lieu: electric playground, fortitude valley

Dans le bar, la musique était diffusée à un volume sonore frôlant l’excès, les basses venaient faire vibrer le corps d’Arthur dans une sensation qui lui permettait de s’échapper encore un peu plus. Il se laissait porter par le courant, transporter par les corps qui l’entouraient sur la piste de danse, incapable de mettre ses pensées dans un ordre qui se voudrait cohérent. Les pupilles dilatées par les différentes substances qu’il avait ingérées depuis son arrivée dans le bar, il n’était plus réellement conscient de quoi que ce soit. Dans le fond, c’était exactement ce qu’il était venu chercher dans ce lieu. La réunion aux NA avait été un véritable échec, il avait eu la sensation que Swann ne comprenait rien à ses pulsions et tout ce qui faisait qu’il n’avait de cesser de reprendre sa consommation. Les deux garçons avaient fini par hausser le ton et au lieu de rentrer chez lui comme Arthur l’avait promis, il avait décidé de venir se perdre dans un établissement de nuit. Il avait commencé tôt, il avait touché à tout et enchaîner les verres emplis d’alcool en tout genre. Pendant un temps, il s’était laissé distraire par une belle brune qui avait fini par venir glisser sa langue entre ses lèvres. Elle lui avait proposé de faire quelques lignes et puis il avait fini par la perdre de vue ou alors elle s’était trouvé une autre distraction. Il ne savait plus vraiment. Arthur n’avait aucune idée de comment il avait atterri sur la piste de danse et qui pouvait bien être cette fille entre ses bras. Il lui offrit un sourire alors que lentement, il se sentait redescendre de son piédestal, les drogues perdant peu à peu leurs effets et l’alcool se dissipant entre les brouillards de ses pensées. « Je vais me chercher un verre. » Il lui fallait garder le rythme, il sentait déjà son cerveau se réveiller et s’animer de pensées qu’il préférait garder pour plus tard, pour un autre jour ou même jamais.

Tout en se faufilant au travers de la foule, Arthur glissa ses mains dans les poches de son jean incroyablement serré autour de ses cuisses. Ses doigts trouvèrent les restes d’un paquet de cigarette et le bout d’un briquet sans jamais effleurer le sachet qu’il avait embarqué avec lui. Avait-il tout consommé ? Il n’en avait strictement aucune idée, il ne saurait dire à quel point la nuit était avancer et surtout, il avait un mal de crâne qui consommait à s’incruster entre ses tempes. Il lui fallait un verre, et vite. Mais la foule était dense et il avait bien du mal à se frayer un chemin sur ses jambes particulièrement faibles. Il éclata de rire lorsqu’un mec commença à s’échauffer parce qu’Artur avait osé poser ses mains sur les hanches de sa copine pour la déplacer de sur son chemin. Il n’était conscient de rien et n’avait qu’un seul but : atteindre le bar.

Les deux mains posées à plat sur le comptoir en bois abîmé par le temps, Arthur pris un instant pour se stabiliser sur ses jambes et cherchant à former une chaîne cohérente de pensées. Il était absorbé par son observation du menu pour trouver un cocktail qui viendrait assommer son esprit quand du coin de l’œil une silhouette attira son attention. La demoiselle lui tournait pratiquement le dos, elle avait des cheveux blonds et une stature qui finit résonner une certaine familiarité chez Arthur. Il eut envie de rire lorsque finalement ses pensées associèrent le sentiment à un prénom. Visiblement, il en avait consommé de la bonne ce soir, au point d’halluciner un fantôme de son passé. Le serveur s’approcha de lui et Arthur commanda un scotch et un mélange mortel à base de vodka pratiquement pure. Il tendit sa carte bleue sans se soucier du prix de ses consommations et enfila le premier verre dans un geste sec sans que son regard ne se détourne de cette silhouette. Du bout des doigts, il vient toucher le coude de la jeune femme qui était appuyé contre le bar. « On se connaît non ? » Il cherchait encore à se convaincre que tout cela n’était qu’une hallucination lorsque la demoiselle se tourna dans sa direction et que leurs regards finirent par se croiser dans la pénombre de l’endroit. « Greta ? » Et avant que la réalisation ne l’atteigne, avant qu’il n’ait conscience de la véracité de sa vision, Arthur éclata de rire. Est-ce qu’il était en train de devenir fou ?

@greta moore

Les choses s’enchaînaient rapidement et Greta ne pouvait pas se vanter d’avoir la vie idéale ces jours-ci. Elle qui avait tant rêvé d’une vie banale, en totale opposition avec celle de Londres, se retrouvait bien malgré elle dans des scandales qui auraient fait les affaires des journaux anglais. Ses déboires étaient insignifiants pour tous les australiens mais il y avait fort à parier que les frasques de la cadette Sighbury auraient rapporté beaucoup d’argent alors elle se félicitait d’être partie. Le retour de Carmine avait été le seul point positif de cette fin d’année mais celui-ci avait réussi à se fâcher avec Emery en un temps record. Puis il y avait la biographie qui était venue l’aider à se ressaisir mais, là aussi, tout s’était compliqué quand Rhett avait de son côté bel et bien fait la une des journaux. Cette impression que tout ce qu’elle touchait était voué à l’échec ne la quittait pas mais tout cela avait au moins un avantage, l’accumulation de problèmes rendait celui qui occupait normalement toutes ses pensées un peu moins important en comparaison. Son histoire avec Lucas, cette petite lueur d’espoir qui était venue lui montrer que son cœur pouvait peut-être encore fonctionner, avant de partir en fumée comme tout le reste. Ses autres péripéties avaient en effet permis à l’écrivaine de passer à autre chose, du moins jusqu’à cette soirée de nouvel an où la dernière personne à qui elle aurait souhaité montrer qu’elle noyait son chagrin dans l’alcool était venue la sauver des griffes d’un détraqué. Cette mésaventure aurait du lui servir de leçon et cela aurait probablement été le cas si Greta n’avait pas une énième fois dû faire face au dilemme de publier ou non la biographie de Rhett Hartfield compte tenu des dernières nouvelles à son sujet.

