toowong :: st vincent's hospital

Je passais une main sur mon visage fatigué, y gommant les maigres traces de sommeil léger, après avoir promptement éteint l'alarme de mon téléphone, de peur que la sonnerie réveille Penny ou les enfants qui avaient fini par se glisser dans notre lit à mesure du fil nocturne. Le soleil ne percerait pas le ciel avant quelques heures encore et précautionneusement, je m'extirpais des draps, veillant à ne pas extrait des bras de Morphée le reste de ma famille. Je déposais avec une infinie douceur un baiser sur le front de ma petite amie avant d'attraper ma tenue et me glisser silencieusement à l'extérieur de la chambre.

Machinalement, je me préparais pour mon service de douze heures à l'hôpital. Mes gestes étaient calculés et méthodiques, la routine bien rodée après des années à la répéter, bien que quelques éléments s'y étaient ajoutés, notamment pour aider Penny lorsqu'il serait également l'heure pour elle de commencer sa journée avec les deux petits. Mes affaires dans mon sac à dos et un large café noir dans mon thermos, je quittais discrètement la maisonnée et montais dans ma voiture en route vers St Vincent's.

Bien que la situation s'était éclaircie entre nous, mon cœur ne manquait de se serrer lorsque je franchissais le pas de la porte de notre domicile, ressassant le reproche de mon amoureuse signifiant que j'étais jamais à la maison. J'avais conscience que les émotions mêlées aux hormones avaient eu le meilleur de son sang-froid et avaient pu grossir les traits des émotions qui la saisissaient alors ; néanmoins, une pointe de culpabilité demeurait lancinante en moi. Ma carrière était telle qu'en effet, mes journées étaient longues et malheureusement, je n'étais pas autant présent que je le souhaiterais pour mes proches. J'élaborais des projets afin de me libérer du temps pour ma vie de famille dès que possible, mais en attendant, chaque prise de poste s'accompagnait d'une amertume, que je m'efforçais toutefois de laisser aux portes de l'hôpital.

Je saluais amicalement mes collègues avant de troquer mes vêtements de civil pour mon uniforme d'infirmier. Je prenais place sur un tabouret en attente du début des transmissions, sirotant peu à peu mon café. Puis, le relai se fit aussi fluidement que possible entre l'équipe de jour et de nuit. Quelques heures plus tard, ce fut au tour des internes de se relayer et j'apprenais que Jia serait de garde aujourd'hui. En sortant d'un box pour compléter le dossier informatique du patient auquel je venais de prodiguer des soins, je remarquais la fine silhouette de la future docteure, adossée décontenancée au mur, à côté du large tableau blanc sur lequel les noms des patients défilaient en précisant l'équipe qui les prenait en charge et leur futur transfert selon la spécialité qui les concernait. "Hey, Jia," je lui lançais doucement en percevant la jeune femme en proie à de fortes émotions. "Viens, suis-moi," je l'invitais à s'asseoir dans la salle de repos inoccupée où ses sens seraient moins sollicités par les nombreux bruits et passages des personnels et patients. J'entrouvrais la fenêtre pour lui offrir un peu d'air. "Prends de grandes inspirations, ça va aller, ça va passer," je lui promettais en m'agenouillant face à elle. "Concentres-toi sur ma voix. Inspire lentement, profondément, jusqu'à ce que tes poumons soient remplis. Retiens l'air un peu," je l'accompagnais d'une voix posée. "Puis expire tout doucement, lentement, rien ne presse," je formulais, attentionné. "Et tu peux recommencer autant de fois que tu en as besoin, ça va aller de mieux en mieux," j'invitais. Lorsque je remarquais que l'interne reprenait peu à peu pied, je lui demandais sur un ton calme et à l'écoute : "Qu'est-ce qui se passe ?"

Silencieusement, j'observais avec attention Jia tandis qu'elle appliquait avec obéissance les astuces que je lui avais adressées en vue de stabiliser son rythme cardiaque. A mesure des profondes inspirations et longues expirations qu'elle produisait, la Choi reprenait contenance, la fine brise australienne nous enveloppant, s'infiltrant dans la salle de repos pas la fenêtre précédemment ouverte par mes soins. Lorsque l'étudiante me parut assez éloignée de l'emprise de l'angoisse, je me permettais de la questionner sur les raisons de son tourment.

Je me posais sur l'un des tabourets roulants, écoutant avec attention le récit de la jeune femme qui me contait les souvenirs de harcèlement liés à cette patiente qu'elle ne s'était pas attendue à recevoir aux urgences. Je la considérais avec calme et neutralité, me gardant de laisser transparaître mon avis ou les émotions qui me traversaient en découvrant cette partie du passé de l'étudiante. J'avais eu la chance de ne jamais être harcelé durant mon cursus scolaire mais j'avais conscience à quel point l'intimidation pouvait créer de lourds et parfois irréparables dommages. Heureusement, il me semblait que cette époque était dorénavant derrière Jia, ou du moins, que la chinoise était désormais respectée de ses pairs et que l'ambiance du primaire ou du secondaire ne la pourchassaient pas sur les bancs de l'université ni sur ses terrains de stage. Désormais, il fallait probablement savoir faire la paix avec son passé, savoir grandir des torts et des blessures qu'ont causé injustement des camarades de classe qui y étaient nullement légitimes.

