Février 2023. Me revoilà Brisbane. Je n’aurai jamais imaginé me retrouver dans la ville qui m’a vu naître mais qui m’a surtout vu grandir. Enfin à m’entendre, on pourrait penser que je n’avais jamais remis les pieds ici. Cela m’arrivait de faire quelques sauts quand j’étais encore en Paris ou bien lorsque j’étais à Sydney. Cependant, je n’avais – il est vrai – jamais envisagé une carrière professionnelle ici. Pourquoi ? Et bien parce que je n’avais eu qu’une seule idée en tête quand j’étais encore un ado, c’était d’entrer au sein de l’Australian Ballet. Pourtant, j’étais parti conquérir le monde autrement sur la scène de l’Opéra Garnier. Et pourtant me voilà dans une salle de danse en plein cœur de Brisbane, regardant par la fenêtre, la ville qui s’étendait devant mes yeux de trentenaire.
Depuis le changement de direction de l’Opéra à Sydney – et que mon contrat n’avait pas été renouvelé surtout – je m’étais finalement décidé à rentrer, de faire comme un retour aux sources. J’aurai pu ne rien faire pendant quelques temps mais j’avais besoin de bouger, besoin de faire quelque chose de mes mains – ou plutôt de mes pieds. Je m’étais dit qu’il était temps de changer aussi un peu, d’aller se confronter à une autre forme d’expression, de danse. Alors me voilà au sein de la Northlight Compagny. Une compagnie très hétéroclite dans ses artistes mais qui avait le mérite de m’apporter une véritable bouffée d’air frais. D’ailleurs j’avais proposé à la direction de donner quelques cours de danse pour celles et ceux qui étaient désireux de parfaire leur technique au moins en contemporain car je savais que le classique n’était pas forcément la tasse de thé de beaucoup de personnes.
J’attendais donc dans ce qui constituait l’un des studios de la compagnie pour donner mon cours. Plusieurs artistes avaient d’ailleurs répondu présents, à mon plus grand plaisir d’ailleurs. Alors peut-être que le fait que mon nom soit inscrit à côté de la mention professeur avait joué. Je ne me voilais pas la face à ce sujet et avait conscience que ma réputation pouvait me précéder quelque peu. Mais j’espérais surtout que les choses se passeraient bien. J’étais plus habitué à des danseurs ayant suivi une certaine forme de cursus spécifique en termes de danse même si je pouvais être habitué à donner des cours dans d’autres structures, plus sous la forme d’initiation ; quelque part, la première chose que je voulais finalement savoir, c’était quel type de motivation avait amené ces personnes à venir à ce cours ? Enfin, je le saurai bien assez tôt.
Force est cependant de constater qu’une surprise de taille m’attendait, et pas des moindres.
Dernière édition par Abel Greetham le Sam 4 Mar 2023 - 10:09, édité 1 fois
Passer les portes du théâtre me demande un effort considérable. Autant physiquement, car ça fait plus d'une semaine que je me sens faiblard comme si je couvais une grippe qui va m'achever dans les prochains jours, mais autant mentalement, car je sais qu'en arrivant dans la salle, je ferais face à Abel. Ce frère, a qui je n'ai plus parlé depuis bien trop longtemps, donne un cours de danse aujourd'hui et je me suis dit que les retrouvailles pourraient être intéressantes dans ce cadre-là.
C'est ainsi que j'ai pris mon courage à deux mains et que je me suis inscrit à ce workshop, espérant secrètement que mon frère ne me vire pas du cours. Il aurait toutes les raisons du monde de le faire en vrai tant j'ai été ingrat et ignoble envers lui lorsque nous étions encore à Paris. Et j'ai, moi-même, couper les ponts avec celui que j'ai si longtemps considéré comme étant mon héros, si bien que je n'ai pas su, jusqu'à présent, comment reprendre contact avec lui. Ce n'est pas l'envie qui manquait ni même le temps, mais bel et bien le courage. Car clairement, je n'ai aucune idée de comment il se sent avec toute cette situation dans laquelle je nous ai mis et je suis incapable de savoir s'il m'en veut ou non.
Au final, c'est exactement ce que nous allons voir dans les prochaines minutes : souhaite-t-il me parler ? Ou restera-t-il à distance comme je l'ai obligé à l'être ? J'entre dans la salle en même temps qu'un autre groupe et me met en arrière, caché par ces danseurs et danseuses qui ont une voire plusieurs têtes de plus que moi. Ainsi, discrètement, j’aperçois mon frère qui marche de long en large pour faire sa petite présentation pendant plusieurs minutes avant de demander si nous avons des questions.
Sans plus hésiter, je lève la main « Oui, ici !» m'exclamais-je, regrettant presque de sortir de ma cachette lorsque les yeux se tournent vers moi, que ceux qui me cachaient font un pas sur le côté et que je me retrouve maintenant face à Abel. J'ignore son regard perçant et fait comme si j'étais un élève lambda et non le frère du professeur « Quel est le champ d'improvisation de la danse contemporaine ?» Demandais-je en me redressant «Est-il grand ? Ou y a-t-il autant de règle fixe qu'en Ballet ? » Évidemment, je connais la réponse mieux que quiconque ici, mais j'ai décidé de jouer de l'ignare jusqu'au bout « Et pourquoi avez-vous quitté L'Australian Ballet alors que c'était votre rêve d'enfance ?» je sens comment les regards à côté de moi se font plus perçant, les gens se demandant sans doute pourquoi je sais tout ça. Mais au final, ne peut-on pas trouver ce genre d'information sur Internet en cherchant le nom de mon frère sur google ? Abel Greetham a sans doute une page wikipedia bien remplie.
L’ouverture de la porte du studio me tira quelque peu de mes pensées. Reprenant quelque peu contenance, je tournai en même temps la tête pour fixer la personne qui venait de faire son entrée ou plutôt les personnes qui venaient de pénétrer dans la pièce. C’est vrai que j’avais eu quelques échos de la part des artistes de la compagnie qui m’avaient manifesté leur souhait d’être présent durant le workshop que j’allais donner mais j’avais peut-être omis de dire qu’il était ouvert à des danseurs externes et confirmés. Cette pensée vint me faire sourire, la communication de la NTC avait fait son œuvre d’après ce que je pouvais voir. D’ailleurs, je n’avais pas partagé cela sur mes réseaux sociaux car je souhaitai premièrement réserver cela à des personnes du milieu de la danse avant tout. Attendant que chacun et chacune dépose ses affaires, je me décidai à quitter ma place pour venir à leur rencontre.
