(fin mars) La dernière fois qu’il s’est rendu à ce genre d’événement, James a fini par se battre avec Ruben, sans qu’Ambrose n’ait été informé en avance de la présence de l’un ou de l’autre à la soirée. Alors pour aujourd’hui, il a au moins pris le temps de prévenir la possibilité que tout dérape, et il a au moins une assurance: ni son frère ni son ex-petit-ami ne seront présents, ce qui est étrangement un immense soulagement à ses yeux. Il pourra se contenter de jouer son rôle pour la soirée, de gagner quelques possibles voix et de faire connaître son nom. Rome ne s’est pas faite en un jour. L’événement de charité de ce soir est pour lui l’occasion de souffler, paradoxalement. Ce soir, il n’est plus question de Cameron qui se la joue toxico ayant besoin de partir en cure, ni même des Sand Witches ayant besoin de se mettre (déjà) (encore) en pause à cause lui. Ce soir, il n’est même plus question des Leftovers qui ont soudainement le vent en poupe, pour Dieu sait quelle raison, ni même de n’importe quel autre de ses proches avec qui il entretient une relation plus ou moins compliquée. Plus ou moins à raison aussi. Décidément, ce début d’année n’est pas de tout repos pour Ambrose, qui aurait pourtant apprécié de voir son quotidien s’apaiser.

Il use et abuse de son sourire, serre des mains, propose des coupes de champagne qu’il ne paie même pas (avec quel argent, de toute façon ?). Certaines sont pour lui, pour gagner un peu de courage, et bien d’autres sont pour tous ceux à qui il dédie un mot ou un autre, une anecdote ou sa voisine. Il remarque des grands noms du monde du business, tout en restant sans doute soulagé que Saül Williams reste absent. Constantine sourit néanmoins lorsqu’il retrouve la silhouette fine de Cassie Edwards, sans jamais comprendre pourquoi une personne telle qu'elle finit toujours par arriver à de tels événements - c’est son poulain qui devrait se montrer, il est grand et elle, elle a sûrement besoin d’aller réviser des examens pour son lycée. L’idée le fait sourire.

Il sourit rapidement bien moins à la seconde où il se retrouve seul avec la blonde près du bar, ce dernier ayant momentanément été délesté de tous les cinquantenaires bedonnants qui ne jurent que par les verres que ce genre d’événement offre. Le barman explique ne plus avoir de champagne - ô sacrilège - avant de déjà filer dans une autre salle, sans doute pour tout retourner dans l’espoir de trouver quelques précieuse bouteilles supplémentaires. “Pas pour toi j’espère, vue ta corpulence t’aurais dû mal à tenir un verre entier.” Il commente la commande de la blonde, faussement inquiet quant à son sort mais surtout terriblement horripilant. C’est même un regard dédaigneux qu’il repose sur elle, le fin sourire porté par ses lèvres terminent le tableau d’un Ambrose parfaitement insupportable. Sans doute qu’un jour il arrêtera de se montrer imbuvable lors de ce genre d’événement et qu’il apprendra enfin de ses erreurs - mais ce n’est pas pour de suite, de toute évidence. “Tu n’as pas de photos à poster sur Instagram ? Début de soirée, c’est le moment parfait.” Puisque son métier se résume à ça, il serait tout de même dommage qu’elle rate le coche.

