Aujourd’hui était comme hier, ou le jour d’avant, ou tous les jours avant depuis octobre en fait, c’est à dire : merdique. J’ai l’impression d’être pris dans une journée qui ne prend jamais fin. La routine m’étouffe un peu plus chaque jour et je ne vois pas d’issue à cette situation. Mon quotidien est simple à retracer : je me lève beaucoup trop tôt pour aller bosser, je passe une journée avec des collègues insupportables et on me refile toutes les tâches les plus ingrates. Combien de fois j’entends par jour que “le petit jeune peut le faire” ? Beaucoup trop et à chaque fois je me retiens de dire que “le petit jeune il t’emmerde David, moi aussi je suis fatigué et j’ai mal au dos”. Je respecte les plus âgés, je comprends qu’ils soient moins en forme que moi mais quand je les vois discuter entre eux et faire tout sauf travailler ça me fout les boules de voir qu’ils me délèguent tout le sale boulot sans lever le petit doigt. Et il y a toutes leurs questions qui m’exaspèrent au plus haut point. Les remarques passives agressives du style “tu pars en voyage Gutiérrez ? Parce que t’as de sacrées valises sous les yeux. Il faut dormir la nuit hein ?” Suivi d’un rire gras et d’une discussion de vieux du genre “non mais c’est à cause des jeux vidéos là et de l’amstramgram, ils dorment plus les gamins”. Ce à quoi je ne réponds même plus, je me contente de les tuer du regard et de les insulter en espagnol dans ma tête. Donc après avoir supporté mes collègues de boulot je rentre chez moi, je prends une douche et je m’enferme dans ma chambre. Je me faufile sous la couette et je passe des heures à scroller sur instagram, je regarde une série de temps en temps et ça s’arrête un peu là. Il y a même des fois où je ne descends même pas manger, je n’ai pas envie. Pas faim et surtout pas envie de devoir parler avec quelqu’un. Je vis un peu en ermite et ça se voit sur mon apparence : j’ai perdu du poids, mes yeux sont cernés -comme me le rappellent mes collègues-, mes cheveux sont trop longs et j’ai une barbe de trois jours. Bref pour résumer j’ai une sale gueule.

Alors que je suis dans mon lit, les yeux rivés sur mon écran quelqu’un toque à ma porte. “J’ai pas faim” Je dis à travers la porte pour anticiper l’invitation à venir manger. Mais la porte s’ouvre quand même et ma mère me dit. “Tu as deux minutes ? J’ai un service à te demander.” Je soupire avant de lui faire signe d’entrer. “Mon patron a modifié mes horaires, je vais finir tard à partir de demain.” Je la regarde en attendant la suite en fronçant les sourcils, comme pour dire “et ?” “Je pourrai pas aller chercher Alejandro à l’école.” Je soupire “Et Sara ne peut pas y aller ?” Elle secoue la tête de gauche à droite. “Non elle travaille, il faut que t’y ailles, on a pas le choix.” La nouvelle est loin de me réjouir, l’école n’est pas du tout sur mon trajet pour revenir du travail et même si j’aime énormément mon petit frère j’aimerais pouvoir rentrer plus tôt chez moi et ne pas faire un détour. “Je suppose que tu ne veux pas manger avec nous ce soir.” Je la fixe en silence. “Il va falloir que tu te bouges Cesar, ça peut plus durer.” Et elle sort en claquant la porte. Je soupire. Et je reprends là où j’en étais dans mon fil d’actualité en râlant dans ma barbe.

