Arthur a exprimé à de nombreuses reprises la difficulté avec laquelle il devait passer d’un jour à l’autre sans s’adonner à la seule chose que ses années de médecine lui ont permis de bien faire: se piquer. Il sait trouver la veine, il sait la faire rouler sous ses doigts, et il sait mieux que personne profiter de l’adrénaline de la drogue s’infiltrant dans son corps tout entier à vitesse grand V. C’est une idée qui a tout pour terrifier Swann, en réalité, parce qu’à chaque fois qu’il se réveille durant la nuit, il vérifie son téléphone pour voir s’il n’a pas raté des appels d’Arthur ou de qui que ce soit qui pourrait supposément parler en son nom. En réalité, il craint qu’il ait cédé à la tentation, parce que tous les êtres humains sont faits du même bois ; Oscar Wilde le disait lui-même, en son temps, à sa façon, et pour ses propres raisons. Ce n’est pas parce que ce n’est pas un problème qui le touche personnellement que Swann n’arrive pas à en comprendre les fondements. Et ce n’est pas parce qu’il en comprend les fondements qu’il ne cherche pas à lutter contre pour autant, parce qu’un jour cela finira par tuer son ami et il ne veut pas étudier plus longuement cette idée.

Sa nuit a été difficile, ponctuée par des réveils compliqués lorsqu’il n’était pas simplement en train de faire des rêves aux allures de cauchemars. Il a longuement réfléchi à cette idée, il s’est intéressé autant que possible au sujet, il a fait toutes les recherches qu’un homme peut être capable de faire. Et pour le moment encore, il n’est pas certain d’avoir à lui proposer une bonne idée qui puisse être bénéfique pour lui. Il craint encore de faire le mauvais choix, et pourtant il ne peut pas se permettre de rien lui proposer et de simplement laisser le temps faire son œuvre. Le temps finira par le tuer, voilà ce qui arrivera si Swann ne fait rien et se contente d’être spectateur de sa déchéance alors qu’Arthur lui-même a eu le courage de lui demander de l’aide, et de commencer par justement se rendre compte qu’il en a besoin.

Puisqu’il n’est pas encore prêt à pleinement inviter Arthur chez lui et agir avec insouciance, c’est plutôt dans un café de la ville qu’il a préféré le retrouver. La nervosité de Swann se lit aisément sur son visage sans qu’il ne cherche à la cacher ou l’apaiser, déjà certain que cela ne servirait à rien. Arthur, à sa façon, a toujours su lire en lui. Et qui plus est, il ne compte pas garder pour lui son idée, ce qui est justement la raison pour laquelle il a tenu à retrouver son ami: c’est avec lui qu’il veut en parler, justement parce qu’il est le premier concerné. “Comment tu te sens, dernièrement ?” Il ne précise pas le sujet en particulier sur lequel se focalise sa question, parce que ça paraît plutôt évident. Il veut savoir comment il gère son addiction et dans quel sens évoluent les choses, tout en espérant encore et toujours qu’Arthur sait qu’il peut tout lui dire sans crainte de jugement. “Et à propos de l’envie de recommencer ?” S’il lui dit qu’il arrive à passer outre, alors Swann n’ira pas au bout de son idée, parce qu’elle serait purement contre-productive. Pour autant, s’il statue le contraire, alors il prendra sur lui et lui annoncera véritablement ce qu’il a derrière la tête depuis quelques jours déjà. Même après en avoir parlé à Rory, il ne sait toujours pas quoi en penser, ni même si cela fait de lui l’ami de l’année ou un véritable boulet à sa cheville.

ndlr. il existe pas de salles du genre à Brisbane, mais bon laisse moi volontairement prendre des libertés

Au premier abord, on pourrait croire qu’une tempête avait traversé l’appartement. Le salon autrefois sans âme semblait vibrer sous une tension palpable, il n’était plus possible de deviner la couleur du plateau de la table basse tant les boîtes à pizza et autres containers en plastiques ou cannette vide s’accumulait sur la surface. Des fringues étaient jetées de manière aléatoire sur quelques fauteuils ou sur la table de la salle à manger, le courrier s’accumulait sur le comptoir de la cuisine et seul le bruit répétitif d’un jeu vidéo venait donner un semblant d’animation à l’endroit. Planté dans son canapé, Arthur faisait courir ses doigts sur sa manette, bien déterminé à enfin réussir cette quête qui le tenait éveiller depuis des heures. Tout était prétexte pour ne pas avoir à penser, pour ne pas se retrouver allongé sur son matelas avec ce noir qui semblait vouloir l’avaler. Arthur ne tenait pas en place, sa jambe ne cessait de sautiller, mais l’écran de télévision et en particulier les jeux vidéo était le seul moyen qu’il avait trouvé pour ne pas retourner son appartement pour la troisième fois en une semaine à la recherche d’un Graal qu’il ne trouverait plus entre ces murs. Le message laissé par Swann était venu perturber les rituels qu’il cherchait à s’imposer. Incapable de dormir, démanger par l’envie de partir à la recherche de la première boîte de nuit qui accepterait de lui servir un verre et n’importe quoi d’autre, Arthur devait s’occuper. Alors il jouait en se goinfrant de pizza comme l’adolescent qu’il avait pu être autrefois. Le jeu était volontairement violent, assez pour qu’il puisse ressentir une sorte d’exécutoire dans la simple action de maltraiter son personnage. Arthur n’allait pas bien et dans quelques heures Swann allait lui expliquer que tout était trop compliqué et qu’il n’était plus en capacité de l’aider. Il en était persuadé, son ami allait se marier dans quelques mois, il avait des projets d’avenir avec Rory et cela n’impliquait pas de baby-sitter un junkie en manque. Arthur essayait vraiment de se tenir loin de son addiction, mais ce soir, il se sentait échoué lamentablement. Il avait beau s’acharner sur le personnage de son jeu vidéo, toutes ses pensées se dirigeaient constamment vers la cocaïne. Par un réflexe étrange, ses doigts ne cessaient de venir pincer le creux de son coude, à la recherche de la veine qu’il savait trouver en quelques secondes seulement. Il était prêt à s’injecter n’importe quoi pour faire taire ses pensées, pour ne plus ressentir cette douleur dans ses articulations. Juste assez pour prendre un peu de hauteur, c’est tout ce dont il avait envie. Son esprit ne cessait de se battre entre ses désirs et toutes les techniques que Swann lui avait peu à peu apprise pour tenter de résister. Alors Arthur se força à manger plus que de raison, noyant le tout avec un coca tiède et une énième partie pour contrôler ses envies.

Il n’avait aucune envie d’être là. Il ne se sentait pas capable de faire face à Swann pour lui dire que rien n’allait, que ce n’était pas facile, qu’il avait juste envie de replonger encore plus vite et plus fort. Mais Arthur pouvait apercevoir son ami au travers de la vitrine du café et il voyait parfaitement la jambe de Swann qui tressautait légèrement. Est-ce qu’il était nerveux ? Il allait forcément lui annoncer que c’était trop. Arthur ne pensait qu’à cela, il se préparait à la déception sans réellement comprendre pourquoi il se retrouvait aussi attaché à l’opinion de Swann quand il avait passé sa vie à se foutre du regard des autres. Il n’était plus vraiment lui-même depuis longtemps, mais cela aussi, il avait bien du mal à le comprendre. Alors il prit un second souffla, tira pour la énième fois sur son tee-shirt et finis par rejoindre la table de Swann sans vraiment trouver le courage de sourire dans le processus. « Comment tu te sens, dernièrement ? » Instinctivement, Arthur haussa les épaules. Il n’était pas sûr de pouvoir clairement exprimer son état d’esprit des derniers jours. Perdu entre le fait d’avoir pris du poids à forcer d’avaler de la nourriture de fast-food, trop fatigué pour faire attention à son apparence et incapable de se concentrer plus de deux heures au travail. Tout lui semblait être un effort insurmontable, même répondre à une simple question. « Et à propos de l’envie de recommencer ? » - « J’ai touché à rien ! » Sa réponse vint sur le ton de la défensive, parce que l’envie de la nuit passée était encore juste là, sous la surface prêt à le faire vriller. Il avait caché ses bras sous une chemise et après une longue hésitation, il vint en remonter les manches laissant alors apparaître le creux de son coude marbré de plusieurs petits bleus. Il ne c’était pas piquer, il avait pincé la peau pour ressentir quelque chose, pour tenter de tromper son esprit avec une douleur semblant au pincement de la piqûre. « J’ai rien pris, mais j’ai envie Swann. Tout le temps… » Arthur avait la sensation de rendre des comptes à un psychologue, mais Swann avait toujours su y faire pour l’aider à parler. « Je fais que manger, je dors pas et je passe mon temps à jouer aux jeux vidéos pour pas avoir envie de sortir. » Il y a quelques mois de cela, Arthur n’aurait jamais partagé cela. Des passages à vide, il en avait eu plusieurs depuis le début de son addiction, mais cette phase semblait si dure par rapport aux autres, parce qu’il avait fait une promesse, parce que quelqu’un semblait réellement se soucier de lui. Arthur était perdu et il ne savait pas réellement gérer les émotions conflictuelles. Il était sûr d’une chose, il ne voulait pas mentir à la seule personne qui avait décidé de lui tendre la main. « J’ai retiré de l’argent avant de te rejoindre. Du moment où tu t’en vas, je vais aller chercher quelque chose. » Il sait qu’il ne pourra plus aller à l’encontre de son esprit, qu’il ne tiendra pas une nuit de plus ainsi et que les douleurs dans ses articulations lui criait de prendre une dose.

