toowong :: st vincent's hospital

Chaque prise de poste détenait un goût amer depuis janvier et j'abhorrais particulièrement cette pointe de culpabilité qui me tiraillait dès que je quittais le domicile familial pour une nouvelle garde. Bien que Penny et moi nous étions expliqués quant au reproche que cette première m'avait formulé vis-à-vis de mes absences répétées de la maison, j'étais incapable de ne pas m'horrifier devant la mesure des sentiments de la jeune femme qu'elle m'avait certes adressés sous le coup d'un cocktail d'émotions et d'hormones. Une partie de mon être ruminait sans cesse, rancunier, vexé, se plaisant à regretter ma situation parce que je n'étais pas capable d'envisager mon quotidien sans exercer mon métier d'infirmier. Penny ne m'en avait jamais demandé autant, bien entendu, mais j'avais conscience qu'il me fallait libérer encore davantage de temps et les pistes pour se faire devenaient de plus en plus réduites. Devrais-je plutôt inciter ma petite amie à reprendre sa carrière ? A kidnapper notre fille pour la mettre à la garderie de St Vincent's pendant que mon fils était à l'école, de sorte à imposer à Penny du temps pour elle et libérer une potentielle charge mentale qui incombait à son rôle de mère au foyer - qu'elle exerçait certes avec brio ? Ces reproches pouvaient-ils s'estomper en modifiant la vie de tous les jours de ma petite amie, faute de réussir à modifier suffisamment la mienne ? Je me trouvais plutôt égoïste et culotté de songer ainsi, mais mis à part prendre le pari fou de quitter mon poste à St Vincent's, je me sentais démuni afin d'assurer le rôle de conjoint et de parent dont j'aimerais voir Penny fière.

Désireux d'améliorer à tout prix cette situation au nom de ma famille qui m'était prioritaire, je nourrissais un projet saugrenu que je pourrais éventuellement mettre en place avec une collègue infirmière et le soutien de ma sœur, mais encore fallait-il que je parvienne à tourner la page sur ma carrière à St Vincent's, à ce service des urgences qui m'avait fait passer par tous les sentiments possibles mais qui m'avait aussi aidé à tenir la tête hors de l'eau. Si j'étais encore là aujourd'hui, c'était grâce à ce métier éprouvant dans lequel je me dédiais corps et âme. Lui tourner le dos dans ce cadre précis me renversait l'estomac, je me sentais tel le capitaine d'un navire en mer agitée, incapable de décider si je devais prendre une nouvelle route ou l'ordinaire qui ne s'avérait à première vue pas des plus judicieuses, quand bien même elle m'avait toujours apportée énormément. Néanmoins, mon navire était bien différent désormais et les passagers qui s'y trouvaient comptaient plus que tout au monde et m'étaient indéniablement prioritaires. De plus, je désirais être la meilleure version de père et de conjoint que je pouvais offrir.

Aux portes du centre hospitalier, je m'efforçais d'abandonner mes déboires internes. Professionnel, je me focalisais sur mon métier et mes responsabilités, même si à chaque accalmie, les volets de ma vie personnelle qui blanchissaient de plus en plus mes nuits me rattrapaient immanquablement. Le service des urgences connaissait un flux plutôt soutenu pour cette garde, doublé d'un sous-effectif tristement habituel. Après avoir terminé la prise en charge d'un enfant de cinq ans victime d'un accident domestique qui lui avait laissé les mains brûlées aux premier et deuxième degrés, je saisissais la fiche du prochain patient que me tendait l'assistante de régulation. Je m'approchais de la salle d'attente tout en lisant à voix haute, après avoir pris rapidement connaissance des informations inscrites : « Rosalie Griffiths ? » Je levais les yeux, un air de compréhension sur mon regard, liant les points entre le nom de famille de ma voisine et ce joli prénom que portait sa nièce. C'est ainsi à peine surpris que je remarquais Mabel se lever, accompagnée de son enfant aux joues rougies et aux paupières lourdes. « Bonjour. Suivez-moi, » je l'invitais avec un sourire amical jusqu'au box, prêt à porter l'enfant si nécessaire. « Je m'occupe de vous dans un premier temps et le pédiatre passera ensuite, d'accord ? » J'informais, hésitant à me présenter de nouveau, la mascarade de Thanksgiving et le passage aux urgences de Mabel lors de sa grossesse pourraient être suffisant pour qu'elle m'ait reconnu. Dans le doute, je formulais toutefois : « Je ne sais pas si vous m'avez reconnu mais je suis Isy, l'infirmier. On s'est déjà croisé ici et je suis un ami de Maddy. » Je synthétisais : autant ne pas remuer les catastrophes. Je m'agenouillais face au cosy, caressant doucement la main repliée du bébé qui présentait une respiration rapide avec inspiration et expiration sifflante. « Hey Rosalie. On va te sortir de ton joli carrosse, d'accord ? » Je détachais les sangles et transférais le bébé aux bras de sa mère. « Ca fait combien de temps qu'elle est malade et qu'elle ne mange plus ? Vous avez remarqué d'autres comportements inhabituels de sa part ? » Je questionnais sur un ton calme et posé tout en démarrant le moniteur. « Je te pique ta chaussure, Cendrillon, mais promis je te la rends après, » j'informais en déchaussant l'enfant puis en lui retirant sa chaussette afin de fixer l'oxymètre à son gros orteil et prendre connaissance de son taux de saturation d'oxygène dans son sang.