Je conservais le silence pendant que Jia me décrivait avec des paroles lourdes de sens les désirs de vengeance qui l'animaient vis-à-vis de son ancien bourreau. Il était aisé de comprendre son refus de venir en aide à cet individu qui lui avait causé tant de peines et détenait une emprise néfaste sur elle. Il pouvait être naturel pour mon interlocutrice de désirer rendre la monnaie de sa pièce à cette personne qui avait terni des chapitres de son histoire. Néanmoins, ce comportement avait aucunement sa place dans un établissement de santé. "Si je peux me permettre un conseil, Jia, tu ne peux pas réécrire le passé mais tu peux décider comment cette jeune femme te fait sentir, maintenant. Elle n'a pas de pouvoir sur toi, elle ne peut pas te définir. Seule toi en est capable," je glissais avec délicatesse. Si fréquenter cette personne avait été impératif durant sa  scolarité, désormais, Jia était défaite de cette proximité. De plus, elle suivait des études de médecine, était une jeune adulte qui faisait chaque jours ses preuves dans ce monde, sa place sur notre planète. Il serait à mes yeux regrettable qu'un tyran du passé lui mette des bâtons dans les roues. "Je peux m'occuper d'elle, ça ne me dérange pas," j'offrais avec empathie. "On a tous des situations qu'on ne veut pas confronter, on a tous des patients qu'on préfère éviter dans certaines étapes de nos vies, pour notre bien-être et le leur aussi," j'avouais avec transparence. La complicité entre collègues entraient ainsi en jeu, ce que la Choi découvrirait sans doute au fil de sa carrière. "Ce n'est pas une tare de s'éloigner d'une prise en charge et de déléguer quand c'est pour le bien de tous", j'affirmais, précisant l'exercice de connaître et respecter ses limites. Les professionnels de santé avaient tout des êtres humains, et comme chaque humain qui se respectait, des circonstances pouvaient s'imposer comme inacceptables pour chacun d'entre nous. Heureusement, nos tolérances étaient différentes en raison de nos vécus divergents, ce qui permettaient toujours de se soutenir et se remplacer. "Néanmoins, aucun soignant ne peut se permettre de se venger sur un patient, aussi mauvais soit-il. C'est contre notre pratique." Jia perdrait plus à maltraiter un malade qu'à passer la main. De plus, nous étions employés pour soigner chaque malade, peu importe ses horizons et son historique, telle était notre devoir et vocation. J'avais été l'infirmier de nombreux criminels, harceleurs, délinquants, manipulateurs et j'en passais, et même si la morale dictait qu'ils méritent de souffrir, l'éthique et les règles de notre métier l'interdisait. Ma conscience professionnelle me garantissait disposer du recul nécessaire sur ces situations pour traiter ces patients aussi bien que tous les autres. Mes propres faiblesses se situaient sur d'autres prises en charge hospitalières qui résonnaient avec mon vécu, comme celle-ci devait probablement le faire pour Jia, suscitant mon offre de lui épargner ce mauvais moment.

Il était difficile pour moi de concevoir que la fille dans le box était celle qui m'avait pendant si longtemps persécutée à l'école. J'avais même du mal à garder mes esprits clairs et à ne pas vouloir mettre en place une vengeance. Seulement, j'étais bientôt médecin et mon code d'honneur ne pouvait pas me permettre ça. J'expliquais tout à Isaac qui prenait le temps de m'écouter et qui ne semblait pas émettre de jugement, s'était surement une des raisons pour laquelle les gens aimaient travailler avec lui. Il était à l'écoute des patients, mais aussi du personnel et s'était une qualité importante, surtout dans ce milieu. "Si je peux me permettre un conseil, Jia, tu ne peux pas réécrire le passé mais tu peux décider comment cette jeune femme te fait sentir, maintenant. Elle n'a pas de pouvoir sur toi, elle ne peut pas te définir. Seule toi en est capable," Je hochais doucement la tête, pour l'instant, elle avait réussi à me sentir comme à l'époque. Une moins que rien incapable de faire quoi que ce soit de sa vie à part endurer les coups et les insultes.

