Il trouve ça plutôt ironique que de revenir dans les locaux d’ABC en tant qu’invité de marque alors que ce sont eux qui lui ont montré la porte, il y a quelques mois à peine. Maintenant, il est un invité dans l’émission du soir, après que l’attaché de presse ait fait des pieds et des mains pour obtenir sa présence et celle de sa biographe. Rhett a arraché un rire faux en entendant la demande, tout comme il a retenu des insultes qu’il a pensé très, très fort. Ils l’ont renvoyé comme un malpropre et maintenant que la biographie fonctionne et qu’ils ont à se faire pardonner, ils lui mangent dans la main. Hartfield ne serait même étonné qu’on lui propose finalement de travailler à nouveau en tant que consultant, alors qu’ils échangeraient leurs pâles excuses contre des formules de politesse toutes faites. Il est le petit chéri de l’Australie, le pauvre, pauvre petit sportif dont la vie a basculé à cause d’un chauffard, et dont le coeur a été mis à mal par la perte de son frère. Tout est vrai, même sa relation catastrophique avec Mabel, et surtout ses excuses à l’encontre de Jenna. Il a fait revivre la passion des fans de rugby, a fait tomber les cœurs de ces dames. Il est partout, Rhett, et Nine est presque devenu un mot à lui seul, parce qu’il force l’admiration d’inconnus qui justement ne le connaissent qu’au travers de la plume de Greta et du sourire impeccable qu’il offre sur les plateaux - bien sûr que sa plastique entre en compte, en témoigne son nombre d’abonnés croissant sur les réseaux.

“T’as déjà fait des plateaux ?” Il lui demande, encore en coulisse, chacun devant son miroir en train de se faire combler tous les pores de la peau par un fond de teint hors de prix. Le regard du Hartfield vacille en direction de la jeune femme, sans pour autant arriver à la voir (s’il bouge, sa maquilleuse le tue, et il le sait). Cette date est leur première d’une longue tournée de promotion, repoussée de très précisément six semaines à cause du petit séjour de Rhett en Suisse (doux synonyme de centre de désintoxication pour riches). Maintenant, tous deux reprennent enfin le cours de leur vie, tel qu’il aurait dû l’être avant. Et comme avant, Rhett tourne à l’Oxycodone, cette fois-ci aidé par Mickey, devenu un allié inespéré dans cette guerre qui n’en est pas une. Après tout, personne ne sait qu’il en a toujours besoin, et il se passera très bien de le dire. Ses pupilles le trahissent à peine, il sera le premier à rejeter la faute sur les lumières incandescentes du plateau. “J’ai croisé Mike pendant trois ans. Toujours en retard, celui-là. Je pense pas qu’il prépare ses interviews lui-même.” Il commente, quitte à ce que le mot se répande via les maquilleurs. Peu importe. Après tout, il ne travaille plus ici et n’a donc rien à perdre. Si Mike était toujours en retard, et l’est sans doute encore maintenant, ce n’est pas son problème et certainement pas sa faute non plus. “Mais il est doué pour faire le buzz. Alors fais attention à tes mots.” Qui seront tous mal interprétés, sans que ce ne soit jamais la faute à un malentendu. Mike est toujours en retard mais, surtout, Mike sait très bien ce qu’il fait. Il fait parler, et c’est pour ça qu’ABC en a fait sa coqueluche des heures de grandes affluences. C’est aussi pour ça qu’ils sont là, ce soir. “Si t’as un cadavre dans le placard, il le saura.” Il souffle finalement, pour elle autant que pour lui. La seule avance qu’il a sur Greta, c’est que tous ses cadavres ont été exposés dans le livre, à la différence de l’anglaise dont il se soucie sans doute un peu en cet instant. Elle a quelque chose à y perdre, là où il ne peut qu’y gagner de son côté.

Nine, par Greta Moore.
La calligraphie n’était pas celle qu’elle espérait, le cliché du nom écrit en lettres dorées n’y était pas, et pourtant, un ouvrage était bel et bien installé avec élégance sur les étagères des librairies et des  grandes enseignes et ce sentiment de réussite, elle ne l’avait plus ressenti depuis 2014. Neuf années d’errance pour renaître comme un phoenix sous un titre extrêmement ironique. Alors elle avait sorti des tenues un peu plus chic pour feindre une entière assurance et composition sur les plateaux et en avait profité pour laisser au placard les éventuelles rancoeurs contre un Rhett froid et directif ou les craintes du passé, les peines de coeur, les mensonges. Elle était une biographe australienne et elle avait passé l’âge de se noyer dans l’alcool à la moindre déconvenue. Ce personnage, elle le tiendrait grâce à un sourire angélique qui ne la quitterait pas durant toute la durée de leur passage à ABC. Au fond, c’était plutôt pour lui qu’elle était inquiète parce qu’il était en train d’affronter tout ceux qui lui avaient tourné le dos et, encore une fois, Rhett Hartfield inspirait le respect. Il était droit et fier, loin de laisser penser que chaque personne autour d’eux lui avait tourné le dos et qu’il y’a quelques temps encore il était au milieu d’un scandale. Alors elle aimait à penser qu’elle avait participé à sa renaissance, à lui aussi.