Cette fois, Greta avait pris soin d’emmener avec elle des connaissances plus que des amis pour éviter de devoir se justifier sur le nombre de verres qu’elle consommerait durant la soirée. La réponse était simple : trop. Elle n’avait d’ailleurs pas attendu longtemps avant de commander le premier gin tonic d’une longue liste. Un cocktail qui faisait distingué, qui donnait l’impression d’une femme d’affaires venant se détendre après une longue journée. Les bouteilles de vin rouge hors de prix qu’elle choisissait d’habitude était également très chic mais l’idée de partager ne la tentait pas ce soir. Très vite, le premier puis le second et enfin le cinquième gin tonic avaient été terminés et les conversations avec une compagnie mal choisie ne l’amusaient plus alors la blonde s’était dirigée au bar, comme si les simples gestes de l’index ne suffisaient plus à commander. Elle cherchait à s’échapper et l’ivresse lui donnait envie de se changer réellement les idées. « On se connaît non ? » A l’entente d’une voix masculine, Greta s’était tournée avec intérêt après avoir récupéré son précieux verre. En réalisant qui venait de l’aborder, l’idée de se retrouver à nouveau confrontée à l’homme aux mains baladeuses de sa dernière soirée n’était finalement pas si terrible. « Greta ? » Il n'avait plus rien du séduisant dandy au sourire charmeur et à l’assurance à toute épreuve, il semblait perdu. La différence entre le garçon qui l’avait quittée plusieurs années auparavant et celui qui se tenait devant elle était était telle que Greta avait un instant réussi à douter qu’il s’agissait bien de lui. Ça et l’incroyable coïncidence de retrouver quelqu’un supposé se trouver à l’autre bout de la planète. « Qu’est ce que tu fous là ? » Ses jambes avaient bien du mal à continuer de la porter, l’alcool et le choc venant la faire se perdre dans un panel d’émotions toutes opposées. L’attirance pour lui était tellement intacte qu’elle aurait pu se jeter à son cou, l’étonnement de le revoir était si grand qu’il évitait à la colère de prendre le dessus et de le gifler. Un geste qui serait venu combler le plus grand de ses fantasmes et lui permettre d’évacuer tout ce qu’elle ressentait depuis qu’il l’avait laissée tomber. « T’es défoncé ? » La réponse lui avait été donnée dans un rire qui en disait long sur son état. La drogue, tout ce qui avait précipité leur couple vers la chute. Une constante dans la vie de Greta dont les amis et les projets fonçaient droit dans le mur à cause de cela. La blonde y avait échappé mais semblait bien hypocrite, elle qui sombrait dans l’alcool et était venue finir son gin tonic d’une traite sans lâcher le regard d’Arthur. « Nan. Nan, nan, nan. » Elle secouait la tête et agitait ses deux mains devant elle, essayant de se persuader que tout cela n’était pas réel, mourant d’envie d’être elle-même en train de planer. « J’peux pas gérer ça la. » Son esprit voulait fuir mais son corps restait figé, incapable de s’éloigner de celui d’Arthur.

Les sens d’Arthur se retrouvaient agressés par tous les stimuli l’entourant. La musique était trop forte, la foule trop dense, les battements de son cœur trop rapide. Tout était exacerbé, à la limite de ce qu’Arthur pouvait bien supporter. Il avait eu besoin de poser son attention sur un seul point, pour tenter de retrouver un équilibre dans ses pensées. Cela aurait pu être n’importe quoi dans cette boîte de nuit, mais le regard du Londonien était venu se fixer sur cette silhouette, de cette blonde, parce que son esprit se souvenait d’un passé auquel il avait juré ne plus s’attacher. Elle n’était censée être qu’une blonde parmi les autres, une fille qui était venue fêter le début du week-end comme tous les jeunes de cette ville, une inconnue. Rien de plus. Arthur aurait pu rire de cette pseudo-ressemblance, il n’en aurait parlé à personne, mais le souvenir aurait été là, juste un court instant. Ce ne devait être qu’une illusion de son esprit, jamais une réalité qui commença à se dessiner sous ses yeux. Elle n’était pas que le fantôme d’une fille de son passé, elle était le fantôme, soudainement en chair et en os devant Arthur qui se sentait tomber. « Qu’est-ce que tu fous là ? » Si doute, il avait eu, ce dernier venait de s’envoler à la simple entente de cet accent, de cette inflexion de voix. Il se pinça la peau pourtant, avec force, juste dans le creux de son coude. Il eu mal Arthur et il ne parvenait plus à comprendre pourquoi Greta se tenait devant lui. « T’es censé être à Londres. » Arthur répliqua sur le même ton que la jeune femme, incapable de comprendre ce qu’elle pouvait bien faire là. Il ne se souvenait pas, sur l’instant, de tous les rêves qu’ils avaient eus un jour, cela lui reviendra plus tard, quand il sera redescendu de son high et que la réalité viendra le heurter de pleins fouets. Pour le moment, tout le faisait rire, surtout les traits changeant sur le visage de Greta. « T’es défoncé ? » - « Mais non ! » Arthur s’offusqua alors que ses yeux se tapaient leur meilleur aller-retour le long de la silhouette de la jeune femme. Pris dans un besoin inexpliqué de se rassurer, le Coventry fit un pas en avant, pour mieux venir presser son doigt dans l’avant-bras de son ex petite amie. Il n’était pas censé s’électriser par un simple touché, mais tous ses sens étaient en alerte face à celle qu’il pensait ne jamais revoir. « Pourquoi t’es là? » Soudainement, Arthur avait besoin de comprendre, car rien ne semblait lui faire sens. Greta devait être ailleurs, à l’autre bout du monde, en train d’écrire des livres et de se marier avec un gars digne de tous ses rêves, c’est pour cela qu’il avait décidé de la quitter. Ça ne pouvait pas être autrement.

Elle fit sursauter en s’agitant soudainement, Arthur fit un pas de côté, ne voulant pas s’en prendre une par mégarde. « Nan. Nan, nan, nan. » Greta secouait la tête avec tant de vigueur qu’il en avait mal au crâne pour elle. « J’peux pas gérer ça là. » - « Mais j’ai rien fait… » Il tentait de se justifier sans même savoir pourquoi. Arthur avait eu l’habitude des reproches sur la fin, ils avaient passé leur temps à d’abord se chamailler puis se disputer pour de vrai. Il ne se souvenait même plus de la dernière conversation qu’il avait pu avoir avec elle, mais se retrouver face à elle semblait venir titiller chacun de ses sens. Il en avait oublié leur environnement, il n’y avait que Greta d’un seul coup. Elle était partout et Arthur avait bien du mal à gérer. « Pourquoi t’es là Greta ? » Prononcer son nom à haute voix le fit frissonner sans qu’il ne puisse en expliquer la raison. Arthur se fichait de tout cela pour le moment, il avait besoin de comprendre. « T’étais censé écrire des livres… À Londres. » Il marmonnait dans son coin, se répétant ce mensonge qu’il n’avait eu de cesse d’enchaîner dans un coin de sa tête pour se rappeler toutes les raisons qui l’avait éloigné d’elle. Greta ne devait pas être là, ce n’était pas dans son plan, cela n’avait aucune logique.

Se retrouver dans une soirée où tout dégénère aurait dû être le déclic dont elle avait besoin pour cesser ses virées nocturnes. Pourtant, ce soir-là encore elle avait pris le chemin d’un bar différent du soir d’avant pour ne pas se retrouver sur la liste des habitués. Elle tenait encore à sa réputation même si, sans réellement en prendre conscience, sa dignité était dangereusement mise de côté alors que son addiction à l’alcool devenait bien plus inquiétante que ses dérives du passé. Un passé que Greta pensait loin derrière elle, sur un autre continent, et qui lui faisait pourtant face ici sous la forme d’un homme toujours aussi incroyablement attirant. « T’es censé être à Londres. » L’idée avait rapidement été remplacée dans son esprit alcoolisé parce qu’il ne lui avait pas fallu longtemps pour réaliser qu’elle se trouvait en fait face à celui qui lui avait brisé le cœur des années plus tôt et que l’entendre lui dire où elle devait se trouver l’agaçait profondément.