Le lendemain donc, directement après le travail je prends la route de l’école. Toujours en tenue de travail et avec une mine plutôt affreuse je pense qu’il y a quelques mois j’aurais peut-être été gêné de me pointer comme ça à l’école de mon frère, mais là j’en ai vraiment plus rien à faire. Je les connais pas et même s’ils devaient mal me regarder je m’en fiche. De toute façon je récupère Alejandro et je rentre directement, hors de question de passer des plombes à parler de la pluie et du beau temps avec d’autres parents ou avec les profs. J’arrive devant l’école un peu en avance et au fur et à mesure que j’approche j’ai l’impression de reconnaître quelqu’un : Maisie. Et merde. Je me décompose un peu sur place, celle-là c’est la meilleure de l’année. Je n’avais vraiment pas imaginé la croiser, pas après toutes ces années. Je pourrais espérer qu’elle ne m’ait pas vu mais il n’y a pas une foule de personne devant l’école à cette heure-ci et juste au moment où j’arrivais elle tournait la tête, quel timing pourri. Je suis plus que mal à l’aise de la recroiser, surtout avec la dégaine que j’ai. Je repense à ce qu’il s’est passé entre nous il y a quelques années et j’ai un peu honte. Je réalise aujourd’hui que je me suis comporté comme un parfait connard. Je repense à ce que je lui ai dit et franchement je pense que c’était difficile de faire pire. Je savais que ce que je lui disais était parfaitement mesquin mais à l’époque j’avais envie d’appuyer où ça faisait mal, parce que j’avais encore été rejeté. Je revois la scène : nous deux dans sa chambre sur son lit à s’embrasser. Mes lèvres qui déviaient un peu en commençant à embrasser son cou et elle qui rejetait encore une fois mes avances. Ce jour-là j’en ai eu marre, ça faisait des mois que ça durait, qu’elle me repoussait dès que j’essayais de tenter un rapprochement physique. Alors j’en ai eu marre et je me suis levé en lui balançant “bon tu m’appelleras quand tu sauras ce que tu veux. Franchement si je te plais pas tu pourrais le dire plutôt que me faire tourner en bourrique, j’ai pas que ça à faire de t’attendre”. Et je me suis barré, on ne s'est pas reparlé depuis. J’ai honte d’avoir agi comme ça, je n’aurais jamais dû faire ça. Mais à l’époque j’étais trop pressé, j’avais 17 ans et j’avais envie de découvrir la sexualité, d’avoir une vie intime et le fait que Maisie avait besoin de temps pour passer à l’acte ça ne m’est pas venu à l’esprit. Je me suis juste dit que je ne lui plaisais pas et je n’ai pas cherché plus loin, je n’ai pensé qu’à moi. En y repensant c’est quelque chose que j’ai beaucoup regretté. J’ai compris que parce qu’elle était plus ou moins ma petite copine à l’époque ça ne voulait pas dire qu’elle me devait quelque chose et surtout que chacun y allait à son rythme. J’ai compris mon erreur et j’ai grandi. Aujourd’hui c’est quelque chose auquel j’essaie de faire attention, avec Em on prend notre temps, j’essaie d’être à l’écoute de ses envies, de ses besoins et je laisse les choses se faire naturellement. J’ai beaucoup regretté cette situation et ma réaction démesurée mais j’avais trop honte, -et trop de fierté- pour recontacter Maisie et m’excuser. J’ai préféré faire l’autruche et faire comme si rien ne s’était passé, en espérant qu’elle était passée à autre chose. Mais là je ne peux plus fuir, elle est à quelques pas de moi seulement et je me sens mal de faire comme si je ne l’avais pas reconnu alors qu’elle me regarde. Alors je lui lâche très maladroitement un “Euh salut”. La situation est plus que gênante et à ce moment je maudis Sara de bosser et de ne pas être disponible pour aller chercher notre frère à l’école. “Qu’est-ce que tu fais ici ?” La question est plutôt bête, la même chose que moi sûrement, mais dans cette situation je ne sais vraiment pas quoi lui dire. Je me vois mal lui dire “désolé d’avoir été un connard au lycée” alors je meuble avec des banalités. C’est toujours mieux qu’un commentaire sur la météo du jour.

@CESAR GUTIéRREZ & MAISIE MORIARTY ⊹⊹⊹the man that iI love sat me down last night and he told me that it's over, dumb decision and I don't wanna feel how my heart is rippin'. In fact, I don't wanna feel, so I stick to sippin' And I'm out on the town with a simple mission In my little black dress, and this shit is sittin'.

(c) lonelywolfgifs&harley.

(TOOWONG, ST-ANTHONY'S SCHOOL). D’ordinaire, j’aurais dû me féliciter que ma mère soit en congé, lui permettant ainsi d’aller récupérer mon petit frère à l’école. Aujourd’hui, je fulmine alors que ses horaires lui permettent de passer plus de temps avec Llewyn quand j’ai moi aussi besoin d’utiliser mon petit frère comme distraction – ouais, je suis une horrible personne, mais c’est le rôle d’une grande sœur. Le fait est que j’ai besoin de m’occuper l’esprit, que chaque minute que je passe sans rien à faire me rend dingue et me fait me poser des milliers de questions sur pourquoi je finis toujours par repousser tous ceux qui font partie de ma vie. C’est ridicule, c’est le genre de plainte à la Caliméro qu’on lit dans les pires romans d’amour pour sympathiser avec le personnage principal, mais c’est un fait, chaque fois que j’ouvre un peu la porte à quelqu’un, je finis par tout gâcher. J’ai pas l’impression qu’il y a grand-chose qui file droit dans mon quotidien et ma relation avec Llewyn est à peu près la seule chose que j’arrive à gérer et à faire correctement, alors j’en ai besoin. Je crois que ma mère a compris que je suis pas au mieux et qu’elle a tout intérêt à ne pas me poser de questions dans ces moments-là. C’est elle qui m’a proposé de prendre sa place et même si d’ordinaire je sature de son absentéisme, aujourd’hui je la remercie de m’en faire cadeau.

