artir loin avait toujours fait partie de ses projets. Ceci dit Gabriel n'avait jamais réellement pensé partir longtemps. L'idée de base c'était plutôt de partir un petit temps, découvrir le monde, laisser le monde le découvrir à son tour et puis retourner à ses origines. Encore maintenant il n'était pas sûr que le choix de partir si loin de son Angleterre natale fusse une bonne idée. Après tout, ici, il n'était qu'un British un peu trop gâté par la nature, que les parents avaient pourri d'attention et sur lequel ils avaient mis bien trop d'espoirs. Ici, il se sentait presque nu. Comme si tous ces gens, tous ces étrangers, pouvaient voir qu'il n'était pas à sa place. Parce qu'en effet le jeune homme ne se sentait pas à sa place. C'était comme s'il présageait que tout ce chemin parcouru ne le mènerait nulle part. Une seule manière de le savoir cependant: affronter ses démons. Affronter son démon, son passé. Ce passé au visage angélique parfois. Car celle qu'il poursuivait avait dans son imagination, dans ses rêves, une apparence presque divine. Le temps, l'espace nous font sublimer ceux qu'on a aimés en vain. Gabriel tournait autour de l'immeuble de Constance depuis plus d'une demi heure sans parvenir à se décider. Il était à Brisbane depuis trop longtemps pour faire demi-tour. Tout cela n'avait plus aucun sens. Il devait aller lui parler. Elle ne savait même pas qu'il était là. Comment pouvait-il aller de l'avant s'il restait caché? Pourtant il ne vivait pas non plus dans le secret de sa présence, mais la ville était suffisamment grande apparemment pour qu'ils n'aient pas à se croiser par hasard.
Sortant de sa voiture, il remarque que le quartier est plutôt plaisant. Nombreux de ses collègues sont domiciliés à Fortitude Valley. Mais il n'y a jamais mis les pieds. Peut-être que si finalement, il l'évitait. L'idée de se retrouver nez à nez par hasard avec celle qui le torturait depuis tant d'années lui lui déplaisait au plus haut point. Il monta les escaliers de l'immeuble et alors qu'il s'apprêtait à appuyer sur le parlophone, quelqu'un sortit. L'occasion est parfaite, il retient son geste et s'engouffre dans le hall principal du bâtiment. L'appartement de Constance n'était pas difficile à trouver, il se poste devant et répète ce qu'il veut lui dire. Mais les mots se bousculent dans son cerveau. "Tu n'es qu'un gros idiot Gabriel." Sa main se pose sur la porte, il se force à frapper trois grands coups sur le bois laqué. "Si je pars tout de suite, elle ne saura même pas que c'était moi. Je reviendrai une autre fois. Si ça se trouve elle n'est pas là. J'aurais dû la sonner avant de..." La porte s'entrouvre et le corps du jeune homme se liquéfie. Constance apparaît comme par magie devant lui et il déglutit en silence tout en cherchant à se donner bonne contenance. Pourtant son tique de malaise se fraye un passage et il passe sa main dans sa nuque tout en la saluant "Salut belle étrangère." Il s'essaye à la nonchalance, il essaye de faire comme s'il ne se sentait pas handicapé par cette situation tellement absurde mais son visage décomposé le trahit malgré lui. Il espérait qu'en la voyant il réaliserait que tout ce qu'il a pensé ces dernières années, tous les sentiments qu'un jour il avait éprouvés se seraient évanouis. Seulement non. La jeune brune lui semblait toujours aussi ravissante. Certes plus fatiguée que dans son souvenir mais divine tout de même. Pour ne pas perdre pied, Gabriel frottait machinalement un petit bracelet en argent muni d'une perle unique dans laquelle il avait fait incruster un minuscule diamant. C'était un cadeau qu'il avait voulu faire à Constance lors de son anniversaire. Mais avant qu'il n'en ait l'occasion elle lui avait annoncé ses fiançailles et il avait reporté son geste. Cependant même pour son mariage il n'avait plus pu le lui offrir. Ce simple bracelet symbolisait toute une panoplie de choses pour lui. Et il ne voulait pas qu'elle le porte tout en étant avec un autre. Du coup ce petit bijou était resté une sorte de grigri pour lui. Un symbole de la pureté de l'amour, un symbole qu'il espérait offrir un jour mais qu'il ne s'était jamais résolu à faire. Il caressait l'objet dans sa poche pour se calmer et éviter de se passer la main dans la nuque trop souvent.
Finalement il se pencha vers son amie et déposa un baiser léger sur sa joue avant de murmurer sur un ton taquin: "Tu me laisses entrer ou tu vas me dévisager ainsi sur ton pallier pendant toute la matinée?" Il lui adressa un clin d'oeil entendu puis referma la porte derrière lui une fois à l'intérieur.
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La solitude. Elle m’a regagnée ces derniers temps. Ou bien ne m’a-t-elle jamais quittée, je ne sais pas trop. Les papillons se sont envolés vers d’autres contrées, mon coeur est revenu à sa position initiale, celle d’un minuscule organe atrophié par toutes les horreurs qu’il a vécu. Mes six premiers mois à Brisbane ont été riches en rebondissements. Et à ma plus grande surprise, en aventures, et je parle en matière de relations. J’ai tout d’abord rencontré mon voisin, une espèce de brute sanguinaire et déterminée. Je suis tombée dans ses bras, parce que l’attirance était trop forte, ou bien parce que j’étais trop faible. Et puis il y a eu mon patron. Ce macho invétéré, l’homme dans toute sa splendeur, tout ce que je méprise, et pourtant… Je me suis éprise de lui par la force des choses, parce qu’au final c’est peut-être cela qui me convient dans la vie: être dominée. Me sentir avilie, donner mon âme au diable, me laisser faire parce que je ne suis pas capable d’être forte. Tous ces sentiments se sont bousculés dans ma tête jusqu’à ce que j’abandonne l’idée de comprendre ce qu’il m’arrivait. J’ai adopté la pensée d’Épicure, peut-être parce que je n’attends plus rien de la vie, ou peut-être parce cette dernière m’a appris qu’il ne fallait s’attendre à rien pour être heureux, ou plutôt pour être tranquille. Car le bonheur est une notion qui n’existe pas pour moi, mais ça c’est une autre histoire. Je suis fatiguée aujourd’hui, fatiguée de travailler d’arrache-pied à servir des énergumènes alcoolisés. Fatiguée de devoir feindre un sourire, une politesse. Et surtout, fatiguée de cette solitude. Celle qui m’accompagne depuis toujours mais qui s’en va de temps en temps, même si je sais qu’elle n’est jamais bien loin. Elle est revenue depuis la semaine dernière, depuis que Bryan ne donne plus signe de vie. Depuis que Loghan se fait distant avec moi. Et je ne cherche pas à la faire partir, je ne cherche pas à avoir des nouvelles des deux hommes. Parce que je n’en ai pas envie, ou plutôt parce que je me suis conditionnée à ne plus commettre les mêmes erreurs. Alors j’erre dans mon appartement, parce que Loghan m’a donné congé ce weekend. Je me dis qu’il a fait cela pour être tranquille, pour vaquer à ses occupations mystérieuses. Et cette idée me consume. Tout comme la troisième cigarette que j’enchaîne à la fenêtre de ma chambre. Je regarde le ciel qui change progressivement de couleur, la lune qui se couche pour laisser place à la chaleur du jour. De mon côté, c'est plutôt le contraire. C'est l’absence de Loghan qui a laissé place à la froideur de mon coeur. C'est le soleil qui se couche et la nuit qui m'emprisonne. Je termine ma précieuse dose de nicotine et referme la fenêtre après qu’un frisson m’ait parcouru. J’enfile un sweatshirt au dessus de ma sempiternelle tenue, un tee-shirt moulant et un jean slim noir et je m’attèle à un peu de rangement. J’allume la télévision et tombe sur une émission humoristique. Je décide de laisser la chaîne, histoire d’avoir une présence sonore dans mon quotidien morne. Je commence ensuite à dépoussiérer les bibelots de mon salon et il ne me faut que dix minutes avant d’être interrompue par des coups frappés à ma porte. Je redresse la tête. Qui peut bien me rendre une visite à cette heure matinale? Et surtout, qui frappe à la porte au lieu d’utiliser la sonnette? À mon avis, quelqu’un de très sérieux, de très traditionnel. Une petite boule se forme dans ma gorge. Je ne peux m’empêcher de penser que cela pourrait être quelqu’un qui est au courant de ce que j’ai fait… et qui débarque pour me faire la peau. Je n’ose même pas regarder à travers le judas. L’angoisse me gagne. J’ouvre la porte délicatement et je manque de m’évanouir tant le choc est incroyable. Gabriel. Plus grand, plus beau encore que dans mes souvenirs. Sa main le trahit encore et toujours, se nichant dans sa nuque dans un geste d’inconfort. Mon visage ne peut s’empêcher d’afficher une expression de surprise. « Salut belle étrangère. » Je déglutis. « G-G-Gabriel… » Je murmure son nom, comme si je ne devais pas le prononcer. Comme si en le disant je ramenais tout ce qui appartenait au passé. Comme si la Constance que j’avais enterrée revenait à la vie. Il s’approche de moi et me dépose un baiser sur la joue dans un geste de tendresse infinie. Je ne peux m’empêcher de rougir. « Tu me laisses entrer ou tu vas me dévisager ainsi sur ton palier pendant toute la matinée? » Ma bouche s’ouvre mais aucun son ne sort, je suis bien trop décontenancée. Je me contente alors de me décaler pour le laisser entrer. Il referme la porte derrière nous. Je m’éloigne légèrement de lui et prend ma tête entre mes mains. Quand je retire ces dernières, il est toujours là, à deux mètres de moi, me regardant avec un drôle d’air. « C’est pas possible, je dois être en train de rêver. Qu’est-ce que tu fais ici Gabriel? » Prononcer son nom provoque en moi toute une série de frissons. J’essaye de respirer pour ne pas perdre mes moyens, mais j’ai beaucoup de mal. Quelle surprise.