De toute évidence, Swann ne s’attendait pas à ce que son ami lui réponde aller bien sans que ce soit un mensonge. Et il n’attendait pas non plus de mensonge de sa part, alors il se contente du maigre haussement d’épaules offert par Arthur, ce qu’il estime être mieux que rien. « J’ai touché à rien ! » - “Je t’accuse pas, Arthur.” Son ami est sur le ton de la défensive, ce qui est une raison de plus pour Swann de garder son calme et de parler tout bas, pour ne pas attirer d’oreilles indiscrètes autant que pour le bien de son ami. Il a beaucoup de problèmes à gérer en cet instant, personne n’a besoin qu’il en rajoute, comme le prouve son coude qu’Arthur lui montre, ce dernier étant parcouru de bleus encore récents. Mécaniquement, Swann approche son index de la peau malmenée, osant à peine effleurer les différentes couleurs de son coude. Il n’y a pas de trace de piqûre récente, comme Arthur le lui a dit, et c’est à peine rassurant, finalement. Il lutte, mais il peine à le faire.

« J’ai rien pris, mais j’ai envie Swann. Tout le temps… Je fais que manger, je dors pas et je passe mon temps à jouer aux jeux vidéos pour pas avoir envie de sortir. » Et ses réponses mènent Swann à sourire bien malgré lui, sans doute parce qu’il a l’impression d’entendre le résumé de la journée d’un adolescent typique. Il préfère sourire, dans une situation où il n’a pourtant aucune raison de le faire. Cela lui permet de désamorcer un brin de sa propre tension, alors qu’il sait qu’il n’est pas celui vers qui les regards se tournent, à commencer parce qu’il ne se bat pas contre l’addiction. « J’ai retiré de l’argent avant de te rejoindre. Du moment où tu t’en vas, je vais aller chercher quelque chose. » Il hoche la tête une fois de plus, appréciant au moins l’honnêteté de son ami à défaut d’effectivement défendre l’idée: il comprend sans mal à quoi servira l’argent, raison pour laquelle il se pince les lèvres une seule seconde et inspire la suivante pour se donner un peu de courage. “Je me doutais que tout devenait vraiment difficile à gérer.” Il avoue dans un premier temps, ayant toujours eu une certaine facilité à comprendre Arthur, sûrement parce qu’il le connaît bien mieux que quiconque. “Et je suis fier de toi. Pour te battre de cette façon.” Il relève son regard dans le sien pour assurer la véracité de ses propos: Arthur se bat et il mérite d’être aidé dans le processus, parce qu’il n’a jamais autant lutté pour assurer son propre avenir. Il est fort, bien plus fort que son père ne veut le croire, ni même quiconque d’ailleurs. “Mais…” Il souffle longuement, incapable de croire en ce qu’il s’apprête à lui proposer. “Je comprends aussi que tu ne peux pas tout arrêter du jour au lendemain.” Il ne connaît la sensation du manque, ni même du sevrage, mais il arrive à en deviner brièvement les contours. “Et si tu dois recommencer, il faut que ce soit dans un endroit sécuritaire.” Le si n’est pas à garder, ils sont deux adultes capables de deviner où mène la fin de cette conversation. “Y’a un endroit pour ça, à Brisbane. Je défends pas l’idée que tu continues à en prendre, mais je veux juste m’assurer que tout se passe au mieux.” Alors, il fait à son tour des concessions, pour ce qu’il espère être le meilleur choix à faire pour Arthur. Là-bas, ils vérifient la pureté du produit, tout comme ils lui injecteront de façon professionnelle, sans même laisser la moindre marque. Là-bas, rien ne sera mieux, mais tout sera un peu moins pire. “Je voudrais t’y accompagner.”

« Je t’accuse pas, Arthur. » De toute évidence, Swann n’était pas là pour le pointer d’un doigt accusateur, Arthur le savait, mais il n’avait pas pu s’empêcher de répondre de manière agressive. Il avait pour habitude d’être jugé, que l’on questionne chacun de ses agissements et l’arrogance était devenu la meilleure de ses armes. Son ami connaissait tout cela, Swann avait été la victime de cette allure de surface, il avait encaissé les remarques acerbes et les années lui avait permis à mieux appréhender cet Arthur qui ne savait que se défendre violemment pour ne rien laisser paraître. Arthur n'avait jamais eu l’habitude qu’on lui tende la main, mais il tenait à se montrer honnête, qu’importe tous les signes de faiblesse que cela renvoyait. Il montra son coude sans baisser le regard, son corps se tendant comme un arc dès que les doigts de Swann s’approchèrent un peu trop de sa peau, mais une fois encore son ami savait comment s’y prendre pour ne jamais enflammer la situation.

Les accusations, le jugement, les regards accusateurs n’avaient pas leur place au milieu de cette conversation. Swann lui avait demandé de venir parce qu’il s’inquiétait, Arthur était encore capable de lire cela sur ses traits. Il connaissait encore assez les mimiques de celui qui avait toujours été son confident dans le fond. Pour la première fois depuis des semaines, Arthur s’autorisa à laisser tomber les barrières. Il n’était pas utile de prétendre, de se présenter comme un être fort et sans faille quand il ne cessait de lutter depuis des jours. Swann méritait de savoir, il était le seul qui se souciait vraiment du sort d’Arthur. « Je me doutais que tout devenait vraiment difficile à gérer. » Comme s’il avait un radar encore réglé sur cette vieille onde qui datait autant que leur amitié. Swann ne l’avait jamais abandonné et Arthur n’était pas certain d’être capable de gérer cet intérêt, cette volonté que mettait son ami à vouloir le voir s’en sortir. « Et je suis fier de toi. Pour te battre de cette façon. » Le regard de Swann ne laissait aucunement place au doute et pourtant Arthur ne put retenir un ricanement sarcastique. « Tu parles… » Pour lui, rien ne pouvait rendre fier son entourage. Arthur était dépendant à son addiction, certes, il ne cessait de repousser l’échéance, mais l’envie était là, elle courrait sous ses veines et il ne savait pas la faire taire. Il avait envie de se piquer, cela devenait compulsif et ses doigts vinrent entamer une danse endiablée sur le plateau de la table. En parler ne l’aidait pas à se calmer, la drogue était en train d’envahir ses pensées et bientôt il n’allait plus rien contrôler, il le savait. « Mais… » Arthur retint sa respiration. Bien sûr qu’il y allait avoir un mais, dans le fond, il l’attendait depuis des semaines. Il allait falloir enfiler une armure à nouveau pour ne pas laisser entrevoir la moindre déception. Il se paraît au choc.

« Je comprends aussi que tu ne peux pas tout arrêter du jour au lendemain. Et si tu dois recommencer, il faut que ce soit dans un endroit sécuritaire. » Arthur n’était plus vraiment sûr de comprendre ce que Swann cherchait à lui dire. Sourcils froncés, il attendait la suite, une explication allait forcément venir. « Y’a un endroit pour ça, à Brisbane. Je défends pas l’idée que tu continues à en prendre, mais je veux juste m’assurer que tout se passe au mieux. » « Mais de quoi tu parles Swann ? » À nouveau, Arthur était sur la défensive, il ne savait plus faire autrement, il avait besoin de comprendre et vite. Il n’aimait pas que Swann prenne des détours et tout l’angoissait. Avec une dose dans le sang, il aurait été bien plus calme, voilà ce qu’il était en train de penser, et même une gorgée de café n’arrivait pas à calmer son agitation. « Je voudrais t’y accompagner. » « Non. » Il venait de comprendre et déjà, sa tête s’agitait de gauche à droite pour souligner cette négation qu’il voulait plus ferme que jamais. « Hors de question Swann. » Arthur avait entendu parler de ces salles de shoot dans les réunions qu’il s’efforçait encore de fréquenter. On lui avait dit que c’était parfois une étape pour décrocher en douceur, il n’avait pas cherché à se renseigner. Arthur n’était pas capable de faire de la demi-mesure, s’il retombait ce n’était pas que pour une dose avec un planning réglé comme du papier à musique. Une injection n’était jamais assez, il avait toujours besoin de plus, parce que les années l’avaient aidé à augmenter son seuil de tolérance, parce qu’il n’avait jamais eu personne pour lui demander de faire attention ou de freiner un peu. Arthur avait passé son temps à s’entourer de personnes qui en venaient à l’encourager dans son addiction et désormais, il était persuadé de ne plus avoir assez de self-contrôle. C’était tout ou rien. Blanc ou noir. « Non. » Une fois encore, il balançant sa tête dans un mouvement bref. Durant toutes ces années, il s’était juré de ne jamais entraîner Swann avec lui. Les autres, c’était tolérable, mais pas Swann. « Tu va pas m’accompagner pour que je puisse aller me défoncer, t’es malade ou quoi ?! » Arthur ne se souciait jamais d’autrui, mais les choses avaient toujours été différentes avec le Buchanan. « Je veux pas que tu t’approches de ça. » Le ton pouvait paraître condescendant ou infantilisant, il s’en fichait, il ne voulait pas entraîner Swann dans son monde. « Je peux me débrouiller tout seul. » Swann ne pouvait pas comprendre qu’une dose ne serait jamais suffisante, que le spleen n’allait pas durer assez longtemps pour apaiser les démons qui venaient ronger Arthur depuis si longtemps. Mais il s’était promis de tout lui dire. « Juste une, ça suffira pas. » Il venait de marmonner dans sa barbe et si Swann ne l’avait pas entendu jamais il ne répétera ce qu’il venait de dire. Tout était bon pour faire distraction de l’agitation de sa jambe sous la table à son geste à peine contrôlé qui manqua de faire valser sa tasse sur les genoux de son ami. Arthur se fatiguait déjà de ses aveux et la dépendance courait toujours plus vite que lui.