Quand j’arrive devant l’école, je constate rapidement que je suis en avance et que les seules personnes qui sont devant l’entrée sont les emmerdeuses qui se la jouent mères parfaites, les mêmes qui me jaugent de haut en bas, car elles n’ont jamais obtenu la réponse à la question qu’elles se posent depuis que je viens chercher Lee. C’est sa mère ? Les Karen et autres Susan se sont souvent armées de leurs plus beaux sourires pour tenter de sympathiser, d’avoir de meilleurs éléments à charge à ressortir lors de leurs après-midi gossips, mais j’ai toujours tenu bon. Je suis la teigne qui hoche les épaules avec un large sourire, avant d’avoir un comportement parfaitement maternant avec Lee histoire de bien me foutre d’elles. Mais aujourd’hui, j’ai pas le courage de me payer leurs têtes alors je reste en retrait, adossée contre un mur éloigné de la porte, renonçant au titre de mère de l’année parce que je ne serai assurément pas la première à accueillir mon fiston dès qu’il passe le pas de la sortie. Je le laisserai me chercher quelques longues minutes juste pour lui faire une blague, ricanant dans mon coin sous les regards désapprobateurs, à la hauteur de celui que j’adresse à Sharon qui semble vouloir esquisser un pas en ma direction. Reste à ta place ou j’te bouffe que je l’informe à distance et en silence, m’allumant une clope dans une tentative de faire passer le temps autant que de calmer mon agacement. Je leur offre mon plus beau sourire forcé quand elles jugent mon attitude, tournant rapidement la tête pour ne pas subir plus longtemps leurs messes basses ; mais peut-être qu’il aurait été préférable de me les infliger plutôt que d’avoir à supporter la vision d’un abruti que je reconnais au loin. Si durant quelques secondes je le fixe afin de m’assurer qu’il s’agit bien de lui, par la suite si mon regard ne le quitte pas, c’est uniquement pour le mettre au défi de détourner le sien ou, s’il est encore plus lâche, de changer de direction. Je t’ai vu, Cesar, alors est-ce que tu vas porter tes couilles ? Elles doivent être bien pleines vu que je lui ai pas laissé l’occasion de les vider avec moi et que c’est la raison pour laquelle il aurait toutes les raisons du monde de m’éviter – ou vice-versa. Je sais même pas comment je me sens vis-à-vis de lui. En colère, oui, encore, peu importe si ça fait des années et qu’il était jeune et stupide. Au fond, je sais qu’il avait probablement raison – que la société considère qu’il a raison. J’aimerais réussir à croire que ce n’est pas le cas, que j’ai le droit de ne pas vouloir de toute cette intimité qui est valorisée par notre société, mais j’ai l’impression que je suis une foutue bête de foire et si Cesar a peut-être évolué, moi j’ai pas réussi à me sortir cette idée-là de la tête. Il m’a mis devant le fait accompli et même si ce n’était pas d’une manière délicate, finalement c’est bien son discours qui est le plus cohérent. Louis m’aurait dit la même chose si on avait été jusqu’à cette étape de notre relation et... Angus aussi, même si on avait aucune raison d’en arriver-là. C’est moi le problème et il serait peut-être temps que je l’accepte ; mais je peux pas m’empêcher de ressentir une rancœur à l’égard de Cesar alors qu’il s’approche. Il aurait dû réagir différemment. Je sais pas comment, mais il aurait dû réagir différemment. “Euh salut” - « Salut. » J’ai pas envie de faire semblant d’être heureuse de le voir, mais à vrai dire la situation me déplait autant qu’elle m’amuse alors que je ne manque pas de faire passer mon regard sur sa tenue pour le jauger. Je pourrais presque croire à un sixième sens alors que j’ai eu la bonne idée de mettre une petite robe noire, façon revenge dress de Lady Di et je vais pas me gêner de penser que de nous deux, l’un a perdu de sa superbe. Parait que la masturbation rend sourd, j’imagine qu’il a  bien (bien) pratiqué, mais vu sa gueule, j’ai l’impression qu’il a surtout perdu la vue pour pas réaliser la dégaine qu’il se paie. “Qu’est-ce que tu fais ici ?” - « Je cherche un gosse à kidnapper. Tu sais, c’est la version 2023 de l’Immaculée Conception. » Ouais, si j’en crois ses dires, c’est un peu ma seule chance d’être maman – qu’est-ce que j’en rêve en plus, ohlala. Mais il a voulu faire la conversation, il veut poser des questions, il doit assumer mes réponses. « Et toi ? T’as culbuté ET procréé, coup double ? Félicitations. » Je tape même dans mes mains pendant un court instant avant de lui offrir mon plus beau sourire hypocrite. C’est bon, t’as pris la température Cesabruti, tu peux poursuivre ton chemin et m’ignorer comme tu l’as fait juste après m’avoir larguée comme une merde.

