Il y avait bien longtemps qu’Asher et Naomi ne s’étaient pas réunis pour quelques heures, tous les deux, sans prendre le risque d’être importunés. En tout cas, aux yeux de la brune ; elle avait l’amère impression de ne pas avoir vu son plus fidèle ami, son plus fidèle allié, depuis des lustres. Elle ne le blâmait pas, et ne cherchait pas non plus à se trouver des excuses : tous deux avaient des vies chargées, occupées, rythmées, dynamiques. Mais ce soir, si spécial à leurs yeux, ils s’étaient mis d’accord pour le passer ensemble. C’est donc excitée comme une puce qu’elle se dirigea avec entrain vers sa porte d’entrée, prête à accueillir son invité pour la soirée. Elle ne tarda pas à ouvrir, trop heureuse de se retrouver face à son ami de toujours — ou presque. Ni une ni deux, elle entoura son cou de ses bras, et embrassa ses joues avec douceur et tendresse. « T’es beau. » Commenta-t-elle en se reculant légèrement pour constater qu’Asher avait fait un effort pour s’habiller. Elle glissa sa main dans la sienne, et l’entraîna à l’intérieur de son appartement. « Fais comme chez toi ! » S’exclama-t-elle, en hôte attentive et attentionnée. Comme si Asher allait faire autrement ; il venait parfois, pour quelques heures ou quelques jours. Et il n’avait jamais eu aucun mal à se sentir à son aise. « J’ai commandé libanais pour ce soir. J’espère que ça te conviendra. » Elle avait déjà disposé le houmous et le caviar d’aubergines sur la table, afin qu’ils puissent prendre l’apéritif avant de passer au plat de résistance. La soirée s’annonçait bonne, et Naomi était sincèrement heureuse de pouvoir passer du temps en compagnie de son ami.


Ils étaient partis pour la plage, pour aller contempler le feu d’artifices, main dans la main. Un vieux rituel, mais qui leur allait à merveille. C’était fou comme les habitudes pouvaient vite les faire ressembler à un vieux couple — à la seule différence qu’eux, contrairement aux vrais vieux couples, ne s’engueulaient pas pour savoir qui allait faire les tâches ménagères. « Je n’ai pas pour habitude de faire de retrospective. » Déclara Naomi en faisant la moue. A quoi bon ? Ce qui était passé restait passé, et s’appesantir sur le passé, même avec détermination, ne le ferait jamais changer. « Je ne suis pas franchement une grande adepte du « je regarde mon passé avec nostalgie », tu vois. » Précisa-t-elle en haussant les épaules. Elle n’était pas du genre à se morfondre sur les déboires qu’elle avait pu avoir ; elle préférait regarder vers l’avenir, et se concentrer sur ce qui allait et/ou pourrait arriver. Elle n’était pourtant pas d’un naturel particulièrement optimiste, Naomi ; elle savait souvent appris, à ses dépends, que la vie pouvait se montrer cruelle. « Je te préviens d’emblée, il n’est pas question que fin 2023, on se retrouve à nouveau comme deux couillons à avoir le même constat. » Pesta-t-elle en secouant la tête. Elle ne sait pas comment le changement interviendra, ni à quel moment, mais elle en est intimement convaincue : cette année à venir sera spéciale. « Non pas que le temps que nous passons ensemble me soit désagréable, que ce soit clair. » Précisa-t-elle, consciente que ses paroles, brutes, pouvaient paraître méchantes. Mais elles ne l’étaient pas, évidemment ; Naomi aimait bien trop Asher pour se montrer mesquine à son égard.

La vie d’Asher avait été ponctuée par des drames familiaux. La perte de sa soeur, dans un premier temps, décédée dans un accident de voiture dont Dan avait été désigné comme responsable. Un comble pour cet ancien pilote de haut-niveau, qui ne s’était jamais remis de cet événement traumatisant et qui, à son tour, avait disparu dans les mêmes circonstances. « Désolée. Je ne voulais pas être maladroite. » Déclara-t-elle, se sentant quelque peu honteuse. Naomi n’avait perdu que sa grand-mère maternelle, qui l’avait élevée. Sa mère était toujours en vie, quelque part. Quant à son père, il n’existait tout simplement pas — elle n’avait pas la moindre idée de qui il pouvait être. « Les changements que tu as mis en place ? » Répéta-t-elle en arquant un sourcil, déjà prête à l’interroger sur ce sujet. Elle lui laissa pourtant l’occasion de se confier : « Dis-moi en davantage. » Ce n’était pas un ordre, mais plutôt une suggestion appuyée. Asher et Naomi n’avaient jamais eu pour habitude de faire des cachotteries à l’autre — enfin, presque aucune cachotterie.