Il éludait la question, semblait ailleurs et pour elle, le calcul avait vite été fait. « Mais non ! » avait-il affirmé sans qu’elle n’ait pu le croire ne serait-ce qu’un instant. En le voyant s’approcher et pointer son index sur elle, l’écrivaine avait eu un mouvement de recul et s’était directement essuyée le bras. « Me touche pas ou je hurle, t’es taré ou quoi ? » Elle aurait pu se mentir et se dire que le contact physique la replongeait dans la mauvaise expérience de la dernière fois mais il était évident que ce simple rapprochement de leurs peaux l’avait fait frissonner et rougir, la ramenant plusieurs années en arrière. Leur couple n’avait pas eu de réel point final et les sensations restaient encore vives dans son esprit, aidées par la présence improbable d’Arthur face à elle. « Pourquoi t’es là? » Son insistance à lui retourner la question qu’elle avait posée la première l’avait fait lever les yeux au ciel. « Quoi pourquoi je suis là, j’ai pas de compte à te rendre, toi qu’est ce que tu fous là ? » Greta était sur la défensive et son besoin d’alcool se faisait de plus en plus pressant, lui faisant réaliser que l’addiction était bien présente, comme si se retrouver face à lui lui rappelait tout ce à quoi elle avait échappé lorsqu’il était sorti de sa vie. Le négatif, mais le positif également. Elle était là parce qu’ils l’avaient prévu, ensemble, parce qu’ils avaient un avenir bien tracé qu’ils avaient bâti lors des discussions interminables qu’ils entretenaient entre amis ou à deux.

« Mais j’ai rien fait… » Sa mémoire avait probablement dû être extrêmement attaquée par les quantités de cocaïne qu’il avait dû prendre depuis la dernière fois où elle l’avait vu, mais son aplomb lui rendait très difficile de garder son calme et ne pas le gifler. A ce moment précis, sa seule faute avait été de se trouver au même endroit au même moment qu’elle et même si cela était incohérent, elle ne pouvait pas l’en blâmer. Mais tout lui revenait comme un film qui se jouait dans sa tête et la douleur se mélangeait à la colère et c’était bel et bien là ce qu’elle ne pouvait pas gérer ce soir. « Pourquoi t’es là Greta ? » Et elle flanchait dangereusement en entendant Arthur prononcer son prénom mais les perpétuelles questions du garçon lui permettaient de continuer à afficher la colère bien plus que la nostalgie. « T’étais censé écrire des livres… À Londres. » Combien de fois encore allait-il lui demander les raisons de sa présence et lui indiquer que, selon le fils Coventry qu’il était, elle devait être à Londres. Qui était-il pour encore donner son avis sur sa vie et sa façon de la gérer ? Affrontant son regard perdu qui confirmait sa première impression, la blonde avait explosé. « Ouais, j’aurais dû rester à Londres et écrire mes livres parce que tu pars du principe que j’aurais dû renoncer à mes rêves quand t’es parti. » Elle regrettait d’avoir vidé son verre trop vite parce que cela ne lui laissait plus rien à lui lancer à la figure. Pourtant, cet énième verre lui permettait de poursuivre son flot de paroles en tentant de lutter contre les larmes qui commençaient à perler au coin de ses yeux.  « C’était des rêves communs mais je les ai pas abandonnés aussi facilement que toi tu l’as fait avec moi. » Pleurer aurait signifié lui montrer sa faiblesse alors elle se mordait l’intérieur de la joue et serrait les poings, confuse face à toutes ces sensations qui se bousculaient en elle. « Espèce de lâche. » Avait été la seule chose qu’elle avait réussi à ajouter tout en poussant Arthur de son chemin pour aller s’asseoir un peu plus loin, à l’abri des regards des curieux. Ce soir, personne ne la sauverait pour la simple et bonne raison que personne ne comprendrait qu’elle était plus en danger qu’elle ne l’avait jamais été. Face à celui qui avait fait d’elle ce qu’elle était aujourd’hui, une alcoolique à la dérive.

« Me touche pas ou je hurle, t’es taré ou quoi ? » Malgré son esprit embrumé par l’alcool, Arthur possédait encore un certain instinct de protection qui lui hurla de prendre un pas de recul. Il connaissait assez Greta pour savoir qu’elle était parfaitement capable de se mettre à hurler au meurtre et il ne voulait pas la voir s’enfuir aussi facilement. Non. Il voulait comprendre, il voulait s’assurer que c’était bien elle et pas une hallucination provoquer par le cocktail qu’il s’était injecté dans le sang ces dernières heures. Il avait levé les mains en signe de défense et pourtant, quelque chose lui hurlait de venir toucher son bras encore une fois, juste pour vérifier, juste pour se rappeler ce que c'était d’être proche d’elle. À une époque, il n’aimait que cela, être près de Greta. Il s’en souvenait, son corps pouvait encore se rappeler de certaines sensations et son esprit lui jouait le film d’une vie passée à laquelle il s’efforçait de ne plus penser depuis si longtemps. « Quoi pourquoi je suis là, j’ai pas de compte à te rendre, toi qu’est-ce que tu fous là ? » - « Ça fait longtemps que j’ai plus de compte à te rendre non plus. » Elle voulait jouer sur la défensive, il en était tout aussi capable qu’elle. Greta avait ce don de réveiller le démon qui sommeillait en lui. Il avait autant aimé qu’elle l’eût rendu fou avec ses remarques acerbes et sa répartie cuisante. Entre eux, les disputes étaient toujours explosives, l’un voulant toujours avoir le dernier mot sur l’autre et inversement. Arthur se souvenait et un sourire vint se dessiner sur les lèvres au rappel de tout cela.

Mais les souvenirs ne pouvaient en rien lui donner une raison valable pour la présence de son ex petite amie dans ce bar. Arthur la pensait à des milliers de kilomètres de là, à Londres, toujours dans leur ancienne vie, toujours dans les mêmes galas et les mêmes amitiés superficiel. Elle devait être là-bas, il savait gérer quand la distance était entre eux, il n’avait pas à se soucier d’elle. Pourtant, Greta était face à lui, il en était sûr désormais et elle était en colère. Arthur aurait pu hausser les épaules, balancer une phrase toute faite sur le temps qui passe et lui tourner le dos, mais il restait planter sur place cherchant encore une explication à tout cela. « Ouais, j’aurais dû rester à Londres et écrire mes livres parce que tu pars du principe que j’aurais dû renoncer à mes rêves quand t’es parti. » Arthur fronça les sourcils, pas réellement persuadé d’où elle voulait en venir. « C’était des rêves communs mais je les ai pas abandonnés aussi facilement que toi tu l’as fait avec moi. » Il s’attendait à bons nombres d’explications de la plus farfelue à la plus simple, mais Arthur n’avait pas envisagé de se prendre une gifle mentale de telle envergure. En quelques mots, Greta venait de le renvoyer à une décision qu’il n’avait jamais réellement remise en question. Il avait fallu la quitter, pour son bien à elle. Jamais le Coventry n’avait envisagé la simple idée qu’elle puisse encore vouloir mettre à exécution tous les projets qu’ils avaient un jour imaginer ensemble. Greta s’était raccrochée à une idée révolue, mais avait fini par en faire quelque chose puisqu’elle se tenait face à Arthur. Il avait tant de mal à comprendre, pourquoi avoir choisi de venir ici, pourquoi lui jeter tout cela à la figure tel un poison conservé pendant des années durant ? Il se sentit flancher sur ses pieds et Greta décida d’enfoncer le couteau un peu plus profond encore. « Espèce de lâche. » Elle le planta ainsi, bouche entrouverte, incapable de comprendre ce qui venait de lui arriver. Arthur la regarda s’éloigner, rejouant les derniers mots de la blonde sans jamais prendre conscience de l’impact que ces derniers venaient d’avoir sur lui. Il haussa les épaules, secouant la tête et se répétant avec force qu’elle n’était qu’une ex, une personne de son passé à qui il ne devait plus rien. Sans aucune hésitation, il se tourna de nouveau vers le bar pour commander une autre boisson. La brune qui lui tournait autour venait de le rejoindre et il plongea toute son attention sur la demoiselle, oubliant celle qui venait de le remballer.