Je me suis traîné comme j’ai pu jusqu’à l’école avec un chiffre négatif sur l’échelle de la motivation. Je n’ai aucune envie de sortir, de devoir socialiser et par-dessus tout je suis fatigué. Pourtant je passe énormément de temps à dormir bien que souvent réveillé par des cauchemars. Mais ça fait des mois maintenant que cette sensation de fatigue ne me quitte pas. Mais Maman travaille, Sara est on ne sait où et il faut bien que quelqu’un aille récupérer Alejandro. L’histoire aurait pu en rester là, se résumant à juste récupérer mon petit frère sous les regards remplis de jugement des parents devant l’école. Mais je me fiche de toutes ces vieilles coincées du cul, je connais personne ici alors même si je suis habillé un peu n’importe comment je m’en fiche. Ils auront vite oublié et la prochaine fois quelqu’un d’autre viendra récupérer Alejandro.

L’histoire aurait donc pu en rester là, c’était sans compter un joli doigt d’honneur de la part du karma : Maisie là devant l’école dans une robe plus que canon. Putain cette poisse. La voir là devant l’école me fait paniquer et je cherche à détourner le regard, espérant très fort qu’elle ne m’ait pas vu. Mais c’est un échec complet, elle croise mon regard et je ne peux plus me faire tout petit c’est trop tard elle m’a vu. Fait chier fait chier fait chier je me répète en boucle. J’ai une poisse incroyable c’est pas possible. Il y a une très longue liste de personnes que je n’avais pas envie de croiser aujourd’hui et celui de Maisie était en haut de ma liste. En fait, j'aurais aimé ne plus jamais la croiser parce que j’ai beaucoup trop honte de ce qui s’était passé entre nous. J’hésite mais je me dis que rester là en l’ignorant ce serait encore plus lâche alors je m’approche d’une démarche incertaine et je lui dis Salut. Je regrette d’être venu, punaise j’aurais dû appeler Alma, Diego, ou même Sergio, c’est son fils quand même après tout. « Salut. » Le malaise est insoutenable et pour combler le blanc je lui demande ce qu’elle fait ici. Une question con mais sur le coup je n’ai pas trouvé mieux. « Je cherche un gosse à kidnapper. Tu sais, c’est la version 2023 de l’Immaculée Conception. » Je prends une première claque avec cette première réponse, parce que je me souviens très bien lui avoir sorti cette même phrase il y a quelques années. Je ne réponds pas, je soupire à la place. « Et toi ? T’as culbuté ET procréé, coup double ? Félicitations. » Elle tape dans ses mains, attirant l’attention des autres parents devant l’école. Super on est en train de se donner en spectacle devant tout le monde. Fait chier. Il y a quelques années je lui aurais sûrement répondu quelque chose de cinglant ou un simple “va te faire foutre Maisie” même si là là pour le coup je sais que j’ai merdé et que c’est elle qui a raison. Mais j’en ai marre de fuir toujours mes problèmes, mes erreurs et surtout de vivre avec des regrets. Je soupire avant de lui dire plutôt à voix basse. “Désolé j’ai pas été cool avec toi.” Les excuses c’est le genre de trucs qui me brûlent la gorge en général, rares sont les personnes à qui j’ai présenté des excuses. C’est loin d’être dans mes habitudes, j’ai trop de mal à mettre ma fierté de côté pour ça. “J’ai été con.” C’est la deuxième fois en à peine une semaine que je prononce ces mots et les deux s’adressaient à des filles avec qui je suis sorti. D’abord Em après la soirée du nouvel an et maintenant Maisie cinq ans plus tard. Vraiment merci le karma j’ai bien compris le message : il faut que je paie pour mes erreurs et ça passe par d’énormes claques comme aujourd’hui.

