Ce n’est pas possible. Voilà tout ce que je me répète en boucle, encore et encore. Ce n’est tout simplement pas possible. Il n’y a pas à être spécialiste en la matière pour le savoir: Ginny ne peut pas disparaître. Elle ne peut pas simplement devenir un fantôme, du jour au lendemain. Cela n’a pas même été le cas après notre dernière dispute, qui fait aussi office de discussion. Il n’y a donc aucune raison pour que ce le soit maintenant, alors que j’ai toujours gardé mes distances avec elle et que je n’ai pas cherché à lui demander quoi que ce soit, pas même à faire au moins semblant de toujours être un couple marié. Je porte toujours mon alliance, sauf lorsque James retrouve mes côtés. Je ne suis pas un bon mari, le monde entier le sait déjà, mais je fais au mieux pour ne pas être le pire. Il y a sans doute une erreur ; elle a peut-être un problème avec son téléphone, elle est peut-être partie voir une exposition ou une autre et a oublié de prévenir. Peut-être que le Japon lui manque, peut-être qu’elle a voulu retrouver un autre pays. Une décision prise au dernier moment, un forfait téléphone qui ne fonctionne pas dans le pays en question ? Il en existe des dizaines de milliers, des raisons à la con pour expliquer son silence. Mais en réalité, il n’en existe aucune qui explique pourquoi elle ne me répond pas quand je lui parle de Sloan, pourquoi elle ne dit toujours rien quand je lui dis qu’il a envie de lui raconter sa journée (à son niveau, disons) et qu’il veut surtout entendre la voix de sa maman. Elle aurait pu vouloir prendre les distances avec moi, elle en aurait toutes les raisons du monde, mais jamais elle n’aurait osé traiter Sloan de la même façon. Nous ne nous le sommes promis: il ne subira pas les conséquences des décisions et des discussions d’adultes, pas même celles de leurs parents.

“Beauregard, ouvre.” S’il y a une seule personne à qui elle pourrait répondre, encore, c’est bien lui. Non lui parce qu’elle le tient en quelconque estime (oh si, bien sûr que c’est le cas, mais bien sûr que non je ne veux pas en parler) mais bien parce qu’il est aussi le père de son fils, d’un Noah qui est en âge de se demander pourquoi sa mère ne lui donne pas de nouvelles et pourquoi personne n’en a. Il est en âge de s’inquiéter, et Ezra de le faire à son tour, sans que même moi je puisse juger que cela soit exagéré. Il y a matière à, cette fois-ci, même si j’aimerais statuer le contraire. “C’est… C’est au sujet de Ginny.” On ne parle pas d’elle ; on n’en parle jamais. Ma voix ne tremble jamais, elle ne porte pas la moindre once de doute non plus. Sauf aujourd’hui, sauf maintenant alors que ma langue passe nerveusement sur mes dents, encore et encore, ne serait-ce pour me trouver une maigre occupation d’ici à ce qu’il ouvre la porte.

Mon regard se pose aussitôt dans le sien à la seconde où la porte bouge et je me fige à la même seconde, comme si j’avais soudainement perdu tout don de parole. Je scrute ses yeux, comme s’ils portaient la moindre réponse, mais peut-être que je ne suis toujours pas capable de traduire ce qu’ils disent. “Quand est-ce que tu lui as parlé pour la dernière fois ?” Je demande alors, incisif, ne voulant pas déjà statuer mon trouble et encore moins mes peurs. Ce n’est pas possible.

running on a wire

@auden williams

(c) harley

***
« Mais papaaaaaaaaa ! » Un sourcil était toujours haussé sur le visage d’Ezra, alors qu’il croisait les bras en regardant un Noah qui entrait très clairement dans une phase de vie où la rébellion n’était pas loin. Un gamin de douze ans, presque treize, qui avait fait sa première année au collège et qui s’était, semblerait-il, habitué à avoir un peu trop de liberté par rapport à ce que son père était prêt à lui laisser pendant ses vacances chez lui. « Tous mes copains d’ici y vont et restent dormir là bas ! » Il fallait avouer qu’il savait y faire aussi, le bougre: il avait toujours parfaitement su qu’en insistant un peu, il pouvait manipuler son père comme il le voulait; il fallait seulement un peu de patience et un ou deux arguments bien placés. « Je les ai pas vu depuis les vacances d’hiver. » - « Et c’est du camping dans le jardin de chez Liam, c’est ça ? » Il avait déjà capitulé, la question qu’il posait l’indiquait sans qu’il n’y ait besoin de sous-titres, le sourire sur le visage de Noah se faisait déjà voir - et la discussion aurait continué si la sonnette de la porte d’entrée ne s’était pas mise à retentir dans la maison, tirant un soupire de désespoir à Ezra qui savait pertinemment qu’il venait de perdre la bataille. « Je vais voir qui est à la porte et après j’appelle les parents chez qui ça se passe, je te préviens ! » - « Oui oui ! » Il était déjà en train de mettre son maillot de bain dans son sac à dos alors que son père n’avait même pas passé le pas de sa chambre.

