuel, alors qu’il a l’impression d’avoir tout perdu et, surtout, qu’il n’a pas la moindre envie de se donner une chance de réussir. Être au bout du rouleau, c’est finalement pas si pire. Au moins, il se dit qu’il ne peut pas tomber plus bas encore, et cela a quelque chose de rassurant, malgré tout.

Il a une barbe de trois jours qui s’appelle “trois” uniquement pour l’expression, alors qu’elle a en réalité une semaine. Son haleine sent la bière, qu’il n’a pas fait l’effort de choisir sans alcool. Il se nourrit de chips, parce que c’est pas si pire et parce que sa mère ne risque pas de débarquer sans prévenir. Dans son esprit paranoïaque, Evelyn l’a déjà plaqué, parce qu’elle n’aurait aucune raison de rester avec un homme qui a voulu en tuer un autre sous ses yeux et qui maintenant n’a plus rien, pas même un seul travail sur les deux qu’il avait. “Je pensais que tu serais occupé, les dernières semaines avant les fêtes.” Il commente en lui ouvrant la porte, lui offrant à peine un regard, ses yeux bleus cachés derrière ses cernes - il n’a pourtant que ça à faire, de dormir toute la journée. Son analyse de la situation ne se base sur rien de concret, il se contente de penser qu’elle a sûrement beaucoup de choses à boucler pour pouvoir s’offrir quelques jours de congés, fêtes obligent et présence de sa jeune fille avec. “Tu perds ton temps, tu sais. J’ai jamais été doué pour jouer au patient modèle du psy.” Parce qu’il n’a jamais été chez un psychologue, à commencer par là, et parce qu’il n’a jamais non plus eu le genre de caractère faisant des confessions et des aveux quelque chose de facile à annoncer. Ses failles, il les garde pour lui, et surtout il travaille sur la façon dont il peut les cacher pour ne jamais s’en retrouver affaibli. Le plan a été le même pendant quarante ans, il ne connaît de failles qu’en cet instant, justement, alors qu’il y a trop de trous à colmater pour que cela soit humainement réalisable. Fichu pour fichu, il peut encore accepter les questions sûrement trop curieuses de Mabel. Elle l’aurait tué, s’il avait chu quand ils étaient encore ensemble.

Mabel ne faisait pas partie de ces personnes qu’il s’imaginait vouloir passer le pas de la porte de son appartement pour venir prendre de ses nouvelles. A vrai dire, ce n’est pas qu’il pensait qu’elle n’oserait pas, mais bien qu’elle n’en aurait simplement rien à faire. Et il ne lui en voulait pas, Rhett, parce qu’il a fini par accepter qui elle est, et que tout a été rendu bien plus facile depuis qu’ils ne sont plus un couple et qu’accepter la vérité n’a plus de conséquences sur sa propre vie. Elle ne l’a jamais estimé au point où l’inverse a pu être possible, un temps, et il le sait, maintenant. « Tu sais, ça m'inquiéterait encore plus si tu t'étais empressé de me parler de tous tes problèmes » Elle est tranchante et incisive, il s’amuse en retour de son éternelle même répartie. “On l’a échappé belle.” Il reprend à son tour, avec l’ironie inhérente à son amertume. Elle n’a rien à craindre: il n’est certainement pas prêt de se confier à Mabel d’une façon ou d’une autre, même si elle est l’une de ses rares proches qui sait parfaitement ce à quoi une ressemble une vie sous le feu des projecteurs et surtout sous leur jugement.

« T'arrives à survivre ? »
“Comme tu le vois.”

