Flashback

Theo
On peut se voir ?

Vu la façon dont elles s’étaient quittées au dojo, Theo n’espérait pas vraiment une réponse positive à cette question. Des retrouvailles dignes de ce nom dont la Bing avait le secret. Elle ne savait même pas si Emery avait changé de numéro de téléphone ou pas depuis tout ce temps. Elle ne savait pas non plus pourquoi elle l’avait conservé dans son répertoire si longtemps alors que cela faisait plusieurs années que ses derniers SMS étaient restés sans réponse. Elle n’attendait rien de ce SMS. Elle ne s’autorisait pas à espérer voir Emery débarquer sur les quais pour la retrouver là où elle lui avait donné rendez-vous. Là où elles s’étaient baladées tant de fois par le passé, insouciantes quant à tout ce que le futur leur réservait. Pourtant c’était bel et bien avec une heure d’avance qu’elle était venue camper sur ce banc en attendant l’heure du rendez-vous. Et dieu que cette heure lui avait semblé longue et beaucoup trop permissive envers les pensées qu’elle cherchait à refouler depuis des semaines. Seth, Vivian, May, Hugo…les nausées étaient de retour et pour bien plus de raisons qu’elle ne l’aurait souhaité. Pour une fois, les gens qui l’entouraient n’étaient pas les seuls responsables de son état. Et qui était la personne qu’elle détestait le plus dans toute cette histoire ? Celui qui l’avait mise enceinte ? Celle qui selon elle avait pactisé avec l’ennemi ? Celui qui avait couché avec sa mère ? Ou bien cette mère qui, malgré le rôle qui lui incombait, s’évertuait à se montrer plus puérile et irresponsable encore que sa propre fille ? Non…celle qu’elle détestait le plus dans cette histoire se trouvait en face d’elle à chaque fois qu’elle se regardait dans un miroir. Elle ne pouvait accuser personne pour ses actes, et pourtant elle avait bien essayé. Voilà toutes les pensées qui lui avait traversé l’esprit durant ces soixante très longues minutes avant qu’elle n’aperçoive cette silhouette familière en face d’elle. Son regard s’était fait reflet bien malgré elle de tous ses maux quand elle le posa dans celui d’Emery. Sa gorge s’était nouée instantanément et elle avait été incapable de prononcer le moindre mot durant plusieurs secondes. Elle avait du mal à croire qu’elle était bien en face d’elle et ressentait une furieuse envie de se pincer pour vérifier qu’elle n’était pas victime de la plus sadique des hallucinations. Theo savait parfaitement pourquoi elle l’avait contactée. Parce que, malgré le passé, son visage était le seul qui s’imposait encore à son esprit quand elle avait besoin de quelqu’un de confiance, quelqu’un qui saurait peut-être passer outre son mauvais caractère et ses actions déplorables parce qu’elle la connaissait mieux que personne. Mais elle, pourquoi était-elle là ? Pourquoi s’infliger ça alors qu’elle ne méritait clairement pas la moindre considération ? Il lui fallut encore un moment avant de parvenir à aligner quelques mots : « J’ai merdé Em. Big time. » Pour environ un million de raisons différentes mais elle l’avait faite venir pour une en particulier, et elle n’avait absolument aucune idée de comment la lui expliquer. Parce qu’une fois qu’elle l’aurait formulée, la situation serait concrète et définitive et mènerait à de futurs souvenirs qu’elle n’avait aucune envie de créer et de se rappeler. Mais il ne faisait aucun doute que ces souvenirs là allaient s’ancrer douloureusement dans son esprit et qu’elle devrait apprendre à vivre avec. « Je suis enceinte. » Pas de mise en contexte, pas d’introduction, pas même d’excuses pour leur dernière altercation. Elle en était incapable et ne pouvait qu’aller droit au but sous peine de partir en courant sans avoir pu articuler un seul mot. Elle n’avait même pas été capable d’aller au bout de sa pensée et d’exprimer la raison pour laquelle elle avait voulu la voir : elle avait besoin d’elle pour l’accompagner à la clinique parce que ça n’était pas une épreuve qu’elle était en mesure de surmonter et qu’Emery avait été la seule à toujours répondre présente dans les pires moments de sa vie. Jusqu’à son silence radio. Etait-elle capable de lire cette demande dans ses yeux rougis et de son expression désespérée ? Mais elle ne pleurait pas Theo. Elle était trop forte pour ça. Alors pourquoi donnait-elle tant l’impression de menacer de s’effondrer d’une seconde à l’autre ?  



Présent

Theo
On peut se voir ?

L’histoire n’était-elle pas faite pour se répéter ? Comme convenu, les souvenirs étaient au rendez-vous et douloureusement insistants. Ils avaient le mérite de faire partie du passé à présent, mais ils n’en restaient pas moins particulièrement vivides dans son esprit.