« Beauregard, ouvre. » S’il avait existé un instant où Ezra avait été heureux de savoir que quelqu’un l’attendait de l’autre côté de la porte afin d’échapper à cette discussion face à son fils qu’il était lamentablement en train de perdre, le fait d’entendre qu’il s’agissait d’Auden le fit lever les yeux au ciel alors qu’il n’avait même pas terminé de descendre l’escaliers. Pour quelle raison venait-il pourrir sa journée cette fois-ci, l’italien - il était l’expert pour trouver des excuses toujours plus extravagantes les unes que les autres. Comme se faire tirer une balle dans le pied et pas être en mesure de prendre soin de son fils, par exemple; qui vivait un quotidien comme ça bon Dieu. « C’est… C’est au sujet de Ginny. » En revanche, le ton apporté aux paroles qui se firent entendre en seconde partie d’introduction, c’était nouveau. Même: c’était inédit et improbable. Assez pour que le Beauregard en question parcoure les quelques mètres restants jusque la porte et ouvre cette dernière sans trop tarder à la suite. Ce fut tout de même avec un air surpris, les sourcils quelque peu froncés, qu’il fit face à Auden. « Au sujet de Ginny ? » Entre eux, les formules de politesse avaient été jetées aux ordures depuis bien longtemps et l’amabilité n’avait jamais vraiment été de mise. Alors enchainer la discussion comme si elle était déjà commencée depuis bien des minutes, ce n’était là qu’une habitude.

Ezra ne pouvait nier quelque-chose en revanche, maintenant qu’il avait Williams sous les yeux et que ceux de ce dernier sondaient les siens: quelque-chose était étrange. Déjà, parce-que jamais il ne l’avait regardé autrement qu’avec de la condescendance dans le fond du regard, mais également parce-que Auden semblait vraiment attendre quelque-chose de lui. Ce n’était pas dans ses habitudes, lui qui se passait bien de la présence du mécanicien dans une grande partie de sa vie. « Quand est-ce que tu lui as parlé pour la dernière fois ? » Il n’était pas très futé, mais il comprit directement que ce n’était pas une question classique ni sur laquelle il pourrait jouer sur l’humour. S’il n’y avait pas cette ambiance s’installant déjà entre eux, alors que cela ne faisait qu’une poignée de dizaines de secondes qu’ils se toisaient, Ezra se serait permis de faire une remarque comme quoi il pouvait côtoyer Ginny comme bon lui semblait et que cela ne regardait en rien Auden. Il ne choisit pas cette voie là, pas aujourd’hui. « Y’a trois jours, quand j’ai récupéré Noah à l’aéroport. Il a fait un FaceTime rapide avec sa mère dans la voiture sur le chemin retour de l’aéroport. » Une seconde, et quelques unes de plus s’associèrent à cette dernière par la suite, et ce fut le seul laps de temps qu’Ezra laissa de libre. « Faut que je te demande pourquoi ou c’est la suite de ton arrivée en trombe ici ? » Parce-que c’était bien beau de se pointer chez lui avec un regard perturbant comme ça, un sujet sérieux comme Ginny et une question qui voulait tout et rien dire, mais il fallait s’exprimer un peu plus par la suite s’il ne voulait pas s’en prendre une gratuitement de la part d’un Ezra qui n’était jamais d’humeur à montrer la moindre patience à son égard.

« Au sujet de Ginny ? » Il se fait sourd avec l’âge, peut-être ? Prononcer son prénom une première fois était déjà bien assez douloureux, je n’ai aucune intention de réitérer l’expérience. Il a très bien entendu, il ne fait que gagner du temps, parce que le sujet n’en est pas plus facile à aborder pour lui qu’il l’est aujourd’hui pour moi. Elle n’est plus ici, que ce soit pour lui ou Noah, ou Sloan ou moi. Je ne viens pas pour lui faire la discussion, je viens parce que je n’ai aucun autre choix qui s’offre à moi et que rester les bras croisés m’est impossible. Et puisqu’il ne parle pas davantage - tant mieux -, je me dévoue volontiers pour le faire à sa place et, surtout, en venir droit aux faits. « Y’a trois jours, quand j’ai récupéré Noah à l’aéroport. Il a fait un FaceTime rapide avec sa mère dans la voiture sur le chemin retour de l’aéroport. » Trois jours ne serait pas une réponse inquiétante pour qui que ce soit. Elle le devient quand, de mon côté aussi, je n’ai rien entendu d’elle depuis autant de temps. Et si nous savons tous les deux qu’elle n’est pas du genre à rester accrochée à son téléphone, chacun sait qu’elle prend au sérieux les appels et messages dès lors qu’ils ont rapport à ceux qu’elle aime et apprécie. Particulièrement ses deux fils, donc. “Elle lui a dit quelque chose en particulier ?” C’est un putain de jeu d’enquête, et je déteste ça. Je déteste d’autant plus ça que cela n’a justement rien d’un jeu, et tout de bien trop réel.