C’est toujours un calvaire, ce genre de soirée. Pourtant depuis le temps que tu les fréquentes, t’excelles dans l’art du faux-semblant. Quand t’étais gamine, le vieux Edwards t’emmenais parfois dans des galas de charité du genre, et lui aussi était plutôt fort pour faire comme s’il était fier de sa famille lorsqu’il parlait à certains invités. Ca faisait toujours bon genre pour lui lorsqu’il rencontrait des gens importants qui pourraient voter pour lui et sa campagne aux valeurs familiales bien ancrées. Toi t’étais là à sourire et à forcer le trait, à te montrer polie et charmante pour le rendre fier et le pire dans tout ça, c’est que ça marchait. A force tu voyais toujours les mêmes têtes, des invités de marque, des ambassadeurs ou des hommes d’affaire, ça n’avait pas tellement d’importance pour toi. Toujours est-il que certains sont ici présents à Brisbane, et que ça continue à faire bonjour que t’ailles leur parler, que tu puisses leur donner des nouvelles de ton cher père mais surtout que tu t’insères un peu plus dans la sphère des grands par toi-même. Non, pas de politique pour toi, mais des projets ambitieux qu’ils sont à peu près heureux de faire semblant d’écouter et c’est toujours bien d’avoir des gens comme eux dans ton répertoire de contacts.
Ca paraît être une éternité avant que tu réussisses à t’éclipser, prétextant avoir besoin d’un refill de boisson ou d’un peu d’air. Pas qu’ils sont méchants, tous ces gens, mais t’as besoin de souffler un peu. Direction le bar, donc. Tu prends bien soin d’ignorer Constantine lorsque tu commandes ton verre de champagne, aucune raison d’interagir avec lui plus qu’il ne faut.
Sauf que catastrophe, les stocks sont vides et l’employé doit aller voir en réserve s’il trouve de quoi remplir les verres. Déjà ? Qui a organisé cet événement, c’est genre une des premières choses à vérifier, l’état des stocks. Ce n’est pas une quelconque soirée étudiante organisée à la va-vite, c’est grave, là. Déjà, tu soupires sans cacher ton agacement et puis le barman disparaît dans l’arrière-salle. Soit il y aura effectivement des bouteilles et dans ce cas-là c’est juste lui qui est incompétent et sans doute un quelconque extra employé pour le déroulé de l’événement, soit c’est juste une organisation merdique. Dans tous les cas c’est chiant, puisque tu te retrouves en tête à tête avec Ambrose. « Pas pour toi j’espère, vue ta corpulence t’aurais dû mal à tenir un verre entier. » Mais de quoi il se mêle celui-là ? Sourcil arqué, tu tournes la tête dans sa direction. « Ah trop gentil de t’inquiéter pour moi. » Que tu réponds avec un sourire cynique qui se dessine sur tes traits. « Tu n’as pas de photos à poster sur Instagram ? Début de soirée, c’est le moment parfait. » « Je t’ai pas vraiment attendu, mais merci du conseil. » Bien évidemment qu’une story a déjà été publiée, pas besoin de Constantine pour le lui rappeler. « Au fait, félicitations pour ton nouveau groupe. » Dommage qu’ils soient déjà de nouveau en “pause”, hein. Ça fait quoi, un mois qu’il est supposé les avoir rejoints ? Et un an supplémentaire qu'ils sont absents des charts ? Si ce n’est pas exactement le genre qu’elle apprécie, il faut savoir reconnaître leur notoriété dans le monde de la musique et aussi à la couverture des tabloids. Puisqu’il a décidé de jouer aux cons, tu peux t’y mettre aussi. « Tu comptes rester avec eux jusqu’au prochain album ? » A ce rythme là, il leur faudra encore des années avant de remettre un truc concret sur pieds.

Ironiquement, il ne semble pas apprendre de ses erreurs sur le sujet “provoquer volontairement des connaissances à un événement officiel”. Pour sa défense, Ruben n’est pas vraiment une connaissance, là où Cassie n’est absolument rien de plus. Alors, ce n’est pas vraiment pareil, et cela explique qu’il puisse décider de ne pas apprendre de ses conneries - quoi que les mots qu’il a à son égard en sont une, bien évidemment. Mais de quoi il se mêle celui-là ? Sourcil arqué, tu tournes la tête dans sa direction. « Ah trop gentil de t’inquiéter pour moi. » Il sourit fièrement, ne serait-ce pour laisser penser à quiconque les observe que leur discussion est douce et légère. « Je t’ai pas vraiment attendu, mais merci du conseil. » - “Au plaisir.” Elle est bien plus une spécialiste des medias qu’il ne l’est, pour des raisons évidentes, et tout n’est qu’une douce ironie.

« Au fait, félicitations pour ton nouveau groupe. » Ambrose accuse une seconde de silence, ce qui est sûrement un plaisir aux oreilles de la jeune femme. Il ne la pensait pas informée à son sujet, à défaut de bien sûr l’être dans le domaine de la musique de façon générale. Son poulain et les Sand Witches ne jouent pourtant pas dans la même cour, et c’est bien sûr sans parler de celle dans laquelle jouait les Leftovers. “C’est eux qui sont heureux de m’avoir, plutôt.” Et cette fois-ci, il ne joue aucun jeu, pas alors qu’il estime effectivement qu’il est le seul à leur faire une faveur et non l’inverse. Il est doué et digne de confiance, contrairement à celui qu’il remplace ; il est notamment bien plus digne de confiance que Cameron et ses excès et Edison et ses conquêtes, par exemple. Mais pour l’unité du groupe, il ne se risquera pas à le dire en public, pour de nouvelles raisons évidentes. « Tu comptes rester avec eux jusqu’au prochain album ? » - “C’est vraiment fascinant cette capacité à faire du moindre de tes mots une attaque plus ou moins masquée.” Et il le pense sincèrement, parce que personne ne pourrait se méfier de Cassie et de son petit mètre soixante, sa taille de guêpe, ses yeux rieurs. Il le pense au point où il sourit à son tour, en réalité bien plus impressionné que réellement vexé - bien qu’il le soit un minimum, bien sûr. “Qu’est-ce que tu sais, au juste ?” Ce n’est pas tant les connaissances de Cassie qu’il veut comprendre, mais bel et bien ce que cela peut représenter à une plus large échelle, pour ne pas dire auprès du reste du monde. Il veut savoir si elle sait pour Cameron et sa foutu cure de désintoxication, la dernière merveilleuse idée en date du clan Lewis, qui ne manque apparemment pas de ressources en tout genre pour décevoir le reste du monde. “Mes priorités sont ailleurs, ne t’en fais pas pour moi.” Il envisage toujours de faire passer sa carrière politique avant ses hobbies, et la musique en est de toute évidence un. Alors, peu importe à quel point les choses peuvent mal tourner à ce niveau-là, il continue de l’assurer: cela ne l’ébranlera pas autant qu’elle le voudrait. “Je ne suis pas du genre à croire en des rêves d’enfants.” Contrairement à elle et son poulain, de toute évidence, qui rejoue encore et encore l’émission qui l’a fait connaître.