Il est touché par sa sollicitude, sincèrement. Elle est rare au point où il la chérit véritablement, mais il n’est pas mature au point de prendre sur lui et être capable de canaliser ses émotions pour les transformer en mots. Il ne sait pas faire, il n’a jamais véritablement essayé, et il jure qu’il n’en a jamais eu besoin non plus. Ce moment de vie ne fait pas exception, tout finira par s’arranger. Une fois la tempête médiatique passée et une fois son livre publié, Rhett a à cœur de croire que les choses s’arrangeront. « Il s'est passé quoi pour que t'en arrives là ? » Il secoue la tête, déjà incapable lui-même de pleinement se remémorer l’escalade de sa chute. Tout ce qu’il sait, c’est qu’un jour il avait tout, et que le second il se retrouve dans cet appartement sans rien, ni même espoir. “Les journalistes ont fait le tour du pourquoi, du comment, et des conséquences.” Bientôt, ils sauront que Rhett se laisse aller, sans nul doute. Ce n’est qu’une maigre question de temps avant que l’information ne fuite ou que des photos soient prises. Il connaît la mélodie, elle n’a jamais changé. “Qu’est-ce que tu veux savoir exactement, Mabe ?” Il n’essayera pas de lui mentir, il ne lui cachera rien non plus si elle fait une demande précise. Une fois encore, il n’est plus à ça près, et bien qu’il ne soit pas certain d’accorder toute sa confiance à Mabel, il se doute au moins qu’elle n’ira pas parler au premier venu. “J’aurais voulu qu’on se revoit dans d’autres circonstances.” Et dans son langage à lui, cela signifie qu’il se rend bien compte qu’elle fait des efforts en venant ainsi le voir jusqu’à chez lui et qu’il l’apprécie, sans être pour autant capable de le dire aussi simplement.

« Je croyais que tu avais arrêté tout ça et que t'étais sobre »
“Je le suis.”

Il ne parle même pas au passé, Rhett, et il affirme même les choses: il est sobre, il le jure. Ce n’est pas parce qu’il boit quelques bières que cela fait aussitôt de lui un alcoolique, il y a une juste mesure à tout et il jure qu’il la retrouvera très bientôt, quand le pic de la crise sera passé. Et quand bien même elle parlerait finalement de la drogue, il est d’autant plus convaincu de la chose: il n’est pas accro, il n’est pas un toxico non plus. Il en prend pour gérer sa douleur, pas pour n’importe quelle autre connerie qui font tomber bon nombre de jeunes. « Pourquoi t'as rechuté ? » Il balance sa tête de droite à gauche tout en soufflant longuement. “J’ai pas rechuté, Mabe, tu dramatises.” Il nie fermement ce qu’elle considère de son côté comme une évidence, parce qu’il estime qu’elle ne se base que sur ce que les journaux ont voulu écrire pour se faire vendre autant que possible. Ils ont été dramatiques, ils le sont toujours, et surtout ils ne sont jamais proches d’une once de vérité. “Le test a simplement été fait au mauvais moment, et tout le monde en tire des conclusions.” Tout le monde le prend pour un junkie, voilà le genre de conclusion qui en a été tiré.

« C'est rare qu'on se voit dans de bonnes circonstances, Rhett. Je dirai que ça fait partie du charme de notre étrange relation. C'est jamais le bon moment, et on dit pas toujours les bonnes choses, mais on est quand même là pour l'autre. » Il voudrait en rire, il voudrait même sourire suite à cette remarque mais il ne sait rien faire de toute cela, si ce n’est retrouver sa place sur le coin du canapé tout en espérant que cela aidera à rendre leur discussion un peu moins difficile. Bien qu’il n’y ait pas le moindre rapport de cause à effet, il continue pourtant d’y croire, comme les enfants croient au Père Noël. "Ça va au moins pouvoir te conforter dans l’idée que rompre avec moi était effectivement la meilleure chose à faire.” Il reprend avec une certaine ironie, sans pour autant exactement se souvenir qui de elle ou de lui a jugé être une bonne idée que de se séparer. Chacun le pensait, sans doute. « Je sais que j'ai pas toujours été la meilleure personne pour toi, mais j'aime pas te voir souffrir. Et j'ai pas envie de te voir sombrer. Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider ! » C’est sans doute ironique de sa part, à son tour, pour la personne qui l’a rendu terriblement malheureux pendant des années, à lui faire miroiter une relation qui n’existait que dans ses rêves. Ils n’étaient jamais là l’un pour l’autre, et bien que ce ne soit pas une chose dont il est fier, Rhett craint que cela ne soit pas voué à changer non plus. “Tu peux rien faire. Les médias vont finir par s’en lasser et tout le monde va passer à autre chose.” Dans bien trop longtemps à son goût, bien sûr, mais cela finira au moins par arriver, et c’est tout ce à quoi il se raccroche. “Et à ce moment là, j’aviserai. Je sais pas quoi, je sais pas comment, mais je me débrouillerai.” Sa réputation est réduite à néant, maintenant, mais il trouvera toujours le moyen de se relever, parce qu’une autre alternative n’est pas envisageable. “C’est juste… Evelyn est à l’hôpital pour deux semaines encore. J’arriverai mieux à réfléchir quand elle sera là.” Elle n’a pas à savoir que sa famille lui a imposé l’aile psychiatrique, elle n’a pas à savoir qu’il se sent stupide à laisser son avenir reposer sur la présence d’une seule personne à ses côtés. Il sait pourtant qu’il n’a pas les mots les plus délicats, à ainsi dire à Mabel qu’elle n’est pas la personne qu’il veut voir, mais il fait ce qu’il peut pour concilier aveux et vérité, sans trop faire de mal à ceux qu’il aime par la même occasion.