« Des vacances ? » Elle soupira, fort. Non pas qu’elle soit déçue par sa proposition (loin de là, à vrai dire), mais ses finances n’étaient pas forcément au beau fixe. La faute, entre autre, à ce magnifique sac à main dont elle n’avait décemment pas pu se masser — mais qui était affiché à plusieurs milliers de dollars. « Donne-moi la période où tu aimerais partir. » Il faudrait qu’elle s’organise avec ses clients, et notamment Carl. Qu’allait-elle bien pouvoir trouver pour justifier son absence ? S’il ne s’agissait que de quelques jours, ça ne poserait pas le moindre souci ; mais si Asher l’entraînait dans une escapade plus longue, elle devrait trouver une bonne excuse. Maintenir l’illusion qu’il était le seul homme, encore et toujours. C’était presque devenu une obsession pour l’Australienne. « Je ne suis pas sûre d’être en mesure de t’accompagner. » Confessa la brune en faisant la moue. Et pourtant, ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Bien au contraire. « Pas dans l’immédiat, en tout cas. » Ils n’étaient pas arrivés que, déjà, ils pouvaient entendre le brouhaha des gens qui s’amusaient sur la plage. Ce soir, ils ne seraient pas les seuls ; ils se fondraient dans une foule d’anonymes, et ça leur plaisait. Tous deux avaient toujours fonctionné en binôme, gardant pour eux leur amitié. « Attends, je dois retirer mes échasses. » Déclara Naomi. Sa main se positionna sur l’avant-bras d’Asher, qui attendit patiemment que l’escort-girl ait retiré ses talons aiguilles, qu’elle garda à la main. Ils firent quelques pas supplémentaires et, finalement, Naomi ferma les yeux en sentant le contact du sable chaud sous sa voûte plantaire. La journée avait été brûlante, comme les précédentes ; le sable avait absorbé une certaine chaleur, et continuait de la diffuser, même après la tombée de la nuit. Ils avancèrent au milieu des autres couples et amis qui étaient venus sur la plage pour admirer le feu d’artifices, se mettant en quête d’une place où ils pourraient s’installer. Ils slalomèrent pendant de longues minutes, et Naomi pointa du doigt un endroit où ils pourraient s’installer. « Ici. » Décréta-t-elle, bien décidée à se poser pour observer le spectacle qui interviendrait dans les airs dans quelques minutes à peine. Elle attendit qu’Asher s’installe pour mettre un pied entre ses jambes, et l’encourager à les écarter. Un sourire amusé étira ses lippes, tandis qu’elle s’asseyait entre ses jambes, et qu’elle laissait sa tête reposer contre le torse de son ami. « Tu me connais, toujours au plus épais. » Gloussa-t-elle, alors qu’elle sentait les bras d’Asher se refermer autour de son corps. Protecteur et tendre, comme à son habitude. Et elle se sentait parfaitement bien, enfermée dans cette étreinte chaleureuse. « Tu veux bien m’en dire plus sur les endroits où tu voudrais m’amener ? » Demanda-t-elle à voix basse, espérant que son ami la ferait voyager par procuration le temps de quelques instants. Elle imaginait des plages magnifiques, un soleil radieux, de l’eau turquoise. Elle imaginait l’été, le bruit des vagues, et le calme.