Une heure d’avance et le même point de rendez-vous, un poids en moins sur l’estomac mais un autre étant venu le remplacer. Si toute cette histoire lui donnait l’impression d’être passée dans un monde parallèle, il y avait bien une chose très concrète et réelle : Emery avait répondu présente pour l’aider à avancer et elle refusait de la laisser s’évaporer une nouvelle fois dans la nature sans avoir pu en rediscuter avec elle. Si elle souhaitait que leurs chemins ne se croisent plus jamais alors elle respecterait sa décision. Mais elle lui était infiniment redevable -pour bien plus qu’elle ne l’imaginait- et elle se devait de lui faire savoir. Elle s’était cette fois-ci levée en la voyant arriver. Ses yeux n’étaient plus rouges, mais son expression était-elle réellement moins désespérée que la fois passée ? Elle se risqua à un léger sourire. Puis de nouveau un long silence. Pourquoi est-ce que la simple vue de la jeune femme semblait irrémédiablement lui couper le souffle ? Elle se permit quelques secondes supplémentaires d’attente pour retrouver une respiration plus calme et pouvoir articuler distinctement : « Je suis désolée. » De quoi ? L’avoir harcelée de SMS quelques années auparavant ? L’avoir provoquée en duel quelques mois auparavant ? Lui avoir demandé de l’accompagner dans une clinique quelques semaines auparavant ? Liste non exhaustive. Emery pouvait bien choisir la raison qu’elle voulait. « Je sais pas ce que j’aurais fait si t’avais pas été là. » Oh wow. Des excuses et un remerciement à peine dissimulé ? Qui était-elle et qu’avait-elle fait de la véritable Theodora Bing, volontiers butée, toujours énervée, parfois violente et souvent inexcusable ?

Theo était bien incapable d’identifier tous les sentiments qu’elle ressentait maintenant que la blonde était à nouveau face à elle. Une certaine appréhension dont elle ne parvenait pas à se défaire, l’angoisse de ces dernières semaines et de l’épreuve qu’elle lui avait demandé d’affronter avec elle, une sorte d’excitation à l’idée de pouvoir à nouveau passer des moments en sa compagnie, de la tristesse, de la colère et une grande rancœur quand elle se rappelait comment elles s’étaient quittées puis retrouvées, mais aussi une tendresse infinie liée à leur passé et tous leurs souvenirs. Elle aurait beau tenter de refouler ce dernier sentiment aussi fort qu’elle le pouvait, elle ne parviendrait jamais à s’en détacher. « T’as pas à t’excuser pour m’avoir appelée. Je suis contente que tu l’aies fait. » Un soupir, un regard abaissé et une tête secouée de gauche à droite plus tard, Theo daigna relever les yeux vers Emery, un léger sourire aux lèvres. En bonne personne à l’ego mal placé qu’elle était, elle était bien incapable d’aller plus loin dans ses explications et elle espérait qu’Emery avait toujours le don de la déchiffrer pour comprendre que ses excuses allaient beaucoup plus loin que le simple fait de l’avoir appelée à l’aide. « T’es vraiment contente que je l’ai fait ? T’aurais pas préféré continuer de vivre ta vie au lieu de te faire déranger par la plus chaotique et irréfléchie des personnes ayant jamais existé ? » Comprendre : Je suis tellement contente que t’aies répondu. Je t’en veux. Je me suis sentie abandonnée. Mais putain Em, qu’est-ce que tu m’as manqué. Plus que je n’oserai jamais l’admettre. Et si le traducteur d’Emery était un peu rouillé, elle pouvait compter sur le regard de Theo qui reflétait bien malgré elle une partie de ses sentiments, du soulagement et de l’apaisement qu’elle ressentait à l’avoir vue débarquer une nouvelle fois au point de rendez-vous. Theo était une adepte acquise à la cause du déni, mais sa mauvaise foi n’était cependant pas suffisamment marquée pour la convaincre qu’il serait possible pour elles de faire comme si rien ne s’était passé et reprendre là où elles s’étaient quittées. Non. Elles devaient avancer et décider de passer à autre chose et enfin accepter de prendre des chemins différents…ou bien essayer de reconstruire un semblant de relation ? « Je t’ai apporté quelque chose. » Les traits de son visage s’étirèrent en une moue dubitative. « Des préservatifs ? » Parce qu’elle maîtrisait le déni ET l’humour noir. Elle avait au moins besoin de ça pour chasser les images qui décidaient de l’assaillir sans qu’elle n’ait jamais donné son consentement pour ça. Non pas qu’elle ait prévu d’avoir un jour à nouveau un quelconque rapport sexuel de toutes façons. Elle était vaccinée pour un moment avec cette histoire. Ses sourcils se froncèrent légèrement en observant les deux objets qu’Emery tira de son sac, mais son expression se détendit rapidement et c’est un sourire sincère et spontané qui s’afficha au coin de ses lèvres quand elle comprit de quoi il s’agissait. Elle attrapa la cannette qu’elle lui tendit et l’ouvrit pour la porter immédiatement à ses lèvres. Une grimace passagère s’invita sur son visage le temps de se réhabituer. D’où venait ce léger goût amer ? Avait-il toujours été présent ou bien était-elle censée y voir une ironique métaphore de leur histoire ? « Comment est-ce que tu te sens ? » Ha oui. Le goût amer était très présent dans cette question aussi. Elle s’adossa au banc et laissa tomber sa tête en arrière en soupirant, laissant s’écouler quelques secondes avant de répondre tout en fixant le ciel : « Conne. » Anormale, énervée, mal, dérangée, traumatisée, gênée. Conne était pour elle un moyen comme un autre de résumer tous ces sentiments : parce que si elle n’avait pas été conne en premier lieu, ces autres sensations n’auraient pas eu leur place. « Et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ? » Comprendre : qu’est-ce que tu fais ici ? quand est-ce que t’es revenue ? pourquoi t’es revenue ? pourquoi t’es partie ? Dis-moi que tu vas rester. Elle avait relevé sa tête pour pouvoir l’observer. Et Theo pouvait avoir l’air aussi nonchalante qu’elle le voulait en buvant sa cannette, il n’était pas difficile de savoir que sa question n’avait rien de juste naïf et d’innocent. Pas de small talk ici. Elle s’intéressait vraiment à la réponse qu’elle allait lui donner.