Arthur mettait tout son cœur à vouloir réellement passer du bon temps avec la brune dont il n’avait toujours pas retenue le prénom, mais malgré les minutes qui ne cessaient de défiler, son esprit le renvoyait toujours aux paroles de Greta. Elle l’avait traité de lâche et il n’appréciait guère cela, il n’avait pas été lâche, il avait pris la meilleure des décisions pour elle. Pourquoi est-ce qu’elle ne l’avait pas compris ? L’anglais ne cessait de penser à tout cela, son regard finissant toujours pas retomber sur Greta qui était partie s’éloigner sur une banquette, recroqueviller sur elle-même. Arthur ne voyait plus qu’elle, la fragilité qu’elle semblait dégager et le moindre mouvement que son instinct l’aidait encore à analyser. Fut un temps, il l’avait connu par cœur, il savait comprendre Greta sans qu’elle n’ait à dire quoi que ce soit et il avait bien du mal à la voir s’isoler ainsi. La brune ne cessait de venir embrasser son cou et il commençait à perdre patience. « Arrête ça. » Il n’avait jamais aimé les filles qui auraient pu vendre leur corps aussi facilement, Arthur avait toujours apprécié jouer avec sa proie avant d’entamer le moindre pas, mais ce soir, il s’était lassé en quelques minutes. Il en n’avait plus rien à faire, il ne souhaitait clairement plus s’échapper avec elle. « Lâche-moi maintenant. » Arthur repoussa la demoiselle sans lâcher Greta du regard, un homme tournait un peu trop près d’elle.

Pour user d’une excuse, il prit le temps de faire un crochet par le bar une nouvelle fois, sans jamais laisser son regard se détourner trop longtemps. Sans trop savoir ce qu’il allait faire, mais déterminé à ne pas laisser ce gars s’approcher de Greta, il finit par monter sur l’estrade qui abritait la banquette. « Tiens. » Il tendit un verre d’eau à la blonde tenant de laisser un sourire s’imprimer sur son visage. Il n’avait aucune idée de ce qu’il était en train de faire, mais son instinct l’avait poussé à revenir, à faire attention à elle. Comme avant. Arthur ne savait plus grand-chose, mais il vint s’asseoir aux côtés de la jeune femme, laissant tout de même une certaine distance entre eux. Tout avait toujours été différent avec elle, mais il se trouvait là, à jouer nerveusement avec ses doigts, en pleine descente et sans savoir ce qu’il allait bien se passer par la suite. La musique était trop forte et l’alcool lui tapait le crâne, mais son regard ne lâchait plus Greta. « Je pensais pas te revoir un jour. » Il ne l’avait jamais envisagé et maintenant, il se sentait comme un con. Le plan était de ne jamais la revoir, pas de se retrouver face à elle et à vouloir lui parler.

Lors de ses sorties nocturnes, Greta n’avait qu’une obsession : oublier les problèmes du quotidien et se noyer dans assez d’alcool pour avoir l’impression de contrôler la situation. L’idée n’était définitivement pas de se retrouver face à d’anciens démons. « Ça fait longtemps que j’ai plus de compte à te rendre non plus. » Alors pourquoi se tenait-il là à lui demander la raison de sa présence ici ? S’il était bien conscient de n’avoir aucun compte à lui rendre, il était logique qu’elle ne réponde pas à ses questions. Son insistance avait pourtant eu raison d’elle et elle s’était mise à lui cracher tout ce qu'elle n'avait jamais pu lui dire au visage. Tout cela n’aurait jamais dû arriver. Ils auraient dû partir en claquant la porte chacun de leur côté et ne plus jamais se revoir. Pourtant, c’était Arthur qui lui avait claqué la porte au nez sans qu’elle n’ait son mot à dire et sa reconstruction avait pris un temps bien trop long, avec des erreurs et quelques séquelles sur le chemin. Il lui arrivait encore de penser à lui parce que ce n’était pas qu’un flirt mais bien quelque chose de réel, c’était du moins ce qu’elle avait cru. Tous ces mots n’auraient jamais dû être prononcés, durant longtemps l’écrivaine regrettait de ne jamais avoir pu lui dire en face tout ce qu’elle avait sur le cœur mais avait fini par se faire une raison. Le retrouver en face d’elle avec cette opportunité l’avait prise au dépourvu mais c’était plus fort qu’elle, ce bond dans le passé avait suffi à faire à nouveau peser sur son cœur le poids d’immenses regrets.

« Et pourquoi Brisbane ? » « On serait avec Swann, et puis on serait heureux là-bas, on se paierait une villa incroyable et je te regarderais écrire... »  Le sourire qui avait suivi l’avait fait fondre parce que plus le temps passait et plus elle en était amoureuse, touchant du bout des doigts l’idée d’une vie à deux idéale. Ils étaient restés là, les pupilles dilatées et les doigts entremêlés à rêver pendant une bonne partie de la nuit.