ette attente a été insoutenable. Tant de temps à désirer revoir une personne pour n'y parvenir qu'au bout de quelques années. Et pourtant entre temps ils 'étaient revus. Avant qu'elle ne parte à Brisbane, avant qu'elle ne s'isole en plein milieu de l'Australie, Constance avait revu quelques fois son ex meilleur ami. Mais ce n'était pas pareil. Parce que leurs rapports avaient changé au fil des mois. Le mariage de celle qu'il avait tant aimé l'avait refroidi. Lorsqu'il la croisait ou lorsqu'ils se donnaient rendez-vous, Gabriel gardait une distance de sécurité entre eux. Non plus la distance physique comme autrefois, il avait appris à gérer ses émotions et à les dissimuler. Mais une distance réelle, une distance dans sa manière de se comporter avec celle qu'il crevait d'aimer. Seulement inconsciemment, quand il avait appris que le mari de Constance était décédé, Gabriel avait su. Cet événement ne pouvait être anodin ni pour l'un ni pour l'autre. Bien que leur rapport avait changé, la disparition d'une figure masculine entre eux leur permettait désormais de redevenir ce qu'ils avaient été: tout l'un pour l'autre. Du moins tout pour lui. Seulement le jeune homme n'avait pas eu le temps de revoir celle qu'il désespérait de faire rentrer dans sa vie en tant qu'égale. Elle était partie comme une voleuse, sans un au revoir. Blessé? Oui il l'avait été. Mais pas assez que pour se convaincre de ne pas la suivre. L'amour vous rend fou dit-on. Il reconnaissait que dans ses agissements, quand il s'agissait d'elle, il n'avait pas toujours été raisonnable. Ce n'était pas sans raison qu'il avait coché quelques mauvaises réponses à un test de psychologie développementale... il savait que c'était un des cours préférés de Constance et n'avait pas voulu risquer de lui prendre la première place. Il aurait pu perdre son grade avec une bêtise pareille, mais il s'en fichait. Et aujourd'hui il se fichait du poste qu'il avait délaissé en venant s'installer à Brisbane.
La jeune femme qui lui faisait face était stupéfaite. Plus que lui évidemment. Il avait été choqué de retrouver Gabriella dans une librairie quelques semaines auparavant, il savait ce que cela pouvait faire de retrouver quelqu'un sans s'y attendre. Mais il se raisonnait en se rappelant que pour elle, il n'était qu'un vieux fantôme du passé, un ami qui frappait à sa porte et qu'elle ne pouvait que se demander ce qu'il faisait là. Elle souffla son nom avec un bégaiement qui ne lui était pas habituel. Il haussa un sourcil avec malice "Tu ne te souviens pas de moi? Oui c'est Gabriel. Ai-je tant changé que ça?" Il la narguait un peu afin de ne pas se perdre devant elle comme elle se perdait devant lui. Parce qu'il savait que si elle était perturbée c'était normal, si lui l'était cela aurait pu être révélateur de ce qu'il ressentait. Bien qu'il ne sache pas exactement ce qu'il ressent. Après tout ce temps, parfois la peur et la stupeur paralysent paralysent votre capacité à vous analyser vous-mêmes. Bien qu'entré dans son appartement, Gabriel se demandait s'il parviendrait un jour à pénétrer de nouveau dans la tête de Constance. Leur situation actuelle ne laissait rien présager: ni du bon ni du mauvais. Ils en étaient arrivés à perdre le contact à un tel point qu'elle était scotchée de le voir devant chez elle. Il se retourna pour la regarder quand elle lui demanda « C’est pas possible, je dois être en train de rêver. Qu’est-ce que tu fais ici Gabriel? » Son sourire léger dissimulait sa déception. Il ne savait pas très bien à quoi il s'attendait mais très certainement aurait-il espéré qu'elle saute de joie de revoir son visage familier. Il espérait être resté un visage familier pour elle. Alors même qu'en vérité, il regardait celui de Constance et constatait qu'elle avait elle aussi changé à ses yeux. Sa beauté s'était endurcie, devenue plus femme qu'enfant. Ses yeux exprimaient une certaine dureté qu'il ne leur avait pas connus. Il haussa les épaules et répondit tout naturellement: "Quelle question. Je suis venu te voir." Son sourire se propageait sur son visage comme une maladie rare dans un pays pauvre. Il lui tourna le dos en analysant la pièce où ils se trouvaient et tenta une petite diversion "C'est ici que tu vis donc?" Faisant le tour de la pièce il s'arrête pour caresser un divan du bout de l'index. Il cherche à s'imprégner de l'endroit, à s'y imprégner aussi d'une certaine manière. Mais il n'arrive pas vraiment à jouer la comédie. En vérité il sent qu'il n'est pas aussi ému qu'il voudrait l'être. Le temps a joué mais surtout, ses sentiments se sont tapis quelques parts en lui, se laissant altérer par une émotion rageuse: la colère. Il lui en veut. Il voit maintenant qu'elle vit bien, qu'elle va bien, que rien ne justifie qu'elle soit partie comme elle l'a fait. Il se poste alors devant une fenêtre qui donne sur la rue et froidement répond enfin à sa première question: "Tu es partie sans rien dire Constance." Et dans ses mots s'exprime toute la douleur et sa colère réunies. Il est froid, distant voire presque autoritaire. Cependant c'est un soulagement d'oser enfin dire à cette femme qu'il a tant idéalisé, ce qu'il pense réellement. Et en ce moment, il lui en veut.