« Faut que je te demande pourquoi ou c’est la suite de ton arrivée en trombe ici ? » Dans d’autres circonstances, j’aurais commencé mon explication en lui disant que je ne suis pas arrivé en trombes et qu’il en fait des tonnes. Pour l’heure, cependant, ce n’est pas ma priorité. Je m’en contrefous, en réalité, et je suis le premier à me rendre compte qu’il y a plus important à gérer. “J’ai pas de nouvelles depuis trois jours aussi.” J’ajoute donc, grave, prenant sur moi pour ne pas me rappeler à quel point je peux détester Beauregard. “Je lui ai envoyé des messages pour savoir quand est-ce qu’elle récupérera Sloan pour les fêtes.” Parce que tout ce dont nous parlons, c’est de lui, et je doute que ce soit un secret ou même une surprise pour Ezra. Il n’y a pas de plus amples explications à donner là dessus. Il sait que je n’empêche pas Sloan de voir sa mère, loin de là, et si je suis le premier à refuser de le laisser entre les mains d’inconnus, je n’ai pas cet instinct en ce qui concerne Ginny. Elle aurait pu demander à le regarder durant toute la période des fêtes que je me serais contenté de lui réserver son billet d’avion. Pour autant, il n’en est rien. “Et j’ai jamais eu de réponses.” Ça parait précipité, ça paraît dramatique, et pourtant je veux croire que s’il y a une personne en ce monde qui pourrait comprendre la certaine inquiétude qui est la mienne, c’est lui. “Tu peux essayer de l’appeler ? Juste pour être sûr que tout va bien.” Peut-être qu’elle ne veut pas me parler pour l’heure et, finalement, je le comprendrais. Sloan ne peut pas faire de miracles entre nous.

running on a wire

@auden williams

(c) harley

***
« Elle lui a dit quelque chose en particulier ? » Les sourcils sur le visage d’Ezra ne sauraient faire autrement que de se froncer de plus en plus au fil des secondes qui s’écoulaient, parce-que l’ambiance qui s’y associait n’était pas en train de s’améliorer. Et parce-que deux questions d’affilé qu’Auden lui adressait sans y insérer une insulte, c’était toujours louche. « Non, rien de spécial. Simplement qu’elle me redirait quand elle viendrait pour les fêtes, parce-qu’elle était pas encore sure. » Parce-que du boulot, parce-qu’en réalité Ezra n’avait pas réellement la moindre idée de pourquoi elle ne pouvait pas venir de suite mais il savait qu’elle était retenue un peu plus longtemps que prévu à Sydney et que c’était pour cette raison là que Noah avait pris un vol seul un peu plus tôt - il était grand maintenant, et avait déjà fait le trajet plus d’une fois, il n’avait plus réellement besoin que ses parents soient à ses côtés.

Mais ce n’était pas sur les allées et venues de son fils que Beauregard voulait se concentrer pour le moment, mais la raison qui avait poussé Auden à venir jusque chez lui, à frapper à sa porte, et à se montrer presque aimable avec lui. Car dans son regard, il voyait que quelque-chose ne tournait pas rond. « J’ai pas de nouvelles depuis trois jours aussi. » - « D’accord ? » Parce-qu’il n’était pas là pour réceptionner les états d’âme du peintre torturé qu’il pouvait prétendre être, surtout lorsqu’il s’agissait de Ginny; leurs points de vue divergeaient de trop pour réussir à s’ajuster sur la question. Et sans Sloan au milieu de tout ça, il se serait déjà permis de faire un commentaire comme quoi il n’avait de toutes façons pas besoin d’avoir de ses nouvelles. Pour le moment surtout, il voyait sa patience s’affiner au fil des maigres minutes déjà écoulées, car c’était dans ses tripes qu’il ressentait que quelque-chose se passait avant même d’avoir le moindre soupçon de confirmation par Auden. « Je lui ai envoyé des messages pour savoir quand est-ce qu’elle récupérera Sloan pour les fêtes. » - « D’accord, et donc ? » Avait-il besoin d’un coup de main pour accoucher ou saurait-il le faire seul comme un grand ? « Et j’ai jamais eu de réponses. » Même s’il s’était douté que c’était vers cette réponse là que s’en allait le discours de Williams, ce n’était pas pour autant finalement qu’il était heureux de l’entendre. Ce n’était pas une bonne chose, qu’elle n’ait pas répondu au message de son mari, qu’importe la façon dont ils se comportaient l’un envers l’autre désormais. Car il s’agissait de leur fils, d’un petit garçon qui avait besoin de sa mère et de son père. Et que surtout sa mère ne le laisserait pas de côté pendant trois jours, même si elle avait du travail en attente.