"Si cette personne avait besoin de moi, alors ça valait le coup d'être dérangée. Ça a déjà pris bien trop de temps. " Theo s’était instantanément pincé les lèvres, retenant un "ça n’est pas faute d’avoir tenté de te contacter" qui aurait été bien malvenu. Cette simple grimace était en soi une preuve du fait qu’elle tenait suffisamment à elle pour s’empêcher in extremis de dire des mots qu’elle n’avait pourtant pas pour habitude de mâcher. Et plutôt que de réagir comme à son habitude par le biais d’une répartie cinglante avant de se braquer, elle avait pour la première fois préféré se concentrer sur le positif de sa réponse : Emery ne regrettait pas d’avoir été présente pour elle. Et si Theo avait bien des choses à laisser s’exprimer avant de pouvoir espérer retrouver un semblant de normalité dans leur relation, elle se rendait aussi compte qu’il était important de choisir son moment pour ça. Alors elle avait simplement hoché la tête en guise de réponse, se risquant même à un léger sourire entendu, toutes deux bien conscientes de ce qui se lisait en filigrane derrière ses mots. "Je dois en avoir dans le fond de mon sac s'il n'y a que ça pour te faire plaisir. " « Non merci ! » avait-elle lancé du tac au tac et presque trop rapidement, non sans se demander au passage si son stock avait vocation à être réservé à un homme précis, ou si elle était simplement et assez logiquement plus organisée et prudente que Theo. Elle avait jeté un coup d’œil dans sa direction avant d’ajouter un semblant d’explication à sa réponse précipitée : « L’option la plus séduisante à mes yeux actuellement et…probablement jusqu’à la fin de mes jours en fait, c’est celle de l’abstinence. Un bon plan, non ? » Personne n’était dupe, à commencer par la principale concernée. Mais chat échaudé craint l’eau froide. Et ce chat là saurait se montrer sage pour de longues semaines encore. "C'est pas toi la personne conne de l'histoire. " Nouvelle grimace. La tête penchée sur le côté, la bouche tordue en une expression peu convaincue, elle regardait son amie l’air de dire "Mh…un peu quand même, non ?" "Je continue d'espérer qu'il a maintenant le nez tordu et que sa cloison nasale lui posera problème jusqu'à la fin de ses jours. " Ah ça. Sa tête dubitative laissa place à un rire amusé. « J’ai tout donné en tout cas. Mais je t’avoue que je regrette de pas avoir tapé plus bas. Ça aurait été plus malhonnête mais ô combien plus pertinent. Mais bon…j’imagine qu’il n’est pas trop tard pour ça au pire ? » Elle se portait bien mieux -et lui aussi- en se tenant le plus loin possible de Seth. Et si leur dernier rendez-vous s’était soldé de manière plutôt satisfaisante pour Theo -par la violence donc-, elle devait reconnaître qu’elle n’était pas contre l’idée de recommencer. Les sacs de frappe c’était marrant deux minutes, mais ça restait beaucoup moins satisfaisant que de sentir son poing s’enfoncer dans la peau de quelqu’un. "Tu me dirais s'il y avait quoique ce soit que je puisse faire pour que tu ailles mieux ? " Bonne question. Theo s’était tournée vers elle pour de l’aide et elle lui était infiniment reconnaissante d’avoir été là au moment où elle en avait eu le plus besoin. Mais qu’en était-il de la suite ? Et n’en avait-elle pas suffisamment fait ? « Tu pourrais commencer par trouver un autre soda pour la prochaine fois. » Du pur Theo : éviter la question tout en sous-entendant qu’il y aurait une prochaine fois. « Mais je pense surtout qu’à part laisser passer le temps, il n’y a pas grand-chose de plus à faire… » Ce qui était ironique quand on savait qu’elle était d’une impatience légendaire. "Je suis de retour à la case départ, j'imagine. Les rêves et les espoirs pour la vie d'adulte n'ont pas vraiment tenu leurs promesses. " Malgré ce qui venait de se passer, Theo avait l’impression que la conversation était plutôt légère. Jusqu’à cette phrase du moins. Elle avait senti son cœur se serrer à l’idée qu’Emery n’était pas là où elle souhaitait être dans sa vie, mais aussi parce qu’elle avait été ramenée une nouvelle fois quelques années auparavant, ne pouvant cette fois-ci retenir une remarque : « C’est pour ça ? C’est pour les rêves et les espoirs que t’es partie ? » La rancœur avait eu le temps de s’estomper avec les années et il n’y avait aucune agressivité dans sa question. Aujourd’hui il ne restait qu’une simple curiosité et une nécessité de comprendre ce qui s’était passé. « Enfin…je comprendrais que tu veuilles pas en parler… » Non, à vrai dire elle ne comprendrait pas. Mais elle ne s’offusquerait pas. Le but n’était pas de la pousser dans ses retranchements, alors même qu’elles apprenaient doucement à se réapprivoiser. Mais ses yeux rivés sur le visage d’Emery criaient à eux-seuls son besoin d’obtenir des explications. Peut-être ces derniers seraient-ils plus parlants que ses SMS restés sans réponse. "Je sais pas vraiment où je vais." « Tant que tu sais qui tu es et ce que tu vaux, ça reste le plus important. » Et je suis prête à te le rappeler si tu en as besoin. "C'est quoi la prochaine étape pour toi ? " Elle haussa simplement les épaules, détachant finalement son regard du sien pour observer les gens qui passaient devant elles. Et eux, avaient-ils un chemin tout tracé ? Etait-ce comme ça qu’elles étaient censée avancer ? Parce qu’au lieu de véritablement faire des plans sur la comète, Theo se rendait compte plus que jamais que l’improvisation était davantage ce qui la caractérisait. « Je sais pas ? Je tape sur des trucs, je cuisine des choses. » Un bon résumé de sa personnalité et de sa vie finalement. « J’ai la chance de bosser dans un très bon restaurant et ça me plait. Mais j’ai jamais trop pensé à ce qui m’attendait plus tard. J’imagine que tant que je me sens bien et…épanouie…c’est suffisant ? » Sur le plan professionnel tout du moins. Elle pourrait toujours repasser pour le plan personnel.  