« Du sport ? » Répéta-t-elle en écarquillant les yeux, surprise par cette information. Ça, pour le coup, elle ne l’avait pas vu venir. Non pas qu’elle ne croyait pas en Asher et en ses capacités, mais il n’avait jamais franchement été du genre à avaler les kilomètres lors d’un footing, ou à aller pousser de la fonte dans une salle de sport. Contrairement à son frère, qui avait mis un point d’honneur à s’entretenir — tant pour son métier, qui l’obligeait à avoir un corps affûté, que pour s’assurer de son succès auprès de la gent féminine. « Quel genre de sport ? » Demanda-t-elle, sa curiosité piquée au vif. Elle-même n’était pas la plus grande des sportives, mais elle essayait de se maintenir en forme. Elle faisait un peu de danse, partait en randonnée, et pratiquait le yoga. Elle nageait aussi, parfois, lors de son temps libre. « On pourrait en faire ensemble, de temps en temps. Ça nous motiverait. » Suggéra l’escort-girl en haussant les épaules. Ce n’était qu’une proposition, en rien une obligation. Ses lippes s’étirent en un sourire franc quand Asher lui confia qu’il avait aussi ralenti sa consommation d’alcool. Naomi posa sur son ami un regard tendre et compatissant, presque maternel. Sa main vint se poser sur la joue d’Asher, alors qu’elle murmurait : « Je suis contente pour toi. » Et elle le pensait, sincèrement. Elle était contente, mais aussi soulagée ; ces dernières années, la vie du Buckley n’avait pas été de tout repos. Il avait, presque coup sur coup, perdu sa soeur et son frère. Quant à ses relations avec ses parents, elles n’avaient jamais réellement été au beau-fixe. « Tu mérites la paix. Tu mérites d’être heureux. » Elle ne craignait pas les nouvelles rencontres, les nouveaux amis ; elle avait partagé avec Asher bien trop de moments uniques pour s’inquiéter d’être remplacée. Elle gardait une place particulière dans son coeur, tout comme lui gardait une place particulière dans le sien. Ils étaient liés, intimement, mentalement.


« Tu as simplement des envies d’ailleurs ? » Demanda Naomi en souriant. Ça avait toujours été le truc : appeler l’autre, parler vacances, et s’octroyer un week-end idyllique dans un endroit paradisiaque. Ce n’était d’ailleurs pas les endroits qui manquaient, en Australie. Mais il n’était pas facile, pour l’escort-girl, de se libérer le long d’un week-end ; ses obligations professionnelles étaient souvent un frein. Elle déglutit en entendant Asher mentionner le prénom de Birdie — une femme qu’elle n’avait pas vu depuis des années, mais qui ne lui manquait absolument pas. « Birdie sera peut-être plus facilement disponible. » Déclara l’escort-girl en inclinant la tête. Elle n’en avait pas la moindre idée, mais c’était simplement une façon, pour elle, de botter en touche. Elle sourit à son ami quand il lui proposa de l’inviter, et murmura : « Merci. T’as toujours été un prince avec moi. » Et elle le pensait, sincèrement.


Les deux amis arrivèrent finalement sur la plage, et s’installèrent après quelques minutes de marche. Bien vite, Naomi se fit une place entre les bras d’Asher, qui comprit immédiatement le message. Elle ferma les yeux en sentant ses lèvres se poser sur sa tempe, et se cala confortablement contre lui quand ses bras vinrent entourer ses épaules. Elle gloussa en l’entendant parler des vacances, surprise par ce grand écart. « Ah ouais, carrément. T’as pas envie de faire les choses à moitié. » Plaisanta l’escort-girl. Les yeux fermés, elle se laissa aller à la rêverie au fur et à mesure qu’Asher évoquait les différentes options auxquelles il avait songé. Elle s’y voyait bien… Jusqu’à ce que le blond ne lui parle à nouveau de Birdie. Elle se mordit la langue pour éviter de lui dire que jamais, ô grand jamais, elle ne partirait en vacances avec elle. Et encore moins dans sa maison, aussi belle et paisible puisse-t-elle être. Ce n’était même pas envisageable, pas une seule seconde. « Ça a l’air cool. » Dommage que ça appartienne à une femme qu’elle détestait, et qui la détestait en retour. Entre elles, l’entente n’avait jamais été cordiale. Elles s’étaient tolérées tout au plus — Asher ne méritait pas qu’elles se crêpent le chignon devant lui — mais Dan avait représenté un véritable point de rupture. Comment avait-elle pu apprendre la liaison entre eux ? Naomi n’en avait pas la moindre idée, bien qu’elle ait toujours soupçonné Dan de s’être vanté auprès de Birdie de sa relation pimentée avec la copine de son frère cadet. « Elle devient quoi ? Ça fait longtemps que je ne l’ai pas croisée. » Depuis l’enterrement de Dan, en réalité. Et une chose était sûre : elle ne lui manquait pas, pas du tout.