« Bonjour tout le monde. Tout d’abord, je suis content de vous voir si nombreux aujourd’hui. C’est vrai que je n’avais aucune idée de la portée de cette proposition de workshop mais je suis ravi de voir que vous avez répondu présent. Pour me présenter brièvement, je m’appelle Abel Greetham, danseur professionnel depuis 2007 et je viens tout juste de rejoindre la Northlight Theater Compagny en tant que chorégraphe et professeur de danse. La thématique d’aujourd’hui sera une approche de la danse contemporaine au travers de vos perspectives artistiques et de votre vécu. Avez-vous des questions ? » Il est vrai que je ne m’étais pas épanché plus que cela sur mon statut dans le monde de la danse mais dans une certaine mesure, ce n’était pas pour cela que toutes ces personnes se trouvaient ici.
Bougeant la tête afin de tenter de voir davantage la personne qui venait de lever la main pour poser sa question, mon sourire léger vint s’effacer lorsque je reconnu à qui appartenait cette voix. Mon regard cobalt se fit plus perçant alors que ma mâchoire venait se contracter légèrement, signe de la perturbation émotionnelle qui venait de se produire. Oliver ? Vraiment ? Je n’avais pas revu mon petit frère – ok, cousin pour les puristes des liens généalogiques – depuis… bien trop longtemps. Cela me faisait non pas un pincement au cœur mais plus comme un coup dans le cœur de le voir se tenir là, devant moi comme si c’était normal. Cependant, je me concentrai davantage sur sa première question. Une deuxième en suivi sans tarder avant que je n’ai eu le temps de répondre… C’était quoi ce genre de questions ? Il avait décidé de jouer l’ignare à ce point-là ? Ce n’était pas comme si c’était SA discipline. Oui, oui je le suivais de loin sur les réseaux sociaux sans pour autant me manifester clairement. Putain Abel, non mais tu as quel âge pour ça ? Néanmoins, la dernière question vint à me faire hausser les deux sourcils, signe de ma surprise et de mon scepticisme. J’avais l’impression de passer d’un cours à une sorte d’interview qui allait être retranscrite dans les prochaines minutes. Prenant une inspiration plus marquée que d’habitude, je viens quand même à reprendre un léger sourire pour donner le change, oui ce n’était pas question de faire une scène, ce n’était ni le lieu, ni le moment.
« Alors pour répondre à la première question, la danse contemporaine est née durant l’après-guerre, avec une volonté de rupture avec les traditions et les créations historiques. Si on retrouve des mouvements ou une technique proche dans une certaine mesure au ballet, elle s’intéresse et s’interroge davantage sur une réflexion artistique plus axée sur des sujets de société ; on est loin du ballet romantique entre la belle princesse et de son prince charmant. » Marquant une courte pause, mon regard qui avait dérivé sur l’assemblée, s’était recentré sur Oliver. « Si les œuvres classiques répondent davantage à une construction bien alambiquée car transmises comme un savoir spécifique des compagnies classiques, les œuvres contemporaines naissent souvent d’une improvisation. Le processus de création diffère là où on va mettre en mouvement une question, on s’interroge sur l’interprétation. Ainsi, une même émotion, un même état sera retranscrit différemment pour chaque danseur car bien plus proche de sa vision personnelle de la danse. »
Cependant, je n’avais toujours pas répondu à la dernière question. C’était un sujet sans doute épineux car cela avait fait coulé un peu d’encre dans la communauté de la danse. Je pouvais sans doute le renvoyer à Internet pour éluer le sujet ou encore arguer que ce n’était pas l’endroit pour pareille explication, mais autant poursuivre sur ma lancer.
« Pour cette question plus… personnelle, je répondrai que la nouvelle direction de l’Australian Ballet n’a pas trouvé bon de reconduire mon contrat. » autant rester factuel sur le sujet, car c’était vrai dans l’état mais les frictions et les tensions naissantes avaient débouché sur ce résultat. Une façon d’apaiser les tensions en somme. « D’autres questions ? » oui, je préférai couper court à une autre question en ce sens et tenter d’éviter un malaise naissant. Cependant, je gardais Oliver du coin de l’œil, une façon de dire Toi, tu t’es mis dans une sale situation à venir là sans rien me dire.
C'est un demi-sourire presque satisfait qui s'affiche sur mon visage lorsque j'écoute la réponse de mon grand frère. Je comprends totalement qu'il est devenu danseur professionnel. Non pas seulement, car il est doué au niveau physique, mais aussi, car à l'entendre parler, c'est vraiment sa passion. Il n'a découvert le contemporain bien plus tard que moi et pourtant, il maîtrise le sujet presque aussi bien voire mieux que moi. Après, en même temps ce n'est pas l'histoire de la danse qui m'intéresse, mais la danse elle-même. Mais dans tous les cas, je le trouve pas mal impressionnant dans sa prestance et l'observe avec attention, les bras croisés devant moi, inclinant légèrement la tête sur le côté lorsqu'il répond évasivement à ma deuxième question.
Une histoire de direction qui n'a pas reconduit son contrat ? Eh ben dis donc. « Ils ne savent pas ce qu'ils ratent » répondais-je en haussant les épaules « Mais tant mieux pour nous !» Surenchéris une inconnue à mes côtés « Ouais, on est content de vous avoir ici à Brisbane !» Lance un autre danseur de l'autre côté de la pièce et c'est un sourire satisfait qui s'affiche sur mon visage lorsque je vois mon frère qui semble être étonné du soutien.
Toutefois, étant donné qu'il n'y a plus de questions, il nous indique de procéder à l'échauffement individuel pendant quelques minutes. Dans un soupir, je me détourne d'Abel et retourne à mon sac. Retirant mon pull, je le dépose à l'intérieur et prends une longue gorgée de ma bouteille d'eau avant de me retourner à nouveau ... Et me retrouver nez à nez avec mon grand frère. Écarquillant les yeux de surprise, je me recule d'un pas et me prends les pieds dans mon sac. Dans un mouvement de panique, je me rattrape rapidement au bras d'Abel et parviens, ainsi, à rester debout. « Putain, tu m'as fait peur» soufflais-je en le relâchant une fois rééquilibrée « ça va ?» Demandais-je ensuite « Je veux dire ... Depuis le temps...» 6 ans que nous ne nous sommes plus parlés. 72 mois pendant lesquels je l'ai sorti de ma vie, et ce, seulement pour une putain d'histoire d'ego et de fierté. Quel con je suis quand même.
J’étais très mauvais acteur. Je m’étais fait à cette idée et je ne m’en cachais même pas. Alors certes, je pouvais endosser bien des rôles, exprimer bien des émotions sur scène mais dès que je me retrouvais en dehors de celle-ci, il ne fallait pas compter sur moi pour être capable de fake mes émotions. J’étais quelqu’un par définition d’expressif, il suffisait d’observer mes traits pour connaître mon état psychique et si je tentais de donner le change face à l’apparition d’Oliver, il était clairement possible de distinguer une certaine forme de… colère ? Non je dirai plutôt une forme de nervosité. D’ailleurs, je me concentrais sur la réponse que je lui fournissais d’ailleurs afin de ne pas tout simplement l’attraper par le col de son t-shirt devant tous ces danseurs.