« C’est eux qui sont heureux de m’avoir, plutôt. » Un peu arrogant sur les bords, Ambrose. Mais allez, tu veux bien lui accorder le point. Après tout ça pouvait être difficilement pire que la situation précédente. Les raisons de son engagement dans le groupe, les projets qu’il y a derrière, ça le regarde et t’es à peu près sûre que c’est pour l’aider à sortir de l’ombre. Il a vu une opportunité et l’a saisie, tant mieux pour lui si ça fonctionne dans son sens. Il aurait eu bien tort de passer à côté de sa chance, si il veut ton avis. « C’est vraiment fascinant cette capacité à faire du moindre de tes mots une attaque plus ou moins masquée. » Allons allons, il n’y a pas à prendre la mouche comme ça. « Je fais ça moi ? » Ca pue la fausse modestie et tu ne t’en caches pas vraiment. T’es pas là pour essayer de l’impressionner lui, alors tant que pour l’assemblée la conversation a l’air suffisamment joviale et enjouée, il n’y a aucune raison de faire plus d’efforts que nécessaire. « Qu’est-ce que tu sais, au juste ? » Léger haussement d’épaules, tu fais mine de réfléchir en faisant tourner ton verre entre tes doigts. « Trois fois rien, des rumeurs sans confirmation. » Sans déclaration officielle de la part des concernés, c’est souvent compliqué de démêler le vrai du faux dans des situations comme ça. « Juste que le lead a quelques soucis de santé à régler. Certains parlent du fait qu’il a eu du mal à arrêter les opiacés après son accident. » Rumeur facile et plausible, reste à voir si elle est véridique. Si ça t’intéressait réellement t’aurais fait l’effort de creuser, là tu t’es contentée de lire un post insta non sourcé, digne des pires journalistes qui ne savent pas quoi inventer pour faire parler. « C’est quoi la vraie version ? » Ca ou autre chose, ça ne change pas grand-chose pour toi, c’est uniquement dans le but d’assouvir ta curiosité. Et faire une pause dans les conversations peu intéressantes offertes par la plupart des gens présents ici ce soir. « Mes priorités sont ailleurs, ne t’en fais pas pour moi. » Ce n’est pas le cas, mais ça il s’en doute déjà. Un sourire poli et un peu faux s’étire sur tes lèvres tandis que tu hoches la tête doucement. « Je ne suis pas du genre à croire en des rêves d’enfants. » C’est supposé être vexant ? « Moi non plus. J’aime mieux les réaliser, tu vois. » Et jusqu’à présent, ça se passe plutôt bien. Après tout, t’as la vingtaine à peine dépasser et déjà un pied dans le milieu qui te plaît, un début de carrière à faire pâlir de jalousie les plus envieux et des projets à foison que tu comptes bien concrétiser dès que possible. Plein de portes ouvertes et d’opportunités, t’as plus qu’à faire ton choix. Pour l’heure, si tu n’as pas particulièrement cherché la compagnie d’Ambrose, tu dois bien avouer que c’est sans doute l’événement le plus intéressant de cette soirée pas forcément palpitante. Un peu agacée de sourire dans le vent et de servir de hibou messager à l’attention des amis autoproclamés de ton père, tu accueilles avec plaisir la distraction offerte par le musicien. « Et c’est quoi tes priorités, du coup ? » La question, sous ses apparences anodines, est tout sauf ça ; elle est intéressée, et est surtout synonyme d’un “distraits-moi tant que t’y es”. C’est pas comme s’il avait mieux à faire de toute façon.