« Tu parles… » Il n’accepte pas que Swann lui dise être fier de lui, et pourtant cela n’a rien d’un mensonge, pas même d’un euphémisme tel que “réalité alternative”. Il est fier de lui. Il le serait plus encore si Arthur arrivait à sortir de ce cercle infernal, autant qu’il serait soulagé, mais pour l’heure il est fier de le voir se battre avec rage pour tenter de s’en sortir. Pour autant, et peu importe à quel point il note le moindre de ses efforts pour rester loin de la drogue qui le ronge de l’intérieur, Swann ne sait pas rester sans rien faire et l’observer sombrer à sa façon. Il sait que la lutte est difficile et que la victoire n’est jamais assurée, mais il se renseigne, il veut aider, il veut faire quelque chose. Il n’a aucune idée de ce à quoi ressemble la sensation d’addiction, mais il tente de comprendre, il tente de savoir comment en passer outre aussi. « Mais de quoi tu parles Swann ? » Il passe par des chemins détournés parce que le sujet est difficile et parce qu’il n’aurait jamais pensé faire une telle proposition à Arthur non plus. L’anglais inspire longuement, incapable de savoir s’il propose une idée qui a quoi que ce soit de bonne, ou même de sensée. Je voudrais t’y accompagner. « Non. Hors de question Swann. » - “Arthur, s’il te plaît.” Son ami est déjà catégorique et il ne veut rien entendre des explications du blond, qui tente de son côté de le calmer pour tenter de marquer son point. Il ne sait pas si son idée est bonne, certes, mais il sait au moins qu’elle mérite qu’il l’écoute et pose à son tour le pour et le contre.

« Non. Tu va pas m’accompagner pour que je puisse aller me défoncer, t’es malade ou quoi ?! » Swann ferme les yeux un instant et souffle doucement, apparaissant plus calme que jamais face à un Arthur incapable de tenir en place. Sans même être sous l’effet des drogues, et surtout en période de sevrage, son ami est toujours son opposé. “Tu vas pas aller te défoncer, c’est pas ça le plan.” Il va consommer, là-bas, oui. C’est ça, le plan, mais il a ses nuances et surtout ses limites. Il prendra une dose, pas dix, et surtout il sera entouré et épaulé, soutenu. Il le sera par des personnes qui s’y connaissent réellement, pas simplement un ami du nom de Swann qui tente de faire au mieux malgré les circonstances. « Je veux pas que tu t’approches de ça. » - “Je peux gérer.” Il ne ressent pas la moindre envie de s’essayer à l’exercice à son tour, tout comme il n’aura aucun mal à observer les différentes aiguilles sans tourner de l'œil. Personne n’a à s’en faire pour sa personne dans un tel contexte. Il aimerait évidemment être auprès de son fiancé dans leur maison et profiter du calme de l’océan non loin, mais il refuse de reculer devant la possibilité de pouvoir venir en aide à Arthur. « Je peux me débrouiller tout seul. Juste une, ça suffira pas. » Il se sent impuissant face à l’addiction, parce que côtoyer Arthur ne lui a fait se rendre compte que d’une simple évidence: il n’existe aucune solution miracle, malheureusement. Lentement, il dégage ses genoux sous la table pour les placer de part et d’autre des siens, avec pour objectif de calmer ses tremblements. “Si on doit retourner là-bas, on y retournera.” Il insiste à nouveau sur le on, parce qu’il refuse de pousser Arthur dans cette voie et de le laisser s’y aventurer seul. “Est-ce qu’il vaut mieux que tu planifies ça ou que t’arrives plus à te retenir un soir ?” Lorsqu’il sera seul et en manque, quand il achètera une drogue sûrement tout sauf pure, lorsqu’il n’arrivera pas à piquer sa veine parce qu’il tremblera trop. Qu’est-ce qu’il vaut mieux ? Le ton de Swann a beau ne pas être accusateur, mais il n’en pense pas moins. “Tu l’as dit toi-même, Arthur, tu vas en acheter en sortant d’ici.” Il relève un regard désolé vers son ami. Il aimerait sincèrement lui proposer un plan imparable, mais il n’a pas mieux pour l’heure.

« Arthur, s’il te plaît. » Il voulait se faire entendre, mais Arthur refusait en bloc l’éventualité que Swann s’implique plus que nécessaire. Il reste calme néanmoins, détonnant avec l’agitation dont faisait preuve Arthur. C’est comme s’il avait prévu toutes les possibilités, comme s’il savait qu’il allait devoir argumenter, mais qu’il n’avait aucunement l’intention de céder dès le premier refus. La danse était familière entre eux, jamais réellement d’accord et toujours prêt à défendre leur opinion. Arthur avait pour habitude d’être la grande gueule, mais seulement lorsqu’il était en pleine capacité de ses moyens ou assez infusés avec de la drogue pour que sa manière de penser soit électriser par les substances. Aujourd’hui, il était prêt à laisser assez d’espace à Swann pour que ce dernier puisse donner vie à l’idée qui semblait le titiller depuis un certain temps. « Tu vas pas aller te défoncer, c’est pas ça le plan. » Ce n’était peut-être pas son plan, mais c’était bel et bien celui d’Arthur. Une dose ce n’est pas ce qui l’excitait, ce n’est pas cela qui faisait vibrer son corps tout entier, mais plutôt la perspective de pouvoir engendrer une adrénaline qui repousserait l’échéance de la redescente le plus loin possible. « Mais c’est ce que je veux. » Il marmonne sa réponse, sans relever le regard, parce qu’il sait que Swann finira par être déçu. Arthur ne cherchait pas à simplement apaiser les réponses physiques que le manque entraîne sur son corps, non, il cherchait à stimuler chacun de ses sens comme seule la cocaïne était capable de le faire. Il voulait se sentir vivant, intouchable et capable de tout sans barrière et sans entrave. Cette sensation là qu’il voudrait retrouver quand sa vie sans drogue lui semblait fade et triste à mourir, lui le célibataire qui n’avait guère de vie sociale et de gens vers qui se tourner.

« Si on doit retourner là-bas, on y retournera. » Il n’en démordait pas, il voulait que ce soit la solution, la seule possibilité et rien d’autre. Arthur paniquait déjà à la simple idée que ce genre d’endroit garde un quelconque registre, que l’on apprenne que le Coventry avait besoin de se shooter, qu’il n’était pas ce gars dont l’attitude laissait à croire qu’il était en pleine maîtrise de lui-même. Il se voyait déjà devoir répondre aux jugements des autres. Pire encore, il s’imaginait à nouveau enfermer dans un centre comme cela avait été le cas après son overdose. « Je veux pas retourner dans un centre. » Est-ce que Swann avait cherché à contacter la psychologue qui s’occupait de lui à l’époque ? La partie logique du cerveau d’Arthur doutait fortement de cela, mais la légère paranoïa provoquer par le manque venait tirailler sur ses angoisses. « Je suis pas obligé de me piquer. » Il n’avait aucune pleine conscience de ce qu’il était en train de faire, mais Arthur était prêt à tout négocier comme le junkie qu’il était devenu malgré des mois passés à répéter qu’il était complètement capable de gérer. « Je pourrais juste prendre quelques traces, c’est pas dangereux. » Il n’avait jamais réellement apprécié se piquer, mais cela lui évitait de saigner du nez constamment et c’était un geste qu’il maîtrisait malgré tout. « Est-ce qu’il vaut mieux que tu planifies ça ou que t’arrives plus à te retenir un soir ? Tu l’as dit toi-même, Arthur, tu vas en acheter en sortant d’ici. » - « Bah, tu peux être là, si tu veux. » Il ne voulait pas se retrouver dans quelque chose d’encadrer, qui laissait sous-entendre une organisation et surtout un suivi, c’est quelque chose qui l’effrayait sans véritable raison. « Pis c’est pas comme si j’allais manquer à quelqu’un. » Cela, il ne se l’était pas vu le prononcer, les mots lui avait échapper, coulant entre ses lèvres tel un poison. Arthur avait repoussé tous ceux qui un jour s’était inquiété de sa consommation, il n’y avait que Swann qui s’accrochait tel un chaton avec ses griffes aiguisés. « Pourquoi tu fais tout ça ? » Swann avait sa propre vie, son fiancé, le projet de son mariage et bien d’autres encore. Il avait un avenir loin des problèmes qu’avait toujours su lui ramener son camarade de faculté. Arthur n’arrivait pas à saisir la volonté dont faisait preuve Swann, cette fois qu’il avait eu d’envisagé toutes les possibilités pour venir lui proposer quelque chose qui allait à l’encontre de ses croyances, mais qu’il estimait être une solution pour Arthur.