J’ai jamais été du genre à baisser le regard face à ceux qui me doivent des explications ou que je vais jauger et c’est très exactement ce que je fais avec Cesar. Je n’essaie même pas de rendre discrète la manière dont je l’analyse de mes prunelles – bien au contraire. Il n’est clairement pas à son avantage et j’ai envie qu’il se sente mal à l’aise, qu’il perçoive mon jugement silencieux et mon regard qui dit toutes ces choses que je n’ai pas envie de lui dire. Pourtant, la liste de ce que je lui reproche est suffisamment longue pour que je m’ose à la détailler, mais si j’aime pointer du doigt les fautes des autres, aujourd’hui je n’en ai pas vraiment envie. Je ne pense pas que cela changera grand-chose quant aux dégâts qu’à pu causer Cesar avec ses mots et même s’il serait justifié qu’il ait droit à un traitement similaire, il ne mérite même pas mon énergie. Me mettre à son niveau serait lui donner l’occasion de comprendre qu’il m’a terriblement blessée et que je n’ai pas réellement avancé depuis notre rupture, alors que c’est le cas. Bien sûr, ses paroles sont toujours là, m’accompagnant dès lors que j’envisage une quelconque relation, mais j’ai évolué, j’ai grandi, je me suis aussi affirmée quant à mes choix et mes désirs (ou plutôt l’absence de ceux-ci).  J’ai envie de lui montrer qu’il est bien plus insignifiant qu’il ne l’est réellement, je veux qu’il se sente minuscule, médiocre et abominable, comme il m’a fait me sentir quelques années auparavant ; et pour ça je crois que mon dédain sera encore le plus efficace. Pour autant, je n’arrive pas à avoir une conversation normale avec lui, alors que sa manière de m’aborder me met hors de moi ; salut ? Il a le mérite d’être poli, ouais, super, il a trouvé le guide des bonnes convenances cinq ans trop tard, et je compte pas l’en féliciter. Il va vraiment faire ça ? La jouer vieux potes qui se retrouvent par hasard et qui échangent sur la pluie et le beau temps ? Comme si ce qu’il s’était passé entre nous n’avait aucune importance, aucune valeur ? Je crois que mon dédain va prendre le dessus sur ma raison, finalement. Je m’en fiche bien d’attirer l’attention sur nous, je capitule pas malgré les regards interrogateurs, au contraire, je suis ravie qu’il ait du public pour assister à son humiliation. “Désolé j’ai pas été cool avec toi.” Quel euphémisme. Connard, va. “J’ai été con.” Euphémisme aussi, mais il a le mérite de poser les bons mots sur son statut. « Ça change tout, alors, c’est pas si grave, c’est du passé. » Je reconnais d’une voix plus chaleureuse, un sourire aux lèvres pendant quelques instants, avant que celui-ci ne disparaisse et que mon ton redevient froid. « C’est ce que tu veux entendre ? Parce que ça arrivera pas. » Qu’il me traite de rancunière s’il veut, je le suis, j’en ai conscience, mais il ne se rend pas compte d’à quel point il a brisé ma confiance. En lui, tout d’abord, mais aussi et surtout en moi-même – et je cherche toujours à la récupérer. Je ne peux pas mettre toutes les fautes sur lui, je le sais bien, une part de moi comprend qu’il ait décidé de mettre un terme à notre relation, c’est l’exécution que j’ai plus de peine à accepter. « Et t’as cinq ans de retard, en plus. » Je me gêne pas d’appuyer là-dessus, parce que ça veut aussi dire que j’ai eu cinq ans pour continuer à le considérer comme le roi des abrutis – et franchement, je doute que quelqu’un puisse un jour lui voler le titre. « Je vais pas t’excuser juste parce que t’as envie de te racheter une conscience. » Je souligne, dans l’hypothèse où il pense sincèrement qu’un « désolé » murmuré est suffisant. Non mais je rêve, à ce niveau-là l’écrire sur une lettre aurait déjà nécessité plus d’efforts qu’il n’en fait actuellement. « Commence déjà par te racheter des fringues, avant d’envisager des choses qui sont hors de ta portée. » Que je conclus, mon regard hautain qui passe toujours sur sa silhouette.