Ezra pinça les lèvres. Il savait que de voir Auden sur le pas de sa porte ne pouvait rien annoncer de bon. « Tu peux essayer de l’appeler ? Juste pour être sûr que tout va bien. » Il haussa légèrement l’un de ses sourcils. De toute son existence, il n’y avait pas un seul instant où il s’était imaginé que l’autre face à lui puisse lui demander un service. Oh, il pointerait ce détail du doigt sans aucune hésitation - une fois qu’il aurait effectivement passé ce coup de fil et que Ginny lui aurait répondu, à lui. Soupirant, il tira son téléphone de sa poche, pendant qu’il faisait signe de sa tête à Auden d’entrer dans la maison. Qu’importe ce qui se passerait dans les prochaines minutes, une porte close était quelque-chose de nécessaire. Le regard d’Ezra s’en alla un instant en direction de l’étage et de là où se trouvait Noah - car s’il y avait bien une paire d’oreilles qui se devait de ne pas entendre cette conversation, c’était la sienne. « On va dans la cuisine. » Et ce n’était pas une question. Il ferma la porte à leur suite, avant de poser son téléphone sur la table de la cuisine. « Si elle me répond et qu’elle me dit qu’elle veut juste plus entendre ta voix, genre jamais de sa vie… » Il allait saisir l’idée: Ezra ne serait pas content d’avoir été dérangé pour ça. Déverrouillant l’appareil, il alla dans sa liste de favoris pour appuyer là où apparaissait le prénom de la brune. Il mit directement l’appel sur haut-parleur.. si seulement ça aurait pu avoir quelconque utilité, la tonalité indiquant directement que l’appel n’avait pu être passé. Déglutissant, Ezra recommença la manoeuvre - même finalité. C’était comme si la line au bout était coupée. « Elle doit plus avoir de batterie. » Il releva son regard vers Auden. « Tu sais très bien autant que moi que ça lui arrive tout le temps d’oublier de charger son portable. » Il hésita un instant, puis retourna dans le répertoire de son portable - peut-être qu’en appelant sur le téléphone de sa maison, il aurait plus de chances. Mais l’appel sonna encore et encore dans le vide, la tonalité résonnant comme un brin de trop dans la cuisine.

Il presse, Beauregard. Il presse, il urge d’en savoir plus et, de mon côté, je fais sincèrement au mieux pour ne pas déjà retomber dans mes vieilles habitudes consistant à simplement l’insulter. Parce qu’il n’y aura jamais rien de plus apaisant à mes yeux, sauf peut-être justement l’idée qu’il puisse arriver à avoir Ginny au téléphone. Je me moque bien d’être le seul à qui elle ne veuille pas parler, je sais déjà que je le mérite. Tout ce dont je veux m’assurer, c’est que du côté de ma femme, tout va aussi bien que les choses peuvent être. Je le suis dans la cuisine sans rien dire, sans moufter non plus. Si ça lui fait plaisir, peu importe. Si elle me répond et qu’elle me dit qu’elle veut juste plus entendre ta voix, genre jamais de sa vie… - “C’est bon. Je sais. Je veux juste qu’elle réponde.” Il n’a pas besoin de me tenir le moindre discours. Si elle le lui dit, alors je serai le premier à prendre mes distances, sans qu’il n’ait même à jouer au pseudo chevalier servant et sauveur de ces dames. Pour autant, rien de la suite de la scène ne va en ce sens, et bien au contraire: mes doutes prennent de plus en plus de place dans mon esprit lorsque l’appel n’est même pas mené à bien. Mon regard, plus sombre que jamais, remonte lentement en direction de celui du Beauregard. Je crève d’envie de lui dire que je lui avais bien dit, mais ce n’est pas le moment.

« Elle doit plus avoir de batterie. »
“J’ai appelé le fixe chez elle.”

Parce que oui, bien sûr que Ginny est assez old fashion pour avoir un téléphone fixe dans la maison qu’elle loue loin, très loin de Sydney. Et même ce téléphone-ci, personne n’y a jamais répondu, même en changeant de numéro pour passer l’appel. Personne. Rien. Silence. « Tu sais très bien autant que moi que ça lui arrive tout le temps d’oublier de charger son portable. » Cette théorie-là, je l’ai moi aussi eue pendant un temps. Pendant une journée. Avant que le soleil ne se couche à nouveau, et que je comprenne qu’il y avait un problème. “Je vais prévenir la police.” Je ne fais même pas semblant de donner du poids à son argument, lequel n’en a de toute façon pas. “Ça fait 72h, ils vont pouvoir prendre en compte la disparition.” J’en sais rien à vrai dire, je suis pas un putain de flic, mais à mes yeux trois jours d’absence sont bien assez pour avoir le droit de commencer à s’inquiéter sérieusement. J’observe Ezra tenter des choses sur lesquelles je me suis déjà penché et, dans ses yeux, j’observe le même air désespéré qui avait sûrement dû être le mien, aussi. “Noah a un téléphone ? Tu crois que tu peux lui demander s’il a eu des nouvelles de sa mère, peut-être ? Sans l’alarmer.” Il est ce qui ressemble le plus à un dernier espoir, malheureusement.

running on a wire

@auden williams

(c) harley

***
« C’est bon. Je sais. Je veux juste qu’elle réponde. » - « Non mais je préfère juste qu’on soit au clair avant que j’appelle. » Parce-qu’il avait par la force des choses appris à connaître Auden, avec le temps; pas toute la personne qu’il était, heureusement, mais une assez grande partie pour savoir qu’il était important de mettre les points sur les i avant même que la moindre action ne soit menée à bien. Et puis, de toutes évidences mais ça l’italien n’en serait même pas étonné: il n’y avait pas une version de ce monde dans laquelle Ezra ne faisait pas passer Ginny avant Auden, ne faisait pas en sorte d’être son allié et de la protéger. Surtout si c’était face à son mari - pourquoi ne signait-elle pas simplement les papiers de divorce, déjà ?