Si Cameron doit mourir de quelque chose, cela n’a pas intérêt à être d’une overdose mais bien des mains d’Ambrose, parce qu’il est le seul dans toute cette histoire à lui créer autant de problèmes, lui et ses addictions ne faisant que prouver un manque flagrant d’attention. Il veut être plaint et aimé et il a choisi la voie royale pour ça, parce que même Cassie en vient à parler de lui, alors qu’elle n’aurait même jamais daigné un regard vers une personne telle que lui en temps normal - même Ambrose n’en soulève pas tant que ça. « Trois fois rien, des rumeurs sans confirmation. » Ce sont pourtant avec des rumeurs que naissent les plus grands feux, elle le sait tout autant que lui et elle en joue, bien évidemment. « Juste que le lead a quelques soucis de santé à régler. Certains parlent du fait qu’il a eu du mal à arrêter les opiacés après son accident. » - “Intéressant.” Il mime d’y apprendre quelque chose, sans pour autant penser un seul instant qu’elle le suivra dans ce mensonge: il est évident qu’il est bien placé pour savoir comment se porte la santé du lead, tout comme il est évident qu’il n’a pas l’intention de s’épancher sur le sujet, surtout pas auprès d’elle.

« C’est quoi la vraie version ? » Face à cette question, il sourit automatiquement, presque sincèrement aussi. Son regard se pose sur la jeune femme et ses quelques centimètres en moins. “Je ne te ferai pas l’affront de croire que tu ne peux pas obtenir la réponse par toi-même.” Elle est douée dans ce qu’elle fait, elle sait s’informer et elle sait se sourcer. Elle n’a pas besoin d’Ambrose pour ça, surtout alors qu’en en faisant la demande elle se heurte seulement à des refus et des silences de sa part. Il ne doit rien aux Sand Witches, mais ils peuvent encore lui apporter beaucoup. Comme il le dit lui-même, il n’est de toute façon pas du genre à croire en des rêves d’enfants. « Moi non plus. J’aime mieux les réaliser, tu vois. » Il mime la surprise. “Ce sont ceux sur le devant de la scène qui disent ça, généralement.” Parce qu’il ne peut pas comprendre comment son rêve d’enfant pourrait être de gérer la vie privée et public d’un homme apparemment incapable de se débrouiller seul et ayant besoin de quelqu’un pour nettoyer derrière lui qui plus est. C’est ingrat et loin d’être à la hauteur des capacités de la blonde, qu’elle gâche en jouant dans la mauvaise cour. « Et c’est quoi tes priorités, du coup ? » Il est sa seule priorité, maintenant plus que jamais. C’est aussi sincère que c’est impossible à avouer sur n’importe quel réseau social, ou durant n’importe quelle conférence de presse. Face à Cassie, il pourrait porter oser dire la vérité, mais il se contente pour l’heure encore de lui offrir un nouveau sourire en coin, sincèrement amusé. “Je soutiendrai toujours Camil Smith d’une certaine façon, mais je ne compte pas évoluer dans son ombre bien longtemps encore.” Ce n’est pas contre Camil, loin de là. Ambrose le soutient et l’admire toujours énormément, mais il a bien trop à cœur de se faire son propre nom pour éternellement tenir ce travail à ses côtés et pour lui. “C’est pour ça que je ne comprends pas ce que tu fais avec ton petit chanteur. Tu pourrais viser plus haut.” Elle ne veut pas d’avenir politique, certes, mais il existe un bon millier de voies différentes pour se faire son propre nom: comment peut-elle sincèrement décider de ne pas en emprunter une seule ? “Il est doué, mais il m’a pas l’air de briller par sa débrouillardise.” Il ne serait rien sans elle ; il espère au moins qu’elle est payée comme elle le mérite, ou qu’elle y trouve son compte Dieu sait comment.