L’escort-girl secoua vivement la tête, absolument sûre et certaine de ne pas vouloir faire de rugby avec son ami. Elle appréciait beaucoup Asher, plus que de raison même… Mais elle n’était pas prête à se faire plaquer par ses adversaires, ou à être couverte de boue suite à un plaquage au sol. Naomi avait des limites, et elles étaient bien réelles. « Franchement, tu aurais pu trouver autre chose. » Maugréa la brune en faisant la moue. Ce n’était pas qu’elle désapprouvait le choix de son meilleur ami ; simplement, il y avait un monde entre ne pas faire de sport et se mettre au rugby. « Ils vont te casser en deux. T’as vu les profils des joueurs ? » Parce que elle, elle avait déjà eu l’occasion d’en voir de prêt et sous toutes les coutures. À côté de ces mastodontes de muscles et de détermination, Asher devait avoir l’air d’être une demi-portion. « Des comme quoi, ils en mangent au petit-déjeuner. » Fit-elle remarquer avec une moue boudeuse. Était-elle en train d’essayer de le dissuader de poursuivre, alors qu’elle avait trouvé génial qu’il se motive pour faire une activité physique ? Oui, absolument. Parce qu’elle ne voulait pas qu’il arrive le moindre mal à son ami, et qu’elle craignait que son profil ne l’oblige à passer par la case « urgences », tôt ou tard. « Courir, c’est déjà mieux. » Admit-elle en inclinant la tête. « La prochaine fois que tu te motiveras, appelle-moi. Ça ne pourra pas me faire de mal. » Même si elle détestait courir ; pour Asher, et pour passer un moment en sa compagnie, elle était prête à faire des sacrifices.


« Ça va, elle ne s’en tire pas mal. » Répondit la brune, d’une voix qui se voulait neutre. Était-ce un pur hasard, ou Birdie avait-elle de grandes attentes vis-à-vis des mecs qu’elle choisissait de fréquenter ? Dan d’abord, et ce producteur ensuite ; que de gros pore-feuilles. Elle pouvait bien la juger du haut de son mètre soixante ; elle n’était pas mieux. Mais elle s’abstint de tout commentaire, sachant qu’Asher appréciait la compagnie de Birdie. « Et si en même temps, ça peut te servir… Que demander de plus ? » Question purement rhétorique ; l’important, aux yeux de Naomi, c’était surtout que son meilleur ami puisse avoir la carrière dont il rêvait, et qu’il méritait d’avoir en raison de son talent. Elle ricana en entendant Asher lui confier que la blonde coulait des jours heureux à Disneyland Paris avec son mec. « Ça sent la demande en mariage au pied du château, si tu veux mon avis. » Déclara l’escort-girl en haussant les épaules. Cliché et ridicule, à son sens — à moins que cette réaction ne soit simplement dictée par le manque d’entrain de Naomi. Malgré elle, Birdie lui renvoyait l’image du temps qui passait. Les choses changeaient, évoluaient ; les gens faisaient des projets, d’autres se séparaient. Et elle ? Elle, elle restait et demeurait Naomi. Sans attache, sans projet d’avenir. « Non, je ne connais pas. » Avoua-t-elle en secouant la tête, alors qu’Asher évoquait son nouveau colocataire. Un YouTubeur célèbre, selon ses dires. « Je devrais ? » La réponse pouvait être positive ; elle ne lui en voudrait pas d’être honnête avec elle, bien au contraire. « Tu me connais, je suis à la ramasse sur tous ces trucs. » Les célébrités, les couples qui se faisaient et se défaisaient, les racontars… Ça ne l’intéressait guère. « Et il fait quoi sur YouTube, du coup ? » Elle n’était peut-être pas dans le coup, mais ça ne l’empêchait pas de s’informer. Parce que tout ce qui s’approchait de près ou de loin de son ami méritait qu’elle y accorde son attention.

« C’est ça, bien sûr. » Maugréa l’escort-girl en secouant la tête. Elle devait bien admettre qu’elle était un peu plus rassurée que quelques minutes auparavant ; la simple idée que son ami soit pris en étau entre deux rugbymen costauds lui donnait la chair de poule. Quoiqu’Asher en dise, il n’était tout bonnement pas taillé pour faire le poids — sans aucun dénigrement, évidemment. « T’es devenu maso ou quoi ? » Demanda la brune en fronçant les sourcils. Dans ses souvenirs, le blond était un homme délicat et tendre, doux et attentif ; depuis quand avait-il pris goût aux coups et autres formes de maltraitances ? « Tu feras attention à tes oreilles. » Conseilla finalement Naomi, alors qu’un léger sourire venait étirer ses lèvres. Elle se détendait, au moins un peu — le sourire bienveillant de son meilleur ami et son air amusé y étaient pour beaucoup. Et si l’escort-girl n’était clairement pas prête à prendre le risque d’abîmer sa manucure dans un sport aussi dangereux, elle était néanmoins prête à faire des efforts pour accompagner Asher lors de son jogging. Ils convinrent donc d’y aller ensemble de temps à autres — s’ils parvenaient à se trouver un créneau commun, évidemment.