« Ce serait en effet la meilleure contraception possible. » Sans aucun doute. Theo hocha simplement la tête tout en scrutant le visage d’Emery. Ses yeux se plissèrent légèrement avant qu’elle n’ajoute : « T’y crois pas une seule seconde, c’est ça ? » Elle tentait tant bien que mal de cacher son sourire, mais il était difficile de garder une attitude stoïque face à une énormité pareille. Certes elle était vaccinée pour un moment, mais il ne lui fallait jamais bien longtemps avant de se relancer à corps perdu dans les problèmes. Quels seraient donc les suivants dans lesquels elle allait plonger ? Elle était là la vraie question. Et son amie semblait prête à lui donner des pistes de solutions avec ses propositions malhonnêtes d’entraînement au dojo. Si elle avait commencé par froncer les sourcils face à cette suggestion, l’idée avait semblé la convaincre petit à petit. « Honnêtement je pense que je saurais taper avec précision au bon endroit une fois face à Seth mais…j’ai envie de te dire oui quand même. Si tu me laisses prendre une photo de la scène. » Parce que quel que soit le dispositif qu’Emery comptait trafiquer pour cet entraînement des plus originaux, il mériterait d’être immortalisé. L’image de cette scène avait suffi à évincer celle du visage de Seth et à la faire sourire plutôt que bouillir de l’intérieur. Tout comme l’idée de pouvoir passer encore du temps en sa compagnie. Et ce sans la provoquer en duel cette fois-ci. Enfin avec son consentement tout du moins. « On est d’accord qu’ils sont dégueulasses ? » Elle hocha vivement la tête sans l’once d’une hésitation, se pinçant les lèvres avant d’éclater de rire. « Absolument horribles. C’est bien pour ça que je vais le boire jusqu’au bout. » Le goût du défi, l’égo mal placé, les idées stupides, l’amour d’être malade, tout ça. Et puis c’était un cadeau, ça ne se délaissait pas comme ça après tout. « Je ne sais pas si le temps règle tous les problèmes. » Son sourire s’estompa alors qu’elle l’observait pour tenter de déterminer si elle parlait vraiment de la situation qui les avait amenées là aujourd’hui, ou de leur histoire, ou bien encore de nombreuses autres choses qui s’étaient passées dans sa vie depuis tout ce temps. Dans le doute, elle s’était permise de rétorquer un flou mais suffisamment précis pour convenir à toutes les options « Il contribue au moins à apaiser les choses. » Après tout, elles étaient bien assises l’une à côté de l’autre aujourd’hui, sans gants de boxe et sans bleus. Elle avait bon espoir qu’elles soient sur la bonne voie pour reconstruire leur relation. Et elle espérait au même titre que tout ce qui venait de lui arriver s’arrangerait également avec quelques années derrière elle et de nouvelles péripéties pour effacer ou reléguer dans un coin lointain de son esprit celles dont elle ne voulait plus entendre parler. « J’avais besoin de quitter Brisbane. Et ensuite j’ai eu des opportunités à Londres. » La première partie de sa phrase lui avait fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac et son expression ne lui avait certainement pas permis de le cacher. Elle avait repris contenance rapidement mais avait laissé un long silence s’installer, hésitant à lui demander pourquoi elle avait eu besoin de quitter Brisbane exactement. Parce qu’elle ne voulait pas se montrer insistante ou trop intrusive. Et pourtant son caractère faisait qu’elle se sentait légitime à demander des explications supplémentaires, même si elle ne l’était peut-être pas. Pour l’heure elle avait choisi de se taire, bien consciente qu’en reculant le moment où elle le lui demanderait, elle ne faisait qu’augmenter les chances de poser la question à un moment qui n’y serait absolument pas propice. « J’avais pas envie d’admettre que j’ai fait une énorme erreur. » Elle aurait pu lui dire que son choix avait tout de même dû être réfléchi. Qu’il existait pour une raison. Que même si elle voyait les mauvais côtés qui avaient suivi, il y avait certainement de bonnes choses à retirer de tout ça. Mais elle n’avait pas envie d’être pragmatique et encourageante quand le sentiment d’abandon que son départ lui avait laissé était encore si vif aujourd’hui. Alors elle n’avait pu faire mieux qu’un « On fait tous des erreurs. Coucher