"Je peux m'occuper d'elle, ça ne me dérange pas," Je posais mon regard dans le sien, s'était très gentil de sa part. "On a tous des situations qu'on ne veut pas confronter, on a tous des patients qu'on préfère éviter dans certaines étapes de nos vies, pour notre bien-être et le leur aussi," Je haussais les épaules, "Sauf que je suis censé être le médecin et que je ne devrais pas être atteinte par ça...Tu ne devrais pas faire mon travail..." Je soupirais doucement. "Ce n'est pas une tare de s'éloigner d'une prise en charge et de déléguer quand c'est pour le bien de tous" Il était certains que ce n'était pas très grave, mais je ne voulais pas demander ce genre de chose à Isy. Après tout, s'était moi qui devrait prendre en charge cette femme, même-ci elle m'avait fait souffrir. "Néanmoins, aucun soignant ne peut se permettre de se venger sur un patient, aussi mauvais soit-il. C'est contre notre pratique."

Je souriais doucement, "Oui, je sais bien que la vengeance n'est nullement autorisé au sein de l'hôpital et de la société également...Peut-être que tu pourrais m'accompagner et m'assister dans la manœuvre ? Ainsi, je fais tout de même mon boulot tout en ayant un soutiens de ta part ?" J'étais capable de faire des points de sutures seule, mais face à cette femme je n'étais pas certaine de pouvoir y arriver. "En plus, tu pourras l'occuper et ainsi elle évitera de me poser des questions...enfin, si tu n'as rien d'autre à faire bien entendu ?!" Je souriais une nouvelle fois avant d'ajouter, "Merci beaucoup d'avoir pris le temps avec moi Isy !" C'était réconfortant de voir que le personnel soignant était aussi présent pour l'équipe.

Face à la détresse de Jia dont je ne me sentais pas entièrement étranger pour connaître mon propre lot d'embûches parsemant mon histoire, je m'enquérais de lui prodiguer les paroles et les conseils que j'aurais aimés recevoir lorsque j'étais aux proies de l'angoisse. Peu à peu, je sentais l'interne se détendre dans la salle de pause et sur un ton calme et posé, au sein duquel aucun jugement n'était présent, j'invitais l'étudiante à se concentrer sur son avenir et sur la version d'elle qu'elle souhaitait offrir à ses patients. Je reconnaissais entièrement le fait que des situations et des individus puissent nous pousser dans nos retranchements et raviver des instants douloureux de notre existence, tout comme je n'étais pas opposé au fait de déléguer des prises en charge si cela valait mieux pour le soignant comme pour le soigné. En effet, j'estimais que nous ne pouvions pas taire entièrement notre sensibilité au monde qui nous entourait et nous altérait et qu'en addition, celle-ci n'était pas une tare et possédait sa plus-value. Elle pouvait en effet nous permettre de nous recentrer sur l'essentiel et poser les gestes les plus adéquats pour tous, elle était moteur de notre instinct.

Néanmoins, en début de carrière, je comprenais la réticence de Jia à ne pas tourner le dos à une patiente, bien qu'elle la positionne dans des états d'âme houleux. J'avais moi-même voulu surmonter toutes les épreuves, prouver que j'avais entièrement ma place en tant que professionnel de la santé et démontrer mes capacités tout en me surpassant. Jia souhaitait probablement faire ses preuves dans un milieu où l'ambition prospérait et terrassait et il pouvait être incompréhensible, vis-à-vis de potentiels pairs, qu'elle faiblisse face à cette ancienne camarade de classe. Encore une fois, il reposait selon moi dans cette pratique le fait de savoir prendre du recul et faute de pouvoir se distancer d'un contexte, de pouvoir reconnaître ses limites.