Malheureusement, Ezra n’aurait en aucun cas le plaisir de pouvoir rire au nez de Williams puisque l’appel n’avait même pas pu sonner sur le téléphone la brune, envoyant son interlocuteur directement sur la messagerie. Pas qu’il s’inquiétait déjà, mais disons qu’il n’aimait pas trop l’idée qu’elle ne soit pas joignable, surtout si cela inquiétait déjà à la base Auden - oh, il ne l’avait pas dit de la sorte mais rien que le fait qu’il se soit retrouvé sur le palier du Beauregard en disait long. « J’ai appelé le fixe chez elle. » Il n’écoutait même pas ce qu’il avait à dire, composant déjà le numéro de la maison de Ginny, dans l’Etat d’à côté. Une fois de plus, l’appel resta sans réponse et peut-être effectivement que malgré tout, cela commençait à être suspicieux. Qu’elle n’ait plus de batterie était là un fait habituel avec lequel les deux hommes avaient appris à composer depuis bien longtemps. Mais elle ne serait pas partie de chez elle si c’était le cas, surtout si ce n’était pas le premier appel sur le fixe qui restait sans réponse. Elle aurait vu le premier numéro qui avait essayé de l’appeler; et même si les deux époux n’étaient pas en bons termes elle aurait rappelé parce-que leur fils se tenait entre eux.

Ezra déglutit difficilement, la gorge se mettant déjà à devenir un brin plus sèche sans qu’il n’ait de raison à blâmer, alors que son regard ne savait lâcher l’écran de son téléphone. « Je vais prévenir la police. » Les yeux qu’il releva vers Auden furent autant paniqués qu’étonnés; certes, il avait tous les éléments sous les yeux pour comprendre que quelque-chose n’allait pas, mais il n’arrivait pas à se dire que cela pouvait effectivement ne pas aller. « Quoi ? » - « Ça fait 72h, ils vont pouvoir prendre en compte la disparition. » - « Attends t’es sérieux là ? » Bien sur qu’il l’était, tout comme l’était également Ezra mais avec une façon bien moins structurée de gérer les imprévus, apparemment. « Noah a un téléphone ? Tu crois que tu peux lui demander s’il a eu des nouvelles de sa mère, peut-être ? Sans l’alarmer. » Ce fut avec un petit rire nerveux, sarcastique, qu’il accueillait les mots de l’italien. « Tu débarques chez nous sans raison, et tu peux que je réussisse à demander sans l’alarmer à Noah s’il a eu des nouvelles de sa mère ? Il est pas con, Auden, il va vite comprendre que quelque-chose tourne pas rond. Et je lui dis quoi moi, à ce moment là hein ? Qu’il y a un risque que sa mère ait disparu et que s’il avait reçu un signe de sa part ce serait vachement chouette ? » - « Maman a disparu ? » Fuck.

C’était incroyable de voir à quel point Noah avait toujours été un gamin perspicace et intelligent, qu’il avait toujours su deviner les sous-entendus avant bien d’autres, même des adultes. Cependant, aujourd’hui il n’avait pas compris que la porte de la cuisine fermée alors qu’Auden avait sonné à la porte, cela voulait dire qu’il ferait mieux de ne pas mettre son nez dans des affaires qui ne le regardaient pas. « Noah… » - « C’est vrai papa, maman a disparu ? » - « Non, non elle a pas disparu. Juste… » Son regard allait de Noah à Auden - qu’il avait envie de fusiller sur place, de tout son coeur -, avant de revenir sur son fils, soupirant. « On a pas de nouvelles et, on s’inquiète un peu. Elle t’a envoyé un message ou appelé, après le FaceTime de l’aéroport ? » Comme dit: Noah était malin, il comprendrait avant même que son père n’ait le temps de lui expliquer que les choses n’allaient pas - et ce n’était pas en lui servant des salades qu’il réussirait à le protéger. Il en avait vu d’autres, il en verrait encore des pires surement malheureusement étant donné qu’il n‘avait que treize ans. Dans son regard, il comprit qu’une vague de panique tentait de prendre le dessus mais qu’il maitrisait mieux ses émotions que son père, apparemment. Doucement, il secoua alors la tête. « Rien du tout. Je pensais juste qu’elle avait plus de batterie, ça lui arrive souvent… »