@Cesar Gutiérrez

Je commence à me dire que le karma s’acharne sur moi depuis plusieurs mois. D’habitude je ne crois pas en toutes ces conneries mais ça commence à faire une sacrée accumulation de poisse là. Je n’avais déjà pas envie de venir chercher mon petit frère à l’école après le boulot mais alors voir que Maisie est là vient de faire passer la barre de mon envie d’être là dans le négatif. J’aimerais me faire tout petit, disparaître avant qu’elle n’ait le temps de me voir. Mais cette fille est pire qu’un rapace et elle me repère tout de suite, je suis coincé. Fait chier;. Je sens bien que je n’ai pas le choix, je dois aller lui parler sinon la situation sera encore plus gênante. Et puis de toute façon elle est déjà en train de me fusiller du regard alors je ne peux pas me défile. Je m’approche d’elle et je lui bredouille un salut plutôt très gêné. J’ai du mal à la regarder dans les yeux quand je lui balance mes excuses sans une grande conviction. Pas que je ne le pense pas, mais je n’ai pas envie de me retrouver au milieu d’une grande discussion avec elle. Pas maintenant. Je suis sincère dans ce que je dis, je sais que j’ai fait des erreurs, c’est déjà énorme que je le reconnaisse comme ça mais je n’ai pas envie d’en parler avec elle. Si elle pouvait juste hocher la tête et ne plus m’adresser la parole ça m’irait très bien. « Ça change tout, alors, c’est pas si grave, c’est du passé. » Elle sourit et pendant une fraction de seconde j’ai l’impression qu’elle est …. sympa, c’est vraiment bizarre, ça m’étonne que ça soit aussi simple. « C’est ce que tu veux entendre ? Parce que ça arrivera pas. » J’ai l’impression de prendre une douche froide, ça m’étonnait aussi qu’elle soit aussi conciliante. « Et t’as cinq ans de retard, en plus. » Je lève les yeux au ciel, il faut passer à autre chose un jour. Je me suis excusé, on a grandi, j’ai compris que c’était mal alors maintenant on passe à la suite. “Mieux vaut tard que jamais.” J’aurais pu l’ignorer complètement aujourd’hui plutôt que de prendre mes responsabilités pour venir lui parler. J’ai fait un effort parce que j’avais aucune envie de voir sa tronche aujourd’hui. « Je vais pas t’excuser juste parce que t’as envie de te racheter une conscience. » Je lève les mains en l’air comme pour dire “je lâche l’affaire” avant de lui répondre sèchement. “C’est comme tu veux, je vais pas me mettre à genou pour te supplier de me pardonner, j’ai dit ce que j’avais à dire et voilà.” Je suis totalement sur la défensive, et je sais que je suis mal placé pour lui parler comme ça alors qu’à l’origine le connard et le fautif c’est moi. Mais bon si elle pensait que j’allais pleurer à chaudes larmes pour lui demander qu’elle accepte des excuses elle se met le doigt dans l'œil. Je me suis excusé, si elle veut rester sur des rancoeurs vieilles d’il y a cinq ans c’est son problème, j’ai pas le temps ni l’énergie pour des conneries comme ça. « Commence déjà par te racheter des fringues, avant d’envisager des choses qui sont hors de ta portée. »  Elle lâche ça en me scannant de haut en bas. Mais elle se prend pour qui cette connasse ? C’est pas parce qu’elle est habillée comme une bourge qu’elle vaut mieux que moi. “Excuse nous miss Australie mais j’ai pas demandé ton avis en fait.” On est devant une école primaire pas dans un défilé de mode alors bon c’est elle qui est trop bien habillée d’ailleurs. Si elle veut la jouer sur ce terrain-là et être hautaine pas de soucis on va jouer. Et je peux être plus con qu’elle à ce jeu-là et j’en ai rien à faire de passer -encore- pour le connard de service. “On est à l’école, c’est pas la fashion week, je sors du boulot alors je viens comme je veux.”  