“T’as déjà fait des plateaux ?” « Malheureusement, oui. Papa et maman adoraient montrer au monde comme on était chic et distingués avec Carmine. » Et se retrouver ainsi assise face à un miroir qui renvoyait une image lisse et parfaite de sa personne grâce aux artifices lui laissait un goût étrange, mais elle s’efforçait de garder un esprit positif. Se tournant vers Rhett parce qu’elle n’avait que faire des vociférations des coiffeurs et maquilleurs qui bourdonnaient autour d’elle, Greta lui avait lancé un sourire complice - parce qu’elle continuait à le soutenir, à croire en lui et à s’attacher à ce personnage qu’on avait voulu vendre comme parfait alors qu’il était plein de reliefs. “J’ai croisé Mike pendant trois ans. Toujours en retard, celui-là. Je pense pas qu’il prépare ses interviews lui-même.” Bien sûr que non, bien sûr que stagiaires ou autres employés sous-payés travaillaient à élaborer des questions dignes de ce nom pour des journalistes aux sourires ultra-bright dont l’éloquence était parfois la seule qualité. « C’est une technique comme une autre pour se donner de l’importance. » Son avis était tranché, pourtant, Greta le savait, le métier regorgeait également de réels talents et de personnes bienveillantes mais ABC et le passé commun avec Rhett ne lui laissaient pas percevoir de bonnes ondes. Elle aurait voulu chuchoter mais le regard des maquilleurs ne trahissait pas, alors elle avait accepté les gros yeux que lui avait fait Rhett en haussant de nouveau les épaules. Elle était incroyablement détachée et sereine, pour elle, le plus dur était passé. Le syndrôme de la page blanche, les passages dans le bureau de Sergio, la tentative pour regagner la confiance de Juliet. Gérer l’écriture de la biographie d’un homme à la dérive alors qu’elle-même se laissait sombrer. “Mais il est doué pour faire le buzz. Alors fais attention à tes mots. « Oui, papa. » avait-elle répondu et elle savait que cette attitude enfantine agaçait profondément Hartfield. « Hey, à quel moment tu vas enfin réussir à me faire confiance ? Genre juste avant d'apparaître ensemble sur un plateau ça me parait pas mal comme timing. » Elle avait haussé les yeux au ciel et secoué la tête pour signifier son propre agacement même si elle comprenait, même si elle ne pouvait que le remercier de s’assurer qu’elle soit la meilleure version d’elle-même. Pourtant, quelque part dans un coin de son esprit, Greta ne pouvait pas s’empêcher de le trouver un tantinet hypocrite parce que si quelqu’un avait pu mettre ce projet en danger, c’était bel et bien lui. “Si t’as un cadavre dans le placard, il le saura.” Ces dernières paroles étaient venues la faire frissonner, parce que plus qu’un cadavre, un cimetière entier pouvait entrer dans son placard à la taille démesurée. Le fait que Sergio soit inclus dans le projet lui assurait sans doute de mauvaises surprises mais elle refusait de penser à cela maintenant.« C’est toi la star, Hartfield. » avait-elle répondu en exerçant un petit bon pour s’extraire de cette chaise où elle avait été assise bien trop longtemps. Profitant des rafraichissements de la loge, elle s’était assise un instant sur le canapé, se faisant peu d’illusion sur le temps que mettrait le fameux Mike à venir les chercher. « Tu te sens prêt ? » Elle posait la question en sachant pertinemment que la réponse serait évasive mais elle n’arrêterait probablement jamais de tenter de lui prouver qu’elle était de son côté.

