A table ! C’est ce que maman avait crié depuis la cuisine. J’avais ignoré son appel, prétextant ne pas avoir entendu à cause de la musique bien trop forte dans mes écouteurs. Mais la vérité c’est que je n’avais pas faim, et surtout aucune envie de me retrouver à table en face de Sara, de Maman ou d’Alejandro. Parce que j’ai pas envie d’expliquer comment s’est passée ma journée ou de devoir discuter avec eux comme si de rien n’était alors que la place de Maria reste désespérément vide. Alors comme très souvent depuis quelque mois je dis que j’ai pas faim, ou je ne réponds plus du tout et ça devient une habitude que je ne sois pas présent à table. A la place je me cuisine quelque chose quand les autres sont couchés ou je finis les restes que maman a laissé au frigo.

Donc je n’ai pas répondu et personne ne s’est fatigué à monter dans ma chambre pour venir me chercher puisque dans tous les cas j’aurais refusé de venir. J’ai préféré prendre mon téléphone pour scroller sur les réseaux jusqu’à apercevoir les messages du genre “plus de nouvelles publications”, ce qui est plutôt très frustrant. Après plus de deux heures à voir des réels chatons maladroits sur instagram je suis tiré de ma bulle par un bruit sur ma fenêtre : Em. Je ne m’attendais pas à la voir débarquer, pas ce soir mais je dois avouer que c’est le genre de surprise qui me fait chaud au cœur. J’ai ouvert la fenêtre avec un petit sourire triste avant de la prendre dans mes bras et de la serrer fort. J’avais besoin de sentir son parfum, la douceur de sa peau et la chaleur de son étreinte pour me rassurer. C’est fou ce qu’elle me manque quand elle est loin. Le reste de la soirée a été calme, on s’était mis sous la couette, l’un dans les bras de l’autre et je l’avais enlacée pendant une bonne partie de la nuit sans parler. C’est quelque chose que j’aime chez elle : elle ne me force pas à parler comme pourrait le faire ma mère, elle me comprend. Elle sait que j’ai juste besoin de me sentir soutenu mais que parler est trop douloureux et que je ne le ferais pas. De toute façon, plus on me forcera à parler, à dire ce que je ressens et moins je le ferai, parce que c’est pas aussi simple. Dormir avec elle, sentir sa présence sans questions intrusives c’était donc tout ce dont j’avais besoin ce soir là. « Personne ne veut te voir terré dans ta chambre. Ne me pousse pas à aller leur demander leur avis. » J’ai répondu par un léger soupir au début, parce que je n’ai aucune envie de mettre un pied dehors et sortir pour aller bosser est déjà toute une épreuve en ce moment. Mais je sais qu’elle a raison et que je ne pourrais pas me planquer comme ça éternellement. “Je sais.” J’ai finalement répondu, sans aucune animosité, davantage comme un constat douloureux. Elle avait raison, je devais me bouger, sauf que je n’avais ni la force, ni l’envie pour faire quelque chose comme ça, mais je devais essayer, faire un effort pour une fois. Alors quand elle m’a demandé de me préparer rapidement et de la suivre sans broncher je l’ai fait. Je n’ai pas posé de questions sur le lieu ou le genre d’activité qu’elle avait prévu, de toute façon c’était inutile, je savais qu’elle ne me dirait rien. Je me contentais donc de la regarder en silence en attendant de connaître la finalité de cette sortie. « Fais-moi confiance, ok ? » J’ai hoché la tête en signe de réponse avant qu’elle ne pose sa tête contre mon épaule. Je regardais le paysage, d’un regard vide, sans arriver à me concentrer sur les détails des immeubles et des rues qui se succédaient. Je n’ai aucune idée d’où on est ni d’où on pourrait bien aller mais c’est bien mystérieux. J’ai un peu peur de me retrouver dans un endroit où je suis forcé de m’amuser ou faire des choses qui pourraient me mettre mal à l’aise juste pour me changer les idées. Mais je commence à connaître Em et je sais qu’elle n’est pas comme ça, mais je n’arrive pas à deviner ce qu’elle peut bien avoir en tête. Je la suis quand elle me fait sortir du bus et en sortant j’essaie de me repérer mais je ne connais pas cet arrêt, je ne viens jamais dans le coin. « On a juste le temps pour le petit-déjeuner sur la route. » Je n’ai aucune envie de manger mais je sais qu’elle a raison, il faut bien que je grignote quelque chose. J’ai déjà perdu pas mal de poids depuis le mois d’octobre et ça commence à être pénible de voir que toutes mes fringues sont devenues trop larges pour moi. “J’ai pas vraiment faim.” Elle me traine difficilement jusqu’au coffee shop, vu de l’extérieur je dois avoir l’air d’un gamin capricieux qui traine les pieds pour aller dans une boutique mais l’idée de manger m’écœure pas mal. Après quelques négociations nous sommes tombés sur un compromis : un grand café pour moi et deux pancakes. Le sucre dont j’ai besoin sans que ça soit quelque chose de trop lourd, mais je n’ai pris aucun plaisir à le manger.