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Je me suis efforcée de l’oublier. D’oublier mon passé. D’oublier tout ce qui me rapporte de près ou de loin à ce terrible épisode de ma vie. Et pour cela, j’ai du agir comme une égoïste. J’ai du laisser tomber mon meilleur ami, j’ai du l’abandonner pour m’exiler. Parce que je ne pouvais pas l’affronter et lui faire encore plus de mal. J’aurais pu tout lui dire, lui dire que je n’étais qu’une infâme personne, que j’ai osé donné la mort à un être qui était pourtant cher à mes yeux parce que j’étais aveuglée par ma propre haine. Mais j’avais trop peur. Bien trop peur de sa réaction, bien trop peur de le perdre à jamais. Je l’ai quand même perdu en déménageant ici à Brisbane, mais dans cet exode il y a un espoir que tout se reforme. Que notre amitié enfouie se débatte pour renaître de ses cendres. Et jamais je n’aurais imaginé que cela se passe aussi vite. Que ce soit lui qui vienne à moi en plus de cela. Je ne comprends pas. Je ne peux pas comprendre qu’il ait quitté l’Angleterre. Ce pays, c’est sa vie, ses racines, sa came. Je l’ai longtemps remarqué à cette petite étincelle qui brillait dans ses yeux autrefois, lorsque nous nous promenions dans le parc de l’université de Cambridge en automne ou lorsque nous nous abritions sous un porche quand il pleuvait des cordes après une journée dans le centre de la ville. Tous ces souvenirs ne s’effaceront jamais, eux. Je regarde mon bel ami avec des yeux remplis d’émotion et de surprise. C’est le monde à l’envers. Lui est plein d’assurance, plein d’entrain et moi je suis décontenancée, mal à l’aise, dans une position d’inconfort extraordinaire. Je ne sais pas comment réagir, j’ai d’ailleurs encore du mal à croire qu’il est là, devant moi. Depuis quand est-il arrivé? Pourquoi ne m’a-t-il pas envoyé un email? A-t-il laissé tomber son boulot de rêve à Londres? Toutes ces questions se bousculent dans ma tête. Je lui demande ce qu’il peut bien faire ici, parce que c’est la première question qui daigne sortir de ma bouche. Le sol se dérobe sous mes pieds, j’ai l’impression de ventiler. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’il puisse me rejoindre. J’ai toujours caché Gabriel dans un coin de ma tête, parce que ça m’a fait trop mal de le laisser sans réponse. Et je me suis toujours dit qu’un jour ou l’autre je reviendrai à Londres, pour prendre de ses nouvelles, pour me réconcilier avec ma terre d’accueil. Sauf que je pensais que cette étape interviendrait beaucoup plus tard dans mon existence. La présence de Gabriel à Brisbane vient tout chambouler, comme si je n’étais déjà pas assez dérangée comme ça. « Quelle question. Je suis venu te voir. » Le flegme de sa réponse me laisse sans voix. Son sourire illuminé et illuminant m’irradie et pour la première fois depuis longtemps je ressens de l’authenticité. Il est vraiment venu pour me voir, vraiment venu pour moi. Je me dis que je devais sacrément lui manquer pour qu’il daigne faire tous ces kilomètres. J’ai envie de m’effondrer. Je ne savais pas qu’il tenait à notre amitié à ce point là… Je l’observe alors qu’il fait les cent pas dans mon salon, posant son regard ça et là sur le mobilier. « C'est ici que tu vis donc? » Je reste clouée sur place, je ne peux me mouvoir. Sa présence est bien trop inattendue. Je me contente de murmurer un « Oui… » à peine audible. Il finit ensuite par se poster devant la fenêtre principale de mon appartement, celle qui donne sur la rue de l’immeuble, avant de se retourner et de me lancer un regard lourd de sens. « Tu es partie sans rien dire Constance. » Chacun de ses mots m’assaille en plein coeur. La vérité me frappe de plein fouet. Je me sens mal tout à coup. Mal de lui avoir fait tant de mal, parce que je le ressens dans sa voix. Je ressens sa colère et sa tristesse, sa haine et sa mélancolie, parce que je le connais par coeur, parce qu’il était mon meilleur ami. Je me rapproche de lui, plus par automatisme que par conscience. « J-j-e sais, Gab… » Je baisse les yeux en arrivant à sa hauteur. Je lui dois des explications, lui s’est toujours montré si compatissant et bienveillant à mon égard. Je me rends compte que je n’ai été qu’un monstre avec lui, alors je plonge dans ses bras. Il ne s’y attendait pas. Et moi non plus à vrai dire. Je me laisse aller contre son torse, parce que ça me fait vraiment du bien de le voir et de sentir tactilement sa présence. « Je suis tellement désolée… » Je relève mes yeux emplis de larmes vers les siens et me défais de son étreinte assez rapidement. Cet accès d’émotion ne me ressemble pas. Je passe ma main pour essuyer mes larmes et respire un grand coup. « J’ai été lâche, mais comprends-moi Gab, je ne pouvais pas rester là-bas… » J’essaye d’en appeler à sa raison pour qu’il comprenne mon départ soudain. Je ne pouvais plus supporter la pression insistante des médias locaux et surtout le poids de mes souvenirs dans la capitale Anglaise. « Je sais que j’aurais du te prévenir, mais je n’ai pas pu. Parce que je sais que tu m’aurais convaincue de rester et ça je n’en étais pas capable… » Je hausse les épaules en espérant qu’il ressente ma sincérité.
abriel n'a jamais été du genre expansif. Déjà enfant il avait pour habitude de se renfermer sur lui même tandis que ses soeurs criaient dans les larges plaines qui leur servaient de jardin. Ce n'est qu'une fois arrivé à l'âge de l'adolescence qu'il s'est laissé aller à un peu plus de bavardage avec ses congénères, mais même là, il restait sur la réserve. Avec Gabriella, bien qu'il ait essayé, il ne parvenait pas à se livrer. C'est d'ailleurs à cause de cette caractéristique trop ancrée qu'il avait perdu celle qu'il aimait tant. Il n'avait pu lui exprimer les troubles qui l'animaient. Puis il lui était arrivé une drôle de chose à l'université : il avait rencontré une personne qui le sortait de son confort quotidien. Il avait déjà appris alors à se démarquer, à mépriser ses camarades, à les taquiner avec un humour assez noir parfois même. Il n'était pas le plus populaire non plus mais il était devenu une sorte de jeune homme que les gens de l'université se félicitaient de cotoyer. Car le monsieur était très sélectif. Cependant malgré tout cela, malgré cette sociabilité de convenance, Gabriel n'avait pas réussi à baisser la barrière de l'intimité. Personne n'était parvenu à passer outre cette froideur apparente et cette distance que la bienséance lui imposait. Personne sauf... une jeune brune qui au fil des semaines s'était fait une place dans sa vie. D'abord d'une manière détournée, sans même qu'il ne réalise qu'elle entrait dans sa vie. Puis la progression se marqua. De jour en jour il se sentait devenir dépendant de cette fille magistrale. Ce qui l'avait charmé c'était son intellect bien avant son physique. Il était tombé dans un piège dangereux car ce sont les lianes qui ne sont pas destinées à vous capturer qui sont les plus mortelles. Et Constance avait ainsi dressé une forêt autour de lui, une forêt dont il ne savait plus comment sortir. Et surtout, une dont il ne voulait plus sortir. C'est ainsi que peu à peu il avait laissé cette fille originale lui tirer les vers du nez, le rendre plus sincère dans ses paroles, avouer des choses qu'avant il ne disait à personne. Le coincé de service, le fils à papa était quand ils s'isolaient tous les deux quelqu'un d'autre. Seulement ce gars-là avait disparu tout comme il était apparu. Progressivement. Au fur et à mesure que Constance avait quitté la vie du roux, sa capacité à se livrer s'était éteinte elle aussi.