Elle a déjà fait des plateaux, donc, et c’est déjà rassurant en soi. Elle sait à peu près comment les choses vont se passer, elle a déjà eu un entraînement avant aujourd’hui. Cela signifie que les choses se passeront sûrement bien, ou tout du moins pas aussi mal que Rhett aurait pu l’imaginer un temps. Et quand bien même les choses se passeraient mal, Greta sait au moins à quoi s’attendre ; plus ou moins. Chaque plateau est différent, mais la comédie reste toujours la même, évidente au point où Rhett lui-même s’en rend compte, sans pour autant être capable de la détester. Il aime bien trop être au cœur de l’attention pour oser un tel jugement. « C’est une technique comme une autre pour se donner de l’importance. » Peut-être. Peut-être pas. Rhett n’aime pas cette technique sans doute parce qu’elle le faisait lui-même perdre une partie de la lumière, mais aujourd’hui ils ne travaillent même plus ensemble alors cela veut sûrement dire qu’il n’y a plus rien à craindre. Pour autant, cela ne l’empêche pas de donner un conseil supplémentaire à Greta, comme s’il n’y connaissait mieux qu’elle sur le sujet. « Oui, papa. » Le nouveau terme lui fait froid dans le dos maintenant qu’il lui rappelle toute une dispute avec Evelyn et une réunion particulière avec Jenna. Il serre les dents, mime l’indifférence, et s’enfonce dans son silence nécessaire. « Hey, à quel moment tu vas enfin réussir à me faire confiance ? Genre juste avant d'apparaître ensemble sur un plateau ça me parait pas mal comme timing. » Dit-elle, agacée sans que Rhett ne soit capable de comprendre à quel moment les choses ont pu mal tourner pour qu’elle réagisse de la sorte. “C’est en lui que j’ai pas confiance, pas en toi.” Et il tente de la protéger à sa façon, alors il pensait que cela était plutôt évident.

« C’est toi la star, Hartfield. »

Oh, il le sait, bien sûr. Il est la star à tous les niveaux, maintenant qu’il a tout perdu. Le monde entier a de la peine pour le garçon qui a perdu son frère et s’est perdu dans les méandres de l’addiction, et il voit dans les yeux de Ruben à quel point le cadet trouve ça injuste. Mais les choses sont telles qu’elles sont, et il est la star, ce qui n’empêche en rien Greta de pouvoir subir les conséquences de cette soirée à son tour. « Tu te sens prêt ? » Sa chaise tourne sur elle-même pour observer Greta, assise dans le canapé comme si tout ceci n’était qu’une soirée pyjama et qu’ils avaient encore l’âge d’être des adolescents. “Evie m’a fait du media training en accéléré.” Oui, il est prêt. Il ne l’a jamais autant été, et il craint sûrement de tout oublier s’ils ne font pas ce plateau ce soir, et tous les autres ensuite. Ils savaient à quoi s’attendre en faisant ce livre, cela fait partie du processus. Sur l’écran de la loge, montrant le plateau, ils annoncent la coupure pub et l’arrivée imminente de leurs deux invités du soir, ce qui donne à Rhett le temps de prendre une large inspiration. Peut-être qu’il a un peu le trac finalement, oui.

“Vous êtes à l’antenne dans deux minutes, on y va.” Et comme s’ils avaient encore l’âge d’être à l’école, on leur dicte la marche à suivre autant que la salle dans laquelle ils doivent se trouver. Rhett échange un dernier regard avec Greta avant de se lever de sa chaise et lui faire un signe de la main pour qu’elle passe avant lui. “Il fait le pitch sur le livre et ta vie, et après vous rentrez.” Rhett est pointé du doigt alors qu’ils arpentent le couloir menant jusqu’au studio, l’ancien rugbyman gardant ses mains dans les poches tel un enfant grondé. A défaut de répondre verbalement, il se contente de vachement hocher la tête, aimant toujours aussi peu l’idée qu’on lui dicte autant la marche à suivre. Face à l’écran, les minutes s’égrènent plus rapidement que jamais au gré des applaudissements forcés de la foule à qui on ordonne chaque chose. “[...] Numéro deux des ventes dans le monde entier, veuillez accueillir Rhett Hartfield et sa biographe, Greta Moore !” Et plus que jamais, le sourire sur le visage de Rhett est immense, signe que les choses vont enfin pouvoir reprendre. Il salue Mike en lui serrant la main, attend que Greta en ait fait de même pour s’asseoir après elle sur l’autre fauteuil restant. Au moins l’assise est confortable sur les plateaux. “Greta, Rhett, je suis heureux de vous avoir aujourd’hui sur le plateau.” - “Le plaisir est partagé.” Il annonce en souriant, après avoir jeté un regard à la jeune femme à ses côtés, pour mieux reposer ses yeux sur Mike. “Rhett, on est des collègues de longue date, comme beaucoup le savent. Alors… on peut se parler franchement, pas vrai ?” Oh, il sent le piège se refermer sur lui-même, Rhett, bien sûr, mais il est pieds et poings liés, alors il répond en hochant la tête. Oui, ils peuvent tout se dire - mais ça n’empêche pas Hartfield de vouloir lui en coller une, déjà. Mike se penche un peu plus en avant encore, mimant la confession auprès de Rhet. “Dis-moi, Greta est une belle femme, pas vrai ? Et vous avez passé quoi, des mois ? Des années ? à vous parler tous les jours pour écrire ce livre, à discuter de sujets difficiles, … ça crée forcément une certaine affinité, pas vrai ?” Est-ce qu’ils sont dans une foutue reconstitution des plateaux télé d’Hunger Games ? Le media training d’Evie ne l’avait certainement pas entraîné à ce genre de question à la con.