« Je ne te ferai pas l’affront de croire que tu ne peux pas obtenir la réponse par toi-même. » Oui, certes, c’est même sans doute plus amusant de chercher les informations par soi-même plutôt que d’attendre qu’elles vous tombent tout cuit dans le bec, mais il pourrait faire un effort et y mettre un peu du sien, quand même. « T’es vraiment pas drôle. » La raillerie est vraiment plus là pour le show qu’autre chose. Bien sûr que tu iras fouiller et que t’auras la réponse, t’aurais juste gagné un peu de temps s’il te l’avait donnée. « Ce sont ceux sur le devant de la scène qui disent ça, généralement. » Un léger rire t’échappe, forcément qu’il ne saisit pas les subtilités de ton job et pourquoi il est si important. « T’en fais pas pour moi, va. » Ce n’est bien évidemment pas le cas et tu le sais très bien. « Je soutiendrai toujours Camil Smith d’une certaine façon, mais je ne compte pas évoluer dans son ombre bien longtemps encore. » La réponse te laisse songeuse. Ainsi il préfère se concentrer sur ce côté-là plutôt que sur un groupe de musique potentiellement tremplin. Intéressant. « Je comprends vraiment pas ce qui est si attrayant dans la politique, c’est d’un ennui... » A part l’envie de pouvoir, bien sûr. Mais il y a des tas d’autres façons d’en avoir, des manières bien moins barbantes et barbares. Ils sont fades, ces gens là et t’en as côtoyé suffisamment depuis toute petite pour en savoir quelque chose. D’une certaine façon, le milieu artistique reste assez semblable, tout n’est qu’un jeu d’image et de faux semblants et la seule véritable différence réside dans la finalité ; on admire les uns tandis qu’on crache sur les autres. Alors forcément quitte à faire un choix, c’est vite vu pour toi. Après ça explique un peu pourquoi il s’infligeait de serrer les mains de certains types présents dans la salle. « C’est pour ça que je ne comprends pas ce que tu fais avec ton petit chanteur. Tu pourrais viser plus haut. » Tu pourrais, certes. Tu pourrais te lancer dans une carrière de chanteuse plus ou moins talentueuse ou tenter de devenir égérie d’une grande marque renommée et tu sais qu’avec assez de motivation et de travail tu pourras éventuellement te démarquer. Et même si dans un cas comme dans l’autre t’en as très envie, dans les faits tu ne te sens pas tout à fait prête à assumer tous les changements que ça pourrait impliquer. Non, pour le moment t’es bien comme ça, à faire ton petit bout de chemin comme tu l’entends tout en pouvant côtoyer certains grands noms à l’occasion. « Il est doué, mais il m’a pas l’air de briller par sa débrouillardise. » C’est même pas tant ça, s’il avait un autre agent, un autre manager, il s’en sortirait sûrement presque aussi bien ; malgré l’absence de l’album promis il reste toujours foutrement bankable et demandé. Le problème, c’est sans doute que la plupart de son public s’intéresse surtout à sa gueule d’ange et pas forcément à ce qu’il a à offrir en termes de musique. Il est doué, oui, il est même carrément bon pour écrire quand il s’en donne la peine et qu’il n’est pas atteint de cette foutue page blanche qui n’en finit pas. Et toi t’as beau faire tous les efforts du monde pour l’aider, lui décrocher toutes les interviews possibles et imaginables, les photoshoots les plus prisés, les events les plus médiatisés, ça va finir par s’essouffler. Il n’en a même pas forcément conscience, mais c’est déjà plus ou moins le cas. Les marques et leurs responsables ne vont pas éternellement attendre après le vainqueur de l’édition 2016, ils ont besoin de sang frais et qui font parler d’eux. Le Revival va redonner un coup de boost et permettre de ne pas sombrer dans l’oubli, mais comme pour le reste, ça ne durera qu’un temps. « Ouais enfin je peux pas tellement le laisser tomber, s’il veut rester au top il a besoin de gens compétents pour l’entourer et le guider. » Autrement dit ; toi. En toute modestie, hein. Contractuellement parlant, tu ne peux pas non plus partir quand ça te chante, et puis t’en as pas franchement envie de toute façon. « Mais arrivera un moment où il devra se débrouiller sans moi, malheureusement. J’ai déjà quelques pistes, j’attends juste le bon moment pour concrétiser tout ça. Je tiens à faire ça bien. » Arrivera-t-il seulement, ce bon moment ? Oui, sans doute. Après tout, t'es douée pour te créer tes propres opportunités mais d’ici là, l’important c’est Midas. « C’est pas commun en tout cas, ton parcours là. T’as pas peur que la réputation un peu sulfureuse du groupe déteigne sur ce que t’essaies d’accomplir auprès de Camil ? » Pour le coup, t’es juste curieuse de savoir comment il fait pour concilier ces deux univers pas forcément compatibles. Aucune malice ou arrière pensée, en tout cas. « Si t’as besoin de consultants en images, je connais des gens compétents. » Toi, des collègues, qu’importe. Tu proposes comme ça sans forcément penser qu’il puisse envisager l’idée, il a sans doute trop d’égo pour ça et c’est tant pis pour lui.