C'est ainsi que lorsque la jeune femme qui le tourmentait depuis bien trop longtemps se blottit dans ses bras, il fut incapable de réagir comme il l'aurait souhaité. Froid? Son coeur ne l'était pas. Mais ses manières l'étaient redevenues. Pourtant il sentait ce corps légèrement plus petit que lui tout contre son torse et furtivement il posa une main sur le haut de son dos. Mais il ne se laissa pas aller à la serrer contre lui comme il l'aurait souhaité. Parce qu'autrefois il avait espéré que ces gestes de la part de son amie soient des signes de quelque chose de plus. Et aujourd'hui il savait qu'elle était capable de partir sans même le prévenir. Il remettait en question leur amitié même et c'était d'autant plus affreux parce que jusqu'il y a peu, il avait au moins cela. « J’ai été lâche, mais comprends-moi Gab, je ne pouvais pas rester là-bas… » Ses yeux remplis de larmes ne suffisent pas à le faire descendre de sa méfiance. "Je n'ai pas insinué que tu n'avais pas le droit de partir. Mais pas comme ça." Il avait envie de s'emporter, de se disputer avec elle mais il n'osait pas lui montrer sa peine trop fort. Car cette peine c'était un point faible, c'était un avantage qu'elle avait sur lui. Une preuve du mal qu'elle pouvait lui infliger et des sentiments qu'il éprouvait encore pour elle malgré lui. Des sentiments qu'il était déterminé à lui dire avoir bientôt. Il les lui dirait oui... mais il voulait d'abord se convaincre qu'ils étaient toujours là. Pauvre de lui, il espérait que peut-être son coeur était plus humain et serait passé à autre chose sans qu'il ne le sache. « Je sais que j’aurais du te prévenir, mais je n’ai pas pu. Parce que je sais que tu m’aurais convaincue de rester et ça je n’en étais pas capable… » Il arque un sourcil. "Tu m'as toujours pris pour acquis n'est-ce pas? Tu penses que je ne t'aurais pas laissé partir, que je ne pouvais pas survivre sans toi? Que c'est pour ça que je suis ici?" Un rire mauvais l'emplit tandis qu'il réalise que la réponse à sa dernière question est oui. S'il est énervé c'est parce qu'elle a raison de penser ainsi. Il s'assied sur le bord du fauteuil derrière lui et la regarde avec tristesse. "Tu te souviens de l'été après notre graduation ? Quand on avait été au lac. Tu te souviens de cette promesse qu'on s'était faite? De garder notre amitié intacte quoiqu'il arrive? " Il secoue la tête et se passe de nouveau la main dans la nuque tout en souriant au sol. "Tu sais ce jour-là je pensais que tu t'engageais autant que moi à ce que cette promesse soit tenue... et pourtant, ironiquement, depuis je n'ai cessé de te perdre." Il se leva puis réalisa qu'il n'avait nulle part où aller, il n'était pas chez lui. Il n'avait rien à faire non plus pour s'occuper et ne pas avoir à la dévisager en attendant une réponse. Il ne pouvait quitter le salon, il ne le voulait pas. Il avait désespérément besoin qu'ils parviennent à donner une fin à cette discussion. Il avait besoin de bien plus mais il ne voulait avancer que par de petits pas. "Et je ne suis pas venu à Brisbane pour toi non." dit-il en cherchant à se montrer vexé qu'elle le prenne pour acquis, qu'elle sous-entende qu'il la suivait comme un petit chien. "On m'a proposé un poste intéressant et j'ai pensé que c'était une opportunité à saisir. D'une pierre deux coups: cela me permettrait de me reposer un moment tout en faisant quelques avancées puis je voulais te revoir parce que je ne peux pas enterrer notre amitié si facilement." Plein de reproches, un ton froid et pourtant il savait qu'elle ne pourrait réellement mal le prendre. Du moins il l'espérait. Parce qu'il était là. Il avait beau lui dire qu'il n'était pas un chien chien qui la poursuivrait éternellement, il avait tout de même traversé le continent.
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Je n’ai jamais été vraiment tactile avec les gens. Pas même avec Gabriel. Alors j’espère qu’il considère mon étreinte comme une véritable preuve d’affection. Je sais que j’ai agi comme une sans-cœur, comme un monstre incapable de ressentir des émotions. Et pourtant… Pourtant, il était mon plus cher ami. Mon plus bel ami. Celui qui ne me jugeait pas, qui comprenait mes états d’âmes et qui était tout aussi torturé que moi. Celui qui d’abord s’était perdu dans les couloirs de Cambridge, ses lunettes posées de travers sur son nez tacheté. Je lui avais indiqué la salle de classe et nous nous étions rendus compte que nous suivions les mêmes études. Une relation de prime abord scolaire s’était rapidement transformée en une amitié fusionnelle. Nous nous adorions, vraiment. Et je n’avais jamais envisagé que cela soit autrement. Je n’avais jamais pensé à autre chose qu’une amitié forte entre nous. Parce que je ne voulais pas la gâcher tout simplement. Parce que j’avais appris que l’amour était ce qui nous détruisait le plus et je ne voulais pas de ça entre lui et moi. Alors nous avions passé des années à nous supporter, à rêver des mêmes projets, à nous promener un peu partout dans le royaume, à rire et surtout à s’aimer. S’aimer dans sa forme la plus simple, la plus pure. Une tendresse inexplicable, une affection toute particulière. Et j’ai tout brisé en m’échappant. En m’exilant à des milliers de kilomètres de lui. Je me détache de son étreinte, il ne m’a même pas rendu la pareille. Il semble froid, en colère, presque révolté et j’ai du mal à concevoir un Gabriel comme cela. Je le regarde avec des yeux teintés de tristesse. Qu’est-ce que je peux faire? « Je n'ai pas insinué que tu n'avais pas le droit de partir. Mais pas comme ça. » Mais comment alors? Je lui indique que si je l’avais prévenu de mon départ à l’époque, il m’aurait retenue. Parce que c’est comme ça, parce que je ne peux me résigner à le quitter quand il me regarde. Parce que le poids de nos souvenirs est bien trop important et que l’affronter aurait été terriblement difficile pour moi. « Tu m'as toujours pris pour acquis n'est-ce pas? Tu penses que je ne t'aurais pas laissé partir, que je ne pouvais pas survivre sans toi? Que c'est pour ça que je suis ici? » Je le regarde, une expression de choc intense se dessinant sur mon visage. Je ne peux croire ce qu’il me dit. Je ne peux croire qu’il puisse penser cela. Je ne sais d’ailleurs que répondre. Je bégaye, essaye de trouver des mots mais rien ne sort tellement je suis profondément atteinte par ses accusations. Il me sert un rire machiavélique et des larmes recommencent déjà à perler dans mon regard meurtri. Pourquoi me dire tout ça? Pourquoi me faire du mal? Il veut se venger, lui aussi? « Tu te souviens de l'été après notre graduation ? Quand on avait été au lac. Tu te souviens de cette promesse qu'on s'était faite? De garder notre amitié intacte quoiqu'il arrive? Tu sais ce jour-là je pensais que tu t'engageais autant que moi à ce que cette promesse soit tenue... et pourtant, ironiquement, depuis je n'ai cessé de te perdre. » C’est donc cela. Je réalise alors l’étendue des dégâts que j’ai causé. Bien entendu, je me rappelle de notre promesse. Ce moment de joie extrême où nous avions scellé notre amitié. Où je lui avais promis d’être toujours là pour lui, d’être toujours là avec lui. De ne jamais le laisser tomber. Et je n’ai rien respecté de cela. Une larme coule le long de ma joue gauche alors que je me rapproche un peu plus de lui, après qu’il se soit redressé du bord du fauteuil sur lequel il était assis. Mes membres tremblent. Je ne m’attendais pas à une confrontation aussi violente. Je respire un grand coup avant d’essayer de mettre des mots sur ce que je ressens. « Je suis un monstre, Gabriel. Je n’ai jamais mérité notre amitié, comme je n’ai jamais mérité d’être aimée… Je suis consciente de ça. » Je baisse la tête et fixe un point quelque part non loin de ses chaussures. « Je suis désolée de t’avoir fait perdre tout ce temps. Je n’ai pas été digne de toi et j’en porte la responsabilité. » Il se recule ensuite, surement parce qu’il a pitié de moi, du désastre de ma vie. Ce qui ne l’empêche tout de même pas de m’asséner un autre coup. « Et je ne suis pas venu à Brisbane pour toi non. On m'a proposé un poste intéressant et j'ai pensé que c'était une opportunité à saisir. D'une pierre deux coups: cela me permettrait de me reposer un moment tout en faisant quelques avancées puis je voulais te revoir parce que je ne peux pas enterrer notre amitié si facilement. » La dernière partie de sa phrase me fait redresser la tête. Je le regarde avec intensité. Il ne veut pas jeter notre amitié aux oubliettes, ou du moins, pas tout de suite. « Donc tu… tu t’installes à Brisbane? » Mes yeux s’écarquillent. Décidément, ce garçon m’étonnera toujours. Je ne peux pas y croire. Je me rapproche encore plus de lui pour poser mes mains sur son torse étonnamment musclé. « Tu m’as manqué, tous les jours, sache le… » Mes mains se referment pour former deux poings, toujours posées sur son torse, tandis que je continue de le fixer.