Comme je m’y attendais, elle ne répond pas, ce qui m’amène à parvenir à l’évidence suivante: je vais prévenir la police. Ce n’est pas normal qu’elle ne donne pas de nouvelles et je refuse de rester les bras croisés, alors je m’en remets aux autorités supposées compétentes la matière. « Quoi ? Attends t’es sérieux là ? » - “J’ai l’air de déconner ?” Est-ce que j’ai aligné le moindre sourire depuis que j’ai passé le pas de sa porte ? Non, bien sûr que non. Le contexte ne me le permet pas, à aucun niveau, et je suis loin d’y penser outre mesure. Il y a plus urgent à traiter et je suis prêt à m’en remettre à quiconque pourrait aider, ce qui implique au passage Noah. J’aurais aimé le préserver, bien sûr, mais la situation est assez particulière et potentiellement urgente pour que sa participation soit requise, quoiqu’en dise le plaidoyer de son père affolé. Je sais ce qu’il pense et ressent: moi aussi, je suis père. « Maman a disparu ? » Et à cet instant très précis, justement, ce ne sont plus que deux pères qui s’observent les yeux dans les yeux, tout en sachant qu’on vient de merder royalement. « Noah… » - « C’est vrai papa, maman a disparu ? » - « Non, non elle a pas disparu. Juste… » Bien qu’Ezra me jette des coups d’oeils plus équivoques que jamais (de véritables appels à l’aide), je reste parfaitement silencieux. C’est une histoire de famille dans laquelle je n’ai pas mon mot à donner, et il aurait été le premier à me le rappeler dans un autre contexte.

« On a pas de nouvelles et, on s’inquiète un peu. Elle t’a envoyé un message ou appelé, après le FaceTime de l’aéroport ? » - « Rien du tout. Je pensais juste qu’elle avait plus de batterie, ça lui arrive souvent… » Fait chier. “C’est sûrement le cas, oui, tu connais maman.” Comme tout le monde dans cette pièce. Nous connaissons tous Ginny, et c’est justement parce que tel est le cas que je sais, de mon côté, qu’elle ne se permet plus d’oublier de charger son téléphone maintenant qu’il est son seul moyen de communiquer avec ses fils, à des centaines de kilomètres d’elle. “On va juste dire à un de ses amis de lui faire penser à le brancher, tu sais à qui on pourrait dire ça ?” - “Y’a son copain, mais je connais que son prénom.” Je serre les dents, réduis ma réaction autant que possible. Son copain. Dans la bouche de Noah, je sais très bien de quel genre de copain il parle, et surtout je fais au mieux pour ne pas avoir l’air de tomber des nues: oui, bien sûr qu’on parle souvent, bien sûr qu’elle me l’aurait dit si elle avait un nouveau petit-ami et bien sûr que non, je n’aurais pas eu mon mot à dire. “T’as d’autres informations ?” Je ramène mon attention en direction du Beauregard, en parlant sans doute plus abruptement que jamais. Je cherche des informations sur cette relation autant que sur l’homme en question, de toute évidence.

running on a wire

@auden williams

(c) harley

***
« J’ai l’air de déconner ? » Non, et c’était surement ça le problème dans cette histoire: il avait l’air on ne pouvait plus sérieux. Cependant, Auden oubliait de prendre en compte que l’idée que Ginny ait pu disparaitre ne venait pas de lui traverser l’esprit, là où c’était le cas pour Ezra qui ne s’était jamais dit qu’un jour, ce type de situation pourrait arriver. De nouveau. Disons que la première fois, il n’avait plus eu de nouvelles mais cela avait été plus ou moins volontaire et il avait été prévenu de son départ. Là, effectivement, tout semblait converger vers l’idée qu’elle pourrait être réellement en danger. Alors, presque comme s’il était résigné à devoir donner malheureusement raison à l’italien, Ezra soupira, se frottant les yeux du bout des doigts. « Peut-être qu’il faudrait prévenir la police, ouais. » Peut-être étant, bien sur, un euphémisme car c’était exactement le comportement à adopter en cet instant. C’était juste que tout semblait aller bien trop vite, tout en ne se dirigeant pas dans la bonne direction. Il aurait eu besoin de temps pour se recentrer, pour réfléchir à tout ça et surtout pour comprendre les tenants et aboutissants de ce que cette nouvelle information pouvait bien dire; mais ce ne serait pas maintenant qu’il aurait le loisir de faire ça, car si la conversation était restée entre Auden et lui jusque maintenant parce-que Ezra avait fait en sorte qu’elle ait lieux dans la cuisine et non au vu et au su de tous; c’était cette partie là de l’équation qui était venue jusqu’à eux finalement.