Greta était debout et présente dans le bar mais son esprit était ailleurs, parce qu’elle se souvenait et parce qu’elle tentait de fuir au moins mentalement, à défaut de ne pas réussir à faire autre chose que de rester plantée là. Puis les regrets s’étaient rapidement transformés en amertume alors qu’elle assistait impuissante à un Arthur qui s’échappait pour entamer un jeu de séduction avec une autre proie. Si elle n’avait pas versé tant de larmes par le passé, Greta se serait mise à pleurer, ici, au milieu de tous ces gens, mais elle était retournée s’asseoir, trop sonnée pour rentrer. Elle s’était commandée un verre après avoir trouvé un endroit où la scène de son ex petit-ami dans les bras d’une autre n’était plus visible et avait commencé à boire, seule, jusqu’à ce qu’un homme l’interpelle. En réalisant qu’il ne s’agissait pas de lui, elle avait réalisé que c’était ce qu’elle aurait voulu - un souhait qui s’était réalisé que très peu de temps après. « Tiens. » Lui avait-il dit en lui proposant un verre d’eau, bien inconscient que c’était l’invitation parfaite pour lui jeter à la figure. Greta s’était retenue, fixant les manches retroussées de sa chemise sur ses avant-bras en tentant tant bien que mal de rester concentrée sur le moment présent. « Je pensais pas te revoir un jour. » La blonde avait lancé un léger rire en plantant son regard dans le sien pour une fraction de seconde, incapable de le soutenir plus longtemps.  « C’était le plan, oui, j’avais compris. Et pourtant je suis là. » La coïncidence était incroyable mais cela ne suffisait pas à la blonde pour oublier. Au contraire, le revoir lui rappelait plus de mauvais souvenirs que de bons et c’était comme si elle régressait, se retrouvant à nouveau plongée dans l’état qui avait suivi la rupture. Tout ce qui avait mené à ce soir, dans ce bar. « On va pas faire comme si de rien était, Arthur. »  Prononcer son prénom dont la consonance française lui donnait tout son charme avait fait rater un battement à son cœur. Sa présence à côté d’elle lui laissait le loisir de sentir ce parfum si familier, il n’en avait visiblement pas changé depuis tout ce temps et la blonde avait ravalé sa salive avec difficulté. Se reculant légèrement pour se retrouver à l’extrême opposé de lui sur la banquette, Greta avait pris une grande gorgée de son verre sans même réellement se rappeler ce qu’elle était en train d’ingurgiter. Ce n’était pas un cauchemar mais bien la réalité et l’alcool ne l’aidait pas à se convaincre du contraire. « En plus je crois que tu avais mieux à faire. Ça te correspond plus, ce type de meuf. »  Elle avait lancé un regard vers la brune, un regard qui venait lui confirmer une chose dont elle avait toujours été sûre, le charme d’Arthur opérait toujours. Mais maintenant qu’elle connaissait ses moindres défauts et faiblesses et après avoir fait les frais de cette personnalité toxique, il ne dégageait plus rien. Ou peut-être était-ce parce qu’elle ne s’était pas encore décidée à le regarder directement dans les yeux plus d'une seconde. A la place, Greta avait attrapé son téléphone pour écrire à Swann. Ils étaient encore amis, elle le savait et si quelqu’un pouvait lui expliquer la présence d’Arthur Coventry en Australie, c’était bel et bien lui. Après avoir rapidement écrit le message, Greta n’avait plus de réelle raison de consulter son iphone et de s’y réfugier et le garçon ne semblait pas décider à bouger. « Quoi ? J’ai pas l’impression que t’avais grand chose à me dire depuis tout ce temps alors quoi ? »  Au fond d’elle, l’écrivaine espérait entendre des explications, celles qu’elle n’avait jamais obtenues quand il lui avait tourné le dos, la laissant seule avec ses rêves.

La raison aurait voulu qu’ils rient de la coïncidence de se retrouver dans un tel lieu avant de reprendre leurs chemins chacun de leurs côtés. Toute personne censée aurait choisi la facilité de ne placer cela que sous le signe d’une coïncidence qui ne se reproduira sans doute jamais une seconde fois. Arthur, lui, n’était plus capable de déloger son regard de la silhouette de son ex compagne. Parfois encore, il lui arrivait de se demander ce qu’était devenue Greta, s’il avait réussi à accomplir ses objectifs surtout, mais ce n’était que des pensées furtives auxquelles il ne donnait jamais l’occasion de s’attarder. Probablement parce qu’il ne s’attendait pas à la revoir un jour, il s’était assuré de cela en coupant les ponts avec les quelques amis qu’ils avaient toujours eu en commun, à l’exception de Swann. Il aurait pu la laisser partir en se satisfaisant d’avoir pu la croiser juste une fois, mais Arthur n’avait jamais réellement suivi la moindre convention sociale. Elle était là, a quelques mètres de lui et il ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi elle avait choisi de réaliser ce vieux rêve en commun qui n’était que le résultat de discussion qu’il pensait être devenu obsolète avec le temps. Arthur ne pouvait envisager de laisser l’occasion s’envoler, il voulait voir Greta de plus près, il voulait lui parler, cette pensée l’obsédait désormais et il n’allait pas s’arrêter. « C’était le plan, oui, j’avais compris. Et pourtant, je suis là. » Elle avait compris qu’il avait tout fait en son pouvoir pour ne pas la voir, pour ne plus la croiser lorsqu’il était à Londres. Greta avait toujours su voir au-delà de sa carapace, et cela, il l’avait un peu oublié avec les années. « On va pas faire comme si de rien était, Arthur. » Il aurait aimé pouvoir prétendre avoir retrouvé une vieille connaissance, mais elle n’était pas de cet avis. « On va pas faire comme si on se connaissait pas, Greta. » Lui aussi savait jouer avec ses nerfs, il était bien là le problème. Greta semblait vouloir le repousser et tout cela lui donnait juste envie de rester assise à ses côtés. Pour la première fois depuis son arrivée en Australie, il paraissait retrouver quelque chose de solide, une figure qu’il n’avait jamais véritablement oubliée. Auparavant, chercher Greta était son petit jeu préféré en soirée et il ne pouvait tout simplement pas retourner auprès de ses compagnons d’un soir en prétendant n’avoir jamais vu la seule fille avec qui il avait passé autant d’années en couple.

« En plus, je crois que tu avais mieux à faire. Ça te correspond plus, ce type de meuf. » Il se trouva incapable de retenir l’un de ses fameux sourires en coin face à la remarque de la blonde. « Tu veux pas voir ma tronche, mais t’as eu le temps de remarquer ça. » Bien sûr qu’elle avait remarqué, malgré les années, elle savait encore comment il fonctionnait, toujours entourer d’une bande, jamais seul. Arthur vivait pour le regard des autres ou, tout du moins, il laissait croire aux autres qu’il ne vivait que pour cela. « La jalousie n’a jamais été ton meilleur look. » qu’il ajouta par pure envie de défi, le tout accompagner de son éternel sourire. Il lui avait laissé l’occasion d’être jalouse au début de leur relation avant de se calmer, de se ranger du côté de Greta. Pendant un temps, ils y ont crû tous les deux, que leur couple pourrait fonctionner, qu’ils pouvaient faire cela. Puis Arthur avait sombré sans jamais vouloir entraîner la blonde avec lui dans sa propre chute. Greta est silencieuse, sa jambe se balançant de haut en bas, tandis que ses doigts commençaient à s’agiter autour de son téléphone. Il pouvait remarquer le moindre de ses sursauts et dans la pénombre du lieu, l’écran du téléphone de la jeune femme s’illumina comme un phare tandis qu’elle s’empressait de taper un message à toute vitesse. Arthur ne voulait pas épier, mais le nom étalé sur l’écran lui sauta aux yeux et son regard resta figé sur elle. « Quoi ? J’ai pas l’impression que t’avais grand-chose à me dire depuis tout ce temps alors quoi ? » Elle tentait de jouer l’agressivité, mais cela ne prenait pas vraiment avec lui. « Il sait déjà. » Le regard interrogateur que lui lança Greta le força à poursuivre. « Swann, il sait déjà que je suis là. » D’un signe de la tête, il désigna le téléphone toujours présent entre les mains de la blonde. « Et depuis longtemps. » Ce n’était pas la peine de s’empresser de le prévenir, de lui dire de fuir le grand méchant loup. Swann l’avait accueilli dans ce pays de fou, il l’avait pris sous son toit quand Arthur ne savait plus vraiment dans quelle direction mener sa vie. « Avant que tu t’emportes, il ne m’a jamais dit que t’étais en ville, et même si j’avais su crois moi que j’avais aucune envie de venir dans ce pays. » On lui avait forcé la main à Arthur, et même s’il commençait à apprécier les lieux, il n’oubliait pas qu’un retour en terre natale n’était toujours pas au programme. Il n’avait pas encore fait ses preuves, il devait se reprendre encore et encore pour daigner gagner le droit d’enfin faire ce qu’il voulait de sa vie. « T’as pas répondu à ma question tout à l’heure. » Il ne voulait pas se prendre la tête avec elle, il ne souhaitait pas la voir fuir non plus. Arthur avait cette étrange envie de discuter avec Greta même si elle lui avait demandé de ne pas faire comme si de rien était. Ils n’étaient pas de vieux amis dont le chemin se croisait à nouveau, mais Arthur voulait savoir. « T’as écrit des livres ? » Il se fichait de la musique assourdissante autour d’eux, de cette vieille odeur de transpiration mélangée aux effluves de l’alcool ou encore du regard vitreux de Greta qui ne croisait jamais le sien. Il avait envie de savoir, elle pouvait au moins lui dire cela. Est-ce qu’elle avait réussi une fois qu’il avait pris la décision de la laisser partir.