a principale difficulté que Gabriel éprouvait en ce moment c'était de se retrouver face à un mur. Il accusait Constance et celle-ci ne réagissait pas. Pas ouvertement en tout cas. Elle ne disait rien, elle se murait comme lui le faisait d'antan. Il aurait aimé savoir ce qu'elle pensait de tout cela, si elle comprenait sa douleur et sa colère. Le pire étant probablement que dans le doute il répondait lui-même à ses propres interrogations et cela ne le satisfaisait pas: il ne pouvait penser qu'à du négatif. Si elle se taisait c'était par indifférence ou alors c'était parce qu'il avait raison et qu'elle n'osait le confirmer à voix haute. Or il espérait comme un gamin avant Noël qu'elle viendrait contredire tout. La première réponse qu'elle lui donne lui ôte la voix. « Je suis un monstre, Gabriel. Je n’ai jamais mérité notre amitié, comme je n’ai jamais mérité d’être aimée… Je suis consciente de ça. » Est-elle sérieuse? Il la regarde et se rend compte qu'il y a été de manière trop brutale. Constance est bouleversée. Il regrette aussitôt ses paroles amères mais le mal est fait. Il ne peut revenir en arrière et pourtant plus il y réfléchit plus il réalise qu'il a blessé la seule personne qui lui a jamais permis d'être lui-même. De là viennent ses maux: il souffrait de ne plus pouvoir se comporter naturellement avec elle, il souffrait de ne plus être avec elle. « Je suis désolée de t’avoir fait perdre tout ce temps. Je n’ai pas été digne de toi et j’en porte la responsabilité. » Tout ce qu'il entend c'est qu'elle parle de perte de temps. Apparemment il a vraiment fait passer un mauvais message à cette amie qu'il estime tant. "Je suis désolé Constance. Tu m'as mal compris." Son ton s'adoucit mais il cherche à ne pas tomber dans un piège inconscient que Constance pourrait lui proposer, il reste sur ses gardes bien que cela le peine. "Tu ne m'as pas fait perdre mon temps et jamais je n'oserais insinuer que tu es un monstre. Tu es..." Il se rapproche d'elle puis interrompt sa marche, craignant de se laisser emporter par un vent d'affection déplacée. "...tu es une personne merveilleuse. Mais tu dois comprendre que c'est terriblement douloureux de se voir rejeter de la vie d'une personne qu'on estime et aime autant que je t'estime et aime." Voilà le mal, voilà le problème, résumés en une phrase. Le rejet et l'amour font mauvais ménage. « Et je ne suis pas venu à Brisbane pour toi non. On m'a proposé un poste intéressant et j'ai pensé que c'était une opportunité à saisir. D'une pierre deux coups: cela me permettrait de me reposer un moment tout en faisant quelques avancées puis je voulais te revoir parce que je ne peux pas enterrer notre amitié si facilement. » Il se devait de lui expliquer qu'elle n'était pas sa raison de vivre. Mais comme l'on dit trop bien, qui s'excuse s'accuse non? Cependant cette tirade était destinée à lui reprocher sa propre indifférence quant à leur éloignement. Et tout ce que Constance entendait c'était qu'il avait déménagé. Il était partagé entre amusement et agacement. « Donc tu… tu t’installes à Brisbane? » Il secoue la tête puis se reprend et acquiesce avec mauvaise humeur. "Je reste un an seulement. Enfin, encore 9 mois quoi. Après je rentre chez moi." Et la manière dont il avait appuyé sur ces derniers mots témoignait à quel point pour lui seule l'Angleterre représenterait jamais un "chez soi" réel. Le soleil, les palmiers, les gens avec des lunettes Ray-Ban bon marché... tout cela c'était joli pour se dépayser. Mais son coeur était bien trop compliqué pour accepter de se faire à l'idée qu'il devait s'adapter. Son coeur était exigeant. Et il ne voulait que du caviar concentré. La crème de la crème selon des normes particulières, selon des lois que lui-même ne pouvait expliquer. Gabriel sentit les mains de celle qu'il aimait et respectait tant se poser sur son torse et il inspira calmement pour ne pas battre en retraite devant ce geste bien trop familier. « Tu m’as manqué, tous les jours, sache le… » Elle lui avait manqué aussi. Il sentit les doigts de la jeune femme se resserrer en de petits poings et il changea son expression. Saisissant ces mains qui défiaient son torse, il les enveloppa dans les siennes avec tendresse tout en plongeant son regard dans celui de Constance. "Tu m'as beaucoup manqué aussi. Tu n'étais pas encore partie que tu me manquais déjà Stance..." Il se pinça les lèvres. Ce surnom le ramenait des années en arrière quand pour la première fois il lui avait trouvé un diminutif. Elle avait ri de lui. L'idée de raccourcir son prénom lui semblait hilarante, elle ne semblait pas habituée à être l'objet de ce genre d'affection et il s'était félicité intérieurement de la gratifier de cette attention. "Je voudrais tellement qu'on puisse faire marche arrière, reprendre là où nous étions..." Mais. Mais il y avait une centaine de "mais" qui se bousculaient dans sa tête sans qu'il ne veuille les énoncer.