« Je veux pas retourner dans un centre. » Mais il prendra de toute façon la drogue, pas vrai ? Il fera de toute façon ce choix, guidé par l’addiction, et Swann ne peut pas l’empêcher alors qu’il en crève d’envie. Il ne peut pas l’empêcher, et c’est justement pour cette raison qu’il milite pour son idée: Arthur a besoin d’une safe place, aussi paradoxale cette dernière puisse-t-elle sembler être. “Ok. Dis moi pourquoi.” Il ne dit pas ok parce qu’il cède, il dit ok parce qu’il veut qu’Arthur comprenne que ses mots ont autant de valeur que ceux de son ami. Ce dernier change donc son fusil d’épaule et cherche désormais à connaître la source du problème et, par extension, celle de son refus catégorique de se plier à son idée.’

« Je suis pas obligé de me piquer. Je pourrais juste prendre quelques traces, c’est pas dangereux. » Swann n’est pas vraiment d’accord avec l’idée que ce n’est pas dangereux mais il n’en dit rien, conscient de ne pas pouvoir se battre sur tous les fronts en même temps. “Ils pourront s’assurer de la pureté du produit, là-bas. Peu importe la façon dont tu le prends.” Il ne sait même pas ce que sont des traces, en réalité, et une partie de lui ne veut pas le savoir. Tout ce qu’il comprend, c’est qu’Arthur tente de négocier uniquement parce qu’il pense pouvoir prendre sa drogue sans avoir à la faire passer directement à travers ses veines. Mais peu importe le biais choisi, cela n’en reste pas moins une petite mort, et devoir négocier pour lui sauver la vie est particulièrement crève-cœur pour Swann. « Bah, tu peux être là, si tu veux. » Lentement, l’anglais secoue la tête. Il ne se substituera pas à une équipe médicale qui sait ce qu’elle fait, tout comme il ne peut pas décemment passer la soirée à côté de lui à attendre que le besoin de se piquer soit plus fort que son envie de s’en sortir par lui-même. Il a sa propre vie, il a sa famille à retrouver, et toute l’amitié qu’il porte à Arthur ne peut pas le laisser négliger sa propre vie. Il le sait, maintenant. “C’est pas ce dont il est question.” Et Arthur le sait, parce qu’il est tout sauf bête. Il tente simplement de négocier autant que de gagner du temps.

« Pis c’est pas comme si j’allais manquer à quelqu’un. Pourquoi tu fais tout ça ? »
“Parce que tu me manquerais, à moi.”

Et il fronce les sourcils, le cœur sincèrement brisé suite aux paroles de son ami, qui pense certainement ce qu’il dit. Swann ferme les yeux un instant, pour garder son calme autant que pour peser le pour et le contre de ses propres mots. Le pour l’emporte finalement et il humecte ses lèvres en même temps qu’il prend une simple inspiration. “J’ai fait une tentative de suicide, y’a deux ans. Quasiment jour pour jour, en fait.” Peu importe la date exacte, ce n’est pas le sujet. Il ne compte pas revenir sur les raisons derrière son geste, ni même l’état d’esprit particulièrement misérable qui était le sien à l’époque. “Je souhaite à personne d’en arriver là. Et de ressentir ça.” De ressentir le besoin de mettre un terme aux problèmes une bonne fois pour toutes, certain qu’il n’existe aucune sorte de solution, ni même d’amélioration possible. “Je vais mieux, depuis. Vraiment mieux. Et je suis persuadé que tu pourrais aller vraiment mieux, toi aussi.” Il demande simplement à ce qu’Arthur accepte de se faire aider. Swann ne lui donnera pas de sa pitié ou même de son empathie: il souhaite simplement que la main tendue qu’il lui propose trouve enfin la sienne, acceptant son aide. “Je te connais depuis toujours, Arthur. J’ai pas envie de devoir parler de toi au passé.” Ni demain, ni jamais. Il veut raconter à son futur enfant leurs histoires du temps de Londres, tout comme il veut raconter à quel point Arthur faisait tomber toutes les filles en son temps. Il a encore une vie à vivre, et une vie dont il peut profiter. Mais pour ça, il doit se battre, et il doit passer par des moments difficiles, c’est un fait que Swann ne peut ni ne veut nier.

Arthur était incapable de comprendre tout l’intérêt que Swann semblait déverser autour de sa situation. Il avait pris le temps de chercher des solutions, il était là, à lui tendre la main et le Coventry ne comprenait pas toute cette attention et cette bienveillance. Swann était prêt à l’écouter, réellement, pas simplement pour lui imposer ses idées. Son ami tenait à établir un véritable dialogue et Arthur n’était pas habitué à ce que l’on prenne en compte son opinion ou que l’on cherche à établir un compromis avec lui. « Ok. Dis-moi pourquoi. » En aucun cas Swann était en train d’approuver ou d’accepter les refus que lui présentait Arthur, mais il était prêt à retarder la prise de décision pour l’écouter, pour prendre en compte toutes les possibilités. Tout semblait compter dans la balance et Arthur se retrouva quelque peu déstabiliser par la demande de Swann. Pourquoi refusait-il de retourner dans un centre ? Au fond de lui, Arthur savait que cela pouvait fonctionner, son premier essai lui avait permis de rester sobre durant une longue période. Néanmoins, l’idée de se retrouver à nouveau enfermé auprès de professionnels qui viendraient appuyer sur tous les boutons en même temps lui provoquait un frisson d’angoisse. Il ne souhaitait pas revivre cela, il se refusait à retourner dans un tel processus d’introspection. Arthur s'était convaincu que tout cela n’était pas pour lui, que sa santé mentale n’avait aucun rapport avec son addiction. Il n’était pas comme les autres, il n’avait pas de blessures profondes qui pourraient venir expliquer son besoin de consommer, il aimait juste les sensations amenées par la drogue. Arthur avait intériorisé cette idée qui se répétait tel un mantra dès que quelqu’un venait remettre en question ses choix, mais Swann posait des questions et le jeune homme savait voir au-delà de la façade qu’Arthur présentait en public. « J’ai pas besoin qu’un psy vienne décortiquer ma vie pour tenter de trouver une justification plausible à mon addiction. » Il se refusait à reprendre ce processus qui lui avait été si douloureux la première fois. Il s’était auto-persuadé que son addiction ne pouvait trouver la moindre justification dans son passé, qu’il avait simplement habitué son corps à la prise de stupéfiant et qu’il avait désormais besoin de continuer à alimenter le monstre qu’il avait lui-même créer. Qu’importe si tout cela s’était dérouler dans le seul but de se créer un mécanisme de défense envers des émotions qu’il n’était aucunement en capacité d’accepter. Arthur se préférait à vivre dans un déni permanent, enfermer dans une cage qu’il avait lui-même mis en place. Il voulait simplement pouvoir consommer à nouveau dans le simple but de retrouver cet état de semi-conscience qui venait bâillonner toutes les voix qui criait parfois trop fort dans son crâne. « Mon père sera au courant si je retourne dans un centre. » Arthur n’était pas dupe, il savait que son paternel gardait un œil sur la moindre de ses dépenses, il avait déjà commencé à questionner ses nombreux retraits comprenant des sommes de plus en plus importantes. « Il ne faut pas que ça arrive. » Il n’avait le droit qu’à une seule chance, son géniteur avait été clair à ce sujet. Une chance, loin de Londres, pour revenir sur le droit chemin et reprendre ce qu’il avait su entreprendre au sein de l’entreprise familiale. Son père croyait encore lui, en ses capacités à être un prometteur de renom, Arthur ne pouvait pas voir cela lui échapper.

Il cherchait tout de même à négocier, on lui avait appris dès la naissance, à tourner les choses en sa faveur, mais Swann était un adversaire redoutable quand il le voulait. « Ils pourront s’assurer de la pureté du produit, là-bas. Peu importe la façon dont tu le prends. » A chaque parole d’Arthur, il venait prouver à quel point il s’était renseigné, il n’était pas venu pour lui balancer une vague idée, mais bel et bien pour lui proposer une solution qui lui paraissait viable et Arthur était dans l’incapacité de comprendre toute cette volonté. Swann voulait sincèrement lui venir en aide sans pour autant lui laisser les rênes. C’était soit prendre de la drogue dans le lieu sûre qu’il avait déniché, soit il finirait par lui tourner le dos. Il n’y avait pas d’entre-deux possible et Arthur pouvait déjà se voir refuser, de toute façon Swann avait décider de continuer sa vie sans s’ennuyer du poids que pouvait être Arthur. Et pourtant, il continuait à insister de la manière la plus douce qui soit et Arthur ne voyait que son ami en train de perdre son temps. « Parce que tu me manquerais, à moi. » Il n’y avait eu aucune once d’hésitation de la part de Swann, la réponse fusant avant même qu’Arthur ne termine sa propre phrase. Un cri du cœur que le Coventry ne savait interpréter, baissant le regard. À agir comme le dernier des connards avec son entourage, Arthur ne s’était pas imaginer que quelqu’un pourrait finir par ressentir son absence, mais Swann venait de lui prouver le contraire avec des mots emplis de sincérité qui vint tirer sur le cœur d’Arthur dans une sensation loin d’être familière.