Peut-être que sa réaction était disproportionnée et qu’ils auraient pu se saluer, prendre des nouvelles et passer à autre chose, poursuivre leur soirée. Mais si Arthur semblait tout à fait capable de prendre cette direction, Greta, elle, ne pouvait pas se comporter normalement et sans animosité avec celui qu’il lui avait brisé le coeur. Et le mot était faible. « On va pas faire comme si on se connaissait pas, Greta. » C’était impossible, pourtant, ils se connaissaient pour les mauvaises raisons et il était impossible pour la blonde d’agir sans être animée par les regrets. « Ni faire comme si on était de vieux amis. » Amis, Greta se demandait s’ils l’avaient déjà été un jour. Ils avaient passé de longs mois à se défier du regard et à se lancer des piques avant que, cette soirée-là, ils décident de réellement discuter et cela avait mené à une alchimie bien trop importante pour qu’ils n’aient été des amis. En repensant au passé, la blonde se surprenait même à admettre qu’il avait finalement peut-être toujours été un fantasme et y avoir goûté lui avait laissé un goût bien trop amer. « Tu veux pas voir ma tronche, mais t’as eu le temps de remarquer ça. » Sa réaction à chacune de ses interventions était la même, elle baissait le regard, pour éviter de croiser le sien et parce qu’elle se sentait honteuse de réagir ainsi et d’apparaître comme celle qui avait été le plus impliquée dans leur histoire, comme celle qui avait eu le plus à perdre. « La jalousie n’a jamais été ton meilleur look. » Ce n’était pas un de ses principaux défauts et Greta n’avait jamais ressenti le besoin d’être jalouse dans ses relations, le milieu d’où elle venait ayant amplement joué sur son égo. Pourtant, avec Arthur, cela avait été différent. Elle l’avait connu coureur de jupons, avait vu avec quelle facilité il réussissait à enchaîner les conquêtes et les sourires des femmes lorsqu’elles le voyaient ne trompaient pas. Même encore ce soir, malgré toute la rancoeur qu’elle ressentait, l’écrivaine se devait d’admettre à quel point il était difficile de le voir comme un monstre.  « Commence pas, Arthur. » A lui parler comme si rien n’avait changé, comme si elle lui appartenait encore et avait encore des raisons de jalouser les femmes qui interagissaient avec lui.  « Ton sourire n’a plus aucun effet sur moi, tu le sais ça ? » Il la connaissait par coeur, encore maintenant, et l'idée la terrifiait. Arthur savait qu'elle mentait et ce sourire aurait bien pu la faire replonger alors elle s’était de nouveau réfugiée sur son téléphone pour fuir le contact avec lui. Dans l'intimité de son smartphone, Greta était bien plus assurée et prenait le sujet à la légère. Dans ses messages, ce n'était pas des explications dont elle avait besoin et elle savait combien les idées qui lui traversaient l'esprit étaient dangereuses, ravie que lui n'en sache rien. C’était d’abord à Emery qu’elle avait écrit et son sourire était difficilement dissimulable alors que son comportement avec ses amies était tout autre que celui avec Arthur. Celui-ci avait tourné la tête assez longtemps pour qu'elle réussisse à capturer une photo de lui - peut-être pour se prouver que ce moment avait réellement existé le lendemain plutôt que pour recevoir l'avis d'Emery sur son physique. Puis elle avait contacté Maze et l’accueil avait été bien plus virulent - l’anglaise était bien plus au courant de la façon dont il l’avait d’abord entraîné dans une consommation de drogue trop abusive, pour finalement la laisser au milieu d’un véritable champ de bataille. Il avait tout pris, sauf la peine de lui expliquer.

« Il sait déjà. » La blonde avait relevé la tête, plantant son regard dans le sien, perdant toute assurance et toute envie de plaisanter sur un éventuel rapprochement physique avec lui. « Swann, il sait déjà que je suis là. » Son cœur avait manqué un battement en réalisant qu’il avait raison, les réponses de Swann venant le confirmer assez rapidement. Greta sentait des larmes naître aux coins de ses yeux sans qu'elle ne sache à quel sentiment elles étaient liées. Elle était vexée, en colère et incroyablement chamboulée par ces retrouvailles. « Et depuis longtemps. » C’était difficile à entendre et pourtant, il était presque impossible pour elle d’en vouloir à un ami qui avait été le premier à tenter de la remettre sur pieds après qu’il l’ait laissée en miettes. « Oui je sais. » c’était idiot de mentir alors que si elle avait su, cela signifiait que Swann lui aurait dit et alors tout son étonnement en le voyant face à elle n’aurait pas eu de sens. « Avant que tu t’emportes, il ne m’a jamais dit que t’étais en ville, et même si j’avais su crois moi que j’avais aucune envie de venir dans ce pays. » La blonde avait été surprise, Arthur semblait s’inquiéter de ses réactions et ce subtil intérêt pour elle avait participé à adoucir un peu son ton. « Le monde est petit. » Une phrase banale, Greta n’avait pas la force d’en dire plus. « T’as pas répondu à ma question tout à l’heure. » Elle n’en avait pas envie, pourtant, elle restait assise là, bien trop proche de lui, incapable de partir comme l’aurait fait n’importe quelle personne sensée. « T’as écrit des livres ? » « Un livre. » Sa réponse était l’illustration de sa résignation. Greta ne voulait plus lutter contre lui, l’alcool l’empêchant de réfléchir correctement et les émotions étant trop nombreuses pour y voir clair. Sans qu’elle ne se rende compte, les larmes qu’elle avait tenté de retenir jusqu’alors coulaient maintenant sur ses joues. « Tu comptes vraiment éviter le sujet ? » Ils s’étaient regardés intensément et elle savait qu’il n’avait aucune intention de lui présenter des excuses ou de reprendre le sujet de leur rupture, pourtant, c’était le seul sujet qui l’importait ce soir. Greta avait connu toutes les facettes de sa personnalité et elle connaissait le contraste entre celle qu’il montrait à tous pour donner le change et la réalité. Arthur avait eu bien des batailles à mener lorsqu’ils étaient ensemble et une part d’elle estimait que le voir partir lui avait évité de tomber avec lui, elle aurait simplement souhaité quelques mots avant de ne plus jamais le revoir. « Je vais m’en aller, Arthur. » Dire son prénom lui nouait toujours un peu plus l’estomac, ils n’avaient jamais été ce genre de couple à utiliser des surnoms ridicules et c’était bel et bien son prénom qu’elle répétait sans cesse lorsqu’ils étaient heureux ensemble. « Si t’as pas d’explications à me donner, je vais m’en aller. » Greta ne s’était jamais imaginée se retrouver face à lui après leur rupture mais si cela avait été le cas, pleurer devant lui aurait été la dernière chose qu’elle aurait voulu faire. Lui montrer sa fragilité et la façon dont il l’avait blessée quand elle aurait voulu lui montrer à quel point elle était forte et avait réussi sans lui. C’était le cas, son premier roman avait été un succès, la biographie en serait un autre. Mais tout n’avait plus la même saveur depuis qu’il avait mis fin à un autre de ses rêves et il avait suffi qu’elle se retrouve face à lui pour que toutes les blessures du passé refassent surface. « Laisse tomber, tu m’as rendu service, en fait. » Elle s’était essuyée les joues. « J’arrive pas à croire que tu prennes encore cette merde… » Le voir se détruire n’était pas facile, même après toutes ces années à le détester de l’avoir tant blessée.