Le cas de Birdie fut ensuite évoqué et, pour des raisons évidences aux yeux de Naomi, cette dernière ne souhaitait pas spécialement s’attarder sur le sujet. La blonde était une véritable zone de danger. Et pour cause : elle avait en sa possession des informations compromettantes sur Naomi. Des informations qui pourraient blesser Asher, si Birdie décidait de raconter ce qu’elle savait. « C’est toi qui as fait les présentations ? » Demanda l’Australienne en arquant un sourcil, curieuse d’en apprendre davantage sur cette situation qui n’était pas commune. L’escort-girl, sagement lovée dans les bras de son ami, se laissait bercer calmement. « Une demande, ce serait déjà pas mal. » Ricana la brune, alors qu’Asher évoquait son souhait concernant une demande en mariage. Elle n’en dit pas un mot, mais cette idée faisait beaucoup rire Naomi : comment un homme sensé, tel qu’il soit, pourrait-il franchir ce pas avec elle ? Comment pourrait-il supporter son passif d’escort-girl ? « Pour le château, ce serait un plus. Mais… Je ne vais pas faire la difficile. » S’amusa la brune, avant de tourner légèrement la tête vers son interlocuteur. Elle croisa son regard, et l’interrogea finalement : « Et toi ? » Elle savait qu’Asher sortait d’une relation sérieuse, et qu’il avait connu quelques déconvenues. « Quelles sont tes attentes ? Quels sont tes espoirs ? » Demanda l’Australienne à voix basse. Peut-être que la fin de l’année lui avait réservé de jolies surprises.


« Jamais. » Répondit Naomi en secouant la tête. Mais si son nom ne lui disait rien, peut-être que ce serait différent si elle voyait son visage. Elle n’était pas une afficionado des stars d’internet, ni des raisons pour lesquelles ils avaient fini par se faire connaître ; cependant, elle connaissait parfois leurs traits. « Il n’a pas réussi à te convaincre de t’y mettre ? » Demanda la brune en souriant. Asher avait toujours été passionné de musique. Il pouvait rester pendant des heures dans sa chambre, à travailler — ses accords, ses textes, ses mélodies. Mais il n’avait jamais été accro aux écrans, et plus spécialement aux jeux-vidéos. « Ça aurait été plus raisonnable que de te mettre au rugby, je te signale. » Fit-elle remarquer en faisant la moue. Elle ne parviendrait pas à le faire revenir sur son nouvel hobby, mais elle n’allait certainement pas le dispenser de ses recommandations et autres commentaires. « Je comprends. » Pourtant, il faisait un métier qui impliquait d’être dans la lumière. Monter sur scène, chercher le succès, attirer les fans… « Mais tu montes sur scène. Comment parviens-tu à gérer ce paradoxe ? » Elle était sincèrement curieuse d’entendre sa réponse.


Autour d’eux, les espaces vides se comblaient. Des amis, des couples, ou parfois des solitaires venaient s’installer. Loin d’être perturbée par cette foule, Naomi restait concentrée sur ce moment qu’elle vivait avec son meilleur ami — consciente qu’ils étaient bien trop rares, en raison de leurs emplois du temps respectifs chargés. « Hm… » Elle réfléchit pendant quelques instants, et déclara : « Ce n’est pas très original, mais je dirais les rencontres que j’ai pu faire. » Et d’autres, qu’elle connaissait déjà et qu’elle avait eu l’occasion de revoir, à l’instar de Reese. Pour ce dernier, elle gardait cependant un sentiment mitigé — la faute, sans doute, à un état second. « Et toi ? »