Le contexte aurait pu être un peu plus facile et pour cela il aurait suffit que Rhett n’ait pas pris ce ton à la limite de la condescendance et du paternalisme la dernière fois qu’il lui avait parlé mais, surtout, qu’il ne traîne pas tous ces délicats sujets derrière lui. Pourtant, même en eaux troubles, Greta avait décidé d’avancer à ses côtés et le premier point elle avait tenté de le mettre de côté parce que le second expliquait cet écart de conduite. Après tout, elle avait été la première à ne pas croire en cette image lisse d’un dandy que la presse lui prêtait alors le voir illustrer tous les reliefs de sa personnalité ne faisait que la conforter dans sa façon de penser.  “C’est en lui que j’ai pas confiance, pas en toi.” Un simple j’ai confiance en toi plutôt qu’une phrase détournée aurait été plus efficace à ce stade, mais c’était bon à prendre et Greta lui avait souri sans continuer dans ce sens. Rhett n’avait aucune intention, bonne ou mauvaise, si ce n’est celle de livrer à son public une biographie vraie et poignante et le livre avait atteint son apogée justement grâce à ce passage à vie qui avait créé l’événement. Mais c’était plus fort qu’elle, depuis tout cela, elle avait l’impression qu’un fossé encore plus important que celui qui les séparait avant leur rencontre s’était creusé et l’écrivaine avait bien du mal à voir le sujet de sa biographie comme un simple pion. Comme un métronome, Greta se calerait cependant à son rythme parce qu’ils devaient continuer à avancer ensemble maintenant que les échappatoires s’étaient évanouies. Mais une chose était claire et elle s’était empressée de lui rappeler, les cadavres qu’elle cachait dans le placard seraient éclipsés à la minute ou la caméra se reposerait sur son visage à lui. Du moins, elle l’espérait. “Evie m’a fait du media training en accéléré.” Evie. Il était évident que la jeune femme en savait long sur ce qui les attendait une fois dans le feu des projecteurs et pour l’avoir côtoyée rien que quelques heures, Greta savait qu’elle était le meilleur des professeurs. Mieux, c’était un pilier nécéssaire à la vie du sportif.  « Alors pas de doute, tu es prêt ! »  avait-elle répondu avec un sourire confiant. “Vous êtes à l’antenne dans deux minutes, on y va.” Greta jouait nerveusement avec une mèche de ses cheveux en précédant Rhett, et c’était peut-être finalement plus pour lui qu’elle appréhendait. “Il fait le pitch sur le livre et ta vie, et après vous rentrez.” Il n’aurait au moins pas à être assis face aux caméras alors qu’ils diraient ce qu’ils voudraient sur sa vie, c’était un plus. Et avant qu’ils n’aient eu le temps de plus réfléchir au moment, ils avaient dû prendre la direction du plateau.