Je la suis à nouveau sans -trop- protester avant d’arriver devant un genre d’entrepôt qui est loin de me faire rêver. Je la regarde avant de demander “C’est ici t’es sûre de toi?” avant de voir une enseigne avait marqué “Destroyed”. Mais où est-ce qu’on est tombés ? L’endroit ne me rassure pas vraiment mais avant que j’ai eu le temps de lui dire viens on s’en va nous sommes accueillis avant d’être dirigés vers un vestiaire. « Je vous laisse vous équiper. Vos affaires peuvent aller dans le casier ici. Les règles sont simples, vous avez 45 minutes, tous les coups sont permis pour l’équipement de la salle. Interdit de casser les murs, les plafonds, et les éléments de vidéo-surveillance. Interdit de vous mettre en danger et d’enlever votre équipement de sécurité tant que vous êtes dans la pièce. Si vous avez le moindre souci, appuyez sur le bouton rouge à côté de la porte.” Alors là, j’étais loin d’imaginer que je me retrouverais dans un endroit comme ça aujourd’hui. Une rage room, c’est vrai que c’est une idée originale. J’essaie de m’équiper comme je peux mais je suis plutôt encombré et j’ai l’air très peu à l’aise. J’ai vraiment l’air con, mais bon ça a l’air de la faire rire. Son petit rire m’esquisse un petit sourire en secouant la tête de gauche à droite, comme pour dire Hé oh c’est pas gentil de se moquer. « Je vous retrouve tout à l’heure. » La porte se ferme et je balaie la pièce du regard, ça s’annonce plutôt intéressant. « Je me suis dit que ça pourrait te faire du bien de te défouler. » J’ai jamais fait quelque chose dans ce genre là mais je sens que l’idée va me plaire. “Je pense que t’as eu une bonne idée.” Batte de baseball en main je m’approche d’une vieille télévision avant de me tourner vers Em avec un petit sourire amusé. “ça te va si je commence ?” Avant de frapper une première fois de toutes mes forces l’écran de la télévision. Bordel ce que ça fait du bien. Les coups s’enchaînent et cette pauvre télévision ne ressemble plus à grand chose. En y réfléchissant, c’est le genre de trucs que j’ai toujours voulu faire à la maison. Il y a eu beaucoup de moment où j’ai eu envie de tout envoyer valser, de tout casser parce que j’en avais marre de cette vie pleine de galère. Et c’est ce que j’ai fait un jour à la maison une fois après une énième dispute avec Sergio. Je suis allé à la cuisine et j’ai commencé à prendre tout ce qui me tombait sous la main pour éclater la vaisselle sur le carrelage. C’est Rudy qui m’avait arrêté à l’époque, sans me faire la morale. Il avait même été sympa et ça c’est pas courant. Donc là elle a eu une excellente idée, parce que je vais pouvoir me défouler sans me prendre de leçons de morale et je pense que j’en ai bien besoin. Une fois la télévision complètement anéantie je me tourne vers les deux piles d’assiettes qui sont posées près de nous. “On fait la course, celui qui casse le plus vite son tas?” Je lui propose avant de prendre en main la première assiette, bien décidé à finir mon tas le premier.