Elle hocha la tête, consciente que les propos qui s’échappaient des lèvres d’Asher étaient vrais. Malheureusement pour elle, le monde n’était pas si grand que ce qu’il paraissait — en tout cas, Brisbane lui semblait de plus en plus n’être qu’un point minuscule. Elle avait rencontré du monde, tout au long de ses années : des gens peu fréquentables, jusqu’aux gens les plus fréquentables. Le panel était large, et Naomi s’était toujours sentie chanceuse que ses amis ne se retrouvent pas confrontés à ses clients. Elle touchait du bois, en espérant que cela dure le plus longtemps possible. Ils évoquèrent ensuite, sans tabou, leur condition maritale — inexistante, pour l’un comme pour l’autre. Pourtant, Asher avait été en passe de réussir son coup : quelques mois plus tôt, il filait encore le parfait amour avec son compagnon. Et puis, soudainement, plus rien. Naomi avait été sincèrement désolée de l’apprendre, et encore plus de constater que cela causait une peine immense à son meilleur ami. Elle n’espérait que de belles et jolies choses pour Asher ; la vie n’avait pas été tendre avec lui, jusqu’à maintenant. Il était temps que la roue tourne — et dans le bon sens, cette fois-ci. Naomi passa une main délicate sur la joue du blondinet, et murmura : « Je sais que tu trouveras quelqu’un. Quelqu’un de bien, qui va t’aimer tel que tu es, pour ce que tu es. » Parce que des qualités, il n’en manquait pas. Doux, généreux, intelligent, fidèle, loyal… De quoi se bousculer au portillon. Mais encore fallait-il creuser un peu, pour découvrir la beauté de la personnalité d’Asher ; de prime abord, il n’était pas spécialement avenant — la faute à une timidité excessive.


Il évoqua ensuite son colocataire, et le gagne-pain de ce dernier. Naomi avait du mal à comprendre que des gens puissent gagner leur vie rien qu’en publiant des vidéos de conseils sur Internet — qui était assez fou pour perdre du temps à les regarder ? Forcément un grand-nombre, si cela avait permis l’émergence de nouveaux métiers, comme Youtubeurs et Influenceurs. Elle lui fit ensuite remarquer, non sans une certaine pointe moralisatrice, qu’elle aurait préféré qu’il se découvre une passion soudaine pour les jeux-vidéos plutôt que pour le rugby. Non, définitivement, elle n’aimait pas l’idée de voir son meilleur ami sur un terrain — elle tenait trop à lui pour ne pas craindre le voir se faire cartonner par les autres. Elle frissonna en sentant ses doigts lui caresser l’avant-bras, comme pour la rassurer. Elle s’apaisa aussitôt, comprenant le message qui se dissimulait dans cette douceur. Elle n’avait pas besoin de s’inquiéter. Elle choisit donc de lui faire confiance, au moins momentanément.


« Une chance pour toi que les groupies y soient. Ça te permet de faire ton petit marché. » Ricana Naomi. Contrairement à son défunt frère, Asher n’avait jamais été du genre à profiter de son talent et de sa notoriété pour enchaîner les conquêtes. Elle se fustigea de penser à une telle chose à ce moment précis, consciente qu’elle-même n’était pas irréprochable. Un fait réel, mais tu, et que Naomi garderait jusqu’à la tombe. « Non, en vrai : est-ce que vous avez quelques personnes qui vous suivent partout, ou que soient vos dates ? » Demanda-t-elle, curieuse. Elle avait été plusieurs fois le voir en concert, mais avait veillé à rester à distance — soit dans la salle, soit derrière la scène. Il y avait pourtant longtemps qu’elle ne s’était pas faufilée dans le public. « Quand est votre prochaine date à Brisbane ? » En fonction de sa réponse, elle bloquerait la date dans son agenda pour aller applaudir son ami sur scène.


Elle aurait pu se tendre à nouveau quand Asher mentionna les rencontres qu’il avait faites au club de rugby. Mais elle avait décidé de lui faire confiance, et elle inclina la tête. « Je suis contente que ça te fasse du bien. » Elle le sentait, au travers de ses paroles. Que le sport lui vidait la tête, et lui permettait de fréquenter de nouvelles personnes. Elle gloussa lorsqu’il lui proposa de venir à l’un de leurs entraînements, pour voir si son futur mari s’y cachait. « Est-ce qu’ils sont tous beaux, magnifiques et joliment musclés ? » Demanda-t-elle, amusée. « Ceux qui ne le sont pas peuvent déjà passer leur tour. » Plaisanta-t-elle, avant de poursuivre : « Et le tien ? Il ne se cacherait pas dans cette équipe de gros bras ? » Façon absolument pas subtile de l’interroger sur un éventuel coup de coeur.