Quoi qu'il en soit, je condamnais toute forme de vengeance. Je préférais mille fois qu'un personnel laisse la main plutôt que malmène un malade. L'hôpital n'était pas la banque du karma, nous n'avion aucune monnaie à rendre de quelconque pièce souillée. Il pouvait être impensable voire insupportable de soigner certaines personnes qui avaient causé du mal, mais le jugement n'avait pas sa place dans l'établissement de santé. "Oui, je sais bien que la vengeance n'est nullement autorisé au sein de l'hôpital et de la société également... Peut-être que tu pourrais m'accompagner et m'assister dans la manœuvre ? Ainsi, je fais tout de même mon boulot tout en ayant un soutien de ta part ?" Un sourire tendre se dessina sur mes lèvres. La proposition de la Choi était assez inusitée mais je saisissais sa démarche. "En plus, tu pourras l'occuper et ainsi elle évitera de me poser des questions... Enfin, si tu n'as rien d'autres à faire bien entendu ?!" "On y va ensemble," j'actais. "Tu es prête à mettre ça derrière toi ?" Je l'encourageais avec dynamisme en lui tendant une main pour l'aider à se mettre debout. "Merci beaucoup d'avoir pris le temps avec moi Isy !" "Eh, c'est normal. Il faut se serrer les coudes entre collègues," j'affirmais en lui dédiant un œil complice. Je lui tenais la porte de la salle de pause et bientôt, nous intégrâmes la cohue du service des urgences. "Tu sais, ici, le patient est au cœur de nos métiers. On gravite autour de lui, il est prioritaire, chaque professionnel s'applique à répondre à ses responsabilités comme il a été formé pour son rôle," je relatais en guidant Jia dans l'office de soins pour y prendre un kit à suture. "Ta vie privée t'appartient entièrement. Tu es ici pour soigner, pas pour répondre aux curiosités de certains sur la vie que tu mènes. Ca ne les regarde pas, ça. Tu peux faire la séparation entre Dr Choi et Jia. Je te conseillerais même de la faire." Je me postais devant le box. "Tu peux utiliser des bribes de ta vie personnelle comme expérience si tu penses que ça va aider ton patient et si tu es bien sûr d'accord pour délivrer ainsi des parties de ton histoire, mais tu ne leur dois pas une transparence sur qui tu es sous ta blouse. C'est simplement du bonus qui relève de ton jugement et qui peut parfois être à double tranchant, d'ailleurs." Je prévenais avec bienveillance. "Il m'arrive parfois de partager mon expérience avec des patients pour les rassurer sur ce qui leur arrive et les conseiller sur ce qu'ils peuvent faire pour aller mieux. Ca peut rendre le soin plus concret, moins impersonnel, inaccessible et effrayant. Mais il y a plein de questions personnelles que je reçois auxquelles je ne réponds pas parce que je n'y ai pas la réponse ou parce que je ne veux simplement pas exposer ma vie privée. Je suis infirmier ici et qui je suis hors de l'hôpital ou la vie que je mène en dehors de ces murs n'impacte pas mes compétences en soins infirmiers." Je conservais mon sourire. "Je te dis pas de devenir un robot médecin mais je souhaite simplement que tu aies conscience que tu puisses faire la séparation entre ta vie privée et ta vie professionnelle. Si quelqu'un te reconnaît ici en tant que Jia et que ça te met mal à l'aise, tu as le droit de signifier que tu es le médecin qui le ou la prend en charge aujourd'hui et que tu ne souhaites pas aborder ta vie personnelle ici. Tout comme l'inverse est juste, aussi," j'ajoutais, ayant été plus d'une fois confronté à des anciens patients ou des proches de malades qui m'abordaient en dehors de mes heures de service pour des questions de santé. "Une fois que t'as posé ta blouse, tu n'es pas obligée d'être encore médecin et de continuer à soigner les gens ou répondre à leurs questions. Ca peut même parfois être dangereux parce que tu n'as pas tous les éléments nécessaires pour fournir une réponse. Bien sûr, interviens si tu vois une urgence devant toi ou quelqu'un dont l'état se dégrade sérieusement, mais par exemple, si quelqu'un t'aborde à l'épicerie pour un conseil médical bénin, tu as tous les droits d'inviter la personne à consulter son médecin de famille." Je marquais une pause, soutenais le regard de Jia. "En somme, tu as tous les droits de faire la distinction entre la jeune femme et le médecin. Si cette femme te pose des questions sur ton adolescence et tu n'as pas envie de lui répondre, tu peux lui indiquer que tu es là pour l'aider à aller mieux, pas pour discuter du passé." Je concluais. Je ne désirais pas faire quelconque leçon à Jia, mais j'avais à cœur de lui offrir des conseils que je jugeais utiles pour sa carrière et sa santé mentale.

J'avais honteusement craquée et la patiente devait toujours être entrain de m'attendre, mais je n'avais pas pu faire face à ce passé douloureux. Un sentiment de vengeance et de honte se mélangeait dans mon organisme, je ne pouvais pas éprouver ce genre de sentiment alors que j'étais censé être le médecin. On avait pas le droit de choisir qui on voulait ou non soigner. Pourtant, une foule de questions se bousculait dans mon esprit, des questions pour moi, pour elle qui avait été mon harceleuse pendant plusieurs années, des questions pour la vie qui semblait trouver très drôle de me faire vivre ce genre de moment. Heureusement, dans cette bousculade, Isaac avait perçu ce qui n'allait pas et m'avait immédiatement invité à me détendre un instant. Je lui exposait le soucis honteuse de pouvoir réagir ainsi et de ne pas être professionnelle dans ma prise en charge.