“[...] Numéro deux des ventes dans le monde entier, veuillez accueillir Rhett Hartfield et sa biographe, Greta Moore !” Sa biographe Greta Moore. S’entendre être présentée ainsi lui avait plu et elle devait l’admettre alors c’est avec un sourire non dissimulé qu’elle s’était installée à côté d’un Rhett dont les regards se faisaient plus complices - pour le bien des caméras.  “Greta, Rhett, je suis heureux de vous avoir aujourd’hui sur le plateau.” - “Le plaisir est partagé.” Son sourire radieux et sa tête se tournant vers son collègue pour seule réponse, Greta avait laissé les choses se dérouler. “Rhett, on est des collègues de longue date, comme beaucoup le savent. Alors… on peut se parler franchement, pas vrai ?” Quelque chose lui disait que le fameux Mike ne ferait pas de cadeaux à son ancien collègue. “Dis-moi, Greta est une belle femme, pas vrai ? Et vous avez passé quoi, des mois ? Des années ? à vous parler tous les jours pour écrire ce livre, à discuter de sujets difficiles, … ça crée forcément une certaine affinité, pas vrai ?” « Merci pour le compliment mais où voulez-vous en venir exactement ? »  L’attaque n’était peut-être pas la meilleure des solutions, surtout dès le début de l’interview. Pourtant, la façon dont il avait de la décrire comme une belle femme ne lui laissait que présager le pire alors elle souhaitait recentrer la discussion dès le début.   « Notre entente a été cordiale, Rhett est extrêmement professionnel. Mais je peux sûrement me vanter de le connaître mieux que personne - c’est ce que se diront les lecteurs après avoir lu Nine. »  Vous savez, Mike, ce livre dont nous sommes venus parler ? C’était ce que son sourire à pleines dents était venu dire alors qu’elle se tournait vers Rhett comme pour chercher l’approbation. Heureusement, il n’avait pas fallu longtemps pour que le présentateur reprenne le contrôle. “Vous êtes douée avec les mots, à l'écrit comme à l'oral ! ” Sa jambe croisée sur l’autre s’agitait nerveusement et, repensant à la façon dont ses parents lui avaient rappelé qu’il fallait toujours garder une certaine composition à l’antenne et ne pas laisser paraître ses émotions, elle avait posé la main sur sa cuisse pour arrêter le mouvement. “Donc Rhett, on vous connaît comme l’ancien rugbyman, d’où le titre du livre, on vous a suivi depuis des années alors qu’allons-nous apprendre de nouveau en lisant Nine ?” avait-il finalement demandé, reportant son attention sur Rhett à son plus grand soulagement. Avec sa question, Mike avait attrapé le livre pour en montrer la couverture aux caméras et l’écrivaine avait retrouvé son calme alors que la raison de sa venue était toute retrouvée : promouvoir le livre.

Rhett a un sourire éteint à la seconde où ils se retrouvent sur le plateau. Cela signifie qu’il continue de sourire d’un point de vue extérieur et de donner le change, mais cela signifie aussi et surtout que le cœur n’y est pas. La tournée de promotion ne se passe pas de la façon dont ça aurait dû se passer, tout simplement. Sa propre vie ne tourne pas de la bonne manière, et évidemment que cela continue d’éveiller de nombreux doutes et questions dans l’esprit du Hartfield. Il déteste les questions de Mike, il déteste les sous-entendus qui n’en sont même pas, et il déteste savoir qu’Evelyn est sûrement en train de les écouter par la même occasion, parce qu’elle ne devrait jamais avoir à être relayée au millième plan. « Merci pour le compliment mais où voulez-vous en venir exactement ? » Elle ne fait que gagner du temps, tout le monde le sait. Il les écoute parlementer d’une oreille distraite, son visage tourné vers eux uniquement par pure politesse. Greta essaie de recentrer le sujet, Mike ne s’intéresse qu’aux informations qui pourraient enflammer Twitter. Une histoire d’amour autour d’un livre, évidemment que cela ferait vendre bien plus que le livre en lui-même ; malheureusement, ils n’ont rien de quoi le nourrir sur le sujet.

“Donc Rhett, on vous connaît comme l’ancien rugbyman, d’où le titre du livre, on vous a suivi depuis des années alors qu’allons-nous apprendre de nouveau en lisant Nine ?” Deux tentatives de suicide, un amour de jeunesse perdu, une addiction aux opioïdes. Un cocktail détonnant pour ravir les plus curieux, et surtout tous ceux qui n’en ont rien à faire du sport, qu’il se passe en Angleterre ou en Australie. “Beaucoup de choses, ce qui explique sans doute que le livre continue de se hisser sur le podium des meilleures ventes, même après toutes ces semaines.” Simplement éclipsé par la vie d’un prince de la Couronne, ce contre quoi même Rhett et son sourire ne peuvent lutter. “Ne me regarde pas comme ça, Mike, je ne gâcherai pas la surprise.” S’il a utilisé la plume et les mots d’une autre pour parler des moments les plus difficiles de son existence, c’est justement parce qu’il a toujours refusé de poser des mots dessus, et cela ne risque pas de changer. “Sans gâcher la moindre surprise, tout le monde sait aujourd’hui que vous êtes devenus dépendants des antidouleurs après un accident… est-ce que vous vous sentez capable d’évoquer la raison pour laquelle cette tournée de promotion a été retardée à son tour ?” Il se mord l’intérieur de la joue, ayant vu venir la question à quelques milliers de kilomètres à la ronde, sans pour autant avoir été capable de peser le pour et le contre. Il ne veut pas caché avoir été en cure, mais il ne veut pas non plus le crier sur tous les toits, surtout alors que le résultat a été parfaitement inexistant. “Greta ? Vous serez peut-être plus loquasse, Rhett semble avoir perdu sa langue.” Et Rhett dégage finalement son regard dans celui de sa biographe, clignant une seule et unique fois des yeux pour qu’elle comprenne qu’elle est bel et bien libre de parler comme elle l’entend. S’ils ne le disent pas ce soir, d’autres mèneront leur enquête, et le secret n’en sera de toute façon plus un assez rapidement.