C’est bien la première fois que je me retrouve dans un endroit comme ça. Je ne savais même pas qu’un endroit comme ça existait à Brisbane mais je trouve ça génial. La surprise est totale et je me dis que j’ai bien fait de faire confiance à Em. Elle a raison j’ai bien besoin de me défouler, j’ai accumulé beaucoup trop de tension depuis plusieurs mois. Je me prends rapidement au jeu et sans aucune timidité ou retenue je passe mes nerfs sur une télévision qui se retrouve très rapidement en pièces détachées. La sensation de la batte de baseball qui explose l’écran puis le cadre est plus que apaisant et j’en veux tout de suite plus. C’est une pile d’assiette qui attire mon attention et je propose à Em de faire la course histoire de pouvoir s’amuser ensemble. « J’ai toujours rêvé de faire ça ! » Je la regarde se mettre face à moi et je réajuste mes lunettes de protection avant de poser la batte de baseball. “Moi aussi, j’espère que t’es prête.” Je prends en main la première assiette, attendant son signal pour démarrer la destruction. « Prêt ? 3, 2, 1… GO ! » La première assiette d’Em s’explose contre le mur du fond et cette dernière et rapidement rejointe par la première assiette de ma pile. Les assiettes des deux camps volent un peu partout et je prends énormément de plaisir à les exploser le plus fort possible. Une situation qui me rappelle un peu trop le jour où j’ai appris que Maddy était enceinte. Une révélation qui m’avait mis dans une colère noire et qui m’avait donné envie de tout casser dans la cuisine. Si Rudy n’avait pas été là je pense que tout le set d’assiette aurait fini explosé sur le sol de la cuisine. D’ailleurs maman se demande souvent pourquoi est-ce qu’on a un set à 9 assiettes mais bon je fais comme si de rien n’était, ça restera un secret entre mon frère et moi. Là aujourd’hui je peux finir ce que j’avais commencé sans que ça pose problème et c’est une sensation incroyable. J’y mets ma rage, de la force aussi mais ça ne suffit pas pour gagner, Em termine quelques secondes avant moi. « J’ai gagné. » Je lève les mains comme pour dire “je m’incline”. “Point faible : trop forte.” J’ai toujours été un mauvais perdant mais là je m’en fiche, je me suis éclaté et c’est le principal. « Ça me donne envie d’acheter un set d’assiettes entier juste pour pouvoir reproduire ça. » Je hoche la tête, je ne peux qu’approuver ce qu’elle dit.  “Dommage qu’il n’y en ait pas un deuxième.” Plus tard c’est sûrement quelque chose que je ferai, j’achèterais de vieilles assiettes et je les exploserai comme on le fait là. Ou peut-être que d’ici là j’aurais trouvé un autre moyen d’extérioriser ma colère, mais bon c’est loin d’être gagné. Je la regarde se déplacer jusqu’à un meuble pendant que je reprends mon souffle et que mon rythme cardiaque s’apaise un peu. « T’as déjà fait du baseball ? » Je secoue la tête, le sport et moi c’est pas vraiment une histoire d’amour. “Jamais.” Je la regarde choisir des objets du meuble et les poser sur la table. Je ne sais pas ce qu’elel a en tête mais ça s’annonce fun. « Je les lance en l’air, tu les exploses. » J’aime bien cette idée, ça changera un peu et ça évite que chacun s’occupe de son côté. “ça me va.” Je réponds avec un petit sourire et les yeux qui pétillent d’impatience. Je la regarde attraper une théière et je me prépare à pouvoir frapper. « Le cancer de Maria. » Quoi ? Je me fige brusquement et la théière s’explose sur le sol sans que je l’ai touchée. En quatre mots elle a réussi à faire bugger mon cerveau tout entier. Je suis complètement pris de court d’entendre qu’elle parle de Maria. Je comprends bien ce qu’elle veut faire mais c’était trop brutal, trop surprenant pour que je puisse frapper la théière spontanément. Je dois trembler un peu sans m’en rendre compte et je finis par me rendre compte que je suis complètement tétanisé face à Em. “Désolé je..euh” Entendre le prénom de ma petite soeur, et le nom de cette foutue maladie c’est dur, c’est comme si on rouvrait une blessure qui ne cicatrise jamais et ça me replonge dans les souvenirs traumatisants des derniers mois. Mais l’idée d’Em est bonne, je crois comprendre où elle veut en venir et même si c’est dur, même si ça me brise le cœur je pense que ça pourrait me faire du bien d’extérioriser alors sans réfléchir davantage je prends mon courage à deux mains. Je lui demande avec une voix légèrement tremblante et les larmes aux yeux. “On peut recommencer s’il te plaît… ? J’étais pas prêt.”