Néanmoins je fus quelque peu surpris de son commentaire face à l’annonce du non-renouvellement de mon contrat au sein de l’Australian Ballet. D’ailleurs d’autres vinrent surenchérir face à cela, et je finis par leur adresser un sourire marqué, finissant même par un léger rire. « Merci à vous. Mais je vous assure, ce n’est pas plus mal. Le changement de direction ne me convenait pas non plus pour être honnête avec vous. Cela m’a donné aussi l’occasion de créer la compagnie Breath aux Etats-Unis, une expérience supplémentaire pour être capable de vous donner des cours quand même construits. » déclarais-je pour éviter toute tension inutile et de ne pas non plus passer le temps alloué à cet atelier pour discuter de ma situation. Leur indiquant alors de se préparer face à l’absence de questions supplémentaires, je me pris une profonde inspiration avant de faire un quart de tour dans la direction de mon cousin.
J’avais dû le tirer de ses pensées car la surprise pouvait se lire dans son regard. Une surprise loin d’être feinte si bien qu’il faillit en tomber. Lui accordant bien volontiers mon bras comme seule prise pour qu’il finisse le cul par terre, je lui adressai cependant un regard légèrement courroucé, le bleu de mes yeux s’étant transformé en quelque chose de froid et de peu amical d’ailleurs. Si ma main était au début légèrement serrée, contractant mon bras pour lui fournir un appui solide, celle-ci vint à agripper l’avant-bras du brun avant de m’approcher alors davantage de lui. Je le dépassais largement en termes de taille, me permettant de le surplomber sans le lâcher du regard. « Tu te fous de moi là ? C’est la seule chose que tu trouves à dire depuis 6 putains d’années ? Ca va ? » Ma voix s’était faite plus basse qu’à l’accoutumée afin que lui seul puisse m’entendre mais elle n’en était pas moins sombre, de quoi lui ficher la frousse sans doute, surtout que je ne le lâchais pas le moins du monde, assurant une prise suffisamment ferme pour qu’il ne puisse pas se soustraire soudainement pour aller voir ailleurs si j’y étais.
Plus que la ferme poigne que mon frère exerce sur mon bras, c'est son regard perçant qui me clou sur place. Il est là, face à moi, me surplombant de ses 13 centimètres de plus, impressionnant autant par sa prestance que par le ton qu'il utilise lorsqu'il s'adresse à moi. Calme, mais d'une froideur extrême, il me demande si je suis sérieux en lui demandant comment il va, alors que ça fait plus de 6 ans que nous ne nous sommes plus vu. « Je … aï ! Abel tu me fais mal » me plaignais-je lorsque les doigts du danseur se ferment encore plus sur mon bras. Toutefois, le jeune homme ne réagit pas et ne me relâche aucunement. Alors, me redressant à mon tour, je fronce les sourcils et tire un tout sec sur mon bras pour enfin pouvoir me délivrer de son emprise.
«Qu'est-ce tu veux que je te dise ? » demandais-je finalement, m'efforçant de garder un ton aussi calme que celui que mon frère a utilisé avant « Que je suis de retour en Australie depuis octobre 2020 mais que je n'ai, depuis, pas passé une seule journée à Brisbane ou à Sydney ? » ce n'est pas tout à fait faux, mais Abel n'a pas forcément besoin de savoir que j'ai toutefois été en ville plus de trois mois d'affilés. «Comment est-ce que tu voulais que je reprenne contact avec toi ? Genre je débarque un jour chez toi en mode 'Salut frèrot, je suis de retour. Haha, vient, on rattrape le temps perdu comme si de rien n'était' » imitais-je grossièrement quelqu'un qui aurait eu le culot de faire ça comme cela.
«C'est difficile de reprendre contact avec quelqu'un qu'on a plus vu depuis longtemps » reprenais-je finalement, avec plus de sérieux et de sincérité « Je ne sais même quoi dire, mais pour ce que ça vaut ...je suis désolé» je relève mon regard vers Abel me massant légèrement le poignet « Désolé d'avoir laissé parler mon ego et ma fierté quand tout ce que tu voulais c'était me soutenir » je soupire doucement et hausse les épaules « Enfin bref, on ne peut rien y changer hein ...»
C’était presque à croire que si je décidais de cligner des yeux, il allait s’évaporer soudainement ; bon dans les faits, ce n’était pas possible et pourtant je continuais à fixer intensément mon petit frère qui se trouvait devant moi l’air de rien. Alors oui, je pouvais voir des émotions sur le visage d’Oliver. Des émotions qui indiquaient qu’il ne se sentait pas le plus à l’aise dans cette affaire et sans doute dans cette position où j’avais mes doigts profondément ancrés dans son avant-bras. D’ailleurs, sa plainte me parut presque inaudible tant j’attendais autrement chose de sa part. Pourtant son mouvement sec me fit lâcher ma prise. Poussant un soupir d’agacement, je baissais doucement ma main alors que mes doigts se refermaient sur eux-mêmes comme si j’étais prêt à lui en coller une. Contiens-toi Abel, ce n’est pas le moment.
Ma mâchoire se contracta face à sa première réponse. Oliver comprendrait sans mal que la tension ne s’était pas évanouie mais qu’elle s’accumulait encore davantage. Bon, il avait le droit de faire sa vie, d’aller là où bon lui semblait. Il me l’avait bien fait comprendre d’ailleurs. Cependant ces mots suivants furent ce qui fit déborder le vase. J’avais l’impression qu’il était en train de me pousser à bout pour que j’explose tout bonnement. Mais le pire était encore à venir. Parce qu’au lieu de se rendre compte de sa bêtise, il avait décidé de surenchérir. Alors le reste qui constituait des excuses était devenu parfaitement inaudible. J’en avais détourné la tête pourtant même si je suis quand même quelqu’un de facile, c’était trop. Beaucoup trop.