Mon regard passa rapidement de la mère à l'enfant fatigué aux joues rosies et à la respiration rapide et sifflante lorsque Mabel m'indiqua m'avoir reconnu tout en précisant qu'elle était une amie de Penny. Je notais ce qualificatif dans ma mémoire, me promettant de le rapporter à ma petite amie qui serait sans nul doute heureuse de savoir que Mabel la définissait ainsi vu leur passé assez houleux.

« Elle est malade depuis quelques jours. Un rhume qui traîne à la crèche. Les auxiliaires m'ont remontré comment bien lui laver le nez, et ça allait, » j'acquiesçais avec un sourire encourageant tout en installant la petite sur les genoux de sa mère. « Il y a pas mal de virus qui courent, en ce moment. C'est important de pouvoir lui laver le nez, ça l'aide à respirer, » j'informais sur un ton qui se voulait rassurant, excluant Rosalie du rang des infortunés solitaires. « Ce matin, elle était bougon, et elle a refusé de manger. J'ai tout essayé, mais à part quelques gorgées de lait, elle n'a rien pris. Et là, elle est toute somnolente. Je pense que la fièvre commence à monter, mais elle en avait pas quand on est parti pour les urgences. » Je retirais sa chaussure ainsi que sa chaussette pour mettre en place l'oxymètre. Je prenais connaissance de la courbe de saturation en oxygène qui flirtait avec la détresse respiratoire tout en valorisant la réaction de la jeune maman : « Vous avez bien fait de venir. A partir du moment où vous sentez que votre enfant est gênée pour respirer, qu'elle n'arrive plus à manger et que son comportement est inhabituel, il ne faut pas hésiter à venir nous voir. C'est la bonne chose à faire. » Je croisais le regard de la mannequin. « On va retirer ça, » j'invitais en déboutonnant le haut de Rosalie. « Elle va bien ? » « Elle a du mal à respirer mais on va l'aider. » Je prenais l'enfant pour l'allonger sur le lit et l'examiner, remarquant les muscles que la petite contractait pour respirer. « Allez ma puce, on va laver le nez, » j'informais à la fillette qui gémissait déjà. « Je sais c'est pas cool. T'en fais pas, maman est juste à côté, » je poursuivais en m'efforçant de dégager ses voies respiratoires, mes gestes sûrs et délicats, mon regard captant régulièrement la courbe du taux d'oxygénation. « Vous voyez le nombre bleu à l'écran ? Rosalie est à 92%, l'objectif c'est 100%. Le pédiatre de garde ne va pas tarder, je l'entends juste à côté. » Le bambin reprenait place dans les bras de sa mère et le praticien entra dans le box. Je mettais en place des lunettes à oxygène à l'enfant pendant que le médecin demandait à Mabel si elle n'avait pas été témoin de la fillette qui aurait perdu connaissance récemment puis l'ausculta de son stéthoscope. « C'est une bronchio avec détresse respiratoire, » trancha l'homme en me regardant avant de reporter son attention sur Mabel. « Vous avez bien fait de venir, Madame. Son état s'aggrave, elle va avoir besoin qu'on l'aide avec de l'oxygène ce que mon collègue a déjà mis en place. Puis on va la surveiller un petit peu le temps que ça aille mieux et on va l'aider pour manger aussi pour ne pas qu'elle se déshydrate, d'accord ? Ca va aller, » annonça-t-il en se voulant rassurant.