La télévision a volé en éclat, je l’ai furieusement réduite en miette et c’est assez dingue de voir à quel point ça a pu me faire du bien. La petite compétition avec Em pour être le plus rapide en cassant des assiettes m’a beaucoup amusé aussi. Je me suis pris au jeu, sans poser de question et juste en profitant de l’instant, et ça faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti ça. Je réfléchis beaucoup trop en ce moment, au point que ça me garde éveillé toute la nuit. Alors, j’aime sentir l’adrénaline traverser tout mon corps et cette sensation de toute puissance après une telle destruction est vraiment grisant. Les assiettes sont désormais en mille morceaux et je regrette qu’il n’y ait pas plus d’assiettes dans la rage room, j’aurais bien recommencé. « Je suis certaine que tu pourras te consoler avec autre chose. » Je hoche la tête tout en balayant la pièce du regard. Effectivement il reste encore énormément de choses qui ont l’air très satisfaisantes à détruire.

La séance de destruction continue et c’est Emery qui mène la danse puisqu’elle rassemble quelques éléments avant de m’expliquer que je vais devoir les exploser comme s’il s’agissait d’une balle de baseball. L’idée me tente beaucoup même si je ne suis pas très sûr d’être suffisamment adroit. Elle lance une vieille théière en l’air avant de parler de ma petite sœur. Je me liquéfie sur place, sous le choc d’entendre le nom de ma petite sœur et de la maladie qui l’a emportée. Ces mots me font mal, très mal même et ils suffisent à me faire monter les larmes aux yeux tout en me faisant trembler. La blessure est loin d’être refermée, au contraire, cela fait déjà plusieurs mois qu’elle est toujours bel et bien à vif. La théière vient s’écraser contre le sol, provoquant un énorme fracas sur le sol et projetant des débris jusqu’à l’autre bout de la pièce. Un silence s’installe et je bredouille des excuses comme je peux. Je me sens con, je me sens faible et je déteste cette sensation de perte de contrôle. Ce sont les bras d’Em qui me répondent par une étreinte qui vaut plus que tout ce qu’elle aurait pu me dire. Je la serre fort et je sens qu’à son contact je perds un peu moins pied même si quelques larmes s’échappent derrière mes lunettes de protection.* « Je veux juste que tu saches pourquoi tu es en colère. C’est ça que tu as besoin d’évacuer. » Je hoche la tête, je crois qu’au fond elle a raison même si je n’arrive toujours pas à avouer que j’ai trop de choses sur le cœur que j’ai soigneusement enfouies pendant les derniers mois ou même les dernières années. Je lui demande si on peut recommencer, parce que j’ai envie d’essayer ce qu’elle me dit, dans tous les cas ça ne pourra pas être pire.