« Parce que tu crois que venir à un cours que je donne l’air de rien, c’est mieux peut-être ? » demandais-je brutalement alors que je venais de croiser mes bras contre ma poitrine, fixant froidement Oliver. « Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? » Question rhétorique cela va de soi. « Je n’ai pas de nouvelles de toi pendant 6 années. 6 PUTAINS D’ANNEES ? ET TU PENSES QUE TU VAS T’EN SORTIR AVEC UN COMMENT TU VOULAIS QUE JE REPRENNE CONTACT AVEC TOI ? TU VIENS DE FAIRE QUOI LA, HEIN ? » J’avais drôlement haussé le ton de la voix car des regards n’avaient pas tardé à se tourner vers nous, venant s’ajouter à ceux curieux de voir que j’avais décidé de prendre quelqu’un en privé. « Ollie. Tu me dis que tu es désolé mais j’ai l’impression que tu t’en fous en fait. Es-tu vraiment désolé ou alors est-ce que c’est la honte qui t’amène là comme une fleur ? Putain merde. Tu sais que je me suis fait un sang d’encre pour toi ? » Cela avait été dur d’accepter le fait qu’il coupe les ponts avec moi, je fais parti de la catégorie Personne Bornée Qui N'Accepte Pas Les Volontés Des Autres Parce Que Je les Trouve Stupides. Et ce qu’avait fait mon petit frère était encore plus stupide que… moi décidant de me lancer dans une carrière d’astrophysicien. Alors pourquoi ce métier ? Non je suis certain que ce sont des gens biens mais je n’avais pas les qualifications requises pour exercer pareille fonction et puis bon ok, je suis un peu confus pour trouver un exemple criant mais je fulminais sur place. « Et ne t’avises pas de me répondre en coréen car tu sais bien que je n’y comprends rien. » achevai-je en pointant ses yeux de mon index et de mon majeur avant de les retourner vers moi, pour lui signifier, je t’ai à l’œil là.
Pensais-je réellement que mon frère me sauterait au cou, heureux de me voir ? Inconsciemment, je l'espérais. Consciemment, je savais que ce ne serait pas le cas. Toutefois, je ne m'attendais pas à un tel accès de rage, encore moins en public. Alors que jusqu'à présent Abel a démontré un réel professionnalisme, c'est finalement la rage qui l'emporte lorsqu'il me demande si je suis sérieux dans ce que j'avance. Lorsque sa voix éclate, alertant tous les gens autour de nous, j'avoue que j'ai un nouveau mouvement de recul, rentrant la tête dans les épaules, me rétractant face à mon frère qui semble prendre encore plus de centimètres d'un coup. Pinçant les lèvres, je déglutis difficilement et baisse le regard, honteux, alors qu'il dit que je lui donne l'impression de m'en foutre alors que lui, il s'est fait un sang d'encre.
« Je suis désolé ... » Répétais-je avant de fermer les yeux lorsqu'il me sommes de ne pas lui répondre en coréen « J'allais pas le faire » maugréais-je, mécontent alors que je lance un coup d'œil vers les gens qui nous entourent «Mais calme toi s'il te plaît» soufflais-je en espagnol « Ce n'est pas le moment de faire une scène. On en parlera plus tard, ok ? » Reprenais-je, comme si j'étais en mesure de poser des conditions.
Fort heureusement, mon frère semble retrouver subitement son professionnalisme et se calme dès l'instant pour où son regard se pose à nouveau sur les gens qui continuent de nous observer. Je leur adresse un petit sourire pour leur faire comprendre que tout va bien, avant de me passer les mains sur le visage lorsqu'Abel se détourne enfin pour reprendre sa place de professeur. Je sais parfaitement que la discussion n'est pas finie, mais je sais que je pourrais être tranquille pour au moins la prochaine heure.
Le cours commence tranquillement avec quelques exercices d'assouplissement et je remarque déjà, maintenant que je ne suis vraiment pas au top de ma forme. Je m'essouffle bien plus rapidement qu'à l'accoutumée et mes mouvements ne sont, parfois, pas coordonnés. Je mets tout cela sur le dos de la fatigue qui me tiens au corps depuis quelques jours et continue de suivre les exercices qu'Abel nous propose, restant au maximum en arrière pour ne pas faire tache si je ne me donne pas à fond.
Malheureusement, la technique de me cacher est mise à mal lorsque nous devons, un à un, présenter un morceau de notre choix. J'ai bien essayé d'éviter mon tour, mais c'était sans compter sur Peter, un autre danseur, qui a rapidement fait comprendre à Abel que je n'étais pas encore passé. Je l'ai maudit, ce danseur, persuadé que s'il n'avait pas ouvert sa gueule, j'aurais pu faire comme si de rien n'était, mais maintenant que mon frère est au courant, je suis bien obligé de me montrer.
Je me dirige, donc, vers mon sac, sort mon portable que je vais brancher sur la station et lance le morceau avant de me mettre au centre de la pièce. Je lance un dernier coup d’œil vers Abel, me passe une main dans les cheveux puis prends une profonde inspiration et commence la danse. Je la connais par cœur cette chorégraphie, ce n'est pas la première fois que je la présente et je la gère en général plutôt bien. Mais là, dès les premiers pas, je me rends compte que ça ne passe pas. Mes gestes sont grossiers, mes transitions sont bafouées et je ne compte pas le nombre de fois où je retiens, au dernier moment et seulement grâce à mes reflex aguerris, une torsion de la cheville gauche qui aurait pu être fatale si elle n'avait pas été contrôlée. Même si je m'efforce de rester calme et de continuer comme si de rien n'était, mon mental ne suit pas et lorsque la chute non voulue arrive, je frappe violemment le parquet en laissant s'exprimer la colère qui m'abrite. Sans un mot, je me relève, secouant la tête et quitte ma place pour éteindre la musique avant la fin, énervé contre mon corps qui ne me répond pas correctement et moi-même qui ne sait pas gérer un minimum de pression et qui abandonne dès que ça devient un peu trop compliqué.
Je m’emportai rarement. A dire vrai, j’étais plutôt calme en temps normal, même blagueur. Mais pour le coup j’avais tout sauf envie de rire à cet instant précis. Et quand le feu était mis aux poudres, cela provoquait de jolies étincelles. Je ne savais pas ce qui m’énervait le plus. De revoir Oliver alors qu’il avait décidé de couper les ponts sans plus d’explication ou de le voir alors tenter une approche l’air de rien comme si le fait de s’excuser à demi-mot allait être suffisant. Oh je ne m’attendais pas à le voir à se rouler par terre mais il y avait quand même une nuance tout de même. Là j’avais plus l’impression qu’il avait décidé de rassembler en moi toute cette frustration que j’avais pu accumuler durant ces dernières années et de l’en extirper sans aucune douceur tout en espérant peut-être que cela passerait. Et bien cela ne passait pas. Je l’avais en travers la gorge. Mes yeux cobalts le fixaient presque méchamment alors que ma mâchoire se contractait de façon répétée au rythme d’une respiration qui était complètement décousue. Pourtant, je le vis se tasser sur lui-même. Cela sembla me calmer mais en même temps m’interroger. Avait-il peur que je le frappe ? Lâchant comme une sorte de grognement face à sa réplique, je détournai alors à mon tour les yeux. « Oui, nous en parlerons plus tard, tu peux compter sur moi. » lui répondis-je en espagnol alors que je levais la main pour la poser sur sa tête et lui ébouriffer les cheveux avant de me détourner. Une façon bien à moi de lui dire que j’étais content de le voir mais je ruminais encore ma colère, il ne fallait pas m’en demander plus.