« Le test qui est revenu positif alors que t'es sensé ne rien prendre a été fait au mauvais moment ? »
“T’es venue pour me casser les couilles ?”

Il n’y a plus vraiment de filtre, et certainement pas une once de patience en Rhett. Il ne lui a pas ouvert la porte pour qu’elle joue à l’interrogatoire, et il l’accueille encore moins sous son toit pour qu’elle lui statue des évidences de la sorte, dont même lui a conscience ; malgré lui. Elle sait très bien qu’elle a raison, et c’est justement pour ça qu’il déteste d’autant plus les mots de la jeune femme: il a non seulement dépassé la limite légale pour l’Oxy, mais il l’a surtout couplé à d’autres cachets qui, eux, n’ont absolument rien de légaux. Il était fichu dans tous les cas, voilà ce que la situation dit réellement. Mabel veut aider, il le sait, ou tout du moins il l’espère, mais ce n’est pas une impression suffisante pour faire de lui un animal docile, surtout pas dans les conditions actuelles. « C'est toi qui a rompu » C’est du pareil au même. Il l’a fait parce qu’elle faisait tout pour mettre à mal ce qu’il restait de leur couple. « Mais bizarrement, ça m'a été bénéfique. » Comme ajouter de telles remarques par exemple, oui. “Heureux pour toi.” Il renchérit, toujours aussi amer d’une époque de sa vie qu’il n’arrive pas à qualifier correctement, ni même qualifier tout court. Les nœuds sont encore présents.

« Toi et moi, on sait que les médias ne lâchent pas les histoires qu'ils jugent intéressantes. Et voir quelqu'un en haut d'un précipice prêt à tomber, c'est du pain béni pour eux. » Il sait, oui. Elle le sait mieux que lui, il en est conscient, mais pour avoir déjà chuté de haut à plusieurs reprises, il sait quelle douleur représente une telle chute suivie d’un acharnement médiatique sans pareil. Ce n’est jamais une chose à laquelle une personne peut être préparée, même en l’ayant déjà vécu, et il s’en rend d’autant plus compte en cet instant: il n’arrive pas à anticiper quoi que ce soit, même alors qu’il sait qu’ils voudront ronger jusqu’à la dernière part de graisse sur ses os. “C’est pas pour autant que ça rend les choses plus faciles. Le fait de savoir. On craint un peu plus encore ce qu’il va arriver.” Et ils craignent d’avoir raison quand ils pensent que les journalistes seornt prêts à tout pour arriver à leurs fins, parce que cela finit toujours par être le cas. Ils sont prêts à tout. « Evelyn, c'est ta nouvelle copine ? » La transition l’étonne et il ne cherche pas à le cacher, son regard retrouvant rapidement celui de Mabel, plus suspicieux que jamais. “Oui.” Il se contente déjà de répondre dans un premier temps, son regard toujours relevé en direction de la jeune femme. Comme si elle pouvait ignorer le nom de la personne avec qui il est, elle-même une personnalité publique. “Pourquoi ?” Elle aurait pu ne pas l’être, et il veut savoir si cela changerait quoi que ce soit à la situation. « J'imagine que c'est compliqué de vivre tout ça sans elle. » Il se déteste, Rhett, de ne jamais savoir si elle use d’ironie ou si elle est fondametalement avenante et gentille. Il déteste ne pas arriver à lire en elle et, surtout, il déteste lier ceux qu’il aime à cette histoire, eux qui deviennent des instruments du destin sans même le savoir. Bien sûr que c’est compliqué de vivre tout ça sans elle et bien sûr que non, il n’osera jamais le dire tel quel, et encore moins face à Mabel.