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Je suis complètement déboussolée. J’ai perdu tous mes repères. Je pensais mener une petite vie tranquille, cachée des regards indiscrets et des suspicions. Je pensais pouvoir me racheter, pouvoir essayer de prendre un nouveau départ. Je n’avais pas de bonnes résolutions, juste l’envie d’être ailleurs, loin de toute la misère qu’était devenue mon existence à Londres. Même si de prime abord mes intentions étaient de retrouver l’une des maîtresses de mon défunt mari et de lui infliger une vengeance sanguinaire, il n’en est rien. Du moins, pas pour le moment. Parce que depuis mon arrivée à Brisbane, ma vie est sans dessus-dessous. Je n’ai jamais connu pareil rythme. Mon corps est fatigué de travailler sans relâche et mon coeur est tiraillé parce qu’il s’est épris d’un homme aux milles défauts. Sans parler du fait que j’entretiens une relation étrange avec mon voisin, mêlée d’amour et de haine, de passion et de danger. Je suis complètement larguée. Alors voir Gabriel se rajouter à l’équation, revoir un fragment on ne peut plus important de mon passé revenir à moi, ça me déstabilise. Je suis devenue encore plus vulnérable qu’avant, moi qui m’efforce quotidiennement d’être une femme forte. Ma reconversion est un échec. Je suis bouleversée de voir mon ancien meilleur ami, comme je suis bouleversée de le voir en colère. Lui qui avait une âme si pure, lui qui incarnait la bonté et la lumière. Le voir hargneux et méprisant me fend le coeur, parce que c’est à cause de moi qu’il est devenu comme ça. Alors je m’excuse, les yeux remplis de larmes, en prenant conscience de l’impact qu’a eu mon abandon sur le jeune homme. « Je suis désolé Constance. Tu m'as mal compris. Tu ne m'as pas fait perdre mon temps et jamais je n'oserais insinuer que tu es un monstre. Tu es…tu es une personne merveilleuse. Mais tu dois comprendre que c'est terriblement douloureux de se voir rejeter de la vie d'une personne qu'on estime et aime autant que je t'estime et aime. » Une larme coule sur mon visage et je l’essuie avec la manche de mon sweatshirt. Je baisse les yeux, me sentant terriblement coupable. Il m’indique ensuite qu’il a déménagé dans la ville parce qu’il a eu une proposition de contrat. Le monde est décidément minuscule. Une toute petite voix dans ma tête ne peut s’empêcher de penser qu’il a vraiment du faire tous ces kilomètres pour une raison bien précise, mais je ne pourrais jamais croire que cette raison soit moi. Ce n’est tout bonnement pas possible. Je lui demande tout de même s’il compte s’installer ici définitivement. Si je dois me faire à l’idée d’avoir un compagnon du passé à mes côtés. « Je reste un an seulement. Enfin, encore 9 mois quoi. Après je rentre chez moi. » Sa dernière phrase me fait encore une fois tressaillir. Il rentre chez lui. Plus chez nous. Car il m’a bien rayé de la carte, moi qui ai lâchement largué les amarres. Je m’approche de lui dans un geste automatique, parce que j’ai besoin de sentir qu’il est bien là, parce que inconsciemment j’aimerai me racheter. Je laisse aller mes mains sur son torse et lui avoue que sa présence dans ma vie m’a terriblement manqué, même si au fond il valait mieux que je m’en aille. Il serre ensuite mes poings de ses grandes mains incroyablement douces et un frisson me parcourt toute entière alors qu’il me regarde avec intensité. « Tu m'as beaucoup manqué aussi. Tu n'étais pas encore partie que tu me manquais déjà Stance... » Je ne peux m’empêcher de sourire, parce que cela fait longtemps qu’on ne m’avait plus porté une telle affection. Et je dois dire que ça fait beaucoup de bien de se sentir aimée, même si cette tendresse est teintée d’amertume. « Je voudrais tellement qu'on puisse faire marche arrière, reprendre là où nous étions... » Le monde s’arrête de tourner, plus aucun bruit ne se fait entendre dans la pièce. Il n’y a plus que lui et moi et cette phrase résonnant dans ma tête. Je défais mes mains des siennes tout en ne cessant de le regarder puis je me mets à rire. Mes larmes font place à une explosion d’hilarité singulière. Il me regarde avec de grands yeux, se demandant ce qu’il me prend soudainement. Je finis par récupérer mes esprits après quelques secondes, avant lui expliquer: « Tu sais, en tant que scientifiques, on a toujours cherché des explications rationnelles à tout ce qui se passait autour de nous… » Il continue de me lancer un regard interrogateur. « Mais là, je sais pas Gab, tu trouves pas que c’est extraordinaire? Qu’on se retrouve ici, tous les deux, pour faire table rase du passé… » Je ne peux décidément pas croire qu’il soit là. « Je crois que le destin est en train de nous faire comprendre qu’on ne peut pas vivre loin de l’autre… » Et sur ces mots, je lui lance le plus beau des sourires.
i la vie était un long fleuve tranquille les deux personnes qui se trouvaient présentement confrontées l'une à l'autre n'auraient jamais eu à se séparer. Si la vie était facile, tous deux auraient été mariés depuis longtemps. Même Constance dont les sentiments n'avaient jamais semblés être d'une nature amoureuse aurait pu aisément convenir que la facilité cela aurait été de vivre avec ce garçon qui l'adorait tant. Cependant la vie s'était joué d'eux. Plus d'une fois d'ailleurs. Bien que Gabriel ne savait pas par quelles terribles épreuves celle qui agitait son cœur était passée, il savait tout de même lire sur son visage. A une certaine époque, il se félicitait de déceler sur les traits de la jeune femme des notions de mélancolie, des vagues de nostalgie, des humeurs tellement parcellaires auxquelles tout autre aurait été aveugle. Aujourd'hui il aurait aimé y être aveugle aussi. Il aimait toujours cette femme mais le temps avait dissipé la force de ses propres émotions. Et maintenant il ne savait plus ce qu'il ressentait exactement. Était-ce de la hargne d'avoir été rejeté dans le passé ou tout simplement un manque de sentiments, l'absence de ce qu'il éprouvait avant? Et malgré tout... une simple larme ruisselant sur son visage suffisait à le ramener à des pensées plus douces à son égard. Tout cela jusqu'à ce que la jeune trentenaire se mette à rire. Frustré, déboussolé, le roux en resta sans voix. Était-il possible qu'elle soit si changeante, si inconsistante? Pourquoi donc se moquait-elle de lui maintenant? Il soupira vaguement soulagé de l'entendre s'expliquer. Mais à peine convaincu par cette distance physique qui se replaçait entre eux. Il avait beau faire ce qu'il voulait, Constance ne lui appartiendrait jamais. Il ne pouvait espérer que cela arrive un jour. Tout ce qu'elle voyait c'était une ironie du sort là où en vérité, le sort ne faisait que se moquer de lui. Une moquerie bien méritée quand on savait à quel point il s'était démené pour la retrouver. « Je crois que le destin est en train de nous faire comprendre qu’on ne peut pas vivre loin de l’autre… » Fuyant le regard inquisiteur et souriant de son amie, Gabriel répondit évasivement et en tentant de garder le ton décontracté de celle qui lui parlait: "Oui, enfin on dirait que tu te passes fort bien de moi." Il ne parvenait pas à ne pas être amer. Il aurait voulu tourner la page une bonne fois pour toutes mais c'était trop tôt. Il ne pouvait pas lui assener un coup fatal maintenant. Car il était persuadé qu'elle ne comprendrait pas qu'il lui fasse savoir quels étaient feux ses sentiments d'autrefois. Et en vérité il commençait à douter que tout lui révéler soit une bonne idée. Peut-être devait-il se contenter de profiter un peu de son amitié pendant quelques mois et ensuite rentrer chez lui, en ayant eu le temps de faire son deuil de manière progressive cette fois? Il regarda Constance brièvement et conclut momentanément qu'il ne prendrait pas de décision hâtive. "Ca te dirait de sortir manger un bout? " Il avait besoin de prendre l'air et surtout de l'emmener dans un endroit qui serait moins son territoire à elle. Une zone plus neutre. Une zone qu'il pourrait éventuellement reconfigurer pour qu'elle soit leur "endroit" à eux, comme ce qu'ils avaient en Angleterre. "Ca ne nous fera pas de mal de nous retrouver un peu. Ca fait... si longtemps." Il n'avait aucunement envie de dire à voix haute le nombre d'années qu'il estimait s'être passées depuis qu'il l'avait perdue.