Rosalie geignait faiblement dans les bras de sa mère, les lunettes d'oxygène maladroitement calées au niveau de son petit nez, pendant que le pédiatre l'auscultait par des gestes assurés, s'adressant tantôt à moi, tantôt à Mabel, sur l'état de la petite. « Elle va rester longtemps à l'hôpital ? » « On va la surveiller plusieurs jours pour vérifier que son état ne se dégrade pas, » répondit le praticien, restant évasif de manière à ne pas peindre un tableau trop optimiste à la jeune femme sur la durée de l'hospitalisation de son enfant. « On va vous installer dans une chambre puis on va lui faire une radio des poumons. Ca va aller, vous êtes arrivées au bon moment, » rappelait-il en conclusion en regardant la Griffiths. Il me délivra quelques indications puis salua : « Je repasserais tout à l'heure. »

« Elle va s'en sortir, hein ? Elle va finir par aller mieux ? » Les trémolos dans la voix de la mannequin me stoppèrent dans mes gestes et je dédiais un regard empli de douceur et de compréhension à mon interlocutrice, armé de l'objectif indéniable de la rassurer. « On va tout faire pour qu'elle aille mieux très vite, » je m'engageais sur un ton aussi calme que catégorique, comme si cela invoquait une vérité générale qui ne pouvait laissait placer qu'à une issue positive. « Elle souffre d'une bronchiolite, il s'agit d'une infection virale dans ses poumons, » j'expliquais avec délicatesse, soutenant l'attention de Mabel, aux aguets de signes de confusion ou d'incompréhension de sa part que je me tâcherais d'éclaircir. Je me doutais que les événements se succédaient rapidement et cela pouvait être à la fois inquiétant et intimidant, surtout dans un milieu potentiellement méconnu et aux connotations souvent stressantes. « L'apport en oxygène soulage ses poumons en l'aidant à respirer. Je vais aussi régulièrement dégager ses voies respiratoires. Puis on va l'aider pour manger pour ne pas qu'elle se déshydrate. Je lui poserai une perfusion pour cela, pour économiser ses forces, » j'annonçais lentement, telles les étapes auxquelles se préparer menant au futur bien-être du bébé. « La radio dont le médecin parlait servira à connaître l'étendue de l'infection virale dans ses poumons, » j'expliquais posément et patiemment. « Ca fait beaucoup d'un coup mais elle est entre de bonnes mains, » je garantissais sur une voix réconfortante en faisant référence à l'équipe de professionnels de santé en poste.

Rosalie dans les bras de Mabel, je me chargeais de prendre les affaires de la mère et de la fille tout en les guidant vers la chambre qui leur était désormais réservée. Aidé par une collègue, une perfusion avait été posée sur la petite, non sans quelques malheureux cris et pleurs, qui furent néanmoins bien heureusement brefs, la capacité à distraire l'enfant de ma collègue et mes gestes rapides et précis résultant de mes innombrables services en pédiatrie ayant été de bons atouts. « Le technicien ne tardera pas à venir pour lui passer la radio. Il se déplacera directement ici. Est-ce que vous voulez quelque chose ? Un café ? Que j'appelle un de vos proches ? » Je proposais.

Tout en œuvrant pour dédier rapidement une prise en charge efficace à Rosalie, je m'appliquais à fournir des explications aussi claires et structurées à Mabel sur une intonation calme et patiente. La dernière chose que je souhaitais était de laisser la jeune maman confuse ou davantage effrayée par le contexte hospitalier aisément intimidant et stressant, surtout lorsque l'état de son enfant requiert une hospitalisation. Par ailleurs, j'étais intimement convaincu que les états d'âmes de la Griffiths seraient ressentis par son enfant, ainsi, épauler et accompagner cette première détenait toute sa plus-value dans les soins à prodiguer au bambin. « J'aurai pas dû l'emmener à la garderie... C'est de ma faute. » J'offrais un regard empli de compréhension à la trentenaire tandis qu'un léger sourire encourageant se dessinait sur mes lippes. « Ce n'est pas de votre faute, ce sont des choses qui arrivent. Les enfants attrapent tout ce qui court jusqu'à leur sept ans, l'important est de prendre bien soin d'eux lorsqu'ils tombent malades, ce que vous avez très bien fait jusque là, » je valorisais. « On ne peut pas mettre sa vie en stand-by à chaque épidémie, malheureusement, même si je ne doute pas que vous voulez que votre fille aille toujours bien, » je faisais, relatif. Si être parent s'accordait de nombreuses responsabilités, il n'y avait à mes yeux aucun mal à recourir à un mode de garde et ne pas désirer devenir parent au foyer, qui constituait en lui-même un métier à part entière. « Les enfants tombent malades, guérissent, se renforcent, » je présentais, sur un ton de vérité générale qui se voulait réconfortant, l'ordre optimiste des choses que je souhaitais pour la petite que j'apprêtais à perfuser avec l'aide de ma collègue.