Naturellement l'infirmier se proposait d'intervenir sur le cas de la jeune femme, seulement, je refusais de m'avouer vaincu. Je devais faire mon travail alors autant profiter de sa présence pour qu'il puisse l'occuper. "On y va ensemble, Tu es prête à mettre ça derrière toi ?" Je hochais la tête prête à oublier ce qu'elle avait pu me faire auparavant. J'en profitais pour remercier l'infirmier qui était toujours à l'écoute de ses collègues. "Eh, c'est normal. Il faut se serrer les coudes entre collègues," Je souriais légèrement face à cette remarque, "Tu sais, ici, le patient est au cœur de nos métiers. On gravite autour de lui, il est prioritaire, chaque professionnel s'applique à répondre à ses responsabilités comme il a été formé pour son rôle," Je hochais la tête tout en attrapant ce qu'il fallait pour permettre un travail propre sur la jeune femme. "Ta vie privée t'appartient entièrement. Tu es ici pour soigner, pas pour répondre aux curiosités de certains sur la vie que tu mènes. Ca ne les regarde pas, ça. Tu peux faire la séparation entre Dr Choi et Jia. Je te conseillerais même de la faire." Je le regardais un instant, "Sauf que je suis pas encore Dr Choi" Je souriais avant de prendre la direction du box pour rejoindre la jeune femme.

J'écoutais Isy m'expliquer de part son expérience qu'on pouvait parfaitement amener son propre vécu parfois pour rassurer les patients, mais qu'il valait mieux garder tout de même une prise de recul. On devait apprendre à faire la différence entre le médecin et ce qu'on était réellement, ce qui dans le fond était un exercice plutôt délicat à mon sens. Je ne voulais pas oublier mon côté humain et mon empathie, mais dans le fond est-ce que ce genre de sentiments n'étaient pas une nuisance à notre travail ? "En somme, tu as tous les droits de faire la distinction entre la jeune femme et le médecin. Si cette femme te pose des questions sur ton adolescence et tu n'as pas envie de lui répondre, tu peux lui indiquer que tu es là pour l'aider à aller mieux, pas pour discuter du passé." Je hochais la tête, "Je comprends ce que tu veux ! Je dois apprendre à prendre de la distance avec ce qui me touche personnellement et ce qui touche le futur médecin que je vais devenir. On doit pas montrer qu'on est déstabiliser pour éviter au patient un stress ou de profiter de nos fails..." Je prenais une grande inspiration en serrant mon kit de suture dans les mains.

Je lançais un sourire à Isaac avant d'ouvrir la porte du box pour retrouver le visage de la patiente. Elle fronçait les sourcils et ne semblait pas contente d'avoir attendu autant de temps. Je me posais sur le siège pour vérifier une nouvelle fois sa blessure. "Avec ou sans anesthésie ?" Lançais-je, en ouvrant le kit de suture. "Quoi ?!" Je redressais la tête pour poser mon regards sur elle, "Vous voulez une anesthésie ou pas ? Sachant qu'avec la chair est plus souple et aura tendance à faire une cicatrice peut-être un plus voyante...Mais c'est vous qui décidez..." Je remarquais son hochement de tête, "Oh...je vois...tu veux me faire payer les années d'école c'est ça ? On est des adultes maintenant Jia !" Je soupirais doucement, "Je suis là pour faire mon travail et c'est une question qu'on pose systématiquement...Maintenant vous pouvez aussi passer avec mon collègue si vous le souhaitez, mais la question reste inchangé." Je regardais Isy en espérant trouver un soutiens nécessaire et que la patiente ne fasse pas un sketch.

tw: description d'acte médical

Alors que nous nous orientons vers le box où se trouvait la patiente de Jia, j'espérais sincèrement avoir pu procurer à cette dernière des pistes judicieuses pour qu'elle puisse mieux appréhender cette prise en charge ainsi que les futures. Je lorgnais vers l'interne dont les pupilles dardaient une détermination nuancée d'inquiétude et avant que nous franchissions le seuil de la petite pièce, je complétais sa conclusion sur notre conversation : "et pour avoir toute la maîtrise sur nos capacités". Je lui offrais un sourire encourageant et laissais coulisser la porte.

Je saluais poliment la jeune femme et demeurais en retrait, laissant à la Choi le champs libre pour traiter son ancienne camarade de classe. Pendant ce temps, je saisissais le dossier médical de l'intéressée, prenant connaissance des premiers actes qui avaient été posés. L'infortunée s'était coupée avec un éclat de miroir, il y avait moins de six heures. La suture était licite, la plaie superficielle peu souillée et nettoyée avec des bords nets. La douleur ainsi que la plaie avaient été évaluées, le statut vaccinal était à jour. J'écoutais distraitement Jia proposer une anesthésie à la patiente, argumentant sur l'esthétisme des points et je portais mon regard sur le duo lorsque la tension montait entre les femmes. J'attendais quelques instants, à l'affût de la réaction de ma collègue.