« Commence pas Arthur. » Cette phrase il l’avait entendue sous toutes les intonations possibles, rythmée par des variations de la plus originale à la plus banale qu’il soit. Dans l’expression de Greta résonnait une familiarité qu’Arthur n’aurait jamais cru croiser à nouveau. Elle lui parut surprise par ses propos et il aurait eu envie d’en rire, de lui dire que les vieilles habitudes pouvaient avoir la vie dure. Est-ce qu’il avait encore ce pouvoir de plaisanter avec elle, comme si de rien était ? Arthur savait sur quel bouton appuyé pour que Greta s’emballe, pour que l’argument tourne en un débat sans fin où aucun des deux ne voudra laisser le dernier mot à l’autre. « Ton sourire n’a plus aucun effet sur moi, tu le sais ça ? » Il en doutait quand elle était venue amener cela sur le tapis aussi rapidement. « T’es sûre de toi ? » Bien sûr qu’Arthur avait pris le parti d’en jouer, il n’allait pas laisser l’occasion filer quand par le passé il avait réussi à lui faire accepter tant de choses avec ce sourire. . Il lui suffisait de retrousser les lèvres dans ce même rictus pour qu’elle ne fasse aucune remarque sur sa consommation. C’est avec quelques sourires savamment distribués qu’il avait su donner le change quand il s’interrogeait encore sur l’avenir de leur relation. Son sourire avait toujours été la kryptonite de Greta, comme la jeune femme avait en sa possession quelques armes qui pouvaient laisser Arthur sans voix. Il aurait pu lui sourire durant des heures, juste pour le plaisir de voir les pupilles de la blonde s’élargir tandis qu’elle s’efforcerait de ne rien laisser transparaître sur son visage. Arthur avait aimé ce jeu, il pouvait replonger en un claquement de doigt, mais Greta ne comptait pas lui laisser le champ libre. Elle cachait son visage, les yeux rivés sur l’écran de son téléphone portable, ses doigts fins tapant une série de messages avec la dextérité de quelqu’un prêt à appeler à l’aide. Arthur aurait pu filer, la laisser dans son univers, ne pas forcer les choses. Il aurait pu. Mais Greta était là, à porter de main, elle lui adressait la parole, malgré la colère qui semblait s’émaner d’elle. Il voulait goûter à cela, juste un peu, pour quelques minutes, laisser ses yeux parcourir cette silhouette qu’il avait aimé et qu’il avait décidé de quitter. Il le savait, l’occasion ne se reproduirait pas une seconde fois.

Déterminée à ne pas croiser son regard, Greta restait fixée sur son téléphone, laissant à Arthur la possibilité de réellement l’observer depuis que leur chemin s’était à nouveau croisé. Avec le temps, il avait arrêté de penser à Greta, il avait cessé de se demander ce qu’elle pouvait bien faire, si elle avait su rebondir ou non. Il avait cessé de se rejouer leurs soirées passées allonger en tête tête-bêche sur le canapé, à s’inventer un avenir loin de la bourgeoisie qui les emprisonnait dans des rôles qui avait fini par ne plus leur convenir. Il avait oublié que Greta rêvait de l’Australie, mais tout semblait lui revenir à coup de flashback embrouillé par tout l’alcool qu’il avait ingéré dans la soirée (pour ne pas citer d'autres substances bien moins licites). Arthur avait bloqué les souvenirs, supprimé son numéro et n’avait jamais demandé de nouvelle à personne. Le jour où il avait fait claquer la porte de leur appartement, il s’était juré de ne jamais se retourner. Cela avait fonctionné, il ne l’avait jamais revu, il n’avait jamais su ce qu’elle était devenue. Jusqu’à ce soir, dans cette boîte de nuit où Greta semblait être venue noyer un chagrin qui lui échappait. Désormais la question l’obsédait, Arthur voulait savoir si Greta avait su se dessiner un avenir meilleur que ce qui semblait l’attendre s’il n’était jamais parti. « Un livre. » Alors elle avait écrit et elle avait réussi. Arthur était sur le point de la féliciter. C’est tout ce qu’il comptait faire, lui dire qu’il était heureux pour elle, que c’est tout ce qu’elle méritait à ses yeux et il serait parti, disparaissant dans la fumée qui s’échappait du fumoir juste à côté d’eux. Il serait allé retrouver la brune qui lui faisait du rentre dedans un peu plus tôt, il aurait fait quelques lignes à même la table avec elle avant de l’entraîner dans le premier toilette libre pour la sauter sans sentiment, dans le seul but de ne plus penser à la blonde qui avait trébuché sur son chemin. « Tu comptes vraiment éviter le sujet ? » Si sa question l’avait surpris, ce n’était rien comparer aux larmes qui se mirent à couler sur ses joues. « Mais qu’est-ce que tu fais ? » Arthur n’était pas du genre à se laisser attendrir par quelques sanglots, mais Greta ne pleurait pas à chaude larme, c’est comme si son corps avait lâché prise pour elle, ne trouvant qu’une seule manière d’exprimer toutes les émotions contradictoires qui semblaient s’être emparées d’elle depuis leurs retrouvailles surprises. Arthur se retrouva comme hypnotisés par les gouttes de sel qui commençait déjà à former un sillon sur les joues maquillées de la blonde. « Je vais m’en aller, Arthur. » - « Arrête Greta. Je te retiens pas. » Elle se devait de partir, il fallait qu’elle s’en aille car il n’était aucunement en capacité de gérer la facette qu’elle venait de lui présenter. Il avait beau s’être enfilé une quantité astronomique de cocaïne depuis le début de la soirée, Arthur ne pouvait rester insensible face au spectacle qui se jouait sous ses yeux. Jouer le connard, il savait faire, il pouvait la faire partir avant de vouloir la retenir plus longtemps pour comprendre, pour s’excuser, pour dire tout ce qu’il avait gardé pour lui depuis le départ. « Si t’as pas d’explications à me donner, je vais m’en aller. » Il n’attendait que cela, mais Greta restait désespérément planter face à lui, les larmes coulant désormais en discontinuent sur ses joues rosies par les émotions. Il fallait qu’elle s’en aille, mais elle ne bougeait pas. Arthur se leva précipitamment, manquant de s’écrouler de l’estrade. Il se retint à la table, le regard toujours plongé dans celui de Greta. « Laisse tomber, tu m’as rendu service, en fait. » Avait-elle réellement compris ou cherchait-elle seulement à l’atteindre d’une façon ou d’une autre ? D’un coup de main emplie de rage elle essuya ses joues et Arthur ferma les yeux, prêt à recevoir toutes les foudres qu’elle avait emmagasinées à son égard au fil des années. « J’arrive pas à croire que tu prennes encore cette merde… » Il s’était attendu à des injures, des remarques assassines, mais jamais à ce qu’elle démontre un intérêt pour sa santé. L’attention qu’elle semblât lui accorder, vint griller toutes les répliques préfabriquées qu’il aurait pu lui servir avec dédain. Arthur se retrouva bouche bée, incapable d’émettre le moindre son, alors que Greta n’avait toujours pas bougé gardant ses yeux embués de larmes fixées sur lui. Pourquoi est-ce qu’elle ne partait pas comme elle venait de le répéter par deux fois ? Il fallait qu’elle s’en aille avant qu’Arthur ne cherche à la retenir pour déverser tout ce qu’il n’avait jamais su lui dire.