Il pouvait sentir l’agitation de son ami sans avoir à le regarder, Swann voulait lui dire quelque chose et honnêtement, Arthur s’attendait à un discours bidon sur la valeur de sa propre vie, quelque chose qu’on lui avait servi de manière réchauffée lors de sa première désintoxication. Jamais il ne s’était préparé à la confidence qu’allait lui faire Swann. « J’ai fait une tentative de suicide, y’a deux ans. Quasiment jour pour jour, en fait. » Arthur prit la révélation comme une claque en plein visage, de celle qui vous coupe le souffle tant l’impact se veut violent. Swann avait failli disparaître en silence. L’aveu se rejouait dans son esprit, les quelques mots prononcés parce que celui qu’il considérait comme son meilleur ami venant réveiller des émotions qu’Arthur aurait préféré garder enfoui. Swann avait voulu mourir. « Je souhaite à personne d’en arriver là. Et de ressentir ça. Je vais mieux, depuis. Vraiment mieux. Et je suis persuadé que tu pourrais aller vraiment mieux, toi aussi. » Un million de questions se jouait dans l’esprit d’Arthur pour ne pas se laisser aller dans une direction à laquelle il s’était juré de ne plus jamais penser. À son arrivée à Brisbane, il s’était moqué de la famille que Swann était venu chercher en Australie et qui avait fini par lui tourner le dos. Est-ce qu’il avait sombré à cause d’eux ? Il avait parlé d’une fille aussi, est-ce qu’elle était responsable de la chute de Swann ? Arthur avait soudainement ce besoin de trouver une explication logique, un quelconque coupable, tant il était incapable d’imaginer Swann tomber aussi bas. Pourtant, il avait vu de ses propres yeux les effets que pouvait avoir la dépression, il n’avait pas su interpréter les signes, il s’était moqué d’elle alors qu’elle se sentait si mal. La révélation de Swann était venue réveiller un souvenir violent et brutal, quelque chose auquel Arthur s’efforçait chaque jour de ne plus penser. Tout ce qu’il n’avait pas vu, tout ce qu’il avait raté. Dans un geste désordonner, ses doigts vinrent s’enrouler autour du poignet de Swann, juste pour ressentir la chaleur de sa peau, pour s’assurer qu’il était bel et bien là et qu’il avait réellement réussi à s’en sortir. Arthur sentait sa gorge se renfermer à mesure que les battements de son cœur se faisaient anarchiques. Il concentrait toutes ses pensées à la volonté de chercher une explication plutôt que de réaliser qu’il n’avait pas été présent pour Swann durant cette période, comme il n’avait pas été présent pour quelqu’un d’autre. Arthur n’était jamais présent dans les moments difficiles. Dès l’instant où Swann avait quitté Londres, Arthur avait décidé de lui tourner le dos, avant de laisser le cours de sa vie s’emballer au point de l’attirer dans une spirale infernale. Il n’entendait pas ce que Swann cherchait à lui faire comprendre au travers de cette révélation, il ne pouvait que se laisser plonger à imaginer un monde sans Swann. « Je l’aurai jamais su s’il t’était arrivé quelque chose. » Les scénarios se mélangeaient dans un coin de son esprit, l’aveu de Swann se superposant à des souvenirs qu’Arthur n’avait eu de cesse de refouler. Il aurait préféré se laisser glisser à terre pour se faire avaler par le sol plutôt que s’aventurer à ouvrir la boîte de Pandore dans un lieu aussi public que ce café, mais Swann s’était confié à lui et soudainement Arthur ne se sentait plus capable de maintenir la conversation. Il aurait aimé fuir, mais il devenait difficile pour lui de respirer, l’air se faisant un peu trop dur à inspirer. À l’époque où Swann avait voulu s’ôter la vie, la petite sœur d’Arthur avait ressenti le même désir d’en finir et ça Arthur n’en avait jamais parlé à qui que ce soit.

« Je te connais depuis toujours, Arthur. J’ai pas envie de devoir parler de toi au passé. » - « Mais c’est pas pareil ! » Il se refusait à penser que sa situation pouvait, en quelques sortes, être similaire à ce que Swann avait pu vivre, à ce que sa petite sœur avait traversé quand elle aussi avait attenter à ses jours en avalant un cocktail de médicaments qu’elle avait trouvé dans la pharmacie de son aîné. « C’est différent, c’est pas comme toi ou comme Charlotte. » Les mots lui échappèrent à toute vitesse, il devait se justifier, Swann devait comprendre que tout cela n’avait rien à voir. Au vu de la situation, parce qu’il se sentait attaqué de tous les côtés, et surtout dans l’espoir que Swann ne relève pas ce qu’il venait d’avouer, Arthur entra dans un mécanisme de défense stupide qui fit ressortir une certaine agressivité. « Tu comprends rien de toute façon, je suis pas comme toi. Je t’ai dit que je voulais pas mourir ! » Il fallait qu’il aille vite pour jouer la diversion, mais les mots lui manquaient parce qu’il en avait déjà trop dit et qu’il savait que Swann avait parfaitement entendu chacun de ses mots. Arthur gigotait sur sa chaise, incapable de se tenir tranquille, bouffer par des souvenirs qui remontaient à la surface à toute vitesse et qui défilaient devant ses yeux en se mélangeant à ce que Swann venait de lui avouer. Il se perdait dans toutes les émotions contradictoires qui venaient former un orage au-dessus de sa tête et si le silence s’étirait une minute de plus, il allait vouloir tout casser sur son passage. « On peut y aller maintenant ?! » Arthur voulait sa dose, maintenant, avant que ses émotions ne le trahissent. Il avait besoin de faire taire tout ce qui était en train de s’agiter dans sa tête, il devait s’anesthésier l’esprit avant de tomber dans un gouffre qu’il avait si longtemps voulu ignorer. « S’il te plaît Swann… » Il aurait pu partir à de nombreuses occasions, mais une force invisible maintenait Arthur cloué à sa chaise, car il savait que sans son ami, il replongerait sans ne plus jamais se donner aucune limite. La part rationnelle de son esprit le maintenait dans ce café, malgré tout ce qu’il avait laissé sous-entendre, parce qu’une part de lui savait que seul Swann serait capable de comprendre et de gérer. Il l’avait peut-être dit avec toute la méchanceté dont il était capable parfois, mais Arthur ne voulait pas mourir, il tentait encore de s’en convaincre désespérément.

« J’ai pas besoin qu’un psy vienne décortiquer ma vie pour tenter de trouver une justification plausible à mon addiction. » Swann tente de garder pour lui la moue qu’il a tant à cœur d’afficher, éternellement renvoyé au loin par l’attitude de son ami qu’il aime bien plus que son irritabilité. Arthur refuse simplement de voir un psychologue et il trouve des excuses à tout va pour expliquer son choix, ce que Swann ne peut pas réellement juger parce qu’il a été le premier à longtemps refuser de pousser la porte d’un cabinet à son tour. Maintenant, il le fait toutes les trois semaines et il n’y s’y rend même plus avec la boule au ventre. Qui plus est, il a surtout observé les effets positives de ses séances et de cette possibilité qu’elles offrent de se confier sans jamais risquer de blesser ses proches par la même occasion en racontant ses pensées parfois sombres. “Comprendre comment tout est arrivé pourrait aider à comprendre comment vivre sans.” Il le dit parce qu’il a besoin de l’entendre de quelqu’un, mais il doute sincèrement qu’Arthur voudra l’écouter à ce sujet. Ce n’est pas le cheval de bataille du jour, qui plus est, pas alors que Swann est le premier à aujourd’hui comprendre qu’il ne peut pas se trouver sur tous les fronts. « Mon père sera au courant si je retourne dans un centre. Il ne faut pas que ça arrive. » - “On se débrouillera pour qu’il n’en sache rien. Il est pas Big Brother.” Swann ignore comment il imagine que son père pourrait être au courant de son passage dans un de ces centres, mais il jure qu’il est cependant prêt à tout pour que cela n’arrive pas. Arthur a besoin de trouver une solution à ses problèmes, et s’il faut que cela se fasse pas à pas au travers de ce que beaucoup pourraient considérer comme une rechute, alors Swann continuera toujours de l’épauler.

Tous les arguments qu’il aligne les uns à la suite des autres ne semblent pas avoir le moindre poids, ce qui le pousse à avouer avoir fait une tentative de suicide, il y a un an de ça. Et aujourd’hui, il jure ne jamais avoir été aussi heureux durant toute son existence, ce qui est à ses yeux la preuve que rien n’est éternel ou constant ; certainement pas les mauvaises choses ou aspects de la vie. Il s’étonne du geste d’Arthur lorsqu’il enroule ses doigts autour de son poignet mais il n’esquisse pas le moindre geste de recul pour autant. Au contraire, il est bien plus touché par son geste que ce qu’il voudrait bien avouer, tel en témoigne le sourire qu’il tente de réprimer. Il pose finalement sa main libre par-dessus ses doigts, pour lui assurer sa présence autant que son soutien. Il va mieux, il le lui a dit: il va vraiment mieux. « Je l’aurai jamais su s’il t’était arrivé quelque chose. » Il sait, oui. Il sait, parce qu’il n’a pas pensé un seul instant à faire une tournée d’adieux, le geste ayant été un appel du cœur bien plus que quoi que ce soit de prévu. Il aurait pris tous ses proches de court, et il les aurait tous brisés. Aujourd’hui il le sait et s’en retrouve désolé ; à l’époque, il avait bien trop de soucis dans l’esprit pour s’en occuper. « Mais c’est pas pareil ! C’est différent, c’est pas comme toi ou comme Charlotte. » Swann ne sait retenir ou cacher sa surprise lorsque le prénom de sa soeur vient soudainement s’associer à la discussion. “Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Charlotte ?” Il est d’autant moins serein d’entendre son prénom alors que le contexte est sombre et difficile. L’attitude même d’Arthur ne fait que prouver un peu plus encore que personne ne souhaite avoir ce genre de conversation, à aucun moment.