"On peut vous donner du MEOPA, c'est un gaz qui permettra de soulager votre douleur pendant que les points de suture vous seront faits. C'est un cornet qu'on posera sur vos zones respiratoires," Je proposais calmement pour apaiser l'atmosphère tendue tout en expliquant le matériel en le mimant sur mon nez et ma bouche. "Ensuite, la docteur nettoiera votre plaie, mettra le champ stérile sur votre main - il s'agit du petit drap avec un trou au milieu - pour que tout se fasse proprement," j'expliquais en démontrant le kit de suture encore scellé. "Généralement, le docteur fait une piqûre dans la plaie pour l'anesthésier, c'est un peu désagréable au début, vous sentirez l'aiguille entrer, mais ça permet d'endormir la zone rapidement pour que vous ne sentiez rien. Un peu comme la piqûre qu'on peut vous faire chez le dentiste pour des soins. Certains patients préfèrent ne pas avoir d'anesthésie, c'est un choix qui est vôtre," j'assurais posément, mon attention passant de la jeune femme à Jia qui avait exposé les arguments contre une anesthésie. Dans son dossier, rien ne contrindiquait une anesthésie. "Le médecin fera les points de suture avec une aiguille et un fil spécial et on vous mettra un pansement. Vous garderez les fils pendant une dizaine de jours, bien au sec sous le pansement. On vous donnera le nécessaire avant que vous partiez pour le changer. Et dans dix jours, une infirmière pourra vous retirer les fils et cette histoire sera derrière vous." Je terminais avec un sourire encourageant. "Ca va aller ? Vous vous sentez prête ?" Je demandais avec bienveillance et patience. "Est-ce que vous souhaitez le gaz pour soulager la douleur pendant l'acte ? Et l'anesthésie ? L'un ou l'autre ? Aucun des deux ? Vous choisissez, c'est vous qui voyez." Je proposais patiemment armé d'un sourire rassurant, m'appliquant à rassurer la patiente sur le professionnalisme de Jia afin qu'elle puisse réaliser cette suture.

J'étais chanceuse d'avoir croisé Isy et pas quelqu'un d'autre. Je ne voulais pas que tout l'hôpital soit au courant de mon passé et de ce que j'avais pu vivre. Je ne voulais pas non plus attirer la pitié sur moi ou même que les gens change leur comportement envers ma personne. Surtout que j'aimais beaucoup être à l'hôpital, j'avais le sentiment d'être quelqu'un d'important et de pouvoir amener tellement à l'équipe et aux patients. Je prenais donc soin de retenir les conseils de l'infirmier, il avait bien plus d'expérience que moi et j'étais vraiment reconnaissante du temps qu'il pouvait m'accorder lorsqu'on travaillait ensemble.

Nous avions pris la décision de nous rendre vers le box, il allait me tenir compagnie le temps de mon acte médical et surtout me soutenir pour éviter que la patiente en question, me pose trop de questions ou voit mes gestes comme une vengeance de notre jeunesse. "et pour avoir toute la maîtrise sur nos capacités" Je lui rendais son sourire avant d'entrer dans la salle et de reprendre ma position de départ. A présent, je devais faire en sorte de ne pas me laisser déstabiliser par cette femme. Je questionnais mon ancienne camarade de classe sur ce qu'elle souhaitait avant que je commence mon travail. Elle pouvait prendre de l'anesthésique ou pas, sachant qu'au vue de la blessure le choix sans l'anesthésique serait plus judicieux, car les points ne laisseraient aucunes traces. Immédiatement, elle dû se sentir agressée et me toisa avant de m'accuser de vouloir lui faire payer nos années de jeunesses.

Je soupirais discrètement tandis que Isy prenait le relais pour me sortir de cet impasse. Si, elle commençait ainsi, il était évident qu'elle n'allait pas me laisser faire mon job correctement. Isaac était patient, bienveillant avec elle et je me demandais bien comment il pouvait faire, car pour ma part, j'avais simplement envie de lui enfoncer l'aiguille au plus profond de sa chair et de l'entendre hurler. Je gardais néanmoins cette lugubre idée au fin fond de ma tête, il était évident qu'elle n'allait pas en plus me faire perdre mon emploi et ma passion. "Est-ce que vous souhaitez le gaz pour soulager la douleur pendant l'acte ? Et l'anesthésie ? L'un ou l'autre ? Aucun des deux ? Vous choisissez, c'est vous qui voyez." Je posais à nouveau mon regard sur la patiente avec un léger sourire, heureuse de voir qu'elle ne pouvait plus dire quoi que ce soit au sujet de mes agissements. "Tu ferais quoi toi Choi ?" Je fronçais doucement les sourcils à cette question.