Peut-être que s’annoncer comme une habituée des plateaux et afficher une telle assurance avant le grand show n’était pas la meilleure des idées parce qu’elle n’avait pas su garder son calme dès la première question. Greta s’était souvenue de sa discussion avec Evelyn, de la façon qu’elle avait eu de s’assurer qu’aucun de ses agissements ne serait vu comme un manque de respect et l’ironie était que toutes les limites étaient dépassées par Mike, sans qu’elle ne puisse contrôler quoique ce soit. Alors elle essayait de recentrer, de s'intéresser au livre et c’était ce qu’elle avait réussi à faire. “Beaucoup de choses, ce qui explique sans doute que le livre continue de se hisser sur le podium des meilleures ventes, même après toutes ces semaines.” Son sourire à elle se voulait encourageant parce que si elle savait que cela n’était qu’apparence, Rhett semblait bel et bien à l’aise. “Ne me regarde pas comme ça, Mike, je ne gâcherai pas la surprise.” Peut-être aurait-il dû en dire un peu plus sur la biographie afin de choisir lui-même les sujets à évoquer ou non. En laissant le champ libre à Mike, celui-ci avait évidemment pris la liberté d’évoquer le plus épineux d’entre eux et c’était peut-être au final ce que voulait Rhett depuis le début, en finir avec ça, en parler le plus vite possible pour pouvoir terminer l’interview sur une note plus positive. Si tel était le cas, les cours d’Evelyn l'avaient rendu incroyablement malin. “Sans gâcher la moindre surprise, tout le monde sait aujourd’hui que vous êtes devenus dépendants des antidouleurs après un accident… est-ce que vous vous sentez capable d’évoquer la raison pour laquelle cette tournée de promotion a été retardée à son tour ?” Greta le regardait, tentant de dissimuler du mieux qu’elle le pouvait le malaise ambiant qui régnait sur le plateau et à l’entente de son prénom, avait légèrement sursauté parce qu’elle ne s’attendait pas à ce que l’attention se reporte si vite sur elle. Un coup d'œil à Rhett lui avait confirmé de parler, alors elle avait parlé spontanément, tel qu’elle envisageait les choses. “Greta ? Vous serez peut-être plus loquasse, Rhett semble avoir perdu sa langue.” « Vous avez déjà tout dit, selon moi. Rhett a préféré prioriser sa santé et je pense qu’il peut incarner aujourd’hui un exemple pour beaucoup de personnes dépendantes. » Peut-être que le moment aurait été extrêmement bien choisi pour balancer en direct le numéro des lignes d’entraide, ce genre de choses. Mais il semblait qu’ABC était loin de vouloir prêcher la bonne parole, le but de l’entretien était clairement de mettre la biographe et le sujet le plus mal à l’aise possible. Alors Greta s’était donné pour mission de ne pas se laisser déstabiliser. « Et puis, entre vous et moi, j’avais encore quelques détails à finaliser de mon côté… »  Le rire du public était revenu et Greta se félicitait de réussir à utiliser les simples conseils du clan Sighbury : apaiser chaque annonce grave avec un ton plus léger et l’humour. Cela semblait réussir même si la blonde ne sentait pas Rhett se détendre à ses côtés et elle regrettait qu’ils ne se soient pas un peu plus mis d’accord sur le discours à avoir. Elle n’avait aucune idée du temps de parole qu’ils voulaient l’un pour l’autre, de ce qu’il voulait ou non voir sortir aujourd’hui, par exemple. Tout était à présent couché sur papier et l’écrivaine se disait que le champ était libre. « On a bien fait de retarder le lancement, je trouve ça plutôt agréable de partager la tête des ventes avec le prince Harry ! » Il pouvait tenter de trouver toutes les façons du monde pour tourner Rhett en ridicule, pour leur prêter une relation honteuse, Greta continuerait à échapper aux questions avec une insolence croissante - le nom des Sighbury n’avait jamais pu être terni parce que cette famille savait retomber sur ses pattes.  C’est un combat à la loyal, vous parlez de Rhett comme d’un prince. Elle avait levé les yeux au ciel et haussé les épaules avec exagération. Si quiconque voulait les associer, qu’il en soit ainsi. “ D’ailleurs, Greta, c’était votre premier ouvrage ?” Le rouge lui était monté aux joues et toute assurance l’avait soudainement quittée - elle avait été naïve de ne pas avoir anticipé cette question. Il fallait qu’elle réfléchisse et vite et son temps de réaction avait été bien trop important pour que sa réponse semble légitime. « Oui, c’est mon premier livre. »  Une chance qu’ils n’aient pas fait leur boulot complètement et n’aient pas réussi à déterrer son premier livre publié sous Sighbury. La question ne servait de toute façon qu’à la prochaine dirigée pour Rhett, ils questionnaient la légitimité de Greta mais surtout celle de leur relation à tous les deux. “Quel effet ça fait de confier tous ses secrets à une inconnue, Rhett ? Que pense Evelyn de tout ça ?” avait enchaîné Mike et la blonde avait expiré lentement et le plus discrètement possible, laissant Rhett reprendre du service et la sortir à son tour de cette situation sans réaliser que le sujet Evelyn était peut-être tout aussi épineux que celui de la dépendance.