« Tu comprends rien de toute façon, je suis pas comme toi. Je t’ai dit que je voulais pas mourir ! » Il a activé le mode auto-défense à nouveau et leurs mains se séparent dans le même élan, Swann prenant le temps de souffler doucement alors qu’il se rend compte qu’ils sont une fois de plus en train de faire un pas en avant et dix en arrière. Il n’y a rien qu’il tente de répondre, qui plus est. « On peut y aller maintenant ?! S’il te plaît Swann… » Arthur étouffe, c’est désormais évident, et Swann ne cherche pas à le retenir dans l’endroit s’il ne s’y sent plus à l’aise. L’anglais se contente de hocher la tête et de se lever de sa chaise, déjà prêt à quitter l’endroit mais aussi et surtout à obtenir le fin mot de l’histoire quant à la soudaine apparition de Charlotte au coeur de leur histoire. “Je te suis, Arthur.” Il n’a pas hurlé ne pas vouloir aller dans ce centre depuis au moins cinq minutes, ce que Swann interprète comme un changement de trajectoire de ses idées: peut-être qu’il va le faire, au final. Peut-être qu’il va vraiment accepter l’idée. “Je vois un psy maintenant. Il juge pas. Il est pas blessant. Si jamais… Je te laisserai son numéro, tu en feras ce que tu veux.” Swann est d’une nature terriblement à fleur de peau et il a eu besoin de temps pour trouver la bonne personne à qui se confier, et peut⁻être qu’il ne sera pas la bonne personne d’Arthur pour autant, mais il tente au moins de faire avancer les choses. “Je vois que t’essaies de t’en sortir, tu sais.” Ce n’est pas parce qu’il n’a pas encore accompli tout le chemin que Swann n’est pas déjà fier de lui pour avoir mis un pied devant l’autre.

Le calme émanant de Swann représentait le parfait contraste de l’agitation qui s’était emparé d’Arthur au fur et à mesure de la conversation. Swann prenait le temps de poser ses mots qu’il s’efforçait d’énoncer sur un ton calme et patient tandis qu’Arthur ne cessait de gigoter sur son siège, sa jambe s’agitant sous le plateau de bois sans qu’il ne puisse réellement contrôler son geste. Ses yeux balayant la salle dans un mouvement constant, sans jamais trop s’attarder sur le regard bienveillant que son ami posait sur lui, Arthur n’était plus vraiment sûr de vouloir poursuivre la discussion. « Comprendre comment tout est arrivé pourrait aider à comprendre comment vivre sans. » Il se retint d’aboyer une remarque acerbe, excéder par le ton mielleux que Swann pouvait employer avec lui. Arthur n’avait pas besoin qu’on le cajole, il ne voulait pas se faire servir des propos pré construit sur le chemin qu’il fallait entreprendre pour démarrer un véritable processus de guérison. Il avait choisi de se confier à Swann justement pour éviter ce genre de discours qu’il avait déjà trop entendu au cours des différentes réunions qu’il s’était efforcé de suivre. Il se refusait à voir son problème comme celui des autres, Arthur n'était pas encore prêt à accepter qu’il allait véritablement devoir travailler sur lui pour s’en sortir. Mais aujourd’hui, il fit l’effort de ne rien rétorquer, de ne pas violemment attaquer son ami parce qu’il avait simplement décidé d’exprimer son point de vue. « On se débrouillera pour qu’il n’en sache rien. Il est pas Big Brother. » Arthur ricana en se redressant quelque peu sur sa chaise. « Je crois que tu oublies de qui on parle. » James Coventry avait toujours eu un œil sur la vie de ses enfants, mais depuis les écarts de parcours qu’avait pu avoir Arthur, la surveillance avait redoubler. Le fils était là pour travailler, pour gagner cette affaire qui pourrait complètement changer l’avenir de la société familiale, pas pour aller en cure ou pour penser à son propre bien-être. Le deal était simple, Arthur se devait de travailler sans faux pas ou sa vie allait rapidement devenir bien plus difficile. Swann n’avait aucune connaissance de tout cela, mais il avait assez souvent vu Arthur courber l’échine devant son paternel par le passé pour en avoir une vague idée.

Cependant, Swann n’avait pas l’intention de céder. Qu’importent les arguments présentés par Arthur, le blond ne se délogeait pas, insistant sur les bénéfices pour contrer les différents refus de son ami. Il frappa fort avec une révélation qui laissait sous-entendre à Arthur qu’il lui serait impossible désormais de reprocher à Swann de n’avoir aucune idée de ce qu’il était en train de vivre. Déstabiliser par l’aveu, perdu entre l’instant présent et une myriade de souvenirs qu’il aurait préféré voir enterrer à jamais, Arthur s’agita de nouveau. Il refusait d’entendre que son addiction était forcément liée au désir de mettre fin à ses jours, mais incapable d’exprimer ses pensées de manière calme et posé, le brun laissa son impulsivité gagner du terrain. « Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Charlotte ? » Arthur eut un léger arrêt sur image en entendant son ami prononcer le prénom de sa petite sœur, comme s’il n’avait eu aucune conscience de l’avoir évoqué juste à l’instant dans sa propre frénésie. « Rien. » Secouant la tête de gauche à droite, il repoussa sa chaise de quelques centimètres. « Il ne s’est rien passer avec Charlotte ! » On lui avait dit de ne pas en parler, de prendre ses responsabilités et de cesser de tout remettre à sa petite personne. Arthur n’avait jamais parlé de cette sombre soirée et il n’avait pas l’intention de le faire dans ce café. Il fallait qu’il sorte. « Je te suis, Arthur. » Une fois encore, Swann fit preuve d’un calme légendaire, laissant Arthur maître de la situation même s’il n’était clairement pas en état de prendre la moindre décision. Tout ce qu’il voulait s’était ne plus sentir le regard des autres clients dans son dos, il voulait prendre l’air. Une étape après l’autre.

Une fois à l’extérieur, Arthur prit une bouffée d’air frais, avant que ses doigts ne plongent dans les poches de son blouson, à la recherche d’une cigarette et de son briquet. Swann avait décidé de lui laisser carte blanche et Arthur avançait en ligne droite sans même réellement savoir dans quelle direction il était en train de les entraîner. Il était arrivé par cette rue et le fait de reconnaître les devantures des magasins lui suffisait pour avoir envie de continuer de ce côté-là. « Je vois un psy maintenant. Il juge pas. Il est pas blessant. Si jamais… Je te laisserai son numéro, tu en feras ce que tu veux. » A défaut de trouver les mots, Arthur haussa des épaules. « Oui peut-être. » Une part de lui était prête à essayer, l’autre ne cessait de ruminer les paroles de Swann sans que jamais cela ne fasse réellement sens à ses yeux. Il continuait à avancer, ralentissant le pas pour que son ami le suive, ses pensées se calmant peu à peu. Il n’avait plus l’impression d’être épié par les autres, les rues de la ville était relativement calme et tout ce dont il avait conscience était que Swann continuait à le suivre comme son ombre, alors qu’il avait probablement mieux à faire que de perdre son temps avec Arthur.

Les minutes défilèrent sans que l’un des deux ne dise quoi que ce soit. Marché aidait Arthur à se calmer, il pouvait sentir la tension entre ses muscles s’apaiser et déjà le fil de ses pensées lui paraissait bien plus cohérent, moins précipité par un désir de manque et la volonté de ne pas se laisser définir par son addiction. « Je vois que t’essaies de t’en sortir, tu sais. » Ce sont ces mots qui finirent par le faire s’arrêter. Frappé par la sincérité de Swann, il se sentit obligé de prendre une seconde pour observer les traits de son ami. Pas un seul instant Swann n’avait cessé de lui tendre la main et depuis une heure Arthur ne faisait que de lui servir des propos réchauffés, demi vérité qui n’avait que le pouvoir de servir de devanture à tous ses problèmes. Gêné de réaliser qu’il avait encore une fois laisser son addiction prendre le dessus sur sa rationalité, Arthur fini par baisser la tête reprenant sa marche d’un pas bien plus lent. Il lui fallut quelques minutes encore pour rassembler ses pensées et inviter Swann à s’asseoir sur l’un des bancs qu’ils venaient d’atteindre à proximité d’un petit parc vide toute âmes. « Je suis désolé. » qu’il marmonna dans sa barbe, pas réellement certain de savoir pourquoi il s’excusait réellement. Un mélange entre le fait qu’il était en train de faire perdre son temps à Swann et une excuse sincère pour s’être encore emporté contre lui un peu plus tôt. Arthur était calme désormais et les doutes revinrent grignoter ses convictions. « Je suis pas certains de vouloir savoir qui je suis sans ça. » L’aveu fut murmuré à mi-mots dans l’écho de ce que Swann avait pu lui dire auparavant. Guérir voulait dire se découvrir sous une autre facette, cela voulait dire affronter tout ce qui l’avait amené à enchaîner les faux-pas, et même s’il continuait à garder sa tête enfouie dans le sable, une part de lui était consciente que tout avait une raison. Il avait laissé la drogue entrer dans sa vie, il y a une dizaine d’années de cela et ce qui n’était qu’une consommation récréative, c’était transformer en un besoin quotidien pour pouvoir fonctionner plus ou moins correctement. Les confessions de Swann étaient venues ouvrir une boîte de Pandore, des souvenirs auquel Arthur n’avait plus pensé depuis si longtemps. Ou tout du moins que la drogue l’avait aidé à enfouir plus profondément encore, mais dans ce contexte, auprès de Swann en qui il avait parfaitement confiance, Arthur était prêt à confier ce qu’il n’avait jamais dit à personne auparavant. « J’ai laissé Charlotte toute seule à l’appart avec des gars que je connaissais à peine… Ils ont abusé d’elle. » Fermant les yeux, juste un instant, il revit le visage de sa sœur cette nuit-là, quand il avait fini par rentrer. « Quelques mois après, elle a avalé tout un tas de médicaments et si j’étais pas rentré directement après le travail… » Il n’avait pas réellement envie de finir sa phrase, Swann avait déjà compris, c’est certain. Après cela, consommer était devenu le chemin de la simplicité, pour ne pas trop penser, pour tout anesthésier. Quelques mois plus tard encore, c’est Arthur qui finissait à l’hôpital à cause d’une overdose, mais jamais il n’avait voulu additionner les événements pour leur donner un sens. « Depuis elle m’adresse plus la parole. » La tête rentrée dans les épaules, Arthur s’efforçait de garder son regard fixé sur le sol. Swann avait demandé ce qui s’était passé avec Charlotte, maintenant, il avait sa réponse et Arthur se senti vidé. Mais l'envie de consommer persistait, encore et toujours.