Je partais alors vers la station de musique, tentant d’esquiver les regards qui m’étaient adressés, des regards quand même interrogateurs. Logique quand on est témoin de pareilles situations. « Affaire de famille. » dis-je alors que je mettais Empty Prayers de Mary J. Blige pour débuter le cours. « Nous allons commencer par quelques exercices d’échauffement et d’assouplissement pour délier vos articulations et réveiller vos muscles. Je vous demande de suivre ce que je fais, ce n’est pas une chorégraphie en l’état donc prenez le temps d’écouter votre corps et de sentir son état. » dis-je alors je commençais par des mouvements de la tête. Rien de très spécial en soi, un échauffement de base pour bien se mettre en conditions. Faisant tout le panel articulaire, je leur proposai ensuite des exercices plus accès sur la torsion du corps et des jambes, permettant de vraiment étirer chaque muscle pour gagner en amplitude. Je quittais ma place devant le miroir pour passer entre eux, les corrigeant alors lorsque c’était nécessaire. J’avais repris ma casquette de danseurs même si je gardai quand même quelques regards pour voir comment se débrouiller mon petit frère.
Je vins ensuite leur proposer de me montrer une composition de leur choix afin de voir ce qu’ils et elles étaient capables de proposer. Les élèves étaient d’un bon niveau, ils avaient de l’expérience pour la plupart. Pour d’autres, c’était encore un peu brouillon mais ils donnaient le meilleur d’eux-mêmes, j’en profitai pour débriefer brièvement avec chacun d’entres eux à la fin de leur présentation. Puis vint le tour d’Oliver qui avait tenté d’éviter l’exercice. L’un des danseurs avait évoqué son nom quand j’interrogeai du regard l’assemblée afin de savoir qui n’était pas passé. Alors bien sûr que j’avais vu qu’il en manquait un, à dire vrai, il était le seul que je connaissais et difficile de le louper. Lui faisant un mouvement de tête pour lui demander de s’exécuter, je vins à m’appuyer contre l’une des barres du studio pour regarder ce qu’il avait à proposer.
Pourtant mes sourcils se fronçaient de façon régulière. J’observai ses pas, ses figures. Rien n’allait. Je vins à pincer les lèvres alors que je le regardais poursuivre sa chorégraphie. Alors cela aurait été quelqu’un d’autres. Je ne serai sans doute pas dans cet état. Mais c’était mon frère. J’avais suivi ses débuts, je connaissais son niveau et là on était largement en deçà de ce qu’il était capable de faire. Pourtant j’écarquillai les yeux lorsque je vis le mouvement bien trop ample que fit sa cheville. On était à deux doigts de la catastrophe. Mais ce à quoi je ne m’attendais certainement pas ce fut cette chute violente qui me fit me redresser pour me diriger vers lui. Je n’eus pas le temps de l’atteindre qu’il s’était déjà relevé pour couper la musique.
« Je vous demande vous mettre par deux afin de proposer une chorégraphie sur un thème de votre choix. L’idée est de retranscrire quelque chose que les autres devront comprendre et pouvoir devenir. La musique est à votre choix. Je reviens. » indiquai-je alors que je vins me diriger vers mon petit frère à grandes enjambées, l’attrapant par le bras pour le tirer vers moi. Je n’attendis pas que ses jambes suivent, je me baissais pour passer mon autre bras sous ses genoux et je me dirigeai vers la sortie du studio pour me diriger vers les vestiaires. Je faisais mine de ne rien entendre de ses remarques face à mon attitude, ne m’arrêtant que lorsque j’atteins l’un des bancs pour l’y déposer. « Tu restes allongé, compris. » dis-je alors en lui lançant un regard sévère et que je le pointai du doigt pour lui faire comprendre que ce n’était pas la peine de discuter cela. Je me dirigeai vers l’armoire à pharmacie pour en sortir une poche de glace, une bombe de froid afin de lui ramener et de poser une bouteille d’eau à côté. « Tu as mal où ? » lui demandais-je alors que je m’asseyais à côté de lui en lui tendant la poche de glace alors que j’agitai la bombe. « C’était quoi là ce que tu m’as fait ? Oli, je connais ton niveau, je te vois encore danser. Donc c’était quoi ça ? » Oui j’avais suivi sa carrière de loin, ça je n’allais pas m’en cacher.
Je suis incapable de savoir ce qui m’arrive alors que je le connais cet enchaînement. J’en ai bouffé de cette chorégraphie si bien que je suis absolument capable d’improviser de façon à ne pas déranger l’enchaînement et que celui-ci reste fluide malgré tout. Mais aujourd’hui ce n’est vraiment pas un jour avec et il aura fallu d’une chute pour me faire comprendre que je ne devrais pas insister davantage. J’ai, toutefois, tout juste le temps de couper la musique dans l’optique de sortir pour me calmer, que déjà mon frère apparaît derrière moi et, sans crier gare, me soulève comme si j’étais un poids plume. « Mais qu’est-ce tu fous ?! » m’exclamais-je en coréen. Reflex idiot que j’ai lorsque je suis bien trop surpris par une situation. Je tente bien de me débattre mais c’est, tel une princesse, que je me fais transporter dans les bras de mon frère jusqu’aux vestiaires où il me dépose sur un banc.
J’allais me lever, mais il m’intime vivement de ne pas bouger et j’obtempère non sans grogner de mécontentement, alors qu’Abel s’en va pour aller chercher une poche de glace et un spray glaçant dans la pharmacie. En revenant, il me file la poche et secoue la bombonne en me demandant où j’ai mal, souhaitant, en plus, savoir ce qui m’arrive et ce que c’était que cette présentation merdique. «J’en sais rien » soufflais-je en me redressant pour retirer ma chaussette et observer ma cheville « Je suis juste crevé et tu m’as déconcentré » évidemment, il est toujours plus facile de rejeter la faute sur quelqu’un d’autre . « C’est juste un jour sans hein, pas besoin d’en faire tout un foin » reprenais-je en déposant la poche de glace sur mon pied « Tu ne m’en voudras pas si j’arrête le cours là-dessus hein ?» demandais-je en relevant un regard presque suppliant sur mon frère avant de me laisser tomber en arrière, m’allongeant à nouveau sur le banc . « J’ai pensé que ce serait une bonne idée de venir te voir pendant qu’on danse parce qu’on aurait été tous les deux dans notre éléments et les frictions n’auraient pas eu lieux d’être » je secoue la tête en soupirant, posant mes mains sur mon front « Quelle idée de merde j’ai encore eu » je ferme les yeux et prend une profonde inspiration, me trouvant réellement con pour le coup.