« Y a pas des trucs que tu peux faire pour te poser et réfléchir ? Ou juste l'appeler pour qu'elle t'aide à faire du tri ? » Sa tête bascule de gauche à droite. La famille d’Evie bloque ses appels, elle est forcée à rester dans son coin de l’hôpital sans jamais voir personne, ou tout du moins pas Rhett. “Elle n’y est pour rien, et elle n’aurait pas réponse à tout non plus.” Ni elle, ni personne. Rhett s’est mis dans cette merde tout seul, il le sait bien, et cela signifie aussi que personne ne pourrait l’en faire réchapper aussi facilement. “Il n’y a plus rien à faire une fois la machine médiatique lancée. Encore moins alors qu’ils ont des preuves et une imagination débordante, de ce que j’en vois.” Ils insinuent tous que ses compétences sur le terrain n’étaient finalement qu’artificielles, et c’est sûrement ce qui a le don de le blesser le plus autant que de mettre à mal son précieux ego. “Je sais pas comment tu fais pour passer à travers les mailles du filet.” De l’encre a coulé à son sujet, oui, mais à ses yeux il n’y a rien de comparable face à ce qu’il vit lui, et c’est finalement tout ce qui compte dans l’esprit d’un homme où “moins” signifie “absence”.

« Savoir ce qui arrive, ça peut aussi permettre de se préparer un peu mieux que quelqu'un qui vit ça pour la première fois. T'as quelqu'un pour t'épauler ? Et te conseiller sur ce que tu dois dire et surtout ne pas dire ? » Il souffle, pose ses deux mains contre ses tempes, et joue parfaitement l’enfant rebelle. Les mots de Mabel sont clairs et évidents: ils coulent de source. Bien sûr qu’il gagnerait à être moins buté et à ne serait-ce accepter d’attraper les mains tendues sur son passage, tout comme il gagnerait à se confier un minimum à ceux qui l’aiment. Pour autant, ce sont des efforts qu’il a encore beaucoup de mal à faire, même du haut de ses quarante ans fraîchement fêtés. “Je parle pas aux médias. Pas de problème, comme ça.” Il élude surtout la question pour répondre que non, il n’a personne pour l’épauler ou le conseiller ou sur quoi dire, et ce uniquement parce qu’il repousse quiconque oserait le faire. Il ne veut pas être aidé, et il se dit simplement qu’en refusant les sollicitations des journalistes, alors les choses finiront par s’apaiser d’elles-même. C’est utopiste, et c’est surtout naïf.

« Elle pourrait t'aider à faire le tri dans tes pensées ? Ou à juger ta défense ? » Elle pourrait, et elle serait même particulièrement douée pour le faire. Elle a l’expérience médiatique et surtout la justesse de mots qui manque cruellement à Rhett, ce qui ferait de sa petite-amie l’alliée personne. Si seulement, justement, il la laissait en être une. “Oui, et oui. Mais non, je n’impliquerai pas Evie dans tout ça. Son image est déjà impactée par mes conneries, je laisserai pas les choses aller plus loin.” Sa famille ne lui pardonnerait jamais de se retrouver entachée à cause d’un homme et lui non plus, à vrai dire, ne se le pardonnerait jamais. “Elle est la fille d’une légende du rugby. Elle connaît le milieu.” Il ne précise pas même le nom de Kai, certain que cela n’évoquera rien pour Mabel. Mais il souhaite quand même le lui dire, parce que c’est sa façon à lui de lui présenter Evelyn et de lui faire comprendre qu’elle est une bonne personne pour lui, le genre que Mabel et Rhett n’ont jamais su être, malgré quelques tentatives maladroites. “Et ma défense, sérieusement ? Ce sont ces mêmes connards qui envoient leur assistant acheter leur poudre, j’ai pas à me défendre devant eux.” Il jure être bien plus clean qui n’importe qui, et sa position ne risque pas de bouger, peu importe ce qu’en disent les résultats de certains tests réalisés en laboratoire.