Arthur nie d’abord qu’il se soit passé quoi que ce soit au sujet de sa sœur et l’anglais n’insiste pas, certain que son ami vient de se fermer pour les minutes à venir et qu’un interrogatoire poussé n’y changerait rien. Il s’est déjà confié sur beaucoup de sujets et, malgré le ton parfois haussé, cela signifie qu’il fait tous les efforts du monde pour faire les choses au mieux et, évidemment, Swann le remarque. Il ne le dit pas, mais il tente au moins de faire au mieux pour Arthur, ce qui se résume finalement à accepter de quitter le café à ses côtés, ayant l’impression de voir son ami étouffer sous ses yeux. Il a besoin d’air, il a besoin de marcher, il a besoin d’une distance que Swann lui offre en marchant seulement quelques pas derrière lui. Il laisse Arthur les guider où il veut, déjà conscient pour qu’il y ait une immense part de chance qu’ils soient en chemin vers un fournisseur - mais il ne veut rien en savoir, en réalité, alors il ne pose pas la question. Les mots finissent par revenir après de longues minutes salvatrices. « Je suis désolé. » Il marmonne tout bas, signe qu’il cherche à le dire mais qu’une part de lui espère que Swann ne l’entendra pas réellement. Cela lui fait lui dire qu’il ne devrait pas répondre, raison pour laquelle il se contente d’ajouter un maigre sourire fier. Les choses vont vers le mieux. Doucement, certes, mais elles avancent dans le bon sens. « Je suis pas certains de vouloir savoir qui je suis sans ça. » - “Je me souviens que t’as toujours été un bon ami.” Il était une bonne personne avant de consommer, et il en est techniquement encore une aujourd’hui: c’est simplement moins facile à savoir au premier coup d'œil. Il n’a pas à craindre de redevenir le garçon que Swann a connu, une vie plus tôt. Ce garçon était incroyable, puisqu’il était celui à qui Swann a donné toute son amitié sans jamais se demander si c’était ou non la bonne chose à faire.

« J’ai laissé Charlotte toute seule à l’appart avec des gars que je connaissais à peine… Ils ont abusé d’elle. » Interdit, le blond s’arrête aussitôt de marcher, son regard troublé posé dans celui de son compatriote. Il n’avait pas osé formuler des hypothèses dans son esprit, mais aucune n’aurait de toute façon pu se rapprocher de la réalité. Il se souvient de la toute jeune Charlotte, et il est parfaitement incapable d’imaginer l’horreur qu’elle a pu vivre. « Quelques mois après, elle a avalé tout un tas de médicaments et si j’étais pas rentré directement après le travail… » - “Merde.” Il souffle, incapable de réfléchir convenablement, à son tour assailli par l’émotion. Il n’a jamais été proche de Charlotte, mais elle est la soeur de celui qu’il a longtemps considéré comme étant son meilleur ami, alors bien sûr qu’elle compte à ses yeux. Et quand bien même il ne l’aurait jamais connu, ce n’est pas une histoire qu’il pourrait souhaiter à quiconque de vivre. « Depuis elle m’adresse plus la parole. » - “Je suis désolé.” Du silence entre eux, de ce qu’elle a vécu, de la vie qui s’acharne sur leur fratrie. Les mots sortent naturellement, ils sont la façon qu’utilise Swann pour tenter de se protéger du monde. “Tu n’y es pour rien, Arthur. C’est pas toi qui leur a dit de faire ça, et t’étais pas au courant non plus…” Il a des défauts, oui, mais il sait que jamais il n’aurait pu souhaiter une telle chose à sa sœur ou même à quiconque. Arthur n’est pas quelqu’un de facile à vivre mais il a au moins un bon fond que jamais Swann ne chercherait à remettre en cause. “Merde, je m’attendais pas à ça.” Il répète, toujours aussi choqué, ses doigts posés sur l’arête de son nez comme si s’énerver allait avoir le don de changer le passé. Il ne comprend simplement pas comment de telles choses peuvent arriver, et surtout pas comment certaines personnes peuvent nourrir de telles idées. Il souffle à nouveau, se calme, s’immobilise. “Laisse moi juste t’aider.” Il veut qu’il aille mieux, il veut qu’il retrouve sa soeur, il veut qu’il se soigne. Il veut qu’il puisse être heureux, lui aussi, merde.

Marcher lui permettait d’instaurer une distance tout en ne lui donnant aucune obligation à devoir regarder Swann dans les yeux. Arthur appréciait la parade qui lui donna un semblant d’illusions sur le contrôle de la situation. Même s’il n’avait aucune idée de la destination, il pouvait choisir à sa guise l’endroit vers lequel ses pas les mèneraient sans que personne n’intervienne. Marcher tête baissée, quelques pas en avance sur son ami, donna à Arthur le répit dont il avait besoin pour organiser à nouveau ses pensées devenues quelque peu chaotique dans l’enchaînement des choses. Il ne savait plus sur quel pied dansé, mais une conviction persistait malgré le brouillard, Swann était toujours présent derrière lui. Swann qui s’était construit une vie ailleurs, qui avait sans doute bien mieux à faire que de surveiller un drogué en manque, mais qui persistait à rappeler à Arthur qu’il n’était pas seul. Pas à pas Arthur relâchait la tension, prêt à entendre de nouveau ce que Swann avait en réserve pour lui. « Je me souviens que t’as toujours été un bon ami. » Sous l’effet de surprise, Arthur marqua un temps d’arrêt, relevant enfin la tête vers un Swann plus sérieux que jamais. Interloqué par une telle affirmation, Arthur ne put retenir un ricanement empli de sarcasme. « Tu dis ça pour toutes les fois où je t’ai abandonné dans un bar alors que je t’avais forcé à sortir avec moi ou pour la fois où je t’ai demandé de passer les examens à ma place ? » Il n’avait pas la sensation d’avoir été un bon ami pour Swann, que ce soit à l’époque ou encore aujourd’hui. « Tu ne veux même pas me voir à ton mariage Swann, ne te forces pas à mentir. » Il n’exprimait aucun reproche ne soulignant que les faits. « Je suis pas le gentil dans l’histoire, tu te souviens ? Je suis l’égoïste, je prends ce que je veux, je fais ce que je veux et surtout je ne fais jamais ce qu’il faut. » Arthur n’était pas un bon ami pour lui et encore moins une fréquentation recommandable, mais Swann cherchait encore à tirer du positif pour ne pas laisser Arthur se faire aspirer par sa propre spirale infernale.

« Merde. Je suis désolé. » Bien sûr qu’il l’était, prouvant encore un peu plus la bonté sans failles de Swann Buchanan. Arthur pouvait sentir toute l’empathie qui se dégageait de lui, cette aura inexpliquée qui faisait de l’anglais quelqu’un avec un trop grand cœur. Pourquoi être désolé lorsqu’il n’était responsable de rien, simple témoin d’une histoire dont personne n’avait réellement eu le contrôle. « Tu n’y es pour rien, Arthur. C’est pas toi qui leur as dit de faire ça, et t’étais pas au courant non plus… » Arthur n’était pas d’accord avec cela, baladant sa tête de droite à gauche, il se refusait d’entendre les excuses que Swann serait capable de lui trouver. « J’étais responsable. » Si ce n’est de la situation, au moins de sa petite sœur qui n’était qu’une gamine cherchant à grandir trop vite. Il n’était peut-être pas l’instigateur du drame, mais il avait laissé faire sans prendre conséquence du danger, trop obnubilé par le fait que l’un de ces gars savait se procurer de la cocaïne sans difficulté et par sa conquête du moment. « Merde, je m’attendais pas à ça. » Une fois encore, Arthur se retrouva sans voix face à l’intensité des émotions que dégageait Swann. Il paraissait sincèrement peiné pour une chose dont il n’avait pas le moindre contrôle et Arthur avait tant de mal à comprendre cette empathie envers les autres. « Comme tu ne t’attendais pas à ce que je tombe sur Greta ? » La réplique n’avait rien d’une provocation, énoncé avec légèreté comme le simple constat de tout ce qui apparaissait être improbable ces derniers temps. Arthur avait gardé ces questions depuis le début de leur rencontre attendant le moment opportun pour oser prononcer le prénom de celle qu’il n’avait jamais réellement oubliée.