S’ils ont tous deux une fidélité sans limite envers Camil et Midas, Ambrose estime pourtant qu’il continue de subsister une différence signifiquante entre lui et Cassie: lui, il avancera un jour sous le feu des projecteurs là où elle est éternellement vouée à déblayer le terrain de Midas et/ou ramasser sa merde et ses erreurs derrière. Tantôt l’un, tantôt l’autre, mais jamais rien pour elle-même. Il la traite peut-être bien, et c’est même sans doute le cas, mais la reconnaissance d’une seule personne n’est pas comparable à celle d’un pays tout entier, ou même simplement une plus grande échelle. Et définitivement, Ambrose ne comprend pas comment elle arrive non seulement à s’en contenter, mais aussi à se persuader que cela lui suffit pour être heureuse. « Je comprends vraiment pas ce qui est si attrayant dans la politique, c’est d’un ennui... » - “On fait la même chose, pourtant, toi et moi.” A la seule différence, encore une fois, qu’il le fait pour faire changer les systèmes et les lois, là où elle se contente de harranguer les foules pour qu’ils achètent un CD de plus, un t-shirt de plus, un tweet élogieux supplémentaire. En d’autres termes, ils ont beau faire la même chose, ils ne jouent pas dans la même cour pour autant.

« Ouais enfin je peux pas tellement le laisser tomber, s’il veut rester au top il a besoin de gens compétents pour l’entourer et le guider. » C’est bien ce qu’Ambrose dit, oui: il se moque parfaitement dudit Sterling, et il ne comprend pas pourquoi elle lui accorde une telle importance et autant d’attention, alors qu’elle pourrait utiliser ses talents ailleurs. Il ne la porte pas dans son cœur, mais il ne peut pas nier qu’elle est douée dans ce qu’elle fait. Simplement, elle pourrait l’être à une plus grande échelle. “Il a quoi ? Trente ans ? Et il peut pas se débrouiller seul ?” Il annonce dans un rire, passablement moqueur. Non, évidemment qu’il ne le peut pas, sinon elle ne serait pas constamment à ses côtés. Il n’est qu’un gamin aux airs d’adulte, et il gagne assez pour subvenir très confortablement aux besoins d’une famille qu’il n’a pas. « Mais arrivera un moment où il devra se débrouiller sans moi, malheureusement. J’ai déjà quelques pistes, j’attends juste le bon moment pour concrétiser tout ça. Je tiens à faire ça bien. » Et enfin, elle pique son attention autant que sa curiosité. Ambrose abandonne son faux sourire pour mieux se concentrer sur le visage de la blonde, contre lequel il pose ses yeux, quelques centimètres plus bas. “Quels genres de pistes ?” La curiosité est sans doute une nouveauté en ce qui la concerne, mais elle n’est pas mal placée pour autant. Il ne cherche pas à obtenir une information pour mieux la retourner contre elle ; il se contente de s’intéresser à la façon dont elle pourrait rendre son quotidien plus intéressant, et puisqu’il en existe un bon millier, il est curieuse de connaître celle qu’elle priorise. Ou priorisera, à l’avenir ; un avenir dont elle n’a donné aucune spécification temporelle, comme pour se donner la possibilité d’éternellement le repousser.

Finalement, elle préfère enfoncer des portes ouvertes et se concentrer de nouveau sur Ambrose, la renommée de son nouveau groupe de musique n’allant pas exactement dans le sens qu’il avait pu prévoir. « C’est pas commun en tout cas, ton parcours là. T’as pas peur que la réputation un peu sulfureuse du groupe déteigne sur ce que t’essaies d’accomplir auprès de Camil ? » Son sourire se fige, parce qu’il tente toujours de donner le change, aussi parce qu’il n’a plus aucune véritable raison de sourire alors qu’elle vise dans le mille. Evidemment qu’il est terrifié de la chose, tout comme il est particulièrement en colère de voir des années d’efforts au quotidien voler en éclats à cause de l’addiction d’un sombre connard. Autant de mots qu’il ne peut pas se permettre d’avoir, mais qu’il pense pourtant de tout son cœur. “Je laisserai pas ça arriver. Je m’occupe de gérer les interactions du groupe à partir de maintenant.” Plus ou moins. Difficile de tenir en laisse Edison et Cameron ensemble, disons, encore plus alors qu’il n’est vu que comme le petit nouveau qui semble vouloir révolutionner le monde - et il ne nie pas, surtout alors qu’il pense qu’ils en auraient tous les deux bien besoin. « Si t’as besoin de consultants en images, je connais des gens compétents. » Son sourire est bas mais sincèrement amusé, désormais. “Je nie pas que tu fais un bon job, mais je suis par contre mon propre conseiller en image.” Il n’a besoin de personne, lui. “Il pleurerait devant les caméras si tu le quittais, qui plus est, et personne ne veut voir ça, j’imagine.” Elle n’a pas précisé son nom quand elle disait connaître des gens compétents, mais Ambrose n’en avait pas besoin pour comprendre qu’elle parlait d’elle, tout comme il n’a à son tour aucunement besoin de citer le prénom de Midas pour qu’ils sachent tous deux qu’il est au coeur de leur conversation sans même le vouloir. “Je joue à un autre niveau, je peux gérer les crises existentielles de chanteurs qui veulent faire leur intéressant.” Et s’il ne le peut pas, alors il fera cavalier seul, ce qui est pourtant l’idée la plus simple, depuis le début.