J’ai soutenu son regard dans l’idée qu’il vienne assumer ses fautes plutôt que de le dissuader de s’approcher ; et maintenant qu’il l’a fait, je le regrette. Non pas parce que je ne suis pas en mesure d’assumer une conversation qui prend des allures de confrontation, mais parce que je suis suffisamment rancunière pour que ces retrouvailles gâchent une journée qui s’annonçait pourtant agréable. Il est devant moi et j’ai envie de lui hurler dessus plutôt que de me remémorer le bon vieux temps. Car même si je l’assimile à de mauvais souvenirs, on en a aussi eu des bons. J’ai jamais été mise de côté au lycée, j’ai jamais été particulièrement populaire non plus, mais Cesar est le seul garçon qui s’est intéressé à moi et qui a pris le temps de me connaître avant d’avoir des exigences que je ne pouvais pas remplir. J’imagine que ça le dédouane un peu, au moins, alors que j’ai sincèrement apprécié les moments qu’on a passés ensemble avant que ses hormones surexcitées et les miennes en berne ne trouvent pas un terrain d’entente. Mais de gagner en maturité ne m’a pas permis de laisser ça derrière moi, et j’ai pas la prétention de considérer qu’il est celui qui a rendu cette rencontre désagréable alors que je suis la première à me moquer ouvertement de ses excuses. Pour ma défense, on ne peut pas dire que celles-ci semblent très sincères alors que le discours d’un otage menacé par un flingue serait sûrement plus crédible que le sien. Et même s’il ne m’a jamais forcée à quoi que ce soit, il m’a quand même mis la pression à sa façon et je crois que je peux me permettre d’en faire de même pour qu’il soit plus convaincant. Surtout, je doute pas que nos chemins ne seront pas amenés à se recroiser – ou s’ils le sont, je ne me gênerai pas de l’ignorer – et c’est peut-être ma seule occasion de m’assurer qu’il a changé. Car dans le fond, ce n’est pas tant son comportement quand il était adolescent qui est le problème, ni ses excuses ridicules, mais le fait qu’il ne reproduise pas le même schéma avec d’autres filles – ou mecs, hein, peut-être qu’il va encore me dire qu’il a été tellement frustré qu’il a été obligé de se rabattre sur ce qu’il lui restait sous la main (au moins, je pourrais l’insulter et l’envoyer se faire enculer sans qu’il le prenne trop perso, génial). “Mieux vaut tard que jamais.” Sur le fond, il a raison, mais sur la forme, il manque un élément crucial. « Ça, ça se vaut que si c’est sincère. » Je souligne, avant de rajouter : « Ce qui n’a pas l’air d’être le cas vu comme tu lèves les yeux au ciel. » J’ai aucune peine à verbaliser les choses et s’il parvient à me regarder dans les yeux en me disant que, vraiment, il regrette, avec la même attitude, alors c’est probablement ma main sur sa joue qui viendra tenter de lui faire entrer la leçon dans le crâne (surtout qu’au vu du manque de neurones, je suis certaine qu’il y a assez de place pour celle-ci et quelques autres au passage, qu’il ne me remercie pas). “C’est comme tu veux, je vais pas me mettre à genou pour te supplier de me pardonner, j’ai dit ce que j’avais à dire et voilà.” Qu’il est théâtral, le Cesabruti, retournant la situation comme si le problème venait de moi. Peut-être aujourd’hui, oui, mais il y a grandement contribué. « J’te demande pas d’être à genoux, juste de le penser. » J’ai pas besoin qu’il me baise les pieds – quoi que, ce serait drôle étant donné qu’il a rien pu baiser d’autre – juste qu’il le pense. « Franchement, si ta seule remise en question c’est de dire désolé, j’ai été con vu le contexte, ça m’fait peur pour le reste, hein. » Je plains déjà ses meufs, si ses excuses sont proportionnelles à la fierté qu’il veut conserver – alors que bon, hein, vu sa dégaine la fierté en question a déménagé sur un autre continent. “Excuse nous miss Australie mais j’ai pas demandé ton avis en fait.” - « Excuse-moi Einstein, mais donner son avis ça fait partie d’une conversation, ce que t’es venu faire en te pointant. » Il pensait que j’allais juste l’écouter en lui donnant une tape dans le dos pour le rassurer de ma bienveillance à son égard ? Hilarant. “On est à l’école, c’est pas la fashion week, je sors du boulot alors je viens comme je veux.” - « Aux dernières nouvelles, ton boulot te demandait pas d'être trop habillé. » J’ai aucune idée de s’il a un vrai métier en dehors de sa petite popularité sur instagram, car même sans être abonnée à son profil, nos connaissances communes n’ont pas manqué de faire circuler l’information quant à ses exploits – et je vois donc mieux quel genre d’artiste il peut être, hm.