De sa confession sur ses relations avec sa sœur, Arthur avait presque espéré que ses aveux deviennent l’élément de trop qui amènerait Swann à le déclarer condamné sans possibilité de retour. A trop attendre à ce qu’on le rejette, Arthur n’avait plus pris en compte la dévotion sans failles de son ami. « Laisse moi juste t’aider. » Swann était sincère dans sa démarche, mais il ne passera pas son temps à lui tendre la main et malgré ses nombreuses provocations qui cherchaient à cacher son mal-être, Arthur avait toujours à cœur de s’en sortir. Alors au lieu de demander encore une fois pourquoi Swann s’évertuait à faire tout cela pour lui, Arthur arrêta de fuir vers l’avant pour venir regarder son interlocuteur dans les yeux. « C’est où l’endroit dont tu m’as parlé ? » Il ne servait à rien de prétendre à une force surhumaine, Arthur avait envie de consommer et aucune discussion aussi longue soit-elle allait l’aider à atténuer cette sensation de manque.

« Tu dis ça pour toutes les fois où je t’ai abandonné dans un bar alors que je t’avais forcé à sortir avec moi ou pour la fois où je t’ai demandé de passer les examens à ma place ? » Il dit ça pour toutes les fois où il lui a prouvé être une bonne personne, justement quand il ne préférait la compagnie de la première fille venue dans un bar, ou qu’il trouvait un moyen de pallier son absence de toutes révisions à l’université. Il y avait ces fois, oui, mais il y avait aussi tout le reste qui lui donnait envie de rester ami avec Arthur, et qui aujourd’hui lui donne toujours cette envie, en plus de celle de se battre pour lui parce qu’il ne semble plus en être capable lui-même. Peu importe tous les côtés négatifs qu’ont connu leur amitié, ils ne sont pas suffisants pour que Swann cherche à s’éloigner de lui. « Tu ne veux même pas me voir à ton mariage Swann, ne te forces pas à mentir. » - “Je ne veux pas te voir à mon mariage dans cet état.” Il ne cherche pas à lui mentir: Swann a été le premier à lui expliquer qu’il n’allait pas lui donner de carton d’invitation dans le contexte actuel, tout comme il a autant souligné crever d’envie de le savoir à ses côtés durant un événement aussi important de sa vie. « Je suis pas le gentil dans l’histoire, tu te souviens ? Je suis l’égoïste, je prends ce que je veux, je fais ce que je veux et surtout je ne fais jamais ce qu’il faut. » En silence, un pas derrière lui, il souffle doucement. Ce n’est pas la façon dont il voit Arthur, évidemment, mais il est à court d’idées pour tenter de lui faire comprendre qu’il n’est pas non plus le garçon qu’il décrit d’une façon aussi vulgaire et faussée. Il est avant tout son ami. Qu’il soit un ange ou un démon, peu importe, il est son ami. C’est tout ce qui devrait importer pour l’invitation au mariage, dans un monde où Arthur n’aurait pas injustement mêlé Rory à ses états d’âme.

La révélation de ce qui est arrivé à Charlotte a tout pour le prendre de court et le mettre profondément mal à l’aise, au point où il s’arrête un instant pour accuser l’annonce. L’idée d’une telle scène lui donne la nausée, ni plus ni moins, et il tente maladroitement de trouver les mots justes pour rassurer son ami, en vain. Il n’y a rien qu’il puisse dire pour calmer son cœur, parce que le mal a déjà été fait et que plus personne ne pourrait le changer désormais. « Comme tu ne t’attendais pas à ce que je tombe sur Greta ? » Leurs regards se croisant, Swann hoche la tête un instant. Greta lui a déjà dit être tombé sur lui, et il n’est pas étonné d’entendre le discours en sens inverse. Ce n’est pas le moment pour une telle discussion, si tant est qu’il voudrait réellement en discuter. Aux yeux de Swann, il n’y a rien de plus à dire: elle avait besoin de temps et d’espace, et si c’était à refaire alors il n’y changerait rien. « C’est où l’endroit dont tu m’as parlé ? » Voilà pourquoi le moment n’est pas opportun pour parler de Greta: ils doivent s’occuper d’un seul problème à la fois, et le plus urgent semble évidemment être l’envie croissante de son ami de consommer. “Il faut que tu viennes avec ta marchandise.” Il commence simplement et lui rappelle les règles telles qu’elles sont, bien conscient qu’il a trop envie de consommer par lui-même pour que les mots de Swann le poussent dans cette direction: il l’aurait de toute façon fait. “C’est dans le coin. Moins d’un kilomètre, je dirais.” Il connaît l’emplacement, il connaît le chemin pour y aller, mais il n’a pas de plan inséré dans son esprit. Tout ce qu’il sait, c’est que l’organisme est bien assez proche pour qu’Arthur puisse au moins avoir une consommation sécuritaire, pour une fois. “Je suis pas obligé de venir avec toi, même. Je peux juste te montrer où c’est et du reste, tu fais comme tu l’entends.” Il ne cherche pas à l’étouffer, tout comme il tente de lui dire qu’il a confiance en lui. Malgré tout le reste, malgré ce qu’il se passe, il a confiance en lui.

« Je ne veux pas te voir à mon mariage dans cet état. » Il l’avait bien entendu la première fois, il y a des semaines de cela. Pas dans cet état, pas en étant le Arthur qu’il était capable d’être actuellement. Il avait insulté le fiancé de son ami et avait perdu bien des privilèges au travers de ce comportement derrière il venait cacher tout ce qu’il n’était plus en capacité d’assumer. Cela ne faisait pas d’Arthur un bon ami, mais Swann paraissait avoir une définition bien différente de la sienne. Une qu’il ne prendrait pas le temps de lui expliquer, parce que Swann a compris le manège dans lequel Arthur cherchait à les traîner. Il utilisait tous les tours présents dans le bouquin de la distraction, tout était excuse pour ne pas aborder le sujet de son addiction de manière plus frontale encore. Il se pensait presque malin à jouer la carte Greta à cet instant, mais le regard que Swann lui porta vint étouffer ses illusions. Swann ne tomberait plus dans le piège, il ne lui donnerait pas l’excuse de devenir méchant pour la simple gratuité de la chose. Ils pourront parler de Greta un autre jour, pas alors que Swann attend toujours de savoir ce qu’Arthur avait l’intention de faire. Il avait beau se débattre, chercher un chemin de traverse, Swann n’allait pas lui faire de cadeau. Arthur s’épuisait contre le vent, il avait abattu certaines de ses cartes les plus précieuses sans que jamais son ami ne change de cap. Désormais Swann avait une meilleure vision de tout ce qui n’allait pas chez Arthur et pourtant il lui offrait encore la possibilité de lâcher prise sur son addiction, juste une fois, de manière contrôlée. « Il faut que tu viennes avec ta marchandise. » N’avait-il pas parlé de produit clean ? Arthur n’avait pas envisagé que cela puisse comprendre l’idée même que quelqu’un allait tout simplement contrôler ce qu’il ramenait avec lui. Déjà une liste de quelques fournisseurs se dressait dans un coin de sa tête, il allait falloir dépenser quelques dollars de plus, pour une came qui tienne la route. Déjà ses doigts cherchaient son téléphone dans la poche arrière de son jean, il allait devoir contacter quelqu’un, convenir d’un lieu de rencontre, la danse il la connaissait par cœur. « C’est dans le coin. Moins d’un kilomètre, je dirais. » Arthur hocha la tête tout en commençant à rédiger un message texte qui avait pour effet d’effacer les dernières tensions présentes dans ses muscles. Il allait pouvoir prendre une dose, ce ne serait sûrement pas assez, mais ce sera quelque chose, juste assez pour apaiser son esprit le temps de quelques heures. « Je suis pas obligé de venir avec toi, même. Je peux juste te montrer où c’est et du reste, tu fais comme tu l’entends. » Il venait de recevoir une réponse et déjà il hocha la tête. « Je veux pas que tu sois avec moi quand je vais récupérer ce qu’il faut. » Il ne mêlera pas Swann à ce genre de monde, il en était hors de question. « Mais si c’est pas loin, on peut juste aller dans la bonne direction ensemble et je t’appellerais un taxi. » Il n’aura qu’à lui pointer le reste du chemin, Arthur allait se rendre dans ce centre. Il devait au moins cela à Swann et peut-être qu’il se devait cela à lui-même ? Pour ne pas replonger tête baissée, parce qu’au milieu de cette conversation loin d’être plaisante, Arthur avait compris que son envie de vivre restait plus forte que tout. La dépendance lui avait déjà trop pris au cours des années. « Je te promets que je vais y aller. » Il était prêt à cracher par terre. « Je leur demanderais un papier, pour te montrer. » Il était rodé à l’exercice, prouvé qu’il cherchait le bon chemin, prouver qu’il suivait les étapes qu’importe combien de fois il avait raté la marche dans son ascension. Il continuerait à le faire si Swann lui demandait, pour être sûr de sauver les quelques miettes d’amitié qui persistait entre eux.

« Merci Swann. » C’est bien tout ce qui lui restait à dire alors que les deux garçons reprirent leur chemin. Arthur n’allait pas mieux, il n’ira pas mieux en un claquement de doigt, mais il essayait pour son ami.