L'enfant installée dans sa chambre, je proposais à Mabel un café et de contacter une personne de son choix. « Oh... Personne n'est disponible. Mais ça va aller. On sait s'en sortir toutes les deux. » Je souriais tendrement à mon interlocutrice, opinant avec sincérité. La mannequin avait en effet tout l'air d'une femme avec la tête sur les épaules et le coeur au bien-être de sa fille. « Je veux bien un café. La nuit va être longue, non ? » « Vous ne serez pas seules. On passera régulièrement voir comment ça va dans la chambre et le moniteur de Rosalie est suivi dans la salle des infirmiers en tout temps. Aussi, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à sonner. » Je démontrais le dispositif à Mabel. « Et si vous avez besoin de vous absenter de l'hôpital, vous le pouvez aussi. On veillera bien sur Rosalie, » je m'engageais avec neutralité. Il n'était pas rare que des parents ressentent le besoin de rejoindre leur domicile car d'autres de leurs enfants les y attendaient ou ils nécessitaient de récupérer quelques heures après s'être occupés de leur enfant souffrant. « Je vais vous chercher un café, » j'annonçais pendant que l'australienne poursuivait à caresser les boucles de la petite, geste qui paraissait apaiser autant la mère que l'enfant.

Lorsque je revenais avec le gobelet fumant, le manipulateur en électroradiologie médicale sortait de la chambre. « Je vous le mets là, » j'informais sur une voix douce, ne souhaitant pas brusquer le duo, en déposant le gobelet sur la tablette. Rosalie était désormais assoupie, ses constantes vitales moins alarmantes qu'à son arrivée. « Comment vous vous sentez, vous ? » Je demandais avec attention, sincèrement intéressé par l'état de la mère.

Un sourire compréhensif se dessina sur mes lippes lorsque Mabel m'indiquait qu'elle ne comptait pas s'absenter du centre hospitalier, sa fille détestant de surcroît ne pas être avec sa mère lorsqu'elle était malade. Aux gestes des deux australiennes et aux intentions de l'actrice, je comprenais que ce duo mère-fille était des plus solides, l'actrice démontrant un dévouement certain à l'attention de sa progéniture. « Vous êtes assurément un grand réconfort, » je commentais en observant tendrement la fillette. La prise en charge du bambin me rassurait, tout comme la possibilité que sa mère puisse éventuellement souffler pendant que les soignants prendraient le relai pour soulager la petite. L'épuisement parental était une conséquence sur laquelle je veillais, ayant été témoin à de trop nombreuses reprises des désastreuses conséquences qu'il pouvait imposer aux familles.

C'est ainsi armé de l'objectif de faciliter un petit peu la vie de Mabel qui avait déjà dû essuyer quelques jours de maladie que je partais en quête d'un café chaud. La route fut hachée de quelques tâches inopinées et un sentiment de culpabilité me tiraillait de manière lancinante alors que je songeais à ma propre compagnie qui gérait notre foyer trop souvent seule, même si j'essayais d'être le plus présent possible. Si j'avais craint que la Griffiths soit épuisée et je lui avais proposée sans jugement aucun qu'elle parte se resourcer quelques heures, je ne présentais pas cette offre assez souvent à mon goût à ma propre conjointe, même si je m'évertuais à la soulager dès mon retour à la maison. Je m'étais promis de dénicher des solutions pour alléger les journées de Penny, surtout que sa grossesse l'exténuait davantage. Je refusait d'essuyer de nouveau le reproche de mon absence et de la charge qui en incombait injustement sur les épaules de mon amoureuse.

Je déposais le gobelet fumant sur la tablette de la chambre, étudiant machinalement l'enfant et le monitor. Puis, je questionnais sincèrement à la maman comment elle se sentait. « Fatiguée et un peu angoissée. Mais surtout rassurée que Rosie soit prise en charge. » « Elle sera traitée aux petits oignons, » je promettais, espérant amoindrir les angoisses de la mannequin par la même occasion. « Ca va suivre son cours, maintenant, » je relativisais sur un ton posé. « Un nouveau défi sera d'essayer de prendre des forces pour quand elle vous demandera de nouveau toute votre vigilance, » j'invitais avec candeur, sourire sincère aux lippes.