@Cesar Gutiérrez  

“Je lève les yeux au ciel parce que tu me prends la tête alors que je te fais des excuses.” J’arque un sourcil, toujours pas acquise à sa cause. Peut-être qu’il l’est, sincère, et que je suis juste trop rancunière. Je n’ai pas assez de mauvaise foi pour nier qu’il s’agit d’une possibilité, mais ce n’est pas pour autant que je compte lui faciliter la tâche. Il s’est contenté de deux phrases pour me balancer des excuses qui ne me laissent pas croire qu’il a remis son attitude en question et c’est peut-être ça qui me fait le plus souci. Parce que je sais les conséquences d’un tel comportement, je les ai expérimentées, et même si je ne suis pas assez ingrate pour rejeter l’entier de la faute sur lui, ce sont ses attentes et celles des garçons comme lui qui m’ont fait croire pendant longtemps que j’avais un problème – et je continue de le croire, au fond, même si je prétends le contraire. Je ne sais pas exactement ce que j’aurais voulu, en réalité. Pas qu’il se mette à genoux, c’est certain – non, c’est plutôt moi qui aurais dû le faire à l’époque, n’est-ce pas ? – mais seulement qu’il s’explique. Qu’il me dise exactement pourquoi il a été con, pourquoi il le regrette, comment il aurait pu réagir, ce qu’il ferait si cette situation se produisait aujourd’hui. J’en demande sûrement trop, oui, je m’en doute bien ; mais j’estime avoir ce droit en vue de l’estime que tout ceci m’a arrachée. “Mais je le pense, c’est toi qui veux rien entendre.” - « On rejette toujours la faute sur les autres à ce que je vois. » Et oui, j’avoue, c’est bas, c’est de mauvaise foi, c’est déplacé ; je peux le reconnaître, mais ça ne m’aidera pas pour autant à m’adoucir. Car, en vérité, je ne suis même pas sûre de vouloir ses excuses, ni même d’en avoir besoin – je me sens pas plus soulagée parce qu’il les a formulées. « Est-ce que tu t’es au moins remis en question ? » Je l’interroge, sûrement trop hargneuse pour ne pas glisser sur un terrain de plus en plus déplaisant, mais ma question est sincère. J’aimerais réellement savoir s’il a pu comprendre ce qui clochait dans sa façon de faire. Qu’il me quitte parce que je voulais pas écarter les cuisses c’est une chose, mais la manière de le formuler en est une autre. Et j’enchaîne, de plus en plus vindicative à mesure que je me heurte face à un mur et que, surtout, que l’occasion d’enfin régler mes comptes m’est offerte. Parce qu’à l’époque, j’ai baissé la tête, j’ai accepté, j’ai pas osé m’affirmer et même si j’ai quelques années de retard, je crois que c’est ma seule chance de faire la paix avec toute cette situation, peu importe les arguments que je peux utiliser qui sont, disons-le clairement, pathétiques. “Y a une différence entre donner son avis et juger.” - « Quoi, ça te plaît pas d’être celui qu’on juge, cette fois ? » Est-ce qu’il goûte un peu à sa propre médecine maintenant que c’est lui que je pointe du doigt, sur la base d’a priori ridicules ? Je suis pas sûre de prendre du plaisir à l’humilier, mais j’ai envie de le faire ; à charge de revanche, il paraît. “T’es jalouse de ce que t’as perdu c’est ça ?” Je pouffe de rire, bien peu dérangée par le fait de ne pas avoir goûté aux attributs de Cesar, le démontrant dans mon attitude alors que je hausse un sourcil, affiche une moue moqueuse, alors qu’il enchaîne : “Je suis maçon alors tes remarques de…” Je lève à mon tour les yeux au ciel, prête à l’envoyer balader puisque les hostilités sont définitivement lancées, mais c’est une petite voix qui rompt le silence à ma place. “Cesaaaaaaaar.” J’ai pas pour habitude de détester les gosses, mais celui-là, je l’aiderais bien à embrasser le mur à côté de nous pour oser nous interrompre ainsi – et parce que, désolée pour lui, il semble être de la même famille que l’abruti devant moi, scellant son sort malgré lui. “Hey, salut toi.” Ma moue moqueuse s’accentue alors qu’il semble mielleux à souhait devant son frangin, et qu’il en profite pour tenter de s’échapper. “Allez on y va.” - « Ouais c’est ça... » Casse-toi, que je murmure distinctement sur mes lèvres pour qu’il puisse comprendre la suite sans que son petit frère se retrouve au milieu de tout ça. “Non attends le maître il a dit qu’on devait faire un exposé avec Llewyn” - « T’es sérieux là ? » Que je demande aussitôt, alors que mon sourire d’emmerdeuse disparait aussitôt tandis que Lee me confirme. « Ouais, le prof nous a mis en binôme c’est trop bien ! » - « Génial. » Que je marmonne entre mes dents serrées. « Ouais bah pas aujourd’hui, okay ? » - « Et pourquoi ça ? » J’en oublie que l’arrogance de Lee me donne aussi envie de l’encastrer dans un mur un jour sur deux, malgré tout l’amour que je lui porte. J’ignore sa question, alors que je souligne : « C’est bon, Alejandro va commencer tout seul, son frère lui montrera comment faire, il connaît. » Sans même adresser un regard à Cesar, parce qu’il est hors de question que je joue au taxi et que je me retrouve à poireauter chez le Gutiérrez, ou vice-versa. Lee se débrouillera demain, avec notre mère, ou à pied, tiens, ça lui apprendra à choisir ses amis, parce qu’entre Alejandro et Samuel, je suis pas gâtée.

@Cesar Gutiérrez