Auden avait suggéré que Noah soit impliqué, qu’ils puissent savoir s’il avait eu de son côté des nouvelles de sa mère. Bien sur, Beauregard trouvait cette idée idiote et il n’était pas question qu’il en parle de suite à son fils - mais maintenant que ce dernier se tenait avec eux dans la cuisine, qu’il avait intercepté qui plus était une partie de leur conversation, autant le faire participer. « C’est sûrement le cas, oui, tu connais maman. » Peut-être en omettant un ou deux détails et en enjolivant la potentielle réalité. Williams semblait avoir compris les signaux de détresse envoyés dans les regards qu’Ezra lui avait jeté, s’accordant à la version des faits qu’il était en train de donner à Noah. S’il s’avérait que Ginny manquait véritablement à l’appel, alors il expliquerait la deuxième partie de l’histoire au jeune garçon. Pour le moment, recueillir quelques informations était le plus important. « On va juste dire à un de ses amis de lui faire penser à le brancher, tu sais à qui on pourrait dire ça ? » - « Y’a son copain, mais je connais que son prénom. » Aux mots de Noah, Ezra ferma un instant les yeux, rien qu’une ou deux secondes. Fuck. Il n’avait pas pensé à cette partie là de l’histoire. Quand il rouvrit ces derniers et que ses pupilles tombèrent sur le visage d’Auden, il vit clairement que ce dernier était en train de serrer les dents - il ne ferait pas de commentaire, pas aujourd’hui, mais il notifiait tout de même. « T’as d’autres informations ? » C’était à Ezra qu’il s’adressait de nouveau, désormais - son ton rejoignait l’attitude générale qu’il semblait avoir endossé malgré tout.

Restant silencieux un instant, il pesait le pour et le contre. Il avait promis à Ginny qu’il n’ne toucherait aucun mot à personne, de cette histoire; il en avait quelque peu discuté avec Noah parce-que ce dernier avait mentionné une fois ou deux la situation au téléphone, récemment, mais sinon même Lily n’en avait pas entendu parler. Il y avait certaines choses entre la McGrath et lui qui ne changeraient jamais, et la confiance qu’ils se portaient mutuellement faisait partie du lot. Il était resté silencieux sur l’affaire jusque aujourd’hui - mais si sa vie était réellement en danger, c’était une excuse valable pour briser une fine partie de cette confiance pour discuter avec son mari de cette situation, non ? Il pinça un instant les lèvres, avant de se résigner: ce n’était plus le moment de garder des secrets. « Je sais qu’il habite à Sydney aussi, mais j’ai que son prénom et son métier. » Il hésita un instant, puis se tourna de nouveau finalement vers Noah. « Je vais le contacter et lui demander d’aller chez maman, ok ? Comme ça il pourra la prévenir de charger son portable. » Le sourire qu’il étirait se voulait rassurant, mais une fois de plus il y avait de fortes chances pour que le gamin qui n’en était plus un comprenne et sache lire entre les lignes. En tous cas, il hocha doucement sa tête, avant de faire demi-tour et de retourner d’où il venait - à l’étage, dans sa chambre, après avoir fermé la porte de la cuisine derrière lui. « Josh, et il est prof de littérature à la fac de Sydney. Et t’auras pas d’autres informations parce-que le reste est pas important pour le moment. » Ses yeux étaient revenus vers Auden, toujours présent à ses côtés dans la cuisine.

Son copain. J’ai déjà connu Ginny avec des copains, ce n’est pas nouveau, mais je ne l’ai jamais connu avec qui que ce soit depuis qu’elle est une femme mariée. Je me demande si elle porte son alliance, je me demande si elle lui en a parlé, je me demande si elle est avec ce copain pour tenter de passer à autre chose ou s’il représente justement ce renouveau dont elle a sûrement terriblement besoin. Je me pose des questions à m’en faire mal à la tête, et je déteste cette idée, parce que ça fait de moi une personne vulnérable, sujette à des émotions et qui plus est celles d’une autre. Je reste muet et affiche un sourire de circonstance uniquement parce que Noah est face à moi. « Je sais qu’il habite à Sydney aussi, mais j’ai que son prénom et son métier. » Bien sûr qu’il sait. Ezra sait toujours tout, il a toujours été dans la confidence alors même qu’il est la raison première de son exil à Londres, à bien des niveaux. Il est la source de trop de ses maux, mais elle continue de lui faire confiance, sans que cela ne fasse aucun sens. Ce n’est même pas parce qu’ils ont un enfant ensemble ; j’en ai un aussi, je le saurais. « Je vais le contacter et lui demander d’aller chez maman, ok ? Comme ça il pourra la prévenir de charger son portable. » Il échange avec son fils et je ne m’en mêle pas. Il se débrouille et lui parle avec tous les mensonges qu’il désire, ce n’est pas mon problème. Lorsqu’il comprendra que ce n’est pas une histoire de batterie déchargée, ce dont je suis déjà certain, Ezra n’aura qu’à s’en vouloir à lui-même et surtout à gérer les conséquences seul, parce que cela n’est pas mon problème.