avec un sale con. Acheter des boissons dégueu. Si tu me demandes, les deux me semblent d’ailleurs être des erreurs de gravité équivalente. » Elle avait accompagné sa réflexion qui n’avait pour but que de détourner l’attention de sujets potentiellement dramatiques d’un sourire réconfortant, et s’était saisi au vol de la mention de sa mère pour continuer sur cette lancée un peu plus légère : « Je sais même pas si elle sait exactement où j’en suis actuellement. Elle a totalement abandonné l’idée d’avoir encore un semblant de contrôle sur moi, et j’en suis ravie. » La fille prodigue. « Je me suis parfois demandé si tu resterais à Brisbane et si non, dans quelle partie du monde je te retrouverais. » Elle se perdit quelques secondes dans la contemplation de sa cannette en réfléchissant sérieusement à la question. « Dans n’importe quelle prison du monde entier ? » Tout les moyens étaient bons à prendre pour voyager, n’est-ce pas ? « Etant donné que je sais pas vraiment ce que je fais de ma vie, je vois pas exactement où j’aurais pu aller. » Partout ? Nulle part ? Elle n’en savait honnêtement rien mais le fait d’être restée à Brisbane ne représentait pas une fatalité pour elle. Elle se laissait porter au jour le jour, sans se prendre la tête mais aussi sans grandes ambitions. « J’essaye de choper des contrats de mannequinat dans le coin mais c’est pas facile. Alors à côté je bosse dans un sexshop. » Cette information avait relégué très rapidement à l’arrière-plan ses préoccupations existentielles. Son visage s’était tourné vers celui d’Emery, son regard se faisant à la fois surpris, amusé, et définitivement intéressé. « T’es sérieuse ? » Elle avait du mal à croire qu’elle ne parvienne pas facilement à obtenir des contrats de mannequinat avec le physique qu’elle avait. Mais elle n’arrivait surtout pas à intégrer le job d’appoint qu’elle s’était trouvé. « Si ça peut aider avec ton abstinence… » Elle ne put retenir son rire plus longtemps. « Pardon mais OUI. S’il te plait. Tu vas me présenter tous vos produits et me faire une démo ? » Oh heu. Son sourire s’effaça bien vite en réalisant ce qu’elle venait de demander. Ambigu au possible. Tout ce dont elles avaient besoin étant donné leur passé. Non pas qu’elle ne soit vraiment contre l’idée d’une démo qui aurait du même coup déjà balayé ses bonnes résolutions concernant une quelconque tentative d’abstinence. Theo s’était finalement remise à rire, n’ayant pas vraiment l’intention de céder à un quelconque malaise aujourd’hui : « Ca sonnait absolument pas comme je l’imaginais mais bon. It’s a date. Compte sur moi pour venir te voir, vérifier que tu fais bien ton boulot et que tu connais tes produits. » Devait-elle aussi bien connaître ses clients pour leur vendre le bon produit ? Mh. Ce rendez-vous promettait d’être intéressant.

« Je pense juste que tu prends ce qui te fait envie. » « Oui, à partir du moment où on m’empêche pas d’y accéder en tout cas. » Les mots étaient une nouvelle fois sortis de sa bouche avant qu’elle n’ait le temps de percuter sur leur sens.  Dans un mouvement légèrement paniqué, son visage s’était tourné en direction de son amie en réalisant ce qu’elle venait de dire. Ses sourcils ne s’étaient froncés que l’espace de deux secondes, le temps pour elle de tenter d’analyser si Emery avait saisi sa pique au vol ou si ses propos étaient suffisamment vagues pour passer inaperçus. Il y avait des métaphores plus subtiles que celle-ci pour parler de leur dernier rendez-vous des années auparavant qui avait précédé la disparition de son amie. Le reproche était là. C’était trop tard. Alors autant composer avec. Emery la connaissait mieux que personne et savait parfaitement à quel point elle pouvait se montrer rancunière. Si son franc-parler l’avait prise de court, elle pourrait toujours se raccrocher aux micro-expressions qui s’étaient succédées sur le visage de Theo pour preuve de sa propre surprise en réalisant qu’elle n’avait pas gardé ça pour elle. Si elle n’était pas du genre à s’excuser ni à regretter de dire ce qu’elle pensait, elle choisit tout de même de ne pas insister et de revenir dans la mesure du possible sur un terrain plus neutre. Les explications seraient pour plus tard. Ou peut-être pour jamais.