« Prêt ? » Je hoche à nouveau la tête et elle lance le bol en l’air. Maria Je prends de l’élan et ma batte fracasse la porcelaine brutalement, faisant voler en éclat la vaisselle. Em attrape un autre bol, le lance et dans ma tête je pense à la première chose qui me met en colère : Sergio et la lâcheté de son abandon. Pour le suivant je repense à Rudy et son caractère de merde, Rudy qui m’a fait me sentir comme une merde pendant trop longtemps pour au final se barrer à l’autre bout du pays alors que j’en besoin de mon grand frère. Carl qui figure à la seconde place du classement des personnes que je déteste le plus au monde, quel psychopathe ce type. Mon boulot que je déteste plus que tout et mes collègues qui ne sont que des vieux boomers insupportables.  Diego qui travaille trop et qu’on voit jamais. Riley et le putain de cœur brisé qu’elle m’a laissée. Lexie pour l’humiliation qu’elle m’a faite subir au vernissage. Et pour finir ma famille tout court qui n’a jamais cru en moi et en mes rêves et qui m’a toujours pris pour le dernier des débiles.

Le souffle court et les mains tremblantes je baisse ma batte tout en la serrant la batte très fort. A chaque nouveau bol que je détruisais mes larmes coulaient un peu plus, sans que je n’ai envie de les retenir. Je me suis laissé aller, j’ai posé le cerveau et mis mon égo de côté pour une fois. Mais je suis venu à bout de la vaisselle qu’Em avait mise de côté. « Il y a encore toute la pièce sur laquelle passer tes nerfs. Mais quand on sortira d’ici, tu ne pourras pas juste rentrer t’enfermer.  Vous avez besoin de vous épaulez à la maison. » Je hoche la tête en reniflant légèrement. « Tu sais qu’elle aurait détesté te voir t’isoler. » Je sais qu’elle a raison mais elle ne sait pas à quel point c’est dur, à quel point je suis fatigué et surtout à quel point j’aimerais aller mieux. Mais ça ne peut pas aller mieux, rien ne pourra ramener ma petite sœur et je sais que je vais devoir vivre toute ma vie avec ce deuil impossible à faire. « Je sais mais j’y arrive pas. » J’essaie pourtant, j’essaie de me lever le matin, de me remettre au dessin mais c’est comme si j’étais paralysé sous ma couette et je suis incapable de tenir un crayon. De toute façon je suis face à une page blanche et rien ne me vient. « J’essaie mais…c’est trop dur. » Ma voix se brise et je mets à pleurer, sans retenue, sans filtre, et peu de gens peuvent se vanter de m’avoir vu aussi vulnérable un jour.

La vaisselle vole en éclats et mon cœur aussi au passage. A chaque bol que j’éclate à grands coups de batte j’énonce la personne à laquelle je pense. Ou plutôt non je crie le prénom et la souffrance que cette personne m’a causée avant d’exploser le projectile. A chaque coup ma voix se brise un peu plus, les larmes me montent et je crache toute la colère que j’ai en moi. Et il y en a beaucoup, 22 ans de conflits, de maux refoulés qui sortent aujourd’hui. Énoncer à voix haute ce qui me ronge depuis bien trop longtemps me fait un peu plus mal à chaque fois, parce que je n’ai jamais vraiment avoué que toutes ces choses avaient pu m’affecter à un moment ou à un autre. J’ai toujours fait comme si ça allait, j’ai fait le mec fort et droit dans ses bottes. L’homme résilient et inébranlable que ma famille a toujours voulu que je sois mais je n’y arrive pas. C’est trop et finalement Maria est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de ma patience et de ce que je pensais pouvoir encaisser. Je suis à peu près sûr d’être à peu près quelqu’un de solide mais je me rends compte maintenant que tout ça n’est pas vrai. Je me sens vulnérable, faible et j’ai un peu honte au fond. J’ai honte parce que je sais que je dois me montrer fort, pour ma famille, pour ma mère qui se