« Vous avez déjà tout dit, selon moi. Rhett a préféré prioriser sa santé et je pense qu’il peut incarner aujourd’hui un exemple pour beaucoup de personnes dépendantes. » Il se retient sincèrement, et de toutes ses forces, de ne pas esquisser un sourire en coin et surtout faux. Il a priorisé sa santé, c’est le mensonge tout trouvé qu’ils ont décidé de répandre à tout va, plutôt que de dire que son meilleur ami et son frère l’ont tous deux forcés à entrer dans un centre de cure de désintox, où rien n’a fonctionné. Au moins, il avait l’air des montagnes, ce qui n’existe pas en Australie. « Et puis, entre vous et moi, j’avais encore quelques détails à finaliser de mon côté… » Elle en rajoute, elle donne le change, et bien qu’il ne cherche pas réellement à tendre en sa direction, il mime pourtant de le faire en échangeant un regard complice avec elle (de quoi dire à Mike qu’il se passe quelque chose, là où il pourrait fouiller une vie entière sans jamais rien trouver). Il lui a fait part de tous ses secrets, autant de choses que jamais personne de son entourage ne connaît dans son entièreté: évidemment que cela fait d’eux des personnes proches, et évidemment que non cela ne la fait pas éclipser le moins du monde Evelyn. « On a bien fait de retarder le lancement, je trouve ça plutôt agréable de partager la tête des ventes avec le prince Harry ! » Qui est tout de même moins beau sur sa couverture de livre que ne l’est Rhett, ce qui à ses yeux devrait tout de même apporter bien plus de ventes que le fils du roi d’Angleterre. Mais soit.

Mike profite de la nouvelle prise de parole de Greta pour reposer son attention sur elle, sans que Rhett ne pense un seul instant qu’il s’y intéresse réellement. “ D’ailleurs, Greta, c’était votre premier ouvrage ?” Pour montrer sa pseudo-curiosité, Rhett pose de nouveau son regard avec bienveillance sur sa biographe. « Oui, c’est mon premier livre. » Presque. Si c’est le mensonge qu’elle veut répandre, alors il accepte de la suivre, n’en ayant absolument rien à faire de sa famille ou du nom qui est véritablement le sien. Après tout, il est le seul personnage principal de cette histoire qui tourne littéralement autour de lui. “Quel effet ça fait de confier tous ses secrets à une inconnue, Rhett ? Que pense Evelyn de tout ça ?” Evelyn, évidemment. Il veut non seulement l’entendre à son sujet, mais il veut surtout l’entendre déraper. “Imagine toi raconter tous tes pires secrets à une inconnue et la regarder prendre des notes dans le but d’en informer le reste du monde. C’est ça, l’effet que ça fait.” Il l’explique avec un sourire en coin, l’ironie étant son meilleur allié dans toutes les situations qu’il n’arrive pas à maîtriser dans leur totalité. Il ne ment même pas, en réalité, et ce n’est qu’un bref résumé des séances d’écriture et de confessions qu’il a partagées avec Greta. D’inconnue, elle est passée à amie, mais c’est tout ce qui a changé. “Evelyn est une compagne incroyable. Elle m’a épaulé tout du long.” - “Son nom est à peine cité dans le livre, pourtant.” - “C’est ma façon à moi de la protéger. Elle est déjà une personnalité publique.” Et il ne veut pas voir les retombées parfois difficiles du livre se répercuter contre elle: elle n’a rien à voir avec l’Oxycodone, la dépendance, les TS. Et il ne veut pas que quiconque ose faire ce lien. “Mais vous, mademoiselle Moore ? Qu’avez vous pensé de tout ce livre ? Vous ne pouviez pas anticiper tout ce qu’allait y être raconté à l’intérieur.” Et dans tout ce qu’il dit, une question continue de subsister entre les lignes: pourquoi avoir quand même décidé de publier tout ça ?