« Ok, on fait ça. Il faudra juste que je passe au magasin de bricolage avant. » Une idée stupide pour les sauver d’une conversation sérieuse. Ca leur ressemblait bien. Leur dynamique n’avait pas tant changé que ça finalement. Et Theo s’amusait déjà du simple fait d’imaginer Emery passer à la caisse du magasin sous les yeux d’un employé probablement dubitatif face au matériel qu’elle aurait trouvé. Une personne normale aurait certainement pensé qu’il s’agissait là de plaisanteries qui ne se concrétiseraient jamais…mais c’était mal les connaitre que de penser qu’elles n’allaient pas toujours au bout des choses. Ou presque. Raison pour laquelle Theo avait décidé de consciencieusement finir son horrible soda. Est-ce que cela suffirait à convaincre Emery d’en faire de même ? C’est ce que son regard un brin provocateur lui demanda silencieusement en l’observant vérifier la date de péremption avant de l’inviter à ramener sa propre boisson la fois prochaine. « Vraiment ? Compte sur moi. J’ai eu le temps d’en goûter des alcools dégueu depuis notre adolescence. Tu vas regretter cette invitation. Est-ce qu’on détermine tout de suite si on devra terminer toute la bouteille ? » L’information principale qu’elle retenait dans tout ça, c’était qu’elle n’était pas contre l’idée qu’il y ait une prochaine fois. A partir de là, il n’y avait plus grand-chose d’autre qui comptait à ses yeux. Bien que cela ne l’empêcherait pas de malgré tout partir à la recherche d’une boisson qui saurait leur provoquer les pires grimaces. « Elle aura bien tenu. » Sa mère : en voilà une autre qui avait le don de la faire grimacer dès qu’il en était fait mention. Elle haussa simplement les épaules en guise de réponse, peu encline à approfondir davantage le sujet sous peine de se mettre à énoncer tous les griefs qu’elle avait contre elle. « Qu’est-ce que t’aurais bien pu faire pour finir en prison ? » Son sourire s’étira un peu plus alors qu’elle l’observait avec une expression qui signifiait clairement "t’as vraiment besoin que je te donne des idées ?" « Au hasard comme ça mh…outrage à agent ? Ou bien coups et blessures à l’encontre de…n’importe qui pour peu que j’étais dans un mauvais jour ? » Qu’elle lui laisse encore quelques minutes pour réfléchir et elle pourrait revenir avec une liste longue comme le bras. « T’aurais pu laisser libre cours à n’importe lequel de tes coups de tête. » Elle parut s’emparer de cette idée l’espace de quelques secondes avant de secouer la tête pour répondre « Je t’accorde que mes coups de tête sont nombreux…mais ils m’emmènent jamais bien loin. » et rarement dans des directions recommandables. Quant à la direction que venait de prendre leur conversation, celle-ci était aussi bien loin d’être recommandable mais ô combien amusante. Rêvait-elle ou bien Emery était-elle en train de rougir ? « Je suis pas sûre que la plupart des produits t’intéresseraient… » Oh, elle avait une furieuse envie de s’engouffrer dans cette brèche dangereusement glissante mais hautement attirante. Preuve en était son sourire amusé qui ne cessait de grandir et son regard provocateur qui ne cachait rien de ses plans. « Oh vraiment…et quels genres de produits m’intéresseraient selon toi alors ? » Elle avait toute son attention. « Mais si tu veux me tester, alors très bien. J’ai déjà ma petite idée sur ce que je pourrais te présenter. Tu repartiras pas les mains vides et tu me remercieras. » Elle se pinça les lèvres avant d’exploser de rire à ses paroles appuyées par un clin d’œil. Theo était à la fois amusée et perturbée par le tournant qu’avait pris cette discussion. Parce qu’elles plaisantaient sur un terrain qu’elle aurait peut-être aimé pouvoir aborder de façon plus sérieuse si les choses avaient tourné différemment entre elles. Elle avait envie d’en plaisanter mais elle était bien consciente qu’elle ne le faisait peut-être pas aussi innocemment qu’elle ne le laissait paraitre. « J’ai hâte de voir ça alors. Je sens que ça s’annonce très…instructif ? » Dangereux. C’était ça le mot que tu cherchais Theo. Dangereux. Glissant. Hasardeux. Risqué. « Et maintenant que tu connais un de mes secrets honteux, à toi d’en donner un. » « Je trouve pas ça honteux du tout, je suis même certaine que ça a ses avantages ? » C’était à son tour de lui lancer un clin d’œil entendu. Et pouvait-elle vraiment faire mieux qu’une grossesse non désirée niveau secret honteux ? Elle prit tout de même le temps de réfléchir sérieusement à la question avant de se tourner à nouveau vers son amie. Elle se rapprocha un peu plus d’elle comme pour rétrécir encore un peu la bulle qu’elles s’étaient créée. Une proximité qui ne faisait pas bon ménage avec attractive confusion qui lui retournait l’esprit. Mais qu’importe.  « Ok. Je vais peut-être le regretter mais t’auras de quoi me faire chanter avec cette info. Je bosse donc dans un restaurant gastronomique et…peut-être qu’un jour une ancienne connaissance est venue y manger. Et peut-être que j’ai accidentellement…craché dans son plat avant d’aller lui servir avec mon plus beau sourire. » Elle n’était pas particulièrement fière de cette histoire-là parce qu’elle impliquait Caleb et son restaurant : les deux choses qui comptaient suffisamment à ses yeux pour qu’elle prenne soin de ne pas les gâcher. « Je regrette ce que j’ai fait…Enfin non. Parce que ce connard le méritait vraiment. Mais je regrette de l’avoir fait en douce au restaurant alors que j’aurais pu attendre qu’il soit dehors pour cracher très ouvertement sur ses chaussures. » C’était distingué. C’était du Theo tout…craché.