Les effets de l’alcool lui paraissaient lointains, les mots de Greta l’ayant fait dessoûler à la vitesse de la lumière. Les anciens amants se tenaient l’un en face de l’autre dans ce club empli de monde, au milieu de la musique hurlante et des rires de la foule alcoolisés. Ce n’était pas le lieu pour des aveux, ce n’était pas le moment de s’accorder sur ce qui avait pu se dérouler à une époque révolue depuis si longtemps, mais aucun des deux ne semblait trouver la forcer d’amorcer le premier pas qui viendrait à les séparer. « T’avais encore des rêves à réaliser, alors que j’avais abandonné les miens depuis longtemps. » Elle avait été là quand Arthur avait abandonné la médecine à la suite de la perte de son patient. Elle l’avait vu errer sans but, se défonçant à la poudre pour prétendre tenir le coup, s’efforçant de garder la tête haute quand son père lui avait proposé de prendre un poste dans l'entreprise familiale. Arthur avait chuté si bas quand Greta cherchait encore à atteindre les étoiles.

Greta ne savait pas s’il cherchait à la manipuler comme il avait si bien réussi à le faire à l’époque, lui laissant penser qu’un avenir entre eux était possible, lui laissant penser qu’il était amoureux. Aujourd’hui elle savait et comprenait que le Arthur qu’elle avait rencontré pour la première fois et sur lequel elle avait eu tant d’à priori était en fait bel et bien le seul et unique Arthur. Une soirée entière à lui prétendre le contraire, presque quatre années de faux-semblants. « T’es sûre de toi ? » Ses yeux avaient répondu à la question sans qu’elle ne puisse parler, la vague d’émotion la figeant sur place. La blonde avait été assez maligne pour tenter de dissimuler tout ça en se réfugiant sur son téléphone et les réponses de ses amies quant à la marche à suivre avaient été unanimes, elle devait rentrer et se sortir de là. Elles étaient la voix de la sagesse et Greta savait que sa seule option était de les écouter - ils avaient tenté de créer quelque chose de beau et Arthur avait tout gâché et même son sourire qui l’avait autrefois séduite n’y changerait rien. Ses questions répétées sur sa carrière l’éloignaient toujours un peu plus de ce qui l'intéressait réellement avec ces retrouvailles, si elles n’avaient pas été prévues ni souhaitées, elles devaient au moins servir à quelque chose, pourtant, l’anglais ne semblait pas prêt à entamer une discussion, le trait qu’il avait tiré sur elle autrefois étant définitif. « Mais qu’est-ce que tu fais ? » C’était sa question et l’intonation qu’il avait pris qui lui avaient fait réaliser que les larmes perlaient sur ses joues. Malgré ses tentatives de les essuyer d’un revers de manche et de se ressaisir, c’était bien plus fort qu’elle et elle se détestait de lui avoir montré avec tant de facilités combien il l’avait blessée. Toutes ses réactions montraient que la voir ainsi n’avait pas d’autre effet que de l’agacer mais c’était bien là le dernier de ses soucis. « Arrête Greta. Je te retiens pas. » Pas physiquement. Pas littéralement. Mais c’était cette curiosité mal placée, ce doute qui avait persisté depuis six longues années et ce besoin de savoir qui la retenait. Alors elle avait insisté, la tristesse se transformant bientôt en colère, le panel des émotions qu’elle traversait devenant presque ingérable. Alors elle avait attaqué, faisant remarquer à Arthur qu’il était toujours autant dépendant et, à sa grande surprise, plutôt que de se braquer et la laisser en plan comme il aurait dû le faire, il s’était contenté de répondre à la question qu’elle posait inlassablement. « T’avais encore des rêves à réaliser, alors que j’avais abandonné les miens depuis longtemps. » Le voir partir une seconde fois aurait été difficile, partir d’elle-même lui semblait impossible jusqu’à maintenant ou fuir semblait être la seule option. Les sanglots menaçaient maintenant et si elle avait su si bien les retenir c’était parce qu’elle avait déjà épuisé une réserve considérable de larmes. Greta s’était attendue a bien des réponses, à ce qu’il parle d’une autre femme, qu’il avoue son manque de sincérité ou même qu’il accuse la drogue. C’était peut être quelque chose qu’il avait sous-entendu mais la jeune femme était trop perturbée pour lire entre les lignes. L’entendre justifier leur rupture par un besoin de ne pas la tirer vers le bas l’avait prise de court et Greta s’était levée d’un geste vif.  « Je… faut.. faut que j’y aille, là. » La blonde avait posé la main sur son front, tentant de reprendre ses esprits pour prendre le temps de commander un uber avant de sortir du bar. Ils n’auraient probablement plus l’occasion de se parler et peut-être aurait-elle pu demander qu’il lui explique davantage pourtant, lui qui semblait si fermé à la discussion en avait déjà dit bien plus qu’il ne l’aurait voulu. Avant de partir, Greta avait planté une dernière fois son regard dans le sien et ils avaient ainsi échangé bien plus que des paroles. Dehors, en attendant son chauffeur, elle retournait la phrase qu’il avait dite dans tous les sens, tentant de comprendre, réalisant que depuis tout ce temps il n’avait peut-être fait que la protéger.