Nous attendons tous deux patiemment que Noah sorte de la pièce pour continuer la conversation, cette fois-ci avec la version sans mensonges. J’imagine qu’être un parent se résume à mentir, finalement. « Josh, et il est prof de littérature à la fac de Sydney. Et t’auras pas d’autres informations parce-que le reste est pas important pour le moment. » Ma mâchoire est toujours aussi serrée, et c’est un regard noir que je renvoie en sa direction. Un professeur de littérature. Bien sûr qu’elle n’a rien su faire d’autre que de tomber amoureuse d’un foutu professeur de littérature à la foutue université. “Je veux rien savoir de toute façon.” Je ne veux pas qu’il savoir qu’il s’appelle Josh, je ne veux pas savoir qu’il lui parle à grands coups de foutus citations de De Beauvoir, et je compte tout aussi peu savoir si elle a prévu d’avoir un gamin avec lui aussi. Ça me regarde à un certain niveau, sans doute, mais ce n’est pas le genre d’images et de détails que je veux garder à l’esprit, surtout maintenant. J’ai d’autres choses à penser, d’autres priorités à traiter, et il n’en fait certainement pas partie. “Trouve le moyen d’avoir son point de vue sur la situation, c’est tout ce que je demande.” Je finis par souffler. Je ne veux pas en savoir plus, et je ne veux même plus entendre le son de voix du Beauregard. Il sait ce qu’il en est, il sait ce qu’il se passe, et maintenant il peut au moins faire semblant d’être utile, pour une fois dans sa vie. De mon côté, je ne tiens pas à passer la moindre seconde supplémentaire à ses côtés. Ce qu’il me reste à faire, maintenant, c’est d’enfin signaler la disparition de Ginny, parce que c’est bien ce dont il est question.

running on a wire

@auden williams

(c) harley

***
Tout dans l’attitude d’Auden montrait que la réponse qu’Ezra venait de fournir aux questions silencieuses, autant que celles posées à haute voix, ne convenait en rien. Disons qu’elle avait au moins l’avantage d’être honnête et de lever le voile sur certains secrets qui n’étaient pas connus de l’italien jusque maintenant; mais ce n’était pas tout à fait ce qu’il s’attendait surement à apprendre en prenant la route qui menait chez lui aujourd’hui. Le regard noir qu’il releva dans sa direction, à la suite, appuyait sur cette version là des faits. « Je veux rien savoir de toute façon. » Ezra eut un petit rire sarcastique - un instant, un seul, promis. « A d’autres. » Il ne ferait pas le moindre effort pour tenter de croire Auden en cet instant. Même lui, avait eu envie d’en savoir davantage lorsque Ginny lui en avait parlé pour la première fois. De l’eau avait coulé depuis bien longtemps sous les ponts, mais il restait tout de même cette curiosité que seuls les anciens partenaires de vie pouvaient posséder. Auden ne faisait pas partie d’une autre catégorie; il aurait beau clamer ce qu’il voulait, personne ne serait disposé à le croire de toutes façons. La brune restait encore sa femme, quoi qu’il avait pu malheureusement se passer entre eux, et bien qu’Ezra ait une infinité de choses à reprocher à Williams, il était tout de même persuadé qu’il aimait Ginny - ou, à défaut, l’avait aimé à une période sa vie. Forcément qu’une partie de lui voulait savoir qui était Josh, ce qu’il faisait dans la vie, et ce qui faisait qu’il le remplaçait dans le quotidien de la McGrath.

« Trouve le moyen d’avoir son point de vue sur la situation, c’est tout ce que je demande. » Pinçant ses lèvres, Ezra hésita un instant avant de réponse. Pas qu’il était réellement heureux d’avoir hérité de cette partie là de l’histoire, mais effectivement il fallait bien que quelqu’un s’en occupe et entre les deux hommes, il était le mieux placé. Seulement, sa vision des choses et son quotidien venait malgré tout de prendre un sacré coup, et il avait du mal à croire qu’il était témoin d’une telle chose. « Je vais faire ce que je peux. » Pas qu’il en avait tant envie, mais parce-que désormais c’était nécessaire qu’effectivement il se plie aux mots de l’italien; dans d’autres circonstances, cette discussion n’aurait de toutes façons jamais eu lieu et ne se serait pas forcément bien terminée, qui plus était. « Je crois que tu dois aller au poste de police signaler la disparition de ta femme de ton côté. » Ces derniers mots, il ne les prononça pas par gaité de coeur. Ezra n’aurait jamais voulu arriver un jour à ce type de situation, surtout en n’ayant pas d’autre choix que de laisser Auden aux commandes. Cependant, c’était lui le mari de Ginny et donc le plus à même d’être reçu et pris au sérieux pour ce type de déclaration. « Et, Auden ? » Beauregard avait relevé son regard vers ce dernier en prononçant ces mots, les traits du visage comme marqués à l’indélébiles désormais, ayant gagné une couche d’inquiétude qu’il ne pensait pas ressentir un jour. « Rappelle toi que c’est pour les garçons qu’on fait ça. Et uniquement pour eux. » Parce-qu’à travers toutes les paroles qu’ils pourraient échanger, et celles qui seraient prononcées par la suite dans ce qui allait surement se transformer en une vraie enquête policière - malheureusement -, ce n’était pas pour eux-mêmes qu’ils agissaient, ni pour l’autre en face de qui ils se trouvaient aujourd’hui. C’était pour Noah, c’était pour Sloan; c’était pour les deux êtres qui comptaient plus que tout autour, qui étaient la prunelle des yeux de celle dont ils ne reverraient surement jamais ni le visage, ni le sourire, ni la joie de vivre.