« Je te fais étrangement confiance pour traumatiser mes papilles. Et bien sûr qu’on devra terminer la bouteille. Peut-être pas en une fois ceci dit, j’ai pas franchement envie qu’on ait un coma éthylique à gérer. » Les yeux rieurs, c’est dans un haussement d’épaules que Theo accueillit autant de mesure et de bon sens. « Challenge accepted. Je vais trouver une bouteille absolument immonde et alcoolisée, mais pas suffisamment pour qu’on finisse complètement ivres dans le caniveau si on décide de la terminer dans la soirée. » Comment ça Emery ne lui avait pas lancé de challenge et sa proposition n’allait absolument pas dans le sens de ce qu’elle venait de dire ? Ca n’était pas de tout repos, mais s’il y avait bien une chose qu’on ne pouvait pas retirer à Theo c’était sa constance dans sa tendance à détourner n’importe quel propos en défi à réaliser. Et Emery était habituée à ce côté de sa personnalité pour avoir succombé plus d’une fois par le passé à ses déraisonnables et inutiles mais toujours amusantes provocations. Elles ne savaient jamais comment leurs histoires allaient finir, mais elles étaient toujours certaines de ne pas s’ennuyer. « Je note de demander si tu es de bonne humeur avant de te voir, la prochaine fois. Mais autrement, tu me sembles parfaitement inoffensive. » Elle haussa un sourcil suspicieux tout en lui lançant un regard en coin avant de réaliser à son expression que la plaisanterie faisait bel et bien référence à leurs percutantes retrouvailles au dojo. Elle était comme ça Theo : le contact physique il n’y avait que ça de vrai quand les gens lui avaient manqué. Non ? Bon. « C’est ta façon de demander une revanche Dawson ? » Probablement pas. Le détournement de propos, les challenges à relever, tout ça. Il n’y avait qu’à lui proposer un rematch au sex shop pendant qu’elle y était. Quoiqu’il était certain que ce genre d’animation ramènerait sans nul doute un public. Un public louche et probablement un peu vicieux, mais un public malgré tout. « Et moi je suis sûre que tu pourrais aller loin. » Son regard se posa à nouveau dans le sien pour y détecter une quelconque trace de plaisanterie dans la lignée de la dynamique qu’il y avait toujours eu entre elles. Mais elle n’en trouva aucune. Ses lèvres s’étirèrent légèrement bien malgré elle à l’idée qu’Emery puisse continuer de croire en elle malgré tout ce qui s’était passé ces derniers temps. Elle haussa seulement les épaules en guise de réponse. Il n’y avait bien qu’elle pour se laisser aller à de telles certitudes quand la plupart des personnes de son entourage préféraient rester sur la réserve quant à ce que Theo pourrait faire à plus ou moins long terme. Et cela tombait bien car Emery avait été de nombreuses années durant la seule personne dont l’avis comptait réellement à ses yeux. La seule qui pouvait la rebooster quand elle s’évertuait à se rabaisser elle et son avenir. Mais était-ce le cas encore aujourd’hui ? Cette faible mais douce torpeur qu’elle sentait naître au creux de son ventre en était certainement une bonne indication. « Un indice. C’est violet, et ça vibre. » Torpeur qui laissa cependant bien vite la place à un amusement non feint. « Violet ? Je suis déjà conquise. J’ai hâte de voir ça. » Parce que l’information concernant la couleur de l’objet était bien évidemment plus séduisante qu’un quelconque côté vibrant. « Ca le sera. Il n’y a pas d’âge limite à l’éducation sexuelle. » Elle se pinça les lèvres dans un sourire. La discussion était beaucoup trop glissante pour ne pas décider de s’y engouffrer pleinement, surtout après cette révélation sur le tiroir caverne d’ali baba qui avait fini par avoir raison d’une quelconque volonté de rester sérieuse. « Mais je t’en prie Emery. Fais donc mon éducation sexuelle alors. » Et commence par la partie sur la contraception si tu veux bien. Pour le reste, elle n’était clairement pas contre l’idée de prendre des cours particulier avec cette prof tout aussi particulière. Elle craignait quelque peu mais était aussi très excitée à cette perspective. Parce qu’elle n’avait aucune idée de ce que ce nouveau rendez-vous allait pouvoir donner, et il n’y avait justement pas meilleurs rendez-vous que ceux-là.
Ravie de constater qu’elle n’avait pas à avoir honte de ses péripéties au restaurant auprès d’Emery (le contraire l’aurait étonnée), Theo grimaça légèrement au moment de lui donner les raisons de cette réaction. « Une sombre histoire de main aux fesses et de commentaire déplacé sur la mère et sa fille. Maintenant que j’y repense il aurait mérité vraiment pire que ça. » Comme un nez cassé par exemple. Sa spécialité. Sa passion. « Il y a d’autres sombres secrets que je devrais connaître sur toi dis-moi ? » Elle avait terminé sa canette dans un élan de détermination et de fierté mal placée avant de la déposer à ses pieds pour reposer son regard dans celui d’Emery. La question était une nouvelle fois innocente, mais restait sérieuse. Autant rattraper au maximum le temps perdu tant qu’elles le pouvaient et qu’elles en avaient le temps. Ou bien devaient-elles plutôt attendre leur prochain rendez-vous qui serait accompagné d’une bouteille d’alcool ? Ou bien était-ce plutôt le fait d’être entourées de sex toys en tout genre qui prêterait aux confidences ? Ou encore une revanche au dojo ? Les possibilités semblaient infinies, presque trop nombreuses. A quel moment étaient-elles parvenues à faire mention d’autant de futurs projets ensemble -aussi délirants puissent-ils être- ?