Un air surpris apparut brièvement sur mon portrait lorsque je percevais le nom de mes enfants. « Ils vont bien, » je confirmais, le regard pétillant d'affection. « Jude a commencé l'école il y a peu et Maia à faire un peu plus ses nuits, » je présentais avec légèreté. « Jude est impatient de devenir grand frère de nouveau et j'aime penser que Maia donnera le relai des nuits blanches à ses cadets, » je formulais avec une touche d'humour, sachant que Mabel était au courant de la grossesse de Penny qui la lui avait annoncé au cours d'une de leurs dernières rencontres. « Ca fait un petit moment que je n'ai pas vu Maddy et Paola, » je remarquais. Entre la maison agitée, le travail et mes activités associatives, croiser ma voisine s'était avérée une occurrence de plus en plus rare. D'ailleurs, je me surprenais à me demander si Mabel avait pour sa part repris le travail et si oui, quand son congé s'était-il terminé. D'une manière détournée, j'essayais d'élucider : « S'il vous faut un document du médecin pour justifier éventuellement une absence auprès de votre employeur, je peux laisser une note au médecin pour qu'il vous le prépare. »

« Ca va aller, » j'encourageais une dernière fois face au sourire davantage poli que convaincu qui se dessinait sur le portrait de Mabel. La célébrité avait assurément essuyé une bonne dose de stress du à la dégradation fulgurante de l'état de sa fille. Désormais, Rosalie était prise en charge par une équipe compétente et ses premières réactions suscitaient un optimisme que je souhaitais communiquer à la mannequin autant pour elle que pour sa progéniture, même si le professionnel que j'étais demeurais prudent. En effet, à mes yeux, une maman rassurée et confiante déteignait forcément positivement sur son enfant, bien que les petits détiennent cette capacité à passer du meilleur au pire en un temps tristement record.

« J'espère aussi, » j'avouais dans un léger rire bien que la prière était tout à fait sincère. Du haut de ses huit mois, ma fille ne faisait que commencer à faire ses nuits, ce qui nous incitait à poursuivre d'envier tous parents dont les enfants s'assoupissaient religieusement dès le soir tombé et ce durant plusieurs heures. Si notre routine s'était adaptée aux horaires décalés de la petite fille, l'arrivée des jumeaux imposerait à n'en point douter une nouvelle gymnastique que je craignais, en particulier lorsque nous étions déjà épuisés et que je n'étais pas, comme me l'avait reproché Penny avec raison lors de sa première échographie qui avait révélé le caractère gémellaire de sa grossesse, assez présent à la maison pour la soutenir. J'inspirais profondément, chassant ces appréhensions pour me concentrer sur Mabel. Spontanément, je vouais une pensée à Maddy, sa sœur et mon amie et voisine que je n'avais pas croisée depuis un certain temps.

Je m'appliquais à rester neutre lorsque la trentenaire évoquait les difficultés que rencontrait Maddy avec son amant - ce dernier m'était apparu comme un homme jaloux et possessif malgré son âge avancé suite à son scandale sur le berceau que j'avais offert pour Paola. Mon portrait ne se dérida pas davantage malgré la surprise qui m'envahissait lorsque j'apprenais que les sœurs participaient au même casting sans se renseigner sur quels rôles elles ambitionnaient. Etait-ce là une pratique courante ? Je me promettais de questionner Penny à ce sujet. « Je vous souhaite d'avoir le rôle que vous désirez, alors. Vous aurez les résultats bientôt ? Il vous reste plusieurs étapes de casting ? Enfin, je ne sais pas si vous avez des feuilles de route dans ces recrutements. » Je questionnais avec intérêt, même si mon vocabulaire n'était probablement pas adapté à cet environnement et qu'on ne parlait pas de "résultats", de "feuille de route" ou de "recrutement" dans ce contexte. Je me fiais aux anecdotes relatées par ma conjointe sur ses propres castings, tout en étant intéressé par ce fonctionnement car il représentait une partie de la carrière de ma petite amie pour laquelle elle s'était incommensurablement consacrée. « Ca fait longtemps que vous faites ce métier ? » Je m'entendais ensuite questionner curieusement. J'avais entendu parler de Mabel par Penny et Maddy pour sa profession de mannequin davantage que celle d'actrice. « Ca marche, » je répondais lorsque la Griffiths m'annonçait s'être organisée avec son employeur en constatant l'état de sa fille. « Dans tous les cas, si jamais vous changez d'avis, ou même au cas où, n'hésitez pas. »