"Et bien c'est un choix qui vous reviens, je ne peux me permettre de faire le choix pour vous." Elle semblait agacer, "Arrête de me vouvoyer ! Et je t'ai posé une question !" Je la fixais un instant sentant une fois encore la colère monter, "C'est votre choix ! Je ne peux choisir pour vous !" Lançais-je une nouvelle fois, "Maintenant, mon collègue et moi-même vous avons donnés les informations nécessaire..." Je me relevais du tabouret, "Je pense que vous avez besoin de réfléchir un instant..." J'avais envie de sortir de ce box et de la confier à quelqu'un d'autre, un médecin qui n'aurait pas autant d'apriori que moi. "Reste là ! Fout moi le gaz ! Et je te préviens, tu as intérêt à faire ça correctement ! Si tu me loupe...Crois moi que je vais pas te louper et je te ferais tomber." Je soupirais en croisant les bras sur ma poitrine, "Je crois qu'une précision s'impose...Vous avez signé une décharge avant tout acte médical de ma part ou de la part de qui que ce soit dans l'hôpital..." Je reprenais ma place sur le tabouret avant de préparer le masque qui allait servir à l'administration du gaz.

Avec patience, je présentais la procédure à venir à la patiente tout en lui laissant le choix en termes de soulagement de la douleur. Je la considérais prudemment lorsqu'elle interpella derechef Jia, lui demandant ce qu'elle ferait à sa place sur un ton abrupt qui n'avait assurément pas lieu d'être. J'étais prêt à intervenir, néanmoins, l'interne sut trouver les meilleurs termes pour répliquer : "Et bien c'est un choix qui vous revient, je ne peux me permettre de faire le choix pour vous." Je souris doucement et échangeais un regard encourageant avec l'étudiante en médecine. "Arrête de me vouvoyer ! Et je t'ai posé une question !" Rapidement, l'agacement de la jeune femme suivit une courbe exponentielle, son ton de plus en plus déplacé. J'observais la scène, hautement désapprobateur, alors que Jia se défendait poliment tout en appliquant les conseils que je lui avais prodigués quelques minutes plus tôt. J'en voulais au comportement de cette blessée qui se permettait d'agresser l'interne en toute impunité, la traitant comme s'il s'agissait d'un vulgaire chien. Mon coeur se serrait d'être témoin de cette confrontation qui veillait à déstabiliser injustement Jia et la plaçait en victime d'agressions verbales d'une patiente mal élevée.

Jia reprit place sur le tabouret et prépara le masque. Néanmoins, je posais ma main sur son bras de manière à stopper son geste. "Il y a une tolérance zéro ici pour malmener le personnel soignant. Premièrement, vous allez changer de ton. On ne le supportera pas davantage." J'annonçais à la femme sur une voix autoritaire et sans appel. "Votre comportement est inacceptable. Vous n'avez aucun droit de menacer ni de manquer de respect au Dr Choi qui est ici seulement pour vous soigner." J'exposais, mes yeux rivés durement sur la patiente. Il était hors de question que les paroles qu'elles aies tenues à l'égard de Jia passent sans commentaire. Il suffisait que l'on prenne le personnel soignant pour des punching balls. "Soit vous vous calmez et vous vous excusez auprès du Dr Choi, soit vous vous rendez dans un autre hôpital ou dans une autre clinique pour vos soins. Vous n'êtes pas en danger de mort, votre plaie est nettoyée. Ce centre hospitalier n'est pas une prison et nous ne sommes certainement pas vos chiens. De plus, nous avons beaucoup d'autres patients qui ont besoin de soin et qui seront très heureux d'être pris en charge par le Dr Choi. Nous n'avons pas de temps à perdre avec votre attitude qui n'a absolument pas sa place ici."

Il ne m'avait pas fallu longtemps pour comprendre que la patiente, une ancienne camarade de classe, n'allait pas me laisser aussi facilement pratiquer les soins. Elle était à l'origine de mon harcèlement scolaire et semblait croire que j'allais lui faire payer ça. Je n'étais pas comme ça, bien que j'aurais aisément pu en profiter, ça n'était pas dans mon intention et puis s'était contre notre déontologie. J'avais cependant, eu beaucoup de chance d'être accompagné par Isy et je savais qu'il allait être d'une grande aide. Lorsqu'on travaillait ensemble, il était toujours présent et d'un soutiens incroyable. La jeune femme me demandait encore une fois ce qui était le mieux et je préférais ne pas trop entrer dans son jeu. Je ne voulais pas qu'elle puisse se plaindre par la suite, il fallait donc qu'elle fasse son propre choix et devant témoin.

Très vite, elle montra son agacement et mon corps se contracta sous l'effet de la surprise et de sa façon de s'adresser à moi. Elle ne voulait plus que je la tutoie et surtout elle voulait que je réponds à sa question. J'avais envie de quitter le box, de la laisser planter là comme une idiote. Mon corps se releva du tabouret et tandis que je gardais mon calme, je m'apprêtais à quitter les lieux. Hélas, je ne fus pas libérée pour autant et elle m'indiqua rapidement son choix dans une intonation de voix qui voulait tout dire. Des menaces suivirent et je lui rappelais calmement qu'elle avait signé une décharge en arrivant aux urgences, il manquerait plus qu'elle me cause des soucis dans ma carrière. Je m'apprêtais à poser le masque sur son visage, comme elle m'avait demandé, mais la main de Isy vint se poser sur mon épaule.