« Quoi ? » Fit-elle d’une voix plus aigue que d’ordinaire, tout en se redressant sur ses coudes. Elle était probablement en train d’écraser le torse de son ami, mais elle n’en avait que faire. Elle fit un quart de tour pour croiser le regard azur d’Asher, et pesta : « Et tu comptais me le dire quand ? » C’était tout Naomi, ça : grommeler dans un premier temps, plutôt que de lui sauter au cou pour le féliciter. Mais, une fois de plus, c’était sans doute son inquiétude qui se manifestait de la plus mauvaise des manières. « J’en reviens pas d’apprendre ça au détour d’une conversation anodine. » Rajouta-t-elle en secouant la tête. Parce qu’elle avait beau cherché dans ses souvenirs, il ne lui avait fait aucune annonce indiquant qu’il partirait pour quelques dates sur le vieux continent. Elle soupira, et se laissa lentement retomber sur le torse d’Asher. Elle releva les yeux vers lui, et murmura : « Je suis vraiment contente pour toi. Pour vous. » Corrigea-t-elle, parfaitement consciente que ce succès se partageait à plusieurs. Elle lia ses doigts aux siens, et contempla leurs mains jointes ; ils avaient toujours été proches, toujours été tactiles. Même après leur séparation, ils étaient restés soudés. « Tu m’amèneras avec toi, un jour ? » Demanda Naomi à voix basse, craignant que son ami ne lui oppose un non catégorique. Ce n’était pourtant pas son genre ; mais elle savait qu’Asher ne mélangeait pas forcément ses cercles. « Je serai une groupie discrète, je te le promets. » Argumenta-t-elle, avant de poursuivre : « Et je me tiendrai à carreau. » Pas d’esclandre, pas de relation avec un membre du groupe, pas de soirée de débauche ; Naomi se plierait aux règles dictées par Asher, si cela pouvait seulement le convaincre de lui faire une place dans ses bagages.


« Pfiouu, tu me ferais presque baver d’envie. » Plaisanta l’escort-girl, alors qu’elle faisait exprès de se ventiler le visage avec sa propre main. Elle gloussa, et interrogea son ami sur un éventuel crush au sein même de son équipe de rugby. Consciente que ce moment ne se prêtait pas à la rigolade, elle cessa immédiatement de ricaner. Asher avait toujours été très discret, très pudique sur sa vie privée. Il n’en parlait que très rarement, et à un cercle de proches extrêmement restreint. Pour quelle raison ? Naomi ne l’avait directement questionné à ce sujet. « Tu as peur que ça te porte préjudice ? » Demanda-t-elle en faisant la moue. Elle avait lu, au cours des dernières années, que les sportifs avaient commencé à lutter contre l’homophobie en donnant de la voix — dans leurs différentes prises de position, dans leurs posts sur les réseaux sociaux, dans les causes qu’ils défendaient. « Les rugbymen sont plutôt tolérants, d’après ce qui se murmure. » Mais ce n’était que des bruits de couloir ; pas sportive pour deux sous, Naomi s’était peu inquiétée de savoir si les « on dit » se vérifiaient bien. « Tous ?! » S’exclama-t-elle, avant de partir dans un éclat de rire. Elle ne s’attendait pas à temps de générosité de la part de son ami, mais elle prenait volontiers. « T’es mignon ; tu m’assures même le service après vente. » Plaisanta-t-elle, sous-entendant que si le premier test était infructueux, elle pourrait refaire son marché auprès du reste de l’équipe.


Autour d’eux, l’effervescence commençait à se faire ressentir. Naomi se cala confortablement contre le torse musclé de son ami, et déposa sa tête sur son épaule. Elle fixait le ciel, attendant que les feux d’artifice fassent leur entrée en scène — ce qui ne tarda pas à se produire. « Bonne année à toi aussi. » Murmura-t-elle, alors que ses paupières se fermaient au contact des lèvres d’Asher sur sa joue. Là, à ce moment précis, elle était bien. Sereine. Heureuse. Au fond, c’était peut-être ça dont elle avait besoin : être entourée par les gens qu’elle aimait, et vivre des bonheurs simples.