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Il est vrai que le destin est quand même une notion assez particulière. Je ne m’en étais pas vraiment rendue compte jusqu’à présent. Et j’ai l’impression qu’il ne concerne que Gabriel et moi, nous, les deux scientifiques à la pensée on ne peut plus rationnelle. Nous qui vivons dans un monde rempli d’équations diverses et de constantes mathématiques. Nous qui avions étudié que tout ce qui formait notre existence pouvait être expliqué par un phénomène bien précis. Quelle ironie qu’une notion aussi fragile, aussi peu logique s’applique à nous. C’est d’ailleurs pour cela qu’un rire, soit dit en passant plus maladroit qu’autre chose, a pris possession de mon corps. Parce que je me suis rendue compte que le destin nous a fait le coup plus d’une fois. D’abord en nous réunissant à Cambridge, ce qui a eu pour conséquence de nous rendre plus liés que jamais. Ensuite à Londres, alors que j’avais été engagée au King’s College. J’étais mariée depuis quelques mois et la tête rousse si familière de mon cher Gabriel a fait irruption une nouvelle fois dans ma vie, alors qu’il effectuait un aller-retour entre le centre de recherche de Cambridge et le mien. Nous nous étions retrouvé autour d’un café, puis d’un deuxième pour finir par se donner des nouvelles régulièrement. Puis un nouveau silence, un calme plat, une nouvelle absence lorsque j’ai appris que mon mari me trompait. Je me suis renfermée sur moi-même et j’ai refermé les vannes de mon coeur petit à petit, jusqu’à fatalement disparaître de la vie de Gabriel. Donc le revoir ici et surtout aussi loin de notre vie Anglaise relève une nouvelle fois du mystère. « Oui, enfin on dirait que tu te passes fort bien de moi. » Je le regarde avec de grands yeux avant de répondre du tac au tac. « Euh… t’as vu ma tronche Gab? Et t’as vu l’état de mon appartement? Je ne vis plus, je survis. Et c’est le prix à payer pour un peu de tranquillité… » Je lui montre mon environnement d’un geste de la main avant de soupirer. « Alors, c’est pas une question de me passer de toi ou non. Je ne pouvais pas t’imposer de me suivre, ça aurait été de la folie. Tout comme rester à Londres n’était plus possible pour moi… » Je lui fais les yeux doux pour ne pas une nouvelle fois attiser sa colère. Il semble soucieux, à en juger par son regard perdu et ses silences prolongés. Quelque chose le taraude et j’aimerais savoir quoi, mais je n’ose lui demander de peur d’être intrusive. Après tout, j’ai neuf mois pour essayer de rattraper le temps perdu. « Ça te dirait de sortir manger un bout? Ça ne nous fera pas de mal de nous retrouver un peu. Ça fait... si longtemps. » Je le regarde d’un air surpris. Je ne m’attendais ni à le voir ce matin, ni à devoir sortir de chez moi, donc je dois avouer que sa proposition me prend de court. Mais bon, les raisons qu’il avance sont bien trop fortes donc je ne peux refuser. « Mmmh… Je crois que je te dois bien ça, non? » Je ris légèrement avant de m’agiter. « Je te demande juste quelques petites minutes, le temps que je me change… Que j’ai l’air plus présentable quoi. » Il lève les yeux au ciel puis me lance un sourire. J’en profite alors pour filer dans ma chambre en lui indiquant qu’il peut profiter de mon espace comme bon lui semble en attendant mon retour. Je retire alors mon sweatshirt et mon simple tee-shirt pour enfiler une chemise en coton et un trenchcoat pour me donner un côté beaucoup plus classe. Ce manteau, je ne l’avais plus mis depuis mon départ pour Londres alors cela signifie beaucoup pour moi. Le ressortir du placard, c’est un peu comme ressortir l’ancienne Constance, celle qui aimait la vie et qui la vivait à pleine allure avec son meilleur ami. J’enfile ensuite une paire de ballerines noires et passe un coup de brosse dans mes cheveux, histoire de les discipliner. Je fais même l’effort de mettre un peu de blush et un rouge à lèvres simple pour masquer mon air blafard puis je reviens dans le salon, où je trouve un Gabriel toujours aussi pensif. Je me racle la gorge pour lui signaler ma présence avant de lui lancer un léger sourire. « Tu veux aller où, Gab? Je ne connais pas très bien la ville mais j’ai quelques adresses sympa. » Je m’approche de la console située près de ma porte d’entrée pour attraper un paquet de cigarettes et me retourne vers mon ami afin de décider ensemble dans quel genre d’endroit nous pourrions nous attabler et rattraper le temps perdu…
i Gabriel était nerveux, il ne le montrait pas. Pourtant la personne qui se trouvait en cet instant dans la même pièce que lui avait un effet très impressionnant sur lui. Il aurait aimé crier, pleurer et rire en même temps. Et pourtant même s'il avait pu effectuer les trois actions sans passer pour un fou, il n'était pas certain que se laisser aller pourrait réellement le calmer. Après tout, c'était Constance qui lui faisait face. Celle qu'il avait pourchassée pendant des années dans ses rêves, et pendant des mois depuis qu'elle l'avait réellement quitté. Il essayait de toutes ses forces de ne pas montrer son amertume mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Cependant il gardait le contrôle, comme toujours. Et lorsqu'il l'accusa à sa façon d'avoir survécu, il réalisa en même temps qu'elle ne pouvait être partie que pour des raisons profondes. Après tout elle était elle aussi attachée à l'Angleterre. Après tout, elle devait bien tenir un peu à lui aussi non? Et puis... son mari, elle l'avait beaucoup aimé, du moins il le pensait. Elle ne se serait pas enfui de la sorte, elle n'aurait pas abandonné ce qui restait de son histoire avec lui ainsi si elle n'avait pas vraiment eu besoin de le faire. « Euh… t’as vu ma tronche Gab? Et t’as vu l’état de mon appartement? Je ne vis plus, je survis. Et c’est le prix à payer pour un peu de tranquillité… » Mais que fuyait-elle exactement? De la tranquillité par rapport à quoi? « Alors, c’est pas une question de me passer de toi ou non. Je ne pouvais pas t’imposer de me suivre, ça aurait été de la folie. Tout comme rester à Londres n’était plus possible pour moi… » Il secoua la tête abruptement. "Ce n'est pas une question de m'entraîner avec toi ou non. Mais juste de me parler Constance. C'est tout ce que je voulais. C'est tout ce que je veux." Parce qu'au fond il sentait qu'il ne savait pas tout. Elle le lui avait clairement dit aussi. Et une part de lui se demandait s'il était possible qu'il lui pardonne si elle lui expliquait plus en détails quelle avait été sa situation. Il ne pensait pas que cela changerait sa douleur mais au moins peut-être cela pouvait-il l'apaiser un peu?
Il se décida à laisser couler un peu. Après tout il l'aimait trop que pour passer sa vie à lui en vouloir. Il ne pouvait pas non plus se résoudre à tout oublier. Il ne pouvait sous prétexte que la voir perdre des larmes involontaires le faisait souffrir abandonner sa quête de paix. Mais il devait prendre son temps. Il proposa qu'ils sortent et il vit clairement qu'elle aurait préféré rester chez elle. Cependant elle accepta. Comme si c'était une faveur qu'elle lui faisait. Il avait eu envie de lui répondre que si elle se sentait obligée alors il ne fallait pas. Il se sentait vulnérable, irritable aussi. Tout ce qu'elle disait lui rappelait que lui il n'était que celui qu'elle avait délaissé et qui était tout de même venu la chercher pour une seconde chance. Il s'en voulait d'être si rancunier. Mais il savait que tant qu'il ne lui aurait pas tout dit, il ne pourrait se laisser aller. Sauf qu'en voyant la jeune femme disparaître pour se changer et revenir presqu'aussi rayonnante qu'autrefois, son coeur faisait des bonds. Des bonds meurtriers quand on sait à quel point leurs battements étaient à sens unique. « Tu veux aller où, Gab? Je ne connais pas très bien la ville mais j’ai quelques adresses sympa. » Il n'en savait rien. Il ne voulait pas un endroit qu'elle connaissait déjà. Il voulait un endroit spécial. "Et si on sortait sans but, qu'on vagabondait un peu jusqu'à trouver ce qui fera notre bonheur." C'était tout ce qu'il voulait, trouver un petit havre de paix. Avec elle. Une fois dans le corridor, il la regarda manier ses clés pour refermer la porte derrière elle et s'appuya contre le mur en face. "Tu sais, parfois je me demande ce que l'on serait devenu si on ne s'était pas rencontré à l'univ', pas toi?" Elle termina de fermer la porte et ses yeux se portèrent avec intérêt sur son ami. Il ajouta: "Tu penses qu'on aurait été plus heureux ou plus malheureux l'un sans l'autre? Enfin sans savoir ce que c'est de savoir l'un l'autre et de ne plus s'avoir ensuite je veux dire." Il n'était pas très compréhensible mais c'était dû à une raison. Pour elle la question pouvait sembler ridicule. Mais lui parfois s'était demandé s'il n'aurait pas moins souffert s'il ne l'avait pas connue. S'il n'avait pas tant aimé sans retour.