"Il y a une tolérance zéro ici pour malmener le personnel soignant. Premièrement, vous allez changer de ton. On ne le supportera pas davantage." Mon regards passa de Isy à la patiente, alors que mon bras était en suspend. "Votre comportement est inacceptable. Vous n'avez aucun droit de menacer ni de manquer de respect au Dr Choi qui est ici seulement pour vous soigner." Je ne savais pas exactement comment les choses allaient tournées, mais j'avais le sentiment que ça n'était pas encore terminé. "Soit vous vous calmez et vous vous excusez auprès du Dr Choi, soit vous vous rendez dans un autre hôpital ou dans une autre clinique pour vos soins. Vous n'êtes pas en danger de mort, votre plaie est nettoyée. Ce centre hospitalier n'est pas une prison et nous ne sommes certainement pas vos chiens. De plus, nous avons beaucoup d'autres patients qui ont besoin de soin et qui seront très heureux d'être pris en charge par le Dr Choi. Nous n'avons pas de temps à perdre avec votre attitude qui n'a absolument pas sa place ici."

La patiente posa son regard sombre sur Isy et je la regardais se lever du lit. Elle ne semblait pas vouloir rester plus longtemps ici. "Et bien ! Puisqu'on est très mal reçu ici, je m'en vais trouver un autre hôpital où les gens seront plus compétent pour prendre soin de moi. En revanche, pour vous deux, ça va être une autre histoire ! Vous pouvez être assurés que je vais prendre contact avec le directeur ! Mes avocats ne manqueront pas de vous donner signe de vie." Je restais totalement abasourdie parce que je venais d'entendre et je regardais la femme quitter le box. Le masque toujours dans les mains, je tentais de comprendre ce qui venait de se passer en seulement quelques secondes. "C'est une cata..." Lançais-je finalement en réalisant qu'elle allait faire remonter ce qui venait de ce produire. J'étais simplement étudiante et je ne doutais pas qu'on pouvait très facilement me mettre dehors. Je secouais la tête, "Qu'est-ce qu'on fait ?! On la rattrape ?" Il fallait être honnête, je n'avais pas vraiment envie de retourner auprès de cette folle, mais si, ça pouvait me faire garder ma place alors je ferais un effort. "Ou on va voir le directeur ?" Peut-être que finalement, remonter l'information avant elle, serait la meilleure des solutions.

J'exerçais en qualité d'infirmier au St Vincent's Hospital depuis près de dix-sept ans désormais. La structure hospitalière détenait peu de secrets pour moi, quand bien même chaque journée déployait son lot de surprises par le métier spécifique que j'endossais et qui créait constamment des variables de situations. Aussi, il n'en demeurait que j'avais saisi le fonctionnement de l'institution et j'avais appris à prendre du recul sur bon nombre de circonstances déplaisantes, désagréables, effrayantes, inquiétantes. Si Jia effectuait ses premiers pas au sein de ce centre hospitalier, si elle ressentait le besoin de faire ses preuves par son statut actuel d'étudiante et ne voulait assurément pas se faire remarquer pour une prise en charge déconcertante de crainte de perdre son internat, je restais pour ma part stoïque face à cet événement frisant le risible, conscient que les conséquences seraient absentes. La hiérarchie avait d'autres chats à fouetter et même si cette patiente hautaine décidait de manifester son mécontentement à la direction, je doutais fortement que cette dernière nous réprimande, vu le déroulé de la scène et le manque flagrant de ressources dans l'établissement.

Ainsi, lorsque Jia me décrivit la situation comme catastrophique avec un air sincèrement soucieux, je la considérais avec attention. Je l'invitais à reposer le masque et à se détendre avant qu'elle ne reprenne la parole : "Qu'est-ce qu'on fait ?! On la rattrape ?" "Non, inutile de perdre son temps avec elle," je formulais calmement. "Ou on va voir le directeur ?" Un sourire rassurant esquissa mes lèvres. "Je vais signaler ce qui s'est passé au cadre du service pour que les faits soient tracés mais en soit, rien ne peut nous être reproché et ça ne vaut pas la peine de déranger le directeur. Cette jeune femme a simplement refusé de se faire soigner ici et elle n'est ni un danger pour elle-même ni pour les autres. Elle est entièrement libre de quitter l'hôpital," j'expliquais à mon interlocutrice. "N'y pense plus, tourne la page sur elle. Il y a d'autres patients qui seront ravis que tu les prennes en charge", je lui conseillais avec amitié. "Ca ne va pas se retourner contre toi, je te le promets. J'en prends la responsabilité." Je lui affirmais avec bienveillance, lui garantissant mon soutien fidèle.