Sa colère étant incapable de redescendre, Mabel en fait finalement les frais lorsqu’il lui jette la pierre à son tour, pourtant déjà bien conscient qu’elle n’a rien à faire dans toute cette histoire, et encore moins à se reprocher. Il le sait, tout comme il sait à quel point il peut parfois se montrer injuste, sans pour autant être capable d’inverser la tendance. “C’est vrai. Pardon.” Il s’excuse brièvement, tout en pensant ce qu’il dit. Elle a été élevée comme une enfant star, ce qui va avec ses points positifs, et surtout la ribambelle de négatifs. « Faut assumer ses actions, et ne pas leur montrer ce qui te blesse. Et apprendre à rire avec eux même quand ils essayent de te détruire. » - “Tu me récites des paroles d’une comédie romantique à la con là ou quoi ?” Parce que honnêtement, ça en a tout l’air. Ça, ou un dessin animé destiné, évidemment, à un public jeune et influençable. Rhett n’est ni l’un ni l’autre, et il est surtout incroyablement obstiné. Il ne fera ni l’un ni l’autre, parce qu’il estime qu’il n’y a rien qu’il devrait assumer, et il a certainement encore moins envie de rire de ce qui lui arrive. “Peu importe. Tu n’y trouveras pas de solution.” Et lui, il a déjà atteint la fin de sa patience, décrétant ne plus vouloir en parler. “Tu veux rester manger, quand même ?” Il ne propose pas une très bonne compagnie, sûrement même pas une bonne cuisine, mais il jure au moins qu’il peut faire illusion et ne pas parler de sa vie qui trouve toujours le moyen d’aller un peu plus mal à chaque jour qui passe.

« Que ce soit elle ou quelqu'un d'autre... Tu as besoin de quelqu'un pour t'aider à faire entendre ta version des faits, et éviter que tu te fasses traîner dans la boue pour tout et rien. » Il voudrait lui dire qu’elle lui casse les couilles, mais le problème c’est qu’il le lui a déjà dit. Il sait très bien qu’elle vise juste, tout comme il se doute qu’elle souhaite pour une fois son bien sans être intéressée, mais ce n’est pas pour autant qu’il arrivera à passer outre quarante ans d’un sacré caractère de merde et d’une envie d’indépendance plus forte que celle de s’en sortir en acceptant les mains tendues. “Je sais comment je vais m’y prendre, t’en fais pas.” Rhett se contente d’ajouter, n’ayant aucunement l’intention d’accepter l’aide de ses proches. Il se raccroche à l’idée que sa biographie sortira au parfait moment pour le sauver ; et il se raccroche d’autant plus à cette idée parce qu’elle est la seule qu’il ait, son seul espoir aussi.

Tout ce qu’il veut, au fond, c’est prétendre qu’il n’existe pas le moindre problème. Pour cela, il estime qu’il n’y a finalement rien de plus logique que d’inviter Mabel à rester un peu plus et, surtout, à manger. Ce n’était pas arrivé depuis des années ; et à bien y repenser, il doute que cela se soit déjà produit en dehors des limites de leur couple, à l’époque. Et puisqu’elle accepte l’invitation sans se faire prier, il souffle quelque peu par pur soulagement. Sans vouloir te vexer, je suis content que tu sois venue sans elle. Parce qu’il ne lui aurait sans doute pas proposé de rester si elle avait été accompagnée de sa fille, par exemple. Non parce qu’il a la moindre idée derrière la tête, mais bien parce qu’il n’y a pas eu le moindre miracle quant à son incapacité à apprécier les jeunes têtes blondes. Il préfère encore l’idée d’avoir un animal de compagnie: ça aussi, ça tente de communiquer et ça grimpe partout, sauf qu’au moins ne vient pas un âge où il demande cinquante dollars pour sortir en ville avec ses amis.

« Ruben a eu son bébé d'ailleurs ? » Son regard remonte aussitôt dans celui de Mabel, comme si elle venait d’insulter sa famille toute entière. Il sait bien qu’elle pose la question uniquement parce que personne ne l’a tenue informée, mais à ses yeux c’est une histoire enterrée depuis longtemps déjà, et il n’était pas préparé à ce qu’elle en parle à nouveau. Encore moins avec un air aussi joyeux. “Nina a perdu le bébé.” Il se contente de dire avec sobriété, n’hésitant pas un seul instant à laisser la faute reposer sur Nina, parce qu’elle est loin de s’être contentée de perdre le bébé. “On va parler de la pluie et du beau temps, ok ? C’est déjà un bon début.” Il n’en parlera pas outre mesure, parce que c’est la vie de son frère avant d’être la sienne, et il espère que Mabel le comprendra aussi simplement. Tout ce qu’il veut, c’est passer un peu de temps avec elle sans qu’il n’y ait d’accrocs, et c’est bien plus simple à dire qu’à mettre en place.