démène toujours pour nous et je ne suis pas à la hauteur. Putain, fait chier Je n’ai pas retenu mes mots et j’ai balancé toutes ces vérités sur ma vie à Em. Nous avons beau être proches, -elle est même la personne dont je me sens le plus proche aujourd’hui- mais pour autant j’ai mis mon passé et ma vie familiale en sourdine. Elle savait que ma vie familiale était plutôt difficile mais elle découvre aujourd’hui à quel point ma vie peut être une catastrophe ambulante. A la fin de cette session de destruction, je me sens complètement épuisé, comme vide. Je ne saurais pas dire si là tout de suite je me sens allégé d’un poids ou si je me sens encore plus mal. Je me mets à trembler sans m’en rendre compte, sous le choc et l'adrénaline qui vient de me prendre le peu d'énergie que j’avais. Je dois être tout blanc et quand j’essaie de parler aucun mot ne sort, un sanglot s’échappe à la place sans que je puisse le contrôler. Ma respiration s’accélère et je commence à hyperventiler. J’ai l’impression d’être pris comme dans un tourbillon où des souvenirs et des pensées m’envahissent. Sergio, Rudy, Diego, Sara, Carl, Lexie, Riley et surtout Maria Je repense à eux, à la rancœur et aux regrets qui ne me quitteront sûrement jamais et j’ai l’impression d’étouffer. Sans le savoir je suis en train de faire un début de crise d’angoisse et je n’ai aucune idée de comment gérer quelque chose comme ça. Et soudain sa main dans la mienne me ramène à la surface, au moment même où j’avais l’impression de me noyer. Je la suis, je m’assieds sans protester et je la laisse me déséquiper. Le contact de ses bras me rassure instantanément et j’essaie difficilement de calmer ma respiration. Je l’écoute me dire qu’il ne faut pas que je m’isole mais la réalité est là : c’est trop difficile et j’ai l’impression que je n’arriverais jamais à remonter la pente. « Je sais que c’est dur. » J’essaie de me calmer avec la chaleur de son étreinte et la douceur de son parfum tout en l’écoutant parler. « Personne ne te demande d’aller bien. » Je caresse doucement son dos en l’attirant un peu plus contre moi. « Tu as le droit d’être triste, en colère, déprimé. Mais tu n'es pas seul. On ne te laissera pas couler. Tu dois juste tenir bon, rien qu’un peu. C’est un jour à la fois. » De nouvelles larmes roulent sur mes joues, je crois que c’est vraiment le genre de trucs que j’avais besoin d’entendre. J’en ai marre qu’on me dise qu’il faut que je sois fort. Pff, comme si c’était aussi facile. J’aimerais être fort, j’aimerais avoir une carapace pour me protéger de tout ça. J’aimerais être le pilier dont ma mère et mes frères et soeurs ont besoin. Mais je ne suis pas cette personne et ce genre de remarque m’enfonce un peu plus. Alors entendre les mots d’Em ça me touche énormément. “Merci, merci d’être là pour moi.” Je la serre un peu plus fort, parce que j’ai besoin de la sentir près de moi, de me raccrocher à elle. “Je…” t’aime ce sont les mots que j’aurais aimé lui dire, là comme ça spontanément, parce que je le pense sincèrement. Mais après une hésitation je les garde pour moi, parce que j’ai peur. Peur qu’elle me laisse tomber ou qu’elle prenne peur en entendant ça. “...je suis tellement reconnaissant de t’avoir à mes côtés.” Sans elle je pense que je me serais totalement laissé couler. Elle est la seule qui a réellement fait attention à moi et qui ait pris soin de moi. Parce que les autres ont aussi leur lot de problèmes à gérer, leur deuil à faire. Mais grâce à elle je ne me sens plus seul, je sais que même si la bataille sera dure -et sans garantie de victoire- j’ai quelqu’un à mes côtés qui sera là pour me garder la tête hors de l’eau. “Ne me laisse pas s’il te plaît, je sais pas ce que je ferais si je te perdais toi aussi.”