« On fait la même chose, pourtant, toi et moi. » « Sur le papier j’suis assez d’accord. » Dans les faits, c’est tout de même autre chose mais tu sais très bien que chacun restera campé sur ses positions et qu’il est inutile d’entrer dans un débat stérile. T’as tes raisons, il a les siennes, vous êtes tous les deux assez grands pour savoir quand stopper. « Il a quoi ? Trente ans ? Et il peut pas se débrouiller seul ? » « Il pourrait sûrement. Mais je suis payée pour ça alors pourquoi il s’embêterait ? » Et puis quand on a autant de fans au travers du globe, on a sans doute bien assez à faire que d’avoir à gérer réseaux sociaux et négociations de contrats divers et variés. Qu’il se concentre sur son album à venir, pour le reste tu préfères t’en occuper pour que ça soit bien fait et qu’il ait l’esprit tranquille. Pour le moment ça fonctionne comme ça, lui manque plus que l’inspiration divine. « Quels genres de pistes ? » « Cinéma, mannequinat, j’ai pas encore décidé. Je verrai. » T’as bien assez de contacts aujourd’hui pour savoir que t’as tes entrées dans un milieu ou l’autre si t’en as besoin. Le tout sera de bien préparer le terrain, de proposer quelque chose qui te démarque des autres. Forcément, tu fais en sorte de pas évoquer un rôle qui t’intéresse dans une production indépendante d’un réal que t’aimes bien, c’est un coup à jinxer tes chances de le décrocher. Même à Midas t’en as pas parlé, c’est dire à quel point tu préfères garder ça pour toi jusqu’au dernier moment. En revanche, t’attends la vanne de Constantine sur le fait que t’es sans doute un peu petite pour prétendre au titre de mannequin, t’es déjà bien au courant. « Qui sait, peut-être que d’ici l’année prochaine j’serai invitée au Tonight Show. » Ca te fait penser qu’il faut encore que tu contactes les équipes de Jimmy Fallon pour organiser une de leur émission avec Midas, mais tant qu’il n’y a pas de nouvel album à l’horizon, tu risques d’avoir du mal à les convaincre de l’utilité de la chose.

« Je laisserai pas ça arriver. Je m’occupe de gérer les interactions du groupe à partir de maintenant. » « Franchement, ça vaut sans doute mieux. » Clairement jusqu’à maintenant, c’était pas tellement ça, la comm des Witches. Et Ambrose est sûrement assez lucide pour s’en rendre compte par lui-même sans avoir besoin d’un avis professionnel sur le sujet. Alors voilà, il a le tien maintenant et s’il avait encore le moindre doute, t’espères pour lui que ce n’est plus le cas. Il peut même le prendre pour un compliment si ça lui plaît, c’est cadeau de la maison. « Je nie pas que tu fais un bon job, mais je suis par contre mon propre conseiller en image. » Fair enough. Tu peux pas nier que jusqu’à maintenant il s’est plutôt pas mal débrouillé de son côté, t’as pas souvenir qu’il se soit retrouvé lié à des scandales l’impliquant directement. Mais voilà, comme tu l’as exposé juste avant, la réputation du groupe peut jouer en sa défaveur s’il n’y prête pas garde. « Il pleurerait devant les caméras si tu le quittais, qui plus est, et personne ne veut voir ça, j’imagine. » « T’exagères un peu quand même. Et puis je compte pas le lâcher comme ça. » Même si ça t’amuse un peu de l’imaginer en train de pleurer ton départ lors d’une interview, tu sais que c’est peu probable, il est bien plus maîtrisé que ça. Au mieux il aura un mot ou deux, quelques remerciements en public et il viendra chouiner en privé. Et puis, tu comptes de tout façon pas te tirer du jour au lendemain, pas avant de t’être assurée que la personne qui reprendrait le rôle soit au moins aussi compétente que toi. Pour l’heure, t’as encore plein de choses à faire avec Midas avant de même songer à le laisser se débrouiller seul. « Je joue à un autre niveau, je peux gérer les crises existentielles de chanteurs qui veulent faire leur intéressant. » « Bon courage, parce que c’est quand même plus compliqué que ça en a l’air. » C’est pas à la portée de tout le monde, quoi. Et si Ambrose n’est sans doute pas un incapable, ça doit rester compliqué de gérer des toxicos. En comparaison, ton rôle à toi est facile, Sterling ne fait presque jamais de vagues et t’as bien peu de tirs à corriger. « Tu devrais prévoir un plan de secours, juste au cas où. » Ca alors, un autre conseil gratuit.