Sciemment ignorer les propos d’un interlocuteur, je savais parfaitement faire – et comment dire que j’étais en train d’en faire la démonstration en dépit des gigotements de mon petit frère qui tentait de se soustraire à mon emprise alors que je l’embarquais en dehors du studio. Alors cela devait sans doute être très bizarre vu de l’extérieur, moi-même j’aurai été sans doute le premier à me demander ce qui pouvait bien se passer. D’ailleurs, je ne relevai même pas l’exclamation de mon cadet, qui s’était exprimée dans la seule langue avec laquelle j’étais incapable d’aligner deux mots – contrairement à lui. Après tout, si je ne comprenais pas, je ne pouvais pas agir en conséquence. Toutefois, cela devait sans doute être une supplique pour me demander de le lâcher ou quelque chose dans ce genre. Enfin bref quoi qu’il en soit, je l’avais ramené jusqu’au vestiaire pour le poser sur un banc et récupérer de quoi soulager sa chute.
« Donc si je comprends bien, c’est ma faute ? » demandai-je alors en levant vers lui mes yeux un bref instant, alors que je secouais la bombe avant d’en pulvériser un peu sur sa cheville qui m’était présentée. J’avais dit cela d’une façon… amusée. Cela contrastait quelque peu avec mes précédentes réactions que j’avais eu à son égard. Cependant, sa question me fit le regarder un peu plus longuement, me demandant s’il était vraiment sérieux pour le coup. Bon je pouvais comprendre qu’il n’avait pas forcément envie de poursuivre après ce qui venait de se passer. Il faut dire que ces retrouvailles étaient finalement un peu… mouvementées, par ma faute en grande partie. Le regardant se laisser tomber en arrière, je poussais un soupire qui s’acheva sur un léger rire. « Est-ce que ces six années loin de moi t’ont fait oublier comment j’étais ? Tu me déçois là. » déclarai-je alors que je me levai pour venir finalement m’assoir sur le sol, collant mon dos contre le bas où se trouvait Oliver.
« Il faudra quand même que tu m’expliques un peu le raisonnement. Tu décides de couper les ponts après un moment où tu m’as fui comme la peste. Tu t’attendais à ce que je le prenne bien et que je t’accueille les bras ouverts quand tu aurais décidé qu’il était temps de se retrouver ? » C’était à la fois taquin et un brin cynique ; mais bon je pense que j’avais bien le droit de réagir quand même ainsi. « Après, tu sais juste un message pour me prévenir, même un appel… j’aurai peut-être pu prendre sur moi. Puis même tes questions qui semblent si innocentes… J’avais l’impression que tu me testais comme si j’étais un vulgaire inconnu. » confiai-je alors que j’étirai mes jambes devant moi. « Même si on va continuer cette discussion car j’ai quand même un cours à donner, est-ce que tu serais d’accord pour danser avec moi ? Je te laisse le choix du thème, de la musique. Tu donnes le ton et je te suis. » une façon comme une autre de lui tendre un peu la main quelque part.
Je laisse échapper un soupire qui se fini en grimace de surprise lorsque mon frère pulvérise de la bombe glaçante sur ma cheville tandis qu'il s'amuse en me disant que, s'il comprend bien mes paroles, ce serait de sa faute si je me suis blessé. « Non c'est pas ça, c'est juste que ...» que quoi ? Que je suis nul ? Que je me laisse trop facilement distraire ? Que je craque trop facilement sous la pression ? Je secoue la tête, lui signifiant ainsi silencieusement que je n'ai aucune réelle explication à lui fournir et fini par me coucher sur le banc. Tandis que je me passe une main sur le visage, j'ai le culot de lui demander si ça le dérangerait que j'arrête maintenant son cours, oubliant presque à qui j'ai affaire. Mon frère n'est pas quelqu'un qui abandonne, lui, et il ne supporte pas que quelqu'un d'autre abandonne.
Pinçant les lèvres, je l'observe, du coin de l'oeil, s'asseoir sur le sol à côté de moi et l'écoute me demander des explications sur mes agissement. Déglutissant, je reporte mon regard sur le plafond, tout en continuant d'écouter Abel me dire qu'un simple message aurait tout changer et que mes questions étaient vraiment déplacées « Au début je voulais simplement prendre un peu de distance et me détâcher un peu de toi pour qu'on cesse de dire que je suis le Frère de » expliquais-je alors que m'humecte les lèvres « Et d'un coup, sans que je ne l'explique ça a prit une bien trop grande ampleur. Du détachement je suis passé à la jalousie puis à la colère sans savoir pourquoi » je me masse un peu les tempes « Je t'enviais secrètement. Je pense que si j'avais été reçu à l'examen, ça aurait absolument tout changé, mais quelque pars j'étais jaloux de ton succès » je hausse les épaules « Tu as toujours été mon héro, celui à qui je voulais ressembler, à tel point que je me suis étouffer tout seul à vivre dans l'ombre de tout ce que tu réussissais » je secoue doucement la tête et soupire en laissant à nouveau tomber mes mains sur mon ventre « Je suis désolé d'avoir laisser mon ego entrer en jeu, puis ma fierté qui m'interdisais de reprendre contact avec toi » je ferme un instant les yeux « Alors que dans le fond, tout ce que je voulais, c'était retrouver mon grand frère et partager ma passion et mon métier avec lui » je prends une profonde inspiration « Car au final, j'ai réussi quoi. J'ai eu mon propre succès et je me suis créé ma propre histoire à tel point qu'on oubliait que j'étais le frère d'Abel Greetham »
Je tourne mon visage vers mon frère, observant sa réaction avant que mon cœur ne ratte un battement lorsqu'il me demande si j'accepterais de partager la scène avec lui, là, maintenant, tout de suite, me laissant le choix de la musique et du thème «Je … tu ... » bégayais-je en me redressant sur un coude « Vraiment ? Tu accepterais de … danser de nouveau avec moi ?» demandais-je, ne pouvant presque pas en croire mes oreilles «Je ...enfin je veux dire... ouais ! Ouais, je serais grave chaud ! » reprenais-je en me redressant totalement pour m'asseoir sur le banc « On a cas faire celle qu'on a créé ensemble » dis-je avec un entrain certain. S'il y a bien une danse que je n'oublierais jamais, même après de nombreuses années sans la pratiquer avec le principal intéressé, c'est bien celle que nous avons inventé et perfectionner ensemble et qui est, encore de nombreuses années après, celle que j'aime le plus.