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Je ne sais absolument pas où cela nous mènera, mais je ne peux m’empêcher de vouloir le vivre. Parce que Gabriel a été le seul ami que je n’ai jamais eu. Il a été celui qui m’a écouté pendant des années, celui qui s’est efforcé de comprendre mes joies, mes peines, celui qui m’a toujours épaulé, celui qui ne m’a jamais jugé. Il est la seule personne légitime d’être présente dans ma vie. La seule personne que je n’aurais jamais du quitter, la seule personne pour laquelle j’ai regretté mon départ. J’ai été égoïste de croire que c’était pour son bien, pour notre bien. Il était mon ancre, celui qui me gardait sur Terre. Et je l’ai tout simplement envoyé dans le décor, comme un vulgaire mouchoir en papier. À usage unique. Et pourtant, il prenait énormément de place dans mon coeur, depuis toutes ces années. L’amour m’a aveuglé et a petit à petit flouté l’espace qu’il occupait, jusqu’à le faire disparaître. Le revoir aujourd’hui, au-delà de me procurer un sentiment de surprise ultime, me fait du bien. Même si je m’efforce de laisser toute trace du passé de côté, la présence de Gabriel à Brisbane me rassure. C’est paradoxal, mais c’est comme ça. C’est Gabriel, c’est l’effet qu’il exerce sur moi. Je redeviens la jeune étudiante en sa compagnie, je redeviens la gentille Constance, la respectable Constance. Et ça me fait du bien. C’est ce qui me motive d’ailleurs, là dans ma chambre, à choisir une tenue un peu plus présentable. C’est ce qui me motive à attraper un rouge à lèvres, à l’étaler sur ma bouche pulpeuse et à afficher un sourire presque transcendant. Je reviens dans mon salon et y retrouve mon bel ami, l’air pensif comme à son habitude. Je lui demande alors où il aimerait prendre un café, par politesse et parce que je n’en ai pas la moindre idée pour être honnête. « Et si on sortait sans but, qu'on vagabondait un peu jusqu'à trouver ce qui fera notre bonheur ? » C’est vraiment du Gabriel tout craché et je ne peux m’empêcher d’afficher un large sourire. « Ça me va! » J’attrape mes clés et lui ouvre la porte avant de la refermer. Je vole presque, mes mouvements sont légers, je suis comme transportée. Gabriel a cet effet apaisant sur moi, comme si ma vie était dénuée de tracas. Et pourtant… « Tu sais, parfois je me demande ce que l'on serait devenu si on ne s'était pas rencontré à l'univ', pas toi? Tu penses qu'on aurait été plus heureux ou plus malheureux l'un sans l'autre? Enfin sans savoir ce que c'est de savoir l'un l'autre et de ne plus s'avoir ensuite je veux dire. » Je me retourne et le trouve appuyé contre le mur, l’air toujours aussi perdu dans ses pensées. Je hoche la tête dans un soupir et lui souris. Un vrai sourire. Je le regarde quelques secondes avant de répondre: « Non, je n’y pense jamais parce que je me dis que c’était une évidence, Gab. » Il sourit, légèrement revigoré par mes paroles et nous nous mettons ensuite en mouvement. Je complète le fil de ma pensée alors que nous descendons les escaliers. « C’est juste incroyable que l’on se retrouve, comme ça, par hasard. C’est comme si notre amitié dépassait les frontières… » Je m’arrête pour poser ma main contre son bras. « Mais si tu veux tout savoir, je crois que j’aurais été malheureuse de ne pas avoir connu un garçon comme toi dans ma vie. » Je souris une nouvelle fois et nous sortons de l’immeuble pour se retrouver à l’air frais. Je frissonne légèrement au contact de l’atmosphère naturelle et indique le chemin à mon ami. « Viens, on va aller voir de ce côté là. C’est un quartier très animé, on va bien finir par trouver ce qu’on cherche! » Je lui fais un clin d’oeil et nous marchons quelques secondes. Je sors mon paquet de cigarettes et en allume une que je dépose délicatement entre mes lèvres tout en continuant notre petite promenade matinale.
a jeune femme s'était construit une vie en quittant l'Angleterre. Elle s'était reconstruite elle-même. Mais Gabriel lui avait eu du mal à faire pareil. Pourtant il avait vécu, il avait même eu des liaisons. Mais ce n'était pas comme s'il avait tourné la page. Pour lui Constance n'était pas une simple page, elle était un roman entier. Et si le livre venait à se finir, c'est qu'il devait y avoir une suite à paraître, le contraire était inimaginable. Il n'arrivait pas à concevoir son présent sans une graine de Constance dans le pré de sa vie. Elle devait fleurir en été, il devait juste attendre que les vents et les froids de l'hiver se dissipent. Il sourit en pensant que c'était effectivement cela, Constance était sa propre marque de printemps. Elle revient dans le salon et accepte sa proposition. Déambuler c'est leur truc à eux. En Angleterre, il aimait la traîner dans des musées juste pour le plaisir de se moquer des oeuvres qui y étaient exposées. Ou encore pour se perdre dans des ailes non autorisées au public. Puis lorsqu'on les attrapait ainsi tapis dans l'illégalité, ils inventaient toute sorte de mensonge pour s'en échapper. Une fois Gabriel avait utilisé l'accent français prétendant qu'ils étaient des touristes et qu'ils s'étaient égarés. Une autre c'était Constance qui avait eu l'idée de faire croire qu'ils étaient un couple de jeunes mariés étourdis par l'amour et n'avaient pas remarqués qu'ils s'étaient paumés dans une cage d'escalier interdite d'accès. Cette fois-là elle s'était accrochée à son cou tout le long du trajet vers la sortie. Le garde les sermonnait tandis que tous les deux se regardaient dans le blanc des yeux, totalement inconscients de ce qui se passait autour d'eux. Mais pour Constance ce n'était qu'un jeu. Pour lui, le jeu avait malheureusement contaminé la réalité. Et maintenant qu'elle rentrait de nouveau dans son présent, il était déterminé à mettre un terme aux jeux.
Une évidence dit-elle. Il ravale sa salive et n'insiste pas. Il aimerait croire que tous les deux ils étaient destinés à se rencontrer mais le temps passé loin d'elle lui a ôté cet espoir. Sa main se pose sur lui après qu'elle ait de nouveau répété que leur amitié a dépassé les frontière. Gabriel se pince les lèvres et ne répond pas. Il n'a rien à ajouter. Il lui a déjà dit le fond de sa pensée en posant la question plus tôt. Il aurait mieux fait de se taire peut-être. Lorsqu'ils sortent du bâtiment, il chasse ses pensées noires et la suit du côté qu'elle indique. Après tout, il peut bien s'autoriser un petit moment sans tensions auprès d'elle non?