« Il pourrait sûrement. Mais je suis payée pour ça alors pourquoi il s’embêterait ? » Justement parce qu’il pourrait se passer de payer quelqu’un, mais c’est le genre de considération qu’ont les personnes comme Ambrose, et certainement pas celles comme Midas. A-t-il même la moindre idée de l’argent sur son compte en banque ? Ou du nombre de zéros sur les chèques qui sont signés pour sa personne ? Non, sûrement pas. Le salaire d’une personne de plus ne change rien à sa vie, et cela lui permet de ne pas fournir le moindre effort si (alors que) Cassie s’en charge à sa place. « Cinéma, mannequinat, j’ai pas encore décidé. Je verrai. » Elle se base sur ce qui lui permettra de mettre en avant les traits de son visage, et il comprend l’idée. Il n’est pas le premier fan de Cassie, loin de là, mais il mentirait s’il disait ne pas la trouver jolie. Ce n’est pas de l’attirance, simplement de l’objectivité: elle a un beau sourire, elle donne sûrement confiance à n’importe quel ego d’homme se plaçant à ses côtés et la dépassant de vingt centimètres - oui, cela joue, bien sûr que cela joue. Ce qu’il en dit, surtout, c’est qu’il n’y a rien dans ses choix de carrière qui pourraient véritablement la mettre en avant. Riche, ça oui, mais à quel prix ? « Qui sait, peut-être que d’ici l’année prochaine j’serai invitée au Tonight Show. » - “Je manquerai pas de mettre un commentaire haineux sur Twitter pour fêter ça.” Peu importe le contexte dans lequel son nom sera cité, cela la propulsera en top tweet, pas vrai ?

Pour dire vrai, il ne comprend pas Cassie. Il voit son potentiel, il l’observe être douce amère avec une aisance déconcertante, et pourtant elle dit vouloir parcourir les catwalk avec des talons hauts et du tissu plus ou moins répartie sur tout son corps. Pourquoi ? Pour quoi, aussi ? « Bon courage, parce que c’est quand même plus compliqué que ça en a l’air. » Il lui rendrait bien la pareille, mais il n’estime pas que passer devant une caméra ou se faire engager dans une agence de mannequinat puisse être réellement difficile. Il suffit de sourire et de montrer le bon angle pour les photos, voilà tout. Rien de savant, rien qui nécessite autant de connaissances que son avenir en politique. « Tu devrais prévoir un plan de secours, juste au cas où. » Elle le dit sans sourire, mais Ambrose répond avant tout de cette manière. Elle ne manque pas de culot. “Une future mannequin donne vraiment des conseils de carrière ?” Parce que ses ambitions se résument justement à un plan B, alors il doute qu’elle soit la mieux placée pour parler.

“Cassandra ?” Le prénom s’immisce au coeur de leur conversation, comme le fait le visage d’un homme âgé de cinquante ans, peut-être soixante. Toute la surprise du monde se lit entre ses traits ridés et pourtant ô combien respectueux. “Je ne t’avais pas vue depuis des années. Je crois que tu avais passée la soirée dans les bras de ton père, ce soir-là, toute l’Ambassade parlait doucement pour ne pas te réveiller.” Ambrose est perdu, évidemment, et il peine à comprendre le rapport entre la future troisième sœur Hadid et une visite à l’Ambassade, qui plus est alors qu’il reconnaît aisément l’homme en question. “Tu as les yeux de ton père, cela ne s’oublie pas. Je suis heureux de savoir que tu suis son chemin pour servir l’Australie plutôt.” Lui, de toute évidence, ne parle pas de mannequinat et Ambrose se promet de mener davantage de recherches, incapable de se contenter d’une discussion pour laquelle il existe désormais bien plus de questions que de réponses. “Monsieur Seaborne.” Il se fait connaître, lui serre la main, ne s’impose pas davantage. De toute évidence, cette discussion n’est pas la sienne. Son regard se pose une ultime fois sur Cassie, dont les traits prouvent qu’elle comprend bel et bien ce dont il est question: l’inconnu ne s’y méprend pas, ce qui signifie qu’elle est peut-être un peu plus intéressante que ce qu’il a pu penser en premier lieu.