J’aurai pu lui demander s’il n’avait pas trop mal face à ce souffle glacé qui venait de s’échapper de la bombe que je venais d’actionner. Mais pour le coup, je fis complètement abstraction de sa réaction comme si c’était tout à fait normal comme réaction et qu’il ne fallait pas s’en formaliser plus qu’autre chose ; oh je n’étais en rien quelqu’un de rancunier, à dire vrai, c’était même tout l’inverse. Je pouvais être en colère, ruminer ma frustration et mon agacement mais une fois que j’avais explosé, je retrouvais une certaine forme de calme et de sérénité. Après tout, après la pluie vient le beau temps – même si j’avais peut-être plus agi comme une tempête face à mon petit frère. D’ailleurs ma réaction face à sa phrase quelque peu confuse fut de le regarder fixement, haussant l’un de mes sourcils dans une expression exprimant parfaitement une forme de scepticisme évident. « Hum… ? » fut le seul son qui s’échappa de mes lèvres, une façon de lui demander s’il avait quelque chose à rajouter ou est-ce qu’il préférait en rester là ? manifestement, mon frère avait soudainement perdu sa capacité de parler. Bon d’un côté, il valait mieux en rester là que de se confondre en excuses.
Appuyé contre le banc, j’avais la tête tournée vers lui, écoutant finalement les raisons ou du moins les explications de tout ce qui avait tant modifié notre relation. Je le méritais quand même, enfin je le pensais. Alors je n’étais peut-être pas le grand frère ou la personne la plus irréprochable de la Terre, je pouvais me louper – et pas qu’un peu – mais je ne pensais pas avoir merdé à ce point avec Oliver. Mes sourcils se froncèrent quelque peu face à ses premières paroles. « C’est si grave d’être mon frère ? » demandai-je quand même en penchant légèrement la tête. Parce que là, je ne l’avais pas vu venir celle-là. Pas du tout même. Pourtant je viens à le laisser poursuivre. A dire vrai, je commençais peu à peu à comprendre, du moins à discerner le mal être dans lequel Oliver s’était retrouvé. Je finis par pousser un soupire alors que je levais ma main droite pour lui mettre une petite tape sur sa tête. « Oliver Oaks, tu es un putain d’idiot. » assénai-je en guise de préambule. « Pourquoi tu ne m’en as pas parlé tout simplement ? Je me doute que ne pas avoir été reçu à l’examen a été difficile mais tu avais déjà bien des cartes en main pour poursuivre dans la danse, même si ce n’était pas au Ballet. Comme tu le soulignes, tu as conquis le monde à ta façon, avec ton histoire, ton style. Tu sais j’ai suivi chacune de tes dates, des actualités… Ca me flatte que je sois ton héros mais je ne pensais pas que tu te mettais autant la pression par rapport à moi. » Pour le coup, je ne m’étais jamais douté de ça. J’étais peut-être trop déboussolé de faire face à tant de véhémence de sa part pour sans doute entrevoir la jalousie de mon frère vis-à-vis de ma carrière. Alors certes, j’avais déjà eu à composer avec la jalousie mais j’ignorai profondément que cela avait pu naître dans le cœur de mon petit frère. Comme quoi, j’avais loupé le coche pour le coup. « Je ne te pensais pas aussi fier, tu dois tenir ça de papa je crois. » dis-je en riant légèrement. « Si on est sur les confidences, je pense que tu te doutes que j’ai très mal vécu tout ça. Mais j’étais coincé parce que tu ne voulais plus entendre parler de moi alors pour tenter de renouer avec toi, c’était compliqué. Mais… je suis content que tu te sois décidé à venir, même si c’était un peu maladroit. »
La réaction d’Oliver vint me faire alors rire à gorge déployée. « Je ne t’en aurai pas fait la proposition, si je ne voulais pas. » arguai-je en secouant légèrement la tête. Oui, je n’étais pas quelqu’un qui me forçait par essence. J’étais un peu vacciné par mon enfance dans ce domaine. Mais voir l’étonnement et presque l’euphorie cachée de mon cadet me fit quand même chaud au cœur. Je le regardai se lever alors qu’il me proposait la chorégraphie qu’on avait créé ensemble il y a bien des années de cela. « Je n’en attendais pas moins comme proposition. Allez viens. » Je me levais à mon tour, surplombant de nouveau Oliver de ma taille, alors que je passai un bras autour de ses épaules pour le ramener contre moi, posant un baiser sur son front. « Tu m’as manqué, tu sais… ».
Je nous dirigeai alors vers le studio où les autres danseurs devaient quand même se demander ce qui se passait. D’ailleurs quelques têtes entrèrent dans mon champ de vision. Je ne m’étais pas trompé pour le coup. Entrant alors avec Oliver sous le bras, je décidais de prendre la parole afin de donner quelques explications. « Je m’excuse de cette disparition soudaine… des affaires à régler avec mon petit frère. » dis-je en regardant mon cadet avec un sourire avant de me tourner vers mes élèves. « Pour se faire pardonner, on va vous proposer quelque chose qu’on a construit tous les deux, il y a quelques années. »
Je me décidai à le lâcher afin d’aller mettre la musique de Daughter – Medicine avant de rejoindre Oliver. Dès les premières notes, c’était parti.
Est-ce si grave d'être le frère d'Abel ? Oui et non. Oui, car je me suis pendant tant d'années mis une pression énorme pour réussir à l'atteindre à la cheville. Non, car, au final, il ne s'est jamais comparé à moi, il ne m'a jamais fait aucune remarque et m'a toujours laissé vivre ma passion comme bon me semblait sans jamais s'immiscer dans ce que j'entreprenais. Il était dur et souvent intransigeant lorsque nous nous entraînions ensemble, mais il ne m'a jamais obligé à rien. Pour toute réponse, je laisse un nouveau soupir s'échapper de mes lèvres avant de m'effrayer et de grogner lorsqu'il me frappe le front avec le plat de sa main, me traitant d'idiot par la même occasion avant de se lancer, à son tour, dans des explications.
Il met le doigt sur le manque de communication entre nous et je ferme les yeux tandis qu'il dit qu'il se doutait fortement que ça avait dû être dur pour moi de ne pas être reçu à l'examen, mais qu'au final, j'avais quand même déjà toutes les cartes en main pour me faire un nom dans le milieu de la danse. Et c'est ce que j'ai fait ! Lorsque j'apprends que, malgré tout, il a suivi ma carrière de loin, mon cœur se réchauffe instantanément et en même temps une boule se forme au niveau de ma gorge. Je ne mérite pas ce grand frère qui est bien trop parfait pour moi. Et je me sens d'autant plus mal lorsqu'il exprime à quel point mon silence et le fait que je l'ai viré de ma vie lui a longtemps pesé. « Désolé, vraiment. Je ne pensais pas que je te faisais autant de peine. Je… À vrai dire, je pensais que ta peine s'était déjà transformée en rancœur tellement profonde que tu ne voudrais de toute manière plus jamais me parler » je déglutis difficilement et soupire doucement.