C’était la réponse facile, il n’y en avait aucune qui aurait pu permettre de survoler le sujet et de pouvoir rebondir aussi vite. Greta n’était pas venue pour être le porte parole de Rhett sur sa santé parce qu’on lui avait assez montré que ce n’était pas sa place. Dans les coulisses elle avait essayé de comprendre, d’aider et de conseiller mais son rôle de biographe lui avait été à plusieurs reprises rappelé alors sous les feux des projecteurs, la blonde se contentait de servir le discours facile et attendu, quitte à mentir. En retrouvant Rhett il avait été clair pour elle qu’il n’en avait pas fini avec son combat et elle avait été assez maligne pour comprendre que la cure n’était pas son idée mais le silence de Rhett face à la question ne justifiait pas qu’elle parle à sa place. Elle avait parlé pour elle et l’idée de participer à redorer l’image du rugbyman lui faisait plaisir, il n’était certes pas le meilleur élément pour représenter un modèle de rédemption mais il était, et elle en était persuadée, quelqu’un de profondément bon. En témoigne sa relation avec la douce Evelyn, qui, si le moment était mieux choisi et le sujet plus loquace à ce sujet, aménerait Greta à s’interroger sur ce qu’il en était d’eux deux à ce moment-là. “Imagine toi raconter tous tes pires secrets à une inconnue et la regarder prendre des notes dans le but d’en informer le reste du monde. C’est ça, l’effet que ça fait.” A ce sujet pourtant il restait évasif jusqu’à marquer un temps de pose et reprendre. “Evelyn est une compagne incroyable. Elle m’a épaulé tout du long.” Le sourire de Greta à l’entente de ces mots n’était pas feint et Mike n’avait pas traîné avant d’attaquer une nouvelle fois. “Son nom est à peine cité dans le livre, pourtant.” - “C’est ma façon à moi de la protéger. Elle est déjà une personnalité publique.” Les vautours semblaient déçus et Rhett répondait avec tant d’aplomb qu’il semblait avoir anticipé les questions, et c’était peut-être le cas tant elles étaient prévisibles.

“Mais vous, mademoiselle Moore ? Qu’avez vous pensé de tout ce livre ? Vous ne pouviez pas anticiper tout ce qu’allait y être raconté à l’intérieur.” Son moment de répit avait été de courte durée et Greta ne s’était pas imaginée répondre à autant de questions. « C’est une question intéressante. » Pour une fois, se disait-elle. Elle ne cachait pas réellement son agacement quant au manque de pertinence des questions précédentes et se félicitait d’avoir été bien plus professionnelle qu’un journaliste d’ABC. Mais la raison de cette curiosité déplacée était là, dans cette question. Il ne s’agissait là que d’une manière déguisée de demander si elle regrettait, si elle assumait toujours que son nom soit associé à un véritable scandale. Le fait était que Greta Moore s’en fichait, jusqu’à ce que Greta Sighbury soit mêlée à tout ça, mais pour le moment, ses parents semblaient toujours aveugle aux activités de leur fille en Australie. « J’ai adoré l’écrire, pour commencer. Je connaissais un peu la renommée de Rhett ayant moi-même une petite connaissance du monde du rugby. » Et elle  avait opiné du chef exagérément quant à l’étonnement ambiant - 2023 n’était visiblement pas encore l’année où il serait normal pour des femmes de s'intéresser au sport mais là n’était pas le sujet. « J’avais la volonté justement d’aller outre ce qu’on connaissait et de montrer que la célébrité n’était pas que ce que les médias laissaient voir, en bon ou mauvais. » Et il était hors de question qu’elle fasse le lien avec sa propre notoriété, mais sa réponse ne se ferait pas plus longue, elle n’était pas décidée à venir rabaisser, évoquer les pires passages ou tout ce qui aurait permis une audience encore plus remarquée. « Si vous avez été charmés par le rugbyman et passionnés par le commentateur sportif, je vous conseille de lire Number 9, vous ne serez pas déçus. » avait-elle conclu en tournant la tête vers Rhett pour chercher l’approbation, comme si elle avait récité ces lignes avant d’entrer sur scène, pour donner une sorte de conclusion à cette émission plus compliquée qu’ils ne l’avaient imaginée.