« Tu me laisserais avoir ma revanche ? » Un sourire avait naturellement étiré ses lèvres à la perspective de pouvoir se battre une nouvelle fois avec elle, mais cette fois-ci en bonne et due forme et avec une adversaire consentante. Le combat n’en serait que plus intéressant encore. Et puis elle avait tourné son visage en direction de la blonde et avait instantanément remis en question le sens de sa phrase en découvrant son expression. De quoi parlait-elle exactement ? Pourquoi est-ce que cette conversation était si confuse avec tous ses doubles-sens ? Et était-elle la seule à les déceler ou bien était-ce un jeu auquel elles jouaient toutes deux ? Dans le doute, Theo avait continué la partie : « Si t’es suffisamment tenace pour affronter une adversaire difficilement domptable, j’imagine que oui… » Theo n’aurait aucune pitié, ni sur le ring, ni sur un plan plus personnel. Mais ça Emery le savait mieux que personne. Restait à savoir si elle était encore capable de la supporter comme elle avait pu le faire par le passé. Et si elle espérait secrètement que cela soit le cas, elle se connaissait et était suffisamment réaliste pour savoir qu’il ne fallait présager de rien avec son caractère et ses réactions spontanées. Quoique niveau spontanéité, Emery en tenait aussi une couche. « Je préfère le bleu clair, mais c’est une question de goût. » Elle secoua la tête tout en lui lançant un regard amusé. Fine Dawson. Et puisqu’il y en avait pour tous les goûts, elle n’aurait qu’à lui présenter les différentes options pour que Theo puisse mesurer l’étendue de la gamme et faire un comparatif produit. « Très bien. Je vais te concocter un cours aux petits oignons. » Qu’elle fasse donc. Theo était à la fois très excitée et aussi un peu inquiète à cette idée. Parce qu’elle aimait la perspective de pouvoir retomber dans leurs vieux travers de sorties douteuses, mais aussi parce qu’elle ne savait pas du tout où elles mettaient les pieds. Et comment toute cette histoire pouvait finir. Peut-être que tout cela se terminerait dans les cris et les insultes, mais ça n’était pas réellement l’issue qu’elle souhaitait. Pourtant c’était celle à laquelle elle avait cru avoir droit durant plusieurs années, pensant naïvement qu’hausser le ton la soulagerait et lui permettrait de mieux exprimer tout ce qu’elle avait sur le cœur. Dans les faits, elle se rendait compte à présent qu’elle avait toujours besoin de lui dire tout ce qu’elle avait emmagasiné depuis son départ, que toute sa rancœur finirait tôt ou tard par sortir, mais que ce moment précis n’était pas le bon. Pour l’instant elle voulait se laisser aller à croire que tout pouvait redevenir en partie comme avant, et profiter de ces sentiments familiers qui lui avaient tant manqués.
« T’as définitivement été trop gentille. » Elle hocha bien volontiers la tête. Elle se trouvait toujours trop gentille de toute manière. Si ça ne tenait qu’à elle (et pas au fait d’éviter de finir au commissariat), les quelques personnes à qui elle avait cassé le nez ces derniers temps auraient pris bien plus cher. « Je ne saurais pas par où commencer, tu comprends, j’ai mené une telle vie de débauche que… » Son ton dramatique accompagné d’un geste volontairement théâtrale l’avait fait sourire, mais Theo ne pouvait s’empêcher de se demander s’il y avait une pointe de vérité là-dedans. Après tout, elle ne connaissait plus rien d’Emery et elle ne savait pas à quel point elle était différente de la personne qu’elle avait connue. Mais c’était bien là la seule chose qu’elle demandait : réapprendre à la connaître. Et elle était ravie de pouvoir écouter attentivement ses péripéties londoniennes qui, en plus de lui avoir provoqué un rire franc et sincère dont elle mit quelques secondes à se remettre, lui permirent de reconnaître la Emery qu’elle connaissait. « Si tu me dis que je suis une horrible personne, je comprendrais. Mais tu voulais du sombre. » Ha ça. L’histoire était aussi sombre que les vêtements de sa concurrente. « Je suis pas déçue. Enfin si. Parce que maintenant je me sens juste petite joueuse avec mon histoire de plat contaminé. » Elle haussa les épaules, bien décidée à faire mieux la prochaine fois et à se mettre au niveau d’Emery. Et puis si frapper les gens pouvaient être satisfaisant pour leur faire payer l’une ou l’autre action, il fallait reconnaitre que ça commençait à devenir un peu redondant et que l’usage du laxatif était créatif et définitivement une bonne pratique à réutiliser. En plus ça se glissait facilement dans une assiette au restaurant…. « Je suis contente que t’aies partagé ça avec moi et… » Elle était contente d’avoir entendu cette anecdote, mais elle parlait aussi de ce moment partagé dans son ensemble. Du fait qu’Emery continuait de répondre présente à ses appels de détresse malgré toute la mauvaise volonté et la violence dont Theo avait pu faire preuve. Pour quelle raison d’ailleurs acceptait-elle de la faire à nouveau rentrer dans sa vie à présent ? Pourquoi l’avoir aidée ? Et pourquoi surenchérir à ses propositions de futures sorties ? L’expression de Theo s’était faite plus sérieuse cette fois-ci, alors qu’elle observait le visage de son amie comme pour y déceler la réponse à toutes ses questions. Que disait-elle déjà ? Elle se perdit bien plus longtemps qu’elle ne le souhaitait dans son regard et dans ses souvenirs et, avant qu’elle ne réalise ce qu’elle s’apprêtait à faire et surtout avant qu’elle ne le regrette, Theo s’était penchée vers la blonde pour réduire à néant la distance qui séparait leurs visages. Ses lèvres étaient venues se poser sur les siennes, sans aucune hésitation mais avec une délicatesse qu’on ne lui connaissait pas. Ce baiser volé n’avait duré que l’espace de quelques secondes avant qu’elle ne s’écarte et se relève, un sourire en coin. « Un partout, la balle au centre Dawson…On se retrouve au sexshop la prochaine fois. » Elle avait attrapé son sac et l’avait fait glisser sur son épaule avant de lui lancer un clin d’œil et de tourner nonchalamment les talons, aussi perturbée que satisfaite d’avoir enfin pu prendre sa revanche sur leur premier baiser.