Toutefois, je me rends très rapidement compte qu'il n'émane absolument plus aucune rancœur de la part de mon frère lorsqu'il me demande si je souhaite partager la scène avec lui tout à l'heure. Ce souhait exprimé à haute voix me laisse sans voix et j'ai besoin de quelques minutes de plus pour comprendre qu'il est sincère. Et lorsque je me rends compte qu'il le souhaite vraiment, je laisse mon entrain s'exprimer, lui proposant directement de présenter la danse que nous avons créée tous les deux.
C'est, dans un rire amusé, qu'Abel accepte avant que je ne retrouve enfin à nouveau ses bras. Mais cette fois-ci, ce n'est pas pour être porté comme une poupée de chiffon, mais bel et bien pour un câlin dont seul lui détient le secret. Fermant les yeux, je me laisse aller contre son épaule, refermant, à mon tour, mes bras autour de sa taille. Le baiser qu'il dépose alors sur mon crâne a le don de me donner le reste et le sourire qui s'affiche sur mon visage lorsqu'il me dit que je lui ai manqué est le plus vrai qui a étiré mes lèvres depuis un long moment « Toi aussi » soufflais-je la sincérité.
Ensemble, nous retournons donc à la salle où les danseurs nous attendent déjà. Abel s'excuse rapidement en notre nom avant d'annoncer notre présentation. C'est presque à contrecœur que je le lâche et que je me mets en position au milieu de la salle. Dès les premières notes, j'oublie tout ce qui s'est passé jusqu'à présent. J'oublie les années passées loin de mon frère, j'oublie ma jalousie et je laisse partir mon ego qui m'a joué beaucoup trop de tour. Nos mouvements sont coordonnés, les enchaînements sont fluides, les portés sont aériens. Cette chorégraphie, nous l'avons tellement répétée que je peux compter sur la mémoire musculaire lorsque celle de l'esprit me fait défaut. Je bloque sur deux ou trois pas, mais Abel me sauve la mise et la danse continue jusqu'au bout comme si de rien n'était.
Lorsque les dernières notes retentissent et que nous nous immobilisant, j'attends encore quelques instants, le temps pour mon esprit de revenir à nouveau sur terre, avant de m'avancer vers Abel et de le prendre, à mon tour, dans mes bras. Entourant ses hanches de mes bras, je le sers fort contre moi et ferme les yeux « Merci » soufflais-je, seulement pour lui. Merci pour la danse, merci pour ce duo, merci de m'avoir pardonné, merci de ne pas avoir changé et merci d'être toujours le grand frère que j'aime depuis tant d'années et que je n'ai jamais cessé d'aimer.
Quelque part, je prenais conscience de ce qu’Oliver avait pu vivre. Est-ce que sa place je n’aurai pas éprouvé une certaine forme de jalousie aussi ? Nous avons tous les deux étaient élevés par des parents qui voulaient qu’on accomplisse des grandes choses, de réaliser une carrière qui permettait d’accéder à la reconnaissance sociale, au prestige. Alors d’une certaine façon, ni Oliver, ni moi n’avions décidé de nous diriger vers les domaines qu’ils espéraient ; pourtant leur éducation avait quand même transparu dans notre façon de se considérer, dans les buts qu’on se fixait. Alors si j’étais l’idéal de mon cadet, je pouvais comprendre que me voir au-devant de la scène, encensé par la critique… cela avait de quoi nourrir un profond ressentiment parce qu’il n’était pas le premier, il était le deuxième. Pourtant, c’était l’occasion pour moi de lui montrer que je n’étais pas comme papa ou maman, que je le voyais d’une façon bien différente, comme un grand frère qui souhaitait le meilleur pour son petit frère. « Idiot, la prochaine fois que tu doutes, viens me voir au lieu d’aller t’enterrer je ne sais où. » soufflai-je alors que je le tenais contre moi. Je sentais une douceur chaleur émaner de moi à cet instant. Un sentiment de sérénité et de calme que je n’avais plus ressenti depuis un moment en étant près de lui. Je profite de cet instant, un peu hors du temps, le gardant près de moi comme si je craignais qu’il ne s’échappe de nouveau, fermant un instant les yeux pour mieux savourer le fait que je retrouvais mon petit frère, mon premier partenaire de danse et sans doute l’un des meilleurs que j’ai pu avoir. « Tu es mon petit frère quoi qu’il arrive. Le jour où je ne te parlerai plus, c’est que je suis passé de l’autre côté. » murmurai-je alors que nous rejoignions le studio.
Les premières notes de musique me suffisent à me replonger des années en arrière, éluant rapidement tout ce qui avait pu se passer. Mon regard cobalt s’était posé sur mon cadet, un léger sourire à son attention alors que je venais poser main sur son épaule pour exécuter le premier pas. Les mouvements sont fluides, tantôt rapides, tantôt lents, tantôt avec un ralenti volontaire. Un saut, un appui sur l’accent. Nous voilà parti dans notre bulle, offrant au public une danse dont on avait le secret. Il n’y avait pas besoin de réfléchir, pas besoin de prédire. Nous avons juste à nous laisser nous exprimer de la plus belle des façons. Dans l’euphorie, je sens qu’Oliver perd un peu pied sur certains pas pourtant je viens le rattraper à temps, venant lui éviter une mauvaise chute et mieux repartir sur un porté.
La musique vint à s’achever. Reprenant ma respiration dans une profonde inspiration, je cherchai Oliver du regard. Pourtant celui-ci s’était déjà rapproché de moi, passant ses bras autour des mes hanches pour me serrer contre lui. Surpris dans un premier temps, mes traits vinrent à s’adoucir dans une expression de sérénité et de bonheur. Mes yeux se plissèrent légèrement alors que je glissais mes bras autour de lui pour le serrer un peu plus fort contre moi avec un sourire affectueux, enfouissant mon visage dans ses cheveux. « Merci à toi de m’être revenu. »
Enfin, je retrouvai enfin mon petit frère après tout ce temps. Ce petit frère que j’avais vu grandir et avec qui je partageai ma passion de la danse. Nous étions certes différents, nous n’apprécions pas forcément les mêmes choses mais dans ces moments, c’était comme si je retrouvai ce partenaire avec qui je n’avais plus dansé depuis si longtemps – c’était un peu le cas à dire vrai. Notre danse avait séduit les autres personnes présentes qui applaudissaient fortement, certains huaient d’ailleurs. Cela me fit sourire alors que je levai ma tête pour les regarder. Finalement, cela a du bon de rentrer chez soi.
Hors-jeu : Je crois qu'on peut l'achever